L`action sociale, réparatrice des maux de la société ?

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L`action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Les Carnets Nivernais du Développement Durable
Solidaires
aujourd’hui
L’action sociale, réparatrice
des maux de la société ?
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Une synthèse documentaire préparée par les services du Conseil Général
Coordination : Service Information - Documentation - Conseil
Impression : Service Conception Graphique et Imprimerie du Conseil Général de la Nièvre
sur papier issu des forêts gérées durablement
© Janvier 2013
Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Sommaire
I. La solidarité : entre un Etat protecteur et des responsabilités individuelles .......................4
A - Un nouvel équilibre à trouver..............................................................................................................................................4
a) Entre assistanciel et assurantiel : la mise en place d’un système de solidarité............................4
b) Les dispositifs actuels héritiers de ces deux approches................................................................................5
B - La mise en place d’une stratégie d’investissement social................................................................................9
a) Dans un contexte de croissance l’Etat a développé les dispositifs offrant
à chaque individu une protection............................................................................................................................................9
b) La crise des financements...................................................................................................................................................9
C - Une solidarité à mieux partager......................................................................................................................................11
a) Le transfert de la solidarité de l’Etat vers les collectivités, une fausse solution.......................11
b) Le délitement du lien social ..........................................................................................................................................12
c) Le retour de l’implication individuelle ? Les nouvelles initiatives de solidarité.........................13
II. Les politiques de solidarité n’ont pas le pouvoir de réformer la société................................. 16
A - L’idéal de politiques de solidarité vise à intégrer la quasi totalité de la population..................16
a) L’incapacité des dispositifs de solidarité à faire disparaître les mécanismes d’exclusion.. 16
b) Encadrer et dépasser l’égalité des chances.........................................................................................................21
B - Réorienter les politiques sociales vers l’avenir......................................................................................................22
III. Le territoire comme nouvel espace de l’action sociale : entre espoirs et risques......... 24
A - La quête de la proximité.......................................................................................................................................................24
a) Le territoire lieu d’innovation et de reconquête d’une prise en charge collective
de la solidarité ....................................................................................................................................................................................24
b) Le développement social local ou le territoire lieu de mise en synergie .....................................26
B - L’ambiguité de la proximité................................................................................................................................................28
a) La question du périmètre du territoire soulève la question des compétences .......................28
b) La bonne échelle d’organisation des dispositifs dans un contexte d’hétérogénéité de la
richesse des territoires...................................................................................................................................................................29
Conclusion........................................................................................................................................................................................... 31
V. BIBLIOGRAPHIE DES DOCUMENTS CONSULTES............................................................................................ 32
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L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
INTRODUCTION
L’accompagnement et l’aide qu’apporte la société française à ses membres en situation
de fragilité sociale sont le fruit d’une longue histoire. A une solidarité essentiellement
assumée par un groupe d’appartenance (famille, groupe social) s’est progressivement
substitué un nombre grandissant de modes d’intervention et de soutien dont les origines
sont diversifiées.
En ces périodes de crise où la peur du chacun pour soi est ravivée, la population s’en
remet aux initiatives individuelles pour maintenir le lien social, et attend des pouvoirs
publics qu’ils offrent à chacun des conditions de vie minimale, tremplins vers un vivre
ensemble apaisé.[9]
La protection sociale contribue largement au maintien de la cohésion sociale. La
protection contre la maladie, la vieillesse, le chômage, les aides à la famille sont autant de
mécanismes qui favorisent le vivre ensemble.
Le concept de protection sociale est large. Il désigne l’ensemble des mécanismes qui ont
pour objectif de protéger l’individu ou la famille contre les risques sociaux, en particulier
dans leurs dimensions financières : la maladie, le chômage, la vieillesse, l’invalidité, le
décès, les accidents du travail, la maternité, l’éducation des enfants, le handicap, l’accès
aux soins, etc.
L’action sociale est le fruit d’une construction historique. Les dispositifs juxtaposent des
modes d’intervention diversifiés, chacun répondant à un problème donné selon une
logique fortement marquée par un contexte historique et social. Selon les époques, on voit
varier, de façon quelquefois majeure, ce qui est socialement considéré comme acceptable,
puis inacceptable (ou l’inverse), conduisant alors à faire évoluer les dispositions prises.
D’un point de vue organisationnel, la protection sociale désigne, en particulier, les
dispositions mises en place dans le cadre assurantiel de la sécurité sociale, mais dépasse
cette frontière. Il peut être conceptuellement élargi à l’ensemble des systèmes qui ont
pour finalité de protéger l’individu contre les conséquences financières des risques
sociaux. En cela le concept de protection sociale renvoie à celui de solidarité.[4]
La décentralisation a ajouté un facteur supplémentaire de complexité . En posant le principe
de partage des compétences entre l’Etat et trois niveaux de collectivités territoriales, la
décentralisation visait entre autre objectif de passer d‘une action sociale réparatrice à une
action sociale de prévention. L’objectif ne semble pas avoir totalement été atteint. C’est
pourquoi, dans la période de transition que nous connaissons actuellement, caractérisée
par un niveau important d’incertitude, les politiques sociales sont aujourd’hui face à trois
grandes questions :
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Pourquoi ? C’est la question de la finalité : limiter l’impact des risques pour les individus,
mettre en place des dispositifs concourrant à éradiquer les causes et mécanismes
d’exclusions.
Qui ? Est-ce à l’Etat d’apporter une aide ou la solidarité doit-elle être aussi une
responsabilité, un comportement partagé ?
Où ? C’est la question des échelles, du périmètre du territoire et de la répartition des
compétences entre les acteurs. [2], [21]
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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I. La solidarité : entre un Etat protecteur et des responsabilités individuelles
A- Un nouvel équilibre à trouver
a) Entre assistanciel et assurantiel : la mise en place d’un système de solidarité
Au Moyen-Âge s’ébauche une politique d’assistance à l’initiative de l’Eglise qui, en raison
de la tradition chrétienne de « charité », organise l’accueil et le secours des indigents, des
enfants orphelins, des malades. Pour cela, l’Eglise draine des fonds qui permettent de
subvenir à leurs besoins et de créer des lieux d’accueil, en particulier les « Maisons Dieu »
et les « Hôtels-dieu ». On assiste à la création d’établissements d’assistance aux pauvres,
aux malades. Ce sont les hospices.
Le Siècle des Lumières, en particulier avec Jean-Jacques Rousseau et son contrat social,
modifie radicalement l’angle d’attaque du problème : l’individu, en aliénant sa liberté à
travers le contrat qui le lie à ses semblables, gagne un droit de protection et d’assistance.
La pauvreté n’est plus un vice mais un manquement de la société à l’égard de l’un de ses
membres.
La Révolution consacrera ce précepte, puisque la constitution de 1793 pose le principe
suivant : « les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux
citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens
d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. » Toute la base de l’actuelle aide sociale
se trouve ainsi déjà projetée dès cette époque, en théorie plus qu’en pratique d’ailleurs…
Au XIXè siècle, la révolution industrielle va engendrer la paupérisation du prolétariat, le
travail des enfants et la désagrégation des familles rurales par l’exode vers la ville. Les
regroupements ouvriers vont naître, entraînant leur cortège de luttes et de revendications.
La mutualité et les institutions de prévoyance se développent, la puissance publique
commençant alors à intervenir dans leur mise en œuvre. En 1852, les sociétés de secours
mutuels reçoivent un statut qui les soumet à une surveillance et à un contrôle stricts. En
1889, le Congrès international de l’Assistance publique pose les bases conceptuelles de
l’assistance publique, à partir de trois principes :
• l’assistance obligatoire pour les collectivités,
• l’attribution de l’aide sur une base territoriale,
• la subsidiarité ; l’aide est accordée uniquement aux individus sans ressources et
subsidiaire des autres formes d’aides, notamment familiales. [4]
A la fin du XIXème, début du XXème, le solidarisme (Durkheim, Fouillée, Léon Bourgeois)
fonde une conception moderne de la solidarité. En arrière plan, se pose une question :
comment maintenir des interdépendances dans une société complexe ?
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Léon Bourgeois évoque une « société de semblables ». Il existe des inégalités en
matière de condition, donc ce n’est pas une société d’égaux, mais à défaut il doit y avoir
des protections : c’est le socle sociologique de la démocratie, la « citoyenneté sociale ».
C’est du réformisme, une voie moyenne entre « laisser-faire » et révolutionnarisme des
« partageux ». La protection sociale est la clé de voûte de ce réformisme. [6]
Ainsi donc, à la fin du XIXè siècle et au début du XXè siècle, naît une législation sociale
organisée selon deux volets complémentaires qui répondent à des objectifs différents :
une législation d’assistance de portée générale une législation d’assurance sociale
obligatoire. C’est la naissance du droit au secours.
Au XXè siècle, le système d’assistance sociale va peu à peu se modifier, les bases en ayant
été posées dès le début du siècle. On notera un changement de nom en 1957, le terme
d’aide sociale succède à celui d’assistance sociale.
Le dispositif français d’assurance sociale va progressivement développer et diversifier ses
prestations et s’étendre à partir de 1919. Le terme de sécurité sociale viendra consacrer
la généralisation et l’unification des différents régimes jusque-là éparpillés en diverses
caisses professionnelles.
Au cours des Trente Glorieuses, on a même pu parler d’un Etat providence, c’est-à-dire d’un
déplacement de la solidarité directe de proximité à une solidarité presque entièrement
socialisée par le biais de l’impôt et de la redistribution que celui-ci permet. L’ensemble
actuel des dispositifs d’action sociale est le fruit de cette construction historique.
b) Les dispositifs actuels héritiers de ces deux approches
La lente construction de l’Etat providence en France a donc paru tout d’abord hésiter
entre une approche assistancielle apportant un secours aux personnes incapables de
satisfaire à leurs besoins élémentaires et privées de la solidarité familiale, et une logique
assurantielle liant des droits sociaux à la place occupée par les individus dans le processus
productif.
