De l`illustration du texte pour enfants au texte de l`illustration
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De l`illustration du texte pour enfants au texte de l`illustration
De l’illustration du texte pour enfants au texte de l’illustration : analyse, enquête et perspectives Chercheur associé au centre "Textes francophones" de Cergy-Pontoise, Amakoé Jean-Rémy d’ALMEIDA propose ici une analyse réalisée dans une classe en France. L’axe de recherche de ce chercheur est le rapport de l’enfant à l’illustration (capacité de l’enfant à lire et comprendre des images sans le texte d’accompagnement et la possibilité de reconstituer l’histoire). Dans cet article il ne s’agit pas de soutenir la thèse de la nécessité de l’apprentissage des codes, mais plutôt de la conciliation de ce souci avec la possibilité laissée aux enfants de développer leur propre imaginaire. Courant 2006 M. D’Almeida a démarré un séjour de recherche au Québec, après l’obtention d’une bourse dans le cadre de l’UQAM. A l’heure où se déploient sur le continent africain des mécanismes de promotion de la littérature enfantine tant à travers des colloques que des ateliers d’écriture , il ne serait jamais vain de s’interroger sur l’objet culturel qu’ est le livre pour enfants .En tant qu’outil d’instruction et de divertissement en même temps, il suscite, surtout dans le contexte africain, des questions qui tournent autour de sa conception, de son élaboration et de sa finalité, laquelle reste sujette aux motivations voire aux aspirations du vrai destinataire qu’est l’enfant. Nous proposons de porter la réflexion sur un aspect fondamental du matériau qu’est le livre, à savoir le poids de l’illustration dans l’imaginaire de l’enfant, d’où le titre : « De l’illustration du texte pour enfants au texte de l’illustration ». L’intitulé ainsi libellé renvoie l’analyse à deux considérations majeures : d’abord soumettre l’intelligence et le raisonnement de l’enfant à la succession des images censées raconter une histoire (sa capacité à reconstituer une histoire en images amputée du texte d’accompagnement ), ensuite (et ce sera l’aspect le plus intéressant), rapprocher la production de l’enfant obtenue à partir de la lecture des images du texte de celle de l’auteur en vue de mesurer le degré de fidélité et la distance prise en fonction des espaces d’imagination développées . Pour ce faire, le choix s’est porté sur un conte illustré, La chèvre vaniteuse [1] de la Togolaise Ernestine Gbonfou et qui a obtenu en 1992 le 2ème prix du concours de la littérature africaine pour enfants organisé par l’Agence intergouvernementale de la francophonie. Le choix peut paraître arbitraire face aux nombreuses productions à partir desquelles cette étude peut être faite ; toutefois, au regard des titres dont nous disposons, celui retenu présente quelques avantages, notamment dans le traitement des images opéré par l’illustrateur. Bref, nous pensons que l’analyse ne s’en trouverait pas diminuée d’autant plus qu’elle procède de la même logique qui sous- tend l’illustration des textes. Nous avons à dessein supprimé le texte pour ne proposer aux enfants que les dessins ou images sur la base desquels un questionnaire (voir annexe) a été élaboré pour favoriser la reconstitution de l’histoire. L’enquête a été menée dans trois pays, le Togo, le Gabon, et la France, ce qui nous a permis de disposer au total de 86 copies d’enfants dont la moyenne d’âge est 12 ans. Nous nous servirons beaucoup des travaux du pédagogue Bruno Duborgel dans son livre Imaginaire et pédagogie [2] », lequel a surtout exploré l’univers de l’imaginaire de l’enfant dans le cadre structurel qu’est l’école. A la lumière de l’enquête menée auprès des enfants, notre réflexion évoluera autour de trois grands axes : à savoir la place de l’image dans la production enfantine ; ensuite vers une meilleure exploitation de l’image ; enfin la gestion pédagogique de l’image. I/ Quelle place pour l’image dans la production enfantine ? a) Définition de l’image D’ après Le Petit Larousse Illustré 2007, l’image est « la représentation imprimée d’un sujet quelconque » ; on peut y voir alors un simple signe visuel dans lequel nous reconnaissons non pas la réalité, mais une imitation de la réalité. Ainsi définie, l’image s’inscrit alors dans un rapport de substitution et de complémentarité. Il s’agit de mieux appréhender la réalité à travers la reproduction faite tout en gardant à l’esprit ses limites. Partant de là, les illustrateurs de récits pour enfants se retrouvent en position très délicate parce que non seulement leurs productions doivent être empreintes d’une bonne dose de fidélité par rapport à l’histoire, mais en plus présenter une qualité minimale pour être mieux comprises. L’image dont il sera question ici désigne les illustrations ou dessins qui accompagnent le texte et qui s’offrent aussi à une lecture car, comme le fait remarquer Liliane Hamm, « ...lire, c’est aussi représenter des signes, faire des hypothèses et en fin de compte détecter le sens d’un message, qu’il soit linguistique, iconique ou sonore. » [3] Cette expression « lecture d’images », surprenante à priori car évoquant deux systèmes de communication plus ou moins distincts, est justement exploitée dans le cadre de travaux de recherche comme le témoigne le mémoire de C.A.P.S.A.I.S. de Claude Palandri qui a pour titre : « La lecture d’images, une aide pour l’enfant en difficulté ? » [4] La lecture d’images proposée aux enfants suppose préalablement l’appropriation par ceux-ci d’un certain nombre de dispositions comme la maîtrise de la syntaxe du langage iconique par exemple que nous aborderons dans la deuxième partie. La forte présence de l’image dans l’environnement immédiat de l’enfant nous fait penser et remonter à « L’imagier du Père Castor », véritable icône de référence en matière d’albums pour enfants. On peut toutefois noter que le mot « imagier » [5] (malgré sa popularisation, désignant de nos jours tout recueil d’images plastiques destinées aux enfants dès l’âge de dix-huit mois), reste avant tout un label de son inventeur Paul Faucher qui a su développer ses aspects les plus marquants dans le domaine du livre pour enfants. Cette rapide approche sémantique du mot image nous permet