Week-end - Galeria ADN

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Week-end - Galeria ADN
4 juin - 27 novembre 2016
www.fgmedias.com
Fondation Maeght, 06570 Saint-Paul de Vence
www.fondation-maeght.com
Week-end
The Mastaba, Project for the Fondation Maeght, St-Paul (détail).
Dessin 2015 : 66,7 x 77,5 cm. Crayon, crayon gras, peinture
émaillée et crayon de cire. Photo André Grossmann © Christo 2015
vendre di 3 j uin 2016
N umé ro 1078
Paul Strand
en majesté à Londres
p.11
p.7
Les musées
en état d’urgence
face aux risques
d’inondations
Jeunes
p.14
artistes : Aurélie
Ferruel et Florentine
Guédon
www.lequotidiendelart.com
2 euros
Galerie Max Hetzler Berlin | Paris
la mia ceramica
Lynda Benglis
Ida Ekblad
Lucio Fontana
Günther Förg
Liz Larner
Fausto Melotti
Navid Nuur
Pablo Picasso
Sterling Ruby
David Salle
Josh Smith
Rosemarie Trockel
Edmund de Waal
Rebecca Warren
Rebecca Warren: The Wise Virgin, 2012, argile peinte à la main sur socle en MDF peint, 64 x 78 x 61 cm
57, rue du Temple, 75004 Paris
7 juin – 16 juillet 2016
maxhetzler.com
page
03
édito
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Changer d’ère
Pa r Ph i l i ppe R é gn i e r
Samedi en début d’après-midi, le Premier ministre, Manuel Valls, et
Valérie Pécresse, présidente du Conseil régional d’Île-de-France et présidente
du Syndicat des Transports d’Île-de-France, lanceront à Clamart (Hauts-deSeine) le premier chantier du Grand Paris Express et de sa programmation
artistique et culturelle. Ce projet hors norme vise à construire d’ici 2030
environ 200 kilomètres de lignes de métro automatique et souterrain autour
de Paris, un aménagement inédit par sa grandeur en Europe. 68 nouvelles
gares vont être érigées le long des parcours, réalisées par quelques-uns des
meilleurs architectes actuels. L’autre particularité de ce projet que certains
qualifient déjà de « chantier du siècle » est d’intégrer dès son origine
une dimension culturelle et artistique. Ce programme prendra plusieurs
formes. Il comprendra la commande d’œuvres narratives et visuelles qui
tiendront compte des lieux et de leurs histoires. Durant la construction, des
événements seront organisés en marge des travaux réunissant des architectes,
des designers, des artistes et les habitants autour de spectacles, concerts,
installations… Le Grand Paris Express constituera aussi une collection
d’œuvres nomades, parfois réalisées par des artistes à partir de résidus
prélevés sur les lieux même des travaux. Enfin, les parcours
seront aussi ponctués d’œuvres phares, commandées
spécialement, toujours en lien avec les territoires. Ce
Le Grand
programme, qui s’articulera autour des concepts de « lier
Paris Express
constituera
et relier », a été conçu par les deux directeurs artistiques et
une collection
culturels du Grand Paris Express, José-Manuel Gonçalvès
d’oeuvres
et Jérôme Sans. Pour ce dernier, il s’agit « d’accompagner
nomades,
parfois réalisées artistiquement le passage d’une ère à une autre, le Grand Paris
par des artistes à Express matérialisant un nouveau territoire partagé ». Les
partir de résidus
interventions des artistes seront tout sauf parachutées.
prélevés sur les
« Nous allons inviter, impliquer les habitants, précise Jérôme
lieux même des
Sans. Les commandes seront spécifiques, en dialogue avec le
travaux.
lieu dans lequel elles s’inscriront ». Preuve en est la première
intervention des artistes de Superflex. Ces derniers ont
visité une maison qui sera détruite pour construire la future
gare de Clamart. « Nous avons découvert dans une chambre le dessin d’un lapin
sur un mur, nous a déclaré Bjornstjerne Reuter Christiansen, l’un des membres
de Superflex. Nous nous sommes renseignés sur le nom de l’enfant qui l’avait
réalisé, et nous avons appris qu’elle s’appelait Alice. Nous avons alors décidé de
baser notre intervention sur le thème d’Alice au Pays des Merveilles et d’impliquer
cette petite fille dans notre projet ». Dès samedi, de 13 h 15 à minuit, lors du
lancement festif du premier chantier du Grand Paris Express à Clamart, les
visiteurs pourront donc découvrir une chaise bleue surdimensionnée ou des
œilletons pour surveiller le chantier en forme de trous de serrure. Assurément,
il s’agit de changer d’ère ! l
https://www.societedugrandparis.fr/km1
brèves
Kader Attia reçoit le prix
d’art Ruth Baumgarte
> Le deuxième
prix d’art de la
Fondation Ruth
Baumgarte sera
remis à Kader Attia
samedi, 4 juin,
à la Berlinische
Galerie, à Berlin.
La cérémonie
se déroulera
en présence de
Thomas Köhler,
directeur du
musée, d’Ellen
Blumenstein,
conservatrice du
KW Institute for
Contemporary
Kader Attia. © Finnish National Gallery
et Pirje Mykännen.
Art, et d’Alexander
Baumgarte, président de la Fondation Ruth Baumgarte.
