Le vécu parental de l`image échographique du fœtus

Transcription

Le vécu parental de l`image échographique du fœtus
DOMINIQUE MERG & CLAUDE BADER
Département de gynécologie obstétrique
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
<[email protected]>
Le vécu parental de
l’image échographique
du fœtus
Introduction
■
Depuis les années 1980, toute future
mère se voit proposer plusieurs examens
échographiques dans le cadre du suivi
régulier de la grossesse.
Or, il n’est pas indifférent d’accéder
aux images d’un être en devenir. Si dans
l’Antiquité les femmes enceintes se référaient aux oracles pour connaître l’avenir
de l’enfant à naître, les représentations
figurées étaient extrêmement rares. Les
effets des images virtuelles de l’enfant
avant sa naissance et les collusions éventuelles avec les images mentales nous
interrogent. L’accès à des images de
l’anatomie du fœtus a-t-il une incidence
sur « l’enfant imaginaire », l’enfant que
se crée chaque parent dans la tête ?
Afin d’introduire le cadre dans
lequel sont produites les images échographiques, nous commencerons par en
donner… une image, soit une description du principe échographique et de
ses modalités en anténatal. Ensuite, les
résultats d’observations et d’entretiens
menés auprès de jeunes parents seront
présentés par thème, associant les éléments de la clinique, les références à la
littérature et l’analyse théorique. Enfin,
nous discuterons la fonction projective
de l’image lorsque celle-ci se fait plus
précise, au risque d’empêcher les productions de l’imaginaire. Cette possible
anticipation de la prise de conscience
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de l’existence de l’enfant comme d’un
individu à part entière nous permet de
questionner les théories sur les débuts
de la subjectivation.
L’examen échographique
En matière de suivi de grossesse,
l’examen échographique, possible depuis
les années 1970, a pour objectif de s’assurer de l’évolution physiologique de
la grossesse et de dépister une éventuelle anomalie. Trois échographies sont
recommandées lors de grossesses reconnues sans facteur de risque, au troisième,
au cinquième et au huitième mois. Rappelons qu’aucune n’est obligatoire. Les
échographies pratiquées dans le cadre
des recommandations de la surveillance
de toute grossesse sont appelées « échographies de routine ». En pratique, la
fréquence moyenne d’échographies par
femme enceinte est supérieure à trois. Par
exemple, pour l’année 2003 en France,
4,3 échographies en moyenne étaient
réalisées pour chaque grossesse, selon
l’Inserm (Dommergues et al., 2003).
L’examen échographique est un examen médical qui permet de visualiser les
différents tissus du corps humain. Une
sonde, manipulée par l’échographiste,
envoie un faisceau d’ultrasons, qui pénètre les liquides et est renvoyé lors de la
rencontre de structures de plus forte
densité. Les ultrasons traversent la paroi
Dominique Merg & Claude Bader
abdominale maternelle et permettent de
visualiser l’anatomie du fœtus sous différents plans de coupe, en fonction de
l’orientation de la sonde d’échographie
par rapport au corps fœtal.
L’image sur l’écran d’ordinateur traduit les zones liquidiennes en noir, les
structures osseuses en blanc, avec entre
les deux, des nuances de gris relatives
à la densité des tissus. Ainsi, le faisceau
d’ultrasons renvoie en temps réel une
coupe artificielle en deux dimensions. Un
deuxième écran est toujours orienté vers
la femme enceinte, pour lui permettre
de regarder ces images dans le même
temps.
L’échographisteconnaît le rapport
entre la position de sa sonde et l’orientation spatiale du fœtus. Il analyse les
images sur l’écran en temps réel. Il est
nécessaire de connaître l’anatomie, mais
aussi la densité des tissus, pour repérer
les différents organes.
L’image échographique est difficilement lisible par des néophytes. Les zones
noires correspondant aux liquides sont
souvent à l’origine de questions de la part
des mères, car elles apparaissent comme
des trous. Les nuances de gris des images
rappellent le négatif d’une photographie
en noir et blanc. Le volume fœtal peut
être reconnu parfois par un œil non averti,
en coupe longitudinale, ou de profil. Le
corps fœtal apparaît transparent comme
celui de certains poissons exotiques. La
future mère peut reconnaître dans les
contours du fœtus des images rappelant
la forme du bébé humain, mais ne le voit
en entier qu’à la première échographie,
car lors des examens suivants sa taille
dépasse le spectre de la sonde d’échographie, et il est de ce fait vu de manière
parcellaire.
L’étude :
problématique, hypothèses, méthode
Nous nous sommes intéressées aux
significations que peuvent prendre pour
les parents l’image échographique. Cette
image est révélée dans le cadre d’un examen médical par l’observation visuelle
de la croissance et de l’anatomie fœtale.
Il faut considérer à la fois l’image échographique en mouvement, celle du temps
de l’examen, mais également l’image sur
papier, image fixe qui est donnée ou non
par l’échographiste à la femme enceinte à
Le vécu parental de l'image échographique du fætus
l’issue de l’examen Ce cliché est souvent
dénommé par les professionnels euxmêmes « la photo du bébé ».
Il nous a semblé intéressant d’interroger la signification attribuée par les
échographiées et leur conjoint à ce cliché,
indépendamment de sa fonction médicale.
Notre hypothèse est en effet que l’image est à la croisée d’une double élaboration contradictoire : d’un côté, elle donne
plus de réalité, de présence, à l’enfant à
venir, mais de l’autre, elle permet aussi
aux parents de rêver, de parler de l’enfant, et donc d’étayer leur imaginaire.
La fonction d’objectivation de l’image
serait donc ici télescopée par sa fonction
affective.
Notre analyse repose sur une expérience professionnelle de vingt années
en tant que sage-femme, ainsi que sur un
travail d’observation sur trois années des
situations d’interaction lors d’examens
échographiques dans le cadre d’un doctorat en psychologie (Dominique Merg),
et sur un stage de cinq mois en maternité,
ayant permis une enquête auprès de sept
futurs parents portant sur leurs représentations de l’échographie (Claude Bader).
Pour cette enquête, qui fournit l’essentiel de nos citations, un guide d’entretien
semi-directif a été élaboré à partir des
questions autour du cliché papier conservé par les parents à l’issue de l’examen.
Les entretiens ont été enregistrés et ont
fait l’objet d’une retranscription à l’écrit.
