FORMATION SUR LE FILM LA GRANDE ILLUSION de Jean Renoir

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FORMATION SUR LE FILM LA GRANDE ILLUSION de Jean Renoir
FORMATION SUR LE FILM
LA GRANDE ILLUSION
de Jean Renoir
Le mercredi 5 novembre 2014, l’association Collège au Cinéma 37 a reçu Naïma Di Piero, réalisatrice, pour
parler du film La Grande Illusion de Jean Renoir, programmé aux élèves de 4 ème/3ème dans le département de
l'Indre-et-Loire.
Le réalisateur :
Jean Renoir, né en 1894, est le deuxième fils d'Auguste Renoir qui se sont tous tournés vers une carrière au
cinéma. Commençant à réaliser des films muets, son premier film parlant, On purge bébé, lui permettra de
lancer sa carrière.
Genèse du film :
Le film aurait dû s'appeler Les aventures du lieutenant Maréchal car le personnage joué par Jean Gabin était
au centre de l'histoire et ce titre reprend littéralement un essai de Norman Angell (écrivain et homme politique
anglais, lauréat du Prix Nobel de la paix en 1933). Son essai La Grande Illusion, publié en 1910, rencontra un
succès international. Selon lui, croire à une guerre entre grandes puissances est une « grande illusion ». Angell
remaniera son analyse, démentie par les faits en 1914-1918, dans une nouvelle version de son livre parue en
1933, où il estime que déclarer la guerre à un autre pays est contre-productif sur le plan économique.
Jean Renoir s'est inspiré de la version de 1933 pour son film ainsi que des récits d'évasion d'Armand Pinsard
qu'il lui a sauvé la vie lors de la première guerre mondiale. Armand Pinsard a inspiré le personnage du
Lieutenant Maréchal, joué par Jean Gabin. Le film fut écrit par Jean Renoir et son équipe.
Jean Renoir a réussi à financer le film grâce à la présence dans le générique de Jean Gabin, qui a accepté de
jouer dans La Grande Illusion ; il avait déjà tourné dans trois films.
Le scénario initial prévoyait une séquence supplémentaire : en se séparant, Maréchal et Rosenthal se
donnaient rendez-vous dans un grand restaurant parisien pour fêter la victoire. Au jour dit, les deux chaises
restaient vides, sans qu'on sache s'ils avaient renoncé à continuer à fraterniser, la paix revenue, ni s'ils avaient
été tués ou épargnés.
Le titre :
La signification du titre du film a longtemps suscité des discussions : la « grande illusion » s'applique-t-elle à la
durée de la guerre, dont personne ne s'attendait à ce qu'elle soit si longue ? Ou concerne-t-elle les relations
entre les personnages (le rapprochement factice des classes sociales par la guerre, l'entente entre aristocrates
malgré le conflit de leurs patries respectives) ? L'illusion dont parle le titre serait celle des frontières, qui ne
séparent pas des nations ou des territoires, mais qui sont avant tout sociales. Au cours du dernier plan dans la
neige, aucune image ne montre que la frontière suisse a été dépassée mais les soldats allemands renoncent à
tirer sur les fugitifs car ils considèrent qu'ils sont en Suisse. Une troisième hypothèse voudrait que l'illusion soit
celle de la « Der des Der » qu'évoque Maréchal, aussitôt contredit par Rosenthal dans la dernière séquence de
dialogue entre les deux évadés qui s'approchent de la frontière suisse. À Maréchal qui parle de la guerre en
disant « En espérant que c'est la dernière », Rosenthal répond : « Ah ! tu te fais des illusions ! ». En effet, le
film date de 1937, alors que le nationalisme est à son comble et que l'accession d'Hitler au pouvoir en 1933
laisse déjà présager une nouvelle guerre. (Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Grande_Illusion)
Contexte historique au niveau cinématographique :
La Grande Illusion est l'événement du cinéma parlant avec la création de la Cinémathèque Française (1936),
avec l'intervention de l'État pour la création de lieux spécifiques et la naissance d'un public de cinéma.
D'un point de vue sonore, La Grande Illusion comprend beaucoup de postsynchronisation 1. A l'époque, le
matériel était difficile à transporter et peu efficace (exemple : scène du chant de la Marseillaise). L'arrivée du
parlant a fait disparaître beaucoup d'acteurs au contraire de Jean Renoir qui s'est fait connaître avec le parlant.
Pour Jean Renoir, le parlant est une manière d'aller vers le motif. La guerre n'est pas filmée ; il y a un choix
esthétique du réalisateur mais également un choix économique.
Copie du film et la censure :
La Grande Illusion a connu six sorties (1937, 1946, 1958, 1972, 1997 et 2012). Lors de sa présentation
publique, le film fut amputé de 18 minutes, il ne fut projeté en version complète qu'au cours d'un festival
organisé à Bruxelles en 1958. À chaque fois, le film fut victime de censure, de copie perdue ou de perte du
négatif. En 1997, la restauration fut faite à partir du négatif rendu par la Russie.
La première distribution du film a lieu en 1937 et même s'il est primé à Venise, il est interdit dans beaucoup de
pays. Au lendemain de la première au cinéma Marivaux en 1937, le film a été projeté sans interruption de 10
heures à 2 heures du matin. Le film a fait salle comble à chaque séance et a battu tous les records de
1
technique permettant de réenregistrer en studio le dialogue ou la voix off d'une œuvre audiovisuelle -film, série, etc.-, dans
la même langue et les mêmes conditions que lors du tournage, et avec le même comédien
1
fréquentation : 1,55 million de francs en quatre semaines, 200 000 spectateurs en deux mois dans une seule
salle, meilleure recette de l'année 1937.
