bilan de la situation en libye

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bilan de la situation en libye
OBSERVATOIRE DES MUTATIONS POLITIQUES
DANS LE MONDE ARABE
BILAN DE LA SITUATION EN LIBYE
PAR ARWA KADDUR
Assistant Responsable pour les Affaires Politiques
au sein de la Mission des Nations Unies en Libye (UNSMIL)
janvier 2015
BILAN DE LA SITUATION EN LIBYE / ARWA KADDUR – JANVIER 2015
BILAN DE LA SITUATION EN LIBYE Par Arwa KADDUR / Assistante Responsable pour les Affaires Politiques au sein de la Mission des Nations Unies en Libye (UNSMIL) INTRODUCTION Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye peine à trouver le chemin de la démocratie et de l’Etat de droit. Le pays a hérité du lourd héritage politique de l’ancien régime, marqué par la désintégration de la structure de l’Etat et par un secteur de la sécurité hybride. Cela n’est pas sans conséquence sur le processus d’instauration de solides institutions nationales et sur la stabilisation du pays. Kadhafi, en faisant le vide autour de lui, a légué un Etat déstructuré, sans aucune expérience ni culture politique, rendant ainsi l’alternance politique quasi‐impossible. La sécurité s’est considérablement détériorée ces trois dernières années, marquée par des vagues d’assassinats ciblés, des enlèvements et des affrontements fréquents entre milices rivales. Le pays est désormais plongé dans un chaos sécuritaire doublé d’un chaos institutionnel et est en passe de franchir le point de non‐retour. L’été 2014 a marqué le début de violents affrontements à Tripoli, entre d’une part la coalition de milices l’Aube de la Libye (Fajr Libya) et d’autre part les miliciens de la ville de Zentan et leurs alliés, forçant la mission des Nations Unies et les ambassades à évacuer leur personnel expatrié. Les gouvernements de transition successifs ont échoué à réformer le secteur de la sécurité et à asseoir leur autorité sur les « brigades révolutionnaires ». Les groupes armés, officialisés pour combler le vide sécuritaire qui a suivi la chute du régime, en ont profité pour prendre leurs quartiers dans les institutions publiques du pays, faisant dominer le statu quo. De nombreuses brigades, formées pendant ou après la révolution, ont reçu une autorisation d’exercer par les différentes entités politiques (Conseil national de transition, Congrès général national, bureau du Premier ministre) et sécuritaires de l’Etat (ministère de l’Intérieur, ministère de la Défense et le Chef d’Etat‐
Major des armées). En revanche, la loyauté des brigades sous‐traitées vis‐à‐vis de l’Etat, laissait à désirer, répondant plutôt à leur propre chaîne de commandement et servant les intérêts de leur ville ou de leur région. Les milices, actrices de l’anarchie, et qui règnent en Libye, ont profité de la faiblesse des autorités centrales du pays, pour s’organiser et centraliser un arsenal militaire digne d’une armée. C’est le cas notamment des villes de Zentan et de Misrata, dont les conseils militaires locaux ont continué à fonctionner et à posséder des armes lourdes. La ville côtière de Misrata, quant à elle, possède d’importantes installations de stockage et de maintenance qui font d’elle une ville surarmée. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 1
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Le chaos sécuritaire s’est récemment doublé d’une crise institutionnelle majeure. Depuis le mois de septembre, la Libye possède deux gouvernements et deux groupes armés qui se déchirent le pouvoir. La Chambre des représentants, élue en juin dernier et son gouvernement, qui bénéficient de la reconnaissance de la communauté internationale, ont été contraints de se retirer dans la ville côtière de Tobrouk, à l’Est du pays, à quelques kilomètres de la frontière égyptienne. Tandis qu’à l’Ouest du pays, dans la capitale Tripoli, siège de l’ancien Parlement, le Congrès général national (CGN), qui a repris ses fonctions et a formé un gouvernement parallèle. La Libye se retrouve dès lors avec deux Parlements et deux gouvernements. Le gouvernement installé à Tripoli, baptisé « gouvernement de salut national », est soutenu par une coalition de milices, que l’on nomme « Fajr Libya » (Aube de la Libye), qui a saisi la capitale Tripoli lors de violents affrontements en juillet dernier. Le gouvernement de Tobrouk, quant à lui, a adopté « Opération Dignité » (Amaliyat Al Karama) du Général à la retraite Khalifa Haftar1. Le 6 novembre 2014, la Cour suprême de Libye annule le 7ème amendement de la Déclaration constitutionnelle provisoire, qui avait conduit à l ‘élection de La Chambre des représentants. Le Parlement fraîchement élu a refusé de se soumettre au verdict de la Cour suprême dont le siège est à Tripoli, affirmant que cette décision avait été prise sous la menace des armes des miliciens de Fajr. Les deux camps, gouvernements et Parlements concurrents, continuent de se disputer la légitimité politique malgré les appels au dialogue. Dans cette confusion, quelques institutions parviennent à rester indépendantes de toute rivalité, telle que l’Assemblée constituante dont le siège est à Al Bayda, la Compagnie Pétrolière Nationale, et dans une certaine mesure, la Banque centrale libyenne et la Cour suprême. CONTEXTE POLITIQUE Du Congrès National Général à la Chambre des Représentants En juillet 2012, les premières élections législatives libres du Congrès général national (CGN) ont marqué un événement historique pour le peuple libyen. Les élections, tenues sur fond d’euphorie consensuelle, ont propulsé en tête de listes des partis politiques la coalition « libérale » ‐ ne se réclamant pas de l’islam politique ‐ de Mahmoud Jibril, l’Alliance des Forces Nationales qui a recueilli39 sièges, suivie des Frères musulmans du parti Justice et Construction de Mohamed Sawan, avec 17 sièges. 120 membres du CGN ont été élus en tant que membres indépendants et 32 sièges sur 200 sont réservés aux femmes. Des blocs politiques ont vu le jour au sein du CGN caractérisés par des alliances changeantes suivant les sujets, du fait de la faible politisation du Congrès, dont les membres manquent pour un grand 1Khalifa Haftar est un lieutenant‐général dissident à la retraite, qui a été fait prisonnier lors de la guerre du Tchad en 1987. Exilé pendant plus de trente ans aux Etats‐Unis, il retourne en Libye 2011 pour prendre part à l’insurrection contre le régime de Kadhafi. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 2
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nombre d’expérience politique. Ses blocs politiques se sont appuyés sur les puissantes milices pour peser sur les décisions du CGN. La plus importante, le bloc islamiste d’Al Wafaa li Dimaa Al Shuhada ‐ fidélité au sang des martyrs ‐ était soutenu par les milices de Misrata. Quant aux « libéraux », ils pouvaient compter sur le soutien des milices de la ville de Zentan. Le CGN s’est distingué par sa gestion chaotique, l’absentéisme des députés aux séances parlementaires, mais également par son manque de transparence et plus particulièrement par le violent bras de fer opposant le bloc islamiste majoritaire au sein de l’Assemblée aux « libéraux » de l’Alliance des Forces Nationales. En décembre 2013, le CGN vote la prorogation de son mandat au‐delà de son échéance initiale, prévue pour le 7 février 2014. Mais l’incapacité du Congrès et de ses gouvernements intérimaires successifs à mettre fin à l’anarchie et à établir un Etat de droit, lui a fait progressivement perdre toute légitimité à être représentatif du peuple libyen. Un mouvement national contestataire voit le jour, rejoint par un nombre de députés, qui avaient soumis leur démission en guise d’opposition à la prorogation du mandat. En février, les puissantes brigades d'Al‐Qaaqaa et Al‐Sawa’eq, originaires de la ville de Zentan, lancent un ultimatum au Parlement pour quitter le pouvoir et menacent d’attaquer le bâtiment et d’arrêter tout député réfractaire. L’ex‐chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (UNSMIL), Tarek Mitri2, a joué le rôle de médiateur, convainquant les chefs de chacune des milices à favoriser le dialogue politique. La négociation a permis un arrêt temporaire des hostilités. Sous la pression de la rue et faisant constat de son impopularité, le Parlement libyen mandate un Comité consultatif composé de quinze membres, baptisé « Comité de février », voué à établir une feuille de route pour la tenue d’élections législatives. Le CGN a finalement adopté une version modifiée3 de la proposition de la Commission et a amendé la Constitution à cet effet. Le 7ème amendement de la Constitution prévoit donc que la nouvelle législature sera chargée de légiférer sur le futur mode de désignation d'un président dans les 45 jours suivant sa première séance et à promulguer la nouvelle Constitution une fois que le projet aura été approuvé, par référendum, à la majorité des deux tiers. Les élections de la Chambre des représentants ont suivi celles de l’Assemblée constituante qui ont eu lieu en février 2014. L’Assemblée dispose de dix‐huit mois pour rédiger la nouvelle Constitution. Elections de la Chambre des représentants (Majlis Al Nawaab) La Chambre des représentants, élue le 25 juin, succède au CGN et est mandatée pour achever la période de transition jusqu’aux élections présidentielles. Tous les candidats se sont présentés sans 2
Tarek Mitri, est le Représentant Spécial et Chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye d’octobre 2012 à août 2014.
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La proposition du Comité prévoyait la tenue des élections législatives et présidentielles. Le Parlement a changé la proposition pour n’y inclure que les élections législatives auxquelles seuls des candidats indépendants seraient autorisés à se présenter. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 3
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étiquette, contrairement aux élections de juillet 2012 où 80 candidats étaient issus des listes de partis politiques. Dans un climat de tension et de perte de confiance, seuls 1, 5 millions d'électeurs sur 3,5 millions se sont inscrits sur les listes électorales. A titre de comparaison, 2,7 millions d’électeurs s'étaient inscrits en 2012 pour l’élection du CGN. De surcroît, le taux de participation des inscrits est tombé de 64 % en 2012 à 18% en 2014, ce qui représente400,000 votants. 188 membres indépendants ont été élus mais 12 sièges sont restés vacants pour cause de boycott4 et de l’impossibilité d’organiser le scrutin dans certaines circonscriptions5 pour des raisons de sécurité. La proclamation des résultats définitifs des élections législatives marque un tournant dans le nouveau paysage politique. Majoritaires au sein du CGN, les candidats islamistes essuient une défaite en n’obtenant qu’une trentaine de sièges. Passation de pouvoir tourmentée La question du lieu de passation de pouvoir entre l’Assemblée sortante et le nouveau Parlement élu est sans doute le point de discorde qui a déclenché la crise institutionnelle dans lequel le pays est plongé. La Chambre des représentants s’est vue contrainte de siéger à Tobrouk, à 1,600 km à l’Est de Tripoli, pour échapper à la pression des milices. De violents affrontements ont éclaté dans la capitale libyenne à partir du 13 juillet pour la prise de l’aéroport international6 de Tripoli entre les milices de la Coalition Fajr Libya (L’Aube de la Libye) et les miliciens de la Ville de Zentan. La Chambre des Représentants, par la voix de son doyen, Abubakar Buaira, a désigné Tobrouk comme lieu d’inauguration et siège de la nouvelle Assemblée pour échapper à la menace des groupes armés. Mais cette décision a été contestée par le président sortant du CGN, Nouri Abu Sahmain, pour qui le choix de Tobrouk est contraire à la Constitution. Alors qu’une cérémonie d’inauguration avait lieu à l’Est du pays, le CGN organisait une cérémonie de passation de pouvoir à Tripoli, à laquelle ont participé quelques membres du CGN ainsi qu’une vingtaine de membres frondeurs de la Chambre des représentants. La proposition du Comité de février prévoyait que la Chambre des représentants siège à Benghazi et que la cérémonie de passation de pouvoir ait lieu à Tripoli. Néanmoins, selon Azza Maghur, rapporteur et membre du Comité de février, le CGN, qui a émis le 7ème amendement et adopté la loi électorale (10/2014), est resté flou sur les conditions et le mode de passation de pouvoir7. De surcroît, au vu des conditions de sécurité en extrême détérioration à Tripoli et Benghazi, la ville de Tobrouk semblait rassembler les conditions nécessaires pour accueillir la plus haute autorité législative du pays. 4
La minorité berbère a boycotté les élections constitutionnelles et celles de la Chambre des représentants pour réclamer plus de droits. 5
Les bureaux de vote à Derna, Kufra et dans certaines localités de Benghazi sont restés clos pour des raisons de sécurité.
6 Voir: http://video.lefigaro.fr/figaro/video/libye‐la‐violence‐des‐combats‐autour‐de‐l‐aeroport‐de‐tripoli/3699267914001/ 7 Azza Maghur, A legal look into the Libyan Supreme Court Ruling, http://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/a‐
legal‐look‐ into‐the‐libyan‐supreme‐court‐ruling, 8 décembre 2014 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 4
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En revanche, le choix de Tobrouk ne fait pas l’unanimité. Seuls 158 membres sur les 188 élus se sont présentés le 4 août à la séance inaugurale. Trente membres élus de la Chambre des représentants, dont dix représentants de la ville de Misrata, sept de Tripoli, cinq de Gharyan, trois d’Al Khums, trois de Benghazi et deux de Sabha8, ont refusé de se rendre à Tobrouk et boycottent jusqu’à présent les travaux de la Chambre des représentants. Lors de la première séance, Aguila Saleh Gweder, représentant indépendant de la ville de Qubba’, est élu président du Parlement, avec 77 voix sur les 158 députés présents. Intensification du chaos institutionnel A la suite de la prise de Tripoli par la coalition Fajr Libya, la Chambre des représentants et le gouvernement intérimaire d’Abdallah Al Thni9 sont contraints de quitter Tripoli et s’installent à l'extrême ‐ Est du pays, une région contrôlée par les forces d’Opération Dignité du Général à la retraite Khalifa Haftar. A Tripoli, considérant que la passation de pouvoir n’avait pas eu lieu et que l’emplacement du siège de la nouvelle assemblée était anticonstitutionnel, Nouri Abu Sahmain a demandé aux ex ‐ députés de reprendre leurs fonctions au sein du CGN. Evidemment, un grand nombre de députés ayant démissionné, parmi lesquels « le bloc des 94 », réputé contestataire, refuse la résurgence du CGN. Entre 20 et 60 députés islamistes10 auraient répondu favorablement à l’invitation d’Abu Sahmain de faire renaitre le CGN. Lors d’une session tenue à huis‐clos, les députés ont donné mandat à Omar Al Hassi11 pour former un gouvernement de salut national. A la fin du mois de septembre, le nouveau gouvernement, en déficit de légitimité, car non reconnu par la communauté internationale, prend possession des ministères à Tripoli sous les auspices de la coalition Fajr Libya, s’appropriant même le site internet officiel du Premier ministre12. Depuis sa prise de fonction, le gouvernement de salut national tente de gagner en légitimité en administrant la capitale de manière exemplaire. Depuis l’arrêt des combats qui ont eu lieu durant tout l’été, la ville semble avoir repris son cours normal. Omar Al Hassi, Premier ministre du gouvernement non‐
reconnu, se vantait d’avoir restauré la sécurité dans la capitale et d’avoir mis fin aux coupures d’électricité et à la pénurie de carburant. Parallèlement, à Tobrouk, la Chambre des représentants renouvelle sa confiance à Abdallah Al Thni, en reconduisant son mandat de Premier ministre et lui demande de former un cabinet de crise. 8 Voir : https://twitter.com/HMAMichaelAron/status/496295613433393153`
9 Ministre de la défense sous le gouvernement intérimaire de Ali Zeidan, il est nommé Premier ministre par intérim le 11 mars 2014 par le CGN. 10 Le CGN indique qu’une centaine de députés auraient repris leur fonction. Diverses sources indiquent un chiffre entre 21 et 60 députés présents aux séances tenues à huis‐clos. 11 Omar Al Hassi originaire de Benghazi, est juriste de formation, et se réclame du mouvement salafiste. Il était Candidat à la succession du Premier ministre Abdallah Al Thni en avril 2014. 12 Voir : http://www.pm.gov.ly IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 5
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Contrairement au CGN et au gouvernement de salut national, le camp de Tobrouk dispose de la reconnaissance de la communauté internationale, lui conférant une légitimité incontestable. Dès lors, la Libye est officiellement divisée et plongée dans un chaos institutionnel et sécuritaire avec deux Parlements, deux gouvernements et deux forces armées rivales. Décision de la Cour suprême de Libye Peu de temps après la première séance de la Chambre des représentants, deux recours sont portés devant la Cour suprême de Libye, afin de statuer sur la constitutionnalité de la nouvelle autorité législative. Les plaintes ont été déposées par le député frondeur Abderraouf Al Manai13 et Khalid Al Mishri, membre du CGN. D’après Al Manai, le choix du siège de la Chambre des représentants s’est porté sur la ville de Tobrouk afin qu’ « Opération Dignité » du Général Haftar puisse contrôler l’autorité législative du pays. Les requérants ont demandé à la Cour suprême de statuer sur le paragraphe 11 du 7ème amendement de la Déclaration constitutionnelle. Dans son arrêt, lu par son président Kamal Al‐Dahan, la Cour a prononcé l’annulation du 7ème amendement qui a conduit aux élections du 25 juin. Le scrutin et les décisions prises par la Chambre des représentants sont de facto annulées. Une telle décision est définitive, aucun recours n’est possible. Le verdict a conforté le CGN, qui a déclaré par la voix de son porte‐parole, Omar Hmedan, que l’ancien Parlement était désormais la seule instance légitime du pays. La Chambre des représentants a rejeté la décision de la Cour suprême, soutenant que le verdict avait été proclamé sous la menace des armes des miliciens et qu’il tire sa légitimité du peuple. La Cour suprême siège à Tripoli, ville sous le contrôle du camp Fajr Libya. Si la Chambre des représentants a réfuté le verdict, un nombre de députés ont affirmé qu’ils respectaient la décision de la Cour suprême. En revanche, acceptation ne semble pas valoir démission car ils continuent de siéger au sein de l’Assemblée à Tobrouk. La décision de la Cour suprême n’a effectivement rien changé au paysage politique et militaire en Libye. Deux gouvernements et deux coalitions armées continuent à se déchirer le pouvoir. De surcroît cette décision ne confère pas automatiquement les compétences au CGN. L’ESCALADE MILITAIRE : « OPERATION DIGNITE » VS « AUBE DE LA LIBYE » La Libye est actuellement en proie à de violents affrontements entre deux factions armées. D’une part « Opération Dignité », officiellement lancée en mai, pour purger la Libye de ses « milices islamistes ». Cette opération est progressivement adoptée par la Chambre des représentants et le gouvernement d’Al Thni et intégrée comme opération officielle de l’armée nationale libyenne . D’autre part L’autre faction armée, baptisée Fajr Libya (Aube de la Libye), a quant à elle été préparée et lancée pour parer à l’offensive du Général Khalifa Haftar. 13 Abderraouf Al Manai est un journaliste et écrivain. Député d’Abu Selim (Tripoli), il a été victime d’un enlèvement en juin 2013 par des milices affiliées à la ville de Zentan. Il a porté plainte contre l’ancien Premier ministre Ali Zeidan qu’il accuse d’être responsable de son enlèvement. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 6
