Les nombreuses vies de Harry Potter

Transcription

Les nombreuses vies de Harry Potter
Chapitre un
BALAIS volants ET CHAPEAUX POINTUS
Biographie d’un orphelin
presque ordinaire,
avec des considérations
sur la magie & son apprentissage,
ses écoles & son histoire
É
voquant la période florissante des récits de merveilleux pour
la jeunesse qui s’était déroulée durant l’ère victorienne et
édouardienne, le critique Humphrey Carpenter écrivait en
1985 que les « Âges d’or ne peuvent être identifiés que rétrospectivement, lorsqu’ils paraissent être finis ». Il nous semble
pourtant qu’un tel Âge d’or peut d’ores et déjà être identifié, de
manière contemporaine : le nôtre. Et ce phénomène constitue
certainement un double miracle : tout d’abord, qu’une vogue
massive pour des livres ait lieu actuellement, alors que la lecture
n’a jamais été aussi mal en point depuis les débuts de l’édition
industrielle ; ensuite, qu’un renouveau aussi formidable du merveilleux pour la jeunesse s’effectue en plein âge numérique.
Le merveilleux, de nos jours étiquetté du néologisme américain fantasy, a
envahi les tables et les étagères des librairies, au rayon « jeunesse », au point
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que l’on peut avoir du mal à s’y retrouver, entre les productions cyniquement
commerciales créées à grand renfort de marketing — à défaut d’imagination
—, les ouvrages de commande et d’opportunité, et les authentiques œuvres
biographiques sur des événements magiques — ce sont les plus rares. Il
s’agit là d’une plaie habituelle de la course éditoriale — la même qui, au prétexte que les « mangas » japonais constituent pour l’Occident un nouveau et
passionnant domaine culturel à explorer, ensevelit maintenant les librairies
sous une centaine de nouveaux titres par mois !
Cependant, il existe de nombreux bienfaits à cette surabondance : notamment, quelques textes magiques classiques qui n’avaient pas eu l’heur d’une
traduction française, ou qui étaient restés méconnus, refont enfin surface.
C’est particulièrement le cas du « cycle de Narnia » que chroniqua C. S.
Lewis ou du Vent dans les saules tel que donné par Kenneth Grahame, chefd’œuvres encore récemment négligés sur nos rivages et faisant désormais
l’objet de belles éditions. Tom et le jardin de minuit de Philippa Pearce se
trouve aisément, deux volumes d’Edith Nesbit ont été traduits…
Cependant, d’autres œuvres majeures demeurent encore inédites chez
nous, et nous le regrettons : des travaux best-seller de Susan Cooper, « The
Dark is Rising », n’a jamais été traduit qu’un seul tome, L’Enfant contre la
nuit, en 1978 !1 De même, seul le premier voyage de Dorothy dans le pays
d’Oz est disponible dans nos librairies, et tout bonnement aucun titre de
certains fondateurs du genre, tels George MacDonald ou Edward Eager…
Plutôt que de seulement se précipiter pour acquérir la dernière licence américaine préfabriquée, nos éditeurs feraient bien de fouiller dans le riche passé
de la fantasy pour la jeunesse, aussi.
Âge d’or en tout cas. Et de cette ère fertile, il est aisé de désigner les événements essentiels : deux séries de romans pour la jeunesse, venant couronner
une fertile période, enflammèrent à la même époque les imaginations — juvéniles au départ, avant de contaminer aussi le lectorat adulte. Tout d’abord,
le cycle « À la croisée des mondes » de Philip Pullman, qui débuta avec Les
Royaumes du Nord (Northern Lights, 1995). Puis, bien entendu… le cycle
« Harry Potter » de J. K. Rowling, qui pour sa part débuta avec Harry Potter
à l’école des sorciers (Harry Potter and the Philosopher’s Stone, 1997), soit
deux ans plus tard.
Nous n’évoquerons pas en ces pages le premier cycle : outre qu’il a déjà
1 À quelque chose malheur est bon : une réédition a tout de même été effectuée en
2007 chez « Folio Junior», sous le titre À l’assaut des ténèbres, suite à la sortie sur les
grands écrans d’un mauvais film l’adaptant, Les Portes du Temps.
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Le jeune
Harry
Potter,
vu par le
dessinateur
argentin
Fernando
Calvi.
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été commenté de manière aussi docte qu’abondante, le travail de Pullman
nous révèle un monde parallèle, tandis que nous avons à cœur d’évoquer au
contraire notre monde, cette Terre contemporaine sur laquelle nous évoluons
au quotidien — et d’en faire découvrir, en parallèle du destin exemplaire de
Harry Potter et de ses camarades, les dessous magiques, les jardins secrets et
les passages vers le merveilleux.
Car s’il y a une chose que nous enseignent les biographies du petit Potter
par J. K. Rowling, c’est comment, sous la surface apparemment ordinaire de
notre monde, se cachent un grand nombre de mystères, de sociétés secrètes,
de créatures cachées et de pouvoirs étranges.
