Épitaphe d`un chat - le frisson esthetique
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Épitaphe d`un chat - le frisson esthetique
Poésie Chat, mon beau Chat... LE MINET ET LE DOMINO Le domino a chu Sur le dos du chaton Qui chahutait sur le piano Faisant des fa et des bémols Avec ses pattes Le minet n’a pas ri Du domino qui ricocha De son dos-ci là sur le sol Il miaula mamma mia Car c’était un mimi d’Italie La mamma pour le consoler Lui ronronna une mélodie Sans do sans mi sans domino La gorge douillette et mignonne, La queue longue à la guenonne, Mouchetée diversement D’un naturel bigarrement : Le flanc haussé, le ventre large, Bien retroussé dessous sa charge, Et le dos moyennement long, Vrai sourien, s’il en fut onc. Tel fut BELAUD, la gente beste Qui des pieds jusques à la teste, De belle beauté fut pourvue Que son pareil on n’a point vu. Joachim du Bellay, Divers jeux rustiques (extrait). Piano Piano François David, Zéro pour Zorro, Éd. Møtus. 40 Épitaphe d’un chat Le frisson esthétique › N°10 Les chapitres Il y a les autres et puis les chats les chamailleurs et chats suiveurs les explorateurs et les chats dormeurs les chamerdeurs les chapardeurs les chats bottés chasseurs de souris et chats contemplatifs Dans tous les cas des chats joueurs des bébés chats qui s’interrogent et qui questionnent les formes et l’espace et des chats qui sautent en arabesques du vent Les chats poètes, les chats poèmes les chats bohèmes et les bohémiens Coin de tableau Sensation de haschish Tiède et blanc était le sein. Toute blanche était la chatte. Le sein soulevait la chatte. La chatte griffait le sein. Les oreilles de la chatte Faisaient ombre sur le sein. Rose était le bout du sein, Comme le nez de la chatte. Un signe noir sur le sein Intrigua longtemps la chatte ; Puis, vers d’autres jeux, la chatte Courut, laissant nu le sein. Les chats pain d’épice ou flocons de neige regard de la nuit ou tempête en plein ciel Charles Cros. In Le coffret de Santal. Il y a aussi des charivaris des chats d’esquimaux et des chats zoulous Dans tous les cas des chats nous quittent. Catherine Zittoun. C'est un petit chat noir, effronté comme un page. Je le laisse jouer sur ma table, souvent. Quelquefois il s'assied sans faire de tapage ; On dirait un joli presse-papier vivant. Jean Rostand. Le frisson esthétique › N°10 41 Poésie Le poème du chat et de la fille de joie C’est une fille de joie qui avait un chat Fille, enfin... femme femme pâle et ridée l’air altier derrière la vitrine Certains payaient pour voir le chat, d’autres pour voir la femme. Certains sortaient, déçus de n’avoir vu que le chat, d’autres déçus d’ avoir cru caresser une femme. Certains heureux d’un chat devenu femme, d’autres heureux d’une femme de joie. La fille on l’appelait la femme au chat Le chat on l’appelait le chat de joie On pensait que peut-être ni la femme ni le chat ne savaient qui ils étaient qui avait été chat le premier qui avait été femme d’abord Certains payaient cher et la femme et le chat La femme au chat pâle et ridée blancs cheveux et sa peau est comme un habit de fée Et la femme âgée livide ridée avait des moustaches dociles derrière la vitrine et l’air altier d’une chatte et la peau douce comme un habit de fée Le chat s’étire nu et livide Et jamais on ne savait si c’était le chat de joie ou la femme au chat qu’on caressait On croyait caresser le chat et c’est un corps de femme qui s’étirait sous la caresse soupirant on disait : « je croyais caresser le chat » La femme elle répondait : « non, je suis la femme au chat. » Et si l’on croyait caresser la femme c’est le chat de joie qui miaulait. La femme au chat riait. Certains avaient décidé de tuer le chat pour ne plus être trompés. Mais si en le tuant ils tuaient la femme, l’erreur serait fatale. 