C’est ce second modèle, seul à même de répondre à la précarité de la classe ouvrière,
qui va progressivement s’imposer – 1945 marquera sa consécration avec la création de
la Sécurité sociale –, non sans laisser pourtant à l’assistance une place pour certaines
catégories de la population exclues du monde des actifs, personnes âgées ou handicapés
principalement. Mais le développement d’un chômage de masse a remis en question
les dispositifs de protection liés à l’activité, aussi à partir des années 1980 assiste-t-on à
un retour de plus en plus prononcé, selon des visées et des modalités renouvelées, des
logiques assistancielles.
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Robert Lafore, Professeur de droit public à l’IEP de Bordeaux, explique qu’il s’agit là
d’un véritable renversement des équilibres : les décloisonnements entre assurance et
assistance se multiplient, la notion d’« assuré social » ne gardant tout son sens que pour
le noyau central des actifs protégés, et celle d’« allocataire » n’étant donc plus du tout
circonscrite à des catégories bien spécifiques.
Dans les années 1980 : le délitement quantitatif (nombre des emplois) et qualitatif
(qualité et stabilité des emplois) du marché du travail, a généré des déséquilibres
remettant en cause les arrangements du modèle. Au-delà, les mutations dans les formes
de solidarité, notamment familiales, et leur difficulté corrélative à prendre en charge de
nouveaux problèmes (vieillissement, dépendance, instabilité des formes de solidarité et
isolement) ont contribué aussi à une réévaluation des places respectives de l’assurance
et de l’assistance.
On assiste ainsi à un retour des logiques assistancielles selon diverses voies. Tout d’abord,
le coeur même de la Sécurité sociale est touché lorsqu’au financement par le salaire
(cotisations sociales) est substitué un financement fiscal avec la contribution sociale
généralisée (CSG) ou les compensations massives liées aux exonérations de charges
sociales ; de même, la logique assurantielle des prestations familiales est affectée par
le fait que, le financement cotisé étant maintenu, le dispositif se déconnecte du cadre
socioprofessionnel en devenant universel (1978) et que les prestations sont mises pour
la plupart sous condition de ressources accusant ainsi leur dimension de lutte contre la
pauvreté. Ensuite, on doit à la réforme de l’assurance chômage de 1984 l’introduction
d’un régime de solidarité qui, du fait de la réduction des droits à indemnisation, offre
un revenu minimal aux bénéficiaires qui sont exclus de l’assurance ; c’est là purement et
simplement organiser le basculement d’assurés sociaux dans un système d’assistance.
De nouvelles prestations, dites de « solidarité nationale », sont créées pour pallier les
insuffisances de l’assurance-maladie (couverture maladie universelle – CMU) ou pour
faire face à des problèmes non pris en compte par la protection sociale (prestation
spécifique dépendance – PSD – puis allocation personnalisée d’autonomie – APA
– pour prendre en charge la dépendance) à quoi on peut relier aussi la création de la
prestation de compensation du handicap (PCH) pour les personnes handicapées (2005) ;
la dénomination de « solidarité nationale », qui marque le décalage par rapport à l’aide
sociale légale, ne peut masquer le fait qu’il s’agit d’une extension de l’assistance. Enfin,
le phénomène de « l’exclusion » génère à partir des années 1980 toute une ingénierie
d’interventions et d’aides : contrats dits « aidés » produits à partir des politiques de
l’emploi ; revenu minimum d’insertion (RMI) émergeant du socle assistanciel, politiques
« en faveur des populations en difficulté » en matière de logement et d’hébergement, de
santé et plus largement d’accès à un ensemble de droits (loi de 1998).
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Le socle assistanciel, qui débordait déjà le cadre hérité de l’assistance renommée
« aide sociale » en 1954, connaît donc un élargissement spectaculaire : sa logique de
financement gagne les institutions assurantielles, les publics traditionnels d’inaptes au
travail s’accroissent en nombre et suscitent la création de prestations nouvelles ainsi que
l’adaptation des modes de prise en charge ; enfin de nouveaux publics apparaissent,
inattendus dans la conception antérieure : il s’agit d’actifs potentiels rejetés par le marché
du travail car non adaptés à ses exigences et d’actifs précarisés par le développement de
formes d’emploi instables, tout cela générant un « précariat » comprenant dorénavant
des personnes « fragiles », « en difficulté » ou encore « particulièrement démunies ». Le
noyau des « inadaptés » éligibles à l’assistance dans les années 1970 se noie dorénavant
dans une masse beaucoup plus mal définie d’« exclus ».
Au-delà du seul effet d’élargissement, cela pousse à une transformation du modèle
assistanciel . Dans le noyau originaire de l’assistance (handicap et troisième âge) s’introduit
une conception de l’action sociale comme « service centré sur « l’usager » ; cette vision,
pour positive qu’elle soit dans les principes, recouvre le développement de logiques
managériales visant à l’adaptabilité et à la souplesse d’une offre dorénavant régulée par
la demande, seule voie pour rationaliser et contenir des coûts qui ne peuvent que croître
du fait de l’augmentation du nombre des bénéficiaires.
Dans le champ de l’enfance et de la protection des majeurs, des formes de contrôle
préventif des familles se développent, les interventions très en amont et fondées sur la
persuasion et l’adhésion mâtinées de contraintes apparaissant comme la seule parade
face à une inflation des publics « à problèmes ». Enfin, dans les nouvelles formes de
prise en charge attachées à des revenus minimaux garantis liés aux comportements des
bénéficiaires (RMI et revenu de solidarité active – RSA), la logique « d’insertion » vient
modifier le modèle prestataire en transformant la prestation en moyen pour susciter et
soutenir un retour des bénéficiaires aux normes d’emploi et plus largement aux normes
sociales.
Ce retour en force des logiques assistancielles n’est pas uniquement lié à un phénomène
de déversement depuis les assurances sociales qui verraient simplement le nombre de
leurs ayants droit diminuer. Il recouvre un mouvement de recomposition de leur place
respective. À la société mise en cohésion par un salariat dominant et stabilisé qui a
généré les arrangements hérités a succédé un monde beaucoup plus fluide et incertain
dans lequel les deux formes de solidarités fondamentales antérieurement – la solidarité
professionnelle et la solidarité familiale – n’ont plus les mêmes potentialités de mise en
ordre.
Le modèle hérité voulait implicitement réaliser un idéal : intégrer la quasi-totalité de
la population par l’accès à l’activité, salariée principalement mais aussi indépendante ;
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l’une et l’autre sont encadrées par un statut protecteur dont bien des éléments, tout au
moins pour les salariés, reproduisent le cadre légal progressivement mis en place pour
les fonctionnaires ; d’où le caractère dominant des collectifs professionnels (monde
des cadres, des ouvriers, des employés, ensemble de corporations différenciées et
hiérarchisées) dans lesquels étaient immergées les dimensions purement subjectives du
travail de façon à les neutraliser en grande partie ; de là aussi, une protection assurantielle
revêtant une forme « solidariste » affirmée dans laquelle chacun entrait automatiquement
et bénéficiait de prestations sous « voile d’ignorance », donc sans avoir à s’inquiéter des
équilibres en termes de contributions et droits, et dont le but était de neutraliser les
situations individuelles en les immergeant dans des avantages collectifs ; d’où le fait que
les prestations constituent, l’exemple des retraites dans leurs formes initiales étant le plus
probant, une rémunération « continuée » et non le produit de contributions individuelles
initiales (revenu différé).
On comprend alors que l’assistance ait pu, dans cette conception de la protection sociale,
se replier sur la prise en charge de marges dont le point commun est qu’elles ne peuvent
entrer dans le monde du travail et dans le cercle protecteur qu’il organise. On aperçoit
ainsi combien la capacité intégratrice du marché du travail et l’équilibre relativement
favorable aux actifs dans le partage de la richesse constituent les deux conditions du
développement continu et du maintien d’un tel modèle.
Le regain des logiques assistancielles accompagne l’effritement de ce projet qui ne trouve
plus les moyens de sa continuation. Un renversement des équilibres s’opère.
Les dispositifs assurantiels, sans naturellement disparaître et alors même d’ailleurs qu’un
consensus semble vouloir les faire perdurer, changent néanmoins progressivement de
sens : perdant pour une part leur dimension d’intégration large et collective, ils ne gardent
leur pleine efficacité que pour le noyau central des actifs protégés qui dépendent de la
résistance de leurs statuts collectifs et de leurs capacités d’accès aux activités concernées ;
ils se transforment aussi en se centrant davantage sur les calculs individuels et font
appel dorénavant à une « responsabilité » des bénéficiaires que les montages initiaux
ignoraient ; ils se défaussent enfin en s’ouvrant toujours plus à la protection facultative
(mutuelles) et marchande (assurances, fonds de placement) .
Aussi, face à une Sécurité sociale dont l’extension quantitative se restreint et dont le
contenu protecteur se fragilise, la réponse assistancielle s’impose pour ceux, bien plus
nombreux que les « inadaptés » et autres « indigents » au sens originaire de l’assistance,
qui ne peuvent trouver leur protection dans l’assurance sociale et ne peuvent non plus
faire fond sur les solutions liées à la valorisation d’un patrimoine dont ils ne disposent pas.
De complément pour quelques marges relativement contenues d’inaptes au travail,
l’assistance se mue alors en l’élément premier de la protection sociale, le « premier pilier »
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au sens des organisations internationales : comprenons un socle destiné à constituer le
niveau de base, celui qui est appelé à garantir le minimum à tous, en lieu et place de la
Sécurité sociale qui voulait justement tenir cette place au temps de son institution. [14]
B- La mise en place d’une stratégie d’investissement social
a) Dans un contexte de croissance l’Etat a développé les dispositifs offrant à chaque individu
une protection
On l’a vu, le système français de protection mis en place en 1945 repose essentiellement
sur les assurances sociales. Principalement fait pour ceux qui travaillent et leurs familles,
il est financé par des cotisations sociales et géré en partie par les partenaires sociaux.
