Art PDF2 - EIRONEIA

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3. LES PROBLÉMATIQUES DE L’ART
Figure 4abcde – « PURE PEOPLE » : l’Image [eikon] qu’est le Visage : Copie, Vérité, Portrait, Icône...
3.1 L’Art est Mimesis et Catharsis : Représentation et Purification expressive d’une réalité purement intérieure [cf. CDP 22]
(1) L’ART EST MIMESIS (IMITATION/REPRÉSENTATION)
C’est bien cela – que l’Art comme poiésis est un acte d’imitation (mimésis) – qu’affirme péremptoirement Aristote en T333 CDP 113, en
rencontrant apparemment l’opposition ferme de Platon en T334, CDP 100 ainsi que celle de Hegel en T331D CDP347.
Il n’est pas difficile, en effet, de s’opposer à une telle affirmation superficiellement appréhendée : dans quelle mesure, pouvons-nous
affirmer que M. Mc Curry, le photographe auteur de A life revealed [Fig.1c et 4e] est un « artiste » (un porteur de Génie et de Vérité etc.) car il
« imite » la « nature », c’est-à-dire la personne réellement existant, « façonnée par la Nature » dans le ventre de sa mère? Si la « mimesis » dont
parle Aristote n’était que ça – une copie d’une réalité extérieure déjà existante – eh bien Hegel aurait sans doute raison de dire qu’un tel « Art »
n’est qu’un combat humiliant et perdu d’avance. Ainsi que Platon aurait bien raison d’affirmer que les Artistes qu’il veut chasser de la
République ne font que copier une simple apparence : cette photo ne restitue en effet qu’l’une des façons dont la réalité vivante (A life…) de
cette fille, qui en elle-même est toute autre chose, nous apparait (…revealed). De même : où résiderait-il le génie de Picasso, qui non seulement
transforme, mais déforme la « forme » soi-disant « imitée » de sa « belle » [ ?] Marie-Thérèse ? Pire: qu’est-ce qu’il imite, au juste, Marcel
Duchamp en exposant la roue d’un vélo ou un urinoir ? Et Andy Warhol, avec sa Brillo box?
(1.1) « Il fut frappé d’une grande lumière » : la Représentation [eikon] comme intermédiaire entre l’Intérieur et l’Extérieur
Pour donner une réponse aussi satisfaisante que simple à des objections apparemment si définitives, nous ne devons finalement que
réorienter notre regard selon la suggestion qu’Aristote nous donne dans ce même texte, et en répétant ainsi, encore une fois, le geste que Kant
attribue en T7A à Thales le géomètre, lorsque ce dernier comprit que son esprit ne voyait dans les figures contemplées que ce que lui-même y
projetait dedans. Aristote en effet nous dit que : « Le rythme est l'unique élément d'imitation dans l'art des danseurs, abstraction faite de
l'harmonie. En effet, c'est par des rythmes figurés qu'ils imitent les mœurs, les passions et les actions… ».
Bref : si l’Art est Imitation – car l’Imitation, dit Aristote, est intrinsèque à la Nature Humaine – elle ne l’est que de ce qui se passe
dans l’intériorité de l’Homme… et « imiter » un phénomène purement intérieur grâce à une « figure » projetée à l’extérieur… eh
bien cela n’est que s’exprimer, donner une « représentation » de ce que notre âme est réellement en train de vivre, au fond de son cœur.
L’exmple parfait de cette circonstance est le Visage. Dirions-nous qu’un visage est l’image de la personne? Certes OUI! Dirions-nous
pourtant que comme il en est l’Image, alors il en est une copie? Certes NON!
Observons donc avec ces yeux « thalésiens » la photo de Mc. Curry, ou la roue de Duchamp : ce que nous voyons est certes une réalité
extérieure (une roue, une fille) mais en réalité nous ne la reperons comme une oeuvre d’art qu’en ce que nous la regardons avec les yeux des
artistes qui nous la présentent : nous absorbons – nous incarnons – bel et bien leur point de vue. Plus encore : nous ne regardons enfin que la
réalité intérieure de l’Artiste, grâce à la trace intentionnelle qu’elle laisse dans le monde externe sous forme de photo ou de n’importe quel autre
véhicule matériel.