d’aborder maintenant son intérêt dans la production. b) L’intérêt de l’image dans la production L‘intérêt de l’image ou de l’illustration réside d’abord et avant tout dans le plaisir qu’éprouve tout enfant et particulièrement l’enfant africain dans son contact avec le livre. L’enfant est en quête permanente de références à cause justement de son âge : « Entre le monde et l’enfant, l’adulte, le livre et les images sont médiateurs. La mère ou la maîtresse, tient sur elle l’enfant, assis sur ses genoux ; de sa main gauche, elle le soutient par le thorax ; dans sa main droite ouverte, elle tient le livre ouvert, c’est-à-dire le « monde ». L’enfant, dont la position des deux index montre qu’il a saisi la relation objet-image, monde-livre, regarde sa mère ou sa maîtresse, lui offre sa découverte. L’éducateur et l’enfant, l’adulte et l’enfant, communiquent par une référence commune à une même distribution des rapports monde-livre, image-objets. L’enfant retrouve, exprime, redonne à l’éducateur ce que celui-ci lui a donné par la situation même dans laquelle il a placé l’enfant." [6] L’image reste fortement chargée pour l’enfant qui découvre la qualité et la valeur des lignes à travers l’objet représenté .Sa réaction ou l’expression du visage ou du corps qu’il manifeste révèle à l’éducateur le degré de compréhension résultant de la lecture de l’image. Le monde de l’enfant reste avant tout celui du rêve, et quoi de plus normal de développer alors son imagination à travers les illustrations dont la finalité première est de l’intéresser, de lui permettre une lecture plaisante et agréable. La puissance affective de l’image est un élément essentiel de motivation. L’exemple de la couverture du conte que nous analysons reste évocateur. Nous retrouvons le roi lion en gros plan assis sur son trône tenant dans sa main droite son sceptre avec en face la panthère et la petite chèvre. Quelles vagues d’imagination peut bien soulever une telle image dans la pensée des lecteurs-enfants ? Le titre reste une piste sérieuse dans l’approche du texte que les petits lecteurs ont perdu de vue ou négligé dans le travail du questionnaire sur lequel nous reviendrons La dimension des animaux anthropomorphisés, doublée du décor (savane/ forêt) très évocateur car prenant le contre pied de leur cadre de vie habituel, reste très déterminante pour la construction de l’homme en devenir. Le contexte culturel est aussi indissociable d’un travail sur l’image et « le but pédagogique est de montrer aux enfants que toute image s’inscrit dans un contexte culturel donné et n’a de sens que par rapport à lui. » [7] Dans ce cas précis, l’on peut reconnaître les différents effets que peut provoquer l’évocation des noms d’animaux comme le loup, le renard ou le lièvre selon que l’on soit en Europe ou en Afrique. Le monde animalier (animaux sauvages), représenté à travers les images, offre l’opportunité à l’enfant de se plonger dans un univers à priori hostile ou traduisant une certaine peur, mais qui force en même temps l’admiration. Voir tous les animaux réunis sous la conduite éclairée d’un lion par exemple, n’est-ce pas une image métaphorique de la réalité que l’enfant vit autour de lui ? « La force, la brutalité et la férocité qui caractérisent les êtres qui composent ce monde, poussent l’enfant à vouloir s’y soustraire ; mais en même temps il savoure une sorte de revanche en se comparant volontiers à un lièvre ou à une torture dont l’agilité, l’habileté prennent toujours le dessus sur la logique de la terreur. » [8] Le souci constant des auteurs et illustrateurs de présenter aux enfants deux systèmes de communication, le verbal et l’iconique répond bel et bien à un besoin pédagogique qui participe de la maturation de l’enfant .Le goût prononcé des enfants pour les images crée des opportunités d’activités exploitées dans le cadre d’autres travaux de recherches et nous réaffirmons la nécessité d’œuvrer en ce sens, car « permettre aux enfants d’exprimer leur affectivité et leur rapport au monde, en utilisant les images, c’est ouvrir la voie à une pédagogie où l’imaginaire peut enfin se dire, se communiquer et se maîtriser. » [9] Et c’est parce que l’image reste prépondérante pour l’enfant qu’il faut réfléchir à en faire une lecture rationnelle. c) Vers une lecture rationnelle des images Parler de rationalité à propos des images revient à s’intéresser à la logique qui les gouverne et qui permet la production de sens. Le Petit Robert 2004 définit l’adjectif « rationnel » comme suit : « qui appartient à la raison et non de l’expérience ; conforme à la raison, au bon sens... ; organisé avec méthode ». Pour l’illustrateur tout comme pour l’enfant, la raison ou la logique reste essentielle dans leur rapport respectif avec l’image. L’illustrateur devra se soumettre aux exigences de l’art (de la technique) pour accoucher d’abord des images représentatives de la pensée, les disposer ensuite d’une façon « rationnelle » pour qu’elles produisent et même plus l’effet de l’écrit. L’enfant, sans trop se poser des questions, saute sur des images qui lui renvoient des messages qu’il s’approprie et qu’il transforme en sa propre histoire .Ne nous arrive-t-il pas d’être surpris, étonnés par le récit que nous font nos enfants à partir des dessins ou images extraits d’albums et autres bouquins qu’ils sont en train de lire ? Ils le font avec un certain plaisir parce qu’ils se découvrent soudain co-auteurs ou auteurs tout court car après tout c’est « leur » histoire qu’ils racontent, heureux de se savoir utiles aux côtés de l’adulte à qui ils révèlent la richesse de leur intelligence. Cette rationalité passe donc par une fonctionnalité des images repérables à travers l’action qui se crée. A ce titre, il est loisible d’affirmer que les images, dessins ou illustrations dans le cadre des récits (contes) respectent aussi le schéma narratif. Nous allons prendre les images du conte La chèvre vaniteuse qui sont au nombre de 24. [10] Le texte accompagné des images propose une histoire fort plaisante de même que les images sans le texte. La disposition des images laisse apparaître une logique saisissable par l’enfant. Le découpage par séquences ou étapes, lorsqu’il obéit à une logique graphique, permet alors à l’image de rendre