Pendant les Trente Glorieuses, les redistributions liées à l’Etat-providence, outre leurs
effets en terme de sécurité pour les assurés, ont été bénéfiques à l’activité économique.
Mais, avec la crise apparue au milieu de la décennie 1970, les politiques de l’offre vont se
substituer aux politiques keynésiennes et l’accent va être mis notamment sur la maîtrise
ou la réduction des dépenses sociales. Si formellement le système actuel ressemble à celui
de la fin des années 1960, de grandes transformations – prestations nouvelles, nouveaux
modes de financement, rééquilibrage des pouvoirs en faveur de l’Etat – sont apparues
suite aux nombreuses réformes des années 1990 et 2000.
Au début des années 2000, une nouvelle approche des politiques sociales insiste non
pas sur le démantèlement des Etats providences mais sur leur réorientation. Il s’agit
d’intervenir le plus en amont possible pour corriger les inégalités et prévenir les situations
d’exclusion professionnelle. Pour faire face aux enjeux présents et à venir, la nouvelle
approche cherche à changer de perspective sur les politiques sociales et à situer leur
intervention en amont plutôt qu’en aval. Il s’agit de préparer plutôt que de réparer, de
prévenir, de soutenir… Une stratégie d’investissement social se met en œuvre. [21]
b) La crise des financements
La question d’un financement soutenable est plus que jamais posée. La protection
sociale incarne le pacte de solidarité entre les citoyens. Pérenniser un système qui repose
essentiellement sur la solidarité suppose de le solvabiliser. Au déficit structurel, fruit
de l’écart entre la progression des dépenses (vieillissement de la population, progrès
médicaux...) et la diminution des recettes (chômage récurrent, dégradation du rapport
cotisant / prestataire...) s’est ajouté un déficit conjoncturel lié à la crise.
Le seul déficit du régime général de la sécurité sociale a été de 17,4 Md € en 2011, par
exemple 1. En 2010, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) réaffirmait
que la protection sociale est un investissement nécessaire pour notre collectivité. La qualité
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du système de soins, la création d’emplois dans le domaine de la santé, l’accompagnement
proposé aux familles, sont des éléments essentiels pour le développement stratégique
et économique d’un territoire. L’universalité de la couverture et la solvabilisation de la
demande, le niveau de revenus des retraités, la qualité de la prise en charge des personnes
en perte d’autonomie sont fondamentaux pour la cohésion sociale. À leur manière
chacune des branches de la Sécurité sociale participe à ces objectifs.
En 2010, les charges nettes du régime général de la Sécurité sociale (316 Md d’euros de
charges consolidées) se répartissaient entre :
• la maladie : 154,71 Md € (49 %),
• la vieillesse : 102,38 Md € (32 %),
• la famille : 52,90 Md € (16 %),
• les accidents du travail : (AT-MT) 11,24 Md € (3 %).
Le CESE a souhaité, mettre en exergue les principaux défis auxquels est confronté notre
système de protection sociale au travers de l’exemple de l’assurance maladie. En effet,
les questions posées sont souvent de même nature : comment garantir l’accès aux
droits comment sortir d’une gestion parfois trop cloisonnée des risques et adapter une
démarche plus transversale répondant mieux aux besoins des individus ?
Si l’avis souligne ces convergences, il s’attache à montrer qu’aujourd’hui c’est dans le domaine
de la santé que l’accès de tous à une couverture sociale de qualité se pose certainement avec
le plus d’acuité. Aussi, le CESE, se propose de dessiner des pistes pour consolider notre pacte
social. Il s’agit d’un enjeu essentiel, rien ne sera possible sans une éthique des acteurs et la
confiance de l’ensemble des citoyens, tout particulièrement des jeunes, dans la pérennité du
système. À défaut, si les citoyens estiment contribuer à un système dont ils ne bénéficieront
pas, c’est l’édifice tout entier de la protection sociale qui serait fragilisé.
Le Conseil entend réaffirmer un certain nombre de principes et de valeurs qui sont
insuffisamment inscrits dans le débat public et contribuer ainsi à la compréhension des
enjeux par les citoyens :
• répondre à l’évolution des risques sociaux,
• garantir l’accès de tous aux soins,
• optimiser l’efficience du parcours de soins,
• articuler les prises en charge de l’assurance maladie et des complémentaires afin de
garantir l’accès de tous à la santé,
• garantir un financement pérenne et soutenable de la santé.
Le vieillissement de la population, les progrès techniques et médicaux, le coût de plus en
plus élevé de certaines thérapeutiques et un budget contraint, nécessitent de réguler et
de prioriser. [5]
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C- Une solidarité à mieux partager
a) Le transfert de la solidarité de l’Etat vers les collectivités, une fausse solution
L’action sociale des départements a été redéfinie par la loi du 2 janvier 2002. Le
département met en œuvre la politique d’action sociale, il coordonne les actions menées
et organise la participation à la définition et à la mise en œuvre des orientations. Il adopte
les schémas d’organisation sociale et médico sociale. Quatre objectifs lui sont assignés :
• cohésion sociale,
• autonomie et protection des personnes,
• exercice de la citoyenneté,
• prévention de l’exclusion et correction de ses effets.
Comme le soulignait déjà Robert Lafore, directeur de l’IEP de Bordeaux, en 2004, « c’est
l’essentiel des politiques publiques en direction des populations, fragiles, précaires ou encore
dépendantes et inadaptées qui sont renvoyées au niveau local, alors que la régulation des
activités économiques et la production des richesses sont du ressort de l’Etat et au-delà,
relèvent largement des institutions européennes ».
Michel Dinet, Président du Conseil général de Meurthe et Moselle ainsi que l’observatoire
national de l’action décentralisée, déplorait en 2006 le « risque de passer à un système
de gestion des allocations, alors que le rôle des départements est d’animer une politique
publique ». La mise en œuvre de programmes locaux à assurer la responsabilité des
acteurs territoriaux, la lutte contre l’émiettement des aides et la dispersion des acteurs,
la simplification des interlocuteurs, l’amélioration des circuits de décision : autant
d’évolutions nécessaires pour que l’action sociale soit plus qu’une succession de dispositifs
et de procédures. Les acteurs de terrain souhaitent pouvoir travailler d’avantage au
renforcement de solidarités citoyennes. Ainsi faudra-t-il sans doute, développer le
partenariat entre les départements, gestionnaires traditionnels et des villes qui tentent,
elles aussi d’élaborer de nouvelles réponses sociales, afin d’aboutir à des diagnostics
partagés. [16]
Après avoir tiré la sonnette d’alarme sur le poids de la maîtrise des dépenses sur l’action
sociale départementale à partir d’un texte intitulé « L’action sociale, boulet financier ou
renouveau de la solidarité ? », les directeurs généraux des services (DGS) des départements
signataires ont invité à une journée nationale le 18 octobre dernier. Objectif : dégager des
propositions ambitieuses et réalistes pour refonder l’action sociale.
« On a tous la conviction qu’il faut sortir de la logique des dispositifs qui s’ajoutent les uns aux
autres en développant la transversalité des actions. Mais encore faut-il que toutes les politiques
publiques se préoccupent de la solidarité et de l’intervention sociale », commente Denis Vallance,
Directeur général des services de Meurthe-et-Moselle, et l’un des rédacteurs du texte.
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Les débats ont également mis en avant l’importance de ne plus partir des manques des
personnes mais de mobiliser ces dernières à partir de leurs ressources et de leurs capacités.
Ce qui suppose d’avoir le temps de prendre en compte ces capacités. « Sur ce point, il y a des
marges de progression, explique Laurent Puech, vice-président de l’Association nationale
des assistants de service social (ANAS), on paie beaucoup trop cher des professionnels de
la relation lorsqu’on leur fait faire de l’administratif », explique-t-il avec une pointe d’ironie.
Et d’inviter également à réfléchir à l’aide contrainte, « celle que la personne a intérêt à
accepter non parce qu’elle pense que cela répond à son problème, mais parce que si elle ne
l’accepte pas, elle peut le payer parfois cher » – une aide « qu’elle va souvent mettre en échec
involontairement ou pas… . Est-ce qu’il ne faut pas aussi faire des priorités dans les suivis ?,
s’interroge Denis Vallance. « Prendre le temps de suivre plus efficacement certains usagers,
quitte à faire attendre un peu les autres. » La journée a également abordé l’articulation
de la logique « métier » des travailleurs sociaux avec la logique « institution » ou encore
leur formation. Le débat continue en tout cas et les directeurs généraux des services sont
sollicités pour travailler avec de nombreux partenaires. [22]
b) Le délitement du lien social
Parallèlement aux changements institutionnels, des transformations sociologiques se
font jour. Il fut une époque où, lié par d’étroites relations de dépendance à sa famille
et aux grandes institutions, l’individu était profondément enraciné dans un territoire
et durablement assigné à une communauté d’appartenance, de valeurs et de destin.
Quotidiennement dénoncés, l’augmentation du nombre de personnes seules, l’éclatement
des familles, le déclin de la morale civique, la montée des incivilités, le triomphe des
valeurs individualistes alimentent à l’envi cette vision angoissée de la société.
