8 La matin de la crucifixion

8 La matin de la crucifixion
que marque le second chant du
coq, a lieu aux petites heures du matin - probablement une heure
ou deux avant que le jour ne pointe a l' est. Pierre vient de sortir de
la cour, et le proces qui se deroule sous le toit de CaYphe do it
maintenant tirer a sa fin. n commence a se faire tres tard. Le sanhOOrin
a deja convenu de condamner Jesus a mort. Tout ce qui lui pose
encore un probleme, c' est le moyen de legitimer le proces et de
faire executer le jugement.
LE DERNIER RENIEMENT DE PIERRE,
LES MACHINATIONS DU SANHEDRIN
Le sanhedrin doit mettre au point une bonne strategie, qui lui
permettra d' avoir gain de cause contre Jesus. Rappelons-nous que,
quelques annees auparavant, Rome a rescinde le droit qu' avaient
les chefs religieux de mettre eux-memes quelqu'un a mort
(cf. Jean 18.31). Depuis, toute peine de mort doit etre sanctionnee
et executee par les autorites romaines. La seule exception, c' est la
possibilite de lapider a mort, et sur place, un pa"ien qui profanerait
le Temple en allant au-deIa du parvis des gentils. 11 arrive aussi
alors que des Juifs trop zeIes lapident des gens surpris a commettre
un crime capital. (Les hommes dans Jean 8.3-11, par exemple,
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Le meurtre de Jesus
voulaient lapider la femme qu'ils avaient prise en flagrant delit
d'adultere.) L'histoire de cette epoque-Ulnous revele qu'il arrivait
alors que Rome, par opportunisme politique, ferme les yeux sur de
telles lapidations - surtout lorsque de petites gens en etaient les
auteurs (cf. Actes 7.54-60). Mais Rome ne ferait pas preuve de la
meme tolerance envers le sanMdrin, s' il s' avisait d' en faire autant.
Comme il s' agit de la seule instance juive que Rome reconnaisse et
autorise, le sanhedrin se doit d' obeir aux lois romaines qui limitent
son pouvoir discretionnaire.
De plus, le sanhedrin n'a d'autorite que dans les affaires
religieuses, ce qui fait qu'illui arrive rarement d'instruire des causes
impliquant un crime capital. 11 pourra peut-etre, dans des cas
extremes, obtenir de Rome l' autorisation de mettre a mort un
blaspMmateur particulierement perturbateur. Mais, pour des raisons
evidentes, les Romains (qui adherent a leur propre ideologie
mythique du polytheisme) ne souhaitent guere encourager les Juifs
a mettre a mort les heretiques.
Si le sanMdrin souhaite demander a Rome qu' elle impose a
Jesus la peine de mort, illui faudra se montrer tres convaincant
dans sa presentation de la cause en litige. Or, le fait que le proces
c~ntre Jesus se soit tenu au pied leve et en pleine nuit est loin de
donner a la cause un air de credibilite. Voila peut-etre d' ailleurs
pourquoi le sanhedrin a decide, aux petites heures du matin
(probablement vers 3 h ou 4 h), d' ajoumer l'instruction de la cause
jusqu'a plus tard en matinee. De toute fa<;on, tous doivent etre
epuises. L' ajoumement allait accorder aux membres du conseil
quelques heures de sommeil, avant de se rassembler de nouveau
officiellement en pleine joumee pour rendre un verdict formel, afin
de se conformer a la procedure a suivre dans de tels cas. Ainsi, si
quelqu'un mettait en doute la legitimite des precedures intentees
c~ntre Christ, le sanhedrin pourrait protester avoir rendu son verdict
en plein j our.
Les conspirateurs ne perdent pas un seul instant. Luc rapporte
que, des le lever du jour (cf. Luc 22.66), le sanMdrin se reunit de
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Le matin de la crucifixion
nouveau pour instruire definitivement la cause de Jesus. Voici
comment Matthieu decrit la rencontre : « Des que le matin fut venu,
tous les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple tinrent
conseil contre Jesus, pour le faire mourir » (Matthieu 27.1).