Le film fut projeté exceptionnellement à la Maison-Blanche à Washington pour l'anniversaire de M me Roosevelt.
Le film est resté 36 semaines à l'affiche d'une salle new-yorkaise. Jusque vers 1970, il était toujours dans la
liste des 10 meilleurs films de tous les temps. Souvent cité dans les films les plus importants du cinéma
mondial, il fait partie des rares films entrés dans les collections permanentes du Museum of Modern Art
(MoMA) de New York.
L'écrivain Jean des Vallières, auteur en 1931 du Le Cavalier Scharnorst, a accusé Jean Renoir et Charles
Spaak d'avoir plagié son ouvrage. De nombreuses similitudes existent en effet entre le film et le roman mais le
jugement final dédouane Renoir car il raconte des scènes qui auraient pu être vécues par de nombreux
soldats. La Grande Illusion est un film assez documentaire dans sa façon de traiter la guerre.
Renoir est déclaré "ennemi cinématographique n°1" en Allemagne ; au Japon, en Autriche et en Hongrie, ils
censurent partiellement le film ce qui est également le cas en France à partir de 1939 car la représentation
d'une fraternité Franco-Allemande ne passe pas très bien. À sa sortie en 1937, déçus, Jean Gabin et Charles
Spaak n’assistent pas à la première de gala qui accueille froidement le film. Le premier estime qu’« il n’y en a
que pour le Schleu » (Stroheim) et qu’il n’est plus la figure centrale du film où Pierre Fresnay a également pris
beaucoup de place. Spaak a même envisagé de retirer son nom du générique (Page 4 du dossier
pédagogique du CNC). La Grande Illusion fait l'objet d'une nouvelle sortie en 1946 mais la version est
censurée car la commission de contrôle exige la suppression de plusieurs scènes (le rôle d'Elsa est largement
réduit ainsi qu'un certain nombre de scènes où les Allemands sont représentés d'une façon positive).
Le film n'est restauré et montré dans son intégralité
qu'en 1958. À cette occasion, Jean Renoir enregistre
un bref prologue :
« La Grande illusion c’est l’histoire de gens comme
vous et moi, perdus dans cette navrante aventure
qu’on appelle une guerre. La question que se pose
aujourd’hui notre monde angoissé ressemble
beaucoup à celle que Spaak (le scénariste) et moimême, et beaucoup d’autres, nous posions quand
nous préparions ce film. C’est pourquoi La Grande
illusion nous a paru être revenue d’une actualité
brûlante et nous avons décidé de la ressortir.»
L'affiche :
L'affiche allemande signée par Jan Lenica montrait
une poignée entre les deux peuples symbolisant ainsi
la fraternité entre les deux pays.
Au milieu des années 1970, le Gosfilmofond (archives nationales Russes) décide de confier à la
Cinémathèque de Toulouse le négatif original nitrate de La Grande Illusion. Une première restauration du film a
lieu en 1997 par les studios Canal et une deuxième en 2011.
Quand le film est sorti, la bande annonce disait « Venez voir la réalité dans La Grande Illusion ». En 1946, le
film est accueilli par des réactions mitigées s'expliquant par le contexte. Les critiques reprochent d'exalter les
personnages allemands et voient des relances de l'antisémitisme. En 1958, le film reconstitué dans sa version
intégrale rencontre un véritable triomphe autant commercial que critique.
Critiques de la presse (page 21 du dossier pédagogique du CNC) :
"[...] il était aussi facile de tomber dans le panneau d’une idéologie pseudo-humanitaire que dans celle d’un
chauvinisme inexcusable. L’essentiel de ce film, ce sur quoi l’accent est mis, c’est que, malgré la guerre [...],
les classes restent les classes et que c’est en fonction d’elles que s’établissent les sympathies [...] »
Georges Sadoul, Regards,10 juin 1937
« Il est le film en somme de ce pacifisme communistoïde et patriotard qui caractérise certains milieux
intellectuels français. C’est faux et rhétorique dans la mesure où ça manque de toute sincérité. »
Luigi Chiarini, Cinéma 37, 30 août 1937 (Italie)
« Le soldat allemand donne des cigarettes au français, ils se sentent unis parce qu’ils sont tous eux des
travailleurs, tout comme les deux officiers supérieurs se sentent unis parce qu’ils représentent la même classe,
la classe des privilégiés. [...] Qu’y a-t-il d’illusoire dans tout cela ? [...] Il est grand temps que les travailleurs
comprennent. Il est grand temps qu’ils abattent les frontières et les marchands de canons. »
L'humanité, 1946
« Il se dégage de toute l’œuvre de Renoir un art de vivre qui est art du regard ; l’œuvre de Renoir brouille
toutes les cartes et nous enseigne à ne plus rien juger, à comprendre qu’on ne peut rien comprendre. »
François Truffaut, Arts, 8 octobre 1958
2
Citations de Jean Renoir :
"Je n'ai pas de mes films une opinion aussi définitive, je ne pense pas qu'aucun film en soi mérite d'être le plus
grand, le moins grand et d'un autre côté, j'ai l'impression que volontairement quelquefois, involontairement
souvent, je suis la même ligne depuis que j'ai commencé à faire des films. Au fond, j'ai tourné un film, je
continue à tourner un film et depuis que j'ai commencé, c'est le même. J'ajoute des choses, je vois des choses
que je n'avais pas dites avant et qu'il faut que je dises mais en réalité, il s'agit de la même conversation
commencée avec le public, assez réduit d'ailleurs. Le public s'intéresse à ce genre d'art cinématographique
extrêmement réduit. Il s'agit d'une conversation que je continue avec ce public que je continuerai encore. Si
elle s'améliore, je ne sais pas mais je sais qu'elle se prolonge." (Propos rompus” Cahier du cinéma, n°15)
"La Grande illusion est un scénario enfantin à écrire, parce qu’il y a une histoire générale qui est enfantine, et,
étant enfantine, est assez forte pour retenir l’attention du public. C’est l’histoire de gens qui veulent s’évader :
s’évaderont-ils ? Ne s’évaderont-ils pas ?" (Page 5 du dossier pédagogique du CNC)
Trois parties :
1/ Prologue/Hallbach : 42 minutes
2/ Wintersborn : 38 minutes (partie difficile)
3/ Ferme : 16 minutes
Jean Renoir trouvait important que chaque partie puisse faire un petit film. La deuxième partie est la plus dure
lorsqu'ils se trouvent à Wintersborn, Rauffenstein déclare : "On ne s'évade pas d'ici" alors que la première
partie est la plus légère. Pour Naïma Di Piero, trois films peuvent être imaginés et la troisième partie est la
moins intéressante.