La relecture a permis un repérage et une
hiérarchisation des thèmes en rapport
avec notre question principale. Dans un
second temps, ces mêmes thèmes et les
questions théoriques qu’ils suscitent ont
fait l’objet de recherches dans la littérature psychanalytique et médicale.
Les critères de sélection pour l’entretien étaient la primiparité (c’était leur
premier enfant) et une grossesse sans
complication, afin de ne pas interférer
avec d’autres problématiques. Tous les
parents auxquels a été proposé de participer à un entretien sur ce thème ont
accepté.
Nous avons ainsi rencontré un futur
père et trois couples : deux au cours de
la grossesse, et le troisième ayant un
enfant de moins de trois mois. Parmi
ceux rencontrés au cours de la grossesse,
un futur père n’a pas assisté à l’examen
échographique.
Représentations de
l’échographie
■
L’analyse des entretiens permet de
repérer combien ce cliché est associé aux
émotions éprouvées lors de l’examen, et
de répertorier les réactions psychiques
plus spécifiquement associées aux images
échographiques détenues par les parents
avant la naissance de leur enfant. En premier lieu, les parents parlent de l’image
échographique comme d’une «preuve»
visuelle de l’existence de l’enfant. En
cela s’exprime la fonction objectivante de
l’image. Pour autant, le cliché se révèle
également source de multiples projections
et dévoile leurs attentes conscientes ou
inconscientes vis à vis de l’examen d’une
part, et de l’enfant d’autre part. Il manifeste là la fonction également affective de
l’image. En effet, nous avons pu observer
la construction d’une certaine relation
entre les parents et le fœtus au travers de
ce cliché qui devient le support d’identifications. Il donne également à parler
d’un enfant non encore né, participant à
le rendre présent dans un discours.
De l’image surgissent des émotions
Les parents sollicités pour parler de
l’image polaroïd reçue après l’échographie expriment leur ressenti au cours de
l’échographie. Tout en tenant en main le
cliché, ils relatent des émotions perçues
lors de la visualisation des images sur
l’écran. Le cliché devient un support pour
l’élaboration de l’impact des images de
l’intérieur du ventre maternel projetées
par l’échographiste sur un écran. Les
participants racontent à quel point ils
fixaient l’image du fœtus sur l’écran.
Ainsi Mme A relate lors de la première
échographie : « On était rivé sur l’image
à vouloir regarder comment ça se passe ».
Tous expriment avec emphase leur satisfaction : « Que du bonheur ! », « C’était
génial » expriment M. et Mme B. Ils se
souviennent s’être sentis dans un « état
d’excitation », d’« effervescence ». Après
l’examen. M. D se sentait « sur un petit
nuage ».
L’image a quelque chose de brutal.
Quand bien même les échographistes
fournissent des commentaires, l’image
arrive d’un seul coup à la perception, sans
détour par l’élaboration. Cette irruption
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peut ébranler des représentations fantasmatiques et nécessiter, pour les parents,
une élaboration Les parents se saisissent
de l’entretien avec nous pour élaborer les
impressions, les sensations éprouvées de
manière brute au moment de l’examen.
L’image comme preuve
Cet aspect brutal de l’image participe à sa valeur de confirmation. L’image
révèle, elle fait preuve.
Le cliché relatif au premier examen
introduit une dimension réelle. Mme B
explique « On avait besoin de l’échographie pour que la grossesse prenne une
réalité », « On allait vérifier. » Les témoignages des couples présentent l’image
échographique comme la preuve de
l’existence de l’enfant : « Il est là ! Il existe déjà » s’exclame Mme A… M. C, qui
n’a pas pu assister à la première échographie, commente les clichés : « J’étais là,
émerveillé quoi ! Je regardais les images,
je cherchais à savoir » et rajoute « Une
fois qu’on a vu l’image, c’est vraiment
le concret ». Ces commentaires montrent
l’intérêt attribué à la première échographie et au premier cliché. M. C raconte
l’importance qu’il a accordée aux clichés
reçus et comment il a cherché à voir et à
comprendre ce qui lui avait échappé lors
de cette première échographie.
Au début, la grossesse est secrète.
L’échographie a une puissance révélatrice
extrême ; les images ont une forte valeur
affective, c’est un choc émotionnel intense. En effet, certains auteurs considèrent
la première échographie comme « une
vraie inauguration, celle d’un être distinct qui s’impose dans l’univers fusionnel du début de la grossesse » (Sarramon
& Grandjean, 1998). Le fœtus devient
prématurément distinct de sa mère.
L’échographie vient concrétiser le projet d’enfant. Nous pouvons cependant
nous interroger sur l’idée que l’échographie concrétise également l’enfant
réel. La première échographie est une
révélation de la grossesse comme une
« annonce imagée ». Il s’agit d’une attestation par l’image alors qu’il y a absence
de mouvements fœtaux.
L’attente de toujours plus de réel
Pour autant, les participants témoignent
d’une certaine ambivalence à l’égard de
l’examen. La déception à l’égard des
échographies effectuées en milieu ou fin
de grossesse, l’envie d’en savoir plus
vient en contrepoint de l’état d’excitation dans lequel ils se sont trouvés : « Je
m’attendais à un cliché encore meilleur
qu’avant » explique Mme B. Lors des
échographies du deuxième trimestre, la
sonde ne montre plus que des images
parcellaires et moins contrastées.
M. B commente « Moi je m’imaginais
à chaque fois voir plus […] je m’attendais
vraiment à discerner de façon précise »,
« C’est pas une grosse déception, mais
j’aurais tendance à vouloir que l’écho
dure plus longtemps, mais voilà c’est
comme ça… » complète sa compagne.
Dans le même ordre d’idée, M. D dit être
resté sur sa faim : « ça reste mystérieux ».
Aucun ne semble impressionné par la
technologie permettant l’accès à ces images, au contraire.
Les images échographiques sont
actuellement très médiatisées. Monique
Nouvel (2001, p. 235) explique à quel
point elles sont « banalisées et détachées
de leur complexité intrinsèque ». Les
deux futurs pères se montrent presque
déçus des performances techniques permettant d’accéder aux images de l’enfant au travers du ventre maternel. Les
personnes rencontrées s’imaginaient en
« voir plus » et espéraient « plus » pour
l’échographie suivante.
