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« Les institutions culturelles de la Ville de Paris et le tourisme. L’exemple du Musée d’art moderne de la Ville de Paris » Par Madame Lucie MARINIER, Secrétaire générale du Musée d'art moderne de la Ville de Paris *** Les conférences de l’IREST / Conférence du mardi 10 décembre 2013 Office du Tourisme et des Congrès de Paris 25, rue des Pyramides 75001 PARIS Retranscription par les étudiants du master 1 Tourisme - Gestion des sites du patrimoine culturel et naturel et valorisation touristique Lucie Marinier, 38 ans, a étudié à Sciences Po puis est passée par un DESS « projets culturels » et un DEA de sociologie des organisations, et elle s’est également intéressée à l’histoire de l’art. Elle commence sa carrière dans le secteur culturel comme directrice des Affaires culturelles de la ville de Créteil. Après quatre années à ce poste, elle rejoint la Direction des Affaires culturelles de la ville de Paris où elle est chargée, au sein du Bureau des enseignements artistiques et des pratiques amateures, de la réforme des conservatoires de la ville de Paris et des ateliers Beaux Arts. Ensuite, elle dirige le Bureau du théâtre, de la danse, du cirque et des arts de la rue, avant de rejoindre le cabinet du Maire de Paris, Bertrand Delanoë, pendant cinq ans, où elle est conseillère pour la culture sur les secteurs des arts plastiques, du patrimoine, des musées, des pratiques amateures, et de toute une autre série de sujets passionnants, notamment tout ce qui concerne l’art dans l’espace public, en particulier « Nuit blanche ». Elle se penche aussi la question de l’entretien du patrimoine statuaire et urbain ce qui est problématique à Paris, et réfléchit également à la place de l’art dans l’espace public. Elle rejoint le Musée d’art moderne il y a trois ans, dans un contexte un peu particulier. Le musée a subi, il y a trois ans et demi, une crise grave à cause de l’un des plus importants vols d’œuvres d’art de la décennie, qui n’a cependant pas altéré sa fréquentation et sa réputation. En tant que Secrétaire générale, elle est chargée d’administrer le musée. Numéro deux dans la hiérarchie, elle doit, d’une part, faire en sorte que tout fonctionne (mécénat, budget, ressources humaines. Rappelons que le musée d’art moderne compte cent soixanteseize postes permanents qui peuvent s’élever jusqu’à deux cent vingt personnes pour une exposition importante) ; et d’autre part, elle doit gérer les concessions et superviser tout ce qui relève de la politique de communication et de la politique éducative, culturelle et de recherche de public. C’est donc un poste relativement large, un poste que Lucie Marinier qualifie de « au service de ». Les défis des musées de la Ville de Paris Le problème du mode de gestion Tout d’abord, il faut signaler que le Musée d’art moderne est actuellement en plein changement de mode de gestion. La Ville de Paris compte quatorze musées municipaux : le Musée d’art moderne qui est le plus important en termes de visiteurs et d’expositions, le musée Carnavalet (musée d’histoire de la Ville de Paris), le Petit Palais, le musée Galliera (musée de la mode) et ensuite des musées plus petits notamment la maison de Victor Hugo (qui se situe Place des Vosges et aussi sur l’île de Guernesey, ce qui est une particularité de la Ville de Paris). On a également le musée Cognacq-Jay, le musée de la vie romantique, la maison de Balzac, le musée Bourdelle, le musée Zadkine, la crypte archéologique de Notre-Dame et enfin les catacombes. Il s’agit donc d’un ensemble relativement important et hétérogène, que ce soit en termes de matières traitées, de périodes traitées ou en termes de taille, de cible et de public. Cet ensemble, géré jusqu’à récemment en régie directe (rattaché à la direction des Affaires culturelles sans aucune autonomie financière, juridique, etc.), bénéficiait en revanche de l’appui d’une structure privée, comme on a pu en inventer dans les années 1980, c’est-à-dire privées mais municipales en réalité. La structure Paris Musées était chargée de la production des expositions et de toutes les éditions des catalogues. Elle bénéficiait donc d’une délégation de services publics. Or, on a constaté qu’il était compliqué de gérer un musée moderne par ce mode de gestion, la difficulté étant de percevoir et réinjecter le mécénat, tout en ayant une politique réactive avec un directeur extérieur. Donc le choix politique a été fait de modifier le mode de gestion des musées de la Ville de Paris. Il y a eu beaucoup de réflexions, à savoir si les principaux musées de la ville, qui sont le Petit Palais, le musée Carnavalet, et le Musée d’art moderne, devaient être totalement autonomes ou non. Le nouveau Paris Musées Le choix a été de créer un réseau global des quatorze musées municipaux de la Ville de Paris dans un ensemble qui est un établissement public et administratif, et qui reprend la dénomination Paris Musées (car il était plus simple de reprendre le nom de la structure existante et aussi parce que Paris Musées est un nom qui parle aux Parisiens, comme Paris Plages ou une autre structure). Ainsi, les musées municipaux sont réunis dans un seul et même établissement public, autonome, avec une personnalité juridique et morale, et qui se lie, notamment pour la production des expositions, au code des marchés publics comme toutes les institutions publiques. Ce qui n’est pas simple pour un musée comme le Musée d’art moderne, puisqu’une bonne partie de la programmation concerne des artistes vivants de toutes nationalités pour qui le code des marchés publics est très abstrait. Ce problème relève des fonctions de la Secrétaire générale : elle doit faire en sorte que le marché soit vivable pour continuer à faire partie des musées les plus innovants sur la scène française et mondiale avec des modes de gestion qui ne sont pas forcément évidents. Les musées municipaux face aux « mastodontes » Il faut savoir que les musées parisiens ont une fréquentation qui oscille entre 2,5 et 2,8 millions de visiteurs par an. Mais ils font tous partie de musées de « deuxième