La Grande Illusion est un film classique quant à sa forme, sa mise en scène. La chronologie comprend
quelques ellipses et beaucoup de champ contrechamp / gros plan. Il y a une structure cyclique c'est-à-dire qu'il
y a une confrontation permanente entre des aspirations contradictoires (souvent quelque chose de négatif qui
devient positif mais qui retourne au négatif à la fin) : ils veulent s'évader, ils essayent mais n'y arrivent pas et
l'histoire d'amour qui se termine par le départ de Maréchal.
Thèmes :
Pour Jean Renoir, le film permet d'illustrer sa vision de la Société. D'après lui, les Hommes se divisent de deux
manières : des divisions horizontales créées par les classes sociales et des divisions verticales créées par la
géographie. Il y a la division des nations mais ils sont tous réunis par la guerre et par l'armée .
Les thèmes sont la fraternité, les relations verticale/horizontale des hommes.
Division verticale
Division horizontale
Rauffenstein/Boëldieu : respect entre eux, même
Rosenthal/Maréchal
éducation, même règles
Question de la lutte des classes sociales :
"Le seul inconvénient que j'eus du mal à surmonter au début fut l'odeur, mes nouveaux camarades sentaient
« le peuple ». Mes préjugés ne me déformaient pas le sens olfactif au point de me faire croire que seuls les
bourgeois sentaient bon. Nous étions en 1913, et la majorité des Français vivait encore sous le régime du pot
de chambre. Même chez les gens très riches, le bain était rare. Disons-le franchement, les intérieurs
gracieusement ornementés de rideaux à pompons, dentelles, velours de soie, satins brochés et autres
mignardises, sentaient le pipi. Les parfums de Grasse n'arrivaient pas à couvrir cette odeur qui était celle du
XIXe siècle. J'imagine que les siècles précédents devaient être tout aussi odoriférants. Ça ne gênait personne,
tant il est vrai que l'habitude devient une seconde nature. Après tout, l'échappement de nos automobiles ne
sent pas la rose, et nous l'acceptons fort bien.
Si j'essaie de définir les odeurs, je dirais qu'avant la guerre de 14 l'odeur des bourgeois était à base de
« renfermé », une odeur de corps bien chauffés, bien nourris, bien protégés des intempéries. C'était l'odeur de
mes parents. C'était celle des domestiques, de Gilberte et de ses pareilles qui étaient des bourgeois par
naturalisation. J'avais vaguement deviné l'odeur du peuple au cours de brèves rencontres avec le vitrier venant
remplacer un carreau cassé ou le bougnat plié sous son chargement de bois. Il me semblait que cette odeur
était plutôt à base de sueur. Elle me fascinait et me dégoûtait à la fois. Ma réaction n'était qu'une facette de
l'éternelle histoire des rapports des bourgeois et des gens du peuple. Le riche est attiré par le pauvre. Il
voudrait l'aimer. Il en aime déjà la poésie, les traditions, les filles et le langage. Il se sent intrigué par une
pensée qu'il ne définit pas complètement, par des habitudes étranges et peut-être surtout par une gaieté qui
depuis longtemps a déserté sa propre caste. A l'époque de mon histoire l'exotisme jouait encore son rôle làdedans. Le terrassier dans ses larges pantalons de velours, ceinturé de rouge, moustachu comme un
Sicambre, paraissait aussi loin du monsieur à faux col cassé que l'eût été un indigène du centre de l'Afrique.
Le bourgeois aimait l'homme du peuple et le lui disait. Et c'est ici que le malentendu commençait. L 'homme du
peuple, trompé par l'attitude du bourgeois, croyait que celui-ci allait lui ouvrir les portes de son hôtel particulier,
l'inviter à passer des vacances dans le Midi, et lui faire goûter les bons vins de sa cave. Pas du tout. Le
bourgeois aimait l'homme du peuple à condition que celui-ci reste à sa place."
Jean Renoir, Les Cahiers du capitaine Georges, Gallimard, collection Folio
Naïma Di Piero dit qu'il faut développer cette question des classes sociales avec les collégiens. Pour Alice
Boukhrissi, enseignante au collège Saint Gatien de Montbazon, la notion de classe sociale est difficile à faire
passer car pour eux, la classe sociale est définie seulement par l'argent que les gens possèdent. Elle trouve
cela intéressant mais le classement n'est plus le même pour les élèves. Pour eux, bourgeois et aristocrates
correspondent à la même chose. Par contre, le code de l'honneur sera compris par les élèves. Rauffenstein ne
3
comprend pas Boëldieu mais ce dernier a compris que sa classe sociale est perdue lorsqu'il rentrera de la
guerre. Paul Spillebout, enseignant au collège Corneille de Tours, trouve que l'échange entre Boëldieu et
Rauffenstein donne une sorte de décodage : Boëldieu explique bien à Rauffenstein qu'ils font partie d'un
monde qui se termine.