Le cliché donne une vue fragmentée
du fœtus et M. B analyse très justement la
vision parcellaire et incomplète que livre
l’échographie, qui du même coup entretient le désir d’en savoir toujours davantage : « C’est comme si on découvrait une
pièce avec une petite lampe de poche et
qu’on pouvait voir par moment un petit
bout ». M. C commente les premiers clichés : « On a vraiment envie de tout voir
dans le détail, en voir encore plus. »
Les parents pensent que l’échographie
va tout révéler, or on ne maîtrise pas tout,
toujours quelque chose échappe…
Cette frustration concerne également
la fréquence à laquelle les parents
auraient préféré participer à des
examens échographiques. En effet, les
parents rencontrés expriment le souhait
d’une échographie par mois et d’un
cliché par mois, comme pour marquer
chronologiquement la croissance du
fœtus.
54 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
Le flou de l’image comme espace
projectif
L’opacité et la mouvance de l’image
échographique dévoilent quelquefois
une forme insaisissable et qui invite à
l’onirisme. L’imprécision de l’image et
cette attente d’un plus n’enlève rien, au
contraire, aux projections parentales.
L’image échographique est manifestement une source de projections. En effet,
en début de grossesse les attentes peuvent être retrouvées sur l’image. Celle-ci
peut notamment servir de point d’appui
pour révéler un sentiment : Mme A explique « J’attendais de cette échographie
un déclic positif, et c’est ce qu’il s’est
passé ». Mme B rapporte son état d’esprit
avant la première échographie : « Le fait
de le (le bébé) voir va me toucher ». Il était
important pour elle d’avoir une image du
fœtus, comme si cette image allait convoquer les sentiments. Nos entretiens avec
les futurs parents permettent du même
coup de mettre aussi en évidence l’ambivalence du désir d’enfant.
Pour un œil non averti et non formé
à la lecture des images échographiques,
le cliché se présente souvent comme un
ensemble assez informe de taches noires
et blanches. C’est le cas en particulier
des futurs pères, qui contrairement à leur
compagne, ne peuvent pas mettre en rapport ce qu’ils voient à l’écran avec les
sensations proprioceptives (un coup reçu
à l’intérieur du ventre) qui informent que
là, c’est un membre du corps du fœtus
qui a bougé. La monochromie du cliché,
elle-même, évoque les taches d’encre des
planches du test projectif de Rorschach. Il
existe donc une sorte de flou de l’image
qui permettrait de dire que les formes
vues à l’écran ou sur le cliché pourraient
aussi bien être celles de n’importe quoi,
en sorte que, comme dans les taches
d’encre, chacun pourrait y voir d’abord
ce qu’il y projette.
Cette dimension projective permet
d’alimenter la construction de «l’enfant
imaginaire». Nous revenons sur cette
notion plus loin, dans l’analyse.
L’image support d’identification
Très nettement, l’image échographique prend une fonction d’identification.
Tous les parents rencontrés recherchent
des similitudes, voire des traits familiaux : « Je trouvais que son pied était très
Dominique Merg & Claude Bader
creusé, comme les miens » ; « Je devrais
pas, mais j’ai tendance à me dire, ça me
ressemble un petit peu » explique Mme B
à propos des images vues sur l’écran
pendant l’examen. Cette même femme
évoque un cliché sur lequel on ne distingue rien car l’image est très floue. Elle
explique qu’elle surnomme sa fille « spiderwoman » puisqu’elle « bouge beaucoup » et rajoute: « Je l’associe un peu à
ma personne parce que je suis quelqu’un
d’assez nerveux ». Enfin, Mme C, qui ne
semble pas avoir vu quelque chose de
particulier sur l’écran lors de sa première
échographie, formule « Je me dis qu’il
doit avoir des lèvres pulpeuses, comme
moi j’ai des origines africaines ».
Confirmant la fonction projective de
l’image, ces exemples nous amènent à
dire que la qualité des images n’est pas
très importante, car les parents projettent
et s’identifient, que l’image soit nette, le
fœtus visible, ou que l’image soit floue. Ils
remarquent des traits familiers, ramènent
certaines observations à eux-mêmes.
En ce sens, le cliché vient également
humaniser le fœtus : chaque parent évoque
le profil du visage ou encore les mains, les
pieds. Lorsque M. B relate « Je regardais
juste le cliché où on voyait son visage », sa
compagne renchérit « Je regardais beaucoup pour voir si y a les cinq doigts de la
main ». Les professionnels eux-mêmes
font attention à prendre des clichés où le
fœtus est reconnaissable dans son humanité. Pour Mme A : « Lorsque le cliché
est sympa, je veux dire raconte quelque
chose, il (l’échographiste) donne un ou
deux clichés de l’échographie ». En effet,
la quête des contours évoquant la forme
d’un nourrisson est sciemment faite par
l’échographiste. Les propos de Mme A
révèlent sa conscience de la subjectivité
de l’interprétation des images.
L’image vecteur d’une relation
La visualisation du fœtus permet
également une certaine mise en relation. Mme C relate de sa première échographie : « Je voulais que ça dure très
longtemps, pour moi c’est les premiers
contacts, c’est la découverte de cette
forme ». M. B : « Pour moi, l’échographie
c’est un petit rendez-vous avec bébé ».
Dans un premier temps, l’image semble le seul moyen de rencontre parentenfant. Cependant, après le premier
Le vécu parental de l'image échographique du fætus
trimestre de la grossesse, tous les parents
interrogés mettent en balance le toucher
avec l’image. L’image est encore très
attendue mais aussi relativisée : « Depuis
que le bébé bouge, c’est vrai qu’on essaie
de rentrer déjà en relation avec lui par
le toucher […] donc du coup, l’image
est passée au second plan » explique
M. B, en rajoutant « pour moi l’émotionnel passe maintenant par le toucher ». La
valeur affective de l’image est atténuée,
le toucher prenant le devant de la scène.
« Par l’image, le fœtus entre dans le
monde visuel. Cette objectivation met
une distance entre lui et sa mère, ouvre
sur le rationnel, contrairement aux perceptions somesthésiques perçues comme
voluptueuses » (Chayderon, 1978). Dès
les débuts de l’échographie, dans les
années 1970, la prédominance du toucher
sur le visuel a été mise en évidence. Cette
notion de distance par l’image donne à
l’échographie un rôle de tiers séparateur.