On l’avait su, autrefois : mythologies et folklores sont emplis de ces savoirs, mais ils avaient perdu de leur force de vérité en devenant juste des
légendes et des contes de fées et, dans le domaine littéraire, le merveilleux
semblait avoir grandement quitté la vie de tous les jours pour s’envoler vers
d’autres univers — selon un mouvement initié par J.R.R. Tolkien et son ami
C. S. Lewis. Pourtant, notre monde n’a jamais cessé d’être enchanté.
Aujourd’hui, la magie est de retour
sur le devant de la scène. Par moments,
on a même l’impression qu’on ne parle
plus que de cela : « Envoûtement garanti », proclamait une affiche géante sur le
pilier central de la Maison de la Radio,
publicité pour la saison 09-10 de l’orchestre de Radio France — et les chefs
d’orchestre d’agiter leurs baguettes !
Le succès mondial et sans précédent
des comptes-rendus sur la jeunesse de
Harry Potter nous a montré que l’on
peut encore mettre à découvert l’enchantement du monde. Nous allons
donc nous attacher à retracer le parcours d’un jeune homme en apparence
très ordinaire — et, avec lui, avant lui,
même, à révéler tout un pan de la réalité
qui, en particulier depuis la persécution
des sorcières du début du XVe siècle,
avait été peu à peu occulté. Car le principe de notre collection est d’établir des
biographies de héros célèbres de l’ima-
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ginaire populaire, par l’examen attentif des indices biographiques semés
dans les textes, ainsi que du contexte historique et culturel, afin d’en déduire
les faits romancés sous la plume du biographe officiel. Ce faisant, nous pratiquons une sorte d’étude depuis l’intérieur de l’œuvre même. En clair : en restant au plus près des textes originaux, par un minutieux travail de relecture
et de recoupements, il est possible de reconstituer toute l’existence d’Arsène
Lupin, de Sherlock Holmes, de James Bond, de Conan… ou de Harry Potter,
pour ne citer que ces cinq-là, si dissemblables pourtant dans la manière dont
ils s’incarnent au sein de la fiction. En ouvrant grande la porte de leur univers, on peut les appréhender en tant qu’individus historiques, autonomes,
liés aux événements et aux personnages du quotidien — ainsi que, dans le
cas du jeune Harry, au vaste univers des mœurs féeriques et sorcières, ainsi
qu’à la longue tradition des apprentissages adolescents de la magie, depuis le
gamin qui devint le roi Arthur jusqu’à nos jours.
Et les détracteurs de J. K. Rowling peuvent bien l’accuser de ne pratiquer
qu’une caricature du réel ; en réalité ce qui les agacent tant, c’est qu’un cycle
comme celui consacré à la vie de Harry Potter contredit justement les préjugés anti-fantasy qui voudraient qu’il ne s’agisse que d’une littérature de pure
évasion. En replaçant la magie au centre du réel, en affirmant haut et fort
que l’on peut (que l’on doit) réenchanter ce dernier, Rowling entérine ce que
nombre d’écrivains avant elle — Roald Dahl, Susan Cooper, Jill Murphy,
Jane Yolen, Neil Gaiman, Terry Pratchett et tant d’autres — avaient déjà
démontré : la fantasy peut aussi aborder avec pertinence le quotidien.
Un gouvernement qui ment à ses citoyens, des ministres en collusion avec
les pires des crapules, une journaliste traînant des réputations dans la boue
pour le seul chiffre de tirage de son magazine, de bons bourgeois qui martyrisent un enfant au nom d’une certaine bienséance, des citoyens fortunés et
respectés qui se cagoulent pour les cérémonies d’une secte raciste, un simple
jeu où l’on poursuit une balle soudain érigé en enjeu majeur d’une société…
S’agit-il là des gros titres des journaux d’hier, ou bien des grandes lignes
d’un article sur l’histoire du XXe siècle ?
Non point : ce sont là quelques éléments d’une série de livres pour la
jeunesse.
Et plus précisément, d’une série de sept volumes, rédigés par Rowling —
qui ont littéralement bouleversé le monde des livres.
Sept « biographies magiques » dont les deux premières se présentaient de
manière très classique, en ton comme en nombre de pages, mais qui à partir du troisième volume ont commencé à s’assombrir sensiblement (jusqu’à
mettre en scène un assassinat en fin de tome 4 et la mort d’un personnage
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important en fin de tome 5), et à enfler considérablement, jusqu’à devenir
que colossaux pavés.
Et les enfants de quand même lire cela, laissant bouche bée des adultes
qui nous répétaient depuis des années que les livres pour la jeunesse devaient
être courts ! Mais les enfants font mieux que les lire : ils les dévorent, et les
relisent, et les relisent encore. Et lesdits adultes de leur emboîter le pas, et
de s’étonner (parfois) du plaisir qu’ils y trouvent. Celui d’une redécouverte
majeure : le merveilleux.
Photo Nicolas Le Breton.
André-François Ruaud, mai 2009.
