Histoire de la psychothérapie en Pologne

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Histoire de la psychothérapie en Pologne
HISTOIRE DE LA PSYCHOTHÉRAPIE EN POLOGNE
L’histoire de la psychothérapie en Pologne, comprise comme l’emploi de moyens psychosociologiques dans un but thérapeutique, remonte à de nombreuses années, tout
comme dans les autres pays.
Durant des siècles, les actions de soins vis-à-vis des aliénés, qu’elles soient menées
par les guérisseurs ou par les médecins, ont été fondées sur l’influence psychosociale
des facteurs non spécifiques tels que la suggestion, comme beaucoup d’ouvrages médicaux en attestent. C’est ainsi qu’au xviiie siècle un médecin nommé Perzyna écrivait
à propos de l’importance de la relation médecin-malade et qu’au xixe siècle un autre
médecin, Jakubowski, à propos de l’influence curative du milieu thérapeutique dans
le processus de guérison. Les principes du traitement moral de Pinel puis de Morel
ont été promus par Szokalski et l’importance des facteurs psychiques en thérapie bien
mise en évidence par Biernacki. Les principes d’utilisation de la suggestion et de l’hypnose étaient déjà bien connus, en particulier grâce aux relations étroites avec la médecine française. De grands médecins polonais, tels Minkowski et Babinski étaient bien
connus tant en Pologne qu’en France.
Le développement de la psychothérapie stricto sensu débute en Pologne au xxe siècle. Comme partout ailleurs, c’est la psychanalyse qui a été la référence essentielle et
les promoteurs principaux de cette approche étaient M. Bornstein, B. Zawadzki, J. Frostig, T. Bilikiewicz ainsi que E. Sokolnicka. Comme on le sait, le sud de la Pologne était
rattaché à l’Autriche jusqu’en 1918 et il n’y a donc rien d’étrange à ce que d’assez nombreux médecins aient connu et propagé les conceptions de Freud, bien que, pendant
les premières années de diffusion, la psychanalyse n’ait pas été accueillie de manière
enthousiaste et qu’elle ait eu à faire face à plus de moqueries que de réflexions profondes. Pourtant, petit à petit, la psychanalyse a trouvé une place importante dans la culture et dans la psychiatrie polonaises.
Avec l’extermination des intellectuels polonais par les troupes d’occupation nazies,
en particulier pour ce qui est des intellectuels d’origine juive, les psychothérapeutes
polonais ont pratiquement tous disparu et après la Seconde Guerre mondiale il ne
restait plus que quelques personnes, en général pédagogues et psychologues associés
à la Société de l’hygiène psychique, animée par Kazimierz Dabrowski.
C’est au cours des années 1950 que sont apparus les premiers psychologues et psychiatres intéressés par la psychothérapie, essentiellement dans le cadre de la psychiatrie sociale et de la réhabilitation. À cette époque, la théorie de Pawlow faisait l’objet
d’une intense promotion et, bien que très politisée et idéologique, cette approche a
Psychiatries dans l’histoire, J. Arveiller (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 249-254
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renforcé l’intérêt pour l’influence de l’état psychique sur la santé corporelle. De plus,
cette idéologie, tout en insistant sur la primauté du milieu social et du groupe sur
l’individu, renforçait l’intérêt pour l’influence de la société sur la formation du psychisme. Paradoxalement peut-être, cela a créé les conditions du développement de la
psychothérapie moderne.
C’est dans la deuxième moitié des années 1950 que plusieurs centres de psychothérapie importants ont été créés, parmi lesquels la Clinique des névroses de l’Institut de
psychiatrie et neurologie de Varsovie où le professeur Stefan Leder a introduit la psychothérapie en référence à la théorie de l’apprentissage. À la même époque, à Raszrow
près de Varsovie, au centre de traitement des névroses, Jan Malewski anime une psychothérapie basée sur les théories psychanalytiques. De même, à Poznan, Tadeusz
Franckowiak fonde l’unité de psychothérapie des névroses. À Cracovie, dans le cadre
de la Clinique de psychiatrie, Antoni Kepinski propage l’approche psycho-sociale en
référence à la conception de Sullivan et la psychothérapie, tandis que Boguchwal Winid
propage l’approche psychanalytique. Ils introduisent dans la pratique quotidienne
diverses formes de psychothérapie, aussi bien de groupe qu’individuelle, surtout à
destination des psychotiques. Dans le cadre de la Clinique de psychiatrie de Varsovie,
l’intérêt est également dirigé de préférence vers les thérapies de groupe des psychoses.
