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Le Conseil d'Etat écarte la loi de 1905
(ou le rapport Machelon malgré tout ?)
De la modicité à l'inexistence de la redevance des BEA.
Par arrêt du 19/07/2011 (n°320796 Mme V / Mairie de Montreuil) 1 , le Conseil d'Etat vient de valider la conclusion de baux emphytéotiques administratifs (BEA)2 moyennant 1 ! symbolique, par an, au profit d'un
culte, en dépit de l'article 2 de cette loi, qui interdit toute subvention des collectivités publiques aux
cultes. Ceci va dans le sens du rapport Machelon 3, qui affirmait : «Au sein de cet article 2, (..) seul doit être
regardé comme relevant du niveau constitutionnel le principe général de neutralité et d’indétermination religieuse de l’Etat. (..) » et appelait à la légalisation formelle de l’aide publique directe à la construction de lieux
de culte (pp. 19 à 25, entres autres).
Le but avoué de cette proposition était de faire en sorte que la religion musulmane et quelques autres ne
dépendent pas de financements étrangers et rattrapent leur retard immobilier par rapport aux cultes établis
de longue date en France. Mais le remède était pire que le mal puisqu'il remettait en cause la loi de 1905 4,
au lieu d'inciter les cultes concernés à se structurer selon cette loi (ce qui contribuerait à résoudre leurs problèmes financiers 5 et à prévenir un usage éventuellement contraire à l'ordre public de leurs fonds, quelque
en soit l'origine). Qui plus est, la légalisation des aides publiques directes au culte aurait porté atteinte au
principe de non-discrimination, à la liberté de conviction et de conscience et plus généralement aux droits
économiques et sociaux, dont la loi de 1905 est un puissant garant. L'octroi de ces aides étant laissé à l'appréciation des élus locaux, au risque d'un usage arbitraire de fonds publics en faveur d'intérêts particuliers.
Le contenu du rapport Machelon ayant été abondamment critiqué, au-delà des clivages politiques, le ministère de l’intérieur a indiqué qu’il n’envisageait pas une modification de la loi de 1905. Mais, à présent, le
Conseil d'Etat, décide de ne pas appliquer cette loi considérant qu'elle n'est pas supérieure à d'autres normes de même niveau qui peuvent y déroger 6 . Néanmoins, aucune norme n'y dérogeait, en l'espèce, et
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A l'origine, le Tribunal administratif (TA) de Cergy-Pontoise a prononcé, par décision du 12/06/2007, la nullité de la concession d'un
terrain municipal de 1693 m2, pour une redevance d 1 !/an, par la Mairie de Montreuil (93) à la «Fédération cultuelle des associations
musulmanes de Montreuil» (FCAMM), l'analysant comme une subvention déguisée à un culte. Mais la Cour administrative de Versailles
(CAA) avait infirmé, cette décision par arrêt du 03/07/2008 (selon les arrêts rendus dans cette affaire, la requérante est appelée Dme Y (arrêt
CAA) ou Dme A (arrêt CE sur légifrance), mais il s'agit bien de Dme V)
Bail de 18 à 99 ans, conférant au locataire, en échange d’une redevance, un droit de quasi-propriétaire sur le bien, à charge de l’améliorer, notamment par des constructions. Au terme du bail les améliorations profitent au bailleur sans indemnisation du locataire. Le BEA, régi
par la loi du 25/06/1902, intégrée dans le code rural, a été utilisé par les communes, à partir de 1936 (cf.note 27) au profit de toutes les
associations constituées pour l’exercice d’un culte. Cet usage a été consacré par l’ordonnance n°2006-460 du 21/04/2006 (modifiant l'article L 1311-2 CGCT, mais pour les seules associations cultuelles.
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« Les relations des cultes avec les pouvoirs publics » Paris ; La Documentation française (Collection des rapports officiels)
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Par la neutralisation de deux de ses dispositions essentielles, l'article 2 (séparation des églises et de l'Etat) et l'article 19 (exclusivité de
l'objet cultuel des associations créées pour l'exercice du culte).