Christ a passe la nuit sous surveillance, peut-etre dans une
cellule a meme la residence de Ca"iphe. Notons qu' a Jerusalem,
sur les lieux ou l' on croit traditionnellement qu' etait situee la maison
de Ca"iphe, il y a une vieille petite cellule de pierre percee d'une
porte suffisamment grande pourpermettre l'entree d'une seule
personne. 11 est possible qu' a l'issue de son proces, Christ ait ete
detenu dans une cellule comme celle-Ia pour y passer le reste de la
nuit, ou qu'on l'ait garde sous surveillance armee dans une piece
de la maison de Ca"iphe. Dans un cas comme dans l' autre, le jour
leve, on le ligote de nouveau (les mains fermement liees dans le
dos, comme la coutume le veut alors dans le cas des criminels) et
on le ramene devant le sanhedrin, pour que celui-ci puis se officialiser
son verdict et determiner la maniere dont il obtiendra la mise a
mort de Jesus.
Ici, le sanhedrin soumet Christ une fois de plus au meme
interrogatoire que lui a fait subir Ca"iphe au cours de la nuit
precedente. Voici comment Luc decrit I'instruction de l' affaire :
Quand le jour fut venu, le college des anciens du peuple, les
principaux sacrificateurs et les scribes, s' assemblerent, et
firent amener Jesus dans leur sanhedrin. lis dirent : Si tu es le
Christ, dis-Ie-nous. Jesus leur repondit : Si je vous le dis,
vous ne le croirez pas; et si je vous interroge, vous ne
repondrez pas. Desormais le Fils de I'homme sera assis a la
droite de la puissance de Dieu. Tous dirent : Tu es donc le
Fils de Dieu ; et illeur repondit : Vous le dites, je le suis.
Alors ils dirent: Qu'avons-nous encore besoin de
temoignage; nous l'avons entendu nous-memes de sa
bouche (Luc 22.66-71).
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Le meurtre de Jesus
Us veulent faire dire clairement a Jesus qu' il est le Messie. Mais
bien qu'ils aient fait temoigner maintes personnes c~ntre lui, ils
n' arrivent toujours pas a prouver qu'il a deja declare publiquement
(explicitement) etre le Christ. C' est que, bien qu' il soit effectivement
le Christ, il ne l' a jamais dit ouvertement en public. Voila d' ailleurs
pourquoi, lorsque Pierre lui a dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu
vivant »,Jesus lui arepondu:« Tuesheureux, Simon, fIlsdeJonas ;
car ce ne sont pas la chair et le sang qui t' ont reveIe cela, mais
c'estmon Perequi estdans les cieux» (Matthieu 16.16,17). Apres
quoi, il a recommande aux disciples de ne dire a personne qu'il
etaitle Messie (v. 20).
Les gens qui ont entendu Jesus enseigner entretiennent diverses
opinions sur son identite. On se rappellera que Jesus a demande a
ses disciples : « Qui suis-je au dire des hommes, moi le Fils de
I'homme ? » Question dont la reponse revele toute la diversite des
identites qu'on lui prete alors : «Les uns disent que tu es
Jean-Baptiste; les autres, Elie ; les autres, Jeremie, ou l'un des
prophetes »(v. 13,14).
Or, si les opinions different autant par rapport a son identite,
c' est qu'il n' a jamais explicitement indique en public qu' il etait le
Messie. II a dej a laisse entendre qu' il accomplissait des propheties
concernant le Messie (Luc 4.18-21).11 a deja dit a des gens, en
prive, qu'il etait le Messie (Jean 4.25,26). II a deja declare que les
Ecritures de l' Ancien Testament temoignaient de lui (Jean 5.39).
La plupart des gens savent certainement que ses proches croient
qu'il est le Messie. L' entree triomphale de Jesus dans Jerusalem,
moins d'une semaine avant son arrestation, revele d' ailleurs combien
sont nombreux ceux qui le croient. Mais le sanhedrin est determine
a lui faire dire de sa propre bouche qu'il est le Messie, pour pouvoir
consigner ses paroles.
Par sa replique, Jesus expose ici le prejudice des membres du
sanhedrin. S' il declarait etre le Messie, ils ne le croiraient pas, pas
plus qu'ils ne considereraient serieusement les preuves qu'il pourrait
leur fournir. lIs ont deja vu et entendu beaucoup de preuves
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Le matin de la crucifixion
renversantes a I' appui de ses pouvoirs di vins. En fait, c' est un de
ses plus grands miracles -la resurrection de Lazare - qui les a
finalement amenes a vouloir le faire mourir (Jean 11.53).