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Le Camp « Dignité » Le 14 février 2014, le Général à la retraite Khalifa Haftar apparaît en public pour annoncer la dissolution du CGN, qui a alors prorogé son mandat et la « suspension » du gouvernement intérimaire de Ali Zeidan14. Il accuse le CGN d’être le principal responsable du chaos en Libye et de soutenir les milices islamistes. L’autorité centrale a condamné l’action du Général Haftar, qu’elle qualifie de tentative de coup d’Etat militaire. Le 16 mai, le Général Khalifa Haftar lance l’opération militaire baptisée « Opération Dignité » dont l’objectif est de purger le pays de toutes les milices islamistes. L’offensive s’est focalisée en premier lieu sur Benghazi où plusieurs des positions islamistes ont été la cible de raids aériens. Au cours de la même période, les milices de la ville de Zentan, alliées à « Opération Dignité », ont pris d'assaut le CGN. L’Opération Dignité comprend un large éventail de forces armées, parmi lesquels les forces spéciales d’Al Sa’iqa15, le Conseil militaire de la Cyrénaïque, des unités de l’armée de l’air et des milices, y compris des milices fédéralistes. Khalifa Haftar disposerait d’environ 5000 hommes sous son commandement direct. L’opération du Général à la retraite s’officialise progressivement. En octobre, le porte‐parole du chef d’Etat‐major de l’armée libyenne, le Colonel Ahmed Al Mesmari, déclare qu’ « Opération Dignité » est « désormais, une opération parmi d’autres de l’armée Nationale»16. Le 16 octobre, la Chambre des représentants, qui siège sous les auspices de « Dignité » adopte officiellement l’opération du Général Haftar. Dans un communiqué, le Parlement déclare qu’« Opération Dignité est une opération militaire légitime, qui dépend du Chef d’Etat‐Major des armées et du gouvernement de transition (d’Abdallah Al Thni) ». Et d’ajouter que l’opération est une « guerre contre le terrorisme » menée par l’armée nationale libyenne, sous le commandement du Général Khalifa Haftar ». Auparavant, la Chambre des représentants avait nommé fin août un nouveau chef d’Etat‐Major, Abdelrezak Nadouri, fidèle allié et un des commandants de l’Opération Dignité. Cette nomination a été perçue par le camp Fajr comme une énième provocation. 14 Premier ministre de novembre 2012 à mars 2014. Le 10 octobre 2013, il est kidnappé de l’hôtel Corinthia où il réside à Tripoli, par des membres du groupe de milices, la « salle d’opérations révolutionnaires de Libye ». Il est libéré quelques heures plus tard. Ses opposants affirment qu’il avait été « arrêté » pour des délits de corruption mais il semblerait plutôt que son enlèvement ait été perpétré en représailles à l’arrestation d’Abu Anas Al Libi par les services secrets américains quelques jours auparavant. 15 Les forces spéciales d’Al Sa’iqa étaient un bataillon sous le commandement direct de Kadhafi et chargé de la protection du régime. Un grand nombre de ses officiers de haut rang ont fait défection dès le début de la révolution de 2011. Al Sa’iqa est considérée comme une force armée régulière sous le commandement du chef d’Etat‐major des Armées. Populaire pour sa résistance face aux groupes islamistes à l’Est, plusieurs de ses soldats ont été victimes d’attaques terroristes et d’assassinats ciblés. 16 L'armée libyenne soutient l'offensive de Khalifa Haftar à Benghazi, France 24 http://www.france24.com/fr/20141015‐
libye‐benghazi‐khalifa‐haftar‐operation‐dignite‐soutien‐armee‐libyenne‐tripoli‐milices‐/, 15 octobre 2014. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 7
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D’après le journal Al Sharq Al Awsat17, la Chambre des représentants prévoit de nommer Khalifa Haftar commandant en chef des forces armées, ce qui le conforterait dans sa position de chef militaire et lui octroierait une légitimité incontestable. Opération l’Aube de Libye En réponse à l’offensive du Général Khalifa Haftar, une coalition hétéroclite de groupes armés, dirigée par les puissantes milices de la ville de Misrata, baptisée « Aube de la Libye » ou « Fajr Libya » en arabe, a vu le jour. Pour Salah Badi, ex‐membre du CGN et un des chefs de la coalition, l’objectif de Fajr Libya est de faire front au « coup d’Etat militaire18 » du Général Khalifa Haftar et de « lutter contre la corruption rampante au sein des institutions ». Ce qui signifie, en d’autres termes, la purge complète des éléments de l’ancien régime, c’est‐à‐dire, toute personne ayant tenu un poste à responsabilité sous Kadhafi, comme prévu par la loi d’isolement politique19. La Coalition Fajr regroupe les factions armées de la puissante ville de Misrata, les milices berbères de Zwara et du Djebel Nafusa, ainsi que des milices islamistes modérées et extrémistes, parmi lesquelles figurent des ex‐membres du Groupe Islamique Combattant en Libye (Al Jama’a al‐Islamiyyah al‐
Muqatilah)20, allié à des politiciens islamistes. A l’Est, Fajr Libya dispose d’alliés extrémistes tels qu’Ansar Al Sharia (AAS)21, classé sur la liste des groupes terroristes par les Etats‐Unis et sur la liste noire du Conseil de sécurité des Nations Unies. A Tripoli, Fajr Libya a lancé les hostilités le 13 juillet pour chasser les brigades de Zentan de l’aéroport international de Tripoli, qu’elles contrôlent depuis la chute de l’ancien régime. Les combats se sont très vite étendus dans plusieurs quartiers de la capitale. Au bout de deux mois de violents affrontements à Tripoli et dans les villes alentours, la coalition Fajr prend possession de la capitale et expulse les milices de la ville de Zentan. Fajr Libya soutient le CGN et propulse par la suite Omar Al Hassi à la tête du gouvernement de salut national, ais le camp Fajr pâtit d’un déficit de reconnaissance internationale. Dans le but de combler ce déficit de légitimité, le CGN tente de recueillir un soutien régional et international. Le président du Congrès Nouri Abu Sahmain s’est rendu à Khartoum le 28 octobre afin de s’assurer du soutien soudanais. Auparavant, il avait rencontré Idris Déby au Tchad, accompagné 17 Haftar set to be Libya’s highest‐ranking military official : minister, Khalid Mahmoud, Al Sharq Al Awsat, http://www.aawsat.net/2014/12/article55339600, 18 décembre 2014. 18 Q&A: 'Libya will become a haven for radicals'citattion, par Nancy Porsia, Al Jazeera, http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2014/12/qa‐libya‐will‐become‐haven‐radicals‐201412235130190233.html 19 Loi controversée, adoptée par 164 voix pour et 4 voix contre, le 5 mai 2013. Elle interdit aux anciens membres du régime d’occuper des fonctions à hautes responsabilités. Les milices en faveur de la loi d’isolement politique avaient assiégé plusieurs institutions pour faire pression sur les députés. 20 Fondé en 1995 par Abu Laith Al Libi (1967‐2008), le GICL était une organisation islamiste armée proche d’Al Qaida. Le groupe abandonne la lutte armée en juillet 2009.
21 Ansar Al Sharia ou Partisans de la charia, est un groupe islamiste Salafiste qui prône une application stricte de la charia en Libye. Le groupe a été fondé par Ayman Al‐ Zahawi pendant la révolution libyenne de 2011. AAS est accusée d’être impliquée dans l’attaque contre le Consulat américain à Benghazi, le 11 septembre 2012 qui a coûté la vie à l’ambassadeur américain Christopher Stevens et à trois autres membres de sa garde rapprochée. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 8
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des leaders politiques islamistes, Ali Sallabi22, membre de la confrérie des Frères musulmans et considéré comme un des cerveaux de Fajr Libya et Nizar Kawan23. Intensification de l’offensive militaire à l’Est Le 16 mai, tout en rejetant l’autorité du CGN, le Général Haftar lance Opération Dignité à Benghazi contre les milices islamistes, dont l’objectif est de purger la ville de tous ces groupes qui contrôlent de nombreux quartiers. La ville de Benghazi, berceau de la révolution du 17 février, a été le théâtre d’assassinats ciblés visant des ex‐officiers de haut rang, y compris des militaires, des activistes et des journalistes libyens. Les groupes islamistes ont été accusés d’être responsables de ces actes, justifiant ainsi l’offensive militaire. Le Général Khalifa Haftar, déterminé à purger la ville des milices islamistes mais manquant de moyens militaires, avait appelé les "fils de Benghazi" à se soulever contre les groupes extrémistes dans leurs quartiers. En juin dernier, les groupes islamistes de Benghazi, dont la sulfureuse Ansar Al Sharia, ont formé un groupe de coordination sous le nom de Majlis Shura Thuwar Benghazi (Conseil consultatif des révolutionnaires de Benghazi). Ce Conseil, dirigé par des commandants islamistes, intègre également des individus indépendants non‐islamistes qui ont choisi de se soulever contre l’opération du Général Haftar qu’ils considèrent comme « contre‐révolutionnaire » et qu’ils soupçonnent d’être commanditée par des supporters de l’ancien régime. Le 3 décembre, après des affrontements d’une extrême violence entre les forces de Khalifa Haftar et les groupes islamistes, qui ont, alors, fait plus d’une centaine de victimes et forcé les habitants de Benghazi à fuir, l’armée nationale libyenne déclare contrôler la ville. Haftar apparaît sur les écrans de télévision, paradant dans Benghazi aux côtés des militaires. Toutefois, la ville n’est pas libérée dans son intégralité ; au 26 décembre, le quartier de Leithi, au cœur de Benghazi, était toujours en proie à de violents combats. Après Benghazi, l’objectif du Général Khalifa Haftar se tourne à plus de 200 kilomètres à l’Est, vers la ville de Derna. Depuis la chute du régime, cette petite ville du Djebel al Akhdar (montagnes vertes), échappe au contrôle des autorités centrales. Derna est présentée comme une plaque tournante du djihadisme international sur les routes vers l’Irak et la Syrie. A l’image de Benghazi, Derna a fait face à la vague d’assassinats ayant visé des membres des services de la sécurité intérieure, des juges civils, des activistes et des journalistes. En revanche, elle constitue un véritable noyau dur islamiste, la ville est intégralement sous le contrôle des groupes extrémistes. Un de ses groupes, Majlis Shura Shabab Al Islam (Conseil consultatif de la jeunesse islamique), formé dans le courant de l’année, a prêté allégeance à Abou Bakar Al Baghdadi, donnant ainsi naissance à « L’Emirat islamique de Barqa ». Le Conseil a été renforcé par le retour d’environ 300 djihadistes libyens de Syrie. Un service d’ordre veille à l’application de la charia dans tous les secteurs et des tribunaux islamiques ont vu le jour. 22 Ali Al Sallabi est un érudit musulman, proche des Frères musulmans et homme politique originaire de la ville de Benghazi. Il a été fait prisonnier politique pendant 8 ans dans la prison d’Abu Selim sous l’ancien régime. 23 Nizar Kawan est un homme politique libyen, élu au CGN en tant que candidat indépendant en 2012. Il est à la tête du bloc Justice et Construction des Frères musulmans.
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Afin de parer à l’offensive d’Opération Dignité, les milices ont formé le Majlis Shura Mujahideen Derna (Conseil consultatif des mujahideen de Derna) à l’image du Majlis Shura Thuwar Benghazi, dans l’objectif de coordonner leur action militaire. Le Conseil est constitué de milices extrémistes et de milices connues pour être plus modérées, telle que la brigade d’Abu Selim. Préparation de l’offensive militaire à l’Ouest Dans une entrevue pour Il Corriere della Sera24, Haftar déclarait qu’il se donnait trois mois pour « libérer » Tripoli des « terroristes » de Fajr Libya. Et d’ajouter que pour atteindre cet objectif, il aurait besoin de plus de forces et d’équipements militaires, mais que la bataille lui semblait aisée. Pour le Général Haftar, sa grande priorité reste néanmoins Benghazi où les milices islamistes sont particulièrement récalcitrantes. A Tripoli, le statu quo semble dominer, même si les positions militaires de Fajr Libya ont été la cible de raids aériens. Les 24 et 25 novembre, l’aéroport civil et militaire de Mitiga (situé11km à l’est de Tripoli) sous le contrôle de Fajr Libya, a été la cible de multiples raids aériens perpétrés par l’aviation libyenne pro‐gouvernementale. Cette attaque du seul aéroport fonctionnel de Tripoli aurait été motivée par la présence d’avions de combat de type MiG‐21 et MiG‐23 et d’armes et munitions en provenance du Soudan et du Qatar. Après l’aéroport, un autre point stratégique a été le théâtre d’affrontements, le principal point de passage entre la Tunisie et la Libye, Ras Jdeir, qui a abouti à la fermeture de la frontière. Au sud de la capitale, et plus particulièrement à Kikla et à Gharyan, des confrontations armées ont fréquemment lieu entre les milices de Zentan, appuyées par l’aviation de « Dignité » et la coalition Fajr. Opération Shuruq : la bataille pour le croissant pétrolier Le 13 décembre, le gouvernement d’Omar Al Hassi donne l’ordre à ses forces – la coalition armée de Fajr Libya ‐ de «libérer » la région du « croissant pétrolier » qui se trouve sous le contrôle des milices séparatistes – la Force de défense de la Cyrénaïque ‐ d’Ibrahim Jadhran, groupe pro‐gouvernemental. L’opération, baptisée Opération Shuruq par le camp Fajr, a dû battre en retraite après que sa colonne de 300 véhicules en provenance de Misrata ait été la cible de raids aériens. Les combattants d’Opération Shuruq se sont retranchés dans une zone située à trois kilomètres à l'ouest du port pétrolier de Sidra. Le 26 décembre, une attaque en hors‐bord perpétrée par les forces de Shuruq sur 24 « Combatto il terrorismo anche per voi: se vince in Libia arriva in Italia », Francesco Battistini, Corriere della Sera, http://www.corriere.it/esteri/14_novembre_28/combatto‐terrorismo‐anche‐voi‐se‐vince‐libia‐arriva‐italia‐194b88b0‐76c9‐
11e4‐90d4‐0eff89180b47.shtml?refresh_rum& IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 10
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les terminaux pétroliers de Sidra et Ras Lanuf a fait 20 victimes parmi les hommes d’Ibrahim Jadhran, et une roquette a atteint un réservoir qui a ensuite pris feu. L’Opération Shuruq a été lancée en réponse à la mesure du gouvernement d’Abdallah Al Thni qui consiste à réformer le système de paiement afin que les revenus provenant des ventes internationales de pétrole parviennent directement à Tobrouk. La Compagnie Pétrolière Nationale, société d’Etat basée à Tripoli, a quant à elle réitéré son indépendance et sa neutralité vis‐à‐vis du clivage politique. Les attaques sur la région du croissant pétrolier marquent une nouvelle escalade du conflit en Libye, d’autant qu’elles pourraient être perçues par les tribus et les villes de l’Est comme une agression sur la Cyrénaïque par les forces de la Libye Occidentale, légitimant ainsi les revendications fédéralistes. Le 28 décembre, en réponse aux attaques sur le croissant pétrolier, « l’armée de l’air libyenne » bombarde plusieurs sites militaires à Misrata. UN CONFLIT AU‐DELA DU CLIVAGE IDEOLOGICO‐RELIGIEUX Karim Mezran décrit la situation en Libye comme « une lutte disparate, idéologique entre islamistes et non‐islamistes, révolutionnaires et contre‐révolutionnaires, rivalités tribales et rivalités régionales25 ». Le conflit est souvent présenté comme un simple clivage idéologico‐religieux, mais en prenant en compte d’autres éléments caractéristiques de la société libyenne, le raisonnement s’avère beaucoup plus complexe. « Islamistes » vs « anti‐islamistes » Le conflit libyen est présenté comme une bataille entre un camp « islamiste » et un camp libéral ou anti‐islamiste. La dichotomie ne reflète pas tout à fait la situation et réduit la crise libyenne uniquement à un conflit idéologico‐religieux, ce qui est erroné. Tout d’abord, la Libye est un pays conservateur mais religieusement modéré avec quelques extrêmes de part et d’autre. Le pays est constitué à 90% d’arabes sunnites et d’une minorité berbère. Selon un sondage de septembre 2013 réalisé par le National Democratic Institute (NDI)26, 44% des sondés déclaraient que la charia devait être la principale source de législation dans la Constitution. D’autre part, 37% déclaraient qu’elle devait être la seule source de législation dans la Constitution. C’est aussi l’opinion que partagent les candidats ‐ « islamistes » ou « libéraux » ‐ aux élections constitutionnelles et législatives et qui est reflétée dans leur programme électoral. La polarisation sur la base idéologico‐religieuse s’est en fait caractérisée par l’alliance des Frères musulmans avec les éléments les « plus révolutionnaires» représentés principalement par la ville « martyre » de Misrata et les islamistes opprimés sous l’ancien régime. Le camp Fajr est soutenu par 25 Voir : http://www.atlanticcouncil.org/blogs/new‐atlanticist/in‐libya‐push‐for‐war‐is‐stronger‐than‐push‐for‐
peace#.VJRp6RV1B94.facebook 26 Seeking Security : Public Opinion Survey in Libya, NDI, https://www.ndi.org/files/Seeking‐Security‐Public‐Opinion‐
Survey‐in‐Libya‐WEBQUALITY.pdf, novembre 2013
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des politiciens islamistes et notamment les Frères musulmans ainsi que par le grand Mufti de Libye, Sadeq Al Ghariani, désigné comme un des principaux cerveaux et instigateurs de l’attaque de la coalition Fajr sur Tripoli. Sadeq Al Ghariani27, influant prédicateur, avait appelé au Jihad contre les forces alliées à Khalifa Haftar. Au cours de l’été 2014, il avait exhorté depuis la Grande‐Bretagne les « révolutionnaires » à se rebeller contre le gouvernement (d’Al Thni) et avait publiquement félicité les combattants de Fajr Libya au lendemain de leur « victoire » sur les miliciens de Zentan. Il a également encouragé les « révolutionnaires » à attaquer le siège du gouvernement et du Parlement à Tobrouk. Certains analystes estiment que le conflit a été provoqué par les islamistes à la suite de leur échec aux élections législatives ; même si de nombreux combattants et chefs de milices de la coalition Fajr ne soutiennent pas ou n’appartiennent pas à des courants relevant de l’islam‐politique. Fajr Libya : « Gardien de la révolution du 17 février » Le Camp Fajr Libya et ses partisans estiment que l’opération militaire s’inscrit dans la continuité de la révolution du 17 février. Ils estiment que la purgation de tous les éléments de l’ancien régime, qu’ils jugent responsables du désordre, n’a pas été achevée. Ils soutiennent la très controversée loi d’isolement politique et s’opposent à tout amendement. Les islamistes considèrent que quiconque ayant tenu des postes à hautes responsabilité sous l’ancien régime est par « essence » anti‐islamiste et que l’accès à un poste depouvoir doit lui êtreinterdit. Pour Omar Al Hassi, il s’agit d’un conflit opposant « les ennemis de la révolution » (le camp Dignité) aux « révolutionnaires » (le camp Fajr), déclarant même que « la révolution a été volée » et que son gouvernement est « en train de la récupérer »28 . Le mode de scrutin pour les élections présidentielles est un point de désaccord entre les islamistes et leurs alliés, qui veulent des élections indirectes, et les « libéraux » qui soutiennent un mode de scrutin direct. La Chambre des représentants a voté en faveur d’un mode de scrutin direct le 13 août. L’annulation du 7ème amendement de la Constitution s’inscrit donc en faveur des islamistes et de leurs alliés. Régionalisme et tribalisme En Libye, chaque milice dispose d’une zone d’influence exclusive, soit par légitimité régionale soit par « mandat » officiel. L’assaut lancé sur l’aéroport de Tripoli a aussi été motivé par un chauvinisme régional. Après la libération de Tripoli en août 2011, les puissantes brigades de Misrata et Zentan ont 27 Grande figure religieuse salafiste. Il est nommé à vie à la tête de Dar Al Ifta par le Conseil national de transition. Il a plaidé en faveur de la loi d’isolement politique. La Chambre des représentants a retiré par décret Sadeq Al Ghariani à la tête de Dar Al Ifta. 28 Libye : le Premier ministre auto‐proclamé réclame de « nouvelles élections », AFP, http://www.jeuneafrique.com/actu/20141103T113111Z20141103T113052Z/libye‐le‐premier‐ministre‐auto‐proclam‐r‐
