La génération numérique et les trois fractures à combler

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La génération numérique et les trois fractures à combler
droits de l’homme était quasiment nulle. Le Sommet mondial
des enfants de 1990 a balayé l’idée selon laquelle les adolescents étaient incapables d’apporter leur contribution à l’agenda
international du développement en général et aux questions les
concernant en particulier. Cet événement mondial a donné l’occasion aux adolescents d’exprimer leur opinion sur des questions les concernant et ils ont joué un rôle déterminant dans la
formulation du document final.
Ce processus participatif a été de nouveau adopté pour la
Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations
Unies de 2002 consacrée aux enfants, qui a réuni plus de 400
adolescents de 150 pays à New York pour échanger leurs expériences et présenter leurs demandes aux dirigeants mondiaux lors d’un Forum des enfants de trois jours. Cinq ans
plus tard, des adolescents ont participé au suivi de cette Session extraordinaire et sont également intervenus lors de la
cérémonie commémorative du 20e anniversaire de la Convention, le 20 novembre 2009.
Lors des vingt à trente dernières années, la communauté internationale a prêté une attention croissante aux besoins spécifiques
des adolescents. Cette situation manifeste une compréhension
plus aiguë du droit de participation de tous les enfants, en particulier des adolescents. Elle atteste aussi la prise de conscience
croissante de la nécessité de consolider durant l’adolescence les
avancées en matière de santé et d’éducation réalisées pendant la
petite et la moyenne enfance, afin de lutter efficacement contre la
transmission intergénérationnelle de la pauvreté et de l’inégalité.
Ce centrage plus net a été en partie imposé par les défis planétai-
TECHNOLOGIE
La génération numérique et les trois fractures à combler
Par John Palfrey, Urs Gasser
et Colin Maclay du Berkman
Center for Internet & Society, à
l’université d’Harvard, et Gerrit
Beger de l’UNICEF.
Nous utilisons le terme « génération numérique » pour
désigner la génération née après les années 1980 environ,
mais tous les jeunes n’appartiennent pas à cette catégorie. La génération numérique partage une culture globale
commune moins définie par son âge que par son immersion dans les technologies numériques. Cette réalité
affecte l’interaction avec les technologies de l’information
et avec l’information elle-même, ainsi que l’approche de
l’autre jeune, des autres personnes et des institutions.
Pour profiter des avantages des outils numériques, il
ne suffit donc pas seulement d’être né à une certaine
période et d’avoir accès à un ordinateur. Pour que les
adolescents aient conscience de l’aspect prometteur des
nouvelles technologies, il faut combler trois fractures. La
première concerne l’accès de base à ces technologies
et aux infrastructures dont ces dernières dépendent,
comme l’électricité; la seconde concerne les compétences
nécessaires à l’utilisation de ces technologies une fois
qu’elles sont accessibles; et la troisième provient de notre
compréhension limitée de la manière dont les jeunes
naviguent en ligne. Chacune de ces fractures existe dans
chaque société, mais leurs effets se font plus particulièrement ressentir dans le monde en développement.
Ces dix dernières années, l’accès à Internet, aux appareils mobiles et aux médias numériques s’est beaucoup
accéléré. Environ un quart des 6,8 milliards d’habitants de
la planète ont accès à Internet, et 86 pour cent peuvent
se connecter aux réseaux de communication mondiaux
depuis des appareils portables. Pourtant cet accès reste
très inéquitable avec des taux en Afrique, par exemple,
bien en-deçà des taux européens.
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La situation des enfants dans le monde 2011
Des investissements motivés pourraient réduire la fracture de l’accès. Par exemple, le Botswana est en train de
développer l’un des plus gros taux de pénétration technologique en Afrique subsaharienne; le Ministère des communications a déclaré en 2010 qu’il y avait « plus de 100
pour cent » de couverture mobile (cependant le haut débit
Internet dans les foyers reste à la traîne). Parallèlement,
le Président du Rwanda, Paul Kagame, s’est engagé à
faire de son pays un champion du développement économique grâce à l’investissement dans les nouvelles technologies et infrastructures Internet.
Bien que nécessaires, ces efforts ne suffisent pas. Il
existe aussi un fossé en matière de participation, entre
ceux qui détiennent des compétences avancées quant à
l’utilisation des médias numériques, et les autres. Dans le
monde en développement, de nombreux jeunes utilisent
des appareils mobiles plutôt que des connexions via les
lignes fixes, qui sont plus rapides. L’alphabétisation de
base constitue aussi un problème.