Doté d’une récompense de 20 000 euros, ce prix fondé
en 2014 est l’un des plus prestigieux d’Allemagne. Il rend
hommage à la vie et à l’œuvre de l’artiste Ruth Baumgarte
(1923-2013), qui s’est penchée dans son œuvre sur des
questions contemporaines, sociopolitiques et universelles.
www.ruth-baumgarte.com
LE CENTRE POMPIDOU ET FRANCE CULTURE PRÉSENTENT
4 ET 5 JUIN
IMAGINE
LE WEEK-END DE LA CRÉATION ET DES IDÉES
> L’Institut National des Métiers d’Art (INMA) se réjouit de
l’adoption, lors de la deuxième lecture au Sénat le 25 mai,
de deux articles concernant les métiers d’art dans le projet
de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au
patrimoine, porté par la ministre de la Culture, Audrey
Azoulay. L’article 2 du projet de loi inscrit la participation
« à la préservation, au soutien et à la valorisation des métiers
d’art parmi les objectifs de la politique de service public en
faveur de la création artistique ». Tandis que l’article 14D
précise la définition des métiers d’art issue de la loi relative
au commerce, à l’artisanat et aux très petites entreprises
du 18 juin 2014, en reconnaissant la pluralité des statuts
des professionnels des métiers d’art (artisan, artiste auteur,
profession libérale, salarié, fonctionnaire…). « Ces deux
articles reflètent parfaitement la réalité plurielle des métiers
d’art actuels : un écosystème au carrefour de la culture et
de l’économie, du patrimoine et de la création, aux univers
de marchés et aux savoir-faire aussi riches et variés que les
professionnels qui les exercent », déclare l’INMA.
GRATUIT
visites,
animations,
surprises,
?
rencontres,
www.centrepompidou.fr • www.franceculture.fr
à suivre sur Twitter et Instagram #WEimagine
www.institut-metiersdart.org
/…
© Centre Pompidou, direction de la communication et des partenariats, conception graphique : Ch. Beneyton, 2016
L’Institut National des Métiers d’Art
se félicite de la reconnaissance des
métiers d’art dans le projet de loi LCAP
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05
brèves
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Le nouveau comité de sélection d’Art
Dubai lance un appel à candidatures
> Suite à la célébration de son dixième anniversaire, la
foire Art Dubai a annoncé le 1er juin la nomination de
trois nouvelles personnalités à son comité de sélection.
Les deux galeristes Glenn Scott Wright (codirecteur
de Victoria Miro, à Londres) et Isabelle van den Eynde
(Gallery Isabelle van den Eynde, Dubaï) rejoignent la
section art contemporain, tandis que l’universitaire
Iftikhar Dadi, de la Cornell University, devient membre de
la section art moderne. Dans le sillage de cette annonce,
les organisateurs lancent un appel à participation aux
galeries pour la onzième édition de la foire, qui se tiendra
du 15 au 18 mars 2017 à Madinat Jumeirah, à Dubaï.
http://artdubai.ae
Fin de semaine créative et imaginative
au Centre Pompidou
> Le Centre Pompidou et France Culture organisent un
week-end de débats au sein du musée parisien et sur
son parvis les 4 et 5 juin. Intitulées « Imagine », ces
deux journées gratuites sont dédiées à la création et aux
idées à travers la programmation de rencontres, de débats
sur la place de la culture, de propositions ludiques, de
spectacles, de jeux, de musique, de performances, de
séances d’écoutes, de démonstrations technologiques de
l’Ircam, mais aussi de deux émissions radiophoniques
de France Culture. Pour Serge Lasvignes, président du
Centre Pompidou, cette collaboration s’inscrit dans un
désir d’ouvrir plus largement les portes de l’institution
« interface avec la société » à de nouveaux publics en leur
proposant de faire l’expérience de l’art et de la création
par l’échange. Pourquoi sommes-nous fascinés par l’acte
créateur ? La culture est-elle encore un enjeu politique ?
La culture pour tous est-elle encore de la culture ?
Voilà quelques questions qui seront abordées lors des
enregistrements radiophoniques de France Culture.
Les trois nouveaux membres du comité de sélection d’Art Dubai : de droite
à gauche, Glenn Scott Wright, codirecteur de la galerie Victoria Miro, à
Londres ; Isabelle van den Eynde, de Dubai ; et Iftikhar Dadi, de la Cornell
University. Courtesy Art Dubai.
Art-o-rama annonce ses participants
> Le comité artistique du salon international d’art
contemporain ART-O-RAMA a annoncé le programme
de sa 10e édition qui se tiendra du vendredi 26 au
dimanche 28 août à la Friche la Belle de mai à Marseille.
Parmi les galeries, figureront les Parisiens Antoine Levi,
Daviet-Thery, Joseph Tang, Mfc-michèle didier et Pact,
les Berlinois Chert et Daniel Marzona, Cinnnamon de
Rotterdam, Deborah Schamoni de Munich, Ellen de
Bruijne Projects d’Amsterdam, François Ghebaly de Los
Angeles, Madragoa de Lisbonne, Martos de New York et
Los Angeles, Meessen De Clercq de Bruxelles, Southard
Reid de Londres, et enfin Tchikebe de Marseille. L’artiste
invitée sera Rafaela Lopez, tandis que la sélection du
Show-Room, curatée par Luigi Fassi, accueillera Sabrina
Belouaar, Jeanne Berbinau Aubry, Jean-Loup Faurat et
Clémentine Roche.
http://art-o-rama.fr/
Tout le programme sur www.centrepompidou.fr
/…
exposition-parcours ➜ mai-sept 2016
ITINÉRANCES
ARTISTIQUES
ENTRE BERRY & LIMOUSIN
LA CREUSE,
UNE VALLÉE
atelier
Allan Österlind
Charles Bichet
A. ÖSTERLIND, C. BICHET, E. ALLUAUD, A. SMITH
Eugène Alluaud
Alfred Smith
Musée-Château d’Ars, La Châtre
Musée des Beaux-Arts, Limoges
Musée de Vallée de la Creuse, Éguzon
Musée d’Art et d’Archéologie, Guéret
www.valleedespeintres.com
avec le concours de l’État (Ministère de la Culture et de
la Communication – Direction Régionale des Affaires Culturelles).