A ce propos, Didier Leschi, ancien chef du Bureau central des cultes du ministère de l'Intérieur, relevait : « Les responsables cultuels
musulmans ont tendance à ne pas mettre en place des associations dont le but est uniquement d'assurer le culte.(..) Du coup, ils ne peuvent bénéficier des avantages fiscaux des associations cultuelles. Leur intérêt serait de mettre en place des associations distinctes qui n'ont
de vocation que cultuelle, comme le font les autres cultes» (entretien publié dans Témoignage Chrétien, le 01/02/2007). Ce faisant, il reprend les conclusions du rapport du Conseil d'Etat 2004 : « Un siècle de laïcité», qui constate : « L’immense majorité des lieux de culte
musulmans seraient gérés par des associations de la loi de 1901. On peut estimer qu’une plus grande ouverture des associations de la loi de
1905 aux musulmans serait nécessaire et faciliterait notamment leur indépendance financière. » (p.319).
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Le principe de laïcité posé par l'article 1 de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et
sociale » n’a pas de définition constitutionnelle officielle. Il en résulte, pour Maurice Barbier (Docteur en sciences politiques, Université de
Nancy II), que : «...d’après les textes juridiques en vigueur, les seuls à prendre en considération, il existe en France deux sortes de laïcité (..);
d’une part la laïcité législative, établie par la loi de 1905 et qu’on peut appeler laïcité-séparation qui est bien définie; d’autre part, la laïcité
constitutionnelle, instaurée par les constitutions de 1946 et de 1958, mais dont on ignore la nature exacte. (...) La première laïcité est claire
mais la seconde ne l’est pas. C’est d’autant plus regrettable que la Constitution a une valeur juridique supérieure à celle des lois (..)» La
«laïcité-séparation» est fondée sur l’article 2 de la loi 1905* (non reconnaissance des cultes par l’Etat et prohibition de leur financement
public direct), une constitutionnalisation de cet article éviterait que la loi de séparation puisse être remise en cause dans l'avenir.
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la xénophobie qui sous-tendait le recours dont était saisi le Conseil d'Etat ne l'autorisait pas à écarter la loi de séparation.
La décision du Conseil d'Etat n'est pas dictée par le législateur.
Il ne peut être tiré argument de ce que le législateur n'a cessé, depuis la loi du 25/12/1942 (Régime de Vichy) 7 d'étendre le bénéfice de financements publics indirects aux associations cultuelles 8 , pour les autoriser, à recevoir un financement public direct nouveau, prohibé par l'article 2 de la loi de 1905. En effet, si le
dernier alinéa de l'article 19 de la loi de 1905 (cf. note 7) déroge expressément à l'article 2 de celle-ci, en
énonçant : « que ne sont pas considérées comme subventions, les sommes allouées pour réparation
aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques ». Ce n'est pas le
cas de l'article L 1311-2 CGCT (ancienne et nouvelle version), qui permet la conclusion de BEA au profit des
cultes, non plus que de l'article L. 451-1 du Code rural dont il s'inspire. Aussi, le Conseil d'Etat ne peut affirmer, comme il le fait : « que le législateur a (..) permis aux collectivités territoriales de conclure un tel contrat
en vue de la construction d’un nouvel édifice cultuel, avec pour contreparties, d’une part, le versement, par
l’emphytéote, d’une redevance qui, eu égard à la nature du contrat et au fait que son titulaire n’exerce aucune activité à but lucratif, ne dépasse pas, en principe, un montant modique, d’autre part, l’incorporation
dans leur patrimoine, à l’expiration du bail, de l’édifice construit, dont elles n’auront pas supporté les charges
de conception, de construction, d’entretien ou de conservation ; qu’il a, ce faisant, dérogé aux dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905 ; »
Cette motivation est dénuée de fondement juridique, qu'il s'agisse de la version initiale de l'article L 1311- 2
CGCT, applicable en l'espèce, ou de sa nouvelle version, qui ne l'était pas.