partie ». Le musée du Louvre, le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay, ne sont pas des musées municipaux. On est dans une situation particulière, où les musées municipaux ne sont pas les principaux musées les plus connus et les plus visités. Pour tout ce qui relève d’une stratégie touristique, on ne peut pas faire abstraction de cela, et occulter la comparaison, volontaire ou non, entre le Centre Pompidou et le Musée d’art moderne. Dans les stratégies touristiques et de développement des publics, du point de vue du musée, on ne peut pas ignorer qu’on est un musée d’art moderne dans Paris, et qu’on est dans la même ville que Beaubourg. Cela n’aurait pas de sens. D’où la nécessité de stratégies d’identité, de communication, de développement touristique spécifique différentes. Budget et politique tarifaire : le pari de la gratuité A Paris, les institutions nationales ont une place prépondérante. Cela implique un certain nombre de processus et de positionnements. La Ville de Paris est de très loin, en tant que municipalité, la ville de France qui possède ou qui subventionne à titre principal, le plus grand nombre d’institutions culturelles, puisque le budget de la direction des Affaires culturelles hors bibliothèques et conservatoires, c’est-à-dire hors services publics de base, s’élève à plus de 200 millions d’euros de subventions par an. Les musées bénéficient de 74 millions d’euros de budget par an, ce qui est relativement colossal par rapport à ce que peut être la moyenne d’une autre ville. Autre particularité, qui est de moins en moins particulière (car de nombreuses autres villes ont pris ce chemin depuis de nombreuses années) : depuis 2001, les collections permanentes des musées de la Ville de Paris sont gratuites. Cela est à la fois une chance exceptionnelle mais c’est aussi très problématique à gérer car qui dit gratuité dit moins de ressources et donc pas forcément autant d’investissements que l’on voudrait pour développer les publics. Tout l’enjeu est de faire de cette gratuité un atout, et ce d’autant plus car la sociologie de la culture ainsi que les questions des enquêtes des pratiques culturelles des français montrent que le facteur gratuité n’est pas un facteur de démocratisation ; ou tout du moins n’est pas le facteur principal de démocratisation. Bien souvent, ce n’est pas le facteur prix qui fait qu’un public qui n’a pas l’habitude d’aller au musée s’y rend. C’est un défi supplémentaire d’avoir des collections permanentes gratuites. C’est une opportunité fabuleuse, car cela permet de concevoir tout à fait différemment l’accès au musée et la relation au musée, dans un rapport plus simple, de quotidienneté, de parcours différents, de surprise aussi. Mais ce n’est pas évident, car la gratuité ne fait pas l’augmentation de fréquentation. Si l’on a une collection permanente qui ne bouge jamais et que l’on ne produit pas de travail sur les publics, alors la fréquentation n’augmentera pas, même si l’entrée des collections permanentes est gratuite. C’est une problématique spécifique aux quatorze musées de la Ville de Paris, à l’exception d’un seul : le musée des catacombes, car il n’est pas gratuit. C’est un lieu unique en France. De même les expositions temporaires sont payantes, car la gratuité d’une exposition temporaire serait totalement impossible. Pour monter une exposition temporaire, on devrait dégager un budget conséquent, et même de plus en plus conséquent, du fait de l’augmentation des coûts de transport, d’assurance des œuvres, qui fait qu’il est impossible aujourd’hui d’avoir une politique d’expositions temporaires de qualité qui ne soit pas compensée par une billetterie relativement conséquente. Le Musée d'art moderne : histoire et présentation Une constitution des collections d’art moderne difficile Le Musée d'art moderne se situe dans l’une des deux ailes du palais de Tokyo en bas de la colline de Chaillot. Le bâtiment est créé en 1937 à l’occasion de l’exposition universelle (« Arts et techniques dans la vie moderne ») dans un cadre où la question du progrès et de l’affirmation nationale était importante, ce qui explique le caractère majestueux du bâtiment ; majestueux en apparence puisqu'il a été construit rapidement, en brique et en métal, mais avec une vocation définitive. C’est un bâtiment fragile qui a très peu d’inertie climatique, entièrement sous verrière, donc peu adapté pour accueillir des œuvres d'art (problème de conservation) ; mais c’est un bâtiment particulièrement apprécié des artistes et des commissaires d'expositions du fait de ses très grands espaces et de ses grands volumes. Dès le début en 1937, le bâtiment a été imaginé avec deux ailes : l'aile qui allait devenir le palais de Tokyo autour du parvis avec une très belle fontaine et des bas reliefs de Janniot (NDR Alfred de Janniot) très marqués années 1930. Les conventions avec la Ville de Paris et l’Etat prévoyaient qu’une des deux ailes deviendrait un musée de l’Etat, une autre de la Ville de Paris. Pendant la guerre, le bâtiment du Musée d'art moderne a servi de lieu de confiscation des biens juifs, et jusque dans les années 1960 il va être destiné à des manifestations temporaires et à des salons divers et variés, y compris des salons d’Art moderne qui vont beaucoup participer à la place de Paris comme capitale des arts contre New York. Paris à l’époque n’a pas de musée d'art moderne permanent. Il faut savoir que jusque dans les années 1950, l'Etat français a assez peu de goût pour les collections d’art moderne. Jean Cassou a toutes les peines à réunir des collections dignes de ce nom pour constituer le fond qui deviendra celui de Beaubourg. De plus, beaucoup d'artistes comme Picasso donnent des œuvres car la politique d'acquisition nationale française d'art moderne est assez tardive. Les collections d'art moderne, jusque dans les années 1960, sont conservées au Petit Palais (musée des Beaux Arts) et ce n'est qu'en 1953, avec le legs très important du Dr. Girardin à la ville de Paris, que les collections d'art moderne de la ville vont devenir conséquentes (plus de quatre cent