la couleur dans les cultures du monde
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la couleur dans les cultures du monde
La couleur dans les cultures du monde MICHEL ALBERT-VANEL Crédit photo : Elena Krasteva L’auteur de ce livre a beaucoup voyagé et a fait des conférences, un peu partout dans le monde, sur le thème de la couleur. Il fut l’auteur de nombreuses réalisations dans l’univers de la peinture, du textile, du design et de l’industrie. Il fonda le groupe « Couleur-Lumière » de l’Ensad (École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris), où il exerça, en tant que professeur durant plus de 30 ans. Les réflexions de ses étudiants l’amenèrent à créer le « Système Planétaire des Couleurs », et une machine à permuter les couleurs dans l’image. Il fut chargé du thème « Lumière », puis conseiller scientifique à la Cité des Sciences et de l’Industrie de La Villette. Revenu à l’Ensad, il entreprit une série de cours sur la couleur et la lumière dans les civilisations. Ainsi se mirent en place, peu à peu, tous les éléments constitutifs de cet ouvrage. C’est dire que l’auteur s’intéresse tout à la fois à l’art, à la science et à la philosophie. Vous trouverez donc dans ce livre de rares éléments de synthèse sur ces sujets, ô combien difficiles, mais ô combien passionnants ! Crédits photos : Michel Albert-Vanel, pages : 112, 128, 185, 247, 258, 268, 269, 272, 386 Philippe Lahille, pages : 199, 330, 405 Fotolia, pages : 1, 21, 32, 70, 93, 150, 165, 222, 304, 360 ISBN : 978-2-7033-0724-2 © 2009 Éditions Dangles une marque du groupe éditorial Piktos, Z.I. de Bogues, rue Gutenberg 31750 Escalquens Bureau parisien : 6, rue Régis - 75006 Paris Droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. SOMMAIRE A – LES COULEURS DU MONDE INTRODUCTION 1 – LA SYMBOLIQUE DES COULEURS 2 – UNIVERSALITÉ DES SIGNIFICATIONS DE COULEURS 3 – COULEUR ET COMMUNICATION 4 – REFORMULATION DE LA SÉQUENCE BIBLIOGRAPHIE : COULEURS DU MONDE 1 2 5 8 11 14 19 B – HORS DU TEMPS ET DE LA GÉOGRAPHIE 21 C – LA PEUR DE LA COULEUR EN AFRIQUE ? 32 D – LA COULEUR SAUVAGE DU PACIFIQUE 54 E – LES FORCES SECRÈTES DE L’AMÉRIQUE DU NORD 70 LES ÂGES OBSCURS 1 – LES CHAMANS 2 – LA PRÉHISTOIRE BIBLIOGRAPHIE : HORS DU TEMPS LES CIVILISATIONS DE LA TERRE 1 – LE GOLFE DE GUINÉE 2 – L’AFRIQUE DE L’OUEST 3 – LE BASSIN DU CONGO 4 – AFRIQUE DE L’EST 5 – L’AFRIQUE DU SUD BIBLIOGRAPHIE : L’AFRIQUE L’ART DU PACIFIQUE 1 – L’AUSTRALIE 2 – LA MÉLANÉSIE 3 – L’OCÉANIE BIBLIOGRAPHIE : LE PACIFIQUE LE CHOC DES CULTURES 1 – LES ESQUIMAUX 2 – LES INDIENS D’AMÉRIQUE DU NORD 3 – LES POINTS CARDINAUX EN AMÉRIQUE DU NORD 4 – LES QUILTS AMISHS 5 – LES ÉTATS-UNIS BIBLIOGRAPHIE : L’AMÉRIQUE DU NORD 22 23 27 31 33 35 38 42 46 50 52 55 57 61 65 69 71 72 75 80 83 86 91 Sommaire • V F – LA MORT JOYEUSE EN AMÉRIQUE CENTRALE LA COLÈRE DES DIEUX 1 – LE MEXIQUE DES AZTÈQUES 2 – LES MAYAS DU GUATEMALA 3 – LES KUNAS DE PANAMA 4 – LES ANTILLES BIBLIOGRAPHIE : L’AMÉRIQUE CENTRALE 93 94 96 100 104 107 111 G – L’ARC-EN-CIEL DE L’AMÉRIQUE DU SUD 112 H – LES SAISONS DE L’EXTRÊME-ORIENT 128 I – LA COSMOLOGIE DU TIBET 150 J – LES MYSTÈRES DE L’INDE 165 K – L’OR DE L’ASIE DU SUD 185 EMPIRES ET DÉRISIONS 1 – LE PÉROU 2 – L’AMAZONIE 3 – LE BRÉSIL BIBLIOGRAPHIE : L’AMÉRIQUE DU SUD LE SYNCRÉTISME ORIENTAL 1 – LA PENSÉE CHINOISE 2 – L’ART DE LA CHINE 3 – LA PENSÉE JAPONAISE 4 – L’ART DU JAPON 5 – LA CORÉE BIBLIOGRAPHIE : L’EXTRÊME-ORIENT LE BOUDDHISME TIBÉTAIN 1 – LES MANDALAS DU TIBET 2 – LA ROUE DU KARMA 3 – LES REPRÉSENTATIONS DU BOUDDHISME TIBÉTAIN BIBLIOGRAPHIE : LE TIBET LE CONTINENT INDIEN 1 – LA PENSÉE INDIENNE 2 – L’HINDOUISME 3 – LE TANTRISME INDIEN BIBLIOGRAPHIE : L’INDE LE FOLKLORE LOCAL 1 – LE SRI LANKA 2 – LA BIRMANIE 3 – LA THAÏLANDE BIBLIOGRAPHIE : L’ASIE DU SUD VI • La Couleur dans les cultures du monde 113 114 119 123 126 129 130 136 139 142 145 148 151 154 157 160 164 166 169 173 178 183 186 187 190 195 198 L – L’ÉCHELLE CÉLESTE DU PROCHE-ORIENT L’ORIGINE DE LA CIVILISATION 1 – LA PERSE 2 – L’ÉGYPTE ANCIENNE 3 - LA MAISON DE RÉGÉNÉRATION ÉGYPTIENNE 4 – LA TOUR DE BABEL 5 – LA KABBALE JUIVE BIBLIOGRAPHIE : LE PROCHE-ORIENT M – LA LUMIÈRE DE L’ANTIQUITÉ LE RATIONNEL ET LE MYSTIQUE 1 – LES CELTES 2 – LES VIKINGS 3 – LA GRÈCE 4 – L’ASTRONOMIE GRECQUE 5 – LA ROME ANTIQUE 6 – LE TEMPS DE BYZANCE BIBLIOGRAPHIE : L’ANTIQUITÉ EUROPÉENNE 199 200 202 204 209 212 215 220 222 223 224 227 230 233 236 240 245 N – LE TAPIS VOLANT DE L’ISLAM 247 O – L’ÉSOTÉRISME DU MOYEN ÂGE 272 P – LE QUOTIDIEN DE LA RENAISSANCE 304 LA PENSÉE ET L’ART ISLAMIQUES 1 – LES TAPIS D’ASIE CENTRALE 2 – L’OUZBÉKISTAN 3 – LE YÉMEN 4 – LA TURQUIE 5 – LES PAYS DU MAGHREB 6 – L’ANDALOUSIE BIBLIOGRAPHIE : L’ISLAM LA PENSÉE CHRÉTIENNE 1 – L’APOCALYPSE 2 – LE VITRAIL DES CATHÉDRALES DE FRANCE 3 – L’ALCHIMIE 4 – L’HÉRALDIQUE 5 – LA QUÊTE DU GRAAL 6 – LES ICÔNES RUSSES BIBLIOGRAPHIE : LE MOYEN ÂGE LA RENAISSANCE EUROPÉENNE 1 – LE CODE DE SICILLE 2 – LE COSTUME EUROPÉEN 3 – MODE ET COSMÉTIQUES 4 – LE FOLKLORE 248 252 255 259 261 265 268 270 273 276 280 285 290 295 298 302 305 307 311 314 318 Sommaire • VII 5 – LES TARTANS ÉCOSSAIS 6 – LE FOLKLORE BULGARE BIBLIOGRAPHIE : LE QUOTIDIEN DE LA RENAISSANCE 323 326 329 Q – LA PENSÉE OCCIDENTALE 330 R – LES COULEURS UNIVERSELLES 360 S – ANALYSE DES RÉSULTATS 386 T – VERS UNE SÉQUENCE UNIVERSELLE 405 RÉFLEXIONS OCCIDENTALES 1 – LA SCIENCE DE LA COULEUR 2 – LA PEINTURE EUROPÉENNE 3 – LA COULEUR SOCIALE 4 – LA MÉDECINE ET LA PSYCHOLOGIE 5 – LE TAROT DE MARSEILLE BIBLIOGRAPHIE : LA PENSÉE OCCIDENTALE LA PENSÉE UNIVERSELLE 1 – LES JEUX OLYMPIQUES 2 – LES DRAPEAUX 3 – LES TIMBRES-POSTE 4 – LES CODES DE CIRCULATION 5 – LES NORMES 6 – LES MÉDIAS BIBLIOGRAPHIE : LES COULEURS UNIVERSELLES SYMBIOSE DES CULTURES 1 – LES ARCHÉTYPES DE COULEUR 2 – LES COULEURS SECONDAIRES 3 – L’ARC-EN-CIEL 4 – COULEURS PURES ET NUANCES 5 – LES NUANCES BIBLIOGRAPHIE : ANALYSE DES RÉSULTATS IDENTITÉ DE STRUCTURE 1 – LA SÉQUENCE UNIVERSELLE DES COULEURS (S.U.C.) 2 – LES COMBINAISONS DE COULEURS 3 – LES ENSEMBLES COLORÉS 4 – SIGNIFICATIONS DES COMBINAISONS DE COULEURS 5 – L’UNION DES CULTURES VIII • La Couleur dans les cultures du monde 331 334 340 344 349 353 357 361 364 366 370 373 377 383 385 387 390 394 396 398 401 404 406 408 411 414 417 420 A – LES COULEURS DU MONDE INTRODUCTION Après la publication des Secrets d’Arcane Couleur, il nous a paru opportun d’élargir le champ des significations et de la symbolique des couleurs à l’ensemble des cultures du monde. Déjà l’ouvrage précédent faisait état des relations de la culture européenne avec les cultures chinoises et arabes. Il s’agit, aujourd’hui, de développer ce type de relations à l’échelle mondiale. À la lecture de ce titre, Les Couleurs du monde, le lecteur pourrait se dire : « Mon Dieu, quelle ambition ! Voilà un sujet bien intéressant, mais tellement énorme, et tellement complexe… ! » Et il aurait amplement raison. Le thème, en effet, nous fascine, mais en même temps nous questionne à cause de ses difficultés et de ses apparentes contradictions. Il s’y mêle des considérations géographiques et historiques, religieuses et scientifiques… Mais surtout différentes visions du monde s’y trouvent confrontées, comme des frères ennemis. Moi-même, je ne me serais pas lancé dans une telle étude, si je n’y avais pas été contraint par le hasard des circonstances. Le hasard des circonstances Le chargé du thème « Lumière », pour le futur musée de la Cité des Sciences et de l’Industrie de La Villette, ayant changé de rôle, on me demanda de prendre en charge ce secteur d’exposition. Je quittai donc ma fonction d’enseignant, au profit de ce nouveau poste. Ce fut très dur et très conflictuel… Il en résulta tout de même la réalisation de deux niveaux d’exposition sur la lumière qui fonctionnent encore, et qui sont les plus fréquentés de la Cité des Sciences. C’est alors que surgit un drame bien inattendu. En tant que chargé de thème, puis conseiller scientifique, j’avais une contractante, Edwige, dont le rôle était d’éta2 • La Couleur dans les cultures du monde blir une recherche sur le thème de la lumière dans les civilisations. Thème qui me paraissait immense, et que je n’aurais certainement pas osé assumer de mon plein gré. Cette personne était très brillante : docteur en philosophie et en mathématiques, elle eut malheureusement un accident. Vu l’ouverture prochaine du musée, je fus donc, moimême, obligé de prendre en charge ce thème. Et je me mis, ainsi, à parcourir les civilisations au pas de course. Cela m’apprit beaucoup de choses, et