L'ancien article L 1311- 2 du CGCT, ne déroge pas à l'article 2 de la loi de 1905. Comme l'avait relevé la
Cour administrative d'appel de Versailles (CAA), la délibération par laquelle le conseil municipal de Montreuil
a consenti un bail emphytéotique à la FCAMM 9 , étant du 25/09/2003, c'est l'article L1311-2 CGCT, dans sa
rédaction initiale, qui lui était applicable. Or, il ne prévoyait la possibilité, de consentir un BEA que : « en vue
de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public
ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence (…).» Mais,
l'exercice du culte n'est pas une mission de service public, et quant à l'intérêt général appliqué aux cultes, il
ne permet pas de déroger à l'article 2 de la loi de 1905 10.
C'est donc à bon droit que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise (cf. note 1) avait jugé que : « par une
délibération du 25/09/2003 le conseil municipal de Montreuil a décidé d'attribuer par bail emphytéotique en
contrepartie d'une redevance symbolique d'un euro, un terrain d'une superficie de 1693 m2 en vue d'y édifier
une mosquée ; que la facilité ainsi consentie consiste à reporter dans le temps la contrepartie de la
mise à disposition à titre gratuit du terrain par la ville jusqu'à l'expiration du bail de 99 ans date à la7
Elle accorde aux associations cultuelles la grande capacité juridique permettant de recevoir des dons et legs en franchise de droits de
mutation (art. 795-10 CGI,) et un financement public direct de leurs édifices du culte (par ajout à l’article 19 de la loi de 1905).
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Ces avantages, qui conduisent à une exonération quasi-totale d'impôts, s'ils peuvent être jugés contraires à l'esprit de la loi de 1905, ne
sont pas contraire à sa lettre, il ne s'agit pas de subventions (cf. note 10). Par ailleurs, ils ont pour contrepartie, pour les associations cultuelles (associations de la loi de 1905, diocésaines), qui sont seules à pouvoir y prétendre, l'exigence de l’exclusivité de leur objet et un
respect renforcé de l’ordre public.
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cf. note 1
«...il peut arriver que notre système reconnaisse l'intérêt général que revêt la conduite de certaines activités privées (...) arguant du fait
que, profitant à des communautés entières, elles oeuvrent finalement pour le bien du pays tout entier. De là l'idée que ces activités doivent
être aidées, favorisées non pas par des subventions – prohibition du financement public des cultes – Mais par un certain nombre de dispositifs qui sont la garantie d'une honorabilité et d'une respectabilité (..) Ce sont aussi des dispositifs plus concrets : de forts allégements
fiscaux qui permettent un flux, un transit de donations. » («Atouts et capacités d'une Fondation nationale» par Marie-Françoise Bechtel,
Conseiller d'Etat. Intervention lors du colloque du 14/02/2005 « Islam de France : où en est-on ?», organisé par la fondation Res Publica
Toutefois,s'il faut rechercher une base légale aux forts allégement fiscaux, autant se référer à l'article 1 de la loi de 1905 cf. note 29).
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quelle la FCAMM aura la possibilité d'acquérir ces biens ; que cette facilité apparaît manifestement assimilable de par ses caractéristiques financières, à l'octroi d'une subvention ; qu'ainsi la délibération
attaquée méconnaît les dispositions de l'article 2 précité de la loi du 29/12/2005 ; que par suite Mme V.
est fondée à en demander l'annulation ».
En conséquence, en infirmant cette décision, la CAA de Versailles a bien commis une erreur de droit, contrairement à ce que soutient le Conseil d'Etat, et le motif selon lequel : «.. le principe constitutionnel de laïcité, qui implique neutralité de l'Etat et des collectivités territoriales de la République et traitement égal des
différents cultes, n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général et dans les conditions définies
par la loi, de certaines aides à des activités ou des équipements dépendant des cultes 11 », n'est pas seulement surabondant, comme le relève le Conseil d'Etat, mais constitutif de cette erreur. En effet, ici aucune
loi n'autorise l'octroi de subventions aux cultes, par dérogation à l'article 2 de la loi de 1905.
