Pr dication du 19 d cembre 2004

Transcription

Pr dication du 19 d cembre 2004
Prédication : Luc 1/26-33, 38
Cette semaine a été inauguré en grande pompe le magnifique ouvrage d'art qu'est le viaduc de
Millau. Un pont, un pont énorme, gigantesque, colossal. Finis les interminables détours et
bouchons pour traverser la ville et la splendide vallée du Tarn. Direct d'une rive à l'autre, sans
problèmes, sans attente, sans lacets ni virages, ni montée ni descente. Une réalisation
technique extraordinaire, hors du commun.
Un pont, d'après la définition du dictionnaire, est un ouvrage qui relie deux rives d'un fleuve.
Deux rives, qui, par nature, sont incapables de se rejoindre. C'est bien pourquoi l'homme a
besoin de construire un pont. Mais vous vous doutez bien que je ne suis pas venu vous parler
de cette inauguration, ni vous faire une revue de presse de tous les articles dithyrambiques
publiés à ce sujet. Je ne suis pas capable, non plus, de vous faire un exposé technique sur le
tablier, les pylônes, les suspentes et tout le reste. Ce n'est pas mon truc. Mais voyez-vous, le
texte d'aujourd'hui, cette rencontre miraculeuse de la jeune Marie avec l'ange Gabriel, ce texte
de l'évangile de Luc nous parle de ponts, de ponts au pluriel.
Élisabeth est enceinte depuis six mois. Voici que Dieu envoie l'ange Gabriel dans une ville de
Galilée appelée Nazareth. Il l'envoie chez une jeune fille, promise en mariage à un homme
appelé Joseph. Joseph a pour ancêtre le roi David, et le nom de la jeune fille est Marie.
L'ange entre chez elle et lui dit : "Réjouis-toi ! Le Seigneur Dieu t'a montré son amour d'une
manière particulière. Il est avec toi."
En entendant cela, Marie est très émue, elle se demande : "Que veut dire cette façon de
saluer ?" l'ange lui dit : "N'aie pas peur, Marie ! Oui, Dieu t'a montré son amour d'une
manière particulière. Tu vas attendre un enfant, tu mettras au monde un fils, et tu l'appelleras
Jésus. Personne ne sera aussi important que lui. On l'appellera Fils du Très-Haut. Le
Seigneur Dieu lui donnera le royaume de David, son ancêtre. Il sera le roi du peuple d'Israël
pour toujours, et son pouvoir ne finira jamais."
Marie répond : "Je suis la servante du Seigneur. Que Dieu fasse pour moi ce que tu as dit !"
Alors l'ange la quitte.
Dans notre texte, Dieu décide de construire un pont entre lui et les hommes. En lisant le texte
de l'évangile de Luc à cette lumière, avec cette image du pont, je voudrais faire trois constats
importants.
Premier constat : le fossé qui sépare Dieu des hommes, ou plutôt celui qui sépare les hommes
de Dieu est énorme. Depuis la désobéissance dans le jardin initial, ce qui était une simple
brèche est devenu un gouffre énorme. L'histoire du peuple que Dieu s'est choisi est révélatrice
à ce sujet. C'est une histoire d'amour et de haine, de passion et d'indifférence. Un jour,
l'humanité est toute entière tournée vers Dieu. Elle marche selon sa volonté, elle respecte et
suit les commandements du Seigneur. Elle va de bénédiction en bénédiction. Puis le
lendemain, elle se tourne, sans aucun scrupule, sans aucune arrière-pensée vers d'autres dieux
et d'autres idoles. C'est un éternel recommencement : Adam et Ève, Caïn et Abel, la tour de
Babel, Noé, Abraham, Sodome et Gomorrhe, et la liste est longue, interminablement longue et
fastidieuse, comme peut être la lecture de l'annuaire téléphonique. Même dans les moments
les plus intenses, les plus importants, le peuple a trouvé le moyen de s'éloigner de la présence
de Dieu : Après être sorti d'Égypte et de l'esclavage, au moment même où Dieu donnait sa loi
à Moïse pour le peuple, ce même peuple se fabrique un veau d'or pour l'adorer. De
l'installation en Terre Promise, jusqu'à l'occupation romaine, en passant par les Juges et les
rois, ce n'est que va et vient, un pas en avant, deux pas en arrière, comme des danseurs de
tango. Et le fossé devient de plus en plus large.
Oh ! Ce n'est pas seulement un faute qu'on pourrait taxer de collective, elle est aussi, elle est
surtout individuelle : David, roi instauré par Dieu, roi par excellence, puisque même notre
texte d'aujourd'hui y fait référence, David traverse sa vie de bénédiction en péché,
d'obéissance en faute. Il semble inscrit dans la nature humaine, dans le patrimoine génétique
de l'homme qu'il doit être un éternel fossoyeur, creuseur de tombes et de fossés. Il semble
inscrit dans notre ADN que l'éloignement de Dieu est dans notre nature première, et la
conscience de sa présence.
Et croyez-moi, ce n'est pas la faute à Dieu. Des tentatives, il en a fait un nombre incalculable
de fois, à travers Noé, Abraham, Moïse, les prophètes…
Deuxième constat : C'est Dieu qui prend l'initiative, une fois de plus pourrait-on dire. Et pour
la dernière fois, pourrait-on dire aussi. En voyant le fossé, Dieu décide de construite un pont,