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06
brèves
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Les jardins se colorent
pour le week-end
> La 14e édition des « Rendez-vous aux jardins » se tient à
partir d’aujourd’hui, vendredi, et jusqu’à dimanche 5 juin
dans 2 300 parcs ou jardins privés et publics de la France
métropolitaine et des territoires d’Outre-mer. Organisée
par le ministère de la Culture et de la Communication,
la manifestation met à l’honneur le thème de la
couleur, élément structurant de l’univers jardiné, à
travers une riche programmation de 3 500 animations
parmi lesquelles des ateliers, des parcours ludiques,
des spectacles, des expositions, des conférences, etc.
Le rendez-vous milite en faveur de la connaissance,
de la protection, de la conservation, de l’entretien,
de la restauration, de la création de jardins et de la
transmission des savoir-faire du domaine des jardins.
Cette année, 450 jardins sont ouverts ce week-end à titre
exceptionnel. La journée d’aujourd’hui, vendredi, est
dédiée aux scolaires avec plus de 900 espaces verts qui leur
ouvrent spécifiquement les portes.
Tout le programme sur
http://rendezvousauxjardins.culturecommunication.gouv.fr
Le Rijksmuseum regroupe
ses réserves avec
trois autres institutions
néerlandaises
Projection du
futur Centre des
collections du PaysBas à Amersfoot.
© Cepezed.
> Destiné à regrouper 675 000 objets sur une surface
de 30 000 mètres carrés, un centre pour les collections
néerlandaises sera construit d’ici 2020 à Amersfoort,
a annoncé le 1er juin le Rijksmuseum d’Amsterdam.
Quatre institutions nationales chapeauteront le projet
intitulé « Netherlands Collection Centre » (CC NL).
Conçu par le cabinet d’architectes néerlandais cepezed, le
dépôt doit mutualiser les réserves actuellement éclatées de
l’Open Air Museum, du Paleis Het Loo, du Rijksmuseum
et de la Cultural Heritage Agency of the Netherlands.
« L’édifice incarnera la mémoire physique des Pays-Bas, de la
culture de tous les jours de l’Open Air Museum à la culture
“officielle” du Rijksmuseum, et de la Cultural Heritage
Agency of the Netherlands, sans oublier la culture royale du
Paleis Het Loo », a déclaré Taco Dibbits, nouveau directeur
du Rijksmuseum.
Les jardins du Château des
Arcis, dans la Mayenne,
participent aux « Rendezvous des Jardins ».
© Catherine Cauchois.
Le Quotidien de l’Art
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-VisuelS de Une
Paul Strand, Wall Street, New York, 1915. © Paul Strand Archive, Aperture Foundation.
ÉVÉNEMENT
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07
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Les musées en état
d’urgence face aux risques
d’inondations
Face à la montée des eaux, qui devrait atteindre son pic
aujourd’hui ou demain à Paris, les musées se mettent en état
d’urgence._Par Sarah Hugounenq et Marianne Robin
Département des
arts de l’Islam au
musée du Louvre,
fermé hier après-midi
pour prépararer
l’évacuation des
œuvres en réserves.
© Sarah Hugounenq.
Elle était redoutée, la voilà réalisée. La crue centennale est peut-être en
train de se produire à Paris, mettant en alerte l’ensemble des musées de la
capitale. Hier soir, à 17 heures, le musée du Louvre, le plus grand musée du
monde, annonçait sa fermeture jusqu’à nouvel ordre pour procéder à l’examen
de l’évacuation de ses réserves dans le cadre d’une
« alerte générale crue ». Le seuil critique du niveau de
la Seine était atteint, dépassant les 5 mètres. Situé en
rez-de-chaussée coté Seine, le département des arts
de l’Islam fermait ses portes en début d’après-midi
pour préparer l’acheminement des caisses en vue de
l’évacuation vers les étages supérieurs des œuvres
localisées en zones inondables. Toutefois, hier soir,
l’institution indiquait qu’il n’y avait pour l’heure aucun
mouvement d’œuvres en cours. Aujourd’hui vendredi,
le personnel du musée devait se concerter pour réunir
environ 500 personnes habilitées afin de procéder à
Hier soir,
la préparation de l’évacuation des œuvres.
à
17 heures,
De l’autre côté du fleuve, la situation est identique. Le musée d’Orsay a
le
musée du
également confirmé sa fermeture pour les mêmes raisons. Une cellule de
Louvre, le plus
crise en interne est aussi activée pour s’assurer, en cas de déclenchement
grand musée
d’une alerte, de la présence de suffisamment de personnels pour déplacer
du monde,
les réserves jusqu’aux salles d’exposition dans les étages supérieurs du
annonçait
bâtiment. Ainsi, le musée se prépare selon l’évolution de la situation à
sa fermeture
évacuer ses œuvres en réserve. Cependant, celles-ci restent peu nombreuses
jusqu’à nouvel
ordre
puisque l’établissement dispose de stockages externes. Aucun musée
parisien n’est inondé, toutefois tous sont en situation d’alerte mettant en
place un système de veille permanente et de rondes dans les réserves pour
suivre l’évolution de la situation heure par heure. Ainsi, malgré le répit qu’offre
la présence dans les réserves du musée du quai Branly d’une paroi moulée
Musée d’Orsay au
matin. © Musée
d’Orsay, Patrice
Schmidt.