clame‐de‐nouvelles‐lections.html, novembre 2014 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 12
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pris leurs quartiers dans la capitale et ont été sous‐traitées pour combler le vide sécuritaire. Mais très vite, Tripoli s’est transformée en champ de bataille pour le pouvoir, plus particulièremententre Misrata et Zentan, sur fond de manœuvre politique. A l’Est, la région de Barqa – ou Cyrénaïque ‐ est marquée par une forte composition tribale. Les tribus jouent un rôle important dans la société et influencent les spectres politiques et économiques de la région. Elles ont un rôle de contrepoids face aux groupes islamistes. La confrontation entre tribus et groupes islamistes s’est notamment marquée autour du différent de la loi tribale contre la charia ou loi islamique. C’est pourquoi un grand nombre de tribus ont rejoint le combat du Général Haftar dans sa lutte contre les groupes islamistes. Le mouvement fédéraliste qui avait auto‐proclamé à plusieurs reprises l’autonomie de la Cyrénaïque et qui a défié le CGN et le gouvernement de Ali Zeidan en bloquant les terminaux du croissant pétrolier, ne semble plus faire figure de 3ème force dans le conflit actuel. En effet, la Force de défense de la Cyrénaïque d’Ibrahim Jadhran – farouche adversaire des Frères musulmans – s’est alignée dans lesrangs du Général Haftar. La Chambre des représentants compte une dizaine de députés fédéralistes. Quant à la minorité berbère Amazigh, marginalisée sous l’ancien régime, elle veut se distinguer au‐
delà de la polarisation « islamiste/arabe‐nationaliste ». Les Amazigh ne disposent pas de représentants au sein du Comité constitutionnel ni dans la Chambre des représentants pour cause de boycott, estimant que leurs droits n’étaient pas garantis. Les milices berbères constituent néanmoins une partie du contingent de Fajr Libya et combattent le camp de « Dignité ». UNE GUERRE PAR PROCURATION Les soutiens internationaux respectifs aux différentes parties du conflit ont fait de la Libye un terrain d’affrontement entre les puissances régionales rivales. Les Frères musulmans et leurs alliés, soutenus ouvertement par le Qatar, la Turquie et le Soudan, sont combattus par une coalition regroupant l’Egypte, l'Arabie saoudite, l’Algérie et les Émirats Arabes Unis. Dans un entretien pour Il Corriere della Sera29, Haftar déclare que l’Egypte, l’Algérie, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite, soutiennent « Dignité » en lui envoyant des armes et des munitions. Cependant, Abdelfattah Al Sissi a affirmé soutenir la Libye de façon indirecte. Pourtant, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis auraient perpétrés des raids aériens sur des positions de Fajr fin août. Le Qatar, qui dès 2011 avait soutenu la rébellion contre le régime du colonel Kadhafi, s’est ensuite positionné comme bailleur de fond des partis se réclamant de l’islam politique, fortifiant ainsi le camp Fajr. Mais la coalition constituée autour du Qatar, de la Turquie et du Soudan semble se fissurer. Le Soudan se serait d’ailleurs récemment retiré. 29 op. cit. Francesco Battistini IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 13
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Certains analystes estiment que la guerre en Libye seraiten réalité un conflit international sur le sol libyen. Karim Mezran déclare que ces éléments externes, qui soutiennent chacun des factions armées différentes sur le terrain, poussent à plus de violences et non à la paix, compromettant fortement les efforts de négociations. Dans le désert libyen, le soutien des troupes françaises aux tribus Toubou30 pourrait aggraver le conflit tribal entre les Toubous et les Touaregs. Médiation La Mission d’appui des Nations Unies en Libye (UNSMIL), dont les efforts de médiation peinent à calmer les antagonismes et à parvenir à un dialogue, s’inquiète du peu d’opportunités pour sortir la Libye hors du gouffre. Un premier round de dialogue a eu lieu le 29 septembre dans la ville de Ghadamès sous l’impulsion de l’UNSMIL. Une vingtaine de députés de la Chambre des représentants et une partie du groupe d’élus frondeurs emmenés par le député de Misrata Fathi Bashagha se sont réunis afin de recréer la confiance entre les parties, sortir le pays de la crise institutionnelle et appeler les belligérants à un cessez‐le‐feu. A la fin de cette première table ronde, les élus se sont accordés pour travailler ensemble afin de sortir le pays de la crise et ont convenu d’un deuxième round de dialogue. Entre temps, la décision de la Cour suprême de Libye a permis d’élargir le dialogue en invitant le CGN et le gouvernement de salut national à y prendre part, faisant du camp non reconnu par la communauté internationale un interlocuteur sérieux. L’organisation du second round du dialogue qui se veut inclusif reste néanmoins complexe. La table ronde prévoit une sortie de crise par un accord autour de la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Initialement prévue le 9 décembre, le dialogue a dû être ajourné ‐ a priori au 9 janvier 2015 ‐ faute de participants. En effet, chaque camp avait préétabli des conditions non négociables pour participer au dialogue. Dans un communiqué31 émis le 6 décembre, la Chambre des représentants pose la reconnaissance de sa légitimité comme condition à sa participation et déclare refuser toute réunion à laquelle Fajr Libya serait présente. De son côté le CGN, sous l’impulsion de Fajr, refuse de négocier avec un Parlement « dissous », de facto « illégitime ». Toutefois, la préparation du terrain au dialogue entre les deux camps est fortement compromise par l’escalade de la violence et ce malgré les appels incessants des Nations Unies à un cessez‐le‐feu. Ceux qui s’opposent à la négociation, comme Salah Badi, estiment qu’il est trop tard pour un dialogue et privilégient l’option militaire comme solution ultime. 30 In Libya, push for war is stronger than push for peace, Karim Mezran, http://www.atlanticcouncil.org/blogs/new‐
atlanticist/in‐libya‐push‐for‐war‐is‐stronger‐than‐push‐for‐peace#.VJRp6RV1B94.facebook, décembre 2014 31 Voir : https://www.facebook.com/hor.libyaa/photos/a.1479323852349397.1073741830.1442560332692416/1503041263310989
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PERSPECTIVES Le bilan de la situation de ces trois dernières années est chaotique. La Libye n’a pas eu d’autorité centrale forte et fonctionnelle et s’est engouffrée dans un vide sécuritaire, laissant place à l’anarchie. Les groupes extrémistes sont montés en puissance et à Derna, ils ont pu aisément s’installer et s’emparer des institutions. La Libye est dans une situation caractérisée, notamment, par un cadre idéologico‐politique militarisé et des alliances particulièrement changeantes. Bien que la complexité de la situation et l’escalade militaire amenuisent les chances de sortir la Libye du gouffre dans laquelle elle se trouve, plusieurs scénarios de sortie de crise semblent néanmoins possibles. Le projet constitutionnel comme ultime espoir Le principal objectif des médiateurs internationaux et des Libyens est de mener au plus vite la Libye vers l'établissement d'un cadre constitutionnel et légal. Le Comité constitutionnel, présidé par Ali Tarhuni, est resté hors du clivage et s’est focalisé sur la construction du projet constitutionnel, malgré le désordre dans le pays. Le projet final devait être soumis le 24 décembre, mais seules quelques recommandations clés ont été publiées, ce qui n’a fait qu’augmenter la frustration du peuple libyen qui s’attendait à une première proposition exhaustive. Ce projet qui devrait être soumis au référendum en début d’’année 2015, pourrait accentuer les antagonismes. Salah Badi a alerté dans son récent entretien pour Al Jazeera32 que « même après approbation de la Constitution, Fajr Libya sera prête à toutes les options telles que la scission du pays ». Dans ce contexte, les brigades berbères ont elles aussi menacé de prendre les armes si la Constitution ne garantissait par leurs droits. Partition La résurrection du CGN et la propulsion d’un nouveau gouvernement à Tripoli ont fait ressurgir la menace d’une scission du pays, en alimentant notamment les revendications fédéralistes. Ibrahim Jadhran a menacé d’appeler à la sécession de la région de Barqa (Cyrénaïque) si la communauté internationale était amenée à reconnaître le CGN comme autorité législative légitime. Les récents développements sur le croissant pétrolier contribuent également à accentuer cette menace de sécession. Intervention étrangère directe La Chambre des représentants a émis en août un décret appelant le Conseil de sécurité à intervenir de façon directe en Libye, en vue de protéger les populations civiles. Ce décret a été perçu comme un acte de haute trahison par le camp adverse. Néanmoins, un article du New York Times33 rapporte les 32 op. cit. Nancy Porsia 33 Saving Libya, again, Dirk Vandewalle, New York Times, http://www.nytimes.com/2014/11/12/opinion/saving‐libya‐
again.html, novembre 2014. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 15
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propos de membres du CGN qui déclarent qu’une intervention étrangère serait l’unique moyen de préserver l’unité de la Libye. Fathi Bashagha, le député frondeur de Misrata avait même déclaré sur Misrata TV, que si le second round de dialogue échouait, alors « la communauté internationale interviendrait de manière directe en Libye ». Mais l’option d’une intervention étrangère est loin de faire l’unanimité dans l’opinion publique, qui craint que celle‐ci ne plonge le pays dans un chaos bien plus profond. Enfin, un dialogue national inclusif et l’établissement d’une gouvernance constitutionnelle apparaissent comme les options pacifiques adaptées pour sortir la Libye de la crise. Quant au peuple libyen, il peine à se positionner dans cette polarisation.Pour lui cet affrontement n’est qu’une lutte pour le pouvoir et une guerre par procuration entre acteurs étrangers. Depuis la chute du régime, les Libyens ont été livrés à eux‐mêmes. Leur grand espoir d’enfin vivre dans la dignité, dans un Etat de droit et dans la prospérité a été entaché par les rivalités et ils accusent les partis politiques d’être les principaux responsables du chaos actuel.  ***** ANNEXES La Libye, trois ans plus tard : un pays à l'abandon LE MONDE | 19.03.2014 à 11h23 Il y a trois ans, le 19 mars 2011, l'aviation française, bientôt secondée par la Royal Air Force, l'une et l'autre appuyées par les Etats‐Unis, intervenait en Libye. Essentielle pour appuyer les rebelles libyens, qui combattaient au sol, cette opération débouchait, en octobre de la même année, sur la mort du dictateur Mouammar Kadhafi et l'effondrement de son régime. Triste anniversaire : la Libye est aujourd'hui un pays à la dérive, peut‐être au bord de l'implosion. Victorieux, l'opposition et les groupes de rebelles armés n'ont jamais su s'entendre pour administrer la Libye – immense contrée de quelque huit millions d'habitants, s'étirant de la Méditerranée aux déserts de l'Afrique subsaharienne. Aucun gouvernement solide n'a pu être formé. La semaine dernière, le dernier à avoir occupé le poste de premier ministre, Ali Zeidan, a pris la fuite, destitué par le Parlement. On lui reproche d'avoir été incapable de reprendre le contrôle des installations pétrolières du pays, notamment des terminaux de la côte orientale, aux mains de groupes armés. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 16
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L'un d'eux revendique une quasi‐indépendance pour l'Est libyen (la Cyrénaïque). Décidé à vendre l'or noir pour son propre compte, il a réussi à affréter un pétrolier. C'est ce bâtiment que la marine américaine a intercepté lundi 17 mars au large de Chypre (Le Monde du 18 mars). Signe de l'invraisemblable chaos régnant dans le pays, les exportations pétrolières se sont effondrées : d'un million et demi de barils/jour en 2011, elles sont passées à 235 000, selon la compagnie d'Etat, la NOC. MILICES ET BANDES ARMÉES TIENNENT LA RUE Les investissements sont au point mort, la vie économique vitrifiée. Dans les grandes villes, l'insécurité atteint des records. Il n'y a plus de ministre de l'intérieur. Milices et bandes armées tiennent la rue, cocktail de grand banditisme et d'islamisme. Ironie, amère, de l'histoire : Londres, Paris et Washington déconseillent à leurs ressortissants de se rendre en Libye. Féroce, l'un des meilleurs spécialistes du Proche‐Orient, le journaliste Patrick Cockburn écrit dans The Independant : « L'un des traits les plus stupéfiants des événements de Libye aujourd'hui est le peu d'intérêt qu'ils suscitent de la part de ces pays qui partirent si allégrement en guerre en 2011. » Selon Human Rights Watch, les milices retiennent quelque 8 000 personnes dans leurs prisons, où la torture serait routinière. Ces milices s'affrontent volontiers les unes les autres, et cette bataille prend, chaque jour davantage, l'allure d'un conflit destiné, in fine, à séparer l'est de l'ouest du pays. Ce triste tableau n'a pas pour objet de porter un jugement a posteriori sur l'intervention occidentale, encore moins de minimiser ce qu'a été la dictature de Kadhafi. Soutenue par la Ligue arabe et l'ONU, l'opération de 2011 – que Le Monde a défendue – a été décidée dans un moment singulier : on pouvait raisonnablement craindre un massacre de grande ampleur dans la ville de Benghazi. Mais la réalité de la Libye d'aujourd'hui amène à poser cette question : peut‐on se désintéresser à ce point d'une situation que l'on a, à tort ou à raison, quelque peu contribué à créer ? La Libye s’enfonce dans la crise politique, économique et sécuritaire LE MONDE | 12.03.2014 à 11h07 • Mis à jour le 13.03.2014 à 00h39 Ali Zeidan, l'ancien premier ministre libyen, le 10 mars à Tripoli. Dubitatives, les délégations étrangères réunies à Rome le 6 mars pour un sommet consacré à la situation en Libye décrivaient leur interlocuteur Ali Zeidan comme un premier ministre « en sursis » et lui pronostiquaient « un mois » de longévité supplémentaire à la tête du gouvernement libyen. Moins d'une semaine plus tard, mardi 11 mars, Ali Zeidan a été démis de ses fonctions, et interdit de voyager. Des soupçons de malversations financières planeraient sur lui selon un document publié mardi soir par le procureur général Abdelkader Radouane sur sa page Facebook. Pour d'autres, il aurait déjà quitté le pays. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 17
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Avec 124 voix pour sur 194, le Congrès général national (CGN, Parlement) a voté le retrait de la confiance au premier ministre et chargé le ministre de la défense, Abdallah Al‐Thani, d'assurer l'intérim pour un délai de deux semaines, le temps de trouver un successeur. La chute du chef du gouvernement libyen n'est une surprise pour personne. « IL S'OCCUPE DE TOUT » Entré en fonction le 14 novembre 2012, cet indépendant soutenu par les libéraux était de plus en plus contesté et isolé. Mi‐février, alors que des rumeurs de coup d'Etat en Libye se propageaient, le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, avait vainement tenté de joindre M. Zeidan au téléphone pendant plusieurs jours. « Il s'occupe de tout, car, autour de lui, il n'y a aucune chaîne de transmission », s'effrayait à Rome un diplomate occidental. Le début du procès de Saïf Al‐Islam Kadhafi ne chasse pas les doutes sur la justice libyenne LE MONDE | 28.04.2014 à 11h47 Saïf Al‐Islam Kadhafi, avez‐vous un avocat ? – Dieu est mon avocat. » « Avez‐vous des requêtes à formuler ? – Que la paix soit avec vous. » Œil moqueur, sourire aux lèvres, le plus célèbre des fils de l'ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi n'aura prononcé que ces mots lors de sa première comparution, dimanche 27 avril, devant la cour pénale de Tripoli. Saïf Al‐Islam a assisté tel un spectateur au début de son procès et à celui de 36 autres piliers de l'ancien régime Kadhafi depuis sa cellule de Zenten (à 170 km de la capitale). Lors de l'audience inaugurale, le 14 avril, le juge avait autorisé le recours à la vidéoconférence pour sa comparution, cédant aux arguments sécuritaires invoqués par les milices qui le détiennent depuis novembre 2011 pour refuser son transfert à la prison de haute sécurité d'Al‐Hadba, à Tripoli. Le même arrangement a été concédé aux milices de Misrata détenant huit prévenus. La procédure est pourtant jugée incompatible avec les droits de la défense par les avocats. « On ne voit pas ce qu'il se passe dans la pièce. On ne peut même pas garantir que l'accusé ne soit pas sujet à des menaces. Nous allons introduire un recours pour inconstitutionnalité devant la Cour suprême », a indiqué Me Leila Ben Debba, l'une des avocates tunisiennes de l'ancien premier ministre Baghdadi Al‐Mahmoudi. En Libye, Ahmed Miitig devient Premier ministre après un scrutin houleux Le Monde.fr | 04.05.2014 à 16h44 • Mis à jour le 05.05.2014 à 14h11 Par Hélène Sallon (Tripoli, envoyée spéciale) Devant le poste de télévision d'un hôtel de Tripoli, Ahmed suit avec consternation le « théâtre » qui se joue autour de l'élection du futur premier ministre libyen au sein du Parlement. L'élection, dans la plus grande confusion, dimanche 4 mai au Congrès national général (CNG), d'Ahmed Miitig comme nouveau chef du gouvernement, a été invalidée dans la soirée par le premier IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 18
