Chronique Télévision
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Chronique Télévision
Chronique Télévision Al Manar, écran noir ? Par Linda Combe, Etudiante en Ma ste r Droit et Métiers de l ’Audiovisuel 1 Al Manar est une chaîne de télévision arabophone fondée en 1991 et proche du Hezbollah. Il s’agit d’une chaîne libanaise profondément antisioniste, anti-israélienne et antisémite. Propriété de la société Lebanese Communication Group, elle émet vers l’Europe via la société de droit français, Eutelsat. Cette dernière a mis une partie de la capacité de diffusion de son satellite Hotbird 4 à la disposition d’un autre opérateur : Arabsat dont plus du tiers des parts est détenu par l’Arabie Saoudite. Arabsat a loué un « transpondeur » à Eutelsat pour y être plus facilement accessible en Europe : il s’agit d’un émetteur qui lui permet de diffuser un bouquet de neuf chaînes de télévision. En plein ramadan (octobre et novembre 2003) Al Manar a diffusé un feuilleton syrien s’inspirant du Protocole des Sages de Sion, dénommé Al Shatat (l’exil) ou Diaspora, et donc susceptible d’être qualifié d’antisémite car le scénario du feuilleton s’inspire largement des mythes conspirationnistes européens : complot juif mondial pour dominer le monde. Dans un épisode Rothschild mourant y appelle les juifs à dominer le monde par le pouvoir, l’argent et le sexe. Dans un autre, un rabbin fait égorger un enfant chrétien afin de recueillir son sang pour fabriquer du pain azyme. C’est le Président du conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qui a alerté les pouvoirs publics. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) s’est déclaré rapidement impuissant et s’est trouvé posé le problème du contrôle des chaînes satellitaires diffusées sur le territoire national. En effet, il serait injuste et illusoire de demander au seul CSA de contenir la guerre des images qui fait rage dans le monde. Ce débat autour d’Al Manar présente au moins le mérite de mettre en évidence la difficulté de la régulation à l’échelle internationale. Ce n’est pourtant pas la première fois que le CSA était confronté à ce genre de problème. Le Président de la section du contentieux du Conseil d’État, déclaré compétent en la matière grâce à le modification de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication audiovisuel par celle du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques, a donné ordre aux services satellitaires d’interrompre la transmission du signal par lequel est assurée la diffusion des contenus litigieux. La portée de l’injonction adressée à Eutelsat se trouve cependant limitée par le fait que ce système satellitaire dépendant de la France n’est pas le seul par lequel on peut couvrir le territoire national. Face aux télévisions sans frontières et dans l’attente d’un hypothétique droit international en la matière, apparaissent les limites du CSA français mais aussi les limites des droits nationaux. Il convient donc de s’interroger sur les difficultés de la régulation à l’échelle internationale, en effet, comment neufs sages pourraient contenir l’avalanche des chaînes de télévisions des pays belligérants (I). De plus, dans l’attente d un hypothétique droit international en la matière, il convient d’envisager les difficultés techniques liées à l’interruption de la diffusion d’un bouquet de neufs chaînes (II) 2 I) L’avalanche des chaînes de télévision de pays belligérants sur neuf sages Al Manar emprunte pour sa diffusion une « capacité satellitaire relevant de la France », ce qui la soumet donc au droit français. Or les articles 1er et 15 de la loi du 30 septembre 1986 interdisent la diffusion d’émission contraire à la dignité de la personne humaine et à l’ordre public et notamment celles antisémites ou incitant à la haine raciale et religieuse. Deux entités distinctes étaient en cause : la Lebanese Communication Group, éditrice des programmes de la chaîne de télévision Al Manar et la société de droit français Eutelsat qui par le relais d’Arabsat en permet la réception sur le territoire national, ce qui rend théoriquement le droit français applicable. Face aux télévisions sans frontière et en envisageant la situation d’Al Manar (A) puis celle d’Eutelsat (B), apparaissent les limites du droit français. A) Situation