Le nouvel article L 1311- 2 du CGCT, ne déroge pas non plus à l'article 2 de la loi de 1905. Pas davantage
que son ancienne version, ce texte ne dispose que la redevance des BEA ne saurait être considérée comme
une subvention (ni même qu'elle doit être modique). Aussi, le rôle du juge administratif est bien de s'assurer,
que cette redevance n'est pas une subvention déguisée. C'est ce qu'ont fait les juges de première instance
dans cette espèce et dans d'autres, sans pour autant aller à l'encontre de l'esprit des BEA qui, de fait,
est de permettre par un loyer modique (mais pas dérisoire) à leurs bénéficiaires d'accéder à l'usage
d'un terrain12 . C'est également dans ce sens que devait statuer le Conseil d'Etat, plutôt que d'user de son
autorité (renforcée par le fait qu'il statue par un arrêt d'assemblée 13 ), pour ouvrir une brèche dans le dispositif de la loi de 1905, là ou le législateur s'est abstenu.
Ceci posé, on se demande pourquoi le Conseil d'Etat, au soutien de son affirmation selon laquelle le législateur aurait entendu déroger aux dispositions de l'article 2 de la loi de 1905, cite le nouvel article L1311-2
CGCT puisque l'ordonnance n°2006-460 du 21/04/2006, 14 dont il résulte, n'a pas d'effet rétroactif. Estce pour bien marquer que sa décision, vaut aussi sous l'empire de cet article modifié ? Dans ce cas, le Conseil d'Etat aurait du insister beaucoup plus nettement sur le fait que l'article L 1311-2 réserve le bénéfice
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Le Conseil d'Etat a adopté cette motivation dans un arrêt du 16/03/2005 : « Ministre de l’Outre-Mer », n° 265560, en précisant que le
principe constitutionnel de laïcité «!s'applique en Polynésie française ». Mais cet arrêt restreignait les financements publics à trois circonstances : être alloués sur un territoire français où la loi de 1905 ne s’applique pas, ne pas être affectés à une activité cultuelle ou à la construction, l’aménagement ou la réparation d’un immeuble dédié exclusivement au culte ou au logement de ministres du culte et financer des
activités relevant de l’intérêt général, donc profitables à l’ensemble des citoyens (conditions appliquées dans l'arrêt : commune de Soultz du
06/03/2008, par la CAA de Nancy, confirmé par arrêt du Conseil d'Etat du 27/05/2009). En l'espèce le Conseil d'Etat étend ce considérant
aux territoires ou la loi de 1905 s'applique. Mais, si pour certains équipements de lieux de cultes, ayant aussi une vocation culturelle, les
aides publiques peuvent correspondre effectivement à l'intérêt général, ce n'est pas le cas des activités des associations cultuelles, qui par
définition sont exclusivement cultuelles.
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Le TA de Marseille a jugé, le 21/12/2007, qu’un BEA entre la mairie de Marseille et l’association cultuelle «Mosquée de Marseille» pour
24 000 !/an (et un terrain de 8.616 m2) au lieu de 300 ! auparavant était «conforme aux règles du droit public», faisant la distinction entre
loyer symbolique, interdit, et loyer modique, admis. Notons, d'ailleurs, que le conseil municipal de Montreuil a approuvé le 28/06/2007,
la conclusion d'un nouveau bail avec la FCAMM, après annulation du 1er, pour un loyer annuel de 6.000 ! (cf.CR de séance du conseil du
28/06/07- site Mairie de Montreuil). Malheureusement, la délibération soumise au Conseil d'Etat est celle du 25/09/2003. Mais un nouveau
BEA ayant été conclu, le premier était devenu caduc et on peut se demander pourquoi cette caducité n'a pas été constatée, d'abord par la
CAA de Versailles, ensuite par le Conseil d'Etat. Certes, la mairie de Montreuil n'entendait pas soulever cet argument et voulait voir invalider la nullité du 1er bail, de sorte que la règle selon laquelle le juge administratif n'est pas tenu de statuer au-delà de l'objet de la demande,
sauf à devoir soulever d'office des moyens (arguments) d'ordre public, a pu jouer. Néanmoins, la caducité du 1er bail n'était-elle pas un
moyen d'ordre public ?
