POUR LE THÈME 1 DU PROGRAMME
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POUR LE THÈME 1 DU PROGRAMME
Observatoire des Programmes et des Manuels scolaires www.enseignement-et-religions.org/ _______________ Le Fait religieux dans la Rome antique Programme d’histoire de 6ème Pierre Dussère, septembre 2010 2 - POUR LE THÊME 1 DU PROGRAMME : LA RELIGION A ROME, DE L’ÉPOQUE ARCHAÏQUE À LA FIN DE LA 2ème GUERRE PUNIQUE (-202) 2.1 "Do ut des" : je te donne pour que tu me donnes : un commerce qui n’exclut pas l’astuce A l’origine, il n'y a que quelques dieux avec un contour bien déterminé, sans relations entre eux, ni mythologie, mais autour d'eux un nombre quasi illimité d’autres dépendant plus ou moins des premiers (qui sont un peu comme des "chefs de service"): les Romains pensent faire l’expérience que partout autour d'eux, il y a des force obscures sans le soutien, ou au moins l’autorisation desquelles ils ne peuvent absolument rien faire, même pas le plus banal des actes de la vie quotidienne. Georges Dumezil1 l’exprime ainsi : "Les Romains sentent de tous côtés, en éveil, favorisant ou renversant leurs entreprises, irritables ou serviables, des personnes secrètes et jalouses de leur secret, qu'ils ne savent même pas comment nommer". Varron, un intellectuel romain, a essayé de les dénombrer et les aurait évalués... à plus de trente mille ! Exemples : Avec CERES comme "patronne", il y a d’innombrables dieux pour chacune des tâches agricoles (le labour, les semailles etc ..). S. Augustin dénonce toute une série de dieux sans lesquels, par exemple, la nuit de noces est impossible. Autre exemple familial encore: le dieu qui assure la bonne nuit du bébé, celui qui permet qu'il mange, un autre pour permettre qu'il boive (il s'appelle ‘ Potinus’) ¾ D'où en effet un certain commerce avec les dieux résumé par la célèbre formule : Do ut des (je te donne pour que tu me donnes) Le vocabulaire est éclairant : avec les dieux, on est "cautus": prudent, précautionneux. Pensons d’ailleurs que le mot "religio" signifie d’abord scrupule ce qui va plutôt dans le sens de la première des deux étymologies de "religio" entre lesquelles les spécialistes modernes ne peuvent trancher : a) relegere = re-eligere, recueillir encore et encore, refaire par scrupule, crainte que ce n’ait pas été correct (et donc risque de colère du dieu). Il s’agit d’éviter leur colère et à tout le moins de les "apaiser ("placare deos"). b) religare = créer des liens (avec le monde divin) 2 Dans le même sens, La "pietas" n’est pas la piété au sens moderne, mais la qualité de celui qui accomplit les rites (grâce auxquels, pense-t-il, le dieu se montrera favorable). Le contraire est justement "neglegere deos". 1 "LA RELIGION ROMAINE ARCHAIQUE" (Payot 1966, page 46): ère ème On trouve la 1 chez l’auteur latin païen Cicéron, la 2 est chez un des tout premiers auteurs chrétiens, Lactance 2 _______________ Document issu du site © www.enseignement-et-religions.org – 2010 1/4 La même démarche vaut pour la vie privée (la famille, "gens") et pour la vie publique, la cité. Les trois "grands" dieux constituant la triade capitoline étaient alors : JUPITER3-MARSQUIRINUS (correspondant sans doute à une ancienne tripartition de la société indo-européenne : les garants du sacré - les garants du territoire : rois et guerriers et les autres, en charge de toute forme de fécondité, les "producteurs", qu’on trouve aussi à l’origine des castes en Inde). Ce commerce n'exclut pas l’astuce. Ainsi de Jupiter et Numa4: "coupe une tête – j’obéirai, je couperai une tête d’oignon dans mon jardin – Non, je veux de l’homme – Je couperai donc aussi des bouts de cheveux…" et Numa est jugé par Jupiter "digne de parler avec lui". Les Romains ne trompent pas les dieux, ils les traitent comme des juristes. Les Romains voient des signes partout, d'où une "formidable machine d’information que Rome a dressée face à l’invisible"5. 2.2 Le Pontifex Maximus Pour gérer cette pointilleuse et contraignante organisation peu avant -300 le pouvoir passe au Pontifex Maximus. Et c’est bien parce que dans ses rapports avec le sénat, l’élaboration du calendrier, le culte des dieux de la cité, son pouvoir prend une importance considérable que Jules César tiendra à exercer cette charge. Elle sera d’ailleurs ensuite régulièrement "confisquée" si l’on peut dire par les empereurs successifs. Telle est l’origine du Pontifex Maximus, souverain Pontife, le pape de l’Eglise catholique, sur laquelle les manuels semblent conserver un prudent silence. 