C’est grâce à ces développements institutionnels et scientifiques que de plus en
plus de médecins et de psychologues s’intéressent à la psychothérapie. Les médecins
étaient avant tout des psychiatres issus des centres universitaires mais également des
médecins internistes qui développaient l’approche psychosomatique ainsi que des psychologues, pédagogues, sociologues, infirmières, etc.
La Société psychiatrique polonaise a joué un rôle particulier dans le développement de la psychothérapie, en permettant la coexistence de l’orientation biologique
et psycho-sociologique ainsi que l’approche multi-professionnelle en psychiatrie. Dans
cette société, psychologues, pédagogues et infirmières possédaient le même statut que
les psychiatres. Le meilleur exemple de cette ouverture théorique, ainsi que de l’activité professionnelle, a été représenté par le professeur Tadeusz Bilikiewicz qui était
déjà mentionné parmi des promoteurs de la psychanalyse. Il est également l’auteur
d’un manuel de psychothérapie pour les généralistes, tout comme il était la plus grande
autorité dans l’approche biologique en psychiatrie. C’est dans le cadre de cette société
médicale qu’a été créée en 1960 la section scientifique de psychothérapie. Quelque
temps plus tard, a été fondée la section de psychothérapie des enfants et adolescents
sous les auspices de la Société de l’hygiène psychique. À cette époque, les psychologues
étaient plus nombreux parmi les psychothérapeutes.
La position de la Société psychiatrique polonaise a probablement influé sur la
spécificité du développement de la psychothérapie polonaise durant les années 1960
à 1970. Cette période se caractérisait par une coopération étroite des médecins et des
psychologues qui était bien différente de l’atmosphère d’antagonismes réciproques et
de rivalités de groupes professionnels qui régnaient dans d’autres pays à cette époque.
Dès 1974, tous les membres de ces sociétés prenaient part aux symposia nationaux.
Cette coopération s’exprimait en particulier dans le domaine de la formation des psy-
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chothérapeutes, sur les questions d’éthique professionnelle mais aussi à propos des
problèmes administratifs. En dépit de la création de la deuxième section de psychothérapie dans le cadre de la Société psychologique polonaise en 1998 et en même temps
celle d’une section scientifique de thérapie familiale dans le cadre de la Société psychiatrique polonaise, la rivalité entre les professions n’était pas en général de mise.
L’un des événements les plus importants pour la psychothérapie polonaise a été la
participation d’un grand groupe de thérapeutes aux congrès de la Fédération internationale de psychothérapie à Oslo en 1972. À cette époque où l’on parlait d’antipsychiatrie
et où la psychologie humaniste progressait, une confrontation intense des différents
points de vue a provoqué une révolution intellectuelle considérable et l’augmentation
des connaissances des psychothérapeutes. La formation des psychothérapeutes mise
sur pied par la section de psychothérapie dans les années 1960-1970 est devenue de
plus en plus intense et a été constamment enrichie par de nouveaux programmes. Le
développement de la psychothérapie a été accéléré également par la création en 1972
d’une revue trimestrielle spécialisée, Psychotherapia, ainsi que par une coopération
étroite entre les psychothérapeutes des états « socialistes » (le premier symposium
commun a été organisé en 1973). La participation de psychothérapeutes tchèques, en
particulier le professeur S. Kratochvil, au processus de formation a été très précieuse.
Le soutien considérable de la Société psychiatrique polonaise l’a facilité ainsi que la
participation des psychothérapeutes polonais aux stages et aux formations à l’étranger, en particulier dans les pays d’Europe occidentale et aux États-Unis. C’est ce qui a
permis aussi la participation de psychothérapeutes polonais à plusieurs organisations
psychiatriques mondiales telles que, par exemple, l’International Federation of Psychiatry et l’International Society of Group Psychotherapy. Ce soutien facilitait également l’organisation de conférences et d’ateliers présentés par Allan Bergin, Elmar
Brahler, Roland Broca, Léon Chertok, Jérôme Frank, Victor Frankl, Astrid Heiberg,
William Hill, Carl Rogers, etc. Ces échanges théoriques et pratiques ont permis d’entretenir des rapports étroits avec les pratiques psychothérapiques dans le monde. Dans
la section de psychothérapie de la Société psychiatrique ont été formés des groupes
engagés dans l’enseignement et la pratique de divers courants théoriques et diverses
approches techniques, dont la thérapie comportementale, la dynamique de groupe,
le psychodrame, la musicothérapie, l’analyse transactionnelle, l’hypnose, etc.