De plus, comme Jesus le leur a fait remarquer, illes a deja
questionnes sur son identite messianique, mais ils ont refuse de lui
repondre (cf. Luc 20.3-7,41-44). Or, s'ils n'ontrien a redire des
preuves a l' appui de son identite messianique, ils doivent le laisser
aller. Mais il est bien clair qu' ils n' en ont pas la moindre intention.
C' est maintenant qu' ils veulent en finir avec Jesus, par le truchement
d'un proces qui n' a rien de legitime.
Mais bien qu'ils ne croient pas en ce moment a la veracite des
allegations de Jesus, illeur assure solennellement que« desormais
le Fils de I'homme sera assis a la droite de la puissance de Dieu »
(Luc 22.69). Par cela, illeur signifie que les roles seront un jour
inverses, et que ce sera alors lui qui les jugera.
Encore en partie insatisfaits de sa reponse, ils continuent de le
presser: « Tu es donc le Fils de Dieu ? » Question a laquelle il
repondra simplement cette fois-ci : « Vous le dites, je le suis »
(v. 70).
lIs ont enfin ce qu'ils voulaient. lIs peuvent recueillir, en plein
jour, le temoignage de Jesus, qui se dit etre le Fils de Dieu. Et
comme il vient tout juste de le souligner, qu'il dise vrai ou faux, cela
ne fait pas la moindre difference pour eux. Bien que, tout au long
de son ministere, Jesus ait prouve encore et encore qu'il disait
vrai - et que certains d' entre eux en aient meme vu la preuve de
leurs propres yeux -les conspirateurs n' ont aucune intention de
confirmer ou d'infirmer la veracite de son allegation. Tout ce qui
les interesse, maintenant, c' est de le faire clouer a la croix le plus
vite possible. Si bien qu' au bout du compte, ils le feront crucifier
pour avoir dit la verite.
Des que Jesus declare etre le Fils de Dieu, la seance est levee.
« Qu'avons-nous encore besoin de temoignage ? »tranchent-ils
sur-le-champ (v. 71a). Commela veille, Jesus n'a pas la possibilite
d' appeler quiconque a temoigner en sa faveur. Nul n' est autorise a
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Le meurtre de Jesus
presenter des preuves al' appui de son allegation. Pour ces hommes,
toute preuve serait irrecevable. Les des sont pipes, et ils s' en
tiendront a leur verdict de culpabilite. Sans compter que le
temoignage de Christ leur foumit l' apparente legitimite dont ils
avaient besoin. En ce qui les conceme, tout « temoignage »
suppIementaire s' avererait superflu et contre-productif. n leur tarde
maintenant de voir leur sentence etre mise aexecution.
Le sanhedrin decide donc, seance tenante, de conduire Jesus
devant Ponce Pilate, afin d' obtenir des Romains la permission de
le mettre amort - de preference par l'intermediaire de bourreaux
romains : « Apres l' avoir lie, ils l' emmenerent, et le livrerent aPonce
Pilate, le gouvemeur » (Matthieu 27.2).
LE SUICIDE DE JUDAS
A ce point-ci de son Evangile, Matthieu met en veilleuse le recit du
proces de Jesus pour relater la fin terrestre de Judas. C' est tout a
fait possible que cette parenthese s'inscrit ici parfaitement dans
I' ordre chronologique des evenements. Ou encore, il se peut que
Matthieu cherche ainsi acontraster violemment I'infamie que
personnifie Judas avec la purete parfaite que personnifie Jesus.
Dans un cas comme dans I' autre, en I' inserant ainsi dans son recit,
Matthieu met I' accent sur I' incroyable injustice de la mort de Jesus,
comme en temoigne le fait que meme celui qui l' a trahi en a si lourd
sur la conscience qu'illui est litteralement impossible d'y survivre.
Ace sujet, Matthieu ecrit :
Alors Judas, qui l' avait livre, voyant qu'il etait condamne,
fut pris de remords, et rapporta les trente pieces d' argent
aux principaux sacrificateurs et aux anciens, en disant : J' ai
peche, en livrant le sang innocent. ns repondirent : Que nous
importe ; cela te regarde. Judas jeta les pieces d' argent dans
le temple, se retira, et alIa se pendre (Matthieu 27.3-5).