/…
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08
ÉVÉNEMENT
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
sur 30 mètres de profondeur
protégeant les œuvres de la montée des eaux jusqu’à
7,30 mètres, l’institution nous a indiqué rester sur le
qui-vive toute la nuit.
Côté musées municipaux, la situation est plus stable.
Toutefois, les réserves de transit du Petit Palais et
du musée d’art moderne de la Ville de Paris étaient
en cours d’évacuation également hier soir « à titre
préventif », nous a-t-on indiqué. « Aucun musée de
la Ville de Paris n’est à l’heure actuelle menacé, et à ce
stade, la situation n’impose pas aux musées de fermer
leurs portes puisque aucune salle d’exposition temporaire
ou permanente ne risque d’être inondée », nous a confié
Delphine Levy, directrice générale de l’établissement public Paris Musées,
regroupant les 14 institutions municipales. La situation de ces musées est
en effet moins urgente et moins critique car la Ville de Paris dispose depuis
longtemps de réserves mutualisées hors de Paris, en zone non inondable.
L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris est aussi en alerte. « Nos
réserves ne sont plus en sous-sol mais au rez-de-chaussée, ce qui laisse plus de
marge de manœuvre, nous a expliqué Emmanuelle Brugerolles, conservatrice
à l’Ensba. Une réunion est prévue demain matin à 9 heures pour statuer sur
Le fait
de disposer
une éventuelle évacuation des œuvres graphiques vers le premier étage. D’ores et
de réserves
déjà, nous avons organisé la répartition des tâches par équipes ».
externalisées
Le fait de disposer de réserves externalisées en zone non inondable apparaît
en zone
aujourd’hui comme clairement indispensable. Le musée du Louvre, qui
non inondable
est de loin l’institution la plus menacée, paie les atermoiements qui ont
apparaît
marqué le dossier du transfert de ses réserves vers un centre mutualisé,
aujourd’hui
un temps envisagé à Cergy-Pontoise. À la signature en 2013 du protocole
comme
d’accord relatif à la création à Lens-Liévin d’un centre de réserves pour le
clairement
musée du Louvre – dont la livraison n’est prévue que pour 2018 –, Jean-Luc
indispensable.
Martinez, son président, nous déclarait : « nous en sommes sûrs aujourd’hui :
si une crue de la Seine se profilait, nous devrions sacrifier des œuvres. 72 heures
ne suffisent pas à tout évacuer ». Gageons que cet épisode d’alerte rouvre le
débat sur la question de l’urgence du transfert des réserves parisiennes situées
en sous-sol.
Suite de la PAGE 07
Le s mus é e s
e n é tat
d ’ urge nce fa ce
a ux ris q ue s
d’inondati o n
Petit Palais à Paris.
© Paris Musées.
Situation critique en régions
Alors que l’attention se focalise sur les musées de la capitale, la situation
est souvent plus critique en régions. Ainsi, les réserves du musée Girodet à
Montargis, dans le Loiret, ont été submergées par les eaux jeudi 2 juin. « Nous
avons eu le temps de sauver les œuvres principales du musée, notamment les œuvres
de Girodet », a déclaré hier sur les ondes de France Info Claire Hansen-Béales,
chargée du développement des publics de l’institution. Toutefois, « à l’heure
actuelle c’est toujours la grande interrogation [pour le reste des œuvres] ». Les
réserves sont actuellement inaccessibles et il faudra attendre la décrue pour
établir un premier bilan. À Nemours, le château-musée a les pieds dans l’eau
mais indique que les œuvres sont à l’abri. Comme nous l’annoncions dans
notre édition d’hier, le château de Chambord continue sa lente plongée dans
l’eau. La situation se retrouve au château de Vaux-le-Vicomte, en Seineet-Marne, ou au château d’Azay-le-Rideau, en Indre-le-Loire. Le château
de Fougères-sur-Bièvre (Loir-et-Cher) a fermé ses portes hier pour cause
d’inondation, tout comme le château de la Ferté Saint-Aubin (Loiret).
Vue aérienne du château de Chambord
inondé. © Loisirs Loire Valley / Chambord.
page
09
chronique
POLITIQUE
CULTURELLE
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Ville de Paris
PAR GUILLAUME CERUTTI
—
par Guillaume
Cerutti,
Spécialiste des politiques
culturelles
—
[email protected]
Guillaume Cerutti propose une chronique consacrée
aux politiques culturelles sous la forme d’un abécédaire.
À l’occasion du congrès annuel des Maires de France, qui s’est terminé
hier jeudi, Bruno Julliard, premier adjoint à la Maire de Paris, notamment en
charge de la culture et du patrimoine, a appelé le président de la République à
« assumer une ambition nationale en matière de politique culturelle », en mettant
un terme à la baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales.
Il est indéniable que le recul des concours de l’État depuis quelques
années place ces dernières, notamment les communes, dans une position
délicate, les contraignant à des arbitrages difficiles, souvent au détriment des
actions dans le domaine culturel. Cependant, la situation de la Ville de Paris
mérite en la matière une attention particulière, et il faut apporter quelques
nuances aux propos du premier adjoint.
Rappelons tout d’abord que la concentration d’établissements culturels
relevant de l’État est, dans notre capitale, tout à fait remarquable : 4 des
5 théâtres nationaux sont parisiens, comme la Bibliothèque nationale de
France, et comme la plupart des musées nationaux et des plus prestigieuses
écoles d’art. L’Opéra de Paris a longtemps été le seul à être « national » et la
subvention annuelle que lui verse l’État excède de très loin le total de celles
qu’il attribue aux autres opéras disposant désormais du même label. Cette
hypercentralisation trouve ses racines dans l’histoire
politique et l’organisation administrative de la France.