L’alphabétisation numérique, c’est-à-dire la capacité à
naviguer dans un monde de communication numérique,
sépare davantage les jeunes susceptibles de bénéficier
des technologies numériques des autres. Les jeunes
qui n’ont pas d’accès Internet à la maison ou à l’école,
et qui ne reçoivent pas le soutien de professeurs ou
de parents familiers du numérique, ne développeront
pas les compétences sociales, scolaires et techniques
requises pour réussir dans une économie mondiale en
réseau. Sans familiarisation avec les médias électroniques, les adolescents risquent d’avoir des difficultés
à gérer les interactions sociales des communautés en
res tels que la pandémie de SIDA, le chômage et le sous-emploi
massif des jeunes dans le monde, l’évolution de la démographie et
le changement climatique, qui sont des menaces majeures pour le
présent et l’avenir de millions d’adolescents et de jeunes.
que les adultes. Le moment est venu que le monde reconnaisse à
la fois ce qu’il leur doit et les bénéfices singuliers qu’un investissement dans cet âge de tous les possibles est à même de générer,
pour les adolescents eux-mêmes et pour les sociétés dans lesquelles ils vivent.
Le monde est en train de s’éveiller à l’importance essentielle
des droits des adolescents et à la nécessité, pour l’humanité, de
mettre à profit l’idéalisme, l’énergie et le potentiel de la génération montante. Mais il sera impossible de tenir les engagements
internationaux déjà adoptés sans une concentration beaucoup
plus massive des ressources, une planification stratégique et une
volonté politique en faveur des droits des adolescents.
Les adolescents méritent autant d’attention et de protection que
les jeunes enfants et autant de considération et de participation
ligne ou à reconnaître les informations douteuses ou
peu fiables.
médias électroniques sont aussi l’occasion d’une étude
intense de soi et de ses intérêts.
La troisième fracture concerne le manque de connaissances relatif à la façon dont les jeunes utilisent les moyens
de communication numériques dans les sociétés. Dans
certains pays (notamment le Royaume-Uni, les EtatsUnis et certaines parties de l’Asie de l’Est), des données
quantitatives et qualitatives existent sur la façon dont
les jeunes utilisent les nouvelles technologies. Ces
données ont commencé à révéler un changement d’habitudes des jeunes du fait des médias électroniques.
Au-delà des informations de base sur l’accès, cependant,
ce genre de données demeure rare pour la plupart des
autres régions du monde. Parmi les défis, les habitudes
technologiques des jeunes n’ont commencé à faire
l’objet de recherches que récemment, sauf en quelques
rares régions.
La portée considérable des technologies numériques
dépasse l’apprentissage; elle permet la promotion de
la créativité, de l’entreprenariat et du militantisme. Les
adolescents et les jeunes utilisent ces technologies pour
s’exprimer par l’intermédiaire de vidéos, d’enregistrements et de jeux. Ils créent des mouvements politiques,
des groupes de surveillance ainsi que de nouveaux modes
d’organisation qui combinent le hors ligne et en ligne.
Jeunes adultes, certains d’entre eux créent de nouvelles
affaires et technologies qui créent à leur tour des emplois
et ouvrent de nouveaux horizons. Ils s’apprennent mutuellement tout en construisant sur le cyber environnement
global.
que société mondiale,
Notre défi, en tant que société mondiale, consiste à
concevoir et créer des expériences en ligne pour les adolescents. Il s’agit de les aider à saisir les occasions de la
vie -tout en limitant les dangers- qui sont partiellement
véhiculées par les technologies numériques. Si l’on parvient à combler les trois fractures de l’accès numérique,
de nouvelles interfaces et expériences ouvriront l’esprit
des adolescents, les connecteront au monde et leur permettront de participer à l’élaboration et au partage de la
connaissance dans une économie fondée sur l’information.
les dangers — qui sont
Cependant, il est clair que l’utilisation des technologies
numériques transforme l’apprentissage, la socialisation et
la communication pour les jeunes qui y ont accès et qui
savent les utiliser. Pour ces individus, les activités comme
la génération de contenu, le remix, la collaboration et le
partage sont pleinement intégrées au quotidien. Beaucoup
de ces activités se fondent sur l’amitié, et servent à entretenir des relations avec des personnes rencontrées hors
ligne. D’autres sont liées à un intérêt, et permettent aux
jeunes de développer des compétences dans des domaines spécialisés comme l’animation ou les blogs. Dans
les deux cas, l’utilisation occasionnelle ou fréquente des
nouveaux médias contribue significativement au développement de compétences technologiques et sociales. Les
« Notre défi, en tant
consiste à concevoir et
créer des expériences
en ligne pour les
adolescents. Il s’agit
de les aider à saisir
les occasions de la
vie — tout en limitant
partiellement véhiculées
par les technologies
numériques. »
La génération montante
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