compte du mouvement, du déplacement dans l’espace et par conséquent, dote celle-ci d’une dimension temporelle qui lui manquait. Les trois premières images sont stables et présentent le lion assis sur son trône entouré d’autres animaux comme la girafe, l’éléphant, la panthère, le lièvre etc. Cette stabilité peut être assimilée à la situation initiale. Les quatre images suivantes qui laissent voir un déplacement dans l’espace de la panthère suggèrent un mouvement qui fait progresser l’action. C’est l’intervention de l’élément modificateur qui provoque les péripéties. Le manque qui se traduit par la solitude du lion doit être comblé d’où le départ de la panthère. La panthère se rapproche d’un village où l’on voit des chèvres rassemblées ; lorsqu’elle se fait remarquer, c’est la débandade à l’exception d’une qui deviendra « la chèvre vaniteuse ».La panthère la prit sur son dos et détala pour revenir en toute hâte auprès du roi lion dans les images 13 et 14. A ce niveau, il faut souligner la confusion dans l’esprit des élèves à propos des images 14 et celle de la couverture qui n’en constituent qu’une et une seule. Cette confusion, déplorable parce qu’ayant éloigné certaines productions d’élèves de celle de l’auteur, garde néanmoins un intérêt, celui de voir l’imagination prendre d’autres tournures. A preuve, ces deux débuts de textes d’élèves obtenus après la reconstitution : « Il était une fois un roi qui s’appelait « le roi lion ».Il voulait comme successeur une chèvre qu’on lui avait présentée .Il sentait sa mort qui arrivait. Cette chèvre avait rejoint les autres bêtes. Après quelques instants, le roi « lion » envoya la panthère aller ramener la chèvre... » « Une petite chèvre et une panthère voulant prendre la place du roi, proposent au roi que la petite chèvre devienne sa femme. Le roi lion convoqua les animaux de la forêt et demanda leur avis. La chèvre partit chez elle. » Ces deux débuts d’histoire remettent en jeu d’autres scénarios comme la crise de succession ou l’intrigue du complot qui sont loin de l’intrigue de l’auteur qui est de combler un manque, celui de trouver une femme au roi lion resté trop longtemps veuf. Bref, ceci n’est qu’un aspect de la force de suggestion de l’illustration dans l’imaginaire de l’enfant. Pour revenir à la succession des images, les images 15 et 16 montrent la petite chèvre couronnée, assise à la droite du lion. Le lecteur, sans se référer au texte, déduit un rapprochement (plutôt nuptial que constitutionnel) entre le roi et la chèvre. Les images 17 et 18 présentent la petite chèvre, bien sécurisée, exerçant les prérogatives de reine et l’image 19 est celle d’un mouvement (un cortège funèbre) en direction du cimetière avec deux animaux transportant un cercueil suivi par les autres. Qui serait mort et qui ferait déplacer toute la gent animale avec, en plus, l’absence remarquée du roi lion si ce n’est lui- même ? Les dernières images 20 à 24 zooment sur la petite chèvre détrônée poursuivie par la panthère en fuite vers son village qu’elle atteint finalement dans la joie des retrouvailles avec siennes. Fort de ce qui précède, nous reconnaissons une valeur propre intrinsèque aux images qui fonctionnent comme des signes linguistiques. L’image, après avoir conquis les moyens de son autonomie, est devenue depuis quelques années une écriture alternative. Elle n’illustre plus le texte, elle le précède ou même parfois le remplace. D’où la nécessité de l’intégrer de façon judicieuse dans les travaux d’éveil organisés sur la base des contenus des programmes officiels. Aussi nous paraît-il judicieux d’ouvrir une réflexion sur une meilleure exploitation de l’image. II/ Pour une meilleure exploitation de l’image Nous avons affirmé que l’image fonctionne comme un signe linguistique en tentant la corrélation entre le mot et la chose qu’il désigne, entre le signifiant et le signifié. L’image place l’enfant en situation de communication, entre le « penser » et le « dire », « entre l’observer et l’identifier », d’où l’intérêt que nous accordons à cette pédagogie de l’image qui sera abordée dans la troisième partie. L’image, le dessin ou l’illustration provoque une réaction de la part de l’enfant qui affecte un mot à l’objet qu’il voit, lequel mot s’introduit dans un discours et qui finalement débouche sur une histoire : « L’image « sert » à illustrer ; l’ « illustration » motive le désir de dire, agrémente le « texte », est support pour la photographie visuelle du mot, aide pour le déchiffrage, motivation pour l’enrichissement du lexique. Autant de fonctions de l’image dans la perspective du pré-apprentissage, dont l’imagier donne le coup d’envoi. » [11] L’image, pour qu’elle joue pleinement son rôle d’éveil, doit être bien présentée, saisissable par le lecteur-enfant, et ne doit guère entretenir l’ambiguïté. a) La portée esthétique de l’ image La disposition des illustrations dans l’œuvre d’étude à savoir La chèvre vaniteuse permet de constater une proportion ou une disposition presque égale dans la page entre le texte et l’image. Contrairement à d’autres œuvres où c’est le texte qui est mis en exergue, (peut-être que dans ce cas l’intérêt ou l’attention de l’enfant est plus dirigé vers le texte que sur l’image), ici c’est plutôt l’image qui précède le texte, comme si c’est le texte qui viendrait expliquer ou compléter l’image ; ainsi le regard de l’enfant est prioritairement porté vers elle. La délicatesse, la prudence et le soin qui sont recommandés en matière de pédagogie auprès des enfants impose le plus souvent aux adultes certaines contraintes. La charge émotionnelle, affective que dégage l’image chez l’enfant exige alors une certaine rigueur dans son élaboration. L’illustrateur dont la compétence ne doit souffrir d’aucun doute est amené à offrir une image qui tient compte de la vérité dans les formes, de l’harmonie des couleurs et des lignes indispensables à la nette identification de l’objet par l’enfant. La moindre confusion ou négligence crée une attitude de rejet ou de réserve préjudiciable à la démarche pédagogique en cours. De la même manière, une bonne et belle image, malgré toute sa netteté, peut ne pas être saisie par l’enfant à cause d’un manque d’informations ou d’une confusion vite faite. Nous pouvons prendre