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vice‐président du Parlement, qui a confirmé le maintien à son poste du premier ministre démissionnaire, Abdallah Al‐Thenni. Lundi matin, le président du Congrès, Nouri Abou Sahmein, a pourtant ratifié la victoire de M. Miitig. Le ballet des hommes politiques libyens qui se succèdent à la télévision ne fait que confirmer le sentiment d'Ahmed, un homme d'affaires de 30 ans, originaire de Misrata : « Pour moi, le CNG est caduque depuis quatre‐vingt‐six jours. A la fin de son mandat, le 7 février, conformément à la déclaration constitutionnelle transitoire, on aurait dû voter pour un autre Parlement, et donc un autre gouvernement. C'est le courant de l'islam politique qui veut faire durer ce Parlement car il sait que le peuple ne veut plus de lui et qu'il perdra aux prochaines élections. » VOTE LAISSÉ OUVERT POUR LES RETARDATAIRES Dans l'après‐midi, Ahmed Miitig, homme d'affaires de 42 ans, avait prêté serment devant le CNG pour mener le prochain gouvernement et la difficile transition politique du pays. Après un premier vote lors duquel il est arrivé en tête devant l'universitaire Omar Al‐Hassi, par 73 voix contre 44, soit bien loin des 120 voix requises, un vote de confiance à main levée a été organisé en sa faveur. En dépit de l'annonce par le premier vice‐président du CNG, Ezzedine Muhammad Yunus Al‐Awami, de la clôture du vote, au cours duquel Ahmed Miitig n'a obtenu que 113 voix, le deuxième vice‐
président a accédé à la demande de députés de laisser le scrutin ouvert pour les retardataires. Une heure plus tard, la victoire – par 121 voix – du candidat Miitig était annoncée à télévision et l'homme prêtait serment dans la foulée. Une victoire aussitôt contestée par certains députés, jugeant illégal le nouveau décompte. « La séance a déjà été levée. Ce qui se passe est illégal », a déploré Omar Hmidan, le porte‐parole du Congrès. « J'ai voté pour Ahmed Miitig, mais il n'a pas réuni les 120 votes requis. Ils ont permis à des députés qui étaient absents pendant la séance de voter ensuite pour atteindre la majorité requise, alors que le vote était clôturé. Ce n'est pas légal. Nous allons exercer un recours », a déclaré la députée indépendante Fatima Al‐Majbari, ancienne membre de l'Alliance des forces nationales (libéral). Le chef du bloc parlementaire de la libre opinion, Sharif Al‐Wafi, dont les 36 membres ont voté blanc lors du premier vote et n'ont ensuite pas accordé leur confiance au candidat Miitig, s'est érigé en leader de la contestation. « Le vote de confiance aurait dû être secret. Les députés islamistes, nombreux au sein du Parlement, ont imposé un vote à main levée. C'est une manière d'exercer des pressions sur les députés ou de les empêcher d'exprimer leur opinion. C'est inconstitutionnel et très dangereux pour la démocratie. Aujourd'hui, ils ont pris le pouvoir par la force. » Le député a appelé au maintien du premier ministre démissionnaire, Abdallah Al‐Thenni, à la tête du gouvernement. Il menace, avec son groupe, de bloquer tout accord sur le budget 2014, toujours suspendu à un vote du Parlement en cas de prise de mandat de M. Miitig. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 19
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Sharif Al‐Wafi pourrait avoir obtenu gain de cause. Dans la soirée, l'élection a été invalidée par le premier vice‐président du CNG, qui a acté la défaite du candidat Miitig avec seulement 113 voix, et indiqué qu'Abdallah Al‐Thenni conservait son poste jusqu'au prochain vote du Parlement. Prenant acte de la décision, le porte‐parole du premier ministre démissionnaire a confirmé que ce dernier, en vertu de la loi, continuait d'assumer ses fonctions. BRAS DE FER De son côté, le Parti de la justice et de la reconstruction (PJR – bras politique de la confrérie des Frères musulmans libyens) a estimé valide l'élection d'Ahmed Miitig, candidat qu'il soutient, bien qu'il ait également fédéré des députés de l'Alliance des forces nationales (libérale) et des membres du Front du salut libyen, ainsi que des députés indépendants. Ahmed Miitig, qui a annulé le discours qu'il devait donner dans la soirée, ne s'est toujours pas exprimé depuis la prise de serment. L'issue du bras de fer qui s'est engagé entre les deux camps demeure incertaine. Cette lutte ne représente qu'un ultime rebondissement dans la bataille qui se joue au sein du Parlement entre les forces islamistes et libérales autour de la figure du premier ministre. Le 11 mars, les islamistes avaient obtenu, par une motion de défiance, le départ du premier ministre, Ali Zeidan, considéré proche des libéraux. Le ministre de la défense, Abdallah Thenni, nommé premier ministre par intérim, avait, lui, jeté l'éponge seulement deux semaines après, arguant de menaces et d'attaques contre sa famille, après avoir échoué à obtenir des pouvoirs élargis pour son gouvernement. « IL EST TEMPS DE RASSEMBLER LES GENS » « On choisit un candidat qui mènera les six derniers mois de transition. Ahmed Miitig a la capacité de mener cette transition à bien : il vient de Misrata, il a été révolutionnaire, il a l'éducation et l'expérience, une capacité à communiquer et son programme est clair. Il a été le meilleur lors de la présentation des programmes et surtout, le seul à parler de la Libye en 2014‐2015 et non de la Libye de l'an 3000 », confiait avant le vote Nizar Kawan, le chef du groupe parlementaire du PJR. Le bloc Al‐Wafa, qui avait soutenu son concurrent Omar Al‐Hassi lors des précédents scrutins, a également donné sa confiance à Ahmed Miitig lors de l'ultime vote. « Il est jeune, représente la jeunesse. C'est un homme d'affaires, ce qui est bien, car on a besoin de relancer l'économie pour rétablir la sécurité. Ce n'est pas le candidat d'un parti ou d'un courant politique, mais il est très soutenu par le PJR et par l'Alliance des forces nationales », a commenté Abdelfattah Al‐Habib, du bloc Al‐Wafa, qui compte parmi ses membres des figures djihadistes du Groupe islamique combattant en Libye (GICL). De son côté, Ahmed Miitig se pose en rassembleur. « La vie politique s'est polarisée et chacun défend désormais ses intérêts. Il est temps de rassembler les gens, avait‐il déclaré au Monde à la veille du scrutin. Il y a de nombreuses choses autour desquelles les Libyens peuvent s'unir : le développement IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 20
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économique, l'amélioration des infrastructures, la sécurité. Il faut rétablir la confiance avec le peuple. Les Libyens veulent quelqu'un qui soit à leur écoute, qui s'assoie à leur table. » Sa carrière dans les affaires est vue comme un point fort de sa candidature pour de nombreux Libyens, qui réclament un redressement rapide de l'économie et le retour de la sécurité. Un impératif en effet, des combats meurtriers entre une milice et les autorités, quelques jours plus tôt à Benghazi, ayant rappelé l'instabilité dans la région. Ahmed Miitig, l'homme d'affaires « fédérateur » Né en 1972 dans la ville portuaire de Misrata, le fer de lance économique du pays, il a grandi à Tripoli au sein d'une famille bien implantée dans le monde des affaires. Après avoir étudié l'économie et le droit international à Parme en Italie puis à Londres, il est rentré en Libye pour gérer l'entreprise familiale, à cheval sur les secteurs de la distribution, de l'hôtellerie et des infrastructures notamment. Actif au sein de la Coalition révolutionnaire du 17 février de Tripoli pendant le soulèvement libyen, qui a commencé en février 2011 et a abouti à la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, on lui prête également un bon ancrage au sein des milices, notamment celles de Misrata et de Tripoli, actrices incontournables de la transition. Le Parlement libyen tente, dans la confusion, de désigner un chef de gouvernement LE MONDE | 05.05.2014 à 14h56 • Mis à jour le 05.05.2014 à 14h57 Hélène Sallon (Tripoli, envoyée spéciale) L'abnégation et le sens du compromis sont deux qualités essentielles à qui prétend au titre de premier ministre libyen. L'homme d'affaires Ahmed Miitig en a fait l'amère expérience, dimanche 4 mai. Quelques heures après un vote de confiance obtenu dans la confusion puis avoir prêté serment devant le Congrès général national (CGN, le Parlement) pour mener le gouvernement de transition, le politicien néophyte a dû engager des négociations avec les forces politiques contestant la légalité de son élection. Au moment même où le Parti de la justice et de la reconstruction (PJR, l'aile politique des Frères musulmans) lui renouvelait son soutien, le premier vice‐président du Parlement a prononcé l'invalidité du scrutin et restitué son titre au premier ministre démissionnaire, Abdallah Al‐Theni, jusqu'à un nouveau vote. Dans l'attente d'une déclaration d'Ahmed Miitig, la Libye a désormais deux premiers ministres. Mohamed Sawab : « Le peuple libyen a souffert de la dictature du colonel Kadhafi » Le Monde.fr | 06.05.2014 à 11h32 • Mis à jour le 06.05.2014 à 11h35 Mohammed Sawan, chef du Parti de la justice et de la reconstruction (PJR, aile politique de la confrérie des Frères musulmans en Libye), l'un des principaux soutiens d'Ahmed Miitig au poste de premier ministre, et originaire comme lui de la ville de Misrata, a reçu Le Monde, lundi 5 mai. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 21
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L'homme d'affaires Ahmed Miitig a obtenu dimanche 4 mai la confiance du Congrès général national (CGN, Parlement), par 121 voix, lors d'un vote contesté. Son élection au poste de premier ministre a été invalidée dans la soirée par le premier vice‐président du Parlement avant d'être confirmée par le président du CGN, Nouri Abou Sahmein. Comment expliquez‐vous la confusion qui a entouré ce vote? Mohammed Sawan : Ce qui s'est passé hier est normal. C'est l'expression d'opinions divergentes. Le Parlement s'est mis d'accord en élisant Ahmed Miitig, par 121 voix sur 130 députés présents. Ces suffrages ont émané de toutes les forces politiques du CGN : l'Alliance des forces nationales, le PJR, les courants indépendants. Le problème a été créé par le premier vice‐président du CGN et trois autres députés qui ont un conflit personnel avec Miitig. Il était normal que le deuxième vice‐président assure la poursuite de la séance et du vote, après que le premier vice‐président a décidé de quitter la séance parlementaire. Il est par ailleurs légal de faire voter les gens en retard parce qu'ils étaient au café ou en conférence de presse au moment du vote. La déclaration diffusée par le premier vice‐président Azzedine dimanche soir n'était qu'un avis personnel, sans valeur légale. Ce matin, le président du CGN Nouri Abou Sahmein a déclaré qu'Ahmed Miitig était élu et a signé son décret. Des députés ainsi que de nombreux Libyens estiment qu'Ahmed Miitig est le candidat du Parti de la justice et de la reconstruction. Que répondez‐vous à cela ? Ahmed Miitig est le choix de notre parti, pas son candidat. Nous l'avons choisi car il a les compétences pour être premier ministre ; il a une bonne vision pour la Libye ; c'est un homme d'affaires donc il a les compétences pour réussir les projets dont a besoin le pays ; étant de Tripoli, il a beaucoup de contacts dans la capitale mais aussi à Misrata dont il est originaire. C'est une ville forte, ça aide ; et c'est un vrai révolutionnaire qui a participé à la coalition du 17 février de Tripoli. Et si l'efficacité passait par la proximité ? Découvrez l’univers des entrepreneurs. Comment gagnent‐ils en compétitivité ? Toujours accompagnés d'exemples, retrouvez les histoires des entreprises qui partagent leurs expériences de consommation d’énergie. Souhaitez‐vous obtenir des postes au sein du gouvernement qui doit être formé par Ahmed Miitig dans les quinze prochains jours ? Notre intérêt n'est pas d'avoir des postes ou des ministères mais de s'assurer que ce gouvernement réussisse sa mission car la Libye est dans une situation difficile. Si nous sommes sollicités, nous serons prêts à apporter notre expérience et notre vision de l'avenir de la Libye à ce gouvernement. Selon le calendrier politique annoncé, des élections parlementaires anticipées devraient être organisées et l'écriture de la Constitution complétée cette année par le Comité des 60, qui a débuté ses travaux en avril. Que pensez‐vous de ce processus et de son incidence sur le terme du mandat du premier ministre Miitig ? IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 22
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Il y aura pour le CGN de nouvelles élections dans quatre à cinq mois. Un ou deux mois après, un nouveau gouvernement devrait être élu par le Parlement. Mais cela dépend du peuple libyen, qui peut décider de continuer avec ce gouvernement s'il en est satisfait. Si le Comité des 60 achève ses travaux dans quatre mois, ce sera peut‐être la fin de la période transitoire et l'élection d'un véritable Parlement. Le peuple libyen décidera. Le parti pense que l'idée d'organiser des élections anticipées n'est pas bonne mais les procédures ont été lancées. Les commentateurs estiment que votre assise sociale est faible et que vous pourriez réaliser de mauvais scores aux élections parlementaires. Une analyse nourrie par le sentiment de défiance qui semble s'exprimer envers le courant de l'islam politique au sein de la population. Qu'en pensez‐vous? Nous devons aller à la rencontre de la population pour voir si cette analyse est vraie. De nos contacts avec le peuple, il ressort que le parti est très bien organisé et qu'il est vu comme étant au‐dessus des divisions tribales et régionales. Les candidats aux prochaines élections législatives ne se présenteront pas au nom d'un parti politique car nous avons compris que le peuple libyen, qui a souffert de la dictature du colonel Kadhafi pendant quarante‐deux ans, a gardé une peur des organisations, et notamment des partis politiques. Il y en a qui crient au complot de la part du PJR, ce sont des gens qui ont échoué face à nous et choisissent des attaques faciles. Quand on regarde la situation politique en Libye, le PJR a montré qu'il était au cœur des efforts de pacification de la Libye. Quels sont les principes que votre parti souhaite voir inscrits dans la future Constitution de la Libye ? Quelle est votre position sur les droits des minorités, la charia et le fédéralisme notamment ? L'unité de la Libye, l'identité libyenne et l'inscription dans la Constitution de la place essentielle des partis politiques dans la construction de la politique libyenne. Nous soutenons les droits des minorités toubou, touareg et amazigh. L'inscription de la loi islamique (charia) dans la Constitution fait l'objet d'un consensus du peuple libyen, qui est 100 % musulman, et c'est à lui de choisir quelle référence y sera faite dans la Constitution. Concernant le fédéralisme, c'est une opinion politique qu'on respecte, mais c'est au peuple de décider ou non s'il souhaite voir ce principe reconnu dans la Constitution. On ne veut pas que cela lui soit imposé. Violents combats dans l'est de la Libye Le Monde.fr avec AFP | 16.05.2014 à 13h16 Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, Benghazi est le théâtre d'attaques et d'assassinats quasi‐quotidiens visant l'armée et la police. Des affrontements ont éclaté, vendredi 16, à Benghazi entre la « Brigade 17‐Février », une milice islamiste et une force conduite par Khalifa Haftar, un ancien commandant de la rébellion ayant renversé le régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Des affrontements violents opposaient aussi les deux groupes autour de sites occupés par les milices islamistes dans la région de Sidi Fradj, dans le sud de la ville. Le groupe de Haftar se fait lui‐même appeler « l'armée nationale » et affirme « conduire une opération de grande envergure pour purger Benghazi des groupes terroristes », a indiqué un porte‐
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parole de cette force. Pour dénoncer les assassinats et les attaques contre l'armée dans l'est libyen, plusieurs militaires ont rejoint la force de Khalifa Haftar. Le chef d'état‐major de l'armée libyenne, Abdessalem Jadallah, a démenti toutefois toute implication de l'armée régulière dans les affrontements de Benghazi. Dans une déclaration à la télévision nationale, il a appelé « l'armée et les révolutionnaires à s'opposer à tout groupe armé qui tente de contrôler Benghazi par la force des armes ». Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, Benghazi est le théâtre d'attaques et d'assassinats quasi quotidiens visant l'armée et la police. Ces attaques qui ne sont pas revendiquées sont attribuées à des groupes d'islamistes radicaux lourdement armés et qui sont très présents dans l'est libyen. Libye : un colonel annonce la « suspension » du Parlement Le Monde.fr | 19.05.2014 à 02h43 • Mis à jour le 19.05.2014 à 08h39 Par Hélène Sallon (avec AFP) Au terme d'une journée de combats entre milices rivales à Tripoli, qui ont débuté après l'attaque du Congrès national général (CNG, le Parlement de transition) par des hommes armés, le colonel Mokhtar Fernana, commandant de la police militaire, a annoncé au nom de l'armée nationale la suspension du CNG. Dans une déclaration à la télévision Libya Ahrar, diffusée à 22 heures, il a indiqué que le pouvoir législatif serait dès lors assuré par le Comité des 60, la Constituante élue en février pour écrire la Constitution. Il assure également que le gouvernement intérimaire actuellement mené par Abdallah Al‐Thinni poursuivrait son mandat jusqu'à la tenue de nouvelles élections parlementaires, prévues dans les prochains mois. DÉFIANCE CONTRE LE NOUVEAU PREMIER MINISTRE Le colonel Fernana rejette de la sorte la désignation de l'homme d'affaires Ahmed Miitig comme nouveau premier ministre, lors d'une élection contestée organisée le 4 mai au CGN. M. Miitig avait présenté en début de journée, dimanche, la composition de son gouvernement. Originaire de la ville de Zenten, à 170 km au sud‐ouest de Tripoli, le colonel Fernana n'a pas précisé comment ses décisions allaient être mises en œuvre, en l'absence d'une armée professionnelle dans un pays où les milices font la loi. Il affirme que ces annonces ne constituent pas un coup d'Etat et qu'il a le soutien de la population. Ce que récusent les membres du CNG. « Le colonel Fernana est lié aux milices de Zenten et au général Heftar. Ils ne représentent personne et n'ont aucune autorité pour suspendre le Parlement », a déclaré au Monde, peu après l'intervention télévisée de Fernana, le député Ala Mgaryef. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 24