je n’eus pas à le regretter ! Je me suis même demandé : « Mais comment ai-je pu si longtemps ignorer tout cela ! » Malheureusement, il n’en est rien resté à la Cité des Sciences, faute de place… Ma mission étant terminée au musée, je retournai à l’Ensad, où je créai un cours d’Histoire de l’Art sur les civilisations, appelé « Les métamorphoses de la lumière ». Cette période, qui dura une quinzaine d’années, me permit d’approfondir cette thématique, de semaine en semaine. Elle me valut un travail considérable, et mal reconnu par l’administration de l’école. En effet, il semblerait qu’en dehors de la civilisation gréco-latine les autres cultures n’aient guère le droit de cité dans les écoles d’art… Mais je tins bon, et je suis heureux d’en porter aujourd’hui les fruits à la connaissance du lecteur. Précisions Mais il faut, tout de même, préciser ma pensée, en guise d’avertissement ! Le fait que cette enquête vise à développer les différentes cultures du monde et les croyances qui s’y rattachent ne signifie nullement que je partage toutes ces croyances. Pourtant, il me semble honnête de présenter chacune de ces cultures sous son meilleur aspect, et d’en donner toutes les justifications possibles. Car, en définitive, il appartiendra au lecteur de se prononcer, selon ses convictions profondes. Ajoutons que toute croyance nous paraît respectable, à partir du moment où elle ne nuit pas au mieux-être des personnes, mais respecte leurs libertés et développe un sentiment de générosité, d’amour, de compassion, de fraternité et de compréhension envers les peuples. Nous verrons, d’ailleurs, que dans leur essence, ces croyances ne sont nullement contradictoires, mais constituent un bien commun à toute l’humanité. Et nous pouvons même espérer que dans l’avenir, elles feront même partie du patrimoine global de cette humanité. La Terre et ses civilisations La Terre, cette petite planète bleue, perdue dans l’immensité de l’espace, ce grain de sable, cette poussière, est notre seul univers. Et que sommes-nous, si ce n’est les poux de ce petit astre – une pensée emprisonnée dans la matière, un corps crucifié entre deux infinis : l’infiniment grand de l’univers, et l’infiniment petit, également vertigineux, pour lequel nous sommes des êtres immenses, puisque le nombre des cellules de notre corps équivaut, dit-on, à celui des étoiles… Mais ce qui fait notre véritable valeur n’est pas une question de taille : c’est d’être des animaux pensants ! Voilà ce qui est à la fois notre fierté, mais aussi notre souffrance… L’homme, par la puissance de sa pensée, et par ses symboles, réorganise le monde. Parmi ces symboles, la couleur tient une place tout à fait essentielle. Mais on peut se demander : « Justement, pourquoi la couleur ? » Et il faut bien admettre que celle-ci est souvent dévalorisée, comme quelque chose de secondaire et d’accessoire… Quelle erreur ! En effet, la couleur constitue le lien idéal entre la pensée et la matière. La lumière sonde la matière, qui l’absor- be partiellement, la réfléchit, la transforme. Ces vibrations arrivent dans l’œil et sont transmises au cerveau, où elles deviennent des sensations colorées. Et on organise ces sensations colorées, pour en faire des réalisations plastiques, qu’il s’agisse de peinture ou d’architecture. Ainsi la couleur devient un langage universel. Sa structure, par combinaisons colorées, constitue un lien entre toutes les cultures et construit un domaine spirituel. La forme est souvent anecdotique, alors que la couleur est plus profonde. Le plan de l’ouvrage Déjà le plan de l’ouvrage m’a causé maints problèmes et maintes interrogations ! Devions-nous l’organiser par continent ou selon la chronologie ? Ou par couleurs ? Ou encore par cultures dominantes ? La référence à la géographie montre bien que diverses cultures ont pu se développer simultanément dans différentes régions du monde, mais parfois avec des décalages considérables, du point de vue chronologique. Ainsi la culture chinoise, qui est assez unitaire du point de vue géographique, a connu, au cours de son histoire, des influences diverses et des développements successifs : taoïsme, confucianisme, bouddhisme, maoïsme s’y succédèrent. À l’inverse, des cultures relativement unitaires du point de vue