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L’EUROPE VUE DE RUSSIE AU XVIIIe SIÈCLE
Quelques éléments de réflexion
Wladimir BERELOWITCH
La Russie appartient-elle historiquement et culturellement à l’Europe ? Cette
question se pose actuellement avec une acuité renouvelée qui interdit de l’ignorer,
non seulement en raison de ses implications politiques directes et immédiates, mais
aussi parce qu’elle soulève aujourd’hui des interrogations qui avaient été occultées ou
gauchies sous la période communiste et qui font remonter à la surface des couches
de représentations parfois très anciennes. Rappelons schématiquement le “parcours
géographique” de la Russie sur la carte du monde, tel qu’on le voyait à partir de
l’Europe occidentale et tel qu’il a été retracé dans la synthèse remarquable et désormais
classique du regretté Martin Malia1. La Russie était classée à l’Est et hors du monde
civilisé dans les représentations géographiques du XVIe et du XVIIe siècle, mais elle
fut propulsée en Europe du Nord sous Pierre le Grand, grâce à ses victoires militaires
contre la Suède, aux mesures qu’il prit pour européaniser son pays et à la construction
de Saint-Pétersbourg. Cependant, si la Russie “demeura” en Europe au cours du
XVIIIe siècle, aussi bien dans les atlas de géographie que dans une littérature plus
vaste et plus générale, elle tendit à être représentée, surtout vers la fin du XVIIIe siècle,
comme un espace flou, extra-occidental, qui prit plus tard le nom d’Europe de l’Est,
comme le montre un ouvrage de Larry Wolf2. Image souvent embarrassée, entachée
par un doute persistant concernant l’œuvre de Pierre le Grand, et qui ne correspondait
pas vraiment à la version en quelque sorte officielle de l’européanisation de la Russie,
telle qu’elle fut grandement colportée par Voltaire et par toute une propagande russoeuropéenne de l’époque3. Au XIXe siècle, cette ambiguïté allait conduire à particulariser
la Russie; entité tantôt asiatique, tantôt européenne, et plus souvent encore eurasienne,
elle allait devenir aussi autonome dans les esprits que, par exemple, la Chine, l’Inde
ou l’Empire ottoman, en attendant d’être plus ou moins identifiée au communisme
dans sa période soviétique.
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Wladimir BERELOWITCH
La question de l’insertion ou de la non-insertion de la Russie en Europe ne peut
recevoir des réponses que si l’on procède à une histoire de relations concrètes, c’està-dire des déplacements, des circulations, des transferts des personnes, des biens, des
institutions, des modèles culturels, des œuvres littéraires ou artistiques, des livres, des
mots, etc., entre tel et tel milieu social, telle ou telle région de la Russie et de l’Europe,
telle ou telle institution, tel et tel individu, à une époque donnée. Seule l’étude précise
de ces circulations permet d’éclairer ces questions qui restent aussi obsédantes, voire
agaçantes aujourd’hui qu’il y a un siècle ou deux. Des études de ce type n’ont cessé
d’être menées depuis plus d’un siècle, mais ont connu un regain de vigueur depuis
les changements politiques intervenus à la fin des années 1980. En se limitant à la
période du XVIIIe siècle et sans énumérer tous les thèmes de ces recherches – ils
sont très nombreux même si on se contente de relever les sujets réellement étudiés,
sans compter les zones inconnues, bien plus importantes –, on peut dire que les
recherches les plus fécondes portent sur les médiateurs, les milieux, les réseaux qui
se situent de part et d’autre des frontières et qui furent agents de cette circulation.
Diplomates, voyageurs, marchands anglais, allemands, hollandais; étudiants de
l’Empire russe dans les universités européennes; universités, académies des sciences
ou des beaux-arts, écoles d’ingénieurs, écoles militaires et écoles de médecine créées
sur des modèles européens en Russie et entretenant des réseaux de relations avec
leurs homologues allemandes, françaises, hollandaises, anglaises, etc. Transferts de
technologies et d’institutions, jusques et y compris d’organisations de type ministériel,
d’administrations, de pratiques administratives. Élaboration en Russie de traditions
nationales – linguistique, littéraire, artistique, historiographique, juridique – à partir
d’éléments puisés dans le passé, mais aussi en France, Allemagne, Pologne, Italie, etc.,
par des médiateurs russes, allemands ou autres, souvent sur des modèles étrangers...
Autant de thèmes qui ont donné lieu à beaucoup d’études et d’expositions, souvent
très riches, notamment au début du XXe siècle en Russie et qui connaissent un regain
de faveur depuis la chute du régime communiste.