La perception [aisthésis, d’où: Esthétique] d’une œuvre d’art est donc en même temps une contemplation du Monde Extérieur Objectif
avec les yeux d’un autre Sujet et une contemplation du Monde Intérieur d’un autre Sujet grâce aux « images » qu’il projette sur l’écran
du Monde Extérieur Objectif dans lequel nous vivons immergés.
Ce qui fait d’intermédiaire entre ces deux monde - Intérieur et Extérieur [cf. Kandinsky T336C] – est l’ « eikon »: la Représentation,
grâce à la quelle seulement Moi, je peux accéder à la Vérité des choses car c’est elle – la Faculté de Représentation (Eikasia, chez Aristote ;
Imagination chez Kant) – qui nous permet de raisonner sur leur Nature et leur Sens.
(2) L’ART EST CATHARSIS (PURIFICATION)
Et c’est bien ici, enfin, que nous trouvons la réponse aristotélicienne à l’Enigme freud/platonicien de Léonce [cf. Désir, Freud T219,
Platon T207] : dans les rêves, à la télé, dans nos obsessions… nous convoitons NON PAS la réalité mais bien les IMAGES des horreurs que
nous avons autrefois réellement vécues. La « névrose traumatique » dont parle Freud nous raconte en effet non pas d’un sujet qui veut revivre
l’évènement réel qui l’a choqué (la femme violée ne désire certes pas subir encore une fois cette même violence dont elle rêve pourtant chaque
nuit !) mais bien sa Représentation Imagée. Pourquoi ça ? Aristote nous répond avec une théorie non pas d’un soi-disant « Désir de Mort », mais
bien de la nature de la représentation comme expression de notre Désir de Vérité, c’est-à-dire de compréhension et de connaissance :
« Tout le monde goûte les imitations. La preuve en est dans ce qui arrive à propos des œuvres artistiques; car les mêmes choses
que nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l'exacte représentation, telles, par exemple, que les formes des bêtes
les plus viles et celles des cadavres. - Cela tient à ce que le fait d'apprendre est tout ce qu'il y a de plus agréable non seulement pour
les philosophes, mais encore tout autant pour les autres hommes ; seulement ceux-ci ne prennent qu'une faible part à cette jouissance.
Et en effet, si l'on se plaît à voir des représentations [eikonas] d'objets, c'est qu'il arrive que cette contemplation nous instruit et
nous fait raisonner sur la nature de chaque chose, comme, par exemple, que tel homme est un tel » [T333]
L’idée « cathartique » d’Aristote est donc simple : nous contemplons les images des mêmes réalités horribles en les projetant sans cesse sur
l’écran de notre Conscience Subjective car elles ne sont que la façon dont notre Raison s’auto-interpelle en cherchant le Sens de ce qu’il s’est
passé :
« POURQUOI UNE TELLE HORREUR? »
Figure 5 - E.Munch Le Cri (1895) ; P.Picasso Guernica (1937)
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Il faut bien remarquer que cette idée aristotélicienne de Représentation/Purification est une réponse difficilement refusable non seulement à
la théorie freudienne de la « névrose traumatique » (fondée sur l’idée que le rêveur névrosé désire la réalité et non pas essentiellement la
représentation de ce qu’il a subi) mais aussi, et réciproquement, la théorie freudienne de l’Art (T217A CDP 437) selon laquelle « les créations
de l’Artiste sont des satisfactions fantasmatiques de ses désirs inconscients ». Nous objections : ainsi que peut être Leonardo avec la belle
Gioconda, et Picasso avec la longue série de ses maîtresses… l’Artiste a bien souvent la très concrète possibilité de satisfaire ses désirs tout à fait
conscients ! Pourquoi les transformer et en l’occurrence les déformer – les pauvres… – de la sorte ? Nous dirons dès lors (avec Aristote et
Hegel) que l’Art purifie nos désirs, en manifestant leur vérité profonde.
