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livres L I V R E S Après tout Entretiens sur une vie intellectuelle commémorations et de déplorations infinies. Ainsi triomphe, dit-il, l’esprit victimaire « qui de René Schérer caractérise l’imbécillité ambiante ». Cartouche, Paris 2007, p., 17 € De telles formulations iconoclastes étonnent. Et inquiètent. Face à la multitude des regards portés sur ce moment d’exception, le sien détonne: c’est qu’avec Schérer, Mai 1968, encore présent, juge notre époque. P.R. Parutions en langues étrangères L A « FOLIE » MAI 1968 s’est prolongée quelques années à la faculté de Paris VIII-Vincennes. The new cold war How the Kremlin menaces both Russia and the West René Schérer, philosophe, spécialiste de Fourrier, y revendiquait son homosexualité comme un mode d’être, loin de toute identité rassurante. de Edward Lucas Bloomsbury, 352 p., £ 18.99 Le pur concept le fait fuir. À la réflexion « sérieuse », il préfère la pensée et la pratique du marginal et du quotidien. Ce personnage anti-conformiste est pourtant représentatif d’un microcosme où il est de bon ton de mépriser la propriété et le commerce – comme le faisait son maître Fourrier – mais aussi le respect de la loi, au profit d’« une hospitalité sans limite » et d’une sexualité sans âge. Pour Schérer, Mai 1968 a « été une sorte de révolution, mais au petit pied et sans Terreur, juste quelque folie et quelque gaieté »; un moment qui semble « n’avoir valu et n’avoir conservé quelque valeur que parce que, justement, cette “révolution” n’allait pas du tout dans le sens de l’Histoire ». Mai 1968? Un de ces « contretemps » qui « voudraient être pris pour des bonheurs ». Par comparaison, aujourd’hui est bien fade avec tant de corps défendus, de mémoires dues, de N° 34 L’ IDÉE DE BASE DE L’AUTEUR, partagée par de très nombreux observateurs de la nouvelle Russie, est que le pays est tombé aux mains d’un groupe d’anciens du KGB, avec à leur tête Vladimir Poutine, ce qui représente un danger pour les Russes, l’Occident et en particulier pour les anciens pays communistes d’Europe de l’Est. Pas de danger d’intervention militaire pour autant: les nouveaux maîtres de la Russie 133 histoire & liberté préfèrent de loin les pressions politiques et économiques, en utilisant avant tout leur position stratégique de fournisseur de gaz et pétrole. Correspondant du très respecté hebdomadaire britannique The Economist pour l’Europe centrale et l’Europe de l’Est, Lucas plaide pour une solidarité européenne accrue face à Moscou et pour une attitude plus offensive de la part des Occidentaux pour défendre les valeurs liées à la liberté, la démocratie et l’état de droit. Convaincant dans sa description des aspects les plus sombres des années Poutine, l’auteur est moins crédible dans son rôle de Cassandre. donner aux anciens du KGB un rôle déterminant Nicolas Miletitch au pouvoir par Eltsine, qui l’a désigné comme dans la nouvelle Russie. Elle considère que le pays est tenu par une caste de bureaucrates-oligarches qui partagent deux objectifs : utiliser tous les moyens y compris la violence pour préserver leurs positions en Russie, et restaurer le statut de grande puissance de la Russie en recréant de « grands ennemis » (avec les États-Unis en première ligne) et des vassaux (L’Ukraine est la première sur la liste). À la question: « La nouvelle élite russe se préparet-elle à une confrontation avec l’Occident ? », Shevstova répond par la négative. Autre aspect intéressant du livre de Shevtsova: sa critique de Boris Eltsine. L’auteur rappelle à juste titre la manière dont Vladimir Poutine a été porté dauphin en ignorant superbement les règles de la démocratie. Russia, Lost in Transition La comédie du passage de flambeau de Poutine au président élu Medvedev n’est rien d’autre que The Yeltsin and Putin legacies la reprise d’une scène déjà jouée par Eltsine et de Lilia Shevtsova Poutine. Mais c’est Eltsine qui a initié cette pra- Carnegie Endowment for International Peace, 388 p., $ 19.95 tique monarchique… N. M. The Berlin Wall A world divided, 1961-1989 de Frederick Taylor HarperCollins, 486 p., $ 27.95 A UTRE SON DE CLOCHE CHEZ LILIA SHEVTSOVA, L’ AUTEUR A ÉCRIT LÀ L’HISTOIRE de la guerre froide à travers son symbole le plus spectacu- l’une des analystes politiques les plus répu- laire et le plus concret: le Mur de Berlin, édifié en tées en Russie, et considérée comme faisant partie 1961 comme symbole de la séparation de deux de la mouvance libérale. Shevtsova se refuse à mondes. 