d’Al Manar et limites du droit français Conscients de l’impuissance du CSA à l’égard d’Al Manar, les pouvoirs publics ont réaménagé le référé audiovisuel de la loi de 1986 pour faire cesser sa diffusion par le juge administratif. La mise en œuvre de cette nouvelle procédure dans l’ordonnance du 20 août 2004 va pourtant conduire le juge à laisser un sursis à Al Manar, illustrant donc l’impuissance du CSA face aux chaînes satellitaires extra européennes (1). De plus, la chaîne aurait dû être conventionnée par le CSA pour pouvoir être légalement diffusée. Al Manar n’avait pourtant jamais fait de demande de conventionnement Toujours est-il que par l’ordonnance du 20 août 2004 rendue par le Président de la section du contentieux du Conseil d’État, il avait été posé que la chaîne devait déposer un dossier de conventionnement auprès du CSA qui lui accordait son agrément le 19 novembre 2004. C’est cette convention présentée comme « rigoureuse » qui permettait la soumission d’Al Manar au contrôle et pouvoir du CSA (2). 1) Impuissance du CSA face aux télévisions sans frontières Face à Al Manar, le CSA s’est déclaré impuissant, la loi ne lui donne en effet aucun pouvoir de sanction contre les chaînes diffusées par satellite et qui n’ont pas signé de convention avec lui. Ce serait le cas de plus d’une centaine de chaînes aujourd’hui diffusées sur Eutelsat. Aux termes de l’article 43-4 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, les chaînes établies hors de l’Union Européenne mais utilisant une capacité satellitaire relevant de la France, doivent être conventionnées par le CSA. Certaines sollicitent leur conventionnement mais il s’agit d’une très petite minorité car toutes ne veulent pas prendre le risque de se voir opposer comme Medya TV un refus de conventionnement (CE 11février 2004 Société Medya TV). Le CSA est donc désarmé ; il peut tout au plus saisir le Procureur de la République afin que la chaîne soit condamnée, c’est d’ailleurs ce qu’il fit la 13 janvier 2004 mais sa plainte est encore en cours d’instruction. Il s’est enfin tourné vers les pouvoirs publics et le gouvernement a étendu le pouvoir d’investigation et de sanction du CSA en introduisant un amendement au projet de loi relatif aux communications électroniques, qui modifie le référé audiovisuel de l’article 42-10 de la loi de 1986 pour permettre au CSA d’être épaulé par le juge administratif dans sa lutte contre les messages incitant à la haine raciale et religieuse. 3 Le juge va pourtant adopter une position conciliante dans l’ordonnance du 20 août 2004. Solution qui découle de la volonté de privilégier la liberté de communication face à la censure directe. Cette ordonnance illustre bien le décalage grandissant qui existe entre la consolidation croissante du pouvoir répressif du CSA et la régulation souple qu’il pratique dans les faits. 2) La convention « rigoureuse » d’Al Manar Dans l’ordonnance de référé du 20 août 2003, il avait été posé que « à défaut de présentation par Al Manar, avant le 1er octobre 20004 d’un dossier complet de demande de convention avec le CSA, Eutelsat devra faire cesser le 30 novembre 2004 au plus tard, la diffusion sur ses satellites des services de télévision d’Al Manar ». De plus, « dans le cas de rejet par le CSA d’une demande présentée par Al Manar, Eutelsat devra faire cesser la diffusion sur ses satellites des services de télévision d’Al Manar dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle aura reçu la notification par le CSA de cette décision ». Al Manar déposait dans les délais prescrits un dossier de demande de conventionnement auprès du CSA qui lui accordait son accord et la convention fut signée le 19 novembre 2004. Présentée comme « rigoureuse », elle était entourée de conditions draconiennes, conclue pour un an seulement, elle interdisait notamment à la chaîne de diffuser « des programmes susceptibles d’entraîner des troubles à l’ordre public ». Elle comporte également un chapitre d’obligations déontologiques dont les principes généraux sont : - Ne pas porter atteinte à la dignité de la personne ; - Ne pas inciter à la haine, à la violence ou à la discrimination pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité ; - Ne pas encourager des attitudes de rejet ou de