a vocation à rendre des décisions de principe portant sur les questions les plus délicates sur le plan juridique, qu'elles
aient ou non un certain retentissement sur le plan politique. » Bruno Genevois (alors Président de la section du contentieux du Conseil
d'Etat) - « Comment tranche le Conseil d'Etat » Intervention à un colloque sir l'Office du juge au Palais du Luxembourg, les 29 et 30/09/
2006 à Paris,
13 «!L'assemblée
Relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques (entrée en vigueur le 01/07/2006 : art. 13 ordonnance) et ratifiée par la loi n°2009-526 du 12/05/2009 de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures (art.
138)),
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des BEA aux seules associations cultuelles 15 ou aux unions d'associations cultuelles 16 . A défaut, sa
mention, rapportée à la présente espèce, peut laisser croire que le Conseil d'Etat suit également le rapport
Machelon (p.23), lorsqu'il préconise d'étendre le bénéfice des BEA : «à toute association à vocation cultuelle (loi de 1901 ou loi de 1905) », au mépris de l'objet cultuel exclusif, requis par l'article 19 de la loi de
1905 17 .
En effet, si la déclaration de la FCAMM à la Préfecture de Seine-Saint-Denis
ciation cultuelle », l'extrait de déclaration des associations qu'elle
d'objet exclusivement cultuel
20 ,
fédère 19
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indique pour objet : « asso-
montre que toutes n'ont pas
condition requise pour bénéficier du statut de la loi de 1905
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(la bonne foi
de ces associations n'est pas en cause, il existe un réel déficit d'informations sur les aspects juridiques de la
loi de 1905 22 ). A cet égard, dans un de ces avis, le Conseil d'Etat a rappelé que la seule déclaration d’une
association, sous le visa de la loi de 1905, n’emporte pas le bénéfice du statut y afférent. Avis qu'il a appliqué dans différentes affaires pour apprécier si une association peut se prévaloir d'avantages réservés par loi
aux seules associations cultuelles 23 .
Le Conseil d'Etat n'apporte pas une réponse pertinente à la xénophobie.
« Nous sommes dans un pays ou il y a une instrumentalisation raciste de la défense de la laïcité. On est obligé
d’en tenir compte (..). Mais on ne peut en tenir compte au point d’abandonner la défense de la laïcité...»
(Caroline Fourest, Atelier Laïcité du Parti socialiste - La Rochelle 2008, blog ProChoix).
En arrière-plan de la cause jugée par le Conseil d'Etat, existe une exploitation xénophobe de la loi de 1905.
Ainsi, c'est à l’initiative du Front National (FN), que le TA de Lille a, par décision du 09/01/2007, annulé le
BEA conclu entre la mairie de Roubaix et l’association musulmane «2A1». Puis à l’initiative du MNR et de
militants du FN, que le TA de Marseille a, par décision du 17/04/2007, annulé le BEA conclu entre la mairie
15
«Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code
rural, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation
d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte
ouvert au public...»
16
Les unions d'associations cultuelles (Titre IV, art. 20 de la loi de 1905) ne peuvent être composées que d'associations cultuelles.
17
Cette exigence permet d’éviter que, sous couvert de religion, soit imposée à des croyants une participation à des activités non cultuelles
contraires à leurs opinions et convictions et que des cultes cherchent, par le biais d’activités non cultuelles, à imposer leurs dogmes et
croyances au reste de la population.
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Déclaration du 20/05/2003 n° de parution au JO : 20030027.
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Tel qu'il résulte de sa publication au Journal Officiel (lorsqu'elle est accessible sur internet).