Un quart
Elle n’est pas propre au secteur artistique et culturel.
des ressources
Et dans ce secteur, elle ne concerne pas seulement les
annuelles
établissements publics, puisque la plupart des grandes
du ministère
fondations privées (Cartier, LVMH,…) et bientôt la
bénéficie
collection Pinault, sont également basées dans la
à des
établissements
capitale.
nationaux situés
Depuis quelques décennies, les interventions
à Paris.
des collectivités locales, souvent accompagnées
ou encouragées par l’État, ont permis un certain
rééquilibrage géographique. L’État a aussi pris l’initiative
d’implanter des établissements nationaux, ou leurs antennes, en dehors de
Paris : MuCEM à Marseille, Centre Pompidou à Metz, Louvre à Lens. Mais un
quart des ressources annuelles du ministère, soit environ 900 millions d’euros,
bénéficie encore à des établissements nationaux situés à Paris ; ces sommes
sont près de trois fois supérieures à la totalité du budget culturel municipal.
Pour la Ville de Paris, cette situation présente de grands avantages.
Les Parisiens bénéficient d’une abondance d’offre en matière artistique et
culturelle, dont la majeure partie est financée par l’ensemble des contribuables
français. Les spectacles de l’Odéon et les expositions du Centre Pompidou sont
plus facilement accessibles pour le résident de la capitale qu’ils ne le sont pour
celui de Nice ou de Brest. Le budget de la Ville en matière culturelle est de facto
moins sollicité qu’ailleurs. Rapportées au nombre d’habitants, les dépenses
municipales pour la culture sont ainsi plus faibles à Paris que dans la plupart
/…
chronique
Politique
culturelle
—
Par Guillaume Cerutti
page
10
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Suite de la PAGE 09 des autres grandes cités françaises : moins de 140 euros à
Paris, contre plus de 200 euros à Lille et Lyon, et plus de 300 euros à Bordeaux.
Cette centralité parisienne a une autre conséquence. La politique
culturelle conduite par la municipalité est forcément plus diffuse, moins
lisible que dans toute autre ville. Là où les maires de Lyon, Nantes, Lille,
Bordeaux, sont les principaux promoteurs du dynamisme culturel de leur ville,
et peuvent décliner leur ambition en quelques axes aisément perceptibles,
leur homologue parisien doit compter avec la dynamique et les événements
propres à la politique culturelle nationale, et d’une certaine manière avec la
concurrence du ministre de la Culture lui-même.
Dans ce contexte particulier, la politique culturelle municipale a
enregistré depuis une dizaine d’années plusieurs réussites notables. Des
nouveaux lieux ont trouvé leur place, notamment le Centquatre, le Carreau
du Temple ou la Gaîté lyrique. La programmation décalée et vivifiante de
Jean-Luc Choplin a donné au Châtelet une nouvelle
impulsion. Le musée d’art moderne, sous la direction de
Fabrice Hergott, a conservé l’aura que lui avait donnée
Rapportées
son prédécesseur, Suzanne Pagé. Le musée Galliera a
au nombre
réussi sa réouverture après plusieurs années de travaux.
d’habitants,
D’autres exemples pourraient être cités.
les dépenses
Mais à côté de ces coups d’éclat, on relève aussi
municipales pour
la culture
de réelles déceptions. Comment ne pas constater
sont plus faibles ainsi l’état préoccupant du patrimoine parisien,
à Paris
principalement les églises, résultat d’une érosion
que dans
continue des crédits affectés à son entretien et à sa
la plupart des
restauration ? Comment ne pas déplorer des choix
grandes cités
françaises.
architecturaux contestables, par exemple la réfection
sans âme de la place de la République, et la banalité de
la nouvelle canopée des Halles ? Ou encore être surpris
par une planification qui va faire que le Châtelet et le
Théâtre de la Ville entreront en travaux pratiquement en même temps, privant
simultanément le public parisien des deux principales salles de spectacle
vivant municipales ?
De même, dans le domaine si essentiel des enseignements spécialisés,
l’objectif louable de développer une plus grande mixité sociale dans les
conservatoires municipaux s’est traduit par une communication maladroite,
et, surtout, n’a pas été accompagné de la réflexion et des moyens qui
permettraient, sans dégrader la qualité des formations offertes, d’élargir l’offre
en direction des publics défavorisés.
En conclusion, Bruno Julliard a bien raison d’exhorter l’État à assumer
une ambition nationale au plan culturel. Mais il semble légitime de lui
rappeler que la municipalité parisienne, qui bénéficie d’avantages uniques,
a quant à elle le devoir de participer de manière éclatante à la réalisation de
cette ambition. l
Exposition
Par Natacha
Wolinski
page
11
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
PAUL STRAND : PHOTOGRAPHY AND FILM FOR
THE 20 TH CENTURY – Victoria & Alber t Museum, Londres –
Jusqu’au 3 juillet
Paul Strand en majesté
à Londres
Le Victoria & Albert Museum à Londres rend hommage au
photographe américain Paul Strand, souvent connu pour deux
ou trois images iconiques, et qui se révèle au fil de cette riche
exposition un brillant novateur doué d’un regard social aigu.