Ce rôle peut également être investi par
le cliché. Le cliché objective le fœtus
et introduit une distance entre lui et sa
mère. L’enfant est sorti de son habitacle
habituel dans l’intimité de la mère. La
situation en elle-même est intrigante, une
image devenant le témoin d’une vie non
encore reconnue.
L’image peut ainsi déranger en apportant la preuve de l’altérité de l’enfant
comme distinct de sa mère. En effet, cette
altérité rendue évidente est quelquefois
difficile à accepter pour les femmes en
pleine crise narcissique qui veulent prolonger la relation dans un fantasme de
fusion.
L’image, objet précieux
Auprès des parents dont le bébé est
déjà né, l’image échographique n’a plus
la valeur relationnelle et émotionnelle
dont ils parlent pendant la grossesse. En
effet, le cliché va changer de place selon
le moment, au cours de la grossesse ou
après la naissance.
Mme B interrogée durant le 5e mois
de sa grossesse, raconte « J’ai fait un
petit acte ! D’habitude je mets toutes les
photos dans le dossier. Mais la dernière
je l’ai placée sur mon chevet dans un
petit présentoir ! […] et je la montre au
fur et à mesure ». Le témoignage de cette
future mère montre à quel point le cliché
est investi affectivement et dit la fonction
qu’il prend durant un certain temps.
Pour la plupart des parents, ce cliché
sera regardé à plusieurs reprises. Lorsqu’il est montré à l’entourage, c’est pour
parler de l’enfant à naître. Les parents
relatent différents actes : manipulation,
exposition, regards. C’est un objet « précieusement gardé », comme le dira une
Mme A. Mme C confie qu’en sortant de
l’examen, elle avait « envie de le partager,
de montrer les images et mes impressions ».
Certains parents examinent les clichés, les scrutent, les agrandissent par
ordinateur, les glissent dans un cadre
pour photographie, les affichent sur le
réfrigérateur ou encore réalisent une frise
sur le mur. Mme A relate notamment :
« Celle où on a découvert le sexe, je l’ai
scannée et photocopiée pour que le papa
ait l’échographie sur lui dans son portefeuille » ; « Et je vais les intégrer dans un
livre d’image, et elles seront à leur place ;
ça fait partie de l’histoire ».
L’image échographique s’inscrit dans
un rituel. Tous ces actes traduisent le
besoin de « faire exister » ce bébé tant
attendu dans le quotidien des futurs
parents et surtout dans la vie réelle, dans
le monde. Mme B, enceinte de cinq mois,
dit à propos du cliché : « C’est la seule
chose qu’on a ». Il semble que le cliché
soit pour cette femme la seule preuve de
l’existence de l’enfant. Cela interroge sur
la prédominance de l’image sur le rapport
physique à l’enfant à un stade où elle
perçoit déjà les mouvements fœtaux. Or,
avant même les premières échographies,
Mme B avait une grande attente au sujet
des échographies. En effet, sa sœur avait
vanté les aspects extraordinaires de cet
examen.
Pour certains parents, le cliché est
davantage « un souvenir », il est glissé
dans le dossier. M. B dit, en le comparant
avec l’image mouvante lors de l’examen : « Le cliché me semble froid ». Pour
d’autres parents, rencontrés dans la clinique, le cliché peut être perçu comme
réducteur, comme si le papier devenait le
symbole de l’existence d’un être qui n’est
pas encore là.
Ce détachement de la part de certains
vis à vis du cliché pourrait s’expliquer
par l’hypothèse de F. Varagnat (1996), sur
le lien avec une image de mort. Dans son
étude sémiologique de l’image, Varagnat
55
oppose l’image échographique mobile
comme symbole de vie au cliché papier.
Celui-ci, en noir et blanc, évoquerait plutôt les couleurs du deuil ou les anciennes
photographies des grands parents décédés, alors que pour les parents, selon
l’auteur, la vie se représente en couleurs.
L’image morcelée pourrait, selon lui, renforcer l’angoisse de morcellement chez
certaines femmes psychotiques.
Autant, pour les uns, le cliché est source de projections, autant pour d’autres, il
n’a pas beaucoup de significations. Cette
différence s’explique-t-elle par la qualité
du support (la définition de l’image) ou
par l’histoire personnelle des parents et
leur fantasmatique ?
Le cadre de l’examen pourrait-il contribuer à faciliter l’expression des représentations ?
Les paroles de l’échographiste
La représentation que les parents conservent de l’image est aussi empreinte
des commentaires de l’échographiste.
Au-delà de l’image, l’interprétation interfère avec l’image. Les parents relatent
souvent leur besoin de discuter avec le
professionnel des mesures et des observations effectuées : « Une phase importante
est de pouvoir discuter des clichés, des
mesures avec le gynéco » explique M. xB.
Cet homme, en rapportant le discours du
gynécologue, évoque les mesures, c’està-dire ce qui est objectivable.
Le cliché représente un instant, une
coupe anatomique du fœtus au travers du
ventre maternel. Pour autant, les parents
parlent de l’enfant dans sa dimension
globale, où sont inclus les espoirs, les
projets, les rêves et les croyances. Les
parents durant la grossesse pensent l’enfant d’après la naissance. Cela est révélateur du double registre de ce qui peut être
vu dans ce cliché échographique.
En effet, l’échographiste, responsable
du bilan de santé de l’enfant in utero, se
situe dans un registre réel, dans un objectif de dépistage d’anomalies. Les parents,
eux, appréhendent l’examen échographique dans le registre de l’imaginaire. Ce
décalage peut être source de malentendus (Gourand, 1997). Les mêmes mots
n’ont pas les mêmes résonances selon les
personnes. Ainsi Mme C se rappelle les
propos tenus par l’échographiste lors de
sa première échographie à 13 semaines
d’aménorrhée : « L’échographiste m’a dit
« On dirait Donald Duck, votre bébé. »
J’étais contente parce que au moins il
a des formes, y’a quelque chose de concret, il est bien formé. Donald Duck c’est
quoi ? c’est des gros yeux, ça me fait penser aussi au bec, et qui dit bec dit lèvres.