œuvres d’artistes dont Picasso, Bernard Buffet, et d'autres grands maitres de l'art moderne). A ce moment, la question de savoir s'il faut un lieu spécifique pour ces collections se pose. En 1961 est inauguré le Musée d'art moderne de la ville de Paris dans la partie basse de la seconde aile du palais de Tokyo, alors que dans la partie haute les expositions temporaires continuent. Il n'y a pas encore totalement une logique de musée, mais très rapidement ces collections vont s'enrichir de chefsd’œuvre majeurs et monumentaux puisque en 1964 est réinstallé dans le musée une des plus importantes peintures du monde, La Fée électricité, de Raoul Dufy, qui occupe une salle complète du musée. Elle est réinstallée alors qu’elle est pleine d'amiante ce qui posera plus tard beaucoup de soucis. Il y a différents aménagements du musée qui permettent d'occuper la totalité de l'espace du bâtiment notamment en 1967-1972 avec l'architecte Michel Josserand qui vise tout en respectant l'architecture des années 1930 à créer véritablement un musée avec la plupart des facilités nécessaire au public. En revanche, ce bâtiment n'est ni inscrit ni classé. Animation Recherche Confrontation : la création de l’ARC En 1967, le Musée d’art moderne va connaître la création de l’ARC (animation recherche confrontation), le département de l'art contemporain. L'ARC est un département d'art vivant qui n'a pas de collections, il est à cette époque le seul lieu public d'art contemporain en France avec le CAPC de Bordeaux, une scène unique de la scène contemporaine mondiale dans un grand tourbillon de liberté avec une vingtaine d'expositions par an (Soulages - Buren). C'est un lieu qui devient très innovant, premier lieu pluriculturel et pluridisciplinaire. L'ARC ce ne sont pas que des expositions arts plastiques, ce sont aussi des concerts, de la poésie du théâtre, de la performance, du cinéma, dans des conditions matérielles relativement précaires. Andy Warhol est pour la première fois à l'ARC, le département est foisonnant, totalement autonome du musée, avec la contrepartie qui est qu'il n'a pas de collection, et pas de budget d'acquisition. Il reste assez peu de traces de cette période dans les collections, mais il en reste beaucoup dans l'esprit. Une collection importante mais qui souffre de lacunes En 1993, est aménagée la salle Matisse, à l'occasion de la redécouverte d'une œuvre de Matisse (La Danse inachevée). La collection du MAM est constituée de plus de 10 000 œuvres (2000 peintures 1000 sculptures, 4500 dessins, plus de 400 objets d'art). Fait peu connu, le musée a une très importante collection art déco, mobilier, arts africains et estampes. Il a un budget confortable de 400 000 euros par an, mais c'est un musée qui a des trous énormes notamment en matière d'art américain, mais qui en revanche possède des ensembles très remarquables et parfois uniques au monde en matière d'art moderne (une des plus grandes collections Fautrier du monde, une des plus grandes collections de Robert et Sonia Delaunay, quelques très beaux Fernand Léger). L'axe majeur du projet reste les expositions. Trois axes de présentation Le Musée d’art moderne se déploie sur trois étages : Le niveau 2, au niveau de la Seine avec la lumière du jour, ce qui est assez rare, présente non seulement les collections, mais un certain nombre de petites expositions temporaires en lien avec les collections ou les dernières acquisitions. Chaque année il y a le projet APARTE, qui donne une carte blanche à des artistes relativement jeunes, qui sont très récemment entrés dans la collection, pour réaliser des œuvres en écho aux œuvres rentrées dans les collections. Il y a une collection vidéo (une des principales collections d'art vidéo mondiale) qui tourne énormément dans de nombreux musées du monde, sous forme d'une exposition itinérante. Au niveau 4, il y a deux très gros espaces d'expositions dédiés aux expositions historiques d'art moderne, ou aux expositions d'artistes vivants mais très confirmés. Ces dernières années, le MAM a présenté une exposition Basquiat, une exposition Robert Crumb, Baselitz, Van Dongen, une exposition sur les années 1940, en ce moment sur Serge Poliakov, Zeng Fanzhi (aujourd'hui l'artiste vivant le plus cher du monde). Le musée va présenter prochainement Fontana et Sonia Delaunay, expositions relativement grand public, avec des objectifs de fréquentation entre 100 000 et 300 000 visiteurs. Le musée peut difficilement aller au-delà à cause des horaires qui sont les mêmes pour tous les musées de la ville de Paris (10h/ 18h). La nocturne est le jeudi jusqu'à 22h00, ce qui est trop court mais il est difficile à faire évoluer ce type de dispositifs. Et c’est l’un des objectifs du musée aujourd’hui si les négociations syndicales le permettent, de faire évoluer ces horaires. Pendant très longtemps appelé « niveau de l'ARC1 », le niveau 6 est aujourd'hui plutôt appelé « contemporain ». Il a la caractéristique d'avoir un espace entièrement à la lumière du jour, ce qui permet de magnifier les œuvres mais cela présente parfois de gros inconvénients, notamment en terme de conservation. L'espace présente généralement des artistes très contemporains (presque uniquement vivants2) : il s'agit donc plus souvent d'installations et de vidéos que de « toiles au mur », ce qui nécessite une communication et des dispositifs techniques particuliers. Les expositions sont évidemment l'axe majeur du projet, c'est ce « qui donne sa vie à la maison ». Le musée est suffisamment important pour être dans « la cour des grands » (MoMA, Tate Modern, Reina Sofia,...) et suffisamment petit pour être réactif (le MAM à des équipes polyvalentes et mobiles, ce qui lui permet une meilleure adaptabilité, contrairement au centre Pompidou où les équipes sont spécialisées). L'un des autres axes est sa très forte tradition d'action culturelle : en même temps qu'est né l'ARC (1966), est né le concept très innovant du Musée des enfants (qui n'existe plus aujourd'hui mais dont il reste beaucoup de traces). Ce musée proposait une programmation spécifique pour les enfants, dans les