La rétrospective que consacre le
Victoria & Albert Museum à Paul Strand,
la plus importante depuis quarante ans en
Grande-Bretagne, présente 220 tirages, une
trentaine d’ouvrages, trois films ainsi que
deux appareils photo et une caméra ayant
appartenu à l’artiste. C’est dire si Martin
Barnes – commissaire de l’exposition et
chef du département photo du V & A – rend
un hommage appuyé à ce pionnier de la
modernité photographique, faisant le constat
qu’à ce jour, Paul Strand a été bien moins
célébré qu’Edward Weston ou Walker Evans.
« Paul Strand était socialiste. Lorsqu’il a fui le
maccarthysme et quitté les États-Unis en 1950
pour s’installer en France, rappelle le curateur,
il a été porté sur la “blacklist” du FBI et n’a pas
pu revenir aux USA avant sept ans. Ses livres aux
États-Unis sont longtemps restés indisponibles.
L’histoire de la photographie ayant été établie
d’un point de vue essentiellement américain, il a
été un peu sacrifié ».
Paul Strand
a été
bien moins
célébré
qu’Edward
Weston
ou Walker
Evans
Paul Strand (18901976), Blind Woman,
New York, 1916.
© Paul Strand
Archive, Aperture
Foundation.
Paul Strand (18901976), White Fence,
Port Kent, New York,
1916 (negative) ; 1945
(print). © Paul Strand
Archive, Aperture
Foundation.
/…
Exposition
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12
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Pa ul Str a nd
e n ma j e s té
à Lo n dr e s
Paul Strand, The
Family, Luzzara
(The Lusettis), 1953
(negative) ; mid- to
late 1960s (print).
© Paul Strand
Archive, Aperture
Foundation.
Paul Strand, Couple,
Rucãr, Romania,
1967. © Paul Strand
Archive, Aperture
Foundation.
Suite de la PAGE 11 Paul Strand a mené une
carrière de photographe et de cinéaste sur plus
de soixante ans, mais on connaît surtout de
lui les icônes de ses premières années, 1915 et
1916. On pense à la photographie de la femme
aveugle portant l’écriteau « Blind » autour du
cou, image qui porte à son comble ce souci
qu’avait Strand de se rendre invisible au point
de fixer un faux objectif sur le côté de son
appareil et de cacher l’objectif dont il se servait
réellement, de façon à dérober des portraits
reflétant la « vérité vraie » des personnages.
« Paul Strand croyait en l’objectivité de la
photographie, indique Martin Barnes. Mais
en fait, face à ses portraits, qu’ils soient pris
à l’insu des modèles, ou avec leur accord, on
ressent toujours très fortement sa présence, cette
façon frontale de se poser devant les gens et de
leur rendre leur dignité ». On pense encore à
la photographie de la barrière blanche, White
fence, où il multiplie les audaces
visuelles – abandon de la profondeur
Les photos et
spatiale, traitement abstrait d’un motif figuratif, inversion des
films de Strand
pôles négatifs et positifs –, inaugurant ainsi une radicale modernité
témoignent
photographique.
de cette quête
On lie souvent Paul Strand à Alfred Stieglitz, grand introducteur
d’équilibre entre
de la modernité aux États-Unis, qui a exposé dès 1916 les images
formalisme et
de Strand dans sa galerie 291 et lui a consacré le dernier numéro
humanisme
de la revue Camera Work en 1917. Le parrainage de Stieglitz est
important en effet, mais on oublie l’influence – tout aussi capitale –
de Lewis Hine. Il a été son professeur à l’Ethical Culture School de New
York et lui a légué l’idée tenace que la photographie constituait un outil de
réforme sociale. Toutes les photos et tous les films de Strand témoignent
de cette quête d’équilibre entre formalisme et humanisme, préoccupations
esthétiques et posture éthique. Si ses films semblent parfois plus engagés
/…
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Exposition
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Pa ul Str a nd
e n ma j e s té
à Lo n dr e s
Paul Strand, Rebecca,
New York, 1921. © Paul
Strand Archive, Aperture
Foundation.
que ses photographies – The Wave raconte l’histoire de
Paul Strand,
New Mexico, 1930.
pécheurs mexicains en grève, Native land celle de travailleurs américains en
© Paul Strand
lutte pour leurs droits civiques –, ses photographies des marins des Hébrides
Archive, Aperture
Foundation.
ou des paysans de Luzzara sont une autre façon de glorifier les gens d’en bas
et les gestes simples qui font la noblesse d’une culture.
« Du cinéma, il a appris la construction narrative des séquences d’images.
De la photo, il a gardé les mouvements économes de la caméra. J’aime
Visiter une
la lenteur qu’impose la lecture des images de Strand », confie Martin
exposition de lui,
Barnes. Certaines œuvres ont le pouvoir d’altérer le rythme cardiaque.
c’est rompre avec
Paul Strand, de toute évidence,
la folie
le ralentit. Ses images sont
de l’époque, avec
si stables, si méditatives,
la vitesse,
qu’elles induisent la sérénité.
le zapping,
Visiter une exposition de lui,
le brouillage et
c’est rompre avec la folie de
la consommation
l’époque, avec la vitesse, le
frénétique
zapping, le brouillage et la
des images
consommation frénétique
des images. C’est accepter de
prendre du temps et de se mettre
en disponibilité. A fortiori lorsque
l’exposition de ses œuvres est l’une
des plus belles jamais réalisée.
Suite de la PAGE 12
PAUL STRAND : PHOTOGRAPHY AND FILM
FOR THE 20TH CENTURY, jusqu’au 3 juillet,
Victoria & Albert Museum, Cromwell Rd,
Londres, tél. +44 20 7942 2000,
www.vam.ac.uk
Catalogue par Peter Barberie et Amanda
N. Bock, coéd. Yale university press edition/
Philadelphia Museum of Art/Fundación
MAPFRE, 372 pages, 351 illus., 65 euros.