Je me dis qu’il doit avoir des lèvres
pulpeuses, comme moi j’ai des origines
africaines ». Une autre personne aurait
pu interpréter différemment ces paroles
tenues par le professionnel. Cet exemple
évoque une autre situation rencontrée
dans notre expérience clinique : un échographiste avait dit à une femme enceinte
« Je vois son petit cœur ». La femme a
été affolée. En effet, pour elle, « petit
cœur » signifiait une anomalie cardiaque.
En revanche, une autre patiente aurait
pu être attendrie à l’évocation du « petit
cœur » de son bébé.
Les paroles que les couples énoncent
devant un cliché révèlent également les
attentes qu’ils avaient sur cet examen.
M. B : « Le fait d’avoir vu dans certains
bouquins sur la grossesse des échographies où le bébé est positionné dans son
meilleur profil ; et finalement on s’aperçoit dans l’écho qu’on ne voit pas toujours exactement ce qu’on a pu voir dans
un bouquin ». Mme B : « Ma sœur nous a
dit c’est génial tu verras ! » L’échographie
est très investie. « J’attendais beaucoup
de l’échographie […] j’attendais cette
image avec impatience » rapporte Mme
A. Les médias, l’entourage, les récits
des expériences des autres par rapport à
l’échographie semblent avoir une incidence sur les attentes parentales.
Analyses
et perspectives
■
Ainsi, l’image a une double fonction,
qui est au cœur de son ambiguïté : elle
permet d’une part d’attester quelque
chose et d’autre part d’imaginer voir
ce que l’on est prédisposé à voir. La
première fonction, objectivante, celle
qui révèle ou qui confirme, devient plus
efficiente avec les améliorations successives des performances techniques en
échographie : aujourd’hui, l’échographie
est en première ligne des dispositifs de
diagnostic prénatal, elle confère à l’échographiste, auprès des futurs parents, un
statut de représentant du savoir médical
56 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
s’élaborant à propos de l’enfant à venir.
Ce qui explique qu’il soit aussi dans la
ligne de mire des procédures judiciaires
que les mêmes futurs parents peuvent
être amenés à engager pour défaut d’information, comme l’a montré l’affaire
Perruche en 2000, qui a fortement affecté
la profession1.
La seconde fonction de l’image échographique est de permettre que s’étaye
sur elle l’imaginaire des futurs parents.
Cet imaginaire sur l’enfant à venir a
fait l’objet de nombreux travaux qui ont
fait le succès d’un concept, celui « d’enfant imaginaire », sur lequel il nous faut
revenir. Les auteurs qui ont plus spécialement traité des effets de l’échographie
ont d’abord envisagé que l’image, du
fait de sa fonction objectivante, risque
de court-circuiter l’imaginaire. Puis les
mêmes auteurs ont par la suite nuancé
leur lecture en reconnaissant que l’image
permettait aussi d’étayer cet imaginaire.
Celui-ci nourrit même de nos jours un
marché de l’image échographique hors
contexte médical. Il reste qu’on doit se
demander si des images échographiques
toujours plus précises ne finiront pas par
reformater profondément la construction
du rapport entre futurs parents et futur
enfant.
Le concept « d’enfant imaginaire » :
impact des images échographiques
Au tout début de la grossesse, la
femme traverse une période de régression
psychique, une reviviscence de son vécu
d’enfant, comme l’a démontré Monique
Bydlowski (1989, 1991). L’enfant n’est
investi en tant que tel qu’en fin de grossesse, lors de la période de préoccupation
maternelle primaire au sens de Winnicott
(1969). Les représentations maternelles
supplantent la représentation de l’enfant.
On parle de la période de « blanc d’enfant » .
L’enfant est alors un enfant imaginaire. « L’enfant imaginé va alimenter les
rêves parentaux et va combler la mère »
(Weterband, 1989, p. 16). La femme, de
par sa personnalité va préciser ses fantasmes ; « elle va projeter sur cet enfant ses
aspirations mais aussi ses manques et ses
propres distorsions » (ibid.)
À la naissance, la mère est confrontée
à l’enfant réel. Il se crée un décalage par
rapport à l’enfant du désir. Ce décalage
Dominique Merg & Claude Bader
entraîne un travail d’acceptation ou un
travail de deuil. Cela peut se traduire
durant un certain temps comme un « véritable processus d’adoption » (id. p. 17).
Dans ce contexte, l’échographie ne
peut logiquement qu’avoir des effets sur
la construction de cet «enfant imaginaire», et par suite, sur le deuil que la mère
en fait à la naissance. Les auteurs sont
cependant partagés sur cette question.
Dans les débuts de l’utilisation de
l’examen échographique, M. Soulé (1982)
avait utilisé l’acronyme « IVF » pour
parler d’une « interruption volontaire de
fantasme », signifiant un empêchement
du fantasme. Les recherches ultérieures,
plus proches de la confrontation avec les
discours des mères, l’ont conduit à revoir
cette hypothèse. Assistant lui-même à
ces examens, montrant des images à des
femmes non enceintes, le précurseur de
la psychiatrie fœtale a pu entendre les
projections des personnes face à ces images en noir et blanc dont les zones non
Le vécu parental de l'image échographique du fætus
reconnaissables pour le néophyte laissent
libre champ à l’imaginaire. L’observation
de la distance entre l’image présentée et
l’élaboration des discours lui a inspiré la
référence au test de Rorschach.
Anne Courvoisier (1985) parle d’un
« court-circuit momentané » de la fantasmatique, allant dans le sens de l’empêchement du fantasme, sans exclure la
fonction stimulante pour l’imaginaire.
Monique Bydlowski a émis l’hypothèse
d’une interchangeabilité des images échographiques entre les femmes enceintes.
Nous comprenons cette assertion comme
l’affirmation d’une prédominance de
l’élaboration fantasmatique par rapport
à une lecture objective de l’image. En
quelque sorte peu importe l’image, tant
la part de l’interprétation domine dans ce
qui est vu. Les témoignages de parents,
tant dans le cadre de cette étude que dans
notre terrain clinique, vont dans le sens
d’une recherche, au travers des images
du fœtus, de traits de ressemblance avec
l’un ou l’autre des parents, sans que
nous puissions contredire l’idée selon
laquelle à partir d’une même image, chacun pourrait trouver des éléments qui lui
sont propres.