Pourtant, ces indicateurs de désintégration sociale ne donnent à voir que la face sombre
du processus historique d’individualisation, occultant du même coup ses principaux
bénéfices. Le lien social a certes perdu en unité, en solidité et en constance mais, parce
qu’il est de plus en plus le résultat d’un choix personnel, il permet à l’individu de définir luimême le type de rapport qu’il veut entretenir avec les autres. En outre, la solidarité est loin
d’avoir disparu, de même que les modes de sociabilité, qui se sont notamment transformés
sous l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La
question reste toutefois posée de savoir jusqu’où cette logique d’adhésion volontaire
peut être poussée. Comment, en effet, « vivre ensemble » dans une société d’individus de
plus en plus soucieux de choisir souverainement quel sera l’objet de leur fidélité, de leur
générosité et de leur engagement ? [10]
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
On peut en effet s’interroger sur ce qu’évoque le concept de « cohésion sociale » dans l’esprit
de la population ? Une récente étude du crédoc nous éclaire sur le sujet : des relations
empreintes de respect, qui reposent beaucoup sur l’attitude de chacun. Les individus se
sentent au premier chef responsables et acteurs de la cohésion sociale. En particulier, le
respect de l’autre et la tolérance sont, pour la population, bien plus indispensable au vivre
ensemble qu’un éventuel consensus autour de « valeurs communes » ou d’un « projet
commun ». Mais, pour l’opinion, les comportements individuels peuvent tout aussi
bien servir la cohésion sociale que lui nuire : l’individualisme apparaît ainsi comme
la première menace du vivre ensemble (33 %, +2 points cette année). La crise ravive
cette année la peur du « chacun pour soi » et le sentiment de ne pouvoir compter que
sur soi-même se diffuse. Le contraste est saisissant entre d’un côté la vision d’une société
peu unie (8 personnes sur dix déplorent une cohésion sociale faible) et un fort sentiment
personnel d’intégration (88 % de la population ont le sentiment d’être bien intégrés dans
la société française, 51 % disent même être « très bien » intégrés). Cet apparent paradoxe
tient beaucoup à une grande disparité d’intégration selon les catégories sociales et au
sentiment que la situation des uns et des autres a finalement peu à voir avec le mérite.
Pour renforcer la cohésion sociale, la population s’en remet aux initiatives individuelles
pour maintenir le lien social, et attend des pouvoirs publics qu’ils offrent à chacun
des conditions de vie minimales (un emploi, un logement, une éducation de qualité),
tremplins vers un vivre ensemble apaisé. [9]
c) Le retour de l’implication individuelle ? Les nouvelles initiatives de solidarité
Dans la même étude, on apprend que la population place d’abord l’action individuelle
au cœur de l’édifice de la cohésion sociale : 34 % estiment en effet que « les efforts de
chacun pour vivre ensemble » sont aujourd’hui les plus indispensables à la cohésion
sociale et 35 % considèrent que les habitants « eux mêmes » sont aussi les plus à même
d’améliorer la situation. Ces résultats rejoignent, d’une façon, la « société des individus »
présentée par le sociologue Norbert Elias réfutant l’idée qu’il y aurait d’un côté l’individu
et de l’autre la société, mais plutôt un tissu de connexions dynamiques « ni l’ensemble
lui même ni sa structure ne sont l’œuvre d’individus isolés, ni même d’un grand nombre
d’individus réunis ; et pourtant ils n’existent pas non plus en dehors des individus ». Loin
de se sentir désengagés, comme peuvent le laisser penser différents signaux (abstention
aux élections, diminution des engagements syndicaux ou dans des partis politiques, etc)
les individus assument donc leur part de responsabilité dans la cohésion sociale.
Les initiatives individuelles dans le cadre associatif ou des solidarités familiales sont
ensuite jugées moins incontournables, mais semblent toutefois utiles au corps social. [9]
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Partant du constat que dans notre société, les jeunes ont du mal à trouver leur place et les
personnes âgées sont souvent isolées et que cette situation crée une véritable coupure
entre les différentes générations, des associations proposent de nouvelles pistes de
solutions pour une société plus intergénérationnelle, à l’instar de France Bénévolat qui, à
l’occasion de son colloque du 4 décembre dernier a proposé une nouvelle voie : passer du
« faire pour» au «faire ensemble ».
Dans le même esprit, en Alsace, la commune de Berwiller a initié, il y a maintenant cinq
ans, une journée citoyenne permettant de mobiliser la quasi totalité des habitants et les
entreprises locales. Née à l’initiative de son maire Fabian Jordan, cette initiative a pour
but de créer l’événement pour que les gens reprennent à communiquer et avoir des liens
de proximité. L’idée est que chacun des habitants puisse ainsi donner , le temps d’une
journée, un peu de leur disponibilité et de leurs aptitudes au village, afin de palier aussi
à des moyens municipaux insuffisants. Après quelques réticences, l’expérience a été très
concluante et a crée des émules auprès de 14 autres communes alsaciennes. Les maires
des communes concernées souhaitent que cette citoyenneté active et cette solidarité se
propagent, mais en gardant l’état d’esprit initial, à savoir la recherche d’intégration de
nouveaux habitants, la possibilité d’appropriation par tous du bien commun, le contact
entre les générations et la valorisation de chacun. Cela marche et peut essaimer ailleurs
« si les élus font l’effort de s’engager et qu’on laisse l’initiative aux habitants ». Ainsi,
dans une société démantelée par trop d’isolement et de défiance envers l’autre et les
institutions, la journée citoyenne démontre qu’il est parfaitement possible de replacer
l’humain au cœur du développement local. Probante, cette action innovante du vivre
ensemble pourrait d’ailleurs créer un véritable mouvement de fond solidaire en France. Il
s’agit là d’une nouvelle conception de la politique, celle faite d’hommes et de femmes qui
oeuvrent non pas pour les idées, mais pour les hommes. [0]
Ailleurs, en Allier, pour la première fois en France, c’est un département entier qui se met
à l’heure du vivre ensemble. Dans les trois grands bassins de vie (Montluçon, Moulins,
Vichy), des Ateliers locaux du vivre ensemble ont accompagné la territorialisation
de l’action sociale. Cette orientation résolue vers le développement social local a été
réaffirmée dans des Ateliers nationaux qui ont réuni plus de 200 acteurs au début de
l’année 2011. Pour démultiplier cette orientation sur le terrain, le président du Conseil
général Jean-Paul Dufrègne a installé le 15 novembre le Comité départemental du « vivre
ensemble ».
Parmi les principales questions soulevées, un paradoxe : alors que sur l’ensemble du
territoire, les enfants et les adolescents bénéficient d’un encadrement continu et
foisonnant, comment répondre au désœuvrement des jeunes adultes ? L’offre d’animation
existe, mais les vecteurs manquent pour la mettre en rapport avec les besoins. Un
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
axe envisagé pour y répondre : le décloisonnement des actions dédiées à des publics
spécifiques pour privilégier l’intergénérationnel ou l’interculturel.
Les ateliers du vivre ensemble et de la Fraternité sont nés des constats de l’ODAS qui,
depuis 1990, observe l’évolution de la société française et de son modèle de solidarité. En
effet, à travers l’analyse des problématiques de soutien à l’enfance et à la famille, à la perte
d’autonomie et à l’insertion, on peut relever tout à la fois une amélioration de nos réponses
juridiques et une détérioration de nos solidarités naturelles… Les relations d’écoute et
de respect mutuel s’effritent avec des conséquences préoccupantes pour les enfants, les
jeunes, les anciens et tous ceux qui se voient confrontés à des risques d’exclusion. On
observe certes une précarité économique, mais aussi une précarité relationnelle.
Il faut donc enrichir la solidarité de droit d’une solidarité d’implications, c’est çà dire un
engagement plus actif de tous. Il faut reconnaître ce lien d’interdépendance entre tous les
habitants, les institutions, les territoires. Le but du collectif présidé par Jean Louis Sanchez
est de faciliter le vivre ensemble et la fraternité. C’est au niveau local que tout cela se
façonne, avec pour première orientation de refonder la solidarité sur une plus grande
implication, une plus grande responsabilité de tous, y compris les personnes fragiles. [1]
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
II. Les politiques de solidarité n’ont pas le pouvoir de réformer la société
A - L’idéal de politiques de solidarité vise à intégrer la quasi totalité
de la population
a) L’incapacité des dispositifs de solidarité à faire disparaître les mécanismes d’exclusion
La France compte aujourd’hui plus de sept millions de personnes pauvres, selon les
critères européens de pauvreté. Soit 13 % de la population.
La notion de pauvreté recouvre des réalités très diverses. Il y a les anciens pauvres du
« quart monde » ; vers le milieu des années 1980, on a commencé à parler des « nouveaux
pauvres », dont la situation est liée au développement du chômage de masse ; et depuis
une dizaine d’années, on redécouvre les « travailleurs pauvres ». Ce qu’il faut analyser en
fait, ce sont les dynamiques économiques et sociales qui expliquent la persistance de
certaines formes de pauvreté et, surtout, l’apparition de nouvelles formes de pauvreté,
telles celles qui sont produites par le chômage et par l’accroissement de la précarité des
relations de travail. [7]
L’accès à l’emploi est l’élément déterminant de l’insertion sociale. Les revenus d’activité
représentent en moyenne près de 70 % du revenu d’un ménage. Mais, plus qu’un revenu,
l’emploi intègre les personnes dans un cadre social. Il doit donc être préféré à une situation
de non emploi qui pourrait fournir à la personne le même niveau de ressource mais qui ne
l’intègre pas dans la société. De plus, avoir un emploi aide à trouver un logement et donne
parfois accès à d’autres droits comme l’accès à des régimes complémentaires de santé
et de retraite. Toutefois, pauvreté et chômage ne se superposent pas complètement. La
pauvreté étant définie au niveau du ménage, une personne peut être sans emploi mais ne
pas être confrontée à la pauvreté si les revenus du ménage sont suffisants. Inversement,
avoir un emploi n’écarte pas nécessairement de la pauvreté, soit parce que les revenus
de la personne sont insuffisants pour être au dessus du seuil de pauvreté, soit parce que
la situation familiale et la situation face à l’emploi des autres personnes du ménage ne
permettent pas de dépasser ce seuil.