"Boëldieu : - Je crains que ni vous ni moi ne puissions arrêter la marche du temps
Rauffenstein : - Boëldieu, je ne sais pas qui va gagner cette guerre. La fin, quelle qu'elle soit, sera la fin des
Boëldieu et des Rauffenstein.
Boëldieu : - On n'a peut-être plus besoin de nous...
Rauffenstein : - Et vous ne trouvez pas que c'est dommage ?
Boëldieu : - Peut-être..."
À la mort de Boëldieu, Rauffenstein coupe la fleur dont il prenait soin comme s'il coupait son unique espoir. À
la fin du film, les personnages nous semblent familier (un juif, un instituteur, un acteur et un ingénieur ainsi que
Maréchal, représentant du bon peuple), ce n'est qu'une illusion. Nous ne les connaissons pas personnellement
mais le plus important est ce que les personnages représentent.
Musique :
Jean Renoir a utilisé plusieurs mélodies bien connues à l'époque des cultures française, anglaise et allemande
(Source : Wikipédia) :
 Frou-Frou (1897), paroles d'Hector Monréal (1839-1910) et Henri Blondeau (1841-1925), musique
d'Henri Chatau (18..-1933), https://www.youtube.com/watch?v=9Qa9jn-aCz4
 Frère Jacques
 Si tu veux Marguerite (1913), paroles de Vincent Telly, musique d'Albert Valsien, créée par Fragson
https://www.youtube.com/watch?v=GiaAeMfrhRU
 It's a Long Way to Tipperary https://www.youtube.com/watch?v=cPk21C0Wpkg
 La Marseillaise
 Il était un petit navire, joué par Boëldieu avec son pipeau, pour distraire les gardes pendant l'évasion
de Rosenthal et Maréchal, qui plus tard, lors d'une altercation sur la route, se la crient l'un à l'autre.
 Die Wacht am Rhein https://www.youtube.com/watch?v=-ZujhoHZBsg
Paroles de la chanson « Ça fait d’excellents Français » chantée par Maurice CHEVALIER (1937) :
http://www.youtube.com/watch?v=m3I2SrSvJzM
Le colonel était dans la finance
Le commandant dans l'industrie
Le capitaine était dans l'assurance
Et le lieutenant était dans l'épicerie
Le juteux était huissier d'la Banque de France
Le sergent était boulanger-pâtissier
Le caporal était dans l'ignorance
Et l'deuxième classe était rentier !
Et tout ça, ça fait
D'excellents Français
D'excellents soldats
Qui marchent au pas
Ils n'en avaient plus l'habitude
Mais c'est comme la bicyclette, ça s'oublie pas !
Et tous ces gaillards
Qui pour la plupart
Ont des gosses qui ont leur certificat d'études
Oui, tous ces braves gens
Sont partis chicment
Pour faire tout comme jadis
Ce que leurs pères ont fait pour leurs fils
Le colonel avait de l'albumine
Le commandant souffrait du gros côlon
La capitaine avait bien mauvaise mine
Et le lieutenant avait des ganglions
Le juteux souffrait de coliques néphrétiques
Le sergent avait le polype atrophié
La caporal un coryza chronique
Et l'deuxième classe des cors aux pieds
Et tout ça, ça fait
D'excellents Français
D'excellents soldats
Qui marchent au pas
Oubliant dans cette aventure
Qu'ils étaient douillets, fragiles et délicats
Et tous ces gaillards
Qui pour la plupart
Prenaient des cachets, des gouttes et des mixtures
Les v'là bien portants
Tout comme à vingt ans
D ́où vient ce miracle-là ?
Mais du pinard et du tabac !
Le colonel était d'l'Action Française
Le commandant était un modéré
Le capitaine était pour le diocèse
Et le lieutenant boulottait du curé
Le juteux était un fervent extrémiste
Le sergent un socialiste convaincu
Le caporal inscrit sur toutes les listes
Et l'deuxième classe au PMU !
Et tout ça, ça fait
D'excellents Français
D'excellents soldats
Qui marchent au pas
En pensant que la République
C'est encore le meilleur régime ici-bas
Et tous ces gaillards
Qui pour la plupart
N'étaient pas du même avis en politique
Les v'là tous d ́accord
Quelque soit leur sort
Ils désirent tous désormais
Qu'on nous foute une bonne fois la paix !
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L'illusion des frontières :
La Grande Illusion n'est pas un film internationaliste.
Citation de Jean Renoir : "Je connais mal le cinéma des pays étrangers, je n'ai jamais tourné qu'en France et
je ne sais guère ce qu'il se passe en Amérique ou en Angleterre. Je vois cependant un grand danger dans la
formule du film international. Si (...), ce n'est pas en mettant dans le même ouvrage, un peu de couleurs
locales italienne, une valse viennoise, du charme slave et un montage à la Fritz Lang qu'on parviendra à
toucher des vastes publics sauf le Japon et l'URSS où l'on suit heureusement le chemin contraire. Partout
ailleurs, on s'efforce de renoncer aux termes spécifiquement nationaux, même en Amérique car on y laisse
tomber la tradition des westerns ou de Douglas Fairbanks pour tourner (...) ou des comédies passe partout. Je
suis internationaliste mais je crois à la nécessité d'un cinéma national, il faut montrer ce que l'on connaît bien.