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Le matin de la crucifixion
A en juger par la fa<;on qu' a Matthieu d' exposer la situation, il
agit ainsi ades fins chronologiques : « Alors Judas, [ ... ] voyant
qu'il [Jesus] etait condamne » Cv. 3, italiques pour souligner). On
ne sait ou se trouve Judas lors du proces de Jesus. 11 semble
improbable qu'il prenne une part active au proces. Compte tenu
de sa reputation de renegat et de trai'tre, son temoignage serait
compromis et probablement juge irrecevable. Comme les
evenements qui suivent en temoigneront, meme les complices de
Judas ne savent que faire de lui, maintenant qu' il a fait le sale boulot.
C' est desormais un paria, que tous meprisent pour sa deloyaute.
Toutefois, Judas souhaite evidemment connaitre l'issue du
proces. A l'instar de Pierre, il semble suivre adistance. Du moins,
il etait manifestement present lorsque le sanMdrin a fini d' instruire
la cause de Jesus, en matinee, puisque Matthieu indique que Judas
a vu qu'on avait condamne Christ. C'est peut-etre d'ailleurs en
voyant ici Jesus lie et emmene devant Pilate qu'il finit par se rendre
compte de toute l' enormite de son pecM. Le fait de voir Jesus etre
si maltraite acause de sa trahison est plus que meme Judas ne peut
en supporter. 11 se peut que Judas commence aI' instant arealiser,
pour la premiere fois et dans toute son ampleur, la folie de son
peche. 11 a vendu le Fils de Dieu contre une poignee d' argent. Par
sa faute, il a perdu l' occasion inestimable de fraterniser et d' oeuvrer
etroitement avec le Dieu incarne dont il jouissait en tant que membre
des Douze. Apres tout, dans toute l'histoire, il n'y a que onze autres
hommes qui ont pu cotoyer aussi intimement Dieu le Fils. Personne
d' autre n' aura jamais autant entendu et rejete la verite de la bouche
meme du Seigneur. Personne d' autre n' aura j amais autant eu le
privilege d' etre temoin de premiere main de l' exemple du Seigneur,
d' aussi pres et pendant si longtemps - pour le rejeter quand meme
ensuite.
L'histoire abonde en crapules qui semblentplus meprisables
que Judas Iscariot. 11 est vrai que, si on le compare al' auteur d'un
genocide ou aquelqu'un qui a mene une vie dissolue, Judas peut
ne pas sembler si terrible. Mais la verite, c' est que personne ne
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Le meurtre de Jesus
sauraitetre plus pervers que lui. Personne n'ajamais pecM contre
une telle lumiere et un tel privilege. Personne n'ajamais trahi une
victime plus innocente que Jesus. Personne n'ajamais garde le
creur aussi dur, et pendant si longtemps, en presence d' autant de
bonte et de compassion. N'oublions pas qu'au cours des trois
annees qu'il a pas sees aux cotes de son Maltre, Judas a re<;u de
Christ exactement les memes gages d' amour compatissant et divin
que les autres disciples.
Mais tous ces privileges n' ont j amais eu le moindre effet sur le
creur de Judas. Pendant trois ans, il aresiste atoute la verite qu'il
a entendue des levres de Jesus, pour finir par la rejeter
definitivement. 11 s' est endurci le creur contre e1le, et son mepris
pour le Fils de Dieu innocent de tout pecM n'a fait que croitre
secretement. D' ailleurs, au fil des ans, il est passe maitre dans l' art
d' agir avec hypocrisie. Si bien qu' il a reussi adissimuler sa veritable
nature atout le monde, sauf aJesus. En bout de ligne, il a vendu
avec bonheur au plus offrant tous ses privileges spirituels - y compris
Christ lui-meme. Dne telle perversite de creur ne depasse-t-elle
pas l' entendement ?
Rien d' etonnant ace que Jesus l' ait traite de demon (Jean 6.70),
et que Satan ait eu acces si facile a son creur (Jean 13.27 ;
Luc 22.3). Jamais la terre n'aconnu ame plus vile.
Mais meme Judas ne peut echapper aI'horrible souffrance que
lui inflige sa propre culpabilire. 11 vient toujours un temps ou meme
un creur aussi endurci et une conscience aussi gravement fletrie ne
permettent plus al' fune de faire fi du sentiment de culpabilire qu' elle
eprouvera pour le reste de l' etemite.