L’insécurité de l’emploi, c’est-à-dire l’alternance de périodes d’emploi et de non emploi,
expose à la pauvreté. Les personnes subissent alors des fluctuations de revenu liées à la
perte du salaire et n’ont pas droit à l’assurance chômage si elles n’ont pas suffisamment
contribué. De fait, plus d’un quart des demandeurs d’emploi ne perçoivent aucune
indemnisation ni prestation sociale ; le plus souvent il s’agit de jeunes de moins de 25
ans n’ayant pas suffisamment contribué à l’assurance chômage et n’ayant pas droit
aux allocations. Les délais dans la perception des prestations sociales accroissent ces
problèmes. Cette insécurité, mesurée par la probabilité de transition de l’emploi vers le non
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
emploi, est plus forte en France que dans beaucoup d’autres pays européens2. L’insécurité
de l’emploi ne se confond pas avec l’instabilité de l’emploi qui désigne la rupture du lien
entre un salarié et une entreprise mais qui peut être suivie d’une reprise très rapide d’un
autre emploi. Si l’instabilité est sans doute plus difficile à vivre pour les personnes que la
stabilité d’une relation avec un même employeur, elle n’expose pas nécessairement à des
risques de pauvreté accrus. En outre, elle permet l’adaptation du marché du travail aux
fluctuations de l’environnement économique.
Pour lutter contre la pauvreté, les politiques doivent chercher à accroître le taux d’emploi
et la durée annuelle travaillée plutôt que de tenter de renforcer le lien entre le salarié et
une entreprise particulière. [17]
L’expression «exclusion sociale» trouve son origine dans l’ouvrage de René Lenoir : « Les
exclus », paru en 1974. Dans les années 1960-1970, ce concept n’existe pas, seul le concept
de « retrait social » est employé pour désigner une pauvreté « unidimensionnelle »,
essentiellement économique, en voie de disparition du fait de la croissance économique
et des institutions de protection sociale.
A partir de 1975, les représentations mentales changent, l’existence des pauvres est
reconnue et « découverte » sous l’appellation de « nouveaux pauvres ». Les concepts de
« pauvreté multidimensionnelle » et « d’exclusion sociale » apparaissent. Le concept de
pauvreté se définit principalement par la faiblesse des ressources économiques et, plus
largement, par les déficiences dans plusieurs domaines de sociabilité (revenu, emploi,
éducation, logement, etc.) très souvent liés.
Le concept d’exclusion sociale’ peut se définir, en général, selon deux grands principes
dépassant le caractère trop économique, voire monétaire du concept de pauvreté :
• le premier est une conception « institutionnaliste et juridique » « correspondant
à la non réalisation des droits sociaux de base garantis par la loi ». Les politiques
de lutte contre l’exclusion sont entendues comme la création et l’extension des
droits sociaux, « l’idée d’une citoyenneté retrouvée ». C’est la définition retenue par
l’Observatoire européen des politiques nationales de lutte contre l’exclusion sociale.
Une telle conception intensifie l’exclusion pour les personnes qui demeurent en
dehors des ayants droit. Les politiques d’insertion ne risquent-elles pas d’aboutir à
« une citoyenneté passive, forme moderne de l’assistanat ? »
• Le second principe de l’exclusion sociale est ainsi défini par le sociologue Robert
Castel. Elle part du contexte d’évolution technologique et sociale comme source
d’exclusion. L’exclusion sociale est alors définie soit « comme une incapacité
d’expression de la situation vécue [...], c’est-à-dire une anomie sociale », soit comme
engendrant «une culture de l’exclusion [...], des modes de vie spécifiques dans des
groupes sociaux considérés par la société comme déviants, voire dangereux ».
2
Source : CERC, 2005
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
17
Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Les politiques d’insertion ont pour but le maintien de la cohésion sociale, la lutte contre
une forme de violence des rapports sociaux.
Souvent, « l’exclusion sociale ne devient réelle, médiatique, que lorsqu’elle devient une
menace pour la société ». Une définition « scientifique » de l’exclusion sociale est peu
crédible « dans la mesure où [...] elle révèle, sur une réalité sociale, les choix des groupes
sociaux qui emploient ce concept [...]. La connaissance de l’exclusion sociale n’existe qu’à
travers les représentations dominantes ».
Les auteurs définissent trois grands types de politiques contre l’exclusion :
• les politiques par fonction : action sur le revenu, l’emploi, l’éducation, etc ;
• les politiques auprès de populations cibles : pauvres, personnes âgées, ménages
monoparentaux, etc ;
• les politiques globales qui ont pour ambition « d’éviter les ruptures temporelles,
spatiales ou sociales » dues aux politiques sociales individualisées, telles la
rénovation de quartiers et l’urbanisme.
L’exclusion est avant tout perçue comme une « marque profonde de dysfonctionnement
de la société, prenant une multiplicité de formes et qui se caractérise par « un processus à
la fois temporel (« qui est exclu aujourd’hui sera exclu demain »), spatial et social (« qui est
exclu est entouré d’exclus ») ». « S’il existe un fort consensus autour de quelques dimensions
dominantes de l’exclusion sociale telles que l’absence de ressources, l’exclusion du marché
du travail, l’éducation et la formation professionnelle, le logement, enfin la santé, ensuite,
au-delà de ce cœur de l’exclusion, la variation des thèmes de l’exclusion est très grande :
ville, parole, réseau social, violence, délinquance, ethnies, etc. C’est la raison pour laquelle
il est préférable de parler et de réfléchir sur les exclusions sociales, au pluriel »3.
Plutôt que de lutter contre l’exclusion sociale une fois qu’elle est réalisée, plutôt que de
devoir former de nouveau une main d’oeuvre sur le tard, il vaut mieux concentrer les
efforts sur une démarche préventive centrée sur l’enfance.
Les inégalités ont des conséquences d’autant plus néfastes sur les personnes et sur
l’économie dans son ensemble qu’elles se reproduisent d’une génération à l’autre et
donc se traduisent par des inégalités des chances. La mobilité intergénérationnelle ne se
mesure pas aisément. Les études disponibles ne mettent pas en évidence de baisse de la
mobilité depuis la fin des années 70.
Néanmoins, l’échec scolaire touche particulièrement les enfants des familles à bas revenu.
Les écarts dans la réussite scolaire apparaissent dès l’entrée en primaire (CERC, 2004).
À 17 ans, 18 % des enfants du premier décile de la distribution des revenus ont arrêté
leurs études contre 1 % en moyenne pour les trois déciles les plus favorisés. L’impact de
l’origine sociale sur le devenir des enfants ne passe pas uniquement par des effets tels que
la transmission du capital social ou les aspirations des parents. Les enfants pauvres ont
plus de risques que les autres enfants de se trouver dans des logements surpeuplés ou de
3
http://www.alliance21.org
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
développer des risques en matière de santé tels que l’obésité.
Ces conséquences concrètes de la pauvreté ont des effets très négatifs sur la réussite
scolaire. L’inégalité des chances dans le système éducatif ne constitue pas l’unique cause
de la reproduction des inégalités. A diplôme équivalent, un poids important du réseau
social sur le métier et le revenu obtenu limite les rendements de l’éducation pour les
personnes issues de milieux défavorisées. Cet effet est amplifié par les anticipations des
étudiants sur les rendements du système éducatif . Or, si l’inégalité des chances sociales
devant l’éducation se serait réduite, le rôle du diplôme dans l’accès aux positions sociales
se serait également amoindri. [17]
Conséquence : l’ascenseur social est aujourd’hui ralenti. Pour celles et ceux qui ont vu
le jour entre 1944 et 1948, les trajectoires sociales ascendantes étaient 2,2 fois plus
nombreuses que les trajectoires descendantes. Pour les générations nées entre 1964 et
1968, elles ne l’étaient plus que 1,4 fois. Ce risque de déclassement intergénérationnel se
double du risque de déclassement professionnel, du fait du niveau de formation initiale
supérieur à celui requis en théorie pour l’emploi occupé. [15]
Michel Borgetto, professeur de droit public à l’Université de Paris 2, signe un article intitulé
« l’Etat providence en débat : quel type d’égalité défendre ? » dans lequel il s’intéresse à la
notion d’égalité des chances.
Selon lui, la question entre égalité des droits et égalité des chances est centrale, celle-ci
devant en fait corriger ce que celle-là peut avoir de formel, d’injuste et d’inefficace. Une
correction qui impliquera tout à la fois des approches et des actions spécifiques en matière
de sécurité sociale, d’assurance sociale, de services publics sociaux et de lutte contre la
pauvreté et les exclusions. Michel Borgetto explique que cette égalité des chances doit
être encadrée sous peine d’aboutir à rien de moins qu’une légitimation des inégalités
économiques et sociales, sous peine encore qu’un ciblage excessif des prestations ne
conduise à stigmatiser leurs bénéficiaires et à faire perdre aux systèmes de protection le
soutien de tous les autres. Pour ce faire, il convient de garder un noyau dur de prestations
universelles et de chercher les modes de financement les plus justes. Il convient aussi de
substituer à une conception purement individualiste et libérale de l’égalité des chances
une conception beaucoup plus sociale et agissante. L’une des questions du débat suscité
par l’évolution présente et à venir du dit système est :
• faut-il par exemple défendre une égalité formelle se traduisant par des prestations
attribuées à tous ?
• faut-il au contraire défendre une égalité se traduisant notamment par des prestations
ciblées sur certaines catégories de bénéficiaires ?
• faut-il aller plus loin encore et défendre une égalité davantage « redistributrice » et
correctrice car s’inscrivant dans une politique résolue de réduction des inégalités de fait ?
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Autant de conceptions de l’égalité qui, données à telle ou telle d’entre elles, peuvent
modifier du tout au tout, bien évidemment, la configuration du système.
A l’heure actuelle, ces différentes conceptions se retrouvent à des degrés divers – via la
notion fédératrice d’égalité des chances – au cœur même de l’Etat-providence.
Au vu des différents enjeux attachés à une éventuelle mise en cause de cet équilibre, il
semble tout à la fois opportun et nécessaire, si l’on veut maintenir un Etat-providence
étendu et en renforcer la justice et l’efficacité, de défendre et de promouvoir l’égalité des
chances.
Pourquoi défendre et promouvoir l’égalité et comment y parvenir ?
Les limites de la notion d’égalité des droits résultent pour l’essentiel du caractère à la fois
formel, injuste et inefficace qu’est susceptible de revêtir cette même notion.