Ne me répliquez pas en me citant La Grande Illusion, ce n'est point un film international mais de la vie
française et de la vie vécue ; reprochez-moi plutôt Les Bas-fonds, j'ai pourtant assez rouspété avant de le faire
et j'ai essayé de transposer le plus possible d'histoires."
Rosenthal dit clairement que les frontières sont les inventions des Hommes et ajoute que ces frontières sont
surtout mentales. Renoir a souvent rappelé sa théorie selon laquelle le monde est divisé par des frontières
horizontales (de classe) et non les barrières verticales (entre nations). Théorie plus facile à énoncer qu’à
(dé)montrer. Malgré l’aventure amoureuse entre Elsa et Maréchal, la complicité Français et Allemands
demeure épisodique. L’entente, de classe, entre les deux aristocrates est largement entamée par la trahison
de Boëldieu qui se sacrifie pour l’homme du peuple et le bourgeois enrichi, Juif, donc (pour lui) pas de son
sang. Même si c’est au nom des valeurs chevaleresques de sa classe, Rauffenstein tue bel et bien son
homologue. (Page 12 du dossier pédagogique du CNC)
Il y a également une multiplicité des langues (Français, Anglais et Allemand). L'acteur Erich von Stroheim a un
accent américain quand il parle Allemand. (Page 20 du dossier pédagogique du CNC)
"Interprétation et réception de La Grande Illusion : de la fraternité à la haine ?" :
(page 18 du dossier pédagogique du CNC)
Naïma Di Piero a trouvé des critiques qui se demandent si Rosenthal est antisémite. L'extrême droite de
l'époque dit que l'exception confirme la règle et ajoute que Renoir servirait la cause antisémite. Une partie de la
gauche ne tolère pas l'équation : Rosenthal est égal à financier. Toute une partie de la critique dit que
Rosenthal servirait à la propagande antisémite.
"Antisémite convaincu, d’instinct et j’espère de raison, je suis enchanté que M. Renoir ait donné à ce juif un
beau rôle. Je n’ignore pas que c’est là sans doute que l’auteur montre le bout de l’oreille. Mais je ne doute pas
non plus que ce Rosenthal embarrasse force juifs ! Rosenthal est un valeureux soldat. Oui, cela est arrivé à
des juifs. [...] Oui, mais comptons les Rosenthal. Nous pouvons dormir tranquilles. Ce ne sont pas ces braves
qu’Israël invoquera jamais ! Ils sont trop peu. Si bien que M. Renoir sert parfaitement la cause anti-juive, en
amenant les spectateurs à réfléchir sur un petit problème qui appartient à la plus élémentaire arithmétique.
J’ajoute que Rosenthal explique pourquoi il se bat : « Nous sommes riches. Nous avons trois châteaux en
Touraine, cinq fermes en Poitou. On peut bien se faire trouer la peau pour conserver ça . » Propos qui
entraîneraient des commentaires dépassant par malheur mon cadre. C’est en tout cas un piquant éloge de la
propriété par le « marxiste » (?) Renoir. Au fond, si une idée se dégage avec force du film de M. Renoir, c’est
celle-ci. L’homme, en faisant la guerre, obéit à des lois qui le dépassent, et qui sont pourtant inscrites dans sa
nature. Nier la guerre, c’est nier l’homme, c’est le pacifisme utopique qui nous a toujours ici fait lever les
épaules. [...] Inutile ou nécessaire, la guerre, le plus tragique signe de l’imperfection humaine, hausse audessus d’eux-mêmes ceux qui en sont dignes, un Boeldieu, un Rauffenstein, un Maréchal, un Rosenthal. Sans
la guerre Boeldieu et Rauffenstein eussent été d’élégants désœuvrés, des cavaliers distingués, Maréchal un
petit mécano vivant entre son apéritif et sa bicyclette, Rosenthal un vulgaire trafiquant d’argent. La guerre en a
fait non seulement des braves, mais des êtres d’une humanité infiniment riches et noble."
François Vinneuil, L’Action Française, 11 juin 1937
Renoir dit clairement que La Grande Illusion est un film engagé mais pas partisan. Les critiques vont lui
reprocher d'avoir filmé la guerre "en dentelles". La Grande illusion est un film engagé, il délivre un message
pacifiste. Mais celui-ci ne passe pas par la dénonciation des horreurs de la guerre, il insiste plutôt sur la
démonstration de son inutilité.
Trois passages montrent cette inutilité : Douaumont (en parler aux collégiens) est pris par les Allemands, puis
repris par les Français, avant de retomber entre les mains des troupes allemandes. La phrase prononcée par
Elsa teintée d’amertume sert parfaitement le réquisitoire de Renoir contre la guerre en dénonçant une nouvelle
fois son inutilité.
Dialogue de fin entre Maréchal et Rosenthal :
"Maréchal : - Ben ! comme les copains, faut bien qu'on la finisse cette putain de guerre.... en espérant que
c'est la dernière !
Rosenthal : - Ah ! Tu te fais des illusions !"
La musique martiale du dernier plan vient confirmer cette nécessité d’un engagement face aux menaces qui
pèsent sur le monde en 1937. La prise de vue en plongée, la fragilité des personnages réduits à de simples
silhouettes empêtrées dans la neige traduisent métaphoriquement cette réalité.
5
Pistes :
1/ Analyser les différentes critiques de la presse à chaque sortie du film et parler de la censure/la coupure des
scènes avec les élèves qui ne donne pas le même sens au film.