chronologique, ont pu déborder le cadre géographique d’un continent. Ainsi la culture islamique, assez unitaire au temps de son développement et de son apogée, s’est développée du Proche-Orient à l’Asie centrale, et de là jusqu’en Andalousie, en passant par l’Afrique du Nord… Et il apparut bien vite qu’aucun plan ne pouvait répondre simultanément à toutes ces exigences ! La formulation de ce plan impliquait donc un choix. Et le meilleur choix nous a paru être celui des cultures dominantes, quitte à sacrifier quelque peu l’unité géographique et chronologique. A - Les couleurs du monde • 3 Sources La documentation de cet ouvrage tient à deux sources principales : les voyages et les livres. L’auteur a, en effet, parcouru la plupart des pays cités dans cet ouvrage. Ces voyages, parfois agréables, parfois périlleux, et toujours extrêmement fatigants, m’ont mené aux quatre coins du globe, si l’on peut dire à propos d’une sphère ! Ils m’ont ouvert les yeux à propos de cultures étrangères, de façons de vivre, et de pensées bien éloignées de la nôtre. J’y ai découvert, le plus souvent, une grande pauvreté, mais aussi le fait que cette pauvreté n’empêche nullement ces populations d’être aimables et souriantes. J’ai longuement hésité à publier dans cet ouvrage les multiples photos rapportées de ces périples. Mais elles sont bien trop nombreuses, et l’ouvrage aurait atteint des dimensions quasi monstrueuses ! Aussi, m’a-t-il paru souhaitable de nous limiter à quelques strictes illustrations, sous forme de pastilles de couleurs et de formes géométriques assez rudimentaires, conservant les images de voyages pour une publication ultérieure, peut-être sous forme d’un carnet de voyage. Elles viendront alors compléter le présent ouvrage. Bibliographies L’autre source d’information est, bien entendu, les livres. Nous donnerons une source bibliographique propre à chaque chapitre, afin d’en conserver l’unité. Et vu l’étendue du sujet, on ne peut l’espérer exhaustive. De plus, elle sera donnée sans ordre préférentiel, car une réflexion intéressante peut surgir d’un ouvrage, par ailleurs médiocre. En la matière, il est bien certain qu’il faut « aller à la pêche », car il existe peu d’ouvrages de synthèse, et l’information se trouve éparpillée en de multiples sources ! Cette enquête s’est en fait déroulée durant une trentaine d’années et m’a valu de consulter des milliers de livres ! Mais il faut bien dire que je n’y trouvais, bien 4 • La Couleur dans les cultures du monde souvent, que quelques rares passages concernant la couleur ! Cela a été complété par le visionnage de films et de documentaires, apportant un supplément vécu à cette enquête… J’en ai finalement tiré le sentiment que tous ces êtres humains constituent une grande famille, une fois que l’on oublie les différences superficielles. 1 – LA SYMBOLIQUE DES COULEURS La première question que se posera le lecteur est : « La signification des couleurs est-elle universelle ou, au contraire, relative et variable ? » Autrement dit, ces significations sont-elles similaires ou différentes selon les pays et les continents ? Sont-elles également identiques ou variables, selon les époques ? Telles sont les questions qui se posent toujours, dès le départ ! Nous allons tenter d’y répondre, au fur et à mesure de l’avancée de cet ouvrage. Comment ignorer cette symbolique, tant il est visible que tous les objets réalisés s’y réfèrent explicitement ou implicitement ! Mais quelle est donc cette symbolique des couleurs ? Tout d’abord, elle peut nous paraître très mystérieuse, car elle n’est véritablement écrite nulle part, et elle existe, cependant, pour tout le monde… Si l’on interroge des personnes dans la rue, à propos de la signification d’un bleu ou d’un rouge, on obtiendra des réponses sensiblement identiques. Cela tient au fait que le public est imprégné de significations et de symboliques, le plus souvent à son insu, et cela dès la prime enfance. Du temps de mon enseignement à l’Ensad, il fut réalisé de nombreuses enquêtes, interrogeant les étudiants et les personnes de la rue. Nous avons pu alors constater qu’il existait une grande convergence de vues à propos des couleurs. Cela peut encore être conforté par d’autres enquêtes. Par exemple, la publicité offre une