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« Nous allons poursuivre nos travaux au sein du CNG et veiller à ce que le processus politique se poursuive jusqu'aux prochaines élections parlementaires. On ne va pas donner le pouvoir à des militaires. Notre seule préoccupation désormais est d'assurer notre sécurité pour le faire. » DEUX MORTS À TRIPOLI Lors d'une conférence de presse donnée dans la soirée dimanche, le gouvernement intérimaire a également dénoncé les dernières violences survenues en Libye. Il appelle les milices à cesser les combats, au rétablissement du dialogue national et à la poursuite du processus politique. Vendredi, le général Khalifa Heftar avait lancé l'offensive « dignité » contre les milices islamistes – notamment Ansar Al‐Charia – à Benghazi, dans l'est du pays. Ce général à la retraite a aussi revendiqué dimanche l'assaut donné par des hommes armés contre le CGN. Cette nouvelle attaque lancée contre le Parlement a été menée par des milices originaires de la ville de Zenten, dont la brigade Al‐Qaaqaa. Repoussées par les gardes du Parlement, elles ont battu en retraite vers leurs casernes situées sur la route de l'aéroport. Les combats qui les ont opposées à des milices de Tripoli jusqu'à la tombée de la nuit ont fait au moins deux morts et 66 blessés, selon un bilan provisoire du ministère de la santé. LE CGN RÉGULIÈREMENT PRIS POUR CIBLE Fin avril, des hommes armés avaient déjà attaqué les locaux du CGN, régulièrement visé par des groupes armés, comme celle perpétrée le 2 mars, dans laquelle deux députés avaient été blessés par balle. Le 14 février, dans une déclaration vidéo enregistrée, le général Khalifa Heftar avait déjà annoncé la suspension des institutions politiques, sans que ces annonces soient suivies d'effet. Quatre jours plus tard, les brigades de Zenten avaient également donné au CGN, la plus haute autorité politique du pays, quelques heures pour quitter le pouvoir, sans toutefois passer à l'action après l'expiration de leur ultimatum. Le Congrès avait aussitôt dénoncé cette initiative comme une menace de « coup d'Etat ». Le gouvernement de transition avait ensuite annoncé un compromis avec ces ex‐rebelles ayant combattu le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, sans donner de détails. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 25
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Libye : le gouvernement propose la « mise en congé » du Parlement Le Monde.fr | 19.05.2014 à 20h20 • Mis à jour le 20.05.2014 à 01h11 Par Hélène Sallon Le gouvernement libyen a proposé lundi, pour sortir le pays de la crise, la mise en congé du Congrès général national. Le général Khalifa Heftar, chef autoproclamé d'une coalition hétéroclite qui conteste le Conseil général national (CGN), le Parlement de transition libyen, engrange ses premiers succès après le lancement vendredi de son opération « Dignité ». Le gouvernement intérimaire, mené par le premier ministre démissionnaire, Abdallah Al‐Theni, a préconisé, lundi 19 mai, la mise en congé du CGN jusqu'à l'élection d'un nouveau Parlement. Cette mise en vacance interviendrait après l'adoption du budget 2014, dont le vote n'a cessé d'être reporté depuis plusieurs mois, du fait du blocage du CGN, sur fond de divisions persistantes entre forces islamistes et libérales. Cette annonce marque un revirement du pouvoir exécutif, qui avait, avec le Parlement et l'armée, condamné, la veille, le coup de force du général Heftar et des puissantes milices de Zenten, une ville de l'ouest du pays, contre le CGN. Le général à la retraite avait revendiqué ce coup de force dans le cadre de l'opération lancée, vendredi, par ses forces dans l'est du pays contre les « groupes terroristes ». Le colonel Mokhtar Fernana, commandant de la police militaire et un des hommes forts de Zenten, était apparu dimanche dans la soirée devant deux chaînes de télévision libyennes, pour annoncer la suspension du CGN, après une attaque avortée en milieu de journée menée par les milices de Zenten contre le Parlement. De violents combats avaient opposé, pendant plusieurs heures, ces milices à celles de Tripoli à plusieurs endroits de la ville, faisant au moins deux morts et soixante‐six blessés selon un bilan provisoire du ministère de la santé. PLAN DE SORTIE DE CRISE La proposition de mise en vacance du Parlement fait partie d'un plan de sortie de crise en dix points, présenté lundi par le premier ministre, Al‐Thini, dans une lettre publiée sur le site du cabinet. Dans le but de garantir le maintien des institutions, le premier ministre démissionnaire préconise l'organisation d'un scrutin au sein du CGN pour élire à nouveau son remplaçant. L'élection le 4 mai de l'homme d'affaires Ahmed Miitig à ce poste, lors d'un scrutin dénoncé comme un coup de force des formations islamistes, a accentué le blocage des instances de transition. En cas d'échec dans l'organisation de ce scrutin, la désignation d'un nouveau premier ministre serait confiée aux législateurs qui devraient être élus lors des prochaines élections parlementaires. Le CGN avait promis la tenue de nouvelles élections d'ici à l'été, en réponse à la contestation populaire qu'avait suscitée la prolongation de son mandat au‐delà du 7 février. Une majorité de Libyens tient le Parlement pour responsable de l'anarchie politique et sécuritaire qui règne dans le IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 26
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pays et réclame de nouvelles élections. Dans la lettre publiée lundi, le premier ministre a promis la tenue de ce scrutin avant le 15 août. On ignore pour le moment si cette initiative serait acceptée alors que le Congrès accapare tous les pouvoirs et que le gouvernement se plaint d'un manque de prérogatives. Plus tôt dans la journée, son président, Nouri Abou Sahmain, considéré comme allié des forces islamistes du CGN, avait convoqué le Parlement pour une nouvelle session mardi. Il a également ordonné la mobilisation du Bouclier libyen central, qui regroupe des milices de Misrata et du centre du pays dont une grande partie de milices islamistes, pour protéger Tripoli des troupes du général Haftar. Les milices de Misrata s'étaient retirées de la capitale libyenne après des combats quil l'avaient opposés à la population et à d'autres milices en novembre. « C'EST EUX OU NOUS » L'annonce, dans la soirée lundi, du ralliement du commandant des forces spéciales de l'armée libyenne au général Haftar constitue une seconde victoire. « Nous sommes avec Haftar », a dit à Reuters le colonel Wanis Boukhamada, chef des forces spéciales, interrogé à Benghazi, la capitale de la Cyrénaïque. Le colonel Boukhamada avait condamné, vendredi, l'offensive lancée par les troupes du général Heftar contre les bases de milices islamistes, les brigades du 17 Février et Ansar Al‐Charia, qui ont fait au moins 79 morts et 141 blessés. Certains membres des forces spéciales s'étaient ralliés, avec tanks et avions, à cette offensive. Les forces spéciales stationnées à Benghazi sont depuis des mois la cible d'attaques et d'attentats‐suicides, attribués à des groupes terroristes islamistes. « C'est eux ou nous », a ainsi déclaré lundi le colonel Boukhamada pour justifier cette décision. Elle contrevient à la requête formulée, lundi, par la premier ministre aux forces armées de soumettre l'ensemble de leurs décisions à l'accord préalable du gouvernement intérimaire. Dimanche, une base des forces spéciales avait à nouveau été attaquée. Les militaires de la base aérienne de Tobrouk, également dans l'Est, ont eux aussi annoncé qu'ils rejoignaient Haftar, qui a été l'une des figures du soulèvement contre Mouammar Kadhafi en 2011. Les autorités libyennes ont par ailleurs prolongé la fermeture de l'aéroport de Benghazi jusqu'à dimanche prochain en raison des violences qui se déroulent dans la ville, a indiqué le directeur de l'aéroport. Des roquettes Grad sont tombées sur l'aéroport dans la nuit de dimanche à lundi. LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE S'INQUIÈTE La détérioration de la situation en Libye suscite les craintes de la communauté internationale. « L'UE renouvelle son engagement à soutenir le peuple libyen (...) et appelle toutes les parties à parvenir à un consensus pour permettre la transition vers une démocratie stable », a déclaré un porte‐parole de IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 27
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la haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton. L'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont annoncé lundi la fermeture de leurs représentations diplomatiques dans le pays et le retrait de leurs personnels. L'Algérie a pour sa part fermé sa frontière aux ressortissants libyens. En Libye, l'instabilité persiste trois jours après un coup de force militaire Le Monde.fr | 21.05.2014 à 17h11 • Mis à jour le 21.05.2014 à 18h13 Carte de la Libye en voie d'éclatement. Carte de la Libye en voie d'éclatement. | Le Monde Trois jours après une attaque militaire contre le Parlement menée par des milices armées, plusieurs incidents sont venus rappeler, mercredi 21 mai, que la Libye est un pays plus que jamais plongé dans l'instabilité. Dans la capitale Tripoli, des explosions et des fusillades ont retenti dès les premières heures de la journée près de deux casernes militaires. Des combats ont ensuite été signalés près d'un camp militaire dans l'est de la ville. Le convoi du chef d'état‐major de la marine a également été attaqué en plein jour. Des hommes armés à bord d'une voiture ont bloqué la route du convoi du contre‐amiral Hassan Abou Chnak. Ils ont alors tiré des rafales de balles vers son véhicule. Le gradé a été légèrement blessé à la tête. TRAVAUX AU PARLEMENT SUSPENDUS, ÉLECTIONS LE 25 JUIN Le commandant des forces spéciales libyennes, Wanis Bukhamada, annonce son ralliement au général Khalifa Haftar, le 19 mai 2014. Le commandant des forces spéciales libyennes, Wanis Bukhamada, annonce son ralliement au général Khalifa Haftar, le 19 mai 2014. | REUTERS/ESAM OMRAN AL‐FETORI Ces violences sont les dernières conséquences des graves tensions politiques en Libye. Un ex‐général à la retraite, Khalifa Haftar a lancé une opération contre les « groupes terroristes » autour de Benghazi, la grande ville de l'Est. Il a également revendiqué l'offensive contre le Parlement. Plusieurs officiers de l'armée ont annoncé leur ralliement à cette force paramilitaire, qui exige la dissolution du Parlement. Dernier en date : le chef d'état‐major de la défense aérienne, qui a imité le chef des forces spéciales Dans le but manifeste d'apaiser les tensions, la commission électorale a proposé d'organiser des élections législatives le 25 juin. Le gouvernement a demandé aux autorités législatives de suspendre leurs travaux jusqu'à ces élections et d'annuler la désignation, qui s'est faite dans des conditions contestées, de l'homme d'affaires Ahmed Maïtik au poste de premier ministre. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 28
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En Libye, le général Khalifa Haftar prend la tête du combat contre les islamistes LE MONDE | 20.05.2014 à 12h18 • Mis à jour le 20.05.2014 à 12h19 Par Isabelle Mandraud (avec Benjamin Barthe) et Cécile Hennion Baptisée « Dignité », l'offensive militaire déclenchée en Libye contre les islamistes radicaux par le général Khalifa Haftar a engrangé des soutiens, mais peut‐être pas autant que son promoteur l'espérait. Dans une intervention télévisée, lundi 19 mai au soir, le chef des forces spéciales de Benghazi, Ouanis Boukhamada, béret vert incliné sur le crâne, a annoncé que son unité d'élite constituée il y a moins d'un an se joignait à la « bataille de la dignité » avec ses hommes et ses armes. La même soirée, d'autres troupes dépendant de l'armée ont rallié le général Hatfar, à Al‐Baïda, à Ajdabiya ou encore sur la base de Tobrouk. Mais toutes proviennent de l'est du pays, dont le général Haftar est originaire. A la tête d'une force militaire autoproclamée « armée nationale libyenne », le général Haftar, 71 ans, a lancé son opération vendredi à Benghazi contre le groupe djihadiste Ansar Al‐Charia, accusé d'être à l'origine d'une vague d'assassinats visant depuis deux ans les forces de sécurité et des juges. Khalifa Haftar, qui a bénéficié de l'appui aérien de quelques unités de l'armée, s'est également heurté aux combattants de la brigade du 17‐Février, créée pendant la guerre de 2011 contre le régime Kadhafi. Bilan : près de 80 morts et de nombreux blessés. La Libye au cœur d'une crise institutionnelle de grande ampleur Publication: 08/06/2014 08h08 Hélène BravinJournaliste, chercheur associé à l’IPSE, spécialiste du Maghreb La Libye traverse une crise institutionnelle de grande ampleur. Depuis la destitution du premier ministre Libyen, Ali Zeidane, la Libye est entrée dans une confusion totale sur le plan institutionnel. L'élection de Ahemed Emethik, le tout dernier premier ministre vient d'être invalidée. Sur le terrain, le Général Haftar a recommencé son offensive contre les islamistes et les djihadistes dans l'Est de la Libye. Depuis la destitution de Ali Zeidane, la Libye a plongé davantage dans la confusion. Il faut avant tout dire que l'ancien premier ministre, Ali Zeidane, a été destitué, le 11 mars dernier, dans des conditions frauduleuses, par certains députés de l'Alliance Nationale de Mahmoud Jibril et surtout par les islamistes qui, depuis des mois, ont été à la tête de la fronde contre ce dernier. Ce jour‐là, certains députés, ont voté, à leur insu par un tour de passe‐passe sur les questions sur lesquelles les députés devaient voter, à la fois pour la destitution de Ali Zeidane mais aussi pour des élections du Congrès Général National (CGN), l'équivalent du Parlement, également pour l'élection d'un Chef d'Etat. Son successeur, Abdallah Al Thini "élu", dans de telles conditions, ne pouvait donc pas, d'ores et déjà, bénéficier d'une entière adhésion des députés. Alors que A. Al Thini devait former un gouvernement provisoire jusqu'aux élections législatives prévues en juin, celui‐ci a fait l'objet de nombreuses pressions pour l'obtention de postes. Ces pressions venaient du parti des frères musulmans, le parti de la Justice et de la Construction (PJC), et IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 29
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le bloc composé d'islamistes radicaux, Al Wafa, les "martyres". Mais aussi de députés non islamistes appartenant au le Front de salut de la Libye, de milices sur le terrain telles que la Cellule d'Opération du Conseil Suprême de l'Union des Révolutionnaires Libyens (CSUR), composée d'islamistes. Et des milices de Misurata de Salah Badi (ex‐député indépendant qui a démissionné depuis novembre 2013) et de Abdulrahaman Al Souilli ou "Al Sweilli", député indépendant tribal. Ils réclamaient des postes, dont le ministère de la Défense qui devait revenir à l'ex‐djihadiste et milicien Abdelhakim Bel Haj. Face au refus de Al Thini de céder au chantage, une milice a mitraillé la maison du premier ministre nouvellement élu. Du coup, le gouvernement provisoire n'a pu se former. Les députés ont alors voté pour un nouveau premier ministre, Ahemed Emehtik, proche du groupe radical islamiste du CGN, Wafa, mais aussi des milices de Misrata qui ont fait alliance pour son élection. Son élection s'est également faite dans des conditions très contestables. L'arrivée du général Khalifa Aboulkasim Haftar, lequel veut combattre les islamistes à la tête de puissantes milices et des djihadistes à Benghazi a accéléré le processus de confrontation entre les acteurs et de contestation des institutions. Ce général a, d'une part, obtenu l'adhésion de certains hauts gradés de l'armée, tels que Le Commandant des forces spéciales, le Colonel Younis Boukamada ou encore le commandant de l'Etat major de la Défense aérienne, Jouma Al Habani. Mais aussi d'autre part, de ministres ou d'hommes politiques, tel que Mahmoud Jibril à la tête de l'Alliance nationale au CGN, et de Ali Zeidane. Et enfin, et surtout, de très nombreux députés (plus d'une quarantaine sur les 200). Toutes ces forces, y compris Haftar ne reconnaissent pas la légitimité de Ahemed Emehtik. D'autant que, l'élection de son gouvernement s'est faite également sans tenir compte des règles institutionnelles. Ce nouveau gouvernement a été validé par le Président du Parlement, alors que les votes en sa faveur n'ont pas atteint la majorité des 120 voix requises. En raison donc de ces fraudes successives, de la nature du premier ministre qui est soutenu par les islamistes même les plus radicaux et par Misrata, et de l'arrivée du général Haftar, la confrontation et la contestation est plus vive. Si les différents acteurs sont en majorité, tous d'accord pour de nouvelles élections, lesquelles doivent théoriquement se tenir le 25 juin prochain, ils ne reconnaissent pas en cascade la légitimité du gouvernement actuel et précédent. Ali Zeadane Thini, a déposé un recours contre la nomination d'Al Thani, lequel, qui est soutenu par de nombreux députés, a également déposé un recours contre Ahemed Emehtik. Résultat : la cour de constitutionnelle vient d'invalider l'élection de Ahemed Emehtik, et elle doit se prononcer le 9 juin sur les recours déposés par ses soutiens. Si la cour constitutionnelle conforte l'illégalité, on ne sait si Ahemed Emethik s'en ira. D'autant qu'il a été imposé par la force. On ne sait donc qui aura le dernier mot : les milices ou la loi ? En tous les cas, côté islamiste, ces derniers veulent que ce gouvernement perdure, au‐delà même des élections législatives et qui doit théoriquement aboutir à l'élection d'un nouveau gouvernement. Sur le terrain, la situation est dangereuse. Le général Haftar a recommencé les combats contre Benghazi et se rapproche de Darna, le fief des islamistes/djihadistes. Ce dernier, qui a rallié des tribus de l'Est a constitué une force réelle face aux islamistes. Son atout, il possède des avions et des IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 30
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hélicoptères. Toutefois, il est à craindre que les combats prennent une autre dimension avec l'arrivée de djihadistes de Syrie, suite à l'appel du guide spirituel de Ançar Al Sharia, Mohamed Al Zhawi. Certains renforts sont déjà arrivés à Darna par bateau. Un programme européen pour soutenir la transition libyenne de Mattia Toaldo ‐ 20 Mai 2014 Durant le week‐end, une série d’attaques et de confrontations violentes ont encore une fois propulsé la Libye sous les projecteurs : le Parlement a été pris d’assaut, des combats entre les différentes milices ont éclaté à Tripoli, des unités armées ou milices autour du pays se sont ralliées soit du côté des islamistes, soit de celui de leurs opposants, tandis qu’une opération militaire majeure a débuté vendredi à Bengazi. La situation actuelle, qualifiée par le gouvernement libyen de « coup d’Etat », devrait inquiéter les décideurs européens. Une action immédiate est nécessaire. Un bulletin politique publié cette semaine par le Conseil européen des relations internationales suggère que l’Europe pourrait agir davantage afin de protéger ses intérêts en Libye. Trois ans après la révolution, la transition a pris du retard, notamment en ce qui concerne des étapes clés telles que les élections, une nouvelle constitution et un dialogue national qui ont peu de chance d’être achevées dans les temps. L’analyse du chercheur du programme Moyen‐Orient et Afrique du Nord de l’ECFR Mattia Toaldo, constate que la transition libyenne est bloquée au milieu d’une apathie largement partagée pour les institutions démocratiques et les partis politiques. De faibles progrès ont été faits en matière de sécurité, démocratie et relance économique. Il affirme que la tenue d’élections, la mise en place d’un dialogue national afin d’établir un consensus, et l’élaboration d’une nouvelle Constitution devraient avoir lieu avant la fin de l’année avec le maintien de l’aide des partenaires internationaux tels que l’UNSMIL, l’UE, le G8 et les pays du P3+3. Le rapport de l’ECFR affirme que tandis que la situation actuelle requiert d’urgents efforts de médiation de la part de l’UE, ses Etats membres, la Norvège et la Turquie, ces acteurs ne devraient pas perdre de vue les perspectives à longs termes et travailler simultanément sur cinq étapes clés : Faciliter un accord entre les personnalités influentes en Libye tout en incitant à la conclusion d’accords qui mettraient un terme aux nombreux conflits locaux en Libye et en se concentrant sur la formation d’une gendarmerie politiquement neutre. Soutenir matériellement et politiquement la mise en place de la Commission de Dialogue National et le fonctionnement de la justice transitionnelle. Soutenir les gouvernements locaux dans leur volonté de fournir des services urbains, et encourager la délégation de ces compétences par le gouvernement central. Garantir une plus grande transparence dans la gestion des ressources issues du pétrole et le développement d’une économie libyenne post‐pétrole. Améliorer la coordination du soutien et de l’intervention internationaux afin de réagir plus rapidement à la situation changeante en Libye. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 31