Paul Strand, Driveway,
Orgeval, 1957. © Paul
Strand Archive,
Aperture Foundation.
montrouge
Par Pedro Morais
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le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Aurélie Ferruel
et Florentine Guédon :
Traditions futuristes
L’exotisme c’est nous. Inspirées de leurs expériences familiales vécues
à la ferme, Aurélie Ferruel et Florentine Guédon, qui ont participé
au Salon de Montrouge 2016, partent en artistes ethnologues à la
rencontre de groupes, de confréries, de rites et de chants, qu’elles
hybrident en mêlant leur intérêt pour les tribus amérindiennes
ou la danse Shangaan d’Afrique du Sud. Dans leurs sculptures et
performances, les traditions et le folklore s’inventent et se travestissent
hors de toute assignation identitaire aux territoires. Elles exposent,
invitées par le collectif Born And Die à Arondit (Paris), et par Cécilia
Bécanovic et Solenn Morel au centre d’art Les Capucins (Embrun).
Aurélie Ferruel et
Florentine Guédon,
Mascara, 2012, vidéo
de 3min 44 sec avec
la collaboration de
Cristian Herdez,
masques en tapisserie,
tissus synthétiques,
fibres acryliques, laiton,
plastique et céramique.
Installation, Lisbonne.
Photo : Laetitia Bely.
En Vendée, le Cercle des amis
de Réaumur organise une fête pour
le brassage de fressure : une mise
en scène autour de la cuisson très
longue de plats à base de sang. Ce
rituel prétendument intemporel
accompagné de chansons en
patois vendéen ne date que de
l’interdiction récente de tuer le porc
hors abattoir, et ces enfants habillés
de façon dite traditionnelle portent
en fait des costumes anachroniques
du parc d’attractions Puy du
Fou. D’une même façon, le tissu
Wax, devenu emblématique de
l’Afrique de l’Ouest, n’est qu’une
reproduction du batik javanais
fabriqué en Hollande, utilisé
pendant la colonisation pour commercer pacifiquement avec les peuples guerriers,
et par des missionnaires afin de couvrir une nudité amorale. Les traditions datent
parfois d’hier et n’existent que dans un champ de négociation, réinterprétation
et fabrication du passé – c’est le sens de la recherche publiée en 1983 par Eric J.
Hobsbawm et Terence Ranger dans L’invention de la tradition (éd. Amsterdam), où
ils scrutent les usages idéologiques de la commémoration et les fausses évidences
identitaires. Selon eux, les traditions greffées ou crées parfois de toutes pièces sont
souvent des réponses à des temps de crise, utilisées autant
par les États nations en gestation que par des mouvements de
Aurélie Ferruel et
révolte, cherchant à se légitimer et assurer la cohésion sociale
Florentine Guédon
des institutions, des relations d’autorité, des croyances et des
reconnaissent la
codes de conduite.
puissance des rituels
Aurélie Ferruel et Florentine Guédon reconnaissent la
collectifs mais évitent, sur
puissance des rituels collectifs – la capacité à inclure
une corde raide, de tomber
par la socialisation la créativité esthétique des symboles
dans l’écueil identitaire
– mais évitent, sur une corde raide, de tomber dans l’écueil
d’une « douce France »
identitaire d’une « douce France ». Leur histoire est des plus
singulières dans l’univers formaté de l’art contemporain :
elles se sont rencontrées aux beaux-arts d’Angers, ayant en commun d’avoir
grandi dans des fermes familiales d’élevage en plein air en Normandie et en
/…
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montrouge
le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
Vendée. Plutôt qu’une vision romantique de la nature,
elles parlent en connaissance d’un ensemble de techniques et de savoirs qui
leur ont été transmis oralement. « Le travail paysan est une organisation et un
traitement du paysage. L’idée d’une nature immuable ne tient pas compte que la
plupart des forêts ont été replantées », affirment-elles. Quand elles s’intéressent
aux confréries gastronomiques du sang cuit, c’est la capacité à inventer des
codes, des rituels, « chapitres »,
et des armoiries qui retient leur
attention : leur collaboration sera
signée d’un blason qui croise une
aiguille et une tronçonneuse,
l’alliance de la spécificité technique
de chacune et le marqueur d’un
engagement féministe. « Nous
nous intéressons autant à la
démarche ethnographique de Jeremy
Deller qu’à la capacité de General
Idea à produire une biographie
fictionnelle », disent-elles. Leur
première vidéo-performance
est d’ailleurs une battle où elles
s’affrontent pour mieux fusionner,
avec des masques en tapisserie,
plastique et céramique – inspirés
de la tribu Wauja d’Amazonie,
vue au musée d’ethnologie de
Lisbonne, où les hommes se travestissent pour représenter les femmes interdites
Aurélie Ferruel et
Florentine Guédon, Danse
de danse. Pour une autre performance dans une salle des fêtes, c’est le métissage
avec le cul, 2015, vidéo
de deux danses de séduction : les cercles folkloriques des fest-noz de Bretagne
de 4min 44sec avec la
collaboration de Nicolas
(où l’on se tient par le petit doigt) et les déhanchements très sexués de la danse
Simon, cuir, tissus, coton,
Shangaan d’Afrique du Sud, qu’elles déploient autour de deux
bois et clous tapisserie.