certaine garantie sur le fonctionnement symbolique des couleurs, puisqu’une couleur, dont la signification serait mal perçue, pourrait faire éliminer une publicité, considérée non pertinente. Elle serait donc éphémère. À l’opposé, si elle se pérennise, on peut penser que sa symbolique est en accord avec celle de la population à laquelle elle s’adresse. Mais c’est également par la pratique de son métier que le designer coloriste, ou le coloriste conseil, arrive à comprendre comment le rôle des couleurs est assumé par nos sociétés. Si une couleur est mal adaptée, à l’urbanisme, aux établissements publics ou à l’industrie, les réclamations ne tardent pas à arriver ! En réunissant ces divers points de vue, on peut donc être assuré de savoir quel rôle symbolique sera attribué aux couleurs. Et on peut donc être sûr que cela est vrai dans la société occidentale. Mais est-ce également vrai partout à travers le monde ? On voit bien que la publicité et le marketing, à l’échelle de la mondialisation, doivent constamment s’adapter aux coutumes locales. Notre enquête, sur les cultures du monde, pourra donc en établir les points communs, mais également les divergences… Les contradictions apparentes On peut, en effet, se demander si le même schéma s’est déroulé à l’identique partout dans le monde ? Lors de discussions sur la symbolique, certaines personnes avanceront immanquablement l’argument selon lequel le deuil en Chine est de couleur blanche, alors qu’il est noir en Occident ! Or, cette opinion relève d’une certaine simplification. Ainsi en Occident, le blanc est également la couleur dédiée aux fantômes, et donc à ce qui vient de l’au-delà. C’est la couleur du squelette. De plus, c’est la couleur de la vieillesse. Ainsi les cheveux blancs nous rappellent qu’est blanche une chose qui a perdu de sa vitalité, et qui est donc proche de la mort. On connaît l’anecdote, selon laquelle les premiers Blancs arrivés en Afrique suscitèrent la frayeur des indigènes, pensant voir des spectres ou des morts revenus de A - Les couleurs du monde • 5 l’au-delà ! Cependant, cette phobie du blanc s’expliquait par l’opposition à la couleur noire des autochtones, qui est, pour eux, la couleur des vivants. Ainsi les significations positives ou négatives liées au blanc et au noir sont souvent inversées. On ajoutera, du fait de la peinture sur la toile blanche, ou de l’écriture sur la feuille blanche, ou encore de l’imprimerie sur papier, que le blanc a perdu son statut de couleur, en devenant un support, suscitant une simple transparence. Le blanc pourrait donc être la couleur de la disparition. Il fut aussi la couleur de la mort et de la renaissance initiatique, de la résurrection spirituelle. Et l’on pourra constater que partout dans le monde, à propos de la mort, il s’agit bien davantage d’une relation entre le noir et le blanc ! Donc nos faire-part, ainsi que les draperies mortuaires, sont noir et blanc en Occident, et pas simplement noirs. Depuis quelque temps, on a voulu adoucir ce contraste extrême par le gris, sur les faire-part de décès. Mais qu’importe, le gris est bien la résultante du mélange du noir et du blanc. En fait, ces couleurs fonctionnent davantage en couples d’oppositions qu’en signifiants intrinsèques. Ainsi, c’est bien plutôt le couple noir et blanc qui est symbole de mort. Car il sera la négation des couleurs vives représentant le vivant… Il en résulte donc que c’est cette opposition des valeurs aux couleurs qui importe, et pas tellement le fait que la mort soit attribuée au blanc ou au noir, selon les cas. La Terre est-elle bleue, verte ou jaune ? Un exemple encore : on trouve souvent des contradictions apparentes dans les couleurs symboliques de la terre, données dans différentes civilisations. Ainsi, en Chine, elle est jaune. Cela s’explique par plusieurs raisons. Tout d’abord, du fait que cette terre est souvent constituée d’un lœss, effectivement de couleur jaune. Mais surtout, c’est là que résidait l’empereur, fils du ciel et « soleil » de l’empire. Ainsi la terre, dans 1’ancienne Chine, représentait le centre : « L’empire du mi6 • La Couleur dans les cultures du monde lieu », régentant les états périphériques, comme le Soleil dans le ciel illumine toute la création. Pour symboliser cette position