l’exemple de la première question qui demande aux enfants de nommer les animaux qu’ils observent sur l’image de la couverture. La réponse attendue est le lion, la panthère et la chèvre. Sur l’ensemble des copies, presque une douzaine ont confondu la panthère avec le tigre, le guépard, et le léopard. Une telle réponse, fausse pédagogiquement, demeure une occasion que peut saisir l’enseignant ou l’adulte pour éclairer ces enfants sur les différences apparentes de ces bêtes qui appartiennent toutes à la race des félins. L’esthétique de l’image ne se limite pas uniquement à sa beauté (plastique), mais elle peut aussi s’étendre à son contenu, c’est-à-dire au sens qu’elle produit grâce aux faits et gestes décelables ou détectables dans la disposition de l’image. A titre d’exemple, l’image 4 du questionnaire traduit bien cette nécessité de réussir tant dans la forme que dans le fond l’outil d’accompagnement du texte qu’est l’illustration. S’agissant de cette image la question suivante a été posée : « Quel est d’après vous l’animal qui serait en train de s’adresser au lion ? » Le souci que nous nous faisions à propos de la réponse fut vite balayé par le taux de bonnes réponses obtenues à savoir presque 95 %. Pour mieux saisir les raisons d’un tel succès, il suffit de se reporter à l’image précédente qui présente l’éléphant pratiquement en retrait occupant à peu près 1/12 sur l’échelle des grandeurs. L’image 4 offre une proportion beaucoup plus grande du pachyderme 3/12 avec un geste (mouvement) très significatif à savoir la levée de ses deux pattes antérieures et la tête bien tournée vers le lion. De tels indices suffisent à établir un fil conducteur dans la pensée de l’enfant, qui au fil des images, perçoit ou saisit la progression des étapes devant aboutir à la reconstitution totale de l’histoire. Ce faisant, l’image, à l’instar du texte, forge aussi l’esprit de raisonnement, de logique, d’éveil, d’analyse de l’enfant sur la base de ce que ses yeux lui permettent de découvrir, d’observer, et de ce que son intelligence construit au fur et à mesure. Le réalisme cultivé à dessein (pourrait-il en être autrement ?) dans les images, même s’il tend aussi vers une forme de diktat de la pensée à cause de la soumission aux règles conventionnelles de la ressemblance, développe, tout au moins chez l’enfant, le goût de l’imitation (8-10ans) qui progressivement va céder la place à un esprit d’innovation, d’audace et pourquoi pas de création (1216ans) : « Il est d’ailleurs remarquable que, s’agissant des enfants très jeunes, on justifie la nécessité d’images simples, réalistes et spontanément lisibles en référence aux limites des capacités perspectives enfantines, et que, s’agissant ensuite de l’enfant plus grand, on justifie la même nécessité en référence aux nouveaux « besoins » et préférences psychologiques de ce dernier » [12] Dans tous les cas, l’image est devenue un auxiliaire incontournable dans les phases de préapprentissage et peut devenir aliénante au moment d’accéder à l’âge des textes, d’où l’intérêt pour l’enfant avec l’aide de l’adulte de bien gérer ces premières approches. b) De la nécessité de l’apprentissage des codes. L’apprentissage des codes incombe aussi bien à l’enfant qu’à l’adulte. Apprendre les codes revient à reconnaître implicitement l’existence d’un système de symboles ou de signes destinés à représenter et à transmettre une information. L’image ou l’illustration livrée codée est appelée à être décodée avec les outils de lecture que l’enfant acquiert au fil des ans et ceci grâce au soutien de l’adulte. Tout part du gribouillis qui représente le baba du dessin d’enfant. Celui-ci découvre ainsi les premiers gestes du tracé qui lui renvoie déjà une image de recherche de soi. Cette étape de production d’image dépourvue de sens cèdera progressivement la place à la phase de production d’image « sensée », voire réaliste parce que soumise à l’obligation de sens. C’est à ce moment que l’enfant ou le pré-adolescent s’habitue à prendre possession de l’espace, à le gérer selon les contraintes de l’art. Il est à remarquer que cet effort de production se fait de façon concomitante avec l’évolution de la pensée, ce que Jean Piaget a si bien démontré dans son ouvrage au titre évocateur La construction du réel chez l’enfant [13] S’appuyant sur les instructions officielles [14] , l’éducateur est tenu de bien gérer les tâtonnements, les premières ébauches de l’enfant qui doivent tendre vers plus de réalisme et ce, dans le respect des règles comme celles de l’harmonie des couleurs ou de la gestion du blanc par exemple. En outre, et c’est important de le souligner, l’éducateur amène aussi l’enfant à bien comprendre et exploiter la notion et la valeur des proportions. Quelle place ou quel intérêt accorder à l’image de fond par rapport à l’image de près ? Quelle lecture faire des images en partant de la gauche vers la droite ? A ce propos, l’exemple de l’image3 est assez pertinent. Face à cette image, les enfants doivent identifier et nommer l’animal central, dire ce qu’il est (son statut ou rang social) par rapport aux autres animaux. Il y a eu 85% de bonnes réponses, à savoir le lion avec la précision qu’il est le roi pour les uns, le chef pour les autres. Il faut reconnaître que la stature ou la présentation que l’illustrateur a faite du lion (assis sur un trône, la tête couronnée et le sceptre dans sa main droite) peut être un motif de justification. Toutefois, l’on pourrait objecter en avançant l’argument de la proportion pour justifier aussi une telle réponse du moins pour le premier volet de la question. Les enfants ont sûrement tenu compte de la notion de grandeur pour reconnaître au lion la place prépondérante et primordiale qu’il tient au milieu des animaux. Le regard des autres dirigé vers lui participe aussi de cette grande audience. Il importe d’amener les enfants à lire les images autrement, c’est-à-dire que tout en gardant leurs propres schèmes de pensée, ils puissent parvenir à détecter les grands axes d’une image pour leur plus grand bien. Et c’est l’un des rôles des éducateurs ou pédagogues que de favoriser l’acquisition de cet esprit critique face à l’image. Toujours dans le cadre de l’apprentissage des codes, en s’appuyant sur la dimension