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Les associations concernées sont; l'Association Cultuelle des Africains de Montreuil (ACAM) l'Association Cultuelle du Bas du parc
Montreau (ACBM) l'Association de la Communauté Comorienne de Montreuil (CCM), l'Association des Familles Franco-Musulmanes de
Montreuil (AFFMM). L'objet du CCM. est entre autres : « accueillir, aider, conseiller, accompagner, soutenir sans distinction pour ceux qui
la consultent en raison des difficultés sociales!; organiser et faire participer les hommes et femmes à la vie locale à Montreuil!; promouvoir la coordination des autres associations.»
Le Conseil d'Etat définit les activités cultuelles comme : « .. la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement par des
personnes réunies par une même croyance religieuse de certains rites et pratiques (...) l’acquisition, la location, la construction, l’aménagement et l’entretien des édifices servant au culte ainsi que l’entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l’exercice
du culte » et ajoute : «La poursuite par une association d’activités autres que celles rappelées ci-dessus est de nature, sauf si ces activités se
rattachent à" l’exercice du culte et présentent un caractère strictement accessoire, à l’exclure du bénéfice d’association cultuelle.» (Avis
n°187122 du 24 Octobre 1997 et n°346-040 du 14 novembre 1989).
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22
A ce propos les informations contenues au rapport du Conseil d'Etat 2004 (cf. note 5) sont précises mais manifestement assez peu relayées auprès des intéressés, par les pouvoirs publics.
23
CE - Arrêt du 09/10/1992, Association Siva Soupramanien de Saint Louis n° 94455 (Légifrance et recueil Lebon) et CE - Arrêts du 23/06/
2000, Témoins de Jéhovah - Riom n° 215152 et Témoins de Jéhovah - Clamecy n° 215109 (Légifrance) : « ..l'objet statutaire de l'Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah (..) et l'activité qu'elle exerçait en 1995 dans les locaux qu'elle possède (...) présentaient
un caractère exclusivement cultuel».
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de Marseille (UMP) et l’association cultuelle « Mosquée de Marseille ». Enfin Mme V, dans le cas qui préoccupe ici, était conseillère municipale MNR.
Le propos de l’extrême droite est clairement affiché : « Ces actions en justice résultent d'une stratégie pour
lutter contre l'islamisation de la France » 24 indique Nicolas Bay, un membre du MNR (Le Monde du 18/05/
2007). Pour autant, il ne peut être admis que la décision du Conseil d'Etat résulte d'une réaction à
une stratégie d'ostracisme. Elle aurait pu être tout autre, sans être entachée d'aucun soupçon de
xénophobie, voire de racisme. Devant une utilisation tendancieuse des recours administratifs, la meilleure
réponse, pour le respect des libertés, était d'appliquer le droit et d'affirmer qu'il est le même pour tous.
Le précédent des « Chantiers du cardinal » n'est pas un argument juridique.
«Sait-on que 450 églises ont été construites grâce à ce système depuis 1905 ?» , indique Jean-Marc Sauvé,
vice-président du Conseil d’État 25 . Toutefois, ce n'est pas le « système » qui est en cause, surtout depuis que l'ordonnance n°2006-460 du 21/04/2006, l'a validé pour les cultes et limité aux associations
cultuelles. Mais la consécration, dans ce cadre, et sans base légale, par le Conseil d'Etat, d'un mode de
financement direct des cultes, qui grève les budgets municipaux de santé, d’éducation et de solidarité sociale (déjà mis à mal par la restriction des dépenses publiques), au profit d'intérêts particuliers .