centrale, en analogie au Soleil, la terre était sacralisée, aurifiée et donc représentée dans le jaune. Et l’empereur se tenait au centre de 1’empire, lui-même vêtu de jaune. Dans d’autres symboliques, on glisse vers une observation sur l’élément opposé à l’air, dans la quadrature des éléments : terre – eau – air – feu. Et dans cette opposition, si l’air est bleu, la terre est nécessairement jaune ! Par contre, chez les Rose-Croix ou dans diverses mystiques, la terre était bleue, comme vue de l’espace dans une sorte de voyage prémonitoire. Car on sait, désormais, que la Terre vue de l’espace est de couleur bleue. C’est même la « planète bleue ». Mais en astrologie, la terre était verte, car elle était le substrat nourricier de la végétation, considérée comme étant le « manteau de la Terre ». De même en alchimie, la terre était également verte, mais parfois noire, en tant que matière primordiale, substance et minière au sein de laquelle se créaient les minéraux. Ainsi on ne dira pas que la terre est nécessairement jaune ou bleue, verte ou noire, mais qu’elle peut l’être selon les cas. C’est la différence entre Terre et terre, que confond la langue française en un seul terme réducteur. Il en résulte que selon que nous considérons la Terre vue de l’espace, ou la terre sur laquelle nous vivons, ou encore la terre comme élément, il y aura, naturellement, différentes approches symboliques. Ainsi l’ensemble « terre » se définit davantage dans la triade Bleu – Vert – Jaune, plutôt que dans une seule de ces couleurs. Il en résulte qu’il faut se méfier des simplifications, et toujours considérer le contexte. La Vierge Marie est-elle bleue, rouge ou blanche ? On pense, le plus souvent, que la robe de la Vierge Marie, dans l’iconographie chrétienne, est de couleur bleue. Cela semble logique, puisque c’est la couleur du ciel. N’est-elle pas la « reine des cieux » ? Mais on découvrira qu’elle porte souvent une robe blanche, pour signifier son caractère immaculé, car elle est aussi « l’Immaculée Conception » ! Dans les apparitions de Lourdes ou de Fatima, on la décrit portant une robe blanche. On sera encore plus étonné de constater que dans beaucoup de représentations picturales, elle porte une robe rouge ! Cette couleur a, en effet, de quoi surprendre puisque c’est la couleur de l’amour et du feu, ce qui ne va pas sans une certaine violence des sentiments, surtout s’il s’agit de sang versé ! En fait, ce rouge représente son aspect terrestre. Car elle fut un être de chair, en tant que mère du Christ. Enfin, on la représentera également revêtue d’un manteau bleu, ouvrant sur une robe rouge, afin d’affirmer cette double symbolique. Il en résulte qu’il n’y a pas réellement de contradiction. Et selon les attributs qu’on lui donne, elle sera tout aussi bien bleue, blanche ou rouge, parfois même de couleur or. Il est donc très important de considérer que la couleur ne représente pas la personne ou l’objet qu’elle recouvre, mais la qualité qu’on lui prête. L’objectivité nécessite donc le sacrifice des analogies faciles et superficielles. On évitera, en particulier, de confondre la couleur avec l’objet qu’elle semble représenter. Car la couleur ne représente pas réellement cet objet, qu’il s’agisse d’un élément, d’une planète, d’un signe zodiacal, mais la qualité, le sentiment, la force ou le pouvoir que l’on veut conférer à cet objet. Cela explique les divergences relevées précédemment, car le même élément pourra être considéré de multiples façons et selon de multiples qualités. Si, par contre, nous considérons les couleurs comme des forces en action, allant habiter et animer ces différents contextes ou objets dans le but de leur conférer telle ou telle qualité, alors les divergences s’effacent. Nous espérons que ce développement, par son caractère logique et unitaire, pourra résoudre bien des contradictions antérieures. A - Les couleurs du monde • 7 2 – UNIVERSALITÉ DES SIGNIFICATIONS DE COULEURS En 1969, deux ethnologues américains, Berlin et Kay, firent sensation lors d’un colloque, en énonçant une thèse quelque peu provocante, selon laquelle on trouvait partout dans les langages du monde une séquence fondamentale, qu’ils ont appelée Basic Color Terms. Selon eux, les couleurs de la séquence en question