linguistique de l’image en tant que signe iconique, il ne serait pas inutile d’aborder ou d’insister auprès des enfants sur les termes de signifiants-signifiés, de connotation-dénotation. Nous pourrions reprendre les deux aspects que Claude Palandri a observés des signifiants, à savoir iconiques d’abord (qui concernent l’échelle des plans, l’angle de prise de vue, le type de lumière, l’effet des couleurs), extra-iconiques ensuite (qui rassemblent certains détails qui ont une signification culturelle : une croix, un vêtement etc.) Les notions de dénotation-connotation nécessitent aussi une exploitation intéressée surtout dans le cas des contes avec des personnages animaux. La dénotation se limite aux personnages animaux que les enfants sont appelés à distinguer, identifier, enrichissant du coup leur univers onirique. La connotation, par contre, reste à développer compte tenu de l’objectif recherché, car elle renvoie non pas à ce que les animaux sont, mais plutôt à ce que qu’ils représentent. En même temps que l’enfantlecteur prend plaisir à savourer les aventures des personnages peu communs que sont le lièvre, le lion, la panthère etc., il est aussi interpellé sur ce qu’ils représentent. Le titre « La chèvre vaniteuse » pourrait être mis à contribution, car s’il est vrai que la chèvre a réussi à échapper à la furie de la panthère en se retrouvant finalement parmi les siennes, il n’en demeure pas moins vrai que son attitude est à déplorer, d’où la critique voilée de la part de l’auteur d’un vice, d’un défaut, celui de la vanité, de la prétention et surtout celui de l’ingratitude à déconseiller vivement aux enfants. On voit donc que l’apprentissage des codes ou l’acquisition par les enfants d’un minimum d’outils pouvant leur permettre de mieux comprendre et exploiter les images reste nécessaire pour une meilleure pédagogie. III/ La gestion pédagogique de l’image Cette partie est consacrée à l’exploitation des données de l’enquête réalisée et les conclusions idoines qui en découlent. Il nous semble nécessaire de rappeler l’objectif primordial de ladite enquête qui est de s’intéresser à toutes les sphères de l’imaginaire de l’enfant à travers la production qu’il fait d’une suite d’images préalablement affectées à l’illustration d’une histoire. Le constat est là qu’un bon nombre d’enfants de l’enquête ont tendance à s’accrocher à la piste de la succession (le lion cherchant un successeur à son règne) plutôt qu’à celle du mariage de l’auteur : « Un jour le lion le roi de la forêt, fit venir dans son palais tous les animaux et leur dit : - Mes chers amis, je suis devenu vieux, très vieux, ma femme est morte et je n’ai plus personne pour s’occuper de moi. Je donnerai des cadeaux, beaucoup de cadeaux à celui qui trouvera une jeune fille qui acceptera de m’épouser et j’offrirai de très belles choses à ma femme. » [15] Nous analyserons les raisons de cette tendance dans les lignes qui suivent. Mais avant cela, qu’est-ce qu’il en est du réel profil des lecteurs-enfants ? a) Remarques sur les modalités de l’enquête L’enquête a été réalisée dans (4) quatre établissements à savoir le Collège protestant de Lomé-Tokoin (Lomé-Togo), le Collège d’Enseignement général Tokoin-ouest (Lomé-Togo), le Lycée national Léon Mba (Libreville-Gabon) et le Collège St Exupéry (Villiers le Bel - France dans le Val d’Oise). Les lecteurs-enfants ont une moyenne d’âge de 12 ans et sont tous en classe de sixième. Le choix de cette tranche d’âge qui est légèrement supérieure à celle mentionnée sur la couverture (8-10 ans) n’est guère délibéré et répond uniquement aux conditions techniques de l’enquête. [16] Le nombre total des élèves est de 86 qui se répartit ainsi : Togo : 41 dont 26 au Collège protestant et 15 au CEG Tokoin-ouest ; Gabon : 24 et France 21. Nous avons en outre procédé à la classification selon le sexe pour éventuellement mesurer d’une part, le degré d’attention, et d’autre part, apprécier la portée de certaines réponses qui pourraient justifier certaines prédispositions. Il y a au Collège protestant 17 filles pour 9 garçons ; au CEG Tokoin-ouest 8 filles pour 7 garçons ; au lycée national Léon Mba une égalité parfaite et au collège St Exupéry 11 filles pour 10 garçons. Ce qui donne un total de 48 filles pour 38 garçons. Le questionnaire et les illustrations se trouvent en annexe auxquels s’ajoutent quelques copies-types d’élèves présentant un intérêt pour la recherche. Nous ignorons les conditions de travail ; toutefois nous restons persuadé que cela a été fait dans les conditions idéales, à voir les résultats obtenus. Pour la majorité des enfants, ce travail est le premier du genre, habitués qu’ils sont à des textes illustrés plutôt qu’aux illustrations toutes seules ; raison pour laquelle les collègues à qui l’enquête a été confiée dans ces trois pays ont eu à saluer l’originalité et la pertinence de la démarche dans la mesure où elle peut favoriser l’apprentissage autonome de la lecture d’images. Les réponses sont évaluées en pourcentage d’abord localisé, ensuite global, et ces mêmes réponses sont analysées parfois selon le sexe. L’écart variable d’un résultat à un autre pourra dès lors être justifié sur la base des critères objectifs comme l’environnement socioculturel ou pédagogique auquel peut s’ajouter aussi le critère de l’expérience du livre. Justement à ce propos, il est à noter le fossé qui existe entre l’expérience du livre des enfants en Europe et de ceux en Afrique. En plus de ces critères, il faut retenir aussi que les enfants interrogés sont tous des citadins dont 26% fréquentent un établissement privé confessionnel et le reste un établissement public. Ces éléments d’ordre structurel et liés à l’enquête, même s’ils n’influencent pas directement les résultats, ne sont pas non plus à négliger dans l’interprétation ou l’analyse de certaines réponses. [17] Enfin les questions au nombre de vingt sur la feuille ont été ramenées à dix-neuf, et la vingtième qui concerne le schéma narratif (contenu du programme non abordé par les collègues au moment de l’enquête) est remplacée par une reconstitution de l’histoire. Les questions, fermées, pour la plupart abordent les grands aspects de la narration à savoir le cadre spatio-temporel, les personnages à travers leur