Des que Judas voit Jesus etre lie et emmene, les regrets
I'envahissent. 11 ne s'agit pas d'une veritable repentance, mais de
simples remords. (Precisons que, dans le grec, Matthieu n' emploie
pas metanoeo, soit le terme normal pour designer la repentance,
mais metamelomai, soit un autre terme qui designe simplement un
regret profond. ) Judas commence ici arealiser les consequences
cruelles qu'encourront son peche, consequences qu'il deteste
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Le matin de la crucifixion
d' ailleurs ; mais il n' en viendra jamais au point de detester le pecher
en soi.
Pourquoi Judas se sent-il soudainement pris de remords,
maintenant qu' il voitJesus etre condamne ? n se peut qu'il ait pense
en trahissant Jesus que celui-ci 6chapperait a son arrestation comme
ill' avait fait deja a plusieurs reprises. Ou encore qu'il ait presume
que Jesus reussirait a se disculper de toute accusation susceptible
d'etre portee c~ntre lui. Apres tout, il n'etaitcoupable de rien du
tout. Et Judas n'ajamais vu Christ echauer a quoi que ce soit.
Judas esperait peut-etre meme que Jesus s' enfuie ou soit innocente.
Ce serait le scenario parfait, selon lui. 11 aurait encore ses trente
pieces d' argent en poche. Jesus se tirerait d' affaires indemne. Les
sacrificateurs hypocrites auraient simplement gaspille trente pieces
d' argent. n se peut qu' a force de se tenir un tel raisonnement, Judas
se soit convaincu qu' en trahissant Jesus il n' avait pas commis une
faute tres grave et que les consequences seraient negligeables ou
epMmeres - surtout si Jesus etait veritablement le Messie.
Mais en voyant Jesus etre condamne par sa faute, il prend
maintenant conscience pour la premiere fois de toute l' enormite de
sa culpabilite. Et c' est plus qu'il ne peut en supporter.
Judas souhaite desesperement eviter maintenant de payer les
consequences de son geste. On remarquera jusqu' ou il va pour
echapper a la culpabilite. Du point de vue humain, cela peut sembler
plut6t convaincant comme preuves d'une sorte de repentance.
Prima, il tente de remettre l' argent du sang. 11 ramene au
sanMdrin les trente pieces d' argent, en le suppliant futilement de
les reprendre. Judas profite peut-etre de le faire pendant que les
conspirateurs sont encore reunis, a I' issue du proces final de Jesus,
et maintenant que Christ vient d' etre emmene pour comparaitre
devant Pilate. Avant, tout ce que Judas voulait, c' etait I' argent maintenant, il souhaite desesperement se defaire de ce qui lui
rappelle la culpabilite qui le tenaille cruellement. C' est comme si
cet argent lui brOlait maintenant les doigts. Secunda, il passe aux
aveux. Judas s' avoue, verbalement, coupable. 11 reconnait avoir
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Le meurtre de Jesus
peche ; il declare egalement Jesus innocent. n ne cherche pas a se
disculper, mais admet de plein gre avoir mal agi.
De prime abord, ces demarches peuvent sembler temoigner
d'une bonne dose de repentance, mais il est neanmoins loin du
compte. C' est vrai qu' il admet avoir peche, mais il ne se confesse
pas a Dieu et ne sollicite pas veritablement son pardon. n ne se
presente pas, comme l' a fait le fils prodigue, a celui c~ntre qui il a
peche. Judas n' eprouve manifestement guere plus d' amour pour
Christ ici, tandis qu' il remet l' argent au sanhedrin, que lorsque
celui-ci le lui a verse. Tout ce qui a change, c' est qu'il est maintenant
cruellement con scient des repercussions de son peche, et se refuse
aux consequences. Comme tant de nos contemporains qui
professent la repentance, Judas souhaite avant tout echapper a la
souffrance qui accompagne la culpabilit6. Cette conscience qui ne
cesse de le tourmenter affreusement.