Bien évidemment, durant la vingtaine d’années s’écoulant entre 1960 et 1980, diverses approches psychothérapiques étaient en vogue. Pendant plusieurs années l’approche
humaniste a dominé et dans son ombre se développaient des approches existentialistes
ainsi que diverses formes de thérapies orientées vers le fonctionnement des groupes
sociaux et vers la communication inter-personnelle. Durant cette période, le comportementalisme ainsi que l’approche psychodynamique ont été placés au deuxième rang.
Le développement de la psychanalyse était très difficile, malgré le soutien de collègues tchèques et hongrois qui appartenaient à des pays où le courant psychanalytique était constamment fort. L’une des causes de cette situation a été l’émigration de
plusieurs personnes formées dans des centres hors de la Pologne. L’autre cause a été
la rupture inattendue liée à la diffusion des idées de Jacques Lacan dans les milieux
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universitaires, faite par l’École freudienne de Paris. De plus, des analystes polonophones
ont été invités à pratiquer des analyses didactiques en Pologne mais, quelques années
plus tard, il a été constaté qu’ils n’avaient pas le droit formel de le faire. Ces événements
ont été beaucoup plus destructeurs pour le développement de la psychanalyse en Pologne que les problèmes idéologiques et politiques, sur lesquels on insiste souvent. La
psychanalyse n’a été ni prohibée ni persécutée, mais comme avant la Seconde Guerre
mondiale elle n’a pas joui à cette époque d’une grande sympathie ni de considération.
Il faut souligner enfin que Katarzyna Walewska, formée comme analyste en France, a
créé le premier groupe de psychanalyse dans le cadre de la section de la psychothérapie
de la Société psychiatrique.
Dans la décade suivante se développent surtout les approches psychodynamiques et cognitives, l’analyse transactionnelle et le psychodrame (soulignons le mérite
de Grete Leutz et de Sonia et Helmut Beloch) ainsi que l’approche psychosomatique,
l’hypnose (y compris l’hypnose éricksonnienne) et la gestalt. L’intérêt a été porté, pour
ce qui est de la recherche, dans un premier temps sur le processus thérapeutique et les
effets de la psychothérapie. Les principes de la formation des psychothérapeutes ont
été modifiés pour exiger une formation intégrée en quatre approches principales : psychodynamique, cognitive, humaniste et systémique, aussi bien en approche de psychothérapie de groupe qu’individuelle, à destination des malades névrosés, psychotiques
et autres. À ce moment-là, les démarches de l’Association européenne des psychothérapeutes étaient importantes dans le soutien à la détermination des standards homogènes de la formation des psychothérapeutes.
En 1991, la Société psychiatrique polonaise a décidé de créer le certificat de psychothérapeute puis le certificat de superviseur de psychothérapie. Tous deux exigeaient
outre une formation adéquate, une présentation des qualifications auprès d’une commission composée de psychothérapeutes enseignants universitaires. En 1993, la Société
psychologique polonaise a donné aussi des certificats valant autorisation de pratiques
pour les personnes formées par cette société.
La psychothérapie est devenue un enseignement universitaire non seulement
dans les facultés de psychologie mais également de médecine. En 1993, la faculté de
médecine de l’université Jagellonne à Cracovie a introduit un enseignement facultatif
sur les bases de la psychothérapie et en 1994 sur la psychanalyse. Depuis 1998, chaque
année la chaire de psychothérapie organise une conférence internationale de psychanalyse. En 1997, la psychothérapie est devenue l’un des cours obligatoires dans cette
université et en 1998 a été fondée dans cette faculté la chaire de psychothérapie. Plus
tard, d’autres universités de médecine, comme en Silésie par exemple, ont fondé des
chaires réunissant psychiatrie et psychothérapie.
La conséquence importante de cette position de la psychothérapie en médecine
a été une modification de la proportion entre psychologues et psychiatres psychothérapeutes. Actuellement, les proportions sont de 40 % de médecins, en principe
psychiatres, 40 % de psychologues et 20 % de pédagogues et infirmiers. Le courant
de psychothérapie dans le cadre de la médecine est considéré comme une thérapie
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spécialisée, nécessaire particulièrement au traitement des névroses, des troubles des
personnalités et des troubles affectifs.