La notion d’égalité des chances repose sur l’idée selon laquelle le meilleur moyen de
consacrer l’égalité passe cependant le plus souvent par des différenciations opérées
entre individus ou groupes en fonction notamment de la diversité des situations dans
lesquelles ils se trouvent.
Idée féconde s’il en est puisqu’en privilégiant une conception de l’égalité non plus
simplement procédurale et formelle mais au contraire matérielle et concrète (car tenant
compte des besoins de chacun), elle renoue ainsi avec les idées de justice, d’équité, et de
redistribution qui se trouvent au cœur de la construction de l’Etat-providence.
A la lumière de ce qui précède, on saisit mieux, dès lors, pourquoi il apparaît tout à la fois
opportun et nécessaire de défendre et de promouvoir l’égalité des chances : c’est que celleci porte en elle les deux conceptions de l’égalité qui ont accompagné le développement
de la Démocratie en général, de l’Etat-providence en particulier. Une conception réaliste
consistant à appliquer des règles différentes à des personnes ou groupes qui se trouvent
dans des situations différentes (ce que les juristes appellent parfois l’égalité dans la règle
de droit) ; et une conception interventionniste consistant à poser des règles différentes
dans le but non pas tant de respecter une égalité concrète que de parvenir – via des
actions positives – à une réduction plus ou moins forte des inégalités de fait.
Citons quelques exemples : c’est surtout, on le sait, à partir des années 1970 et dans le
champ de l’aide aux familles, que cette politique de ciblage a trouvé matière à se déployer :
le législateur n’ayant pas hésité, alors, à placer un nombre croissant de prestations
familiales (allocation de parent isolé, complément familial, allocation de rentrée scolaire,
etc…) sous conditions de ressources. Or, sous réserve qu’elle reste cantonnée à certaines
hypothèses et ne devienne pas systématique, une telle politique ne saurait appeler ici de
véritable objection.
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Elles impliquent également, dans le domaine des services publics sociaux organisés
par les collectivités locales (crèches, cantines scolaires, etc…) la prise en considération
des ressources en vue non plus tant de conditionner l’accès à une prestation que de
moduler le tarif susceptible d’être facturé à l’usager : ce dernier étant invité à contribuer
au fonctionnement du service en fonction de ses moyens financiers.
Elles impliquent encore, dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et les exclusions,
que les pouvoirs publics mettent en œuvre un programme ambitieux d’actions positives
en faveur des publics concernés. Ce qu’ils ont déjà commencé à faire, dans le cadre de
la grande loi d’orientation du 29 juillet 1998, en prenant des mesures de prévention et
de traitement du surendettement (maintien de certaines prestations vitales telles que
l’eau, l’électricité, le gaz ; reconnaissance d’un droit au compte bancaire…), en réaffirmant
un droit à l’éducation pour chacun (intégration de la lutte contre l’illettrisme dans
les actions de formation permanente ; accès aux cantines scolaires et aux bourses des
collèges amélioré), ou encore en prévoyant la mise en place, dans chaque département,
d’un dispositif de veille sociale destiné aux personnes en difficulté et fonctionnant
en permanence (structures d’accueil et d’hébergement des sans-abri…). Et ce qu’ils
devraient continuer aussi à faire, aujourd’hui, dans certains domaines particulièrement
sensibles tels que, pour ne s’en tenir qu’à ce seul exemple, celui du logement.
b) Encadrer et dépasser l’égalité des chances
La nécessité d’encadrer et de dépasser l’égalité des chances se fonde, pour l’essentiel, sur
deux séries de considérations :
• sur un plan théorique, tout d’abord, cette nécessité résulte de ce que l’égalité
des chances peut directement aboutir, si elle se retrouve réduite à elle-même, à
légitimer des inégalités économiques et sociales qu’elle est pourtant réputée, par
ailleurs, combattre et réduire
• sur un plan pratique, ensuite, la nécessité d’encadrer et de dépasser l’égalité des
chances résulte de ce que cette dernière risque fort de produire, si les pouvoirs
publics entreprennent de mettre en œuvre une politique large et systématique de
ciblage en réorientant la protection sociale sur « ceux qui en ont le plus besoin », des
effets doublement désastreux.
Comment y parvenir ?
• placer certaines prestations sous conditions de ressources, mais conserver un
noyau dur de prestations universelles.
• instaurer des modes de financement les plus justes possibles pour les prestations
et/ou les services.
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
S’agissant tout d’abord des services publics sociaux organisés par les collectivités locales
(crèches, cantines scolaires, etc.), il convient, pour donner à l’égalité des chances tout
son sens, d’une part que lesdites collectivités fassent preuve de modération dans la
modulation des tarifs (faute de quoi, l’égalité des chances engendrerait des phénomènes
fâcheux d’éviction), d’autre part et surtout que la loi réaménage et renforce, s’agissant de
ces services, les dispositifs de péréquation financière entre collectivités locales (les plus
riches aidant davantage les plus pauvres).
S’agissant ensuite des prestations d’aide sociale, il convient principalement de régler le
problème épineux du financement du futur « cinquième risque » concernant les personnes
en situation d’autonomie. De deux choses l’une ici. Ou bien, le dispositif à venir relèvera
de la prévoyance individuelle (ce qui est préconisé par certains) et/ou de l’aide sociale
classique (avec recours éventuel en récupération sur succession) : mais cette orientation
(qui n’est pas encore définitivement arrêtée) constituerait une véritable régression non
seulement par rapport aux promesses faites par les gouvernants successifs mais aussi par
rapport au principe d’égalité (elle favoriserait en effet une dualisation de la société entre
ceux dont la situation permet d’épargner et les autres, voués à ne compter que sur une
aide réduite tendanciellement au minimum).
Ou bien il relèvera de la solidarité nationale (prestation universelle sans recours en
récupération) ; mais dans ce cas, il serait conforme à une égalité des chances bien
comprise qu’il soit financé non pas des ressources générales provenant de l’impôt mais
par un prélèvement ad hoc (très faible) opéré tout au long de la vie sur les revenus et le
patrimoine de l’intéressé. [3]
B - Réorienter les politiques sociales vers l’avenir
Récemment, Michel Dinet, président du Conseil général de Meurthe et Moselle et Michel
Thierry, Inspecteur général des affaires sociales se sont vus confier par le Premier ministre
la présidence d’un groupe de travail sur la « gouvernance des politiques de solidarité » .
Destinés à préparer la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion
sociale des 10 et 11 décembre 2012, sept groupes de travail ont remis aux ministres
concernés leurs préconisations pour l’élaboration du plan pluriannuel de lutte contre la
pauvreté et pour l’inclusion sociale. Le groupe de travail «Gouvernance des politiques de
solidarité» formule 48 propositions autour de cinq axes de gouvernance des politiques
de solidarité :
• développer sur de larges bases la participation des personnes en situation de
pauvreté
• décloisonner l’action publique et mieux articuler ses divers niveaux d’intervention
• reconnaître le droit à l’initiative sociale
• faciliter l’évolution des pratiques professionnelles des intervenants sociaux et
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
donner au travail social les moyens de ses missions
• organiser la transparence des politiques des capitalisations des bonnes pratiques
évaluer les efforts entrepris et les progrès accomplis en matière de lutte contre la
pauvreté et la précarité.
Deux principes ont guidé les travaux et les propositions du groupe :
• les politiques de solidarités doivent irriguer l’ensemble des politiques publiques et
l’ensemble des politiques publiques nourrissent les solidarités ;
• le développement social territorialisé pourrait être l’outil commun aux différentes
institutions et associations ou entreprises parties prenantes du social. [11]
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Solidaires aujourd’hui.
L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
III. Le territoire comme nouvel espace de l’action sociale : entre espoirs et risques
A- La quête de la proximité
a) Le territoire lieu d’innovation et de reconquête d’une prise en charge collective de la
solidarité
Dans leur étude : « la France des fragilités et des dynamiques territoriales » parue en avril
2010, Sandrine Haas et Emmanuel Vigneron proposent une vision actuelle et totalement
inédite de la France des fragilités et des dynamiques à une échelle très fine, celle des 3 731
cantons et cantons villes de France métropolitaine, et des arrondissements des trois plus
grandes villes du pays, Paris, Marseille et Lyon .
Le choix de l’échelle cantonale est un compromis entre la volonté d’aller au plus près des
cadres de vie de proximité de nos concitoyens et l’exigence de la stabilité statistique des
calculs que des unités territoriales trop petites ou trop peu peuplées ne garantiraient pas.
En moyenne, un canton regroupe 16 500 habitants. C’est une bonne échelle pour éclairer
les acteurs d’une politique de santé visant avant tout à apporter aux besoins la bonne
réponse au bon endroit.
L’échelle cantonale est également privilégiée parce qu’elle est davantage celle du social
et du médico-social que celle de l’hôpital auquel correspond le « territoire de santé »
quand bien même cette échelle mérite évidemment examen dès lors qu’il s’agit d’offre de
soins et de réponse à des besoins médicaux. Il importe en effet de privilégier aujourd’hui
une approche permettant de décloisonner les secteurs sanitaire, médico-social et social
pour favoriser les coopérations entre établissements et se placer ainsi en capacité de
développer des filières, d’organiser le parcours de la personne malade, âgée, handicapée
ou en difficulté au sein d’un territoire. Par rapport à toutes les connaissances que nous
pouvons avoir des différences démographiques, sociales et économiques dans un passé
relativement proche ou a fortiori lointain, jamais la France n’est apparue aussi différenciée.
Il existe quelques grands types socio spatiaux qui ne sont pas répartis aléatoirement
dans l’espace mais qui, au contraire, constituent de vastes agrégats et dessinent
incontestablement plusieurs France.
Compte tenu du traitement différencié qu’appellent les différents problèmes en fonction
des déterminants auxquels ils sont liés, l’analyse a porté d’abord sur les indicateurs de
déterminants démographiques puis sur les indicateurs de contexte socio-économique.