Le peche ne satisfait j amais reellement. n procure des plaisirs
passagers (cf. Hebreux 11.25), mais conduit invariablement a la
tristesse, a la misere et a la souffrance. Motive par sa cupidite,
Judas a sacrifie ajamais, pour un simple instant de plaisir, toute
possibilite de joie et de satisfaction veritables. Paul a bien raison
de dire: « Car l' amour de l' argent est une racine de tous les maux ;
et quelques-uns, en etant possedes, se sont egares loin de la foi, et
se sont jetes eux-memes dans bien des tourments »
Cl Timothee 6.10). Or, Judas est la personnification meme de
l'inconduite que d6crit PauL Personne ne s' est jamais d~u lui-meme
aussi cruellement - et tout cela par amour insense de l' argent.
Judas ne re<;,:oit ni sympathie ni soutien de la part de ses
complices conspirateurs. En reponse a son aveu, il n' obtient que
leurs moqueries : « lIs repondirent : Que nous importe ? Cela te
regarde » (Matthieu 27.4b). lIs ont d' autres chats a fouetter pour
le moment. lIs doivent trouver le moyen de faire crucifier Jesus.
Disons tout de meme que la durete de leur replique est saisissante.
Judas vient d' admettre carrement avoir livre le sang innocent. Or,
le fait que cela ne signifie rien pour eux revele combien ils sont mal
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Le matin de la crucifixion
intentionnes depuis le tout debut. lIs feront cmcifier Jesus en le
sachant pertinemment innocent.
N' arrivant pas a leur faire reprendre leur argent, Judas le jette
dans le Temple et s'en va. Cela signifie peut-Hre qu'illance les
pieces dans le lieu saint, ou seuls les sacrificateurs sont autorises a
entrer,forr;ant ainsi les sacrificateurs ales ramasser eux-memes. II
s' agit d'un ultime geste de depit, destine ales pousser a gagner les
pieces d' argent devenues le symbole de la culpabilit6 de Judas.
Rappelons-nous ceci : « Maudit soit celui qui r~oit un present
pourrepandre le sang de l'innocent ! »(Deut6ronome 27.25a.) II
se peut que, par superstition, Judas associe les pieces en soi a la
malediction et desire se soustraire a cette malediction en se
debarrassant de I' argent. En tout cas, il souhaite tout au moins
etendre cette meme malediction a ses complices conspirateurs. Ce
qui explique, d'ailleurs, qu'il manipule les pieces comme s'il
s' agissait d' un cadeau empoisonne. En tournant les talons aussitot
apres leur avoir jet6 les pieces, il ne leur laisse d'autre choix que
de reprendre I' argent.
Judas, maintenant seul au monde, au desespoir, inconsolable
et croulant sous le poids de la culpabilit6, scellera maintenant a
jamais sa propre mine par le suicide.
Peut-etre Judas croit-il qu' en mettant un terme a ses jours il
cessera finalement de se sentir coupable. Mais c' est tout le contraire
qui se produira. En s' enlevant la vie, il s' enchai'nera a sa culpabilit6
pourtoujours. Judas, plus que quiconque, devraitle savoir, puisqu'il
a si souvent entendu Jesus enseigner sur l' enfer - ce lieu de
tourments etemeIs, de feu qui ne s'eteint pas, de pleurs et de
grincements de dents qui se poursuivent nuit et jour a perpetuite
(Matthieu 8.12; 13.42,50 ; 22.13 ; 24.51 ; 25.30; Marc 9.43-48 ;
Luc 13.28). Dans l' enfer, la souffrance qu' engendrent Ies remords
de conscience s' intensifiera etemellement - rongeant l' ame comme
un ver insatiable qui ne meurt jamais.
Pour gIanertoutes Ies circonstances entourant le suicide de Judas,
il suffit de comparer le recit de Matthieu avec celui du livre des Actes,
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Le meurtre de Jesus
ou Luc rapporte ce que l' apotre Pierre dira de Judas, pour ensuite
faire cette parenthese : « eet homme, ayant acquis un champ avec le
salaire du crime, est tombe, s' est rompu par le milieu du corps, et
toutes ses entrailles se sont repandues. La chose a ete si connue de
tous les habitants de Jerusalem que ce champ a eM appeIe dans leur
langue Hakeldama, c' est-a-dire, champ du sang» (Actes 1.18,19).