Hors de la psychothérapie telle qu’elle était, l’approche psychothérapique s’est vue
également appréciée dans divers autres registres. De plus en plus souvent, aussi bien
dans les soins ambulatoires que dans les unités hospitalières (pas seulement dans les
services de psychiatrie), sont engagés des psychologues et des infirmières chargés de
veiller aux conditions psychosociales optimales du traitement. Durant les vingt dernières années, dans le courant psychosomatique s’est développé intensivement le mouvement Balint.
Dans le même temps se développaient diverses formes d’aide aux personnes saines en difficulté existentielle : communication interpersonnelle, approche des situations de crise, développement de la connaissance de soi, etc. Cette aide à l’individu en
difficulté existentielle est devenue un champ d’action de la psychanalyse avec un succès remarquable. Le Study Group de Varsovie, fondé à la fin des années 1990, a obtenu
l’autorisation de l’International Psychoanalytical Association et compte de nombreux
membres. Les diverses approches d’aide dans le processus d’intégration des personnels comme dans l’abord des situations de crise ainsi que des groupes de soutien pour
les alcooliques et leurs familles, tout comme pour les malades chroniques et les invalides, sont devenus de plus en plus populaires. Ces formes d’aides psychosociales qui
se réfèrent aux approches humanistes autrement dénommées psychothérapies, relèvent avant tout de pratiques privées ainsi que d’entreprises menées par des psychologues.
Voilà pour l’histoire de la psychothérapie Polonaise au xxe siècle. Et maintenant
je voudrais présenter quelques remarques sur l’histoire la plus récente.
Actuellement, la section scientifique de psychothérapie de l’Association psychiatrique polonaise associe plus de mille psychothérapeutes dont environ 400 possèdent
déjà des certificats (environ 80 d’entre eux possèdent des qualifications et certificats
de superviseur). Plus de 500 participent à une formation de quatre ans en cohérence
avec les standards actuels de l’ECP, dans onze centres autorisés par le Conseil commun des sections de psychothérapie et dans ceux de thérapie familiale. Le progrès est
important.
Mais d’autre part, l’introduction en Pologne des principes du marché libre et du
remboursement du traitement par des sociétés d’assurance génère des problèmes et
des événements défavorables. Les praticiens sans qualifications adéquates deviennent
de plus en plus nombreux et ils ont créé plusieurs petites sociétés offrant des attestations de leurs « compétences ». C’est d’autant plus facile que n’existe jusqu’à présent
aucune législation concernant la psychothérapie et les qualifications des psychothérapeutes. En même temps, en Pologne, ce sont seulement les médecins qui ont le droit
formel d’entreprendre un traitement, les autres, psychologues en particulier, ne peuvent agir que sur leurs ordres. Le remboursement de cette activité est assuré sans considération de la personne qui apporte l’aide pour ce qui est des patients, mais l’aide aux
personnes saines, apportée par les psychologues, ne fait l’objet d’aucun remboursement. Tout cela est une occasion de conflit, et de questions : la psychothérapie est-elle
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un instrument de traitement et de prévention ou bien de conseil et d’aide psychosociale ? La situation de la psychothérapie polonaise s’est-elle récemment compliquée
comme dans d’autres pays d’Europe ?
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Références bibliographiques
Aleksandrowicz J.W. (1983), « Group Psychotherapy in Poland », in H. Kaplan et B. Saddock
(éd.), Comprehensive Group Psychotherapy, Baltimore – Londres, Williams & Wilkins.
Aleksandrowicz J.W. et Siwiak-Kobaysahi M.M. (2002), « Psychotherapy in Poland », in
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Aleksandrowicz J.W. (2005), « Psychotherapy and counselling », International Journal of
Psychotherapy, vol. 9, 1, p. 15-20.
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Leder S., Czabala C., Siwiak M. et Aleksandrowicz J.W. (1987), « Psychotherapy in Poland », Journal of Integrative & Eclectic Psychotherapy, 6, p. 88-95.
1.
Professeur Jerzy Aleksandrowicz et Dr Jerzy Sobanski, chaire de psychothérapie de la faculté de médecine
de l’université Jagellonne ; [email protected].