2/ Film documentaire même si ce film est une fiction : l'image des années 1930 est réaliste et Jean Renoir a
vécu la même chose du début du film, il a été sauvé par Armand Pinsard, alors adjudant.
"C’est vers la fin de l’été 1934, alors qu’il tourne Toni en Provence, que Renoir retrouve par hasard l’homme
qui lui a sauvé la vie en 1915. Obligés d’accompagner quelqu’un de l’État-Major pour une mission mystérieuse,
pris en chasse par un avion allemand, ils furent sauvés par l’intervention du Spad de l’adjudant Pinsard « un
des plus brillants chasseurs de l’aviation française ». Renoir est fasciné par cet homme en qui il voit un alter
ego, passe des heures à écouter ses histoires de chevaux, avant de le perdre de vue. Vingt ans plus tard,
Pinsard est devenu général, mais il est toujours intarissable sur ses aventures : abattu sept fois, sept fois
évadé. Renoir prend des notes et, vers l’automne 1935, demande au scénariste Charles Spaak de tirer de ces
notes (L’Évasion de Pinsard) un projet de scénario. (...) On y trouve une « mission de reconnaissance en
compagnie d’un aristocrate », sa capture, son séjour au cachot et les larmes de ses camarades à sa sortie,
enfin « son évasion d’une forteresse en compagnie du capitaine Ménard et leur marche (retardée par la foulure
de Ménard) […] vers la frontière suisse avec pour seuls soutiens des vivres et une carte » . On peut ajouter à
cela un récit du lieutenant Villelume (Le Figaro, 23 mai 1918), qui se sacrifia pour faciliter l’évasion de deux de
ses camarades, Ménard et Pinsard... Pourtant, ni le nom ni le récit de Pinsard ne figurent au générique de La
Grande illusion. (...) Jean des Vallières où le héros aviateur sympathise avec un Allemand ancien mécanicien
en France, rencontre un instituteur, un ingénieur, un acteur, un parisien gouailleur, un traducteur du poète
Horace, avec un tunnel creusé pour s’évader, un théâtre de travestis anglais, la communauté russe, la
forteresse et son commandant, une opération de tapage nocturne, l’insistance sur l’expression « streng
verboten », la chanson Il était un petit navire… Des Vallières perdit son procès en « plagiat partiel », mais il est
vrai qu’à la sortie du film, nombre de poilus survivants eurent le sentiment d’y retrouver leur propre histoire..."
"Les événements du 6 février 1934 ainsi que sa compagne de l’époque, la monteuse Marguerite Houllé,
rapprochent Renoir de la politique. En collaboration avec Jacques Prévert et le Groupe Octobre 6, il réalise en
1935 Le Crime de M. Lange, qui, après coup, apparaît comme précurseur des événements politiques à venir :
des ouvriers fondent une coopérative, un tribunal populaire improvisé juge un patron crapuleux...
« Compagnon de route » du Parti Communiste Français, Renoir dirige le film de commande collectif du parti
pour la campagne électorale du Front populaire en mai 1936, La Vie est à nous, et de 1936 à 1938, il tient une
rubrique libre dans le quotidien fondé par Louis Aragon, Ce soir. Puis, décrivant la Révolution française à
travers les petits faits de la vie quotidienne du sans-culotte comme de la famille royale, La Marseillaise (1937)
est financé en grande partie par souscription de la CGT auprès du public"
(Page 3 du dossier pédagogique du CNC).
Le réalisme poétique a marqué les esprits autant que le néo-réalisme italien ou La Nouvelle Vague française.
Pourtant peu de noms s'y rattachent : Jean Renoir, Marcel Carné, Jean Grémillon et Julien Duvivier. Ils
participent au développement de la culture populaire qui émerge parallèlement à l'arrivée au pouvoir du Front
Populaire. Les films appartenant au réalisme poétique se veulent un portrait juste et honnête des modes de vie
dans certaines populations. Le thème de la fatalité est récurrent dans ces films, la fatalité de la destinée
humaine.
3/ Étude de l'affiche (Page 1 du dossier pédagogique du CNC) :
À chaque sortie du film, une affiche était faite. Ce qui frappe dans l'affiche de Bernard Lancy (Affichiste des
Enfants du Paradis) est la diagonale violente : même si nous reconnaissons la silhouette d'un soldat allemand,
il est difficile de distinguer si le personnage est réel ou dessiné.
4/ La Grande Illusion est un film suggérant la guerre mais qui ne la montre jamais. Les élèves ont l'habitude de
voir des films de guerre avec des effets spéciaux comme par exemple, Il faut sauver le soldat Ryan alors que
dans La Grande Illusion, elle n'est que suggérée. Il n'y a pas seulement une économie financière mais un choix
esthétique. Un grand nombre de gros plans est présent dans le film.
- Guerre présente par la narration, les répliques, la mise en scène et le décor.
- Extrait de l'homme qui se déguise en femme : tout le monde s'arrête de parler (25 min 37 sec). Cette
séquence fait ressentir le manque cruel de femmes et par le même coup, la guerre.
- Représentation des blessures physiques : le corps du Commandant Von Rauffenstein. Au début du film, on le
voit qui annonce qu'il a abattu l'avion et on le revoit ensuite avec une minerve et une cicatrice ; c'est aussi une
manière de suggérer la guerre.
- Absence du mari et des frères d'Elsa : la table est devenue trop grande.
5/ Les enseignants peuvent travailler sur les chansons de l'époque que les collégiens connaissent peut-être
(Cadet Rousselle, Marguerite). Rosenthal sera peut-être un personnage en dehors des réalités, que les élèves
ne comprendront pas.