134 PRINTEMPS 2008 livres L I V R E S Matérialisé d’abord par des fils de fer barbelés, le Hommes politiques (Ivan Rybkine), députés Mur de Berlin est finalement devenu une (Youri Chtchekotchikhine), journalistes d’investi- construction de 45 km de long, équipée de 300 gation (Anna Politkovskaya, Paul Khlebnikov), tours de garde, avec des gardiens ayant l’instruc- ancien des services secrets (Litivinenko), ils ont été tion de tirer à vue sur les candidats à l’émigration empoisonnés ou abattus par des tueurs à gages. sauvage. Que la justice soit impuissante à trouver les coupables, cela ne change guère de l’époque Eltsine (qui sont les commanditaires de l’assassinat de la députée libérale Galina Starovoitova?). Les pages les plus fortes de ce livre sont sans doute celles qui racontent la période héroïque qui vit des groupes de Berlinois de l’Ouest, des étudiants pour la plupart, prendre de gros risques pour sortir par Le « plus » de l’époque Poutine, c’est cette les moyens les plus audacieux voire les plus invrai- morgue, cette arrogance qui rappelle les années semblables des Allemands de l’Est pris au piège. soviétiques: dans le cas du député Youri Chtche- N. M. kotchikhine, mort empoisonné en 2003, la famille n’a toujours pas pu prendre connaissance d’élé- The Age of Assassins The rise and rise of Vladimir Putin ments cruciaux du dossier médical. N. M. de Yuri Felshtinsky et Vladimir Pribylovsky 1968: Eine Enzyklopädie Gibson Square, 384 p., $ 16.99 (sous la dir. de) Rudolf Sievers Y URI FELSHTINSKI EST L’AUTEUR (avec le défunt Suhrkamp Verlag, 2008, 489 p., 18 € Alexandre Litvinenko) d’un livre à charge sur le FSB et Vladimir Pribylovski est un journaliste spécialiste de la politique intérieur russe. L’originalité de ce livre est de rassembler les assassinats politiques qui se sont produits sous le règne de Vladimir Poutine pour avoir une vue d’ensemble et tirer les conclusions qui s’imposent. N° 34 est de mieux nous éclairer sur ce que fut le SDS (Sozialistischer Deutscher Studebtenbund) qui avait été exclu de la SPD en 1961 et était devenu le fer de lance de l’opposition extraparlementaire en Allemagne. L E MÉRITE PRINCIPAL DE L’OUVRAGE 135 histoire & liberté Fort de près de 500 pages, l’ouvrage présente une chronologie de l’année 1968 qui débute le 5 janvier, date à laquelle Alexandre Dubcek devient secrétaire général du PC tchécoslovaque, et se termine le 31 décembre avec la création d’un Parti maoïste allemand, le KPD(m-l). Le point d’orgue de cette chronologie date du 11 avril, avec l’attentat perpétré à Berlin dans lequel le leader du S DS , Rudi Dutschke, sera grièvement blessé – et qui conduira à des manifestations réunissant plus de 60000 personnes. Signalons aussi au 30 mai, la parution dans La Pravda d’une critique du mouvement de Mai 1968 en France sous le titre « Le pseudo-prophète Herbert Marcuse et ses bruyants disciples ». Du 29 au 31 mars 1968, s’était tenue à Francfort-sur-le-Main une assemblée des délégués du SDS qui n’avait pu dégager une ligne claire sur des formes d’action poli- 136 tique futures. Mais les manifestants parisiens prirent le relais du SDS avant que leur leader, Daniel Cohn-Bendit, ne revînt manifester en Allemagne avec le même SDS le 21 septembre 1968 pour protester contre l’attribution au Président Léopold Senghor du Prix de la Paix des libraires allemands. Rudolf Sievers, qui présente les nombreux textes reproduits dans l’ouvrage, invite le lecteur à redécouvrir, de Marx à Sartre, de Handke à Godard, les sources et la radicalité de l’année 1968 : qu’on pense que Rudi Dutschke s’était fixé comme objectif de « révolutionner les révolutionnaires »! L’ensemble des textes cités renvoie à la guerre du Vietnam mais l’on notera aussi la révérence faite aux marxistes antistaliniens – Rosa Luxemburg, appelant à une République de conseils, Georg Lukacs, se référant à la conscience de classe, les membres de l’école de Francfort– Habermas et Theodor W. Adorno. Quarante ans après 1968, les Verts allemands héritiers du SDS, ont formé une coalition de gouvernement avec la CDU dans le Land de Hambourg. Voilà qui rappelle les limites du mouvement de 1968 outre-Rhin, plus éruption de violence contre la première expérience de grande coalition CDU-SPD – en 1966 - que mouvement fondé sur une base doctrinale précise. Pierre Campguilhem PRINTEMPS 2008