xénophobie. Le CSA annonçait qu’il allait mettre en place un dispositif continu de surveillance par des observateurs arabophones qualifiés et assermentés. La signature de cette convention a provoqué une vive émotion. Le Président du crif écrivait à Dominique BAUDIS (Président du CSA) en dénonçant « les incohérences » de sa décision estimant qu’Al Manar n’avait pas sa place dans le Paysage Audiovisuel Français (PAF). L’affaire prenait un retentissement international. Toujours est-il qu’Al Manar, grâce à la convention se trouvait théoriquement soumise au contrôle du CSA. Étant précisé qu’aux termes de l’article 42-1 de la loi de 1986, après une mise en demeure, le CSA peut prononcer : - La suspension de l’édition ou de la distribution des services en cause ; - La réduction de la durée de l’autorisation ou de la convention ; - Le retrait de l’autorisation ou la résiliation unilatérale de la convention. L’article 15 de la même loi assigne au CSA le soin de veiller « à ce que les programmes ne contienne aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité ». De tels contenus sont constitutifs d’infraction de diffamation ou d’incitation à la haine raciale ou à la discrimination au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et sont donc susceptibles d’engager la responsabilité de leurs auteurs sans que l’on ait de garanti de voir exécuter à l’étranger les décisions prononcées par des juridictions françaises. Bien que le contenu de certains de ses programmes en soit la cause, ce n’était pas Al Manar qui était directement visée par le juge administratif, car conscient des limites de notre droit interne à l’égard des programmes d’une société de télévision étrangère, c’est contre Eutelsat, société de droit français que le juge administratif a préféré agir. 4 B) Situation d’Eutelsat et limites du droit français Les mesures susceptibles d’être prises par les institutions françaises à l’encontre d’Al Manar n’ayant que peu de chance d’aboutir, c’est contre Eutelsat qu’il est apparu nécessaire d’agir. En réalité, heureusement qu’il y avait la société de droit français Eutelsat. Cette dernière, utilisant une capacité satellitaire relevant de la France, est soumise au droit français quelque soit l’origine des programmes dont elle assure la diffusion. C’est ce fait, essentiel en droit de la communication, de réception sur le territoire national qui rend le droit français applicable. Avec la modification de l’article 42-10 de la loi de 1986 sur le référé audiovisuel, des pouvoirs importants sont conférés au juge administratif « bras séculier du régulateur » (Julien Saint Laurent) (1), qui ordonnera à Eutelsat, suite à de nouveaux manquements de la chaîne, d’interrompre la diffusion d’Al Manar sur ses satellites, ce que confirmera le Conseil d’État le 6 janvier 2006 (2). 1) Le Conseil d’État, bras séculier du régulateur Le référé audiovisuel est une procédure spécifique apparue en 1986 avec la Commission Nationale de la Communication et des Libertés. Elle permet au Président du CSA de saisir le Président de la section du contentieux du Conseil d’État de tout manquement d’un opérateur au « bloc de légalité audiovisuel » (Ch. Debbash note sur CE ord. Réf 21 septembre 1988 CNCL c/ TF1 D., 1989 jur, p 125.) Certains craignaient qu’il ne soit tombé en désuétude. Les termes de l’article 42-10 sont aujourd’hui codifiés à l’article 553-1 du Code de justice administrative. Selon ces dispositions : en cas de manquement aux obligations de la loi du 30 septembre 1986 et pour l’exécution des missions du CSA, son Président peut demander au Président de la section du contentieux du Conseil d’État qu’il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets. Cette procédure n’a guère été utilisée depuis 1889, pour l’exemple le plus récent ; CE ord ref 27 mars 2003 CSA et Société TF1 (injonction adressée à TF1 dans le délai d’un mois de la notification de l’ordonnance d’avoir cessé d’émettre sur certaines fréquences et de continuer à émettre sur de nouvelles fréquences autorisées par le CSA). Suite à l’affaire Al Manar, ce référé peut être utilisé pour faire « cesser la diffusion, par un opérateur satellitaire, d’un service de télévision relevant de la France et dont les programmes portent atteinte à l’un au moins des principes ». Cette procédure confère donc au Conseil d’État, en particulier au Président de la section du contentieux, des pouvoirs importants. Pour autant, ces pouvoirs sont inhabituels et le juge administratif paraîtrait plus à l’aise dans son rôle s’il devait contrôler la décision d’interruption de diffusion prise par une autorité publique. « Attribuer au juge administratif une telle compétence paraît peu conforme aux principes de répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions » (Emmanuel Derieux). Mais supposée répondre à l’urgence plus rapidement que le CSA, la mesure ordonnée se veut surtout plus efficace. On pourrait imaginer selon la proposition du député UMP, Pierre Lellouche, que la décision soit prise par le ministre de l’intérieur mais quand on sait que les pouvoirs de ce dernier à l’encontre des publications écrites étrangères qui lui étaient conférés par la loi du 29 juillet 1881, ont été abrogé le 4 octobre 2004, il est difficile d’envisager de lui confier de tels pouvoirs. Le CSA a saisi le Conseil d’État une nouvelle fois, suite à de nouveaux manquements de la chaîne mais cette fois-ci le Conseil d’État va donner raison au CSA grâce à un cadre juridique en grande partie renouvelé. 5 2) L’interruption de la diffusion de la chaîne Relevant plusieurs manquements graves, en particulier une revue de presse diffusée le 23 novembre 2004, quatre jours après le conventionnent de la chaîne, au cours de laquelle un intervenant s’élevait contre « les tentatives sionistes pour transmettre des maladies dangereuses à travers les exportations aux pays arabes comme le sida ». Le CSA adressait à Al Manar une mise en demeure et saisissait le Conseil d’État en référé d’une demande d’interdiction de diffusion. Le Président Bruno Genevois, comme le Président Daniel Labetoulle en août, présente d’abord les dispositions législatives applicables. Il estime ensuite que prises dans leur ensemble, les émissions diffusées sur la chaîne Al Manar « s’inscrivent dans une perspective militante qui comportent des connotations antisémites ». Il est enjoint à Eutelsat de faire cesser dans un délai de 48h la diffusion sur ses satellites des services de télévision d’Al Manar. Cette injonction est assortie d’une astreinte élevée à 5000 par jour de retard. Toutefois la chaîne libanaise ne détient pas le monopole de ce genre de dérive, mais elle s’en distingue que parce que la lutte radicale contre l’État Israélien constitue une part essentielle de son engagement et domine la grande majorité de ses programmes. Le CSA a en réaction résiliée la convention, qui interdisait notamment à la chaîne la diffusion de messages incitant à la haine raciale. Reporters sans frontière avait protesté à l’époque contre l’interdiction pure et simple de ce média tout en condamnant les propos antisémites tenus à l’antenne. Le Conseil d’État a examiné la requête présentée par Me Denis Garreau, l’avocat d’Al Manar. Cette dernière demandait l’annulation de la décision unilatérale du CSA jugée impartiale et politique. Le Conseil d’État a confirmé l’interdiction définitive de la chaîne en France dans un jugement publié le 6 janvier 2006. Le Crif a exprimé sa satisfaction et le ministre de la communication Renaud Donnedieu de Vabres s’est dit « très fier que la France déclare interdits de séjour des propos racistes ». Par ailleurs, dans son éditorial, Libération estime que l’interdiction de la chaîne est « symbolique, ce qui ne veut pas dire inutile ». L’interruption de la chaîne aurait pu entraîner des difficultés techniques car comme bien souvent les défis que posent les techniques sont inopérants avec le droit de la communication. 