statut, fonction et moralité. b) Exploitation de l’enquête : de l’image vers le texte La démarche pédagogique privilégiée dans le cadre de l’enquête consiste à amener progressivement les enfants à l’histoire de l’auteur à travers la reconstitution des pièces maîtresses à l’image d’un puzzle. Ainsi les questions comportent trois phases ou mouvements comme en cinétique avec comme point de départ les toutes premières questions qui tentent de fixer l’attention des lecteurs sur l’élément capital (la chèvre), ensuite le summum ou point culminant (les questions 12 et 13) qui définit le rôle exact de la chèvre en tant que reine et l’arrivée ou la chute (les questions 18 et 19) qui justifie le qualificatif de « vaniteuse » donné à la chèvre. La première question a trait à la couverture. Il est tout simplement demandé aux enfants de citer les animaux qu’ils observent. Une telle question reste prépondérante de par sa place et de par son contenu, car les trois animaux (le lion, la panthère et la chèvre) constituent à eux trois la trame de l’histoire. Soulignons que la chèvre est quasi présente dans les contes d’enfants et P. Lequeux n’hésite d’ailleurs pas à la classer parmi les « bêtes de légende » sur la base des trois grandes catégories de bêtes qu’il établit et qui interviennent dans le bestiaire des contes, du folklore ou de la littérature. Nous avons ainsi les « bêtes de légende » (âne, mouton, chèvre, loup), les « bêtes de charme » (poisson, pigeon, cygne, canard) et les « bêtes d’affection » (chat, chien, lapin). [18] Le pourcentage de bonnes réponses obtenues est de 71,76%. Si l’identification de la panthère a donné lieu à des confusions dont nous avons déjà parlé, celle de la chèvre l’a été moins avec un taux de 73,25%, même si on peut lire encore des réponses comme lièvre, agneau, bélier ou mouton. La nette identification de la chèvre devrait permettre par la suite un bon développement ou une reconstitution assez aisée de l’histoire de l’auteure sur la base du rôle ou de la fonction (devenir reine) que la chèvre est appelée à jouer. Alors qu’est-ce qui justifie ce faible taux (29,70%) obtenu aux questions 12 et 13 qui circonscrivent clairement le nouveau statut de la chèvre ? Est-ce à dire que les enfants n’ont pas pu établir rapidement le lien entre le sexe (femelle) et le statut que la chèvre doit avoir aux côtés du lion (mâle) ? Comment comprendre ce fort taux (32,55%) de réponses « prince » et (25,58%) de réponses « roi » et qui totalisées donnent 58,13% de réponses contraires à celle attendue ? Nous emprunterons deux pistes essentielles pour tenter d’expliquer ce résultat, celle renvoyant au milieu social et celle relevant de l’intertextualité. Si nous nous reportons au questionnaire, nous constatons qu’à partir de la question 10, la chèvre est désignée par « le petit animal ». Ceci peut aussi avoir mis les enfants sur le chemin de la succession, car l’expression « le petit animal » n’est utilisée que pour éviter de nommer la chèvre. Mais la principale justification relèverait d’une crise d’identification voire d’autorité. Ainsi, par le biais d’un processus de projection mentale ou psychologique, les enfants se sont laissé guider par leur subconscient qui leur fait admettre la logique de la succession plutôt que celle de la complémentarité (mariage). Ce penchant est notable chez les garçons qui dans les 32,55% s’adjugent une bonne part 23,25%. Nous parlions d’identification et d’autorité. La majeure partie a opté (comme s’il s’agissait d’un choix à opérer) pour ce scénario qui voit ainsi le petit animal (la chèvre) dans le rôle soit de roi, soit de prince. Le fort taux observé pour la solution du prince est largement tributaire du phénomène d’identification qui placerait volontiers les enfants dans la peau de la chèvre appelée à exercer son autorité aux côtés ou en l’absence du roi lion mourant. N’est-ce pas déjà cette réalité qu’ils vivent dans leur famille respective et dans la société de tous les jours ? Si l’animal humanisé permet bien souvent à l’enfant de se libérer en se retrouvant ou en projetant ses désirs et ses craintes personnelles face à la société adulte organisée, il est aussi, dans bien des cas, occasion et support permettant de transposer symboliquement un certain nombre de situations de la vie familiale, notamment la situation d’apprentissage qui le fascine toujours. C’est pourquoi comme le reconnaît Jacqueline Held : « ... Face au monde adulte normalisant où chacun s’érige en juge, l’enfant trouve dans le conte des bêtes, un refuge, une revanche, une halte récréative et compensatoire, [19] qui permettra de mieux faire face ensuite à cet univers de règles qu’il lui faudra bien assumer à la mesure de ses forces et à sa manière propre. » [20] Le milieu social est donc présent et a dû contribuer à forger l’idée de la chèvre comme « substitut » du roi appelé à user de la même autorité. Il est même arrivé de lire une phrase comme « La chèvre est devenue un roi » qui en dit long sur la prégnance de cette idée de succession. La figure du père incarnant l’autorité suprême est omniprésente dans les esprits. Et l’enquête réalisée par Bruno Duborgel est encore d’actualité dans ce passage. Il est proposé à quelques enfants de CE1 au CM2 (800 au total) à partir d’une image banale d’un individu dessinée au tableau le sujet suivant : « Ce personnage est en train d’imaginer. Raconte ce qui se passe dans sa tête. » Les réponses obtenues sont classées par thèmes dans un ordre décroissant. Le thème de « pouvoirs, célébrité, puissance » classé en troisième position obtient 22,8% précédé de ceux de « l‘animal » (25,8%) et du thème « les relations familiales » (25%). Les autres thèmes renvoient à la campagne, à la nature, aux jeux et sports etc. Ainsi l’on remarque que ce thème ou cette piste occupe une place de choix dans l’imaginaire de l’enfant et B. Duborgel de noter : « Le texte d’enfant, en tant qu’imagerie des pouvoirs et de la puissance, est, à sa manière, apprivoisement de l’absolu, exercice- au double sens du terme- du pouvoir. Dans le texte fonctionnent des rêves et des désirs, une substance essentielle de l’imaginaire. Dans le « personnage qui rêve d’être le plus fort du monde » s’éveille, par-delà la banalité et la générosité de