Certes, ce «système» prend sa source dans un accord de 1936, entre le président du Conseil, Léon Blum, et
le cardinal Jean Verdier, archevêque de Paris, intervenu, dans un contexte historique particulier 26 et permettant l’octroi de baux emphytéotiques de 99 ans, à l’association diocésaine de Paris, pour un loyer réellement symbolique. Pour autant, cet accord, discriminatoire (même si des cultes autres que catholique en ont
profité par ricochet), et dont la licéité, au regard de la loi de 1905, est sujette à caution 27 ne peut servir de
fondement à un financement que la loi ne prévoit pas. La circonstance que, déjà, par le passé : « Le Conseil
d’Etat, (..), lorsqu’il a été sollicité pour statuer sur ce type de pratiques a, dans la plupart des cas donné raison à la collectivité locale.» (Etude de l'association « D'un monde à l'autre » et d'Omero Monrogiu Perria Roubaix 2005), n'aurait pas dû, en l'absence de carence du législateur, primer sur le droit. Aussi faut-il déplorer que l'église catholique ait obtenu la mise à disposition quasi-gratuite de terrains municipaux,
et non s'en réjouir. D'autant qu'en raison de sa position de culte majoritaire et paradoxalement de son refus
L’extrême droite n’a pas protesté lorsque l’association (loi de 1905) des Lefebvristes de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (grand
pourfendeur de la loi de 1905) a été autorisée par le Conseil d'Etat à recevoir des donations et legs en franchise de droits de mutation, sur
la seule considération de son objet exclusivement cultuel (arrêt CE du 29/04/2002, n°216850, FSSPX). Alors que l’octroi de cet avantage
implique aussi un respect renforcé de l’ordre public et qu’à l’époque, la FSSPX occupait illégalement deux églises appartenant à l’Etat (puis,
en octobre 2002, Guillaume de Tanoüarn, alors Vicaire de Saint Nicolas du Chardonnet, a été condamné pour incitation à la haine raciale).
A présent, les municipalités dirigées par le FN ou le MRP, pourront concéder quasi-gratuitement des terrains à la FSSPX, pour l'édification
de ses églises. peut être cela ralliera t-il les élus de ces partis à l'arrêt Dme V du Conseil d'Etat.
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25
«Le Conseil d'Etat dépoussière la loi de 1905» Dominique Albertini, Libération (version web) - 19/07/2011.
26
Après la formation du gouvernement de Léon Blum en juin 1936, le cardinal Verdier avait fait publier un communiqué appelant à «"la
paix sociale ». En effet : « L'arrivée de Blum au pouvoir déclencha une vague d'antisémitisme d'une très grande ampleur. Il fut haï et injurié
comme rarement ce fut le cas dans la vie politique française » (cf. wikipedia).
« Cet accord de 1936 ne figure ni au Journal Officiel ni à la Direction des Archives de France. Il y est fait référence dans des correspondances échangées, à l’époque, entre le ministre de l’Intérieur et le Préfet de la Seine au sujet des délibérations de conseils municipaux de
communes de l’agglomération parisienne ayant décidé la cession, à bail emphytéotique de 99 ans, de terrains à l’association diocésaine de
Paris en vue de la construction d’églises. Les instructions alors données par le ministre de l’Intérieur (sur les directives du président du Conseil) au préfet de la Seine ont été de ne pas faire opposition auxdites décisions municipales. Il s’agit là de la première entorse (..) au principe
fondamental de l’article 2 de la loi de la Séparation du 9 décembre 1905 aux termes duquel « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne
subventionne aucun culte », puisque ces baux emphytéotiques étaient, bel et bien, des subventions allouées par des communes au culte
catholique. La pratique de ces baux emphytéotiques s’est largement développée ensuite, en dehors de la région parisienne et au bénéfice,
non seulement du culte catholique, mais aussi d’autres cultes (protestant, israélite, musulman...). A l’expiration de ces baux emphytéotiques, c’est à dire à partir de 2035, la question se posera soit de leur reconduction, soit de l’intégration, dans le domaine public des communes, des édifices du culte ainsi construits depuis 1936. » (Liberté religieuse et régimes des cultes en droit français - Cerf, 1996). Il existe
une autre hypothèse, celle du rachat des terrains par les cultes concernés, car s'il y a intégration des constructions dans le patrimoine communal, leur utilisation par les cultes devra alors intervenir à titre onéreux et au prix du marché. La modicité de la redevance prévue pour les
BEA, ne se justifiant plus par de nouvelles constructions, ni, bien sur, par l'article 5 de la loi du 02/01/1907 (cf. note 28 ci dessous).