42 Le frisson esthétique › N°10 Un jour la femme et le chat furent trouvés enlacés derrière la vitrine On les enterra dans un caveau de roi Chacun dans un linceul blanc Tous deux dans un cercueil tendre comme un grand lit ne sachant qui des deux avait été femme avait été chat aux ultimes instants. Laurence Vielle. Lamento pour Châtaigne I Mort de la bête Douleur qui pénètre profond. II Travaux en cours. Travaux en corps De la chatte comme de moi Disparue la petite, essentielle présence. une partie de la vie générale s’était faite chair en nous Nous défrichions ensemble un peu de temps au milieu d’une éternité qui se dérobe. Ne plus pouvoir lui adresser des paroles qu’une chatte ne comprend pas sauf leur sens capital : notre élan vers les choses qui nous entourent et se portent garantes de la brièveté de notre vie. Nous marchions toutes deux en funambules au-dessus de la mort. Sur moi la chatte étendait sa patte avec elle je connaissais une douceur pas tout à fait humaine une relation inorthodoxe à la chair. Marie-Claire Bancquart. « Autour de moi cette maison où j’étais seule, — l’homme dans l’Est, l’enfant aux champs — résonnait comme un tonneau vide quand les avions de bombardement passaient au-dessus d’elle. J’admirais que ma chatte âgée, une grande persane bleue, eût l’air de les voir et de suivre leur vol à travers le plafond. » Colette. (L’ÉtoileVesper) En 1916, Colette habite seule à Paris, le bel hôtel particulier du 69 boulevard Suchet. Le frisson esthétique › N°10 43 © Bertrand de Jouvenel notre liaison commune morceaux d’une encyclopédie inconnaissable, explosions d’existence. Poésie Poème, remonté par le traducteur, en trois actes et un épilogue suivi d’une pavane, où l’auteur, au cœur des Queen Annes de San Francisco, se replie sur le jardin de derrière, domaine abandonné au chat, son compagnon, qu’il surveille de la fenêtre de sa cuisine. Il y a eu plusieurs chats. Avant l’hiver August I Les insectes qui montaient en essaim dans le soleil après l’orage entrés par la fenêtre repartis dans la lumière parfumée August Kleinzahler Poète à ses débuts, — nous citons les plus importants recueils, publiés aux U.S.A., en Grande-Bretagne ou en Australie : Storm over Hackensack, Moyer Bell, 1985 ; On Johnny’s Time, Pig Press, 1988 ; Earthquake Weather, Moyer Bell, 1989 ; Like Cities, Like Storms, Picador, 1992 ; Red Sauce, Whiskey and Snow, faber and faber, 1995 — August Kleinzahler, globe-trotter passé de petit boulot en petit boulot, du New Jersey et de Montreal à San Francisco, où il s’est fixé après avoir accédé à la gloire des prix littéraires, est devenu essayiste avec le temps : The Strange Hours Travellers Keep, 2003 ; Cutty, One Rock, 2004 ; Music I-LXXIV, 2009. On peut le lire régulièrement dans la London Review of Books. Le Guardian du samedi 18 avril 2009, consultable en ligne, vous dira tout sur l’homme et son oeuvre. J.M. 44 Le frisson esthétique › N°10 tout comme le raton-laveur qui s’est pointé fin août affolant Le Chat qui aurait voulu se coucher tout près de lui ou des abeilles sorties dans la chaleur à longueur d’été une fois brûlé le brouillard, revenues au pot de fleurs à-demi enfoui dans le compost et lilas maintenant l’impatiens qui fleurit à tour de bras tandis que le matin se couvre et se rafraîchit se sécher les ailes dans un courant ascendant tandis que la terre fume après que la première grosse pluie a fait tomber le restant des pêches sans savoir quel nom leur donner ni d’où elles sortaient auraient pu les laisser passer, sans rien dire II Des pêches joliment posées sur compost, pourrissent d’en dessous, des jais bleus piquent sur les graines de pavot et rebroussent chemin vers le piquet de clôture dare-dare parce que Le Chat il en a des tours dans son sac, des trucs à lui et des coins pour te sauter dessus III Kleinzahler à moins qu’une pêche ne lui ait fendu le ciboulot la façon qu’il a cet idiot de dormir menton par terre juste en dessous des grosses pêches joufflues de ce sacré arbre trop dures et pas bonnes à manger qui pourrissent du dessous c’est la fête aux nématodes cloportes, larvesacariens&spores qui se goinfrent de sucre échauffent ce tas de pulpe, tiges et feuilles si bien que Le Chat dort au chaud entre le romarin et les capucines qui dégustent l’azote à la base la tête à l’affût de souris ou sauterelles ou de quelque chose d’électrique qui bougerait