de jeter un pont par-dessus cet abîme immense qui le sépare désormais de l'humanité. Mais, et
les ingénieurs ne me démentiront pas, pour construire un pont, il faut pouvoir l'ancrer sur les
deux rives, des deux côtés du trou, sinon cela n'a pas de sens, sinon ce n'est pas un pont.
Du côté de l'humanité, Dieu choisit un point d'ancrage insolite, hors du commun. Il choisit
une femme, une jeune femme, dans toute sa simplicité et dans toute son innocence. Elle
n'avait rien demandé, Marie, rien sinon de pouvoir vivre un bonheur simple dans les bras de
Joseph. Et pourtant, Dieu vient vers elle. C'est peut-être pour cela que Dieu vient vers elle,
parce qu'elle n'avait rien demandé. Il a choisi la faiblesse, la fragilité, la simplicité,
l'innocence pour donner naissance au Messie, pour lancer son pont par-dessus les gouffres de
l'histoire humaine. Loin du pouvoir et des puissances, de la force et des armes, loin des
jalousies et des envies et des ambitions. Tout cela, Dieu l'avait déjà connu. L'ancienne alliance
est jalonnée de ces hommes et de ces femmes tenaillés par l'orgueil, par la prétention et par la
soif de domination. Dieu choisit, à travers Marie, une autre alternative, l'alternative de la
pauvreté et de la simplicité. Dieu confirme ce choix par l'accouchement dans l'étable. Tout
cela va annoncer, sans plus, le ministère de Jésus fait d'amour et de tendresse, de simplicité et
de faiblesse, loin de la cour des rois et des princes. Un ancrage aussi, tout symbolique dans la
royauté de David, lui aussi simple berger promus au rang des plus grands.
De son côté à lui, Dieu ancre son pont dans la puissance de son Esprit, l'Esprit Saint, l'Esprit
de Dieu. De fait, il se fait lui-même point d'ancrage pour ce viaduc extraordinaire qui va
franchir l'immense fossé de la désobéissance. Dieu s'engage, Dieu se mouille, si vous me
permettez l'expression. Dieu prend un risque terrible. Mais un risque calculé puisqu'il a
décidé, dans cette démarche, de ne plus compter sur la bonne volonté de l'être humain, de ne
plus compter sur les œuvres et les bonnes actions de ses créatures.
Troisième constat : Parlons maintenant de ce fameux pont. Ou plutôt, parlons du Christ,
puisque ce pont jeté entre Dieu et les hommes porte un nom, et pas n'importe quel nom :
Jésus. Ou Emmanuel, Dieu parmi nous. Reprenons, si vous le voulez bien, l'image de ce
fameux viaduc de Millau… un pont jeté entre le ciel et la terre, tellement il paraît aérien.
Certaines images le présentent émergeant des nuages, suspendu en l'air… Entre ciel et terre.
C'est bien cela le pont que jette Dieu vers l'humanité… Entre ciel et terre. Jésus, c'est bien
cela : Dieu devenu homme comme le dit si bien l'évangéliste Jean dans le 1er chapitre de son
Évangile : "Au commencement, la Parole existait déjà. La Parole était avec Dieu. La Parole
était Dieu… La Parole est devenue un homme, et il a habité parmi nous." Entre ciel et terre,
devenu homme pour mieux partager les joies et les peines de notre humanité. Resté Dieu,
redevenu Dieu pour sauver cette humanité de la perte vers laquelle elle courait, et d'ailleurs
vers laquelle elle court encore à grandes enjambées. Devenu homme dans la crèche et sur la
croix, par le chemin de la souffrance et de la mort, resté Dieu dans le triomphe du matin de
Pâques et dans la gloire de l'Ascension.
En guise de conclusion : Dieu jette un pont, un magnifique pont entre le ciel et la terre, entre
lui et nous, entre sa glorieuse divinité et notre humanité misérable.
A Millau, des hommes et des femmes, par milliers, se sont réjouis d'être parmi les premiers à
traverser ce pont extraordinaire. Une manière ou une autre de participer ainsi à la grande
aventure du franchissement de cette vallée, soulagés d'être libérés des interminables bouchons
routiers que suscitait la traversée de cet endroit, avant. Saurons-nous être de ceux qui
traverseront ce pont, premiers ou pas ? Saurons-nous être des hommes et des femmes
soucieux de pouvoir ainsi nous rapprocher de Dieu, grâce à Jésus, ce Jésus qui dit aussi : "je"
suis le chemin … nul ne peut venir au Père si ce n'est par moi ? Accepter cela, c'est une
démarche de foi, qui passe par la repentance, le pardon et la consécration.
A Millau des hommes et des femmes se sont réjouis d'avoir pu participer à la construction de
ce viaduc géant, qui traverse la splendide vallée du Tarn. Fiers de leur travail, fiers de leur
œuvre. Saurons-nous être, particulièrement en cette période de Noël, des hommes et des
femmes jeteurs de pont, capables de montrer aux autres, avec fierté, le pont que Dieu a jeté
vers l'humanité ? Saurons-nous être des témoins ? Saurons-nous dire, à la suite de Marie, en
toute simplicité : "Je suis la servante du Seigneur. Que Dieu fasse pour moi ce que tu as dit !"

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