27
6
initial d'appliquer la loi de 1905, elle bénéficiait déjà d'une rente de situation, en matière immobilière 28. Nonobstant, on ne peut réparer les conséquences des atteintes faites par le passé à la loi de 1905, en les perpétuant par l'augmentation des financements publics aux cultes. Le statut actuel de la loi de 1905, en implique déjà assez (cf. note 8). Bien suffisamment, au regard de l'article 1 de cette loi
29.
La position du Conseil d'Etat peut être préjudiciable à l'ensemble des citoyens.
La loi n'a pas pour objet de satisfaire le besoin de spiritualité des citoyens qui, souhaitons-le, lui échappera
toujours.»
30 .
En écartant l'application de l'article 2 de loi de 1905, dont les termes, clairs et précis, ne prêtent
pas à interprétation, ni ne vont à l'encontre des droits fondamentaux, dans leur dimension universelle et indivisible, au contraire, le Conseil d'Etat, par l'arrêt Mme V, prend le risque ;
- d'affaiblir sensiblement la loi de 1905, qui pourtant permet pleinement à l'Etat français d'assumer son
rôle d' «organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances, de la
paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique » 31.
- de favoriser le clientélisme communautaire car si le Conseil d'Etat précise que la conclusion de BEA,
doit intervenir « dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité »,
tous les BEA ne peuvent, en pratique, être soumis au contrôle du juge administratif.
- de priver l'ensemble de la population de ressources publiques (même modiques, sur 99 ans, avec indexation, c'est à considérer 32 ) qui ont vocation à être affectées à ses besoins essentiels.
Ce qui ne va guère dans le sens de l'intention, manifestée par la haute juridiction administrative, de combattre les discriminations. A cet égard, la loi de 1905 n'a besoin ni d'être « toilettée », comme il a été dit
pour le rapport Machelon, ni d'être « dépoussiérée », comme on l'entend à propos de l'arrêt susvisé,
mais d'être, enfin, effectivement respectée.
Anne Demetz
Avocate au Barreau de Paris.
voir aussi ;
- Dictionnaire de la laïcité - Editions Armand Colin (2011)
- Site : Laïcité, Libertés, Cultes.
28
Les 60 000 églises en activité lors de la promulgation de la loi du 9/12/1905, qui n’ont pas été revendiquées dans le délai d’un an, sont
devenues la propriété de la commune qui les abritaient (loi de 1905, art. 9 -1) et la loi du 02/01/1907 (art. 5) a prévu la mise à disposition
gratuite de ces églises au culte catholique. Aujourd'hui, 95 % d'entre elles sont toujours des églises communales.
«La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans
l'intérêt de l'ordre public.»
29
30
Dominique Latournerie, Conseiller d’Etat (Aspects juridiques et politiques - «Affirmations juridiques» - Laïcité, secte et droit).
31
CEDH arrêts Refah Partisi/ Turquie du 13/02/2003 (req. nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98) et Kervanci et Dogru / France,
du 04/12/2008 (req. n° 31645/04 et n° 27058/05).
«..Il semble que la plupart des loyers des BEA soient fixés à au moins 5 % de la valeur vénale des terrains (3 % pour la construction de
logements sociaux), et indexés sur l'indice INSEE du coût de la construction Selon l’interprétation du ministère des Finances, il ne semble
pas possible de subventionner le preneur d’un BEA». ( «Le Bail emphytéotique administratif», Christine Drapp, «La Lettre de la Décentralisation » - 09/12/2008). Selon les données de la Chambre des notaires de France, publiées le 28/07/ 2011, les prix des terrains ont doublé
dans la majeure partie des régions françaises, depuis l’an 2000.
32