6 II) Les difficultés techniques liées à l’interruption de la diffusion d’un bouquet de neufs chaînes L’interruption de la diffusion d’Al Manar aurait pu entraîner des difficultés techniques, en effet, Al Manar fait partie d’un multiplexage de neuf chaînes comprenant également la télévision nationale du Qatar, d’Arabie Saoudite, de Libye, du Soudan, du Koweït, d’Oman, d’Égypte… Et la cessation de la diffusion de cette chaîne aurait pu conduire Eutelsat à interrompre la diffusion de l’ensemble des neufs programmes en cause. Heureusement pour Eutelsat, c’est Al Manar qui a demandé à Arabsat de la retirer du signal envoyé à Eutelsat. La portée de l’injonction adressée à Eutelsat se trouve cependant limité car bien d’autres programmes arabophones reproduisent à l’identique ce type de dérive et comme l’a souvent dit le Président du CSA, Al Manar est un arbre qui cache la forêt (A). De plus, les programmes d’Al Manar dont on prétend empêcher la diffusion, continuent d’être reçus par d’autres canaux qui échappent à la compétence du CSA, ce qui fait d’Al Manar, la chaîne qui ne sera jamais invisible (B). A) Al Manar ou l’arbre qui cache la forêt La chaîne libanaise est, selon Dominique Baudis, un arbre qui cache la forêt des autres chaînes venues du Proche et Moyen Orient et qui souvent posent les mêmes problèmes. La télévision est selon certains, une nouvelle voie d’expression pour les terroristes, face à cet argument, on peut se demander si la télévision n’est elle pas victime de l’amalgame qui existe entre religion et terrorisme (1) ? Pour résoudre ces difficultés pourquoi ne pas envisager la création d’une instance de régulation internationale qui permettrait de concilier la liberté de réception avec le respect de l’ordre public de chaque État (2) ? 1) la télévision, victime de l’amalgame entre religion et terrorisme ? Les attentats du 11 septembre 2001 contre New York et Washington révélèrent au monde entier l’existence de la chaîne Al Jezira née dans la capital du Qatar ; CNN n’était plus seule sur les écrans du monde et la « CNN arabe » avait l’exclusivité des messages du réseau terroriste Al Qaida. Al Jezira était la seule chaîne autorisée par les talibans à filmer en Afghanistan et constituait donc une nouvelle voie d’expression pour les terroristes. La communication immédiate a donc vaincu l’espace et le temps. Cette abolition des distances paraissait conduire au rapprochement des peuples. Nous voici pourtant maintenant confronté à la planétarisation de la haine : le temps est venue des fanatiques sans frontière. L’exemple très récent des caricatures de Mahomet est révélateur du divorce qui demeure en Islam entre liberté de conscience et liberté d’expression. Les mesures susceptibles d’être prises ne peuvent l’être qu’au cas par cas, de façon à posteriori à la suite du constat d’une violation des dispositions légales mais surtout en tenant compte du contexte. Le 19 novembre 2004, le CSA autorisait le conventionnement d’Al Manar, estimant sans doute que la jurisprudence Medya TV n’était pas transposable en l’espèce. Dans le cas de la chaîne kurde, proche du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la décision du CSA et du Conseil d’État s’était fondée sur l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes établies en mai 2002 par l’union européenne. 7 Or le Hezbollah ne figurant pas sur cette liste, un éventuel refus de conventionnement aurait pu être attaqué par Al Manar devant le Conseil d’État. À écouter certains, la décision du CSA serait une conséquence de la raison d’État, sur fond de pression international dans un contexte d’otages français en Irak, possible en effet, car le Liban aurait pu favoriser la libération des otages Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Le 17 décembre 2004, le département d’État des États-unis a annoncé avoir placé Al Manar sur la liste des organisations terroristes et l’ont à leur tour interdite de diffusion. Al Manar n’est pourtant pas la seule chaîne qui diffuse des programmes susceptibles d’être qualifiés d’antisémites. Ces dérives sont reproduites à l’identique sur bien d’autres programmes arabophones notamment égyptiens (Dream TV) et iraniens (Iqra TV), mais dès que le CSA peut agir il le fait sans hésiter. C’est ce qu’il fit notamment le 10 février 2005 : Sahar 1, chaîne iranienne, diffusée par la société Eutelsat sans conventionnement du CSA, a diffusé en décembre 2004 et janvier 2005 le feuilleton Al Shatat. Le CSA a estimé que la diffusion de ce feuilleton était d’autant plus choquante qu’une précédente diffusion sur Al Manar avait suscité une vive émotion en France. La société Eutelsat a été mise en demeure « de cesser la diffusion du service de télévision Sahar 1 dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision ». De même, Al Alam, autre chaîne iranienne arabophone, a elle aussi diffusé le feuilleton Al Shatat. Le CSA a là encore déposé