étaient toujours citées dans le même ordre, quelle que soit la région du globe consultée. On commençait toujours par le noir et le blanc, puis venait le rouge, ensuite le vert ou le jaune, le jaune et le vert, le bleu et on terminait par des couleurs plus nuancées telles que le brun, le violet, le rose, l’orangé et le gris : BLANC ROUGE NOIR VERT OU JAUNE JAUNE ET VERT BLEU BRUN VIOLET ROSE ORANGÉ GRIS Mais surtout, cette séquence était supposée donner une échelle d’appréciation quant à l’évolution de la société concernée. Pour cela, on étudiait si les termes de couleur cités par les indigènes questionnés allaient plus ou moins loin dans cette séquence divisée en sept stades successifs d’évolution. Certaines de ces sociétés, en effet, ne connaissent que le noir et le blanc. Ce sont les sociétés liées à la terre, comme en Afrique noire, où se font, en particulier, des dessins à l’argile blanche sur la peau noire. Et où les poteries sont décorées de motifs linéaires blancs ou noirs. Puis apparaît le rouge, comme troisième et « vraie » couleur. C’est la couleur de la teinture, en opposition aux deux couleurs précédentes : le blanc qui signifie le non teint, et le noir qui signifie le sale. Et il est également vrai que cette triade Noir – Blanc 8 • La Couleur dans les cultures du monde – Rouge est omniprésente dans les fêtes, les représentations théâtrales, un peu partout dans le monde… Dans cet esprit, le jaune serait une simple déclinaison du rouge. Ainsi, les ocres de la terre peuvent, bien effectivement, varier du rouge au jaune. On le voit, déjà, à la préhistoire. De même, certaines teintures végétales comme le rocou passent du rouge au jaune, selon le degré de leur dilution dans un liquide. Le vert et le bleu sont déjà plus rares et se trouvent surtout dans les sociétés ayant, effectivement, atteint un certain niveau de développement. A2 – 1 : La séquence de Berlin et Kay Tout cela pourrait donc donner raison à la thèse de Berlin et Kay. Relativité des significations L’équipe de Nanterre, animée par Serge Tornay, mena pourtant une vaste enquête à travers le monde afin d’en prouver la fausseté. Il en a résulté un très gros ouvrage bien documenté, également très important : Voir et nommer les couleurs. Nous lui sommes redevables de bien des informations ! Et on y relève l’importance déterminante de l’environnement. Ainsi, chez les Inuits, ou Esquimaux du Grand Nord canadien, la langue comporte une vingtaine de termes différents pour décrire le blanc. Cela est naturellement très important pour eux, car l’état de la neige ou de la glace peut occasionner des effets optiques différents, ainsi que des changements climatiques. De même, chez des éleveurs de bétail, comme les Santal de l’Inde ou les Mursis de l’Éthiopie, ce qui importe, c’est le troupeau. Il en résulte tout un vocabulaire décrivant les nuances des robes de ces animaux et de leurs combinaisons colorées. Par exemple, des taches blanches sur fond brun porteront un nom différent des taches brunes sur fond blanc… Il en résulte des termes synthétiques intraduisibles pour nous ! Mais inversement, le vert de l’herbe ne comporte pas de nom qui lui soit propre, mais est décrit par le brun le plus proche dans les pelages des animaux… Il en va de même, curieusement, chez les Bretons, où le langage abonde en gris nuancés, car ce sont ceux de l’univers maritime. Par contre, là aussi, le vert n’a pas de nom qui lui soit propre, et se confond avec un certain gris. Alphonse Karr, au milieu du xixe siècle, faisait déjà remarquer que les langages peu évolués utilisent une forte réduction terminologique dans leur dénomination des couleurs. Ainsi, est-il courant que le terme « rouge » englobe le rose et l’orangé, ainsi que toutes les nuances comprises entre ces deux couleurs. De même, le jaune sera appelé blanc, s’il est clair, et devient rouge, s’il est foncé ! De son côté, le bleu englobera toutes les nuances du violet au turquoise, et même parfois le vert. Et d’une façon générale, le blanc désigne souvent toutes les couleurs claires, et le noir toutes les couleurs foncées. Ce concept réducteur se retrouvera dans des domaines d’applications inattendus, comme la couleur des blasons de l’héraldique européenne, où le rouge, par exemple, est considéré