En comparant entre eux les recits de Luc et de Matthieu, il
nous est donc possible de reconstituer la scene. Judas se pend a
une faible branche - qui depasse peut-etre au-dessus d'un
precipice ou d'un amas de rochers aux angles tranchants dans le
champ du potier. La branche semble se casser, et Judas tomb er la
tete la premiere sur les rochers, d' ou l'horrible mutilation de son
corps que decrit Luc dans Actes 1.
L' AFFECTATION MORALlSATRICE DES
AUTORITES DU TEMPLE
Les chefs religieux semblent partager l'attitude superstitieuse de
Judas envers l' argent du sang. Bien que Judas trouve le moyen de
les forcer a en assumer la responsabilite, ils ne desirent aucunement
posseder cet argent, pas plus qu'ils ne souhaitent le mettre dans le
tresor sacre :
Les principaux sacrificateurs les ramasserent, et dirent : n
n' est pas permis de les mettre dans le tresor sacre, puisque
c' est le prix du sang. Et, apres en avoir deIibere, ils achererent
avec cet argent le champ du potier, pour la sepulture des
etrangers. C' est pourquoi ce champ a eM appeIe champ du
sang, jusqu'a ce jour. Alors s'accomplit ce qui avait eM
annonce par Jeremie, le prophete : ns ont pris les trente pieces
d' argent, la valeur de celui qui a eM estime, qu' on a estime
de la part des enfants d'Israel ; et illes ont donnees pour le
champ du potier, comme le SEIGNEUR me l' avait ordonne
(Matthieu 27.6-10).
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Le matin de la crucifixion
En evoquantJeremie, Matthieu nous ramene en fait au livre de
Zacharie : « Et ils peserent pour mon salaire trente sic1es d' argent.
L'ETERNEL me dit : Jette-Ie au potier, ce prix magnifique auquel ils
m' ont estime ! Et je pris les trente sic1es d' argent, et je les jetai
dans la maison de I'ETERNEL, pour le potier »(Zacharie 11.12b,13).
C' est ainsi que Zacharie a decrit, avec une exactitude troublante,
le geste qu'allait poser Judas. (Le fait que Matthieu attribue la
prophetie a« Jeremie » reflete la maniere dont on divisait alors
couramment le canon Mbreu en trois parties : la loi, les ecrits et les
prophetes. Tout comme on designait parfois les ecrits poetiques
dans leur ensemble par« les psaumes », d'apres le premier livre
de cette partie du canon - cf. Luc 24.44 -, de meme on designait
parfois les ecrits propMtiques par« Jeremie », d'apres le premier
livre de la partie propMtique du canon Mbreu.)
Matthieu et Luc mentionnent tous les deux qu' on finira par
designer couramment le champ en question comme « le champ du
sang». Al' epoque de la redaction des Evangiles, soit une trentaine
d' annres apres la crucifixion, il s' agira manifestement d'un endroit
bienconnu.
Mais, ici, en ce jour ou Judas y meurt, on le connai't sous le
nom de« champ du potier ».11 s'agit probablement d'un terrain
inoccupe attenant au commerce d'un potier - peut-etre d'un terrain
au soljadis riche en argile, mais qui, ayant ete exploite a fond, a
perdu toute utilite pour le potier. L' exploitation de l' argile a sans
doute defigure et devalue la propriete, si bien que les trente pieces
d' argent suffisent amplement a son acquisition.
Bien que Luc semble suggerer que Judas ait achete lui-meme
le champ, il ne veut certainement rien dire d' autre par la que le
champ a ete acquis avec l'argent de Judas. Selon le recit de
Matthieu, il est evident que ce sont les autorites du Temple qui
l' ont achete - probablement d' ailleurs apres que Judas y a trouve
la mort. Par la suite, ils auront converti la propriete en cimetiere
pour les « etrangers » - tres probablement les non-Juifs et les
panas.
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Le meurtre de Jesus
On fait passer la transaction pour un geste charitable, bien qu' en
realire elle laisse transpirer I'hypocrisie la plus crasse qui soit. Dans
ses menees conspiratrices contre Jesus, le sanMdrin n' a manifesre
jusqu'ici que bien peu d' egards pour la justice. Afin d' obtenir un
verdict de culpabilire c~ntre Jesus, il a vioIe virtuellement tous les
principes de justice. En effet, il a pris de l' argent du tresor sacre
pour acheter la trahison du Maitre par Judas. Mais maintenant qu' il
s' agit de remettre l' argent du sang dans le tresor sacre, les chefs
religieux eprouvent soudain des scrupules. (11 se peut que ce soit
par superstition, comme Judas, qui semble avoir associe la
malediction de Deuteronome 27.25 aux pieces d' argent en tant
que telles - plutot que de comprendre que c' est la traitrise en soi
qui fait l' objet de la malediction.)