plainte auprès du parquet de Paris en juillet 2004 mais n’a pas saisi à ce jour le Conseil d’État d’une demande d’interdiction de diffusion prenant pour référence l’ordonnance du 20 août 2004. La fin de l’affaire Al Manar n’apporte en réalité aucune réponse aux problèmes des chaînes satellitaires extra européenne qui ne relèvent de la compétence d’aucun État membres, soit que l’exploitant ne soit pas établi dans la communauté européenne, soit que la chaîne en cause utilise une capacité satellitaire ne relevant d’aucun État membre. Par ailleurs, le 7 janvier 2006, le Hamas a lancé une chaîne de télévision dénommée « Al Aqsa » suivant « la même ligne que la télévision du Hezbollah » selon un des leaders du Hamas et comme elle, elle diffusera des messages au peuple palestinien. C’est la première fois que le Hamas qui appelle à la destruction d’Israël lance une chaîne de télévision dans la bande de gaza. La télévision devient donc le moyen privilégié de répandre son message politique au-delà du territoire de diffusion. 2) La solution, une instance de régulation internationale ? Le droit communautaire, en confiant à la France la régulation des chaînes extra communautaires ne lui a pas facilité la tâche ; il alourdit le travail du CSA. Cette situation est gênante au plan diplomatique. Le Liban a d’ailleurs dénoncé cette procédure comme un procès diplomatique. L’interruption de la diffusion de la chaîne libanaise en France reste un véritable mythe car elle pourrait solliciter une autorisation d’un autre État membre de l’union européenne (il lui suffirait de s’installer dans un autre État membre et d’ y demander l’autorisation d’émettre). En réalité l’efficacité du dispositif est remise en cause par la liberté de réception, élément nécessaire dans une société démocratique reconnue implicitement en France sur le fondement de la liberté de communication. La liberté de réception fait l’objet d’une reconnaissance internationale (article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ; article 19-2 du pacte international sur les droits civils et politiques) et régionale (article 10 Convention Européenne des Droits de l’Homme ; article 2 de la Directive Télévision Sans Frontière). Dans un cadre communautaire, dès lors qu’une chaîne a été autorisée par un État membre, elle est reçue par les autres État membres sans que ces derniers puissent s’y opposer ou soumettre la réception à une nouvelle autorisation (CJCE 10 septembre 1996 Commission des Communautés Européennes contre Royaume Uni). 8 La solution qui permettrait de concilier la liberté de réception avec le respect de l’ordre public serait peut être la création d’une instance de régulation internationale. En effet le contrôle de l’émission et de la diffusion du message audiovisuel s’organise plus facilement que le contrôle de la réception. Le législateur privilégie la réglementation ou à tout le moins la régulation de l’émission. La création d’une instance de régulation internationale reste une hypothèse et aujourd’hui la chaîne Al Manar est encore disponible via d’autres satellites de droit non européens… B) Al Manar ou la chaîne qui ne sera jamais invisible En effet, même si Al Manar est désormais interdite sur Eutelsat, elle sera toujours disponible en France via d’autres satellites, qui échappent à la compétence du CSA, tel que le satellite néerlandais Newskies, l’égyptien Nilesat et le consortium Arabsat. Rien n’empêche donc un téléspectateur motivé résident en France qui a orienté son antenne dans le bon sens et qui a souscrit les abonnements adéquats de voir les programmes d’Al Manar. Il est également possible, au moins dans une partie du territoire avec un logiciel convenable et une antenne satellitaire de voir les programmes de la chaîne sur son ordinateur. Enfin la dernière possibilité sera de se connecter sur le site Internet d’Al Manar où sont diffusés des extraits de la plupart de ses programmes qui risquent dans un tel contexte de se radicaliser. Un constat s’impose sur ce dernier point, en effet, même si l’on parvient à encadrer la diffusion des chaînes satellitaires extra européennes, elle sera à terme aisément remplacé par une diffusion sur Internet, illustrant ainsi l’inadaptation des méthodes actuelles à l’évolution du PAF (1) et plus précisément du conventionnement de ces chaînes qui vient d’être récemment supprimé par la loi relative à la lutte contre le terrorisme du 23 janvier 2006 (2). 