expositions ou en dehors, y compris avec des artistes reconnus de la scène contemporaine française, qui proposaient des créations spécifiques pour l'ARC et les enfants. Une tradition pédagogique forte Cette forte tradition pédagogique est encore visible aujourd'hui : en semaine, c'est un musée qui ressemble beaucoup à un musée anglais, « avec des enfants partout ». Si le musée a atteint sa capacité maximale en termes d'enfants accueillis (50 000 scolaires et périscolaires3 par an), il cherche à être pilote dans une démarche de réflexion sur les contenus pour les scolaires mais aussi pour les familles. Ce travail se fait en partie à travers des dispositifs expérimentaux, ce qui est possible surtout grâce au mécénat : le but est de pousser l'expérimentation le plus loin possible afin de pouvoir ensuite généraliser un certain nombre de pratiques (dans le cadre scolaire, périscolaire, visites d'enfants en individuel et en famille). Le mécénat de la Fondation Meyer pour le projet Écoles amies des musées4 en est un bon exemple : pendant cinq ans, le musée a été « jumelé » avec une école de ZEP du 10e arrondissement. Au cours de quatre à dix rencontres dans l'année, chaque classe de chaque niveau développait un projet avec le musée, aussi variés que « le son de la couleur », « le monstrueux dans l'art », « la réalisation d'un audioguide », « le renouvellement du conseil de visites guidées », … Le MAM préfère travailler sur des propositions en termes de tranches d'âge plutôt que de situations : l'enfant est un enfant quelque soit son cadre, le musée ne remplace ni les parents ni les 1 Animation/Recherche/Confrontation (http://www.mam.paris.fr/fr/node/598) 2 3 4 Bien qu'actuellement l'exposition « Decorum, tapis et tapisseries d'artistes » réunisse aussi bien des artistes modernes que de jeunes artistes contemporains (http://mam.paris.fr/fr/expositions/decorum) Le centre Pompidou reçoit 80 000 scolaires et péri-scolaires par an. Plus d'informations : http://www.fondationmeyer.org/index.php/actions/ecoles-amies-des-musees/ instituteurs, il met à leur disposition ses collections et son expertise. Il y a évidemment un dialogue très fort avec les professeurs, notamment les professeurs-relais5, ce qui a permis au MAM d'être dans les premiers établissements parisiens à prendre très vite le virage de l'histoire des arts 6, approche transversale de l'ensemble du programme : le musée a alors vu arriver aussi bien des professeurs de mathématiques que de français et d'histoire. Tout cela est possible grâce aux professeurs-relais mais également à leur service pédagogique et culturel étoffé : une équipe permanente de sept conférenciers et six autres personnes qui travaillent à la fois sur le public scolaire, handicapé, touristique, etc. Musée de France Toutes ces activités se font dans le cadre des « musées de France »7 : cette appellation donne en principe un certain nombre d'obligations et de droits, sauf pour les musées de la ville de Paris : ils ne peuvent prétendre à aucune subvention de l’État et celui-ci ne leur demande rien en échange. Cette autonomie financière des musées de Paris par rapport à l’État leur a permis pendant des années de ne pas avoir de projets scientifiques et culturels déclarés tout en étant musée de France. Cependant, les choses évoluent, car il est indispensable pour un musée dans le contexte d'un établissement public de définir ce qu’est l'ensemble de ses projets. C'est pourquoi au cours de cette année et durant plus d'un an, Lucie Marinier a piloté le projet de mobilisation de l'ensemble des services du MAM (chose malaisée dans l'activité d'un musée et son « tourbillon » d'expositions), pour savoir quel était le rapport des services à la collection, le rapport entre les collections et les expositions, les rapports avec les actions culturelles, etc. Le but était de donner une cohérence à l'ensemble du bâtiment à un moment où le musée allait mal8 et faire prendre conscience à l'ensemble de l'établissement que le musée c'est un bâtiment, des œuvres, des expositions, du personnel et un public, et que tout cela doit être conçu de façon globale. Le MAM a une politique d'exposition dense et donc une logique de prise de risque : la question de la fréquentation n'est pas prioritaire. Cependant il a tout de même un engagement global en terme de visiteurs : au moins une exposition tous les trois ans doit atteindre 300 000 visiteurs, une exposition par an les 100 000 et pour le reste il y a une certaine liberté. Le MAM construit ses budgets d'expositions (environ 2 à 3 millions d'euro par an) en tentant de ne pas dépasser un déficit de 500 à 600 000 euros, qui est compensé par la billetterie et le mécénat. 5 Payés par l'Education Nationale, la mise à disposition de ces professeurs relais a été très menacé ces dernières années (volonté que les 6 7 8 professeurs soient assignés à une classe). Ce qui a été dramatique pour beaucoup d'institutions culturelles, car lorsqu'on veut faire des actions pédagogiques de qualité avec l'Education Nationale, il faut des professeurs qui fassent le relais avec leurs collègues et qui connaissent les programmes, les pratiques et les formations des enseignants. Pour aller plus loin : http://www.histoiredesarts.culture.fr/ http://www.culturecommunication.gouv.fr/En-pratique/Protections-labels-et-appellations/L-appellation-Musee-de-France Pour en savoir plus sur le vol des tableaux : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/10/01/97001-20111001FILWWW00383-vol-au-mam3-personnes-detenues.php Mécénat et donation Outre la location d'espace (qui représente 300 à 350 000 euro par an), le MAM a également une politique de mécénat et donation. La taille du MAM est parfaite pour les mécènes : ils bénéficient de la réputation du MAM (visibilité) et de la taille humaine du musée (accompagnement). Le MAM n'a pas de service dédié au mécénat : malgré une recherche informelle, ils reçoivent environ 1,3 millions d'euro par an. Si la France a une législation fiscale avantageuse en matière de mécénat9, la crise et donc le nombre d'institutions qui ont besoin de mécènes sont de