(2.2) « Tu ne te feras pas d’images »
Platon – Il faut donc bien faire attention à ne pas mésinterpréter la position de Platon à propos de l’Art, en général. Penser que Platon est
contre l’Art en tant que telle, vaudrait ignorer Platon, qui bien au contraire se sert très très largement et profondément de l’Art (a) pour mener à
bien toute cette phase de l’éducation des citoyens (République Livres III-IV) qui précède l’arrivée des « études supérieurs » dans le Livre VII ;
(b) faire ainsi en sorte que des esprits que l’Art a éduqués à l’appréhension profonde et intime des réalités suprasensibles puissent parvenir à ces
Hautes Connaissances que tout objet artistiques cache en soi [T334D]. – En somme, de même Platon prétend que le futur Philosophe soit initié
aux mathématiques sous stricte condition de lui faire vivre cette activité non pas comme une savoir-faire technique et conventionnel, mais
comme une fréquentation explicite et rigoureuse de la Vérité (et cela grâce à la Prise de Conscience que les « idoles géométriques » apparaissant
sur la paroi de la Caverne ne sont que des projections du feu qui « là derrière » brûle dans notre cœur) de même il prétend que l’Art ne soit
surtout pas dépouillé de sa valeur fondamentale : celle d’être – comme le dit Mc Curry – « a life revealed » une révélation de la Vérité
intérieure et vivante de l’Ame.
Kandinsky – C’est bien ainsi que parle ce grand platonicien qu’était Vassili Kandinsky dans « Le Spirituel dans l’Art » du 1911 en T336A
« La peinture est un art, et l’art dans son ensemble n'est pas une vaine création d'objets qui se perdent dans le vide, mais une puissance qui a un
but et doit servir à l'évolution et à l'affinement de l'âme humaine, au mouvement du Triangle. Il est le langage qui parle à l'âme, dans la forme
qui lui est propre, de choses qui sont le pain quotidien de l'âme et qu'elle ne peut recevoir que sous cette forme » [CDP 469]. Nous comprenons
bien, sur cette base, qu’est-cela signifie l’ « Art Abstrait » : (a) l’intention de ne pas permettre à l’Ame – du créateur ainsi que du spectateur –
de se coller aux images de l’Art comme s’il s’agissait de copies des choses extérieures (T336B) plutôt que d’expressions éminentes et directes
de ses vérités intérieures.
Yahvé – Et finalement, c’est bien en ce sens que nous pouvons lire les deux passages de l’Exode en T335 ou un même Dieu de Vérité à la
fois interdit que l’on se fasse des « images » de n’importe quelle réalité qui nous entoure et rassemble à son service tous les talents artistique
d’Israël.
3.2 L’Art est Poiesis : production/façonnage d’une réalité purement subjective
Ce même mouvement de réorientation de l’Extérieur vers l’Intérieur doit être fait – évidemment, et comme nous l’avons déjà évoqué cidessus – en ce qui concerne la nature « poiétique » – de l’Art. Encore une fois: qu’y a-t-il d’artistique, au juste, dans une photo qui (1) ne
demande que de placer l’objectif où il faut le faire (ce qui n’exige aucune maestria comparable à celle que Leonardo ou Picasso avaient de leur
matériel et de leur mains...); (b) laisse absolument intact l’objet représenté: tel que la Nature l’a « fait ». Là aussi, la réponse est la même.
L’auteur de ces photos ne «sculpte» que son propre point de vue sur ce visage. Ce que nous observons n’est qu’un point de vue
suffisamment travaillé pour que cet objet matériel puisse le faire apparaître
Comme nous l’avons dit, la Nature peut sans doute régir à l’enfantement naturel de cette fille, mais elle ne peut aucunement faire le point de
vue qu’un homme – l’Artiste – occupe et exprime, de façon absolument subjective, par rapport à ce qu’il vit pendant qu’il la regarde. Ce que
nous contemplons lorsque nous regardons cette photo est donc le façonnage réussi d’une réalité purement intentionnelle : ce que l’auteur à
l’intention de nous faire connaître se sa perception subjective du monde
3.3 L’Art est poursuite de la Vérité (dans la Perspective du Sujet) …
Or l’Artiste – le vrai Génie – a toujours l’intention de nous dire la Vérité. Rappelons-nous bien de notre 9ème évidence partagée : la Guernica
ou Le Cri de Munch expriment sans aucun doute une Vérité. Il s’agit donc de pouvoir comprendre en quel sens elles le font, et pourquoi elles le
font si bien.
Tout d’abord, qu’est-ce qui pose problème ? Ce qui pose problème est
(A) d’un côté le rapport entre vérité et « ressemblance ». Et à cela nous avons répondu en montrant que la réalité « imitée » par l’Artiste
est celle de sa propre intériorité.