Dominique Roy fait remarquer que ces chansons font référence aux chansonniers des rues qui participaient à
la cohésion sociale, ce qui n'est plus possible à l'heure actuelle.
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6/ La Grande Illusion est un film sur l'évasion avec des ouvertures dans chaque séquence (portes, fenêtres).
Ils sont enfermés mais la fenêtre est ouverte. La caméra se trouve à l'extérieur sur les prisonniers à la fenêtre
mais l'extérieur n'est pas montré. Le bruit des pas n'est pas réaliste car les pas ne peuvent pas être entendus
de cette façon. Jean Renoir joue avec la profondeur des champs. Dans cette scène, les personnages sont
présentés un par un. Le fait d'avoir des fenêtres fait assez théâtre, spectacle : ils sont en train de répéter un
spectacle et ils deviennent spectateurs du spectacle se jouant dans la cour. (Pages 14 et 15 du dossier
pédagogique du CNC)
> Texte à lire de Jean Douchet sur La Grande Illusion : "Les fenêtres chez Jean Renoir » de Jean Douchet, in
Trafic, n° 24, hiver 1997
7/ La nourriture tient une place importante dans le film avec des stéréotypes (France : camembert ; Russie :
vodka). Pour les officiers prisonniers, les Allemands faisaient attention à ce qu'ils ne manquent de rien. La
nourriture peut être une piste intéressante avec les élèves pour voir à quels moments ce thème est abordée.
Des lois étaient passées pour que les prisonniers de guerre mangent aussi bien que les officiers de la troupe.
Lorsque les enseignants parlent de prisonniers de guerre avec les élèves, ces derniers n'ont pas l'image
donnée par La Grande Illusion. Dominique Roy fait remarquer que les prisonniers de guerre sont désormais
appelés otages.
"Du départ de Maréchal et Boëldieu de la cantine des officiers allemands, à la mort de ce dernier, l’action de
La Grande illusion se déroule dans deux offizierslagers (oflags), c’est-à-dire des camps de prisonniers de
guerre allemands réservés aux officiers. En 1918, sur plus de 7 600 000 combattants capturés sur tous les
fronts pendant la guerre, 2 600 000 sont internés en Allemagne dans 320 camps et dépôts, tandis que la
France en détient 350 000, pour la grande majorité Allemands. Parmi les prisonniers de guerre détenus en
Allemagne en 1918, les Russes sont de loin les plus nombreux (1 434 529), suivis par les Français (535 411),
les Britanniques (185 329), les Roumains, Italiens, Belges, Serbes, Portugais, Américains, Japonais (107) et
Monténégrins (5).
On va le voir, la condition de prisonnier de guerre est lourde à supporter, mais, en 1914-18, le respect de
certaines règles internationales en atténue encore la rigueur (fixées par la Convention n°4 du 18 octobre 1907
de la Conférence de La Haye), malgré les circonstances matérielles contraignantes. Rien à voir, ou presque,
avec les camps de la Seconde Guerre mondiale, qu’ils soient de concentration et, évidemment,
d’extermination, dans la mesure où l’idéologie et le régime nazi se placent en dehors des conventions
internationales.
Les prisonniers logent par nationalité, mais les installations collectives sont communes à toutes les nationalités
présentes dans le camp. Les officiers sont exemptés de travail et les sous-officiers ne peuvent se voir attribuer
que des tâches d’encadrement. En revanche, sous-officiers et simples soldats, internés dans des stalags
(camps de prisonniers ordinaires), peuvent être contraints au travail, ce dont les autorités allemandes ne se
privèrent pas afin de remplacer les travailleurs allemands sous les armes.
Le respect de ces règles telles que l’obligation d’assurer aux prisonniers une nourriture identique à celle
accordée à ses troupes, ne garantit toutefois pas une nourriture suffisante, car la population allemande est
soumise à un sévère rationnement, d’où l’obsession de la nourriture et l’importance des colis autorisés par la
Convention.
Sport, jeux de société, lecture, chorale, troupes de théâtre... aident à oublier quelque peu l’éloignement, un
fréquent sentiment de culpabilité de se trouver à l’abri des combats et les conditions de vie difficiles. Du fait de
leur disponibilité et d’une solde plus importante garantie par la Convention (L’article 8 stipule que les
prisonniers sont soumis aux loi et règlements du pays capteur, mais l’armée allemande a conservé, jusqu’en
1917, les punitions corporelles. Autorité et presse française les dénoncent comme « barbares », ce que
Rauffenstein ne manque pas de souligner, séquence 20), les officiers s’y adonnent bien plus que les autres.
Grâce aux livres amenés dans leurs bagages par les prisonniers et aux envois des comités nationaux de la
Croix Rouge des pays belligérants, les camps sont pourvus de bibliothèques. Certains prisonniers organisent
des cours et des conférences. Grâce aux prisonniers artistes, chorales et troupes de théâtre parviennent à
monter des représentations de qualité parfois payantes afin de réunir des fonds de solidarité pour les blessés
ou nécessiteux. L’artisanat est une activité très prisée tant pour fabriquer des objets utilitaires que des
souvenirs. Le courrier, préoccupation constante, est contrôlé tant au départ qu’à l’arrivée." ( Page 19 du
dossier pédagogique du CNC)
Il est important de faire la différence entre officiers et simples soldats pour les élèves et Naïma Di Piero ajoute
que le film a été écrit à partir de témoignages, d'où le côté réaliste.
