la france forte - Bernard Brochand

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la france forte - Bernard Brochand
01/07 MARS 12
Hebdomadaire Paris
OJD : 90434
Surface approx. (cm²) : 1315
N° de page : 16-18
3/5 RUE SAINT GEORGES
75009 PARIS - 01 40 54 11 00
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FRANCE
ecrets
de campagnes
Propos recueillis par
ARNAUD FOLCH
Entretien avec Bernard Brochand "Metteur en scène" de la plupart
des campagnes de la droite depuis trente ans, le célèbre publicitaire, aujourd'hui
député et maire UMP de Cannes, se confie à "Valeurs actuelles'
Ciel bleu. Le bleu est
Qui a, par ailleurs, fait décrypter l'affiche du présidentla couleur traditionnelle de la
droite. Le ciel est limpide, sans
candidat par l'un de ses communicants.
nuage, l'horizon s'éclaircit :
la promesse d'une amélioration
de la situation. Après
la tempête, le beau temps.
LA
FRANCE
FORTE^Nom (presque) caché.
Afin de faire primer le message
sur l'homme, le nom du candidat
n'apparaît qu'en petit, en bas à
gauche - la partie la moins "visible"
de l'affiche. À noter aussi : le diminutif "Sarko" étant plus empathique
que le nom "Sarkozy", sa dernière
syllabe se fond sur la chemise.
CANNES4
3881541300524/GRT/ATA/2
Eléments de recherche : BERNARD BROCHAND : maire de Cannes (06), toutes citations
01/07 MARS 12
Hebdomadaire Paris
OJD : 90434
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Bernard Brochand.
L'ancien patron
de DDB International
est l'un des maîtres
de la pub politique.
V
ous qui avez "inventé"
la plupart des slogans
de Jacques Chirac, que
pensez-vous de celui
de Nicolas Sarkozy,
"La France forte" ?
C'est un bon slogan,
car il correspond à la
fois à la personnalité du
candidat lui-même, à
sa vision de la France et à l'attente des
Français. Or c'est cela le secret d'un bon
slogan : une alchimie entre l'homme,
son projet et les aspirations de son
époque. En 2007, avant le déclenchement de la crise, les Français, lassés par
l'immobilisme, attendaient un président novateur et dynamique. Ce qu'ils
ont eu. Cinq ans plus tard, avec la crise,
ils veulent un président crédible et
solide. Ce qu'il est.
Inversement, quel jugement portezvous sur le slogan de François Hollande, "Le changement, c'est maintenant" ? Très franchement, je trouve
que c'est un slogan creux, sans contenu.
Le seul "changement" promis est un
changement d'homme. Ce que dit Faf-
fiche de François Hollande c'est : "il
faut changer de président et je suis le
mieux placé pour le faire". Mais changer pour quoi faire ? Il ne le dit pas. Et
pour quel type de présidence ? Il n'en
dit rien non plus. La preuve que ce
slogan n'est pas incarné et n'indique
pas de direction, c'est qu'il pourrait être
accolé à tous les autres candidats - qui
espèrent tous prendre la place de
Nicolas Sarkozy. Or un bon slogan n'est
jamais interchangeable, puisqu'il doit
Slogan fort. Non pas "Pour une
au contraire vous distinguer, dans tous
France forte", mais "La France forte".
les sens du terme, par rapport aux
Sous-entendu : "la France forte"
autres.
c'est Sarkozy lui-même. Il l'incarne.
Vaut-il mieux faire campagne avec
Autre sous-entendu : Hollande, c'est
l'objectif de combler ses points
"La France faible". Lettres capitales :
faibles ou de valoriser ses points
considérées comme moins "lisibles"
forts ? Une campagne présidentielle,
que les minuscules (et donc moins
c'est une compétition. Chacun avec ses
utilisées dans la pub), elles apportent
armes. Il faut donc, d'abord, commude la solennité et de la rigueur.
niquer sur ses points forts, sa valeur
ajoutée par rapport aux autres.