la formule, une image d’Hercule ou de Prométhée, d’Atlas ou de Gargantua.. Pour l’enfant, les superlatifs ne sont pas encore des mots pauvres, ils sont effectivement « absolus ». Et déjà ces jeux de l’écriture et de l’imagination permettent de « jouer » à la divinité. » [21] La deuxième piste d’explication est celle de l’intertextualité autour du thème récurrent du mariage. Effectivement, dans bon nombre de contes lus ou « écoutés », le thème du mariage est présent et reste souvent une affaire qui occupe plus les sujets du roi que le roi lui-même, et s’il doit y être concerné, c’est souvent pour le compte de sa fille .Le conte ayant pour titre « Les trois prétendants » dans Les contes du griot, les contes des veillées africaines [22] de Kama Kamanda en est un exemple. Il est assez rare de voir le roi lion devenir un protagoniste dans une histoire de mariage pour la simple raison que l’autorité qu’il incarne ou le pouvoir qu’il exerce ne peut pas souffrir d’un tel manque, d’un tel besoin. Les enfants pourraient aussi être influencés par cette réalité. Toutefois, si l’enquête réalisée dans les trois établissements de l’Afrique a montré un fort penchant pour la thèse de la succession, tel ne fut pas le cas chez des élèves du collège St Exupéry dans le Val d’Oise, où avec la même question 13, le taux de réussite est de 52,38%, presque le double de la moyenne .Ce pourcentage pourrait être plus élevé si tous les garçons avaient aussi répondu à cette question. Qu’est-ce qui peut justifier un tel écart ? L’expérience du livre en est certainement pour quelque chose. Il est indéniable qu’un enfant, voire un élève qui a l’expérience de la lecture, adopte ou a une autre façon de réagir que celui qui n’en pas ou peu. Les élèves du collège St Exupéry ont surtout respecté la logique des images avec cette attention portée au sexe de la chèvre .Et ce taux de bonnes réponses provenant majoritairement des filles, pourrait être aussi, et pourquoi pas, l’expression inavouée d’une forme de reconnaissance, de célébrité (la jeune fille se comparant volontiers à la petite reine qu’est la chèvre.) Outre la logique suivie et respectée par les élèves pour obtenir un tel résultat, l’expérience du livre disions-nous pourrait aussi y contribuer. A force de « dévorer » les albums, les bouquins et autres livres d’enfance et de jeunesse disponibles dans les CDI, sur les rayons des grands espaces de vente comme la Fnac et aussi lors des salons du livre comme celui de Montreuil par exemple, les enfants se forgent progressivement un esprit critique leur permettant de saisir rapidement les enjeux d’une histoire dont ils développent des aspects fantastiques devant combler leurs attentes. La chèvre vaniteuse devenue reine s’est montrée intransigeante et arrogante vis-à-vis des autres animaux surtout dans les derniers jours du règne du roi lion. La mort de celui-ci a jeté la chèvre dans une grande frayeur craignant alors des représailles. D’où l’intérêt des questions 17et 18.La question 19, qui s’apparente au dénouement, à la chute, a trait au caractère, au comportement de la chèvre .Etant identifiée dès la question 8 comme une vantarde, cette question finale doit amener en quelque sorte les enfants à dégager la portée morale de l’histoire. Et c’est le sens de la question. On s’attend à ce que les enfants saisissent dans ce dialogue le reproche fait à la chèvre vaniteuse par les autres bêtes qu’elle retrouve finalement chez elle au village après avoir échappé à la poursuite de la panthère. Le taux de réussite de la question est de 25,27%. Bon nombre de copies ont insisté sur la joie des retrouvailles plutôt que de voir le côté moralisateur. Ce dernier aspect a généré néanmoins des réponses intéressantes comme : « Les autres peuvent bien lui dire de ne pas courir après la richesse », « Les autres sont en colère contre elle », « Les autres se sont bien moqué d’elle ». La dimension moralisatrice et pédagogique reste quasi fondamentale dans le rapport texte-image et ces illustrations doivent davantage la travailler pour le plus grand bien des lecteurs-enfants dont les textes constituent de véritables pépinières de songes et de rêves. c) Textes d’enfants : pépinières de songes et de rêves. Le texte obtenu à partir des illustrations se révèle intéressant et précieux parce que d’une part, il s’attache dans la mesure du possible au texte original (de l’auteur), d’autre part, il développe d’autres aspects qui enrichissent la fiction et révèlent la force d’imagination des enfants. La piste de la succession évoquée un peu plus haut et privilégiée par plus de la moitié des enfants pose en quelque sorte la question de l’autonomie de la pensée ou de l’intelligence L’imaginaire de l’enfant ne serait-il pas, influencé voire « conditionné » par une manipulation sous-jacente des adultes ? Un titre comme « L’imaginaire enfantin comme imaginaire institué » qui annonce le cinquième chapitre du livre de Bruno Duborgel exploité dans le cadre de cette étude aborde la question en explorant tous les mécanismes d’influence de l’enfant par l’adulte à travers le choix des programmes et des thèmes offerts à la lecture : « Tout se passe donc comme si, de l’enfant producteur de textes à l’écolier lecteur de textes, se redoublait un réseau de l’imaginaire semblable et lui-même produit, en arrière-fond, par les adultes (auteurs de manuels, de livres pour enfants ou de romans pour adultes).Dans ces conditions, le texte d’enfant serait une manière de reproduction des textes donnés à lire par les adultes aux enfants. » [23] Dès lors quelle serait la part d’originalité dans un texte écrit par l’enfant lui-même ? Jusqu’où la production d’enfant peut véritablement être appréciée à sa juste valeur ? Nous pensons que la réponse n’est pas à chercher dans le texte à proprement parler, mais plutôt dans les éléments de rêve qui y sont introduits par l’enfant et qui laissent entrevoir son degré d’imagination. Parmi les copies existent des passages qui attestent d’une forme de liberté prise dans la reconstitution de l’histoire. Un élève a justifié l’intérêt porté par la panthère pour la chèvre à travers une qualité ou une disposition étonnante de celle-ci : « ...Et c’est à cet instant que la bête découvrit quelque chose d’extraordinaire, quelque