un ion dans sa moustache ouvre un œil tandis que les escargots à droite et à gauche, en haut en dessous se tirent une bave dans la nuit Six pèches de plus par terre cette nuit et des guêpes qui grouillent sur un rat que mon chouchou a attrapé ce gros voyouminet, qui se mâchouille à l’ombre o, ne vous avisez pas de piquer la langue de mon gamin pour qu’il étouffe, non il est ma joie quand point le jour en bouffées de tiédeur qui déferlent l’une après l’autre après… chacune chargée, plus épaisse que la dernière, de fragments de nuit, de jour : parfum d’asphalte fumant après l’averse et pin-up du quartier qui tripote une poire sur l’étal et ta façon de me toucher juste au moment… et des visages des voix sorties de ces visages qui jouent d’un bout à l’autre du vibraphone que je suis leurs arpèges discordants et aussi ma propre voix, je ne sais comment, isolée de la masse je dis Donnez-moi une vue plongeante de très haut, sans être tenu ici par le besoin je dis à mon gamin Fais attention Grosfilouminet, sois très prudent ce jardin est trop trop fou Le frisson esthétique › N°10 45 Poésie Fin d’automne au chat épilogue Minou dort du matin au soir. Avec leurs transistors de zone les démobilisés enterrés dans leurs foyers en ville voient davantage le jour que Minou. Les dimanches quand la pluie dégringole les échelles de secours, plonge dans les ruelles, quand le peu de lumière qui reste dans la rue est reflet sur bidons d’huile de Lucques ou d’oliveraies du côté de Cordoue dans une vitrine avec poires, liquide vaisselle et noix, Minou est comme mort, patte de devant par-dessus la tête. Il est là-bas, bien loin, enfoncé profond dans le tissu de rayonne d’un coussin chamois. Tressaillement occasionnel des moustaches : on voit les sauts du cœur sous la fourrure tandis qu’il rôde en périphérie d’un rêve énorme, et qu’il pleut tant vers le soir que la nuit s’installe sans même que tu l’aies vue venir. À mon chat William pavane pour un vieux père et un chat défunts August Kleinzahler Monsieur Hou, du calme Il est trois heures du matin Tu n’en fais qu’à ta tête De velours simulacre de mon cœur à cran Tracas, tracas …Bon vieux Papa ! Transformado en mi gato Oh, mi Dios Ce que nous amène la nuit Je rêve ? Est-ce vraiment toi, ou toi Sur le même bateau de misère Ta vigilance, ta santé Pas pour moi En mille morceaux Éparpillé, tremblant comme du mercure Guiliguili Tracas, tracas Willie Nocturne est mon père maintenant Salut, Papa Salut Fiston Dis, c’est pas toi que j’ai vu dans les dessins du journal Traductions inédites de Jean Migrenne. 46 Le frisson esthétique › N°10 © Louis Monier Monsieur Bissou C’est trop tard, Hou Willie Nocturne C’est à toi maintenant À ton tour, moi Je suis ton père N-O-N non, Monsieur Oh mais oh mais oh j’en ai si gros Sur le cœur, Papa Si gros r Chat Le feu : jolis poissons rouges, Endormait le chat fermé. Si, par mégarde, je bouge, Le chat peut se transformer. Il ne faut jamais que cesse Le rouet des vieilles tours. Car se changer en princesse Est le moindre de ses tours. Fracas blanc sur la ville Les poubelles grimacent décochent des brassées de chats Loïc Herry. Jean Cocteau. In Vocabulaire © Gallimard Il y a des chats partout dans mes textes, mais ils se promènent, ne restent pas assez en place pour les saisir sur cinq lignes. Comme dans Errabunda, ou les proses de la nuit. « La Vénusienne de la rue des Saules élevait des hippocampes sous la pluie. Je parle d’une époque révolue. On empruntait le chemin des dames pour accéder à l’Institut d’astronomie. Très loin de Manitoba, dans la vaste clarté, on pouvait rêver aux îles d’or. Un chat de Byzance venait me rappeler à la magie. » Hubert Haddad. Pourquoi je l’aime. Le Chat… C’est l’animal le plus beau, le plus noble. Je le préfère à tous, et cela depuis toujours. D’une souveraineté, d’une farouche indépendance, il refuse tout maître imposé. Le sien, il l’a choisi, et c’est un ami auquel il saura rester fidèle jusqu’à la mort. Sans bassesse, sans servilité aucune. D’égal à égal. Et c’est pour cela que je l’aime. Le frisson esthétique › N°10 47