En avouant que les pieces d' argent constituent « l' argent du
sang », les sacrificateurs portent un jugement contre eux-memes,
puisqu'ils admettent, pour ainsi dire, que l' argent constitue (selon
Deuteronome 27.25) «un present pour repandre le sang de
I'innocent ». Contrairement aJudas, ces hommes ne semblent
eprouver aucuns remords de conscience quant aleur mauvaise
action. « Que nous importe ? »ont-ils raille Judas.
Pour eux, tout ce qui compte, c' est de sauver les apparences.
A l' epoque de Jesus, c' est d' ailleurs tres souvent le piege auquel se
prennent la plupart des scribes, des pharisiens, des sadduceens et
des autres chefs religieux. Vus de l' exrerieur, ils donnent l' impression
d' obeir a la Loi. Ils maitrisent l' art de paraitre saints aux yeux
d' autrui. Leurs vetements, leurs actions et leurs rites religieux visent
tous adonner une apparence de saintere. Mais ils negligent des
choses bien plus importantes - surtout la droiture veritable et
profonde. Ce ne sont que des hypocrites. Rappelons-nous que Jesus
leur a reprocM de ne nettoyer que le dehors de leur coupe, pour la
laisser pleine de rapine et d' intemperance. Illes a aussi compares a
des sepulcres blanchis, qui paraissent beaux au-dehors, mais qui
sont pleins de mort et d'impureres au-dedans :
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Le matin de la crucifixion
Malheur avous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que
vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et
qu' au-dedans ils sont pleins de rapine et d' intemperance.
Pharisien aveugle ! nettoie premierement l' interieur de la
coupe et du plat, afin que l'exterieur aussi devienne net.
Malheur avous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que
vous ressemblez ades sepulcres blanchis, qui paraissent
beaux au-dehors, et qui, au-dedans, sont pleins d' ossements
de morts et de toute espece d'impuret6s. Vous de meme,
au-dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais,
au-dedans, vous etes pleins d'hypocrisie et d'iniquite
(Matthieu 23.25-28).
Jesus n'a cesse d'aborder ce theme depuis le tout debut de
son ministere public. n s' agit d' ailleurs du message central de son
sermon sur la montagne - dans lequel il a enseigne que c' est dans
le creur que la loi morale de Dieu prend tout son sens, et non dans
les choses exterieures comme les vetements, les rites et les
comportements en public (Matthieu 6).
Les membres du sanhedrin qui font condamner Christ incarnent
l'hypocrisie repugnante a laquelle il s'est toujours oppose. Ils
refusent, avec une affectation moralisatrice, de mettre l' argent du
sang dans le tresor sacre en plein jour, alors qu'ils n' ont eu aucuns
scrupules ase servir ameme le tresor sacre pour payer secretement
Judas avec l'argent du sang. Ils font taire leur conscience
affreusement coupable, pour ne se preoccuper que de l'impression
qu'ils donnent. Ils ne prennent pas meme le temps de reflechir a
l' innocence de Jesus (<< Que nous importe ? ») - ils s' empressent
de donner l' impression qu' il merite la mort. Dans la mesure Oll ils
arrivent adonner aleur complot pervers l'illusion de la Iegitimite,
ils sont parfaitement heureux d' avancer sur leurs voies pecheresses.
Ils s' evertuent afaire passer Jesus pour coupable et eux-memes
pour justes - meme s'ils savent pertinemment que la realite est
tout al' oppose des apparences.
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Le meurtre de Jesus
Maintenant, ils doivent trouver le moyen d'impliquer les
Romains dans leur complot meurtrier contre Jesus.
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Le gouvemeur prenant la parole, leur dit : Lequel des
deux voulez-vous que je vous rel§che ? lis repondirent :
Barabbas. Pilate leur dit : Que ferai-je done de Jesus,
qu'on appelle Christ? Tous repondirent : Qu'il soit
erueifie!
-Matthieu 27.21,22
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