chose de surnaturel pour celle-ci : une chèvre qui pouvait danser sur deux pattes, une chèvre bipède, une chèvre un peu vantarde ». [24] Un autre, tout en retenant la piste de la succession, n’en présente pas moins une copie riche en imagination. C’est à partir de l’instant où la chèvre devenue « sous-chef » a commencé par se montrer méchante et arrogante vis-à-vis des autres animaux notamment la panthère et l’éléphant. L’élève écrit : « Quelques temps passés, la panthère et l’éléphant vinrent demander des conseils au sous-chef. Mais elle les recevait avec méchanceté. Mais ces animaux demandaient un poste de travail. » [25] Sur une autre copie, l’élève, délaissant le motif de l’âge avancé du lion et qui serait à l’origine de son décès, développe au contraire la thèse de l’empoisonnement du roi par la chèvre, ce qui déchaîne du coup la colère de la panthère qui, pour se venger, la poursuit jusque dans son village. Un autre, enfin, est allé plus loin dans son imagination en justifiant du coup la raison pour laquelle la chèvre est devenue un animal domestique plutôt que sauvage : « Le lendemain matin, dès cinq heures, les animaux ne virent pas le roi. Ils allèrent le chercher, mais ils ne le trouvèrent pas .Comme la chèvre n’était pas à l’enterrement, la bête (la panthère) sut que c’était la chèvre et la poursuivit. Finalement elle avoua son meurtre et fuit au village. (...) C’est depuis ce jour que la chèvre ne reste pas en forêt mais au village avec les hommes » [26] L’imagination dont font preuve les enfants est à mettre à la hauteur des rêves et songes qui traversent leurs pensées. Même en étant soumis à l’influence des adultes en matière d’instruction ou d’éducation, leur imaginaire reste fécond pour donner libre cours à leurs rêves les plus intimes. C’est une opportunité ou une sérieuse piste qui s’offre à tous les chercheurs du monde de l’enfant de renverser cette tendance qui le place toujours dans la posture de « consommateur » plutôt que de « producteur ». Toute la question réside dans la méthodologie d’approche. En même temps que l’accès aux codes est primordial, il n’empêche de valoriser les discours originaux qui, par négligence ou ignorance des codes, révèlent la profondeur de l’imagination des enfants. Conclusion Cette étude sur le texte et son illustration s’est révélée utile à bien des égards .La place de l’image et son intérêt dans la production enfantine ont finalement fait d’elle une véritable écriture alternative. A cet effet, l’apprentissage des codes par les enfants doit déboucher sur une forme de lecture rationnelle et critique des images. La gestion pédagogique de l’image qui s’est surtout attachée à l’enquête et à ses résultats a permis de mesurer les aptitudes des enfants à lire et comprendre d’abord les illustrations indépendamment du texte d’accompagnement, ensuite à produire des textes révélateurs de leur degré d’imagination. Dans ce sens, l’analyse des facteurs externes sur le développement de l’imaginaire enfantin a aussi contribué à mieux saisir la portée de certains discours. Finalement, le constat s’impose de lui-même : l’enfance reste toujours un univers fécond à visiter et à découvrir et il faut alors amener les uns et les autres à changer de regard sur l’enfant qui n’aura jamais fini de surprendre. Amakoé Jean-Rémy d’ALMEIDA Chercheur associé CRTH Cergy-Pontoise [1] Ernestine. Gbonfou, La chèvre vaniteuse, conte, Editions du Flamboyant, Cotonou, 1993, 31 p. [2] Bruno Duborgel, Imaginaire et pédagogie, (Préface de Gilbert Durand), Ed. Privat, Paris, 1992, 277 p [3] Liliane Hamm, Lire des images, Armand-Colin-Bourrelier, Paris, 1986, P.9 [4] Claude Palandri, « La lecture d’images, une aide pour l’enfant en difficultés ? », Mémoire C.A.P.S.A.I.S. Option E, Strasbourg, 1995-1996. [5] Il ne manque que la lettre « n » entre le « i » et le « e » pour vite établir le rapport quasi intrinsèque entre le mot et la force productrice qu’il développe dans l’univers des rêves. [6] Bruno Duborgel, Imaginaire et pédagogie, op.cit. p. 23 [7] Claude Palandri, « La lecture d’images, une aide pour l’enfant en difficulté ? » op.cit. p.11 [8] Amakoé J.R. d’Almeida, « Le référentiel dans la littérature pour enfants en Afrique noire francophone 1990-2000 », thèse de doctorat, Paris4-Sorbonne, 2004, p.250 [9] Claude Palandri, « La lecture d’images, une aide pour l’enfant en difficulté ? » op.cit. P.20 [10] Sur le questionnaire, les images sont au nombre de 25 tout simplement parce que l’image 14 de la couverture a été reprise dans les images d’illustration. [11] Bruno Duborgel, Imaginaire et pédagogie, op.cit. p.29 [12] Idem p.43 [13] J. Piaget, La construction du réel chez l’enfant, Delachaux-Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1937, 398p. [14] Il s’agit des instructions officielles de la France qui ont inspiré nombre de programmes scolaires africains jusqu’aux indépendances voire au-delà et que A. Guillot a reprises et publiées. [15] Ernestine Gbonfou, La chèvre vaniteuse, op.cit. p.7 [16] Les contacts qui nous ont favorisé le travail de collecte des réponses se trouvent être des collègues qui interviennent dans les classes de sixième. Nous ferons l’effort de respecter, dans nos prochaines recherches, les exigences des auteurs, en intégrant les concernés (dans ce cas-ci, les élèves de CM, qui ont, selon la moyenne d’âge, entre 9 et 11). [17] D’après des études menées dans le cadre des politiques éducatives, les institutions privées « laïques » et surtout confessionnelles offrent beaucoup plus d’opportunités de réussite que les établissements publics où l’on déplore toujours des effectifs pléthoriques et le manque chronique de moyens pédagogiques. Cela a été remarqué au niveau des réponses des enfants. [18] P. Lequeux, L’enfant et les animaux. Quatre bêtes de légende. L’âne, le mouton, la chèvre et le loup, L’Ecole, Paris, 1977, 347p. [19] C’est nous qui soulignons [20] Jacqueline Held, L’imaginaire au pouvoir, Les Editions Ouvrières, Paris, 1977, p.117 [21] Bruno Duborgel, Imaginaire et pédagogie, op.cit. pp.105-106 [22] Kama Kamanda, Les contes du griot, les contes des veillées africaines, Editions Magnard, Paris, 2005 pp.60-63 [23] idem p. 119 [24] Copie d’élève présentée en annexe. [25] idem. [26] idem.