Serge Tisseron2, lui, insiste sur l’importance de la parole accompagnant
l’image, celle-ci pouvant être oubliée si
elle est livrée sans parole, tandis qu’elle sera à jamais inscrite dès lors qu’un
commentaire la contient. Cette vision
de l’image associée à la parole inscrit
cette « personne humaine potentielle »
– pour reprendre les termes du Comité
National d’Ethique – dans le langage, et
donc dans le registre symbolique. Cette
inscription ne saurait être attribuée à la
possibilité d’accéder aux images de cet
être en devenir puisque ce dernier a été
parlé et peut être retrouvé dans d’autres
formes de cultures qui ne disposent pas
de l’échographie, ne serait-ce que sous
forme de croyances.
De surcroît, l’image, seule ou commentée, peut, selon le même auteur, avoir
valeur de traumatisme, en fonction des
associations ultérieures. D’une manière
ou d’une autre, cet accès à l’image ne
saurait être sans effets.
L’écran avec son image est lieu de projections. L’échographie est floue et ce flou
montre semble-t-il juste ce qu’il faut pour
permettre à la mère d’imaginer ce qu’elle
veut comme elle l’entend. L’image de
l’écran sera emportée dans la vie fantasmatique et aura souvent peu de rapport
avec ce qui aura été visualisé. Après
une échographie, pour C. Wetterband, « la
vie imaginaire de la femme redémarre à
toute allure » (Wetterbrand, 1989, p. 32).
L’imaginaire, selon nous, trouve en effet
un point d’appui. Cependant, pour redémarrer, il devrait avoir été interrompu,
ce que nous ne pouvons prétendre observer dans les situations d’échographies
normales. Rappelons que d’un point de
vue psychique, les scénarios fantasmatiques précèdent l’étape de projection.
Bertrand Cramer et Francisco PalascioEspasa (1993) proposent une définition
de l’identification projective parentale
en post-natal : « un fantasme inconscient
où le sujet se place, ou place des aspects
de soi-même, dans un objet (ici l’enfant)
avec un but de recherche de relation ou
de communication ou de défense ». Les
auteurs définissent ce fonctionnement
spécifique de projection comme la maté57
rialisation d’investissements narcissiques
et pulsionnels parentaux, jusqu’ici cantonnés dans leur espace intrapsychique,
et qui se redistribuent dans l’espace interpersonnel de la relation à l’enfant réel et
fantasmatique. « L’enfant devient ainsi le
relais et le dépositaire d’investissements
qui – jusqu’alors – étaient attachés à des
objets internes ou des aspects du self ». Il
occupe alors une place intermédiaire « à
cheval » entre l’espace intrapsychique et
extrapsychique parental. Cette définition
nous paraît transposable à la situation
prénatale.
Pour Boyet et Porret (1987), l’échographie remanie, sans les supprimer, tous
les processus fantasmatiques mis en jeu
dans ce qu’ils appellent la « gestation
imaginaire » (Porret, 1986). Ces auteurs
étayent les représentations parentales
liées au temps de la grossesse, sans cristalliser sur une hypothétique conception
d’un enfant imaginaire. Leur analyse de
ce concept d’enfant imaginaire en tant
qu’entité dont il y aurait à faire le deuil
pour rencontrer l’enfant réel nous apporte
de précieux éléments de réflexion dans
cette discussion autour des possibles
effets de l’image sur l’imaginaire lors
de la grossesse. L’enfant imaginaire peut
être décliné en plusieurs définitions, sans
que celles-ci soient équivalentes. Il ne
se résume pas à l’enfant fantasmatique,
celui du désir, mais englobe également
les représentations parentales tributaires
de l’histoire de chaque personne. L’enfant
mythique (Lebovici), le bain culturel dans
lequel est attendu l’enfant, participent
également pour une part aux représentations parentales. L’enfant imaginaire ne
correspond pas à l’enfant imaginé, c’està-dire l’enfant tel que l’on peut en avoir
une représentation imagée, et pourtant
l’enfant imaginaire contient également
les images que se font les parents de
leur enfant. Ces images ne sont-elles pas
basées en partie sur leur vécu de l’enfant
qu’ils ont été ? La multiplicité des définitions possibles de l’enfant imaginaire a
conduit Boyet et Porret à en proposer une
conception non pas définie comme une
entité, mais plutôt comme un processus
dynamique. En effet, la part du fantasme,
de la symbolique, de la représentation
consciente/inconsciente évolue tout au
long de la grossesse.
Aussi, pour rendre compte de l’aspect
dynamique du concept d’enfant imaginai-
re, aux différentes étapes de la grossesse,
et en fonction de ce que vit le futur parent,
ils le définissent comme une somme de
projections parentales, et proposent la
terminologie « d’imaginaires d’enfant »,
en insistant sur le pluriel d’imaginaire.
Cette vision évolutive des représentations
parentales de l’enfant à naître nous paraît
très intéressante. Notons qu’en parlant
d’une somme d’imaginaires, le travail
d’acceptation lors de la nécessaire confrontation à la réalité de ces imaginaires
ne saurait se faire en un temps commun,
mais plutôt dans un continuum, dans le
temps de déroulement d’un processus
psychique. Aussi, le deuil de l’enfant
imaginaire ne correspondrait pas à un
moment clé comme celui de la naissance
ni de l’examen échographique, mais se
ferait en plusieurs étapes.
« Foetomaton » : le développement de
l’échographie affective
La littérature sur les effets possibles
des images sur la fantasmatique maternelle met en avant une fonction affective.
Au cours d’un examen échographique
le temps laissé aux parents pour interpréter les images apparaît comme une
occasion d’activation de la capacité de
rêverie maternelle. L’échographiste, par
son regard présent et rassurant pourrait conforter l’expérience positive des
parents (Tisseron, 1995 et entretien précité). De nombreux auteurs considèrent
que le matériel psychique sollicité lors
des temps d’échographie non seulement
enrichit la dynamique imaginaire, mais
également constitue une fonction anticipatrice des modalités interactives de la
triade parents-bébé.
Cette fonction affective de l’échographie est aujourd’hui devenue un argument
pour proposer des temps supplémentaires de visualisation par échographie de
l’enfant à naître, hors du cadre médical.