2.3 L’origine d’Enée et Romulus Or cette mentalité scrupuleusement attentive aux innombrables puissances "divines" qu'il convient en toutes circonstances de se rendre favorables dispose à accueillir tout ce qui est nouveau, et donc en particulier étranger : d’où l’envahissement progressif de nouveaux dieux au fur et à mesure du temps et des conquêtes. Un cas limite est l’"evocatio" de la Juno de Véies6 : "soudoyer" la déesse des ennemis pour qu'elle cesse de les protéger, change de camp, et se mette désormais à accorder ses faveurs - et donc la victoire - aux Romains (en -396). Ainsi Junon vint au Capitole ! C’est par les Etrusques que vient à Rome vers -300 la tradition concernant Enée abordant aux rivages de l’Italie. Elle y serait arrivée via les Phocéens (ancêtres des marseillais) qui la connaissaient dès le 5ème siècle avant J.-C. Quant à Romulus et Remus, leur origine est sans doute à chercher bien plus loin, aux temps indo européens, si l’on en juge par le rapprochement qui a été tenté avec deux dieux jumeaux de l’Inde védique (Les Ashvin). Mais, comme chacun sait c’est la récriture mythique de ces traditions au temps d’Auguste qui va leur donner l’importance nationale qui sera la leur sous l’empire et, d’une certaine façon, jusqu’à aujourd’hui. 2.4 Concordia, Fides... et d’autres Diviniser des valeurs constitue une pratique qu’on retrouve, semble-t-il, dans toutes les sociétés indo européennes antiques. Quoi qu’il en soit il est particulièrement intéressant de noter que le religieux se construit ici à partir du social, voire du commercial dans le cas de Fides. Cicéron déjà les explique ainsi : "Que dire d’Ops (l’abondance) de Salus, de Concordia, de Libertas, de Victoria ? Comme chacune de ces choses a une force trop grande pour être gouvernée sans un dieu, c’est la chose elle-même qui a reçu le titre de dieu" (de natura deorum, 2, 61). On comprend en effet difficilement la République, ses crises, et même tout simplement la géographie du forum si l’on ne tient pas compte des valeurs divinisées. Voyons un peu le cas de Concordia et de Fides. 3 Jupiter est dit Optimus Maximus= le meilleur, le plus grand (on retrouvera l’abréviation " 0. M" avec les papes) 4 Dumézil o.c. p.54 5 o.c. p. 126) 6 o.c. p.413 - 414 _______________ Document issu du site © www.enseignement-et-religions.org – 2010 2/4 A) Le temple à Concordia en plein forum, dont nous avons relevé qu’un manuel ne le référençait même pas, est voué dès -367 et, tout à fait symboliquement, le sénat s’y réunit fréquemment. Il s’agit en fait, au-delà des divisions, de rechercher ce qu’on appellerait plutôt aujourd’hui un consensus national (autre mot cicéronien), en particulier en cas de danger pour le pays. On comprend aussi que, par le biais du genius populi romani, génie divin du peuple uni dans la concordia, ce sera bientôt Rome elle-même qui sera divinisée. ¾ Exemple de document pour les élèves : l’autel à Rome et à Auguste à Lyon. B) Le temple à Fides, est érigé sur le Capitole vers -250, tout près du temple de Jupiter Capitolin… A l’origine, dans le domaine commercial, le mot désigne la relation de "bonne foi", de loyauté entre fournisseur et client, ce que l’on peut appeler la morale des beneficia (bienfait, sur lequel on fera le mot bénéfice) : tu ne me tromperas pas, je ne te tromperai pas, je te fais un beneficium et tu ne seras pas ingratus, mais gratus (reconnaissant, on a construit sur ce terme la notion de grâce) et donc tu me répondras à ton tour par un autre beneficium. Si l’on est ainsi avec quelqu’un dans une relation de "fides", on pourra lui accorder un creditum, un prêt. Le verbe est alors … credo7, confier un prêt, dont on connaît la postérité dans le domaine religieux (le "credo", je crois). Nous proposons donc de retenir plus particulièrement Fides et Concordia, la première à cause de sa très féconde postérité aujourd’hui, tant profane (fiancé, confiance, fidélité …) que religieuse (la foi) ; la seconde ne serait-ce qu’en songeant à la place qui lui est faite dans la géographie de Paris, et sous le vocable de consensus, dans les discours politiques tout au long de l’histoire. On pourrait d’ailleurs souligner l’articulation entre elles : Fides, la fidélité statique à l’accord conclu, au contrat social en quelque sorte, et Concordia, l’effort vers un consensus toujours à chercher, en particulier dans les situations difficiles. Les guerres civiles qui marquent la fin de la République (donc le cœur du nouveau programme de 6ème et déjà d’ailleurs du précédent) constituent ainsi un drame quasi métaphysique et des auteurs comme Salluste n’hésitent pas à le mettre sur le compte du peuple romain lui-même qui, trahissant la Fides, devient incapable de Concordia… N’y a-t-il pas là un passage obligé pour traiter simplement le programme tel qu’il est ? 