Nicolas Carli-Basset, professeur de lettres au collège Bergson de Saint Cyr sur Loire, dit que la guerre 19141918 est présentée aux élèves comme une grande boucherie, une guerre des tranchées ; il faut donc
présenter le film autrement en leur indiquant que ce film parle d'autre chose et que, finalement, ce film ne parle
peut-être pas de la première guerre mondiale.
Nous pouvons nous demander si le film ne traite pas plus de la guerre à venir que celle de 1914-1918. Pour
Marie Mignot, lorsqu'elle avait vu le film, elle pensait qu'il se déroulait pendant la deuxième guerre mondiale.
Dans un sens, Maréchal et Rosenthal ne sont menacés que lorsqu'ils s'évadent ; avant ils sont protégés dans
l'enceinte de la prison. Les élèves peuvent se demander pourquoi ils partent en hiver ?
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Rencontre entre Jean Renoir et Céline :
"En décembre 1937 paraît « Bagatelles pour un massacre », dans lequel Louis-Ferdinand Céline s'en prend
notamment à deux vecteurs essentiels, à ses yeux, de la décadence française, l'alcool et le cinéma. Il dit de La
Grande Illusion :
«[...] Ce film prend date. Il fait passer le Juif de son ombre, de son travesti, au premier plan, au plan "sozial" en
tant que juif nettement juif. [...] Avènement du petit Juif au rôle de messie officiel. Parfaitement millionnaire ce
petit Rosenthal... Mais parfaitement "populaire"... Ah ! mais populaire encore bien plus que millionnaire ! Il est
riche ! Richissime... remarquez ce petit Youtre. [...] Il représente intégralement l'abject gibier de réverbère.»
Aussi bien, un jour du début 1938, Jean Renoir annonce-t-il à son fils qu'il souhaite le voir l'accompagner à un
rendez-vous d'un genre particulier: «Je veux rencontrer un écrivain que j'admire, mais dont les idées se situent
à l'opposé des miennes. De fait, nous ne sommes d'accord sur rien, et la conversation sera probablement très
difficile. Tu viendras avec moi, il faut que tu saches que cela risque de mal se passer, mais quoi qu'il puisse
arriver, ne dis rien.»
Céline habite au numéro 98 rue Lepic, (...) Céline n'a que la rue à traverser, Jean et Alain Renoir quelques
minutes de marche seulement, mais pour Jean, encombré de son propre poids, traînant sa jambe blessée, la
pente de la rue Lepic est pénible à escalader. [...]
Céline est seul dans la grande salle quand les Renoir se présentent. La rencontre sera brève, Renoir fait part à
l'écrivain de l'admiration qu'il porte à ses livres, Céline renaude, maugrée, insulte. Renoir insiste, «Voyage au
bout de la nuit», livre magistral, œuvre majeure, «Mort à crédit», roman admirable et incompris, Céline se
cabre, crache, vomit, s'obstine dans ce qui peut-être est un spectacle, il le joue trop bien pour que seulement
on imagine qu'il n'y croit pas.
Céline n'entend pas, Céline ne veut pas, Céline a la rage, le plus grand écrivain français est fou (...) : «Je vous
promets que... les Allemands vont venir arranger tout ça... ils vous mettront le dos au mur... et ce jour-là...
soyez-en sûr... c'est moi qui commanderai le peloton !» Renoir lui tourne le dos et s'éloigne, entraînant son fils,
qui dans la rue lui demande comment il lui est possible d'admirer un homme qui le hait à ce point. Sa
réponse: «Si on se privait d'admirer quelqu'un au motif qu'il veut vous faire fusiller, on finirait vite par manquer
de gens à admirer.»
Sa réplique à Céline, Renoir la lance quelques jours plus tard. Dans la chronique qu'il donne chaque mercredi
au quotidien communiste « Ce soir », il fait part de l'agacement provoqué par le livre chez ses amis. Lui-même
prétend avoir arrêté sa lecture au bout de quatre pages, qui lui ont suffi à comprendre: «Un truc dans le genre
de la pluie, morne et régulier. M. Céline me fait beaucoup penser à une dame qui a des difficultés périodiques ;
ça lui fait mal au ventre, alors elle crie et elle accuse son mari. La force de ses hurlements et la verdeur de son
langage amusent la première fois; la deuxième fois, on bâille un peu ; les fois suivantes, on fiche le camp et on
la laisse crier toute seule.» Le rapprochement manque d'élégance et fleure la misogynie, mais c'est envoyé.
Suit le compte rendu, censément établi par Renoir à partir de la lecture faite par un ami: «A peu de chose près,
Céline se contente d'affirmer que La Grande Illusion est une entreprise de propagande juive. La preuve, c'est
que dans ce film j'ai osé montrer un vrai Juif, et en faire un personnage sympathique.» Les amis du cinéaste
évoquent une souhaitable fessée de l'écrivain en place publique, mais Renoir les persuade de renoncer à leur
projet, préférant conclure:
«Au service de la juiverie, il y aurait, paraît-il, aussi des gens comme Cézanne, Racine et bien d'autres. Nous
sommes donc en bonne compagnie... et de nous rengorger! M. Céline n'aime pas Racine. Voilà qui est
vraiment dommage pour Racine. Moi, je n'aime pas les imbéciles, et je ne crois pas que ce soit dommage pour
M. Céline, car une seule opinion doit importer à ce Gaudissart de l'antisémitisme, c'est la sienne propre.»
(Extrait : http://bibliobs.nouvelobs.com/de-l-ecrit-a-l-ecran/20120927.OBS3833/le-jour-ou-renoir-a-parlea-celine.html)
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Naïma Di Piero de sa venue pour son intervention à Tours sur ce
film devant les professeurs de collège investis dans le dispositif Collège au cinéma.
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