plus en plus importantes : c'est pourquoi certaines flirtent avec les limites éthiques concernant les contreparties qui leur sont demandaient. Le MAM est dans une logique d'indépendance vis-à-vis des mécènes : afin de la conserver, il est cependant essentiel d'avoir un socle de finances publiques afin de ne pas dépendre de financement externes pour des choses essentielles (comme le personnel)10. Le projet culturel Le projet culturel est centré sur la collection pour la faire revivre, retrouver les espaces d’origine du musée, notamment la lumière du jour qui pose problème pour les questions de conservation. Mais cela à été réglé grâce à la mise en place de filtre U.V. Les collections présentées directement à la lumière du jour sont rares. Le but est de retrouver un grand ensemble, présenter les grands formats du musée avec un parcours, d’une part de collection contemporaine, et d’autre part de collection historique. Ce choix important a montré très rapidement une augmentation de la fréquentation, également grâce à la communication. La question de l’accrochage Cette augmentation de la fréquentation a permis d’introduire un projet scientifique et culturel : la collection doit connaître un ré-accrochage partiel chaque année avec une communication conjointe pour aboutir à un accrochage complet une fois tous les trois ans. Cet accrochage n’est pas forcément thématique. Lucie Marinier prend l’exemple de Beaubourg qui effectue un accrochage thématique tous les trois ans. Le Musée d’art moderne ne suit pas cette idée thématique. Ce ré-accrochage tous les trois ans coûte cher car il se déroule au sein de la collection permanente qui est gratuite. Donc les dépenses effectuées dans l’accrochage ne sont pas compensées par la billetterie. C’est donc aux puissances publiques de voir que ces ré-accrochages sont importants pour la fréquentation des musées. Loi sur le développement du mécénat : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000874956&dateTexte=vig 10 « Si vous voulez avoir une indépendance par rapport a votre politique de mécénat, il est indispensable que vous soyez prêt a abandonner le projet si le mécène ne vient pas et il faut que le mécène le sente, parce que sinon vous êtes entre ses mains. Et ça ça fait partie des choses importantes dans des politiques de mécénat ». Lucie Marinier. 9 Mettre le personnel à contribution et s’adapter au public… Le musée met le public au cœur de ce projet. Tout d’abord, avec la formation du personnel en langue. Le musée, en attendant un réel programme, met en place un système permettant au personnel provenant de Pondichéry et parlant anglais, d’apprendre aux autres membres du personnel cette langue. La question de l’accueil du visiteur est importante et donc le hall d’accueil doit être conforme au musée. Ce musée a pour but de placer l’art partout et même dans le hall, il est donc difficile de pouvoir placer des caisses. Le but de Lucie Marinier est alors de pouvoir placer le plus tôt possible dans les scénographies les questions de circulation du public, de prendre en compte le fait que lors d’exposition, les groupes représentent plus de 50% du public. Par exemple, L’Art en guerre avec 100 000 visiteurs, la moitié était des groupes, il faut donc prendre en compte cela lors de la mise en place de l’exposition. Cependant, tout en gérant ces questions de public, il faut aussi laisser un champ libre aux artistes et commissaires pour éviter ce qui peut se passer aujourd’hui dans beaucoup de musées : la standardisation des scénographies. C’est l’originalité de scénographie qui fait la réputation du musée, il faut donc la préserver. Lucie Marinier écoute d’abord les projets des commissaires, pour ensuite étudier les questions de sécurité plutôt que d’imposer directement ces problèmes et freiner ainsi la créativité. Ensuite il est question de la sécurité des œuvres. Elle a été améliorée, suite à un vol récent. Ce problème à très vite été réglé mais sans que le public se rende compte des travaux effectués qui auraient put gâcher la visite. Le problème de la sécurité incendie est également en cours de traitement. Concernant l’accueil du public, des initiatives sont misent en place : éditions pour les plus jeunes, guides des collections qui n’existaient pas encore, produits dérivés et autres qui n’étaient jusqu’à présent pas pris en compte car non rentables. Il fallait avant trouver un équilibre économique pour développer ces services, tout d’abord en lien avec des expositions pour ensuite, si cela marche, développer en continu. Pour l’exposition Keith Haring l’an dernier, le mécénat a permis l’installation de tablettes tactiles testées sur un lycée professionnel et des produits dérivés qui ont très bien marché. Pour l’instant c’est une démarche d’essai pour voir si ce qui est mis en place pourrai être généralisé. …Après l’avoir bien étudié Pour connaître mieux le public, un mini observatoire du public a été mis en place au sein du musée. Il a pour but d’intervenir sur des périodes courtes pour mieux saisir les attentes du public, pas seulement dans un but marketing mais surtout sociologique. C’est en fonction des résultats que sera élaborée l’exploitation marketing que le musée peut en faire. Le public étudiant a été ciblé avec la mise en place d’ « étudiants relais » qui font de la médiation lors de soirées. Le musée travaille beaucoup sur le public dit de « champ social » en formant des bénévoles et cadres associatifs pour favoriser l’autonomie de ceux-ci. Le musée pratique une politique de libre parole et ne fait pas payer la prise de parole au sein des locaux. Malgré le fait que 80% des groupes sont dirigés par des professionnels, les 20% qui restent doivent pouvoir prendre la parole gratuitement. Le fait de laisser la parole gratuite aux conférenciers pose problème car ceux-ci occupent la plupart des créneaux et dégagent une marge au détriment du musée. Un travail est également en cours pour intégrer le musée dans le réseau TRAM (Réseau des musées d’art contemporain d’Île-de-France), pour échanger le public et échanger les connaissances, le matériel et également