indépendamment du fait qu’il puisse être orangé ou violacé. On peut donc donner raison à l’équipe de Serge Tornay, car des civilisations au même niveau de développement peuvent accorder des importances tout à fait divergentes à l’ordre des couleurs. Et des civilisations peu dévelop- pées peuvent disposer d’un vocabulaire partiellement plus riche que celui de sociétés dites évoluées. Alors, les positions sont-elles irréconciliables ? Une possible conciliation Il faut attirer l’attention sur le fait que la séquence de Berlin et Kay a trait essentiellement au langage parlé. Or, il semblerait qu’en dehors des problèmes strictement liés à la linguistique cette séquence décrive, plus justement, l’évolution des productions humaines en matière de couleur ! Ainsi, dans les peintures préhistoriques, on trouve, bien effectivement, le blanc, le noir, le rouge, et la gamme s’étend jusqu’aux ocres, selon les différentes couleurs de la terre. Peut-être, utilisaient-ils le vert des végétaux, mais celui-ci ne s’est pas conservé, et il n’y a jamais eu de bleu. Et il est également très frappant, dans divers muséums, de voir que la section consacrée à l’Afrique se cantonne dans le noir et blanc, alors que la polychromie commence en Océanie, et s’épanouit dans la section consacrée à l’Asie… Et après les civilisations de la terre, comme celles de l’Afrique, il faudra attendre des civilisations plus développées, comme celle de l’Égypte ancienne, pour voir apparaître d’autres couleurs, en particulier, le bleu turquoise que les Égyptiens et les Perses étaient alors seuls à produire et à utiliser. Puis va paraître progressivement toute la gamme des couleurs employées pour les fresques ou les bijoux, les mosaïques, et les tapis… Ainsi, au musée Guimet, on a tout loisir de contempler l’évolution de la céramique chinoise, à travers les époques. Elle part de tracés noirs sur la terre cuite, passe au monochrome noir, puis au blanc, et apporte, peu à peu, différentes couleurs : 3, 4, 5, 6, puis, finalement, mille couleurs… Ainsi on pourra, effectivement, remarquer le rôle décisif de ces techniques dans l’évolution créatrice des civilisations. Et il est bien probable que le développement A - Les couleurs du monde • 9 d’une technologie, liée à une civilisation, produira également le vocabulaire adapté à ces nouveaux produits. Langage et langage Il en résulte la conclusion assez surprenante que, si la séquence de Berlin et Kay se trouve infirmée dans le langage parlé, elle pourrait se justifier dans ses grandes lignes, en ce qui concerne les productions humaines… Ainsi, il semblerait qu’il ne faille pas se limiter au seul domaine du langage parlé ou écrit, mais élargir la discussion, en incluant la production colorée dans son ensemble. La distinction est, toutefois, assez subtile, car il apparaît très vite que les œuvres humaines, telles que la fabrication d’objets colorés, de maquillages, de parures, de peintures ou d’architectures, constituent également un langage, ou tout du moins un acte de communication qui obéit à ses propres règles de syntaxe. Nous allons donc examiner, dans les différentes cultures du monde, et dans leurs réalisations, si cette séquence de Berlin et Kay se trouve, ou non, pleinement justifiée ? Et nous examinerons, surtout, ce qu’elle nous apporte, quant aux significations des couleurs. Car c’est une chose que de constater l’ordre des apparitions successives des couleurs, et cela en est une autre, que d’apprécier l’universalité de leurs significations ! Ainsi, par le mot « culture », nous n’entendons pas seulement la transmission de connaissances et de valeurs intellectuelles par les moyens de l’écrit ou du langage parlé, mais de tout un mode de vie rendu palpable à travers les réalisations des hommes, quelles que soient leur origine et leur façon de s’exprimer. Les paroles se sont souvent envolées, alors que les objets sont restés… Mais il faut ajouter que l’évocation des couleurs ne concerne pas uniquement les réalisations matérielles. Elles sont extrêmement présentes dans les mythologies. Il y a donc simultanément des couleurs concrètes et des couleurs abstraites. Et c’est l’ensemble qu’il s’agit de prendre en compte. 10 • La Couleur dans les cultures du monde B – HORS DU TEMPS ET DE LA GÉOGRAPHIE