Des propositions fleurissent depuis une
dizaine d’années, et émergent depuis
environ un an en France. Le principe
est simple : hors de tout cadre médical,
des entreprises proposent d’immortaliser sur une cassette vidéo ou un DVD
des images en 3D ou 4D (de la 3D en
mouvement) du bébé. Ces propositions
d’accès à des images de l’enfant à naître
hors du contexte de la surveillance de la
grossesse pourraient en partie être liées
58 Revue des Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”
au consensus tacite des échographistes
de ne plus accepter les demandes parentales d’enregistrement vidéo de l’examen
échographique. En effet, suite à l’arrêt
Perruche, les médecins échographistes
se sont trouvés particulièrement exposés
aux poursuites judiciaires en cas d’erreur de diagnostic. La condamnation
possible des échographistes pour défaut
d’information les a mobilisés dans une
lutte contre l’obligation de résultats pour
revenir à une obligation de moyens. Dans
un souci de concilier la poursuite d’une
pratique médicale optimale et une protection médico-légale, un consensus des
obstétriciens, initié en 2000 par le Professeur Nisand, préconise de ne pas remettre
d’enregistrement vidéo de l’échographie
anténatale à la femme enceinte et de ne
lui livrer qu’un compte rendu succinct
de l’examen. Aujourd’hui, cette position
est revisitée d’une part par la loi du 4
mars 2002 faisant du dossier médical
la propriété du patient et d’autre part en
réaction au récent développement des
pratiques mercantiles d’accès aux images échographiques, aux enregistrements
vidéos à partir d’appareils d’échographie
hors de tout contexte médical.
Seule, en famille ou entre amis, la
future maman peut admirer pendant une
demi-heure sur grand écran et en couleurs
son petit ange. Cette activité se développe
en dehors de toute réglementation, aucun
diplôme n’est requis pour l’opérateur. Du
matériel médical est utilisé pour faire du
commerce. Les sites Internet vantant les
mérites de cet examen, en mettant sur le
même plan les témoignages heureux et
les tarifs des prestations, se présentent
comme des « centres de l’échographie
affective ».
L’émotion vécue par les parents nous
apparaît cependant plus vitale qu’esthétique. Ces images seront probablement
recherchées, achetées par les futurs
parents, mais n’auront plus la même
charge émotionnelle après la naissance.
L’émotion des parents à voir des images
de leur enfant dès la période fœtale conforte l’idée d’une forme de relation, et
nous pouvons penser que leur nouveau
regard sur cette partie de la mère qu’est
l’enfant à naître pourrait être une étape
dans le processus de sa reconnaissance
non plus en tant qu’objet mais en tant
que sujet.
Dominique Merg & Claude Bader
Toujours plus de réalisme et réponses
iconoclastes
Les parents sont, pour la plupart,
informés des progrès de l’échographie,
et, selon notre enquête, s’attendent à en
voir toujours plus. D’une part, la médiatisation des images en 3D et en couleurs
participe à la banalisation de l’examen
échographique, et, d’autre part la possibilité d’aller voir à l’intérieur, d’accéder
au-dedans, alimente le fantasme de toute
puissance. Avec un matériel spécifique,
les images en 3D s’obtiennent aussi facilement que celles en 2D. Les images en
trois dimensions donnent une impression
de volume et de relief.
Sur le plan technique, la 3D peut
être utilisée de plusieurs façons, le plus
souvent pour obtenir une image réaliste
afin de préciser l’aspect d’une anomalie.
Un mouvement fœtal banal au cours de
l’examen peut entraîner des distorsions
de l’image aux effets impressionnants,
comme si le corps était difforme. Au
stade de l’échographie morphologique, le
faciès fœtal normal montre des paupières
fermées, des globes oculaires relativement exorbités. La visualisation d’images
3D peut impressionner, voire terroriser
certaines femmes enceintes. Certains
évoquent l’imager d’un extra-terrestre ou
d’un monstre.
La question reste posée de l’effet, sur
l’imaginaire, d’un réalisme et d’une précision croissants des images de l’intérieur
du corps. Nous avons vu plus haut que le
concept « d’enfant imaginaire » postule
que la mère se construit une représentation de l’enfant à venir, qui acquiert une
consistance dont ensuite elle doit faire le
deuil quand elle est confrontée à l’enfant
réel, au moment de la naissance. On peut
très bien imaginer, sans faire beaucoup de
science-fiction, qu’un jour les images virtuelles 3D du fœtus acquièrent une telle
fidélité qu’il soit possible de les manipuler, d’en faire le tour, de les toucher,
etc. Que deviendrait le moment de la
naissance, en tant que confrontation avec
l’enfant réel, si celui-ci est déjà visible
en permanence comme à travers la vitre
d’un incubateur ? La notion de « deuil
de l’enfant imaginaire » s’en trouverait
sans doute remise en cause parce que le
concept lui-même « d’enfant imaginaire »
serait vivement bousculé.
Certains parents refusent de «savoir»
(de savoir par exemple quel est le sexe
Le vécu parental de l'image échographique du fætus
de l’enfant à venir) et tiennent à conserver à tout prix la magie du moment
de la naissance. La première rencontre
visuelle avec l’enfant à naître participe
d’une volonté d’identifier ce bébé qui
s’annonce. Les parents refusant que la
première rencontre avec leur enfant se
fasse par l’image sont rares, mais leur
argumentation est édifiante. Un père nous
dit « il n’est pas question que je rencontre
mon enfant par un écran d’ordinateur. Je
souhaite que la première rencontre soit
vivante, je veux connaître mon bébé tel
qu’il est, sans passer par des images.
Là depuis qu’il bouge je peux sentir ses
mouvements, je suis déjà tout ému de ce
contact, les images ne m’apporteraient
rien, je ne souhaite pas que l’on me dise
si c’est un garçon ou une fille, je me
réjouis d’être papa et prends plaisir à
attendre de rencontrer mon enfant à sa
naissance ».
Certains auteurs (Soubieux, 1999)
parlent d’un fantasme de profanation
pour rendre compte des propos de parents
qui estiment qu’il y a quelque chose de
sacré dans le fait que l’enfant reste caché
avant la naissance et que toute intrusion
dans ce secret équivaut à un viol de cette
sacralité. Toutefois, nous devons préciser
que ce genre de remarque n’a été formulée dans aucun de nos entretiens : signe
peut-être, aussi, que les dispositifs de
diagnostic prénatal contribuent à désacraliser le fœtus ?