C'est ce que fait N i c o l a s
Président-candidat. Situé côté gauche, Sarkozy: il s'appuie sur ses
moins visible que le côté droit, son profil
atouts. Qu'on l'aime ou qu'on
fixe le slogan—qui est la véritable "star"
ne l'aime pas, personne ne le
de l'affiche. Plus que l'homme lui-même
conteste : c'est un homme fort,
(impopulaire), c'est sa stature présidentielle
un homme d'expérience, qui a
(son principal atout) qui est vantée.
la carrure présidentielle, plus
Costume et cravate sombre, chemise
nécessaire que jamais en péblanche, Sarkozy pose aussi en "présidentriode de crise. Soit l'inverse de
candidat". Manque sa Légion d'honneur l'image de François Hollande,
qui s'explique par l'interdiction du bleujugé plus sympathique mais
blanc-rouge sur les affiches électorales.
suspecté de mollesse. "La
France forte", c'est Nicolas Sarkozy ; la France faible, François HolMer calme. Objectif:
lande. Si c'est sur ce terrain de la crédidonner une image de sérénité
bilité en période de crise que se déroule
au candidat, dépeint par
la campagne, le président l'emportera.
ses adversaires en "agité".
Si c'est sur la perception de sa personnalité ou de son bilan ce sera plus difficile.
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Vous auriez pu travailler pour François Mitterrand ou François Holl a n d e ? Non, et pour une raison
simple : je ne partage pas leurs convictions. Pour moi, il serait impensable de
travailler pour un candidat avec lequel
je serais en désaccord sur les idées ! Ma
première campagne remonte à 1973.
Jacques Blanc, qui était maire d'une
petite ville de Lozère et souhaitait se
présenter aux législatives, m'avait demandé de lui trouver un slogan. Je l'ai
écouté, suivi. Sa commune était très
florissante. Je lui ai proposé : "Ce que
j'ai fait pour La Canourgue, je peux le
faire pour la Lozère". Il a été élu au
premier tour. Depuis, je n'ai toujours
conseillé que des candidats de droite et
du centre - pour la plupart des amis.
Un bon slogan peut-il permettre à un
mauvais candidat de l'emporter?
Victor Hugo l'a écrit : « La forme, c'est le
fond qui remonte à la surface. » Et c'est
très juste : un bon slogan, c'est l'addition
d'une cohérence et d'une valeur ajoutée
imaginaire : il ne doit pas nier la réalité,
il doit la magnifier. Placez la tête de
François Hollande sur l'affiche "La
France forte" de Nicolas Sarkozy : cela
paraîtrait tout à fait incongru et même
mensonger. Inversement, le slogan "Le
changement, c'est maintenant" accolé
au nom de Nicolas Sarkozy serait tout
aussi inadapté. Une bonne communication peut être déterminante, plus qu'à
la marge, notamment dans le cas d'un
scrutin serré, ce qui est le cas de la
plupart des élections présidentielles.
Mais, je me répète, pour que ce slogan
ou cette affiche soient efficaces, ils
doivent refléter la "vérité vraie" du
candidat : l'humanité de Jacques Chirac,
sa proximité avec les Français, que l'on
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a mis en exergue avec "La France pour barre • le président est toujours aussi
tous", en 1995, ne sont pas une invention dynamique et détermine qu'il y a cinq
de communicants, c'est la réalité Idem ans - il travaille tout le temps ' -, mais a
pour le dynamisme et la détermination ce dynamisme et cette détermination
du"Ensemble, tout devient possible"de s'ajoute aujourd'hui une autre qualité,
Nicolas Sarkozy en 2007
absolument fondamentale en temps de
Justement, s'il est un slogan qui crise • l'expérience Nicolas Sarkozy ne
paraîtrait "inadapté", comme vous s'est pas renié, il s'est adapte. A situation
le dites, à l'actuelle campagne de Ni- de crise, président de crise
colas Sarkozy, c'est bien son slogan Et communication de crise ? Je dirais
d'il y a cinq ans. Cela ne démontre- plutôt communication adaptée, elle
t-il pas qu'il a échoué à tenir ses pro- aussi. Restée dans les mémoires, la
messes ? Nicolas Sarkozy n'a pas campagne "Vivement demain" de
change en cinq ans, c'est la situation qui 1986, pour le RPR, était une campagne
a change Avec la double crise écono- joyeuse, souriante, optimiste Elle
mique et financière sans précèdent que s'adressait a une France qui attendait
nous avons connue, nous sommes en- d'être entraînée, aujourd'hui, les Frantres dans une longue séquence "crise" çais demandent a être rassures, proqui impose un solide capitaine à la tèges.
'résidentielles Recettes de pub
epuis 1965, nombre d'affiches et
D
de slogans politiques ont permis
de faire connaître, et souvent gagner,
un candidat.