2.5 La décomposition de la religion à la fin de la période républicaine A) Les dégâts de la mythologie Ouverte aux divinités extérieures, nous le disions, Rome rencontre la Grèce, d’abord par les Etrusques, puis directement. Dans l’ivresse de la découverte des dieux grecs, on procède à des assimilations bien connues et qu’on trouve encore, nous le disions, dans le manuel de Hatier édition 2004. Rappelons par exemple : Zeus = Jupiter ; Hèra = Junon ; Aphrodite = Vénus ; Athéna = Minerve ; Déméter = Cérès... Mais très vite c'est la confusion y compris pour les esprits cultivés. Même les dieux principaux ont changé: on ne parle plus guère de Quirinus et la nouvelle "triade capitoline" c’est : JUPITER - JUNON - MINERVE. Surtout, c’est le comportement attribué aux dieux par la mythologie qui choque les Romains, à tous les niveaux de la société. Lisons toujours DUMEZIL : Que de contradictions ! Alors que Jupiter continuait de prouver magnifiquement sa puissance et sa fidélité (...) les innombrables fables, souvent scandaleuses, qui couraient sur son double grec pénétraient à Rome avec la littérature, et la plèbe s'amusait de la besogne soignée et prolongée qu'il menait à bien chez le général AMPHITRYON8. ¾ Même si elle peut pour une part, à Rome aussi, relever du "muthos" (le mythe qui contribue à faire comprendre la nature du dieu, dans les hymnes homériques par exemple), quand on parle de religion à Rome, il convient plutôt d’abord de tenir très 7 8 Cf dictionnaire de Gaffiot, Hachette 2000, p. 444 O.c. p. 107 _______________ Document issu du site © www.enseignement-et-religions.org – 2010 3/4 fermement à distance la mythologie et les aventures des dieux qu’il faut laisser… aux Grecs ! Remarques pour les élèves aujourd’hui : Pour progresser dans la connaissance de la mythologie: rien ne vaut ... un bon dictionnaire de la mythologie et une fréquentation régulière, mais tel n’est pas le but du cours d’histoire de 6ème. Attention donc à ne pas se laisser emporter par le désir de plaire aux élèves qui, à cet âge, aiment bien qu’on leur raconte des histoires. L’intérêt de la mythologie - n'est donc pas directement religieux mais : - littéraire et artistique... vu le nombre d’œuvres (théâtre, poésie, opéra) de peintures, de sculptures... qui y font référence et ne se comprennent pas si on l’ignore. - humain : si, en un sens, elle ne parle pas vraiment ou pas correctement des dieux, la mythologie est une fantastique exploration de l’homme... où les sciences humaines d'aujourd'hui n'ont pas encore fini de puiser (Cf. par exemple Freud et Oedipe). Les élèves, même en 6ème, peuvent commencer à prendre conscience de cela, mais c’est peut-être plutôt le rôle des professeurs de lettres et d’arts. B) Un culte quasi inassimilable : CYBELE On peut ranger parmi les facteurs de décomposition de la religion romaine traditionnelle l’arrivée à Rome du culte de Cybèle. Dès -205 elle vient de PESSINONTE (Anatolie) près de Troie pour des raisons politiques. Le mythe : ATTIS, jeune, beau berger inspire de l’amour à CYBELE, la Magna mater, grande mère (des dieux). Le roi veut marier Attis à une de ses filles. Cybèle intervient, inspire sa frénésie caractéristique... Attis s'émascule sous un pin et en meurt. Cybèle obtient que cette mort ne soit ni totale, ni définitive. Il y a une sorte de "résurrection", l’union pourra avoir lieu. Cybèle est la terre nourricière (et non pas la végétation) ; Attis incarne les cycles de la nature. D'où un culte très choquant pour Rome : danses frénétiques, eunuques... des éléments contraires au "mos majorum9" : l’effort d’assimilation à DEMETER-CERES ne pouvait qu’échouer. 9 mos majorum = notion essentielle à Rome : habitudes, ensemble des traditions qui viennent des anciens et qui constituent le fond de la loi morale des Romains). Autre appellation : antiqui mores _______________ Document issu du site © www.enseignement-et-religions.org – 2010 4/4