le personnel. Dans cette optique de diversification du public, le réseau de transports et les comités d’entreprises, les clubs du troisième âge, ou tout autre groupement pouvant être un public potentiel est étudié. Le musée essaie de renouer avec le public parisien et francilien qui pense que ce quartier est essentiellement touristique. Pour les touristes étrangers, des partenariats sont mis en place avec Eurostar, les bateaux mouches, UGC, permettant la diffusion du programme ou des réductions. Il y a aussi beaucoup de travail avec d’autres acteurs de la vie artistique comme le 104 ou le Palais de Chaillot. Chaque jeudi soir dans le musée, le palais de Chaillot effectue une performance ou un concert. Mais certaines expériences ne fonctionnent pas, comme le projet de la colline aux musées. Lucie Marinier espère un soutien de l’Office de Tourisme de Paris pour développer l’idée pour les touristes de rester un jour de plus pour visiter les musées de la colline et des alentours, et de drainer le public très nombreux de la tour Eiffel. Enfin, elle réfléchit à un partenariat avec la SNCF pour des ventes de billets combinés et pour former des guides trilingues pouvant mieux répondre à la demande touristique. Débat Anthony Guido, étudiant en Master 1 DATT : « Que pensez-vous des coupes budgétaires qu’il y a actuellement, cela peut-il apporter des opportunités notamment par rapport au mécénat et autres projets de pédagogie ? Pourriez vous développer quelles types de contreparties sont observées avec le mécénat ? » Lucie Marinier : « Les coupes budgétaires ne sont jamais une bonne chose, il ne faut pas se mentir, mais savoir anticiper. Je ne suis pas sûre que les budgets publics des institutions culturelles évoluent beaucoup dans les années à venir. Contrairement à ce que l’on dit souvent, l’argent privé ne prend jamais la place de l’argent public, il est toujours proportionnel à l’argent public. Si l’argent public pèse trop, s’il fait qu’on est obligé de trouver des ressources extérieures pour financer l’essentiel, c'est-à-dire les frais de fonctionnement, à ce moment-là on commence à rentrer dans un cercle vicieux. Petit à petit les choses deviennent compliquées. Dans le spectacle vivant, secteur que vous connaissez moins, on a l’habitude de parler de réduction de la marge artistique mais en gros c’est la même chose. Arrivé à un stade où l’on se trouve obligé de faire financer par le secteur privé ou d’autres ressources ce qui est vital, vous arrivez dans une situation qui devient critique. Evidemment le manque d’argent oblige à devenir imaginatif. L’ancienne directrice du Musée d’art moderne, Suzanne Paget, qui a été directrice pendant 25 ans, avait coutume de dire « quand il n’y a plus d’argent, l’argent n’est plus un problème et on se débrouille sans ». C’est vrai et ce n’est pas vrai, aujourd’hui en matière d’art, les standards internationaux de présentation font que l’on est bien obligé de payer des transports, des assurances, de sécurisation ; cela coûte cher de faire des expositions et tout ne peut pas être autofinancé. En matière de gestion, l’argent appelle l’argent ; pour créer une exposition avec laquelle on souhaite attirer 300 000 visiteurs, l’exposition ne va pas coûter 200 000 euros, mais 1 million d’euros. Si vous voulez réunir 1,5 millions euros de billetterie, il faut mettre 1 millions d’euros sur la table au départ. Ce qui est important dans le dialogue avec les tutelles administratives, c’est être capable de démontrer cela, être capable de dire, « si vous ne mettez pas suffisamment d’argent sur la table au départ, vous n’aurez pas d’argent en retour ». Ensuite, il ne faut pas avoir de scrupule à aller chercher du mécénat, parce qu’encore aujourd’hui la part la plus importante des publics des musées sont des gens qui sont socialement et économiquement favorisés. Donc ça ne me dérange pas d’aller chercher de l’argent pour développer des publics et toucher des publics qui eux ne sont pas aisés. Le problème est lorsque les mécènes ou les Amis de musée considèrent tout à coup qu’ils sont propriétaires du musée parce qu’ils le financent, et cela est extrêmement dangereux car il y a un risque concernant l’autonomie sur la programmation, etc. Ce que je vous décris comme cercle vicieux, c’est exactement ce qu’il s’est passé dans un certain nombre de musées américains, à la suite de la crise de 2008. Pour certains d’entre eux, leur niveau a baissé, leurs expositions sont devenues moins bonnes, leur indépendance scientifique a perdu en force et leur public a chuté : tout est une question d’équilibre. Pour les contreparties, je rappelle la loi Aillagon sur le mécénat de 2005. C’est une loi dont le principe est de dire que le mécénat, pour toutes les institutions reconnues d’utilités publiques, institutions culturelles ou associations, donne droit à un avantage fiscal extrêmement conséquent. Les particuliers peuvent déduire des impôts jusqu’à 66%, et les entreprises jusqu'à 60% dans la limite du 0,05% du chiffre d’affaire, cela veut dire que concrètement si vous donnez 100 000 euros vous en déduisez 60 000 de votre impôt sur la société ou 66 000 de votre impôt sur le revenu, si vous êtes un particulier. Le mécénat d’entreprise est en train de baisser contrairement au mécénat des particuliers qui a tendance à revenir car c’est un moyen tout a fait légal de faire de l’optimisation fiscale, plutôt que de mettre son argent en Suisse, il vaut mieux aider une institution culturelle. La loi sur le mécénat énonce clairement que lorsqu’on est mécène, on doit être généreux, même s’il y a un avantage fiscal et que les contreparties doivent restées symboliques. Pendant la première année après la loi sur le mécénat, il y a beaucoup d’hésitations sur ce que l’on entendait par ‘symbolique’ ; puis il y a eu une jurisprudence, obligeant la contrepartie symbolique à ne pas dépasser 25%. Le mécène a ainsi droit à 25%. Il faut valoriser les choses. Si un mécène vous donne 100 000 euros vous devez calculer en matière de contrepartie la valeur de ce que vous lui donnez. Lors d’une campagne d’affichage importante