En course pour la présidentielle de
1965 face à de Gaulle et Mitterrand,
c'est a sa très iconoclaste affiche
(pour l'époque) que Jean Lecanuet
doit sa percée, la plus inattendue
de la Ve République : totalement
inconnu avant le scrutin, il obtiendra 15 % des voix — et la troisième
place. Le secret de cette mise sur
orbite : non pas son très classique
slogan ("Un homme neuf... une
France en marche", très proche de
celui de Mitterrand : "Un président
jeune pour une France moderne"),
mais sa... photo ! La première d'un
candidat affichant un large sourire.
Calquée sur la campagne de John
Kennedy aux Etats-Unis, l'idée est
signée du publicitaire Michel Bongrand : « En face du conservatisme
traditionnel de la communication
politique française, explique-t-il, il
importait défaire vivre une image
jeune, dynamique, moderne. C'était
en fait l'apparition du "look". »
Contrecoup de cette audacieuse
première : si Lecanuet a gagné, brutalement, en notoriété, il peinera longtemps, par la suite, a se départir de
son surnom de "Monsieur dents
blanches" - et de l'image "marketing" qui va avec. À trop miser sur la
forme, gare a ne pas négliger le fond !
Avant de corriger le tir en 1981,
Mitterrand a commis l'erreur exac
tement inverse en 1974 : trop privilégier l'idéologie au détriment du
candidat lui-même. Alors que c'est
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d'abord pour l'homme (oula femme)
que votent les Français, le candidat PS
s'affichera principalement sous le
slogan : "Le Socialisme [avec un "s"
majuscule !], une
idée qui fait son chemin". Sept ans plus
tard, et avec le même
concepteur (Jacques
Séguela), c'est, cette
fois, sur sa personne, plus que son projet, que sera axe le
slogan "La force
tranquille" - destiné à "rassurer"
l'electorat modère.
Autre affiche
ayant joué un rôle
clé dans une victoire : "La France
pour tous" de Jacques Chirac en 1995,
dont Jean-Michel Goudard et Bernard
Brochand furent les maîtres d'œuvre.
Avec son allure décontractée, son petit
pommier dessine et cette ode au ras
semblement, le candidat RPR, deux
fois défaits en 1974 et 1981, parvien
dra à "humaniser" son image au détriment du candidat de "l'élite" Edouard
Balladur.
À noter que tous les slogans de presidents sortants en campagne pour
leur reélection comportaient le mot
"France"-censé incarner le candidat
lui-même : "II faut une France forte"
(Giscard, 1981), "La France unie"
(Mitterrand, 1988), "La France en
grand, la France ensemble" (Chirac,
2002), "La France forte" (Sarkozy
2012).
A F
"La France forte" de Nicolas Sarkozy
semble un mélange de deux anciens
slogans de présidents sortants Giscard en 1981 ("II faut une France
forte") et Mitterrand en 1988 ("La
France unie"). "Le changement, c'est
maintenant" de François Hollande
ressemble, lui, à un mélange du
"Changeons la vie" de Mitterrand en
1974 et du "Jacques Chirac, maintenant" de 1981. La communication
politique est-elle moins créative
qu'autrefois ? Je le croîs Jusqu'aux
années 1970, la publicité, dans son
ensemble, c'était la redame, comme on
disait alors : une communication plus
mformative qu'inventive A l'exception, sans doute, de la campagne présidentielle tout sourires de Jean Lecanuet, en 1965, la communication
politique était à son image plutôt
terne, quasi institutionnelle. Puis est
arrive Mai 68 et son autre révolution
la révolution des mots, des codes. A
partir de là, la publicité, dont la publi__
cite politique, a fait
elle-même sa révolution. Mais il n'y a
pas eu, depuis, d'autres révolutions, de
nouveau ton, et c'est
dommage Car tout
reste toujours a inventer.
Il y a Internet? Je ne
croîs pas qu'Internet
remplacera jamais
une affiche ou un
document écrit Internet permet d'accéder
au plus grand nombre
à tout instant, il autorise les débats d'idées,
favorise la mobilisation
militante, mais la communication politique, ce sont d'abord des engagements
et ceux-ci, pour être pris au sérieux, en
particulier en France, doivent en quelque sorte être "graves dans le marbre" :
si c'est écrit, c'est que c'est vrai ! Voyez
Nicolas Sarkozy et François Hollande
qui publient tous les deux un livre : un
livre, c'est concret, ça donne de la solennité.
De même que la télévision ne remplacera jamais les meetings et les poignées
de main, Internet ne supplantera jamais l'écrit.
Ceux qui pensent le contraire et négligent la communication traditionnelle
se trompent. C'est la révélation de son
affiche qui a véritablement lancé, en
l'incarnant, la campagne de Nicolas
Sarkozy.
•
Mam i JEAN
LECANUET
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