(B) De l’autre côté, même une fois que nous avons compris que l’objet représenté (imité) n’est pas que la réalité externe que le tableau
(ou le livre etc.) est censé restituer, mais bien plus essentiellement le point de vue subjectif que l’Artiste exprime sur cette même réalité,
eh bien là nous ressentons un contraste immédiat entre justement cette « subjectivité » et la « Vérité » que l’Artiste prétendrait exprimer
avec son travail.
Nul ne doute en effet que tout ce qui est « vrai » relève d’un jugement [cf. Vérité §2] qui, afin de réellement « correspondre » à une « vérité »
quelconque doit jouir d’une certaine « objectivité », dans le sens d’une universalité publiquement partageable et contrôlable.
Où donc le contraste apparent entre Art et Vérité? Bien sûr dans l’idée que celles du Subjectif/Individuel et celle Objectif/Universel soient
deux dimensions absolument exclusives l’une de l’autre, tandis que nous nous retrouvons encore une fois à l’intersection/coïncidence entre deux
polarités opposées d’une même réalité unitaire : celle de l’expérience humaine comme point de rencontre entre le Sujet et l’Objet.
Pourquoi en effet « point de vue subjectif » devrait nécessairement signifier «non universel » ?
Tout l’Art de la Renaissance [CDP 20, 21, 27] – comme Cassirer le montre dans son Individu et Cosmos dans la Philosophie de la
Renaissance du 1927 – n’a été en effet qu’une méditation ininterrompue sur la Perspective, c’est-à-dire sur ce qu’il y de loin a de plus
subjectif dans l’expérience humaine.
Or, une « perspective » peut bien signifier, en l’occurrence, un « trompe » l’œil … mais l’Optique même – la Science Universelle de la
Lumière – cherche et trouve dans le Miroir (c’est-à-dire dans un phénomène de pure et simple d’illusion d’optique d’origine strictement
subjective) toutes ses lois fondatrices ! Autrement dit : l’Œil perceptif ne se « trompe » – ne dit « faux » – que pour révéler – dire la Vérité sur –
les lois Universelles et Objectives qui habitent le Sujet de cette même perception « trompeuse » ! DONC Subjectivité Individuelle et
Objectivité Universelle ne sont aucunement en contraste, et ce que la Renaissance a découvert est la façon de faire parler cette Subjectivité
Universelle qui habite l’individu humain non seulement au niveau de la perception du monde émanant de ses sens, mais aussi de cette perception
purement « intelligible » qui émane de son Esprit [cf. CDP 21 et 23].
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Figure 6 Le Monde dans l’Optique de la Renaissance
Nous refuserons donc l’idée d’une vérité universelle et objective de l’œuvre d’Art dans la seule mesure où nous refuserons l’idée d’une
subjectivité universelle d’ordre non seulement sensible mais bien « intelligible » [= spirituel] capable de se manifester à travers la Perspective
que tout un chacun de nous individuellement projette dans le monde en n’y voyant enfin que Miroir de sa Vie intérieure.
3.4 L’Art dit l’individualité microcosmique de la personne et celle macrocosmique de son époque
Ce qui précède l’explique à la fois de nos 4ème, 5ème et 6ème « évidences partagées ». Si une Subjectivité Universelle d’ordre non seulement
sensible mais spirituel peut en effet se manifester à travers le « prisme » de l’Individu humain grâce à l’Œuvre d’Art, elle ne le fait qu’en
projetant sur l’écran du monde ce que cet individu a de plus individuel et intime à nous raconter à la fois de son histoire et de l’Histoire que
l’Humanité est en train de vivre comme un seul individu pendant l’Epoque d’où l’Artiste tire son inspiration. La signature de l’Artiste et celle de
son Epoque ne sont donc que deux expressions (microcosmique et macrocosmique) d’une seule et même Individualité Universelle : celle de
l’Humanité dans son cheminement culturel. C’est bien pour cette raison que toutes les Epoques de l’Histoire se reconnaissant non seulement
dans l’évidente vérité du Théorème de Pythagore mais aussi dans celle – évidemment belle – de l’Œdipe Roi de Sophocle.
3.5 L’Art est poursuite éducative de la Beauté et du Bien