1) Inadaptation des méthodes actuelles à l’évolution du paysage audiovisuel Les méthodes actuelles ne sont plus pertinentes au regard du paysage audiovisuel. Certes, elles le restent pour les chaînes dites « historiques ». Pour les chaînes du câble et du satellite ; un simple contrôle à posteriori par sondages est effectué. C’est pourquoi pour faire face à la croissance exponentielle du paysage audiovisuel du fait de la Télévision Numérique Terrestre, le CSA a envisagé de réformer ses méthodes de contrôle. Cette réforme prendra effet au deuxième semestre 2006 et vise à inverser la logique du contrôle en restituant aux opérateurs la responsabilité première. Pour les chaînes du satellite, ces déclarations seront vérifiées de façon globale et les programmes toujours vérifiés par sondages. L’attention portée par le CSA à ces données sera proportionnelle à l’audience du service, ce qui n’est pas le critère le plus significatif des chaînes extra communautaires. La pertinence de la réforme doit encore faire ses preuves… 2) La suppression du conventionnement par la loi relative à la lutte contre le terrorisme La loi du 23 janvier 2006 « relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers », a pour objet de « mieux assurer le droit à la sûreté dans le respect des libertés ». 9 La nouvelle loi a vu le jour dans ce contexte pointant du doigt la menace constituée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication utilisées fréquemment par les terroristes. De nombreuses lois ont vu le jour dans ce contexte suite aux attentats du 11 septembre 2001(loi du 15 novembre 2001relative à la sécurité quotidienne), à Madrid en mars 2004 (loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité…) L’affaire Al Manar illustre les objectifs visés par la nouvelle loi parce qu’elle a permis de s’interroger sur la nécessité de conventionner les chaînes extra européennes susceptibles d’entraîner des troubles à l’ordre public. C’est pourquoi dans le cadre du projet de loi les députés, souhaitant alléger la procédure de sanction de ces chaînes, ont adopté un amendement porté par Philippe Houillon, Président de la Commission des Lois, supprimant toutes nécessité de conventionnement par le CSA des chaînes diffusées sur Eutelsat et donc régies par la loi française. Pourtant la suppression du conventionnement n’allège en rien la procédure de sanction. Il était reproché au conventionnement de constituer « une sorte de brevet de respectabilité » (Philippe Houillon) à l’égard des chaînes concernées. Pour autant et jusqu’à preuve du contraire, en l’absence de conventionnement, ces procédures ne peuvent viser la chaîne elle-même mais seulement l’opérateur qui diffuse les programmes de celle-ci, à savoir Eutelsat (note Y Gounin sous, CE ord 3 mars 2005, Société Eutelsat, p 840) qui doit alors négocier avec la chaîne en vue de son retrait du bouquet. En outre, dans le cadre de la procédure de révision de la directive Télévision Sans Frontière madame Viviane Reding, commissaire européen à l’éducation et à la culture souhaite élargir le champ des émissions diffusées par les chaînes extra européenne, multipliant ainsi les risques de réception de programmes illicites. Il semble donc que toutes les solutions envisagées soient inadaptées à ces chaînes dont la majeure partie des programmes est susceptible d’être qualifiée d’antisémite. Le CSA se trouve donc dans une impasse. L’accroissement de ses pouvoirs par un législateur acculé n’a pourtant aucun effet envers ces chaînes. Reste à savoir quelle solution pourra y remédier ? COMBE Linda SOURCES : Note SAINT LAURENT Julien, sous CE ord. réf., 20 août 2004, Légipresse n° 216 novembre 2004, p 194. Note DERIEUX Emmanuel, sous CE ord. réf., 13 décembre 2004, CP- La semaine juridique édition générale n°7, 16 février 2005, p 335. Note GOUNIN Yves, sous CE ord. ref., 13 décembre 2004, AJDA 31 janvier 2005, p 208. L’Express du lundi 9 janvier 2006. Article 22 de la loi du 23 janvier 2006 « relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et au contrôle frontalier ». BALLE (F.), médias et sociétés, éd Montchrestien, 2003, 835 pages. 10