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La marginalisation des anciens loyalistes de Kadhafi a mené à des assassinats politiques, la suppression des medias, ainsi qu’à la fuite de plus d’un million de Libyens vers les Etats voisins. Particulièrement en ce moment, les européens devraient préciser aux parties prenantes qu’une approche de type « winner takes all » ne sera pas récompensée. En s’appuyant sur la question de la dépendance énergétique vis‐à‐vis de la Russie en Europe actuellement, le rapport de l’ECFR note que « l’UE ne peut pas se permettre d’avoir un Etat failli, crucial pour la sécurité énergétique et le trafic illégal, à 350 km au sud de Malte et Lampedusa. » L’analyse conclut que ‐ tandis qu’il revient aux Libyens de choisir leurs dirigeants et représentants ‐ la capacité de l’Europe à influencer la transition en Libye est forte et devrait être utilisée plus efficacement. Elections législatives Mercredi 25 juin 2014 La Libye se rend aux urnes aujourd’hui pour sa deuxième élection parlementaire depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Au regard de la loi électorale libyenne, des candidats indépendants se présentent dans des circonscriptions uninominales, selon un système à la majorité simple. En l’absence de listes électorales, les résultats finaux ne seront pas accessibles immédiatement. Les chercheurs du programme Moyen‐Orient et Afrique du Nord du Conseil Européen des Affaires Etrangères seront disponibles pour évaluer et interpréter les résultats. Ils pourront également discuter des facteurs qui pourraient avoir des conséquences sur l’avenir de la Libye : L’absence des blocs politiques clairement définis pourrait favoriser l’élection de dirigeants locaux sans appartenance claire à un Parti. Une faible participation et un nombre restreint d’électeurs pourrait faire que certains membres du Parlement ne représenteront que 10% des électeurs de leur circonscription. Etant donné le fort besoin d’un gouvernement stable en Libye, les querelles politiques et les négociations peu concluantes signifient qu’il faudra plusieurs mois avant qu’un gouvernement maîtrise parfaitement la situation. Dans ce vide politique, atteindre un consensus pourrait être encore plus difficile, à cause des milices en guerre. La formation d’un gouvernement d’unité nationale, bénéficiant du soutien des acteurs politiques principaux – ou la plupart d’entre eux – y compris les milices puissantes de Zintan et Misrata, pourrait être une solution. La grande question est le contrôle des ressources pétrolières. Les Européens doivent réaffirmer leur volonté d’appliquer la Résolution 2146 du Conseil de Sécurité de l’ONU contre le commerce illicite de pétrole mené par des forces antagonistes au gouvernement élu démocratiquement. 1 300 bureaux de vote doivent ouvrir aujourd’hui (mercredi 25 Juin) à travers le pays. La réussite du processus électoral dépendra du climat sécuritaire, notamment dans les villes de Benghazi, Derna, Sirte, et dans le sud du pays. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 32
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Libye : des élections peu suivies et conclues par un assassinat Le Monde.fr avec AFP | 26.06.2014 à 00h34 • Mis à jour le 26.06.2014 à 09h30 Salwa Bougaighis, une avocate et militante des droits de l'homme, a été tuée par balle, mercredi 25 juin chez elle à Benghazi, dans l'est de la Libye. « Des hommes inconnus encagoulés et qui portaient des uniformes militaires ont attaqué Mme Bougaighis dans sa maison et ont tiré sur elle », selon un responsable de la sécurité. « Elle est arrivée dans un état critique au centre médical de Benghazi où elle a succombé à ses blessures », indique l'hôpital. Salwa Bougaighis, une féministe libérale, a participé activement à la révolution de 2011 qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi. Ex‐membre du Conseil national de transition (CNT), l'ancien organe politique de la rébellion, elle était depuis la vice‐présidente d'un Comité préparatoire pour le dialogue national en Libye. Depuis la révolution de 2011, la région orientale de la Libye, et en particulier sa plus grande ville, Benghazi, est le théâtre d'une série d'attaques et d'assassinats visant notamment des militaires, des policiers et des juges. Plus tôt mercredi, sept soldats ont été tués et plus d'une cinquantaine blessés dans des affrontements avec un groupe islamiste dans le sud de la ville. Ces violences interviennent après une journée marquée par un faible engouement pour les législatives qui se sont tenues dans le pays. Le scrutin était pourtant jugé crucial pour l'avenir de la transition démocratique dans un pays qui s'enfonce dans l'anarchie depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Les Libyens étaient appelés à élire les 200 membres de la future Chambre, qui doit remplacer le Congrès général national (CGN — Parlement), la plus haute autorité politique et législative, dont la légitimité est contestée. Le CGN a été élu en juillet 2012 à l'occasion du premier scrutin libre dans l'histoire du pays, après plus de quarante ans de dictature. Il a été accusé toutefois d'avoir contribué à l'instabilité, à cause des luttes d'influence entre libéraux et islamistes, appuyés par des milices armées dans un pays qui peine à construire une armée et une police professionnelles. Seuls 1,5 million de Libyens s'étaient inscrits pour le scrutin contre plus de 2,7 millions en 2012 sur 3,4 millions d'électeurs éligibles. Et seulement 630 000 Libyens ont voté mercredi, soit un taux de participation 42 %, selon des estimations préliminaires de la Haute Commission électorale (HNEC). Malgré les violences, la commission a annoncé en fin d'après‐midi que le scrutin avait pu avoir lieu dans 98 % des quelque 1 600 centres de vote. Dans les régions privées de vote, en revanche, la loi prévoit que la Commission électorale décide sous quarante‐huit heures après la fin du scrutin du lieu et de la date de nouvelles élections. Dans l'immédiat, la HNEC estime à seize le nombre de sièges non pourvus, sur deux cents. La Libye, un pays en voie de « somalisation » ? 27 juin 2014 Le point de vue de Kader Abderrahim, chercheur associé à l’IRIS Que peut‐on attendre des élections législatives libyennes au vu du contexte plus que tendu et du faible taux de participation enregistré ? IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 33
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En principe, nous devrions nous réjouir qu’un pays qui a vécu sous la dictature pendant plus de 40 ans puisse enfin s’exprimer librement. Malheureusement c’est une élection qui n’a pas grand sens. D’abord par son niveau de participation : il y a très peu de Libyens qui se sont inscrits pour participer à ce scrutin, soit à peu près 630 000 votants sur presque 3,5 millions d’électeurs. Cela réduit considérablement la légitimité de ce scrutin, ce qui risque de renforcer encore un peu plus les antagonismes, notamment parce que ceux qui contestaient la légitimité du Congrès Général National (CGN) vont continuer en disant qu’il n’a pas atteint le niveau de participation suffisant pour être une institution légitime. Comment expliquer le chaos et l’insécurité qui se sont installés en Libye suite à la chute de Kadhafi ? Pourquoi le CGN n’at‐il pas su remédier à la situation ? La question fondamentale après la chute de Kadhafi et la mise en place de ces embryons d’institutions était le désarmement des milices qui s’est avéré un échec absolu. Les grandes régions et les tribus les plus importantes ont constitué un stock d’armes, notamment d’armes lourdes, qui leur permet de gérer de manière totalement autonome leurs régions, sans se soucier de l’intérêt général. Le pouvoir central a par conséquent échoué dans sa tentative de faire partager à tous les Libyens, quels qu’ils soient, l’idée qu’il faut construire un Etat et se donner des institutions légitimes et solides. Très peu fonctionnent aujourd’hui, qu’il s’agisse de l’école ou des administrations libyennes. Nous sommes ainsi face à un pays en voie de « somalisation » qui ne parvient pas à retrouver sa stabilité du fait de l’armement des tribus leur permettant de continuer à fonctionner de manière autonome, comme déjà évoqué, mais aussi du fait de la lutte pour le contrôle des champs pétrolifères qui constituent une manne financière considérable. Ajoutez à cela les grandes divisions au sein du CGN entre les « libéraux » et les islamistes, qui ne sont jamais parvenus à un compromis ni à un terrain d’entente, et vous avez le tableau général de la Libye d’aujourd’hui : un pays qui vit dans un chaos absolu dans lequel la sécurité n’est pas garantie et qui est en voie de paupérisation du fait de l’anarchie qui y règne limitant de fait les rentrées d’argent. Finalement, la révolution n’a‐t‐elle pas complètement échappé à ceux qui l’ont mené, et notamment à la jeunesse libyenne ? La révolution finit toujours par dévorer ses enfants ; il y a un principe de réalité qui domine. Une fois la révolution faite, ceux qui n’étaient pas outillés, ni militairement ni politiquement, ont été marginalisés. Une partie importante de la population est rentrée dans ses foyers espérant que les choses se mettraient en place mais laissant ainsi ressurgir ceux qui avaient de l’expérience et de l’expertise, ceux qui avaient des moyens, au sens politique du terme, soit parce qu’ils étaient issus de grandes tribus, soit parce qu’ils avaient été des piliers du régime ou des piliers de la révolution ‐ parfois les deux ‐, qu’ils soient politiciens, chefs de tribu, miliciens, islamistes, anciens monarchistes, etc. Or, personne n’est parvenu à « digérer » les événements et à les capitaliser autour d’un socle de valeurs communes. La Libye est un pays de tribus – il y a plus de 150 tribus et autant de chaînes de télévision – pour qui la vision collective de ce que doit être la Libye de demain n’existe pas. Ils y parviendront certainement mais cela prendra du temps. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 34
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Ceux qui ont activement participé au soulèvement populaire de l’hiver 2011 se sentent évidemment floués et réagissent parfois violemment parce qu’ils se sont engagés ou enrôlés dans des milices qui ont aujourd’hui plus des pratiques de bandits et de coupeurs de route qu’un objectif politique. Par ailleurs, la division allant crescendo au sein du Parlement du Congrès Général National a contribué à la perte du peu de légitimité qu’il avait eu à l’issu des premières élections de 2012. Cette instabilité, très négative pour la Libye, inquiète également de plus en plus ses voisins, en particulier l’Egypte et l’Algérie, tout comme la petite Tunisie, qui essaie de construire sa démocratie ; aussi, si le pétrole ne coule pas, les Européens seront on ne peut plus concernés. Libye : des élections peu suivies et conclues par un assassinat Le Monde.fr avec AFP | 26.06.2014 à 00h34 • Mis à jour le 26.06.2014 à 09h30 Dans un bureau de vote en Libye, le 25 juinSalwa Bougaighis, une avocate et militante des droits de l'homme, a été tuée par balle, mercredi 25 juin chez elle à Benghazi, dans l'est de la Libye. « Des hommes inconnus encagoulés et qui portaient des uniformes militaires ont attaqué Mme Bougaighis dans sa maison et ont tiré sur elle », selon un responsable de la sécurité. « Elle est arrivée dans un état critique au centre médical de Benghazi où elle a succombé à ses blessures », indique l'hôpital. Salwa Bougaighis, une féministe libérale, a participé activement à la révolution de 2011 qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi. Ex‐membre du Conseil national de transition (CNT), l'ancien organe politique de la rébellion, elle était depuis la vice‐présidente d'un Comité préparatoire pour le dialogue national en Libye. Depuis la révolution de 2011, la région orientale de la Libye, et en particulier sa plus grande ville, Benghazi, est le théâtre d'une série d'attaques et d'assassinats visant notamment des militaires, des policiers et des juges. Plus tôt mercredi, sept soldats ont été tués et plus d'une cinquantaine blessés dans des affrontements avec un groupe islamiste dans le sud de la ville. Ces violences interviennent après une journée marquée par un faible engouement pour les législatives qui se sont tenues dans le pays. Le scrutin était pourtant jugé crucial pour l'avenir de la transition démocratique dans un pays qui s'enfonce dans l'anarchie depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Les Libyens étaient appelés à élire les 200 membres de la future Chambre, qui doit remplacer le Congrès général national (CGN — Parlement), la plus haute autorité politique et législative, dont la légitimité est contestée. Le CGN a été élu en juillet 2012 à l'occasion du premier scrutin libre dans l'histoire du pays, après plus de quarante ans de dictature. Il a été accusé toutefois d'avoir contribué à l'instabilité, à cause des luttes d'influence entre libéraux et islamistes, appuyés par des milices armées dans un pays qui peine à construire une armée et une police professionnelles. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 35
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Seuls 1,5 million de Libyens s'étaient inscrits pour le scrutin contre plus de 2,7 millions en 2012 sur 3,4 millions d'électeurs éligibles. Et seulement 630 000 Libyens ont voté mercredi, soit un taux de participation 42 %, selon des estimations préliminaires de la Haute Commission électorale (HNEC). Malgré les violences, la commission a annoncé en fin d'après‐midi que le scrutin avait pu avoir lieu dans 98 % des quelque 1 600 centres de vote. Dans les régions privées de vote, en revanche, la loi prévoit que la Commission électorale décide sous quarante‐huit heures après la fin du scrutin du lieu et de la date de nouvelles élections. Dans l'immédiat, la HNEC estime à seize le nombre de sièges non pourvus, sur deux cents. Législatives en Libye: quels enseignements en tirer Hélène Bravin Journaliste, chercheur associé à l’IPSE, spécialiste du Maghreb Publication: 27/06/2014 12h01 Des élections législatives pour le Parlement libyen, le Congrès Général National (CGN) se sont tenues le 25 juin. Ces élections marquent une réelle désaffection des libyens vis‐à‐vis des élections. Mais aussi pour le système de représentations politiques. Lors de ces élections, les candidatures individuelles ont en effet été privilégiées au détriment des partis politiques. Le taux de participation (13%) des élections vis‐à‐vis des élections est bas. Comment l'expliquer ? Tout d'abord ces élections ne sont que provisoires. Pourquoi allez voter alors que de nouvelles élections vont avoir lieu dès que la constitution sera rédigée ? Ces élections ont en effet été décidées sous la pression de la rue. A la suite du vote du comité constituant qui a enregistré une faible participation, Ali Zaedane conscient de cette perte de confiance avait alors répondu aux appels insistants de la population ; celle‐ci à travers de nombreuses manifestations a réclamé la destitution du Parlement complètement discrédité, au point d'ailleurs que certains députés ne pouvaient rentrer chez eux ou recevaient des menaces. Pour calmer la population mais aussi pour redonner un nouveau souffle au Parlement en panne, également parce qu'il était sous le coup d'une motion de défiance Ali Zeidane, a demandé aux députés d'organiser rapidement de nouvelles élections législatives, alors que la reconduction du mandat du CGN venait d'être votée. Pour une des rares fois, les députés, y compris les islamistes, s'étaient tous mis d'accord pour mettre en place des élections le plus rapidement possible, sachant que celles‐ci ne devaient être que provisoires, le temps de la rédaction de la constitution. Ils ont ainsi voté au mois de mars pour l'organisation de nouvelles élections. Du coup, ces élections ont été organisées dans la précipitation alors que les libyens ne savaient même pas, pendant un temps, qui était leur premier ministre ! La campagne électorale a brillé par son absence. Alors pourquoi les Libyens ne sont‐ils pas allé voter alors qu'ils ont réclamé un nouveau Parlement ? Les Libyens sont la proie de l'insécurité. Beaucoup d'entre eux aujourd'hui sont découragés par autant de violence. Et par l'inefficacité du Parlement à la combattre. Ce sentiment d'insécurité et d'incertitude quant au devenir de la Libye, s'est notamment amplifié avec l'intervention du Général Haftar, laquelle peut‐ si elle réussit‐ entraîner des bouleversements au sein des institutions. Les IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 36