comme pour Keith Haring, pour avoir son logo sur l’affiche, si vous valorisez à 8% de la valeur de tous les panneaux, cela veut dire que la valeur du logo est de 40 000 euros, à 25%, le mécène ne peut pas dans l’affaire donner moins de 160 000 euros s’il veut son logo sur l’affiche. Les autres contreparties peuvent être des catalogues gratuits ou des pass gratuits, et tout cela se valorise, c’est-à-dire qu’il faut en calculer la valeur pour savoir si nous sommes dans l’ordre des contreparties. L’autre grosse demande de contrepartie c’est la demande de soirées privées dans le musée, soit de visites privées, ou des cocktails. Pour valoriser ces contreparties on s’appuie sur les tarifs qui sont délibérés en conseil d’administration d’établissement public qui correspondent aux tarifs auxquels on loue les espaces. Donc concrètement, si l’on veut faire un cocktail ou une soirée dans la salle 1 du musée, la plus belle avec vue sur la Tour Eiffel et avec plusieurs toiles de Delaunay, il faut compter 40 000 euros. Si l’on ne donne pas au moins 160 000 euros on ne peut pas organiser le cocktail. Le cocktail est aussi à la charge du client ainsi que le paiement des gardiens, des conférenciers, du personnel de ménage. Il faut garder à l’esprit que ce que l’on cède une fois, on le cède pour toujours ». Michel Tiard, professeur de marketing à l’IREST : « Il est évident que les contribuables parisiens sont sans aucun doute les premiers ‘Amis’ des musées. Ceux qui sont le plus perdants sont ceux qui payent leurs impôts locaux sans jamais mettre un pied un jour dans un musée municipal alors que les grands gagnants sont ceux qui viennent de l’extérieur. Que pouvez-vous nous dire en ce qui concerne l’attachement des parisiens, en dehors du fait que d’un côté les impôts locaux sont payés, à leurs musées municipaux, sachant que les petits dons additionnés dans une certaine mesure sont presque plus stables qu’une action de mécènes qui pouvait représenter une courbe en dent de scie. Quel est le sentiment d’appropriation du public régional à leurs musées municipaux ? » L.M. : « Le public parisien tout confondu, expositions et collections, représente un tiers de notre public, sans parler des publics scolaires majoritairement parisiens. C’est quand même une institution à laquelle les parisiens sont attachés, je pense, simplement comme pour tous les musées, ce sont les CSP+ qui sont les plus attachés, le sujet est donc de toucher d’autres publics parisiens. Maintenant la question des dons individuels est complexe, puisque ce n’est pas une tradition française mais anglo-saxonne. Il apparait très normal, lorsqu’on va au Metropolitan de New York ou à la Tate Gallery de Londres que l’entrée soit gratuite, et que l’on vous incite (en vous indiquant un chiffre) à faire un don au sein d’une urne. Le choix a été fait par les musées parisiens de faire la même chose dans les musées de la Ville de Paris et donc des urnes ont été installées. Le problème est qu’elles ont été installées sans en discuter réellement avec les musées, qui ne ce sont pas tellement appropriés le dispositif ; elles ne fonctionnent donc pas. Cela ne fonctionne que si on allie deux logiques, une quotidienne (à l’anglo-saxonne) qui est de dire que les collections permanentes sont gratuites et qu’il est donc normal de donner un petit quelque chose, à condition de le faire dans un but, puisque dans la tradition française, la confiance dans l’institution n’existe pas. Le projet que l’on a présenté au musée est celui de proposer aux gens de participer à une restauration. On a en cours l’idée de faire en sorte que le public participe à la restauration d’une œuvre de Christian Boltanski qui s’appelle La Réserve du musée des enfants qui est une œuvre permanente du musée, exposée dans trois pièces et comprenant trois parties : une salle des annuaires, une salle avec photographies et une salle avec des étagères remplies de vêtements d’enfants, à l’ambiance en même temps joyeuse et glaçante puisqu’elle rappelle évidemment les tas de vêtements dans les camps de concentration. On a donc besoin de beaucoup d’argent et de beaucoup de vêtements pour restaurer cette œuvre. Mais on cherche vraiment à rentrer dans des logiques innovantes, parce que l’on pense qu’en ce qui concerne le public parisien et français, on n’y arrivera pas sur des logiques classiques d’acquisition. Cette logique de donation n’est pas dans la culture française et n’est pas évidente. Si cette logique marche au Louvre, c’est parce que celui-ci est un musée national et non municipal, les dons sont donc attachés à une envie de participer à la confection d’un trésor national. Un musée municipal n’est pas aussi vivant. En revanche, ce que l’on essaye de faire avec notre Société des amis de plus de 500 adhérents (une aide à hauteur de 200 000 euros par an), est de développer véritablement un attachement au musée. Ces donations passent donc soit par des projets très concrets, restaurations ou autres, soit par la logique de visiteurs privilégiés et d’Amis du musée. Elles ne sont donc pas forcément faciles à concilier avec un autre dispositif tarifaire qui vient d’être mis en place, qui est une carte qui concerne les quatorze musées de la Ville de Paris. Il faut travailler sur ce réseau de quatorze musées, et d’un autre côté ce dispositif n’a pas beaucoup de sens pour les parisiens : ils ne prêtent pas grande attention au fait que le palais de Tokyo est à l’état et le Musée d’art moderne appartient à la Ville. En revanche, le fait de savoir que la collection du Musée d’art moderne est gratuite et appartient à tous les parisiens détient plus d’importance. Nous sommes attachés à un équipement et non pas à un réseau : on ne s’imagine pas être ami de la RMN ou du CMN, par contre vous êtes amis éventuellement du Petit Palais ou du Louvre. C’est la même chose au niveau des musées ». Hedwige Labardin, étudiante en Master 1 GSVT : « La situation avantageuse du musée d'art moderne lui permet-elle de partager son expérience avec de plus petits musées ? Comment se passe la recherche de mécénat lorsque l’on n’a pas la