D’un point de vue démographique, la population française n’existe pas. Il existe des
populations de la France.
La toute première de ces oppositions est celle qui distingue deux France :
• une France jeune, en croissance, qui attire des populations nouvelles
• une France vieille, en déclin ou peu dynamique et qui n’attire guère que des retraités.
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Cette opposition ne se réduit pas à la traditionnelle opposition ville-campagne mais
correspond à celle qui existe entre milieu urbain et milieu rural, ce dernier incluant de
nombreuses villes petites et même moyennes qui présentent désormais les mêmes
caractéristiques que leurs campagnes environnantes.
Par sa netteté et sa profondeur, cette partition du territoire est nouvelle dans sa géographie.
Elle s’accentue par rapport aux décennies précédentes. Elle est lourde de menaces sur
la solidarité intergénérationnelle car vieux et jeunes ne vivent plus aux mêmes endroits
et ne se connaissant plus peut-être demain ne s’accepteront plus. Il faut sans doute y
remédier tout en répondant maintenant de manière différenciée à des besoins de plus
en plus spécifiques.
Combinées, ces caractéristiques du contexte populationnel et ces caractéristiques
du contexte socio-économique permettent de dessiner la France des fragilités et des
dynamismes contemporains. Ils résultent de la combinaison de plusieurs jeux de variables
où les plus discriminantes sont d’abord la composition par âge, puis les formes du marché
du travail et les qualifications puis les migrations internes de jeunes ou de retraités.
Cette partition fondamentale de la France d’aujourd’hui est d’autant plus importante, y
compris pour la cohésion nationale, que ces deux grands types de territoire partagent la
France en deux :
• La France jeune, dynamique, en croissance, occupe les frontières orientales
et septentrionales du pays de Rhône Pays de la Loire et les bassins urbains de
quelques grandes villes comme Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille, ainsi
que ceux de villes plus centrales comme Poitiers ou Clermont-Ferrand. Au total, elle
regroupe 54 % des cantons et sur moins de la moitié de la superficie nationale, plus
de 6 habitants sur 10.
• La France vieille, en déclin démographique souvent, occupe la plus grande part de
la France intérieure, du Morvan aux Pyrénées en s’étalant largement sur et autour
du Massif Central. Elle se retrouve dans l’intérieur de la Bretagne et de la Normandie,
dans le Sud-Alpin, et comme le montre très bien l’observation de la France du Nord,
aux marges des départements et des régions, en limite de la Picardie et du Nord
Pas-de-Calais, en limite de la Champagne- Ardennes et de la Lorraine. Elle regroupe
46 % des cantons, presque 4 Français sur 10, qui vivent sur plus de 56 % de la
superficie du territoire national.
Combinées, ces caractéristiques du contexte populationnel et ces caractéristiques
du contexte socio-économique permettent de dessiner la France des fragilités et des
dynamismes contemporains.
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Cinq grands types de territoires apparaissent : deux types ruraux et trois types urbains :
• le premier grand type est rural. Il réunit les cantons qui comptent une part
importante de personnes âgées, une croissance naturelle faible ou négative et un
grand nombre de personnes peu diplômées. Ces cantons sont aussi marqués par
la faible densité de population. Ils couvrent les 2/3 de la superficie du pays mais
abritent moins du 1/3 de sa population. Ce type est assez homogène . Une unité de
condition d’ensemble qui est celle du monde rural au sens strict, c’est-à-dire sans
le périurbain qui apparaît ici clairement comme faisant partie des milieux urbains.
• l’autre moitié des cantons français, les trois quarts de la population mais le tiers
seulement du territoire national sont classés dans un deuxième groupe de nature
plus disparate mais qui se regroupent autour d’un dynamisme démographique
important. On est ici dans l’orbite urbaine allant des villes centres aux zones
périurbaines lointaines.
Les différentes catégories de territoires identifiées constituent en elles-mêmes des
catégories justiciables de traitements différenciés par les acteurs de santé. Ces catégories
qui marquent profondément la France ’aujourd’hui estompent ou modifient des
oppositions classiques. [13]
b) Le développement social local ou le territoire lieu de mise en synergie
Fort du constat que la question sociale avait changé de nature du fait de ces mutations
démographiques et socio économiques , l’observatoire national de l’action sociale
suggérait déjà, dans son rapport paru en 2003, quelques pistes de réflexion pour assurer
une nouvelle réponse sociale, en la de déplaçant du champ curatif pour l’amener vers
le champ préventif.
L’ODAS explique que si l’action publique a un impact de plus en plus limité sur le
contexte économique avec l’intégration européenne, elle peut en revanche jouer un rôle
déterminant sur le lien social. Autrement dit, le centre de gravité de la réponse sociale
doit désormais se situer davantage dans le développement social, avec l’ambition de
favoriser l’épanouissement de chaque individu grâce à la revitalisation sociale (éducative,
relationnelle, civique…) de son environnement…
La question centrale aujourd’hui est donc bien celle de la réussite d’une approche
interdisciplinaire et interinstitutionnelle de la cohésion sociale.
Le développement social doit maintenant s’affirmer non pas comme un mode de
traitement social, mais comme un mode de traitement territorial visant au maintien
actif dans notre société des populations fragilisées non seulement par la précarité
matérielle ou la différence culturelle, mais aussi par l’âge, le handicap, l’isolement, etc.
Il ne s’agit donc pas seulement d’accompagner les familles en situation de précarité
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
par la voie d’actions collectives, mais bien de s’appuyer sur l’ensemble des forces vives
et des politiques publiques d’un territoire pour en renforcer la cohésion sociale. Cela
doit aboutir à l’implication de tous les habitants dans le développement d’initiatives
(culturelles, sportives, festives…) visant à renforcer les solidarités de proximité à
travers la vie associative, les réseaux d’écoute et d’entraide ou encore les dynamiques
intergénérationnelles.
C’est à ce prix qu’on pourra s’éloigner d’une logique de dispositifs au profit d’une logique
de développement, s’analysant avant tout comme un processus de mobilisation des
potentialités locales. » 4.
Il faut réorienter le travail social pour le repositionner dans une démarche
d’accompagnement des publics en situation précaire visant à une co-construction de
leur insertion en s’appuyant sur les ressources locales. Cette démarche de développement
social local s’intègre dans les finalités du développement durable, tant dans la recherche
de la cohésion sociale et solidarité entre territoires et entre générations que dans
l’épanouissement de tous les êtres humains.
Le développement social local favorise les interactions entre les individus, les groupes et
le territoire, afin de créer une nouvelle dynamique territoriale. En effet, le DSL impulse une
citoyenneté active car les individus deviennent acteurs et auteurs dans le développement
de leur territoire. C’est donc créer les conditions d’une véritable expression des habitants
et générer des modes de concertation et de coopération dans l’élaboration des politiques
publiques.
Cette démarche s’inscrit dans une projection vers le futur car les acteurs mobilisés font
face aux conséquences des mutations sociales, ils les analysent et en dégagent des
tendances pour construire des éléments de réponse pour pouvoir élaborer des stratégies
adaptées aux besoins du territoire. [8]
Si la réflexion parvient à se déplacer de préoccupations essentiellement gestionnaires
vers la question de la finalité de l’action publique, l’ouverture sur le développement
social pourrait alors s’affirmer et conduire à se détourner d’une logique de blocs de
compétences par publics au profit d’une logique de complémentarité des responsabilités.
C’était d’ailleurs l’axe principal de la réflexion menée par le groupe de travail présidé par
Jean-Paul Delevoye sur le thème « Cohésion sociale et territoires ». Un consensus s’était
opéré autour du principe de « subsidiarité active » donnant toute sa place au local dans
« l’élaboration des stratégies et dans l’énoncé des finalités de l’action ». Et on recommandait
pour y parvenir de veiller à ce que les démarches engagées autour de la décentralisation
se placent moins dans une logique d’éclatement des compétences que dans la recherche
d’une articulation plus étroite des responsabilités. [19] ; [20]
4
Définition ODAS, 2010
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L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
B- L’ambiguité de la proximité
a) La question du périmètre du territoire soulève la question des compétences
En matière d’action sociale, les besoins de plus en plus nombreux interrogent aussi sur la
façon de dispenser les aides. Dans quel cadre les mettre en oeuvre ? Comment les décliner
au quotidien ?
L’impératif de répondre aux besoins effectifs de populations réelles, c’est-à-dire inscrites
dans des environnements spécifiques, et non plus simplement considérées sous
l’angle de grandes catégories insensibles à l’histoire et aux lieux, a amené les autorités
compétentes à recontextualiser leurs actions à des échelles réduites, la plupart du temps
infra départementales.
La proximité est devenue le maître mot de ces autorités, affirmant leur volonté de
rapprocher le service du bénéficiaire, sur la base d’une meilleure compréhension de ses
besoins et de ses souhaits et d’une réponse mieux adaptée. En ceci, elles répondent à
une demande récurrente des bénéficiaires, qui souhaitent être pris en compte dans leur
cadre de vie réel, considéré comme un des déterminants fondamentaux de leur situation
de difficultés (l’évolution vers une approche situationnelle du handicap est dans ce sens
exemplaire et commence à affecter l’approche des autres situations de difficultés sociales).
Cette proximité doit également augmenter le caractère démocratique de la relation entre
le bénéficiaire et le responsable des réponses apportées. D’une responsabilité nationale
on passe à une responsabilité de proximité, permettant théoriquement aux bénéficiaires
d’agir sur les services qui leur sont proposés et de les faire évoluer à leur avantage. Pour
cela, on crée des instances locales de débat, comme les conférences de territoire dans
le cadre de la politique sanitaire et médico-sociale rénovée par la loi hôpital, patients,
santé et territoires (HPST), qui ont pour mission de problématiser les questions de santé
et d’accès aux soins au plus près des préoccupations des citoyens.