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Illustration de Sébastien Hayez.
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Avant-propos :
de l’œuvre de J. K. Rowling
& des problèmes posés par sa traduction
Dans le plus récent de ses recueils d’essais sur la littérature enfantine, Il
était une fois et pour toujours (Boys and Girls Forever, 2003), Alison Lurie
consacre un chapitre fort laudateur au cycle « Harry Potter », en évoquant
les « périls » de cette série — mais il en est un qu’elle n’aborde pas, et auquel
on ne pense apparemment qu’assez rarement : celui de la traduction de l’anglais au français.
En effet, le problème se pose à nous d’avoir comme source la plus imposante et la plus célèbre d’informations sur l’univers sorcier… des ouvrages
en langue anglaise. Car de ce fait, une majorité de nos lecteurs sera familier
de la version française (publiée aux éditions Gallimard, dans la traduction
de Jean-François Ménard), tandis que, soucieux de puiser directement à la
source, nous n’avons bien entendu travaillé que sur les textes originaux. Et
si le travail d’adaptation pratiqué pour le passage au français est nettement
moins radical et paradoxal pour les années scolaires de Harry Potter que
celui autrefois appliqué aux enquêtes du Club des Cinq d’Enid Blyton, par
exemple, il n’en reste pas moins fort conséquent, donc problématique pour
notre étude.
Dans le cas des récits de Blyton, la traductrice était tellement désireuse de
fournir aux jeunes lecteurs un cadre et des références familières qu’elle ne
traduisit pas simplement le texte — elle le transposa dans un environnement
français. Ainsi, les « Famous Five » bien britanniques devinrent-ils le « Club
de Cinq » bien français que nous connaissons désormais : les cinq enfants,
Julian, Dick, Ann et George Kirrin, se transformèrent en François, Michel et
Annie Gauthier, et Claude Dorsel. Les aventures passèrent de la Cornouailles
à la Bretagne, et aux scones et muffins succédèrent tartines beurrées et brioches. Concernant les J. K. Rowling, confronté à des textes aussi profondément ancrés dans la tradition britannique des récits d’école et des contes
fantastiques, le traducteur effectua lui aussi des choix linguistiques et culturels. Le nom de l’école, Hogwarts, devint Poudlard. Le Sorting Hat devint le
Choixpeau. Les Muggles devinrent des moldus. Et ainsi de suite.
Fallait-il, alors, que dans la présente étude nous fassions usage des noms
ainsi adaptés ? Nous avons jugé cela impraticable car, pour être agréable à la
lecture de divertissement, de telles torsions appliquées à la source ne peuvent
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qu’être néfastes au sérieux d’une recherche. Le travail d’un « Bibliothèque
rouge » consiste à étudier à la loupe les détails fournis par un texte, or
l’adaptation française des J. K. Rowling souffre, comme toute traduction,
du gommage de diverses nuances. Plus grave, quelques passages ont tout
bonnement disparu lors du passage au français. Enfin, la traduction/adaptation des noms n’a pas été systématique ni logiquement effectuée.
Par exemple, Fudge, Scrimgeour ou Slughorn ne bougent pas. À l’inverse,
le nom d’un sort peut changer (par exemple, Fidelius devient Fidelitas). Un
nom est curieusement passé du français d’origine à un nouvel anglais (Pomfrey
devenue Pomfresh). Un unique nom de lieu a été transformé (Grimmauld
Place devient Square Grimmaurd). Une créature célèbre du folklore a vu
son nom réinventé (les Redcaps deviennent des Chaporouges). Et l’odieuse
chatte du non moins désagréable concierge de l’école perd complètement
sa référence à l’œuvre de Jane Austen — ce qui est assurément dommage,
puisque cela nous prive d’une étincelle de poésie dans la figure par ailleurs
sombre de ce pauvre homme (Mrs Norris devient Miss Teigne).
Bref, et sans même parler des questions de copyright des éditions Gallimard
sur l’ensemble de ces créations, il nous a paru impossible de faire référence à
autre chose que les noms d’origine, ceux donnés par J. K. Rowling dans son
texte original. Et ce, même pour le néologisme « moldu » (pour Muggles),
qui tend actuellement déjà à passer dans le langage courant mais pose un
autre problème. Donné par Rowling comme l’universelle désignation des
non-sorciers par les sorciers, nous soupçonnons que « Muggles » n’est qu’un
terme d’usage limité, dans le temps et peut-être dans l’espace : il s’agirait
peut-être d’un mot de l’argot actuel des sorciers de l’archipel britannique.
En d’autres lieux et en d’autres temps, ce terme n’était pas d’usage. Dans la
mesure du possible, nous avons donc opté pour la formule plus neutre et internationale de « non-sorciers », et quelques autres tournures équivalentes.
On trouvera ci-contre un tableau d’équivalence entre l’anglais de J. K.
Rowling et les principaux termes adaptés en français par Jean-François
Ménard, pour que nos lecteurs ne se sentent pas trop perdus.
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