L’échographie est une rencontre anticipée. Sa mise en scène crée des conditions psychologiques à l’individuation
de l’enfant. Sylvain Missonnier en parle
comme d’un rituel, une présentification
(Missonnier, 2001). L’attente de l’enfant
se transforme en attente d’un tel, souvent
déjà prénommé par ses parents. L’échographie nomme l’enfant en le faisant voir.
Des informations, des caractéristiques
propres lui sont attribuées au moment de
l’examen échographique et participent
dorénavant à son attente. Cela signifie-t-il
que ces caractéristiques viennent alimenter les représentations de l’enfant imaginaire ou, au contraire, que cet accès à des
qualificatifs le concernant permettent un
deuil anticipé de l’enfant imaginaire ?
Une mère nous confiait, après un diagnostic anténatal d’anomalie : « A présent
les sages-femmes échographistes et les
médecins parlent de moi en me nommant
« la mère du petit untel ». Ce n’est pas
facile, mais j’ai le sentiment de traverser
précocement l’étape de séparation d’avec
mon bébé, ce qui sera peut être moins
difficile à vivre pour moi par la suite ».
Conclusion
■
Cette étude nous a permis d’interroger
les effets de l’accès à l’image échographique de l’enfant à naître. Cette image est à
la fois reflet d’une réalité et support d’un
imaginaire. De plus, elle se décode grâce
aux paroles de l’échographiste.
La possibilité de voir l’enfant avant
qu’il soit né provoque beaucoup d’émotion chez les parents. Pour autant, les
mères sont encore plus sensibles à la
perception physique des mouvements de
l’enfant. Ce dernier bouge de manière
autonome tandis que l’image échographique n’empêche pas de le percevoir
comme une partie de soi. Or, il participe
au sentiment de complétude propre à la
grossesse.
L’image échographique, selon les
dires des parents, apporte la preuve que
l’enfant est là. Dans le même temps, ils
voient dans cette image de nombreuses
choses qu’ils ont pu imaginer. Les parents
trouvent dans des détails de l’image des
points de similitude avec leurs propres
traits, des ressemblances. Cette image
laisse place aux productions imaginaires,
et l’on peut penser qu’une plus grande
précision de l’image n’empêcherait pas
l’élaboration fantasmatique.
La tension entre fonctions objectivante et affective-imaginaire de l’image
peut-être renforcée par le malentendu
(Gourrand, 1997) entre l’échographiste et
les parents, chacun des protagonistes se
situant dans un registre différent. En effet
l’échographiste se place du côté de la
démarche objectivante. Pour lui, il s’agit
d’un examen médical obéissant à un protocole, dans un objectif de dépistage, il
est acteur de cet examen, choisit les plans
de coupes pour obtenir les images, il peut
ou non les commenter. Pour la femme
enceinte, il s’agit d’un évènement chargé
d’affects, elle vient pour « voir le bébé »
et entendre que « tout va bien ». Elle se
trouve dans une disposition psychique
particulière, particulièrement réceptive
aux reviviscences de sa propre enfance.
Sa préoccupation est avant tout tournée
vers elle-même, elle vit un état de com59
plétude narcissique. Le contexte est donc
particulier car l’objet de l’observation, le
fœtus, est déjà considéré comme un être à
part entière pour le médecin, tandis qu’il
est encore une construction imaginaire
pour les parents.
Dans ce dialogue, il est demandé à la
femme enceinte d’être transparente pour
permettre l’accès aux images du fœtus. Il
peut en résulter des situations paradoxales. Nous avons pu entendre une femme
enceinte se faire reprocher par l’échographiste de l’empêcher d’accéder aux
images du fœtus du fait de son obésité : la
paroi abdominale ne laissait pas traverser
les ultrasons ! Une femme enceinte nous
a également rapporté le souci de son
médecin lors de l’examen échographique,
souci entièrement commandé par le paradigme d’une visualisation «panoptique»,
pour reprendre un thème cher à Michel
Foucault : la position du fœtus ne permettait pas de visualiser toute son anatomie,
il a donc envisagé de retourner le fœtus
par une manœuvre externe pour mieux
le voir. La jeune femme, qui jusque là
ne se posait pas de questions a été très
inquiétée. Les futures mères ne sont pas
forcément sollicitées dans la discussion
des intérêts et des limites à établir dans le
bilan détaillé de la morphologie de l’enfant in utero. L’objectif du médecin de
faire un examen morphologique le plus
fiable possible lui fait parfois omettre de
demander son consentement à la mère sur
les moyens déployés. La prise en compte
et le respect de toutes les fonctions de
l’image, scientifique et objectivante, mais
aussi affective et expression des subjectivités, pourrait permettre de surmonter le
quiproquo entre médecins et patients sur
l’usage qu’ils en font.
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l’échographie obstétricale, inédit, thèse de
médecine, Strasbourg I.
Winnicott D. W. (1969), La préoccupation maternelle primaire, in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, nou. éd. 1992, p. 285-291.
Le vécu parental de l'image échographique du fætus
Notes
1. Lors de sa grossesse, une mère avait
redouté d’avoir contracté la rubéole de
son premier enfant et demandé un contrôle, faisant clairement savoir qu’en cas
de contamination du fœtus elle demanderait un avortement. Les résultats communiqués furent faussement rassurants :
l’enfant, effectivement contaminé, naquit
avec un fort handicap. Les parents assignèrent le médecin et le laboratoire d’analyses médicales et obtinrent réparation,
confirmée après une longue procédure
par un arrêt de la Cour de cassation du
17 novembre 2000, dit « arrêt Perruche ».
Les échographistes s’inquiétèrent de cette
jurisprudence et certains suspendirent
leurs activité. En effet, cette jurisprudence les confrontait à un risque d’augmentation des réclamations concernant
des enfants nés porteurs de handicaps
non décelés pendant la grossesse. Leurs
primes d’assurance décuplèrent. Une loi
du 4 mars 2002 dut finalement être promulguée pour répondre à cette situation,
limitant l’indemnisation au seul préjudice
moral, qui « ne saurait inclure les charges
particulières découlant tout au long de
la vie de l’enfant, de ce handicap. La
compensation de ce dernier relève de la
solidarité nationale ».
2. Entretien avec S. Tisseron, cassette vidéo,
Du geste à la rencontre (I), in S. Lebovici
& B. Golse (dir.), L’échographie de la
grossesse : les enjeux de la relation. À
l’aube de la vie.
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