Installation, Louvignéhommes de bois réalisés à la tronçonneuse. « Le fonds immatériel de
Leur travail est
du-désert. Production
la culture orale n’est jamais figé et intègre les rajouts et les malentendus,
40mcube. Photo : Marie
un manifeste
Couratte.
dans une sorte d’authenticité infidèle », signalent-elles en évoquant la
flamboyant qui refuse
d’assigner une culture chanson paillarde. Celle-ci sera détournée dans une performance
chantée, où elles entonnent le mode d’emploi d’une perceuse avec
à un seul territoire
des capes brodées inspirées d’Elvis Presley. Qu’elles guident le public
tel un troupeau suivant une technique de cris pour diriger les vaches
(avec des parures de berger d’inspiration berbère, du Mexique et des Pyrénées),
qu’elles inventent un métier à tisser à deux pour une performance de neuf heures
(avec des coiffes évoquant la crête iroquoise) ou qu’elles décorent les morceaux
d’une bête en bois comme un homme-orchestre (réunissant des caches tétons
à pompons et des grelots de danse indienne), leur travail est un manifeste
flamboyant qui refuse d’assigner une culture à un seul territoire. À rebours
d’une authenticité puriste et d’un point d’origine imaginaire des traditions,
Texte publié dans
Aurélie Ferruel et Florentine Guédon explorent la capacité des rituels et du
le cadre du programme
folklore à voyager, s’hybrider et se transformer.
de suivi critique
Suite de la PAGE 14
Auré lie F e r r ue l
et Flo ren ti ne
Gué do n :
Tra dit i o n s
futuri s te s
NAZDRAVLJE !, jusqu’au 25 juin, Arondit, 98 rue Quincampoix, 75003 Paris
(commissariat : collectif Born And Die)
LE PAS DE L’EMBUSQUE, du 16 septembre au 5 novembre 2016,
Centre d’art Les Capucins, 05200 Embrun, http://www.lescapucins.org
(commissariat de Cécilia Bécanovic et Solenn Morel)
EN TOUTe MODESTIE - ARCHIPEL DI ROSA, du 2 décembre 2016 au 21 mai 2017,
au MIAM, 34200 Sète. (commissariat : Julie Crenn)
des artistes du Salon
de Montrouge,
avec le soutien de
la Ville de Montrouge,
du Conseil général
des Hauts-de-Seine, du
ministère de la Culture
et de la Communication
et de l’ADAGP.
Coup de cœur
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le quotidien de l’art | Vendredi 3 juin 2016 numéro 1078
« Adrian Melis se livre
à une réflexion complexe
sur la destruction
de la personne humaine »
Dans cette rubrique, nous demandons à un collectionneur de
nous dévoiler son tout dernier coup de cœur. Cette semaine,
Thierry Gontier nous évoque un de ses derniers achats, une
œuvre de l’artiste cubain Adrian Melis._Propos recueillis par Roxana Azimi
Thierry Gontier.
Photo : D. R.
« Rares sont les artistes qui portent
leur regard sur le monde moderne
du travail. En France, nous pensons
naturellement à Julien Prévieux, et
en particulier à ses “Lettres de nonmotivation”. Les œuvres de l’artiste
cubain Adrian Melis appartiennent à
Adrian Melis, Línea
de Producción por
cette famille. Mais l’ironie se fait chez
Excedente - Surplus
lui moins distanciée et plus amère. Lors
Production Line, 2014,
vidéo, 11’31. Courtesy
de la dernière FIAC, le salon Officielle
Galerie ADN,
présentait l’une de ses “bibliothèque
Barcelone.
de rêves” (“Production Plan of Dreams
for State-run Companies in Cuba”), faite de feuilles de papier enroulées, sur
chacune desquelles un travailleur d’une entreprise d’État cubaine désignée
comme déficiente en productivité raconte le rêve qu’il a fait pendant son
assoupissement au travail. Ces “rêves” sont rangés dans des boîtes de cigare et
entreposés dans des rayonnages, constituant une sorte d’archive : archive
des rêves eux-mêmes et de la résistance de l’humain à l’aliénation du
Adrian Melis
travail, mais peut-être aussi de la mise à profit par l’art de cette part de
réfléchit au rôle
“non-productivité” ?
ambigu de l’art,
Cette ambiguïté se retrouve dans la vidéo Chaîne de fabrication excédentaire
contaminé
de 2014, que mon épouse et moi avons acquise à Arco, à Madrid, après
par la logique
l’avoir vue une première fois l’an passé à Barcelone. Adrian Melis a utilisé
de l’absurde
sa bourse de la Rijksakademie d’Amsterdam pour faire passer une offre
d’emploi d’un mois de travail, à raison de deux heures par jour. Il a ainsi
reçu par internet 2 768 réponses. Après audition de cinq candidats, la personne
finalement choisie, une femme, s’est vue confier la tâche d’imprimer les CV
de tous les autres candidats (donc 2 767) pour les détruire ensuite à l’aide
d’une broyeuse. La vidéo montre cette destruction répétitive des CV, laissant
apparaître la photographie des visages des demandeurs d’emploi et renvoyant
aux vies elles-mêmes broyées. Les lambeaux de papier s’accumulent jusqu’à
former un amoncellement sculptural, qui peut être regardé comme une œuvre
d’art. En sous-titre, l’employée parle, comme pour un entretien d’embauche,
de son parcours de designeuse publicitaire et de ses projets professionnels, bien
entendu hors de proportion avec la tâche purement mécanique qui lui a été
confiée, et de ses difficultés à trouver un emploi stable. Adrian Melis se livre
ainsi à une réflexion complexe sur la destruction de la personne humaine par
la rationalité aveugle de la machine, mais aussi sur le rôle ambigu de l’art, luimême contaminé par cette logique de l’absurde et dont le pouvoir salvifique se
trouve remis en question ». l

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