chance d'avoir cette réputation ? Comment permettre l'arrivée de capitaux lorsque la réputation et la fréquentation sont à construire? Cela ne risque-t-il pas de desservir la culture et le social au profit de l'élément financier ? » L.M. : « Tout d'abord un mot concernant les services centraux qui souhaitent régulièrement avoir un droit de regard et de gestion sur le réseau du mécénat mis en place par le Musée d'art moderne. Le musée souhaiterait davantage d'aide pour communiquer avec les petits musées afin de leur apporter une aide précieuse. Des mécénats pris avec les grandes institutions compliqueraient les rapports avec les différents mécènes. Les partenariats à l'échelle d'un établissement, sont souvent soutenus grâce aux contacts humains, sont primordiaux. Il y a des mécènes de réseaux, des partenariats de réseaux, mais il y en a aussi qui sont spécifiques à certains établissements. Le travail à l'intérieur de petits réseaux est plus intéressant et enrichissant pour chaque parti. Par exemple, le MAM a apporté son aide au musée Galliera afin de trouver des mécènes pour une exposition autour d'Azzedine Alaïa. Ces mécènes ont pu être trouvés grâce à la participation du MAM. La recherche de mécénat ou la constitution d'un partenariat se fait à partir de projets réels et pas seulement par des liens de réseau à réseau. Les problématiques liées aux capitaux et à la fréquentation sont les mêmes pour tous les musées. J’ai eu autant de mal à trouver des mécènes pour le MAM que lorsque j’étais directrice des Affaires culturelles à Créteil. Il faut se concentrer sur des objectifs réalistes pour l'établissement dont on s'occupe, et rechercher des financements à leurs hauteurs. Le mécénat revêt plusieurs formes, financier mais aussi de compétence. Il est préférable de travailler dans un premier temps sur le mécénat de compétence avant de s’attaquer au financier. Pour une petite institution il ne faut pas viser de grands mécènes. Quand on est la maison de Balzac, ce n'est pas la peine d'aller chercher Total, cela dit les éditions Acte Sud feraient d'excellents partenaires. Il faut avant tout s'armer de bon sens et se poser les bonnes questions. Si je fais une exposition sur tel sujet, quelle entreprise peut être intéressée ? Nous avons organisé une exposition Sonia Delaunay, après quelques recherches nous avons pensé à Givenchy car ils ont créé une robe pour elle il y a une vingtaine d'années ». H.L. : « Le Musée des arts modernes a-t-il une prétention à devenir un musée ouvert sur l'international ? Pensez-vous en appeler au mécénat international pour financer le musée ? » L.M. : « Le MAM ne souhaite pas s'orienter vers la recherche de mécénat international car cela représenterait un investissement trop important alors qu'une politique internationale est déjà présente. Le prêt d'œuvres fait que le musée est en constant échange avec des partenaires internationaux. La moitié des expositions sont des coproductions avec d'autres institutions internationales. Je vois cette idée comme une ''fausse bonne idée'' qui entrainerait une dispersion des énergies pour un résultat incertain ». Morgan Morvan, étudiant en Master 1 GATT : « Avez-vous une politique de communication spécifique ou des canaux de distribution particuliers par rapport à d'autres ? Invitez-vous souvent des journalistes afin qu'ils participent à la promotion du site ? » L.M. : « Le musée d'Art Moderne a la chance d'avoir une solide réputation auprès de la presse ainsi que du public. Les nouvelles expositions sont toujours suivies par une grande partie de la presse. Pour l'exposition Keith Haring, un grand nombre d'organes de presse à vocation nationale ou internationale a publié sur le sujet. La présence de la presse n'est donc pas un souci pour la communication du musée. Il n'y a pas de canaux de distribution spécifique. Sur l'art contemporain, les différents organismes sont en concurrence, mais chacun se connait et peu de tensions existent. L'unique véritable enjeu de concurrence est représenté par les blockbusters. Lorsque Beaubourg et le Grand Palais lancèrent leurs expositions sur Dalí et Hopper, les autres musées se trouvèrent dans une situation délicate. Le MAM avait lancé au même moment une exposition, L'Art en guerre, France, 1938-1947 qui, bien que saluée par la presse, reçut une fréquentation bien moindre que celle de Dalí. La fin de l'année 2013 n'a pas été marquée par ce jour de luttes ». Anonyme : « Concernant le digital et l'enjeu qu'il représente en matière d'appréhension et de création des expositions ainsi que du public, est-ce un sujet important pour vous aujourd'hui ou pourrait-il l'être dans les années à venir ? » L.M. : « Pour répondre à cette question il faut se rappeler que le MAM est un centre d'art contemporain et que la quasi totalité des artistes utilisent le digital dans leurs créations. Le digital fait partie de l'exposition. Le musée travaille sur la mise en ligne des collections, cette tâche est ralentie par les questions des droits d'auteurs qui doivent être réglées avant toute diffusion. Les trois-quarts de la collection sont composées d'œuvres qui ont été réalisées par des artistes encore vivants soit morts depuis moins de soixante-dix ans. Cela engendre une négociation longue menée par le MAM, l’ADAGP (société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) et les ayants-droits des grandes successions dont Matisse, Picasso... Face au digital les musées consacrés à l'art moderne et contemporain ont du retard à cause de ce problème spécifique des droits d'auteur. L'équipe du MAM travaille actuellement sur les audio-guides, mais je perçois le marché qui a été négocié pour l'ensemble des musées de la ville est inadapté. En attendant, l'équipe du musée fait de nouvelles expériences comme l'utilisation de tablettes. Lors de l'exposition Robert Crumb elles avaient permis aux visiteurs de feuilleter les travaux de l'auteur sur la bande-dessinée. Je ne pense pas systématiser ces pratiques pour toutes les expositions temporaires, cependant une réflexion est lancée sur son utilisation pour l'exposition permanente ».