Un des enjeux majeurs de cette territorialisation fine de l’action sociale et médicosociale est la définition des périmètres. Elle est en général la résultante de la
confrontation de critères d’ordres divers : accessibilité, diversité et qualité de l’offre,
taille critique de la population, rentabilité économique…, agrémentés parfois d’enjeux
plus strictement politiques moins affichés. Du fait de la complexité de ces enjeux et de
leurs enchevêtrements, la rationalité territoriale qui en découle ne sera que partielle,
et donc sujette à des évolutions. Les territoires sont amenés à se reconfigurer selon les
modifications du rapport de force entre les divers impératifs.
Le territoire devient ainsi le cadre de l’action sociale, avec une évaluation des besoins
de la population, une définition d’un projet spécifique, comprenant des objectifs, des
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
moyens et des modalités de mise en oeuvre, ainsi qu’une évaluation régulière. Ainsi
s’affirme une unité d’organisation et d’action intermédiaire entre les schémas ou plans
départementaux ou régionaux et les projets des établissements et services. Dans la
logique de proximité et d’accessibilité des ressources, on peut imaginer que dans un futur
relativement proche, cette unité devienne prépondérante, faisant des schémas et plans
de simples synthèses des projets territoriaux et des projets des structures les modalités
de gestion de ressources particulières au service de la population du territoire. Il est
indéniable que cette territorialisation fine relève à la fois d’un impératif démocratique
et d’un souci d’efficacité pratique (y compris économique). Toutefois, elle comporte ses
limites et ses dangers. Est-il envisageable qu’à terme l’offre de services de l’ensemble des
territoires soit effectivement équivalente et garantisse réellement une égalité d’accès à
tous les citoyens, et en l’occurrence à ceux qui sont le plus en difficulté ? Et, si cela était,
la tendance spontanée à se tourner vers les services de proximité ne risque-t-elle pas de
devenir une obligation, limitant ainsi la liberté de choix et de circulation sous prétexte
d’une gestion rationalisée à outrance des moyens ?
La notion de territoire est ambiguë par définition. Le territoire est certes un lieu de
vie, d’identification, une référence existentielle pour chaque personne, un ensemble
de ressources et un terrain d’action au quotidien, mais il peut aussi devenir un lieu
d’enfermement, d’assignation à résidence par une autorité plus soucieuse de rationalité
gestionnaire abstraite que de liberté de choix et de fluidité des parcours de vie.
Tel qu’il est encore conçu aujourd’hui, le territoire est très largement défini par ses
frontières, ce qui induit une conception radicale du dedans et du dehors. Les cartes
qui rendent les territoires visibles mettent cette conception en évidence, en insistant
beaucoup plus sur les contours des territoires que sur les différentes voies de circulation
qui les irriguent et les relient. Pourtant il existe une autre conception du territoire, qui
met en avant les points d’équilibre, les lieux de croisements et d’échanges, les voies de
circulation, au détriment des limites et des frontières. Cette conception n’est pas absente
des constructions des territoires sociaux et médico-sociaux, mais elle finit toujours pas
céder le pas à la première, tant le besoin de tracer une limite pour finaliser une carte et un
territoire reste prédominant. [2]
b) La bonne échelle d’organisation des dispositifs dans un contexte d’hétérogénéité
de la richesse des territoires
Les collectivités territoriales étant aujourd’hui chargées de la gestion de services d’aide
sociale, l’inégalité qui existe entre les territoires peut engendrer des inégalités entre les
bénéficiaires de l’aide.
Les numéros signalés entre crochets renvoient à la bibliographie p.32 (extraits d’auteurs)
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Les collectivités territoriales, et notamment les départements qui ont été érigés
en chefs de file dans le secteur de l’aide et de l’action sociales par la loi du 13 août
2004, sont donc amenées à mettre en oeuvre et à gérer des services publics chargés
de dispenser des prestations définies par la loi et traditionnellement désignées
sous le nom d’aide sociale légale. Dès lors, la possibilité de confier la gestion de ce
service public à une collectivité territoriale soulève inévitablement la question de la
conciliation entre les principes d’égalité et de libre administration des collectivités
territoriales. L’aide sociale légale étant un service public qui répond aux exigences
de la solidarité nationale, cela suppose que les usagers de ce service bénéficient de
droits identiques sur l’ensemble du territoire national.
Toutefois, la décentralisation et plus précisément les conditions de sa mise en oeuvre
peuvent remettre en cause l’égal accès à la solidarité nationale dans la mesure où
l’inégalité entre les territoires peut engendrer des inégalités entre les bénéficiaires de
l’aide sociale. L’attribution de la gestion de l’aide sociale aux départements doit donc
se concilier avec le principe d’égalité. Il apparaît en définitive que l’égalité d’accès à
l’aide sociale n’est pas absolue. Si le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel
est censé prémunir contre les ruptures manifestes de l’égalité, il se révèle à certains
égards insuffisant et lacunaire. Ces inégalités dans l’accès aux prestations légales
viennent dès lors s’ajouter aux inégalités qui caractérisent les interventions sociales
facultatives laissées à la discrétion des autorités locales.
Pourtant, la décentralisation peut se concilier de manière harmonieuse avec le
principe d’égalité sous réserve que deux conditions soient réunies : la première a
trait au maintien d’une architecture nationale dans l’exercice des compétences
décentralisées, tandis que la seconde suppose d’attribuer aux collectivités les moyens
financiers d’exercer leurs compétences. [12]
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L’action sociale, réparatrice des maux de la société ?
Conclusion
Le nécessaire effort de rattrapage pour aboutir à une maîtrise régulée du dispositif de
protection sociale ne doit pas conduire à négliger le traitement de problèmes sociaux,
qui marqueront aussi les prochaines années. Devant l’hétérogénéité croissante des
parcours, les politiques sociales doivent se personnaliser, la prestation impliquer
aussi une relation. Le travail social qui appréhende ces sujets depuis bien longtemps,
doit être mobilisé et doit sans cesse évoluer. Mais peut-il porter seul le poids de cette
cohésion sociale. Comment faire pour qu’il s’appuie sur une montée en puissance
généralisée des comportements de responsabilité sociale ?
Enfin, il ne faut pas sous estimer l’impact sur les systèmes sociaux de la question
écologique, même si cette réflexion est à peine amorcée. On sait que la dégradation
de l’environnement affecte en premier lieu les plus démunis et que, parallèlement,
la protection de l’environnement peut constituer un gisement d’emplois profitable
pour tous. La protection sociale devra nécessairement entrer en dialogue, d’une
façon ou d’une autre, avec ces problématiques. [16]
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IV. BIBLIOGRAPHIE DES DOCUMENTS CONSULTES
[0] : AUDOUX (Marie). – En Alsace : la fraternité, plutôt 14 fois qu’une. – In : Journal d’action sociale, juin-juill. 2012.
– pp. 40-42
[1] : ATELIERS DU VIVRE ENSEMBLE ET DE LA FRATERNITE. L’Allier, laboratoire du développement social. Des ateliers au
comité départemental du vivre ensemble : 20 janvier- 15 novembre 2011. In : Journal de l’action sociale n° 168, juin
2012, supplément, 12p.
[2] : BAUER (Frédéric) - – Les mutations de l’action sociale. Eléments de réflexion – CREAI, 2011. – 4p.
[3] : BORGETTO (Michel). – L’état providence : quel type d’égalité défendre ? - In : Cahiers français n° 358, sept-oct.
2010. – pp.38-43
[4] : CAMBERLEIN (Philippe). – Le dispositif de l’action sociale et médico-sociale en France. - Dunod, 2011. – 498p.
[5] : CAPDEVILLE (Bernard). – La protection sociale : assurer l’avenir de l’assurance maladie. – Conseil économique et
social, 2011. – 50p.
[6] : CASTEL (Robert). – Historique et sociologie de la généalogie de la protection sociale
[7] : CASTEL (Robert). – Inventer de nouvelles protections sociales. In : Lettre de l’insertion, N° 15, novembre 2009
[8] : CONSEIL GENERAL DE LA NIEVRE. – Développement social local. Document interne, 2012
[9] : CREDOC. – Baromètre de la cohésion sociale 2012 : la peur du chacun pour soi/ Sandra HOIBIAN. – Credoc, 2012.
– 91p.
[10] : CUSSET (Pierre-Yves). – Individualisme et liens sociaux. – In : problèmes politiques et sociaux, n° 911, avril 2005
[11] : DINET (Michel), THIERRY (Michel). – Groupe de travail : gouvernance des politiques de solidarité. – Ministère des
affaires sociales et de la santé, 2012. – 33p.
[12] : DONIER (Virginie). – Garantir les droits sociaux dans le cadre de la décentralisation. – In : Informations sociale
N° 162, nov-déc.2010. pp.108-115
[13] : HAAS (Sandrine), VIGNERON (Emmanuel). – La France des fragilités et des dynamiques territoriales. – In : la
gazette des communes, cahier détaché n° 2-14-2024, avril 2010. – 14p.
[14] : LAFORE (Robert). – L’état providence : quel équilibre entre assurance et assistance ? . – In : Cahiers français n° 358,
sept-oct. 2010. – pp.32-37
[15] : L’ascenseur social ralenti. – In : alternatives économiques n° 298, janvier 2011
[16] : MONTALEMBERT (Marc de). – La protection sociale en France. – Documentation française, 2008. – 200p.
[17] : OCDE. – Lutter contre la pauvreté et l’exclusion en France. – OCDE, 2007 (document de travail n°569)
[19] : ODAS. – La décentralisation de l’action sociale : bilan et perspectives, 2004. – 27p.
[20] : ODAS. – Développement social et performance locale : où en sont les départements ? –Sous la dir. de Jean Louis
SANCHEZ et Didier LESUEUR. - ODAS, 2010. – 16 p.
[21] : PALIER (Bruno). – L’état providence en débat : Etat providence et investissement social. – In cahiers français septoct 2010, n° 358,. – pp.44-53
[22] : SARAZIN (Isabelle). - L’action sociale toujours à la moulinette des DGS des départements. – In : ASH, : N° 2780 du
26/10/2012
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