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Libyens, qui pour beaucoup d'entre eux soutiennent ce général, sont donc dans l'expectative et l'inquiétude de voir venir les événements, sur lesquels ils n'ont aucune emprise. Depuis la fin de la Révolution, ils ne sont pas acteurs, ils subissent des chocs. Les votes de certaines lois ont, par ailleurs, eu raison de la vocation du Parlement à légiférer dans de bonnes conditions. Ils ont démontré que les milices étaient plus fortes que les députés. Rappelons ainsi que le vote de la loi sur l'isolation politique (elle exclut bon nombre de fonctionnaires ayant travaillés sous le régime de Kadhafi), où les islamistes ont été frondeurs, s'est effectué sous la pression et la violence. Les députés ont été pris en otage par les milices qui ont exigé le vote de cette loi, révélant ainsi leur impuissance à mettre fin au règne des milices. Le vote même du budget n'a cessé d'être retardé...Puis, il y a eu les différents épisodes des destitutions de Ali Zeidane et de Al Thini qui ne sont pas faîtes dans le respect des règlements intérieurs de l'Assemblée, et donc de façon frauduleuse. Des pratiques anciennes ont été enfin remises à l'ordre du jour, comme le vote à main levée instituée par le Roi Idriss 1er et repris par Kadhafi. Les libyens ont réalisé en fait que l'implication des milices dans la vie politique est trop importante, que l'anarchie règne et que le Parlement n'a aucune autorité, tout comme le gouvernement. La loi électorale a privilégié les candidatures individuelles au détriment des partis politiques. Quelles conséquences ? Le fait d'avoir privilégié les candidatures individuelles au détriment des partis politiques marque un tournant dans la vie politique libyenne. La Libye abandonne, du moins pour l'instant, la représentativité des partis politiques et enlève en cela le peu d'homogénéité à ce Parlement, même si ce dernier n'est que provisoire. Si autant les premières élections de juillet 2012 ont accordé une place ‐soit 80 sièges‐ au Parlement aux "partis" politiques, appelés "entités" par la loi de 2012, deux ans plus tard, il n'en est plus question dans la loi n°10. Les libyens auront donc un Parlement exclusivement composé d'individus sans appartenance politique, renouant ainsi avec l'ancienne composition du CGN en vigueur sous Kadhafi. Depuis quelques mois, on a eu des signes avant coureur de cette perte de la confiance. Les partis politiques sont devenus la cible de la population qui les accuse tour à tour, d'être responsables de la dégradation de la situation sécuritaire et politique en Libye. Les sièges du Parti pour la Jeunesse et la Construction (PJC), parti des frères musulmans, et celui du Parti de l'Alliance des Forces Nationales (AFN), appelés abusivement "libéraux" ont ainsi été, en juillet, l'objet d'exactions. Très fragilisés par la question sécuritaire, les partis politiques ont jusqu'à présent constitués que des boutiques sans programme et sans discipline. Hormis le PCJ, le plus discipliné des partis et qui n'a eu de cesse d'être à l'avant‐garde des différentes lois les plus nocives et votées dans la violence les députés des autres partis politiques, notamment celui de Mahmoud Jibril ont souvent préféré voter, selon leur influence tribale ou sous la pression des islamistes, voire contre l'avis de leur dirigeant. Bref, bon nombre d'éléments ont fait réfléchir les rédacteurs de la loi quant à l'utilité d'instaurer à nouveau un système de représentation via les partis politiques, d'autant que les candidats individuels représentaient déjà 120 sièges contre 80 accordés aux partis politiques. On ne sait pas encore, pour l'instant, si cette loi électorale sera reconduite ou non pour les prochaines élections. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 37
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La représentation individuelle va‐t‐elle modifier la "donne" islamiste ? Le vote pour des candidatures individuelles favorisent le vote pour des personnalités que l'on connait et quelles que soient les opinions ou tendance religieuse. C'est toute la complexité de ce vote. Des islamistes peuvent donc très bien avoir des sièges au Parlement, et continuer ainsi leur nuisance, comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Bien que minoritaires au CGN, ils ont tout de même été à la fronde de la loi de l'isolation et de la destitution de Ali Zeadane ouvrant ainsi une crise. Il faut tout de même attendre les résultats définitifs des élections pour savoir si des islamistes seront élus le temps de ce parlement. Trois ans après la chute de Tripoli, la Libye au bord du chaos LE MONDE | 28.07.2014 à 10h24 • Mis à jour le 28.07.2014 à 10h37 Par Jean‐Philippe Rémy La violence en Libye, qui dure depuis des mois, a pris une nouvelle dimension. Plus de cent morts en deux semaines d'affrontement, des combats qui s'intensifient près de Tripoli et à Benghazi, une menace de voir exploser un gigantesque dépôt de carburant aux portes de la capitale, sur fond de coupures d'eau, d'électricité et d'Internet, alors que se confirme l'absence d'autorité centrale et que les étrangers quittent le pays aussi vite qu'ils le peuvent. La Libye est entrée dans un conflit d'autant plus menaçant qu'il présente des dimensions multiples, mélangeant facteurs locaux et internationaux. Trois ans après la chute de Tripoli en août 2011, le chaos promis par le Guide libyen, Mouammar Kadhafi (tué quelques semaines plus tard à Syrte), semble donc sur le point d'embraser la Libye. En 2011, après des mois de combats et une intervention de l'OTAN, avec frappes aériennes et appui clandestin aux rebelles, la capitale libyenne était tombée aux mains d'une coalition de brigades originaires de différentes villes. A présent, ces groupes se battent pour le contrôle de la capitale, alors que d'autres s'affrontent en Cyrénaïque, avec en arrière‐fond la course pour le contrôle des ressources pétrolières, la percée ou l'anéantissement de groupes armés islamistes, et une lutte d'influence entre parrains financiers du Golfe (Emirats arabes unis, en particulier), avec pour résultat d'exposer le pays au risque d'explosion, comme la Somalie du début des années 1990, lorsque des rebelles alliés pour chasser Siad Barre avaient ensuite ravagé Mogadiscio et détruit les structures de l'Etat. C'est dire si le durcissement des combats aux portes sud de Tripoli, mais aussi dans Benghazi, à l'est, représente une menace pour le pays. D'autant que d'autres régions, comme le sud ou des zones proches de la capitale, où ne se déroulent pas actuellement de combats, sont aussi en proie à un émiettement des pouvoirs locaux. Les élections du 25 juin, à leur façon, ont constitué l'un des détonateurs de la situation actuelle. En jeu, c'est l'influence politique de la tendance islamiste. Mais les alliances vont bien au‐delà, même si ce n'est en apparence que pour le contrôle de l'aéroport de Tripoli, que les combats ont éclaté le 13 juin. La brigade originaire de Zintan (une ville à une centaine de kilomètres au sud‐ouest de Tripoli, IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 38
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très active pendant la guerre anti‐Kadhafi) tient toujours l'aéroport et résiste aux attaques de la brigade de Misrata (port de la côte, à l'est de Tripoli). Le site de l'aéroport est désormais gravement endommagé, tout comme les avions de ligne libyens qui n'ont pu être évacués in extremis vers Malte par des pilotes héroïques. DES PÉNURIES D'ESSENCE À VENIR Plus grave encore, un incendie s'est déclaré, dimanche soir 27 juillet, dans les réservoirs de carburant de la société Brega (environ 6 millions de litres), dans le sud de la ville. L'explosion de ce stock d'hydrocarbures pourrait avoir des conséquences incalculables. Même si l'incendie est maîtrisé, les pénuries d'essence devraient devenir dramatiques. Cette éventualité n'effraie pas les combattants de Zintan et Misrata. Ces deux brigades avaient pris part à l'assaut sur Tripoli d'août 2011. A la chute de la capitale, chaque groupe s'était emparé d'une partie des stocks d'armes colossaux du régime Kadhafi, et dispose donc à présent d'une puissance de feu capable de dévaster une partie de Tripoli. Dimanche, un tir de roquettes Grad sur une zone d'habitations du sud de la ville a tué un groupe de 23 travailleurs égyptiens. RARES VOLS AU DÉPART DE L'AÉROPORT MILITAIRE La France et la Grande‐Bretagne ont fini par enjoindre dimanche à leurs ressortissants (une centaine dans le cas de la France) de quitter le pays de toute urgence. Les Etats‐Unis, la veille, avaient évacué leur propre ambassade en formant un gigantesque convoi depuis le sud de Tripoli, où se trouve la représentation diplomatique. Sous la protection de marines et d'avions de chasse, les véhicules ont quitté Tripoli et rejoint la Tunisie par la route. Quelques rares vols décollent encore de l'aéroport militaire, avec certains risques. Les ambassades des Pays‐Bas et de Belgique ont été fermées « temporairement ». L'Allemagne demande à ses ressortissants de quitter le pays, où ils s'exposent à des « risques accrus d'enlèvements ou d'attaques ». Un convoi de l'ambassade de Grande‐Bretagne a été attaqué, et l'un de ses véhicules blindés a subi des tirs. Dans l'est du pays aussi, les combats se poursuivent. Les forces du général Haftar, allié de la brigade de Zintan et de pans de l'armée nationale, notamment sa composante aérienne (avec, donc, des avions de chasse), est aux prises depuis février avec une coalition dans laquelle se trouvent des groupes islamiste Minée par la violence, la Libye au bord de l'abîme Le Monde.fr | 29.07.2014 à 11h59 Par Aymeric Janier Alors que le pouvoir libyen brandit la menace d'une partition du pays, des citoyens rassemblés à Tripoli, la capitale, appellent à la fin des violences entre milices rivales, le 26 juillet 2014. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 39
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La chute de Mouammar Kadhafi, en octobre 2011 dans les environs de Syrte, ne semble plus qu'un pâle et lointain souvenir. Au fil des mois, la Libye tombe de Charybde en Scylla. Depuis le scrutin législatif de la fin juin, marqué par la nette prééminence de la « mouvance civile » sur les islamistes, les combats entre milices rivales se sont intensifiés à Benghazi, en Cyrénaïque (Est), ainsi qu'à Tripoli. Ils auraient fait au moins 97 morts et 400 blessés, selon un dernier bilan officiel. A la suite de l'explosion d'une roquette sur la route de l'aéroport international de Tripoli, lundi 29 juillet, un immense dépôt de stockage d'hydrocarbures contenant plus de six millions de litres de carburant a été ravagé par les flammes, suscitant l'inquiétude des autorités, qui ont mis en garde contre une potentielle « catastrophe humaine et environnementale aux conséquences difficiles à prévoir ». Mardi matin, le sinistre n'était toujours pas circonscrit. Dans ce contexte éruptif, plusieurs Etats, dont la France et la Grande‐Bretagne, appellent désormais leurs ressortissants à partir au plus vite. Inquiets de la tournure funeste des événements, observent CNN et le New York Times, les Etats‐Unis ont déjà évacué leur personnel diplomatique de la capitale (environ 150 personnes), sous bonne escorte (ABC News). Deux chasseurs F‐16, un drone d'observation ainsi qu'un destroyer croisant en Méditerranée ont été mobilisés pour cette délicate opération. DIVISIONS IDÉOLOGIQUES Sans doute, les hiérarques américains ont‐ils voulu éviter que ne se répète la tragédie de septembre 2012, lorsque des djihadistes avaient pris pour cible le consulat de Benghazi, tuant quatre personnes, dont l'ambassadeur Christopher Stevens, analysent le Daily Beast et le Guardian. A l'époque, l'administration Obama avait essuyé un feu roulant de critiques, notamment de la part des républicains, pour avoir échoué à protéger ses cadres diplomatiques. Comment la situation sécuritaire a‐t‐elle pu se dégrader à ce point ? La faiblesse des autorités centrales peut en partie expliquer l'état de déliquescence avancée du pays, souligne le Los Angeles Times. En se montrant incapables d'imposer leur autorité, celles‐ci ont ouvert la boîte de Pandore. Naguère unis dans leur détestation du colonel Kadhafi, les révolutionnaires d'hier se sont mués en ennemis implacables, constate le Financial Times. Divisés sur le plan idéologique, les groupes armés (il en existerait près de 1 700) poursuivent des objectifs très différents. Leur unique point commun, semble‐t‐il, est leur goût de l'argent et du pouvoir. D'où la crainte exprimée par la BBC que les milices, profitant de l'impuissance de l'armée, ne mettent à bas la démocratie. Pour Gulf News, ce dont la Libye a besoin, c'est d'amis fidèles. Et de conclure : "Alors que les violences s'aggravent, il est temps d'aider le gouvernement, et non de déserter." La transition en Libye est un échec, il faut la repenser LE MONDE | 12.08.2014 à 17h32 Moncef Djaziri (Politologue et spécialiste de la Libye) Le nouveau président libyen Aguila Salah Issa (centre) et le nouveau Parlement qui l'a élu le 5 août 2014, ne sera pas en mesure d'assurer une gouvernance démocratique en Libye, estime le IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 40
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politologue Moncef Djaziri. Le nouveau président libyen Aguila Salah Issa (centre) et le nouveau Parlement qui l'a élu le 5 août 2014, ne sera pas en mesure d'assurer une gouvernance démocratique en Libye, estime le politologue Moncef DjaziriLe 4 août, jour de la première réunion de la Chambre des représentants nouvellement élue, les dirigeants des puissances occidentales ont reconnu la légitimité du nouveau Parlement et ont appelé à une « gouvernance démocratique » et à l’instauration de l’Etat de droit en Lybie. Outre que cet appel risque de rester lettre morte, il souligne le décalage entre cette déclaration de principe et la réalité politique d’un pays en état de quasi‐anarchie et où des groupes armés revendiquent chacun la légitimité du pouvoir. Un pays miné par les conflits, les groupes terroristes, les luttes tribales et qui vit sous la menace des salafistes qui entendent proclamer un « Etat islamique » dans l’est du pays et dont le noyau se trouve à Derna. A l’instar du premier Parlement élu (2012‐2014), qui a vu se succéder les crises sans être en mesure de reconstruire l’Etat ni de pacifier la société, le second Parlement, qui vient d’être installé à Tobrouk, sera confronté à des problèmes insurmontables et ne pourra sortir le pays de la crise multiforme qu’il traverse et qui pourrait conduire à sa « somalisation ». Contesté par les islamistes et par le groupe des rebelles de Misrata, le nouveau Parlement ne dispose pas de la légitimité suffisante pour gouverner le pays. Le premier ministre qui en serait issu sera aussitôt contesté et impuissant. DES RÉVOLUTIONNAIRES DISCRÉDITÉS La première transition qui a suivi la révolte de février 2011 ainsi que la guerre pour la démocratie engagée par des pays de l’OTAN contre le r... La lente désintégration de la Libye post‐Kadhafi Le Monde.fr | 26.08.2014 à 12h57 • Mis à jour le 26.08.2014 à 15h02 Par Camille Bordenet Près de trois ans après la chute du colonel Mouammar Kadhafi, l’espoir d’une transition démocratique en Libye s’est évanoui. Le pays est au bord de l’implosion. Après Benghazi — deuxième ville du pays et berceau de la révolution — c’est au tour de la capitale, Tripoli, de sombrer dans la guerre des clans. Les milices islamistes multiplient les attaques contre le pouvoir central, dont elles contestent la légitimité. Retour sur les événements qui ont jalonné cette lente désintégration. 23 octobre 2011 : la Libye « libérée » Le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi est tué dans le siège de Syrte, où il s’était réfugié, après la prise de Tripoli par les rebelles, en août. Le 23 octobre, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la « libération » du pays. Le conflit, qui a duré huit mois, a coûté la vie à plusieurs milliers de Libyens (le nombre exact de victimes n'a jamais été établi, les estimations oscillent entre cinq mille et vingt‐cinq mille). 7 juillet 2012 : l'élection du premier Parlement de l’ère post‐Kadhafi Les Libyens se rendent aux urnes pour élire un organe législatif : le Congrès général national (CGN), qui siégera à Tripoli. Après quatre décennies d’autoritarisme, les espoirs suscités par les premières élections libres sont immenses. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 41
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Le bon déroulement du scrutin, qui ne débouche pas sur la victoire des partis islamistes — contrairement à ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie — vient conforter ces attentes. Le 8 août, le CNT remet les pouvoirs à la nouvelle Assemblée, présidée par Mohamed Al‐Megaryef, un islamiste modéré. Mais la réticence des nouvelles autorités à désarmer la myriade de brigades formées durant l'insurrection et la décision de leur confier le maintien de la sécurité dans les grandes villes ainsi que la gestion des frontières ne tardent pas à assombrir le tableau. Hier unis contre le régime du colonel Kadhafi, les ex‐insurgés, regroupés au sein de milices souvent formées sur une base tribale, ne tardent pas à saper l'autorité des nouvelles institutions en faisant leurs propres lois. Chacune veut sa part du pouvoir politique et économique de l'après‐Kadhafi. Le pays commence ainsi à se morceler entre : les brigades de Zenten, 180 km à l'ouest de Tripoli, un bastion de la résistance, qui ont libéré la capitale avec l’appui de l’OTAN et ont pris le contrôle de l’aéroport de Tripoli ; les brigades de Misrata, 200 km à l'est de Tripoli, ville martyre de la révolution, qui réclament d’être associées à la gestion du pays ; les brigades de Benghazi, 1 000 km à l’est de Tripoli, d’inspiration islamiste ou fédéraliste, deux courants rivaux mais bien implantés dans la Cyrénaïque, l’est du pays ; et toutes les milices, plus ou moins importantes, qui sont rattachées à une ville, à un chef local ou à un groupe ethnique, tels les Berbères (qui revendiquent la reconnaissance de leur identité), les Touareg (qui réclament une citoyenneté à part entière) ou les Toubou (qui voudraient former un gouvernement du Sud libyen), tous marginalisés sous Kadhafi et qui réclament leur dû. 11 septembre 2012 : le consulat américain de Benghazi attaqué Quatre Américains, dont l’ambassadeur Chris Stevens, sont tués dans une attaque menée par des manifestants islamistes. La police locale est totalement dépassée par les événements, emblématiques d’un pays qui part à la dérive. Un mois plus tard, le 14 octobre, Ali Zeidan, un ex‐opposant au régime de Kadhafi, devient premier ministre. Juillet 2013 : début du blocage des installations pétrolières Réclamant une plus grande autonomie politique mais aussi un meilleur partage de la rente pétrolière, des groupes armés investissent les terminaux pétroliers de l’est, de l’ouest et du sud du pays. Véritables épicentres des désordres de la nouvelle Libye, ces installations sont prises en otage, ce qui fait chuter la production nationale à un niveau historiquement bas, et, avec elle, les recettes de l’Etat. Le blocage durera jusqu’à ce que le gouvernement annonce, en juillet 2014, la réouverture des ports encore tenus par les ex‐rebelles dans l'est du pays. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 42
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Octobre 2013 : Benghazi déstabilisée par une vague d’assassinats Depuis quelques mois la capitale de l'Est libyen est le théâtre d’une série d’attaques et d’assassinats de responsables sécuritaires, sans que les auteurs de ces crimes soient inquiétés. Au mois d'avril, l'ambassade de France à Tripoli avait été visée par un attentat à la bombe, qui avait fait deux blessés et d'importants dégâts. En l’absence de forces de sécurité disciplinées, les autorités libyennes sont débordées. Dans ce contexte de défiance à l’égard des institutions, la décision, le 23 décembre, du CGN de prolonger son mandat jusqu'au 24 décembre 2014 provoque la colère d'une grande partie de la population et de la classe politique. 11 mars 2014 : le premier ministre est destitué Destitué par le CGN le 11 mars, le premier ministre Ali Zeidan prend la fuite du pays. On lui reproche de n’avoir pas su rétablir la sécurité en Libye et d'avoir été incapable de reprendre le contrôle des installations pétrolières aux mains de groupes armés. A sa place, le CGN nomme Abdallah Al‐Theni premier ministre par intérim. 16 mai 2014 : le coup de force du général Haftar C’est dans ce contexte explosif que resurgit le général Khalifa Haftar, un ancien haut gradé du régime Kadhafi, ayant passé de longues années en exil aux Etats‐Unis et auquel se sont ralliés plusieurs militaires. Il lance une vaste offensive dans l’Est baptisée « Opération dignité », qui vise selon ses propres mots, à « purger le pays des terroristes », autrement dit, des milices islamistes comme Ansar Al‐Sharia. Cette opération permet au général de s’attirer les bonnes grâces d’une partie de l’opinion, exaspérée par l’anarchie ambiante. Le général renégat jouit du soutien tacite des Etats‐Unis, qui voient en lui un rempart contre les « terroristes ». Les islamistes crient quant à eux au « coup d’Etat ». Au milieu d’une multitude de micro‐affrontements, la principale bataille oppose alors deux camps bien délimités : d’un côté, les forces pro‐Haftar, regroupées dans le mouvement Dignité, appuyées par des éléments de l’ancien régime et les milices de Zenten, dans l’ouest du pays ; de l’autre, une nébuleuse d’obédience islamiste, composée de Frères musulmans et de djihadistes, implantée en Cyrénaïque, à laquelle les milices de Misrata apportent leur soutien. 25 juin 2014 : de nouvelles élections législatives Des élections législatives sont organisées pour remplacer le CGN, paralysé par les luttes d'influence entre libéraux et islamistes. Le scrutin mobilise peu et, à peine élu, le nouveau Parlement souffre lui aussi d'un déficit de légitimité. Barricadée dans la ville de Tobrouk (1 600 km à l’est de Tripoli, proche de la frontière avec l’Egypte), en raison des violences qui secouent Benghazi, initialement choisie pour l’héberger, l’Assemblée législative est boycottée par les islamistes, qui ont essuyé un large revers aux élections. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 43
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Ces derniers continuent de se réclamer du CGN, l’Assemblée sortante, où ils disposaient de la majorité des sièges. Le 24 août, le CGN décide d’ailleurs de reprendre ses activités en dépit de l'existence du Parlement qui l'a remplacé. 13 juillet 2014 : les violences gagnent Tripoli Le combats, qui étaient jusqu’alors restés cantonnés à Benghazi, s’étendent à Tripoli. Les brigades nationalistes de Zenten, ralliées à Haftar, et leurs adversaires de Misrata, alliés aux islamistes, se disputent le contrôle de l’aéroport international. Les ambassades, les organisations non gouvernementales internationales et l'Organisation des Nations unies évacuent l’essentiel de leurs personnels. Des avions sans le moindre insigne de reconnaissance bombardent les positions des islamistes à plusieurs reprises, ce qui ajoute au chaos. Les islamistes accusent l'Egypte et les Emirats arabes unis d'être à l'origine de ces mystérieux raids. En dépit de cela, les miliciens de Misrata parviennent le 23 août à s'emparer de l'aéroport. Plus encore que les précédents, ces combats autour de l'aéroport — les plus violents depuis la chute de Kadhafi — ont révélé la profondeur des divisions entre les autorités se prévalant d'une légitimité électorale et les islamistes se posant en défenseurs des « acquis de la révolution ». La crainte est grande aujourd'hui de voir le conflit se généraliser au reste du pays par le jeu des alliances. Outre les combats dans le Nord, le sud‐ouest du pays est déjà, depuis la chute du colonel Kadhafi, un territoire hors de contrôle et une zone de repli pour les djihadistes et les trafiquants de la zone sahélienne. 25 août 2014 : les islamistes promettent la formation d’un second gouvernement L’imbroglio institutionnel se complique encore un peu plus quand, dans un geste de défi au nouveau Parlement, dans lequel ils sont minoritaires, les islamistes du CGN chargent, lundi 25 août, Omar Al‐
Hassi, une personnalité pro‐islamiste, de former un « gouvernement de salut national ». Et ce alors que le pays dispose déjà d'un gouvernement provisoire... La Libye pourrait ainsi se retrouver avec deux gouvernements concurrents, en plus de deux Parlements rivaux : le CGN, l’Assemblée sortante, établie à Tripoli, et dont les islamistes se réclament, et le nouveau Parlement, élu le 25 juin, installé à Tobrouk. Le chaos sécuritaire se double désormais d'un chaos institutionnel : la désintégration de la Libye se poursuit. Une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU est attendue dans les prochains jours. Des responsables américains ont eux aussi accusé, mardi 26 août, l’Egypte et les Emirats arabes d'être à l'origine des mystérieux raids sur l’aéroport de Tripoli. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 44
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Libye : quel état des lieux ? 1er septembre 2014 Kader Abderrahim, chercheur associé à l’IRIS Comment peut‐on interpréter la démission récente du gouvernement provisoire libyen ? Existe‐t‐il toujours un Etat libyen ? On peut aujourd’hui affirmer qu’il n’existe plus d’Etat en Libye. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi, les institutions qui avaient émergées à la suite d’élections n’ont jamais réussi à stabiliser la situation et obtenir des milices qu’elles déposent leurs armes pour poser les bases d’un Etat minimal : la situation n’a depuis eu de cesse de se détériorer. La Libye est en train de se disloquer. Le dernier gouvernement a ainsi démissionné car il n’avait pas les moyens de mettre en œuvre son action. Malheureusement, ce n’est pas le premier à avoir fait ce choix ; ses membres n’ont pas les moyens de travailler, ils sont extrêmement isolés et très marginalisés. Le pouvoir central à Tripoli a très peu d’autorité. Les gouvernements qui parviennent à rassembler, pendant un temps, une majorité autour d’eux, n’ont qu’une durée de vie très éphémère : très rapidement les divergences réapparaissent, qu’elles soient tribales, politiques, économiques ou même guerrières et finissent immanquablement par entraîner leur chute. Qui contrôle réellement la coalition de milices islamistes nommée Fajr Lybia (aussi connue sous le nom d’« aube libyenne ») ? A quelle fin ? C’est une question extrêmement compliquée car on s’intéresse à une vraie nébuleuse, qui n’est pas contrôlée au sens strict pour le moment. Il existe certes des accords entre ces milices islamistes sur des bases tribales et post‐révolutionnaires (et non politiques). Par conséquent, on ne peut pas dire que ces milices islamistes soient structurées, organisées autour d’un chef avec un projet ou programme politique clair. Elles sont extrêmement divisées mais elles ont été assez habiles jusqu’à présent pour réussir à maintenir un semblant de stabilité à l’intérieur d’un pays extrêmement divisé. On est en présence de milices présentes un peu partout sur le territoire libyen qui sont chacune d’entre‐elles contrôlée localement par un chef. Il n’existe pas de réel cœur ni de méta‐structure qui pourraient laisser croire qu’elles sont globalement contrôlées. Si certains évoquent une éventuelle affiliation de cette coalition à Al‐Qaïda, la réponse n’est pas claire du tout ; on n’a pas aujourd’hui le recul suffisant pour trancher, même si une recomposition est clairement en train de s’opérer avec l’émergence de l’Etat Islamique qui est sur le point de supplanter Al‐Qaïda, son ancien protecteur dont il s’est totalement affranchi. Quant à la question plus large des influences étrangères en Libye, il existe bien des pays ou entités politiques qui y sont actuellement à l’œuvre mais on ne peut pas affirmer pour le moment que l’un d’entre‐eux ait pris le pas sur les autres, ni qu’ils soient derrière la nébuleuse islamiste Fajr Lybia. On peut certes affirmer qu’AQMI ainsi que différents groupes terroristes y sévissent mais ils ne le font que dans le cadre de leurs propres intérêts libyens et n’ont pas pour le moment de vision internationaliste. Quelles conséquences au chaos régnant actuellement en Libye pour les pays voisins ? Cela ne risque‐
t‐il pas d’inciter les pays de la région à intervenir ? Une intervention des pays voisins apparaît improbable et compliquée. Ils prendraient en effet le risque de mettre le doigt dans un engrenage qu’ils ne maitriseraient absolument pas, la situation IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 45
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actuelle étant un véritable bourbier. Personne n’a aujourd’hui la volonté politique ni les moyens d’intervenir en Libye, que ce soient les Occidentaux, les Algériens ou les Egyptiens, qui pour ces deux derniers, n’ont jamais agi militairement à l’extérieur de leurs frontières. Cette hypothèse apparaît donc irréaliste. La question des potentiels bombardements aériens sur des positions tenues par des miliciens islamistes est également extrêmement compliquée car les informations à ce sujet sont multiples et contradictoires, si tant est qu’ils aient réellement existé. Certaines fois, ce sont les Emirats arabes unis qui sont tenus pour responsable, d’autres fois ce sont les Qatari. On entretient une forme de flou et c’est sans doute ce qui est le plus dangereux : rajouter de la confusion à la confusion ne fera que complexifier la situation dans le pays. La Libye, enjeu de la visite du président Sissi à Paris LE MONDE | 25.11.2014 à 12h18 • Mis à jour le 25.11.2014 à 19h00 Par Hélène Sallon Dans les milieux diplomatiques, la visite est présentée comme « classique ». Après une étape de deux jours en Italie, le président égyptien Abdel Fattah Al‐Sissi est attendu en France, mercredi 26 novembre, où il rencontrera notamment le président Hollande. L’heure est au renforcement des relations bilatérales avec, en ligne de mire, la sécurité régionale et l’économie, enjeux de la présidence Sissi. Ce rapprochement était encore impensable il y a un an, alors que Le Caire était condamné de toutes parts pour la répression contre la confrérie des Frères musulmans, qui a fait 1 400 morts et des milliers d’arrestations. « Le message est celui d’un soutien au processus de transition. Cela n’exclut pas que des messages soient envoyés en matière de respect des droits de l’homme », pointe une source autorisée. Le président égyptien Abdel Fattah Al‐Sissi en compagnie du chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, à Rome, le 24 novembre 2014. L’idée de cette visite officielle a été évoquée par le président François Hollande et son homologue égyptien en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, fin septembre. L’Egypte y faisait son retour sur la scène internationale, après avoir joué son traditionnel rôle de médiateur entre Israël et les Palestiniens lors de la guerre de Gaza. Incontournable sur ce dossier, où elle plaide pour une relance de l’initiative arabe de 2002, l’Egypte l’est aussi devenue sur le dossier libyen, prioritaire pour la France. Les deux pays craignent de voir la Libye, minée par les divisions politiques, tomber aux mains de groupes djihadistes. Alors que Paris a les yeux rivés sur Obari, arrière‐cour des réseaux djihadistes sahéliens dans le Sud libyen, Le Caire craint les flux d’armes et de combattants avec les groupes actifs sur son territoire, notamment dans le Sinaï. « Position intransigeante » IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 46
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Pour l’heure, les deux pays affichent un même soutien pour la médiation initiée par l’émissaire onusien Bernardino Leon. Le Caire, qui nie avoir mené avec les Emirats arabes unis des raids aériens contre la coalition Aube de la Libye, plaide pour un soutien accru à l’armée libyenne. Mais, si la coopération sécuritaire avec la France s’est renforcée, les divergences demeurent. « L’Egypte a une position intransigeante face aux islamistes et veut imposer ses vues aux autres acteurs, notamment à l’Algérie, qui plaide pour une médiation élargie », indique le spécialiste américain Robert Springborg. La visite devrait aussi permettre d’aborder les différences de vues sur le dossier syrien. L’Egypte soutient, avec la Russie, une solution politique incluant le régime de Bachar Al‐Assad. « Elle a des positions moins en pointe que la France », estime‐t‐on à Paris. L’Egypte n’entend d’ailleurs pas accroître sa participation au sein de la coalition internationale contre l’Etat islamique (EI), disant mener cette lutte sur son propre territoire. Elle cherche pour cela à moderniser son armement. Alors que les Etats‐Unis ont gelé une partie de leur aide militaire annuelle, protestant contre les violations des droits de l’homme, Le Caire cherche à diversifier ses approvisionnements avec le soutien de ses parrains saoudien et émirati. Après l’achat de quatre corvettes DCNS, l’Egypte pourrait s’en procurer deux autres. Des discussions sont lancées sur la modernisation de sa flotte aérienne, composée de Mirage 5 et 2000, et le renforcement de sa défense aérienne. L’achat de 24 avions Rafale a été évoqué comme option. « Rien qui ne puisse servir à la répression », assure une source diplomatique. La suspension des exportations de matériel de « répression interne » par les Etats membres de l’Union européenne, en août 2013, est toujours en vigueur. Le volet économique sera l’autre dominante de cette visite. Le redressement de l’économie égyptienne, minée par trois années de troubles, est le dossier sur lequel le président Sissi est attendu. Après avoir injecté près de 20 milliards de dollars (16 milliards d’euros) dans les caisses de l’Etat, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït entendent réduire leur aide. Retour de la confiance Une conférence internationale des donateurs est prévue en mars à Charm El‐Cheikh, où l’Egypte espère attirer de 10 à 12 milliards de dollars d’investissements étrangers autour de méga‐projets tels que le doublement du canal de Suez, le développement des infrastructures, l’énergie ou encore le tourisme. La France, cinquième investisseur, veut sa part sur ce marché de 80 millions d’habitants. Des accords sur le métro du Caire (300 millions d’euros) et avec l’Agence française de développement (150 millions d’euros) doivent être signés. Le président Sissi, accompagné d’une délégation de ministres et de chefs d’entreprise, présentera, jeudi, son programme aux investisseurs français au Medef international. Le mot d’ordre est le retour de la confiance. « Un environnement politique et économique favorable se dessine. Tout dépendra de l’évolution dans les prochains mois », y indique‐t‐on. Les investisseurs attendent la mise en place de réformes pour éponger le déficit du budget et des comptes extérieurs et alléger la bureaucratie. La part croissante de l’armée dans le secteur économique ne semble pas être un obstacle. « Les entreprises s’adaptent pour gagner des marchés », indique‐t‐on au Medef international. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 47
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En Libye, « les combats ont augmenté et les violations persistent » Le Monde.fr avec AFP | 23.12.2014 à 14h49 • Mis à jour le 23.12.2014 à 16h33 L'ONU s'inquiète du fait que le pays est pris dans un conflit de plus en plus meurtrier entre deux gouvernements opposés. Les affrontements entre groupes armés ont tué des centaines de civils en Libye depuis la mi‐mai, a indiqué, mardi 23 décembre, l'ONU. Les violences opposent notamment les forces représentant deux gouvernements en concurrence, qui revendiquent chacun le contrôle du pays. Celui du premier ministre, Abdoullah Al‐Thinni, reconnu par la communauté internationale, qui a été contraint de se replier dans l'est du pays Et un groupe appelé « Aube de la Libye », qui s'est emparé de la capitale Tripoli et y a installé son propre gouvernement et son propre Parlement. 120 000 PERSONNES DÉPLACÉES L'ONU estime que « les combats ont augmenté et les violations persistent en toute impunité » ces derniers mois. Certaines violations peuvent par ailleurs être assimilables à des « crimes de guerre », ajoute l'organisation. Les affrontements sont notamment intenses dans la région de Warshafana, proche de Tripoli, où près de cent personnes ont trouvé la mort et cinq cents autres ont été blessées entre la fin d'août et le début d'octobre, selon un rapport du Haut‐Commissariat aux droits de l'homme (OHCHR) et de la mission de l'ONU en Libye. D'après l'organisation onusienne, 120 000 personnes ont également été obligées de fuir leur domicile, subissant des pénuries importantes à la fois alimentaires et médicales. Autre théâtre de violents combats, la deuxième ville de Libye, Benghazi, dans le nord‐est du pays. Au moins quatre cent cinquante personnes y ont été tuées et quatre‐vingt‐dix mille personnes déplacées. Les habitants sont confrontés à de nombreuses pénuries médicales, les hôpitaux y étant occupés ou endommagés par des groupes armés IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 48
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La Libye se consume dans les affrontements Libération 30 décembre 2014 à 20:06 Maghreb. Les combats autour du terminal pétrolier d’Al‐Sedra ont déclenché un gigantesque incendie. Hélicoptère abattu, important terminal pétrolier en flammes, attentat à la voiture piégée près du siège provisoire du Parlement : la Libye, en proie aux violences et aux luttes de pouvoir, risque de basculer dans une guerre totale. Depuis la chute du régime Kadhafi, en octobre 2011, après une révolte de huit mois, le pays est livré aux milices rivales formées d’ex‐rebelles que les autorités de transition ne sont jamais parvenues à mettre au pas. La situation est très confuse dans ce pays riche en pétrole, dirigé désormais par deux gouvernements et parlements rivaux ‐ les uns proches de la puissante coalition des milices d’Aube libyenne et les autres reconnus par la communauté internationale ‐ qui se disputent le pouvoir. C’est en août qu’Aube libyenne, formée notamment de milices islamistes, a pris le contrôle de la capitale, Tripoli. Elle tente depuis d’étendre son influence en cherchant à s’emparer des richesses pétrolières du pays. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 49
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Le 13 décembre, elle a lancé un assaut pour prendre le contrôle du terminal d’Al‐Sedra (sur la côte), défendu farouchement par les forces gouvernementales. Des affrontements sporadiques avaient lieu encore mardi. Selon un porte‐parole de l’unité protégeant les sites pétroliers de la région,«l’armée de l’air a pourchassé et abattu un hélicoptère d’Aube libyenne après qu’il a mené un raid le matin près du port d’Al‐Sedra». Le 25 décembre, une roquette tirée par les miliciens sur l’un des 19 réservoirs d’Al‐Sedra a provoqué un énorme incendie qui s’est rapidement propagé. Sept des cuves ont été totalement détruites depuis, et le «déversement du pétrole en feu menace les 12 autres réservoirs», a précisé un responsable à la compagnie libyenne Al‐Waha. L’incendie continuait de faire rage sur le site mardi soir. Les forces progouvernementales et les milices islamistes s’affrontent également violemment à Misrata, Benghazi et Derna. A Tobrouk, devant l’hôtel où siège momentanément le Parlement élu, une voiture piégée a explosé, sans faire de blessés. IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 50
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BILAN DE LA SITUATION EN LIBYE Par Arwa KADDUR / Assistante Responsable pour les Affaires Politiques au sein de la Mission des Nations Unies en Libye (UNSMIL) OBSERVATOIRE DES MUTATIONS POLITIQUES DANS LE MONDE ARABE Dirigé par Béligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS nabli@iris‐france.org © IRIS TOUS DROITS RÉSERVÉS INSTITUT DE RELATIONS INTERNATIONALES ET STRATÉGIQUES 2 bis rue Mercœur 75011 PARIS / France T. + 33 (0) 1 53 27 60 60 F. + 33 (0) 1 53 27 60 70 iris@iris‐france.org www.iris‐france.org www.affaires‐strategiques.info IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe 51