L’histoire de l’européanité de la Russie est donc un domaine à première vue bien
balisé depuis déjà plus d’un siècle. Mais c’est seulement à première vue, car en réalité
cette histoire reste encore à écrire. Plusieurs raisons à cela. La première est que la
question de l’européanisation de la Russie et des rapports entre ce pays et l’Europe a
été très lourde d’enjeux intellectuels, culturels et même politiques de toutes sortes. La
seconde est qu’elle a trop souffert des traitements propres à toute histoire nationale,
c’est-à-dire qu’elle a été considérée hors de ses multiples contextes internationaux. Elle
a souvent aussi donné lieu à des points de vue qu’on pourrait qualifier de bilatéraux :
nombreux sont les recueils, les monographies, les expositions qui ont été consacrés,
surtout depuis une vingtaine d’années, aux relations entre France et Russie, Allemagne
et Russie, Italie et Russie, Angleterre et Russie, Hollande et Russie, Suisse et Russie...4.
A ces raisons nous pourrions en ajouter une troisième : pour évaluer l’européanité de
la Russie, il faudrait parvenir à mesurer le poids des représentations que “les Russes”
se faisaient eux-mêmes de leur place en Europe et aussi à comprendre ce que ce mot
d’Europe signifiait à leurs yeux5. Si l’on ne tente pas de répondre à cette question,
on s’expose à deux tentations qui ont souvent guetté les observateurs et historiens
occidentaux : il s’agissait soit de reprendre insensiblement ces représentations à son
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L'Europe vue de Russie au XVIIIe siècle...
compte et de répéter les discours “slavophiles”, “occidentalistes” ou autres sous leurs
différentes formes, soit de les rejeter en bloc sous la notion commode et fourre-tout
de “mythe” local, produit sui generis d’un particularisme ou d’une “tradition russe”
anhistorique, car donnée une fois pour toutes.
Nous ne prétendrons pas répondre à la question posée dans un essai de synthèse
aussi bref, qui plus est reposant sur des sources trop limitées, et voudrions simplement
suggérer quelques pistes à partir du domaine, déjà si vaste, du XVIIIe siècle, même s’il
fut bien moins riche en productions culturelles et intellectuelles que les deux siècles
qui le suivirent 6.
Commençons par un premier constat de type impressionniste (car ne reposant sur
aucune statistique) sur l’époque de Pierre le Grand. Si les traces écrites ou picturales
que nous a laissées ce règne ne laissent pas beaucoup de témoignages et encore moins
de réflexions sur l’Europe, il n’en reste pas moins que le mot même, et par conséquent
l’idée, y furent certainement plus employés qu’au cours des époques précédentes. Cela
ne saurait étonner : la langue comme la pensée de la Russie ancienne répugnait aux
abstractions. Les réalités politiques, commerciales et autres de chaque Etat européen
s’imposaient suffisamment aux usages limités qu’on en faisait en Russie pour qu’on n’eût
pas recours à une abstraction aussi floue que celle d’Europe. En outre, la perception que
les élites russes (sans parler des autres catégories de la population) avaient de l’espace
européen était surtout concentrée sur leurs voisins immédiats – Suède, Pologne puis
Khanat de Crimée, Empire ottoman, Perse –, avec lesquels, du reste, la Moscovie
entretenait des relations diplomatiques plus suivies qu’avec des Etats plus occidentaux
(ou orientaux). Dans le livre d’Ivan Posochkov, Le livre sur la pauvreté et la prospérité
(Kniga o skoudosti i bogatstve), qui date de 17247 et qui est consacré à des questions
économiques et commerciales (il s’agit d’une réflexion sur les moyens d’étendre
la richesse de la Moscovie), on ne rencontre guère d’exemples ni de comparaisons
portant sur des pays ou des régions occidentales : on n’y trouve ni Hollande, ni ports
hanséatiques, ni Angleterre, ni... Europe, mais Suède, Perse et “Turquie” y apparaissent
régulièrement, notamment à propos du commerce russe. Si Posochkov évoque bien la
source de la richesse des Etats, c’est en des termes si vagues qu’il produit l’impression
de voir le monde européen occidental non seulement comme un tout indifférencié,
mais aussi sans identité réelle, bien que les moyens d’enrichissement qu’il propose
(commerce, industries, recherche des ressources minérales) auraient pu le conduire
à des références plus précises.
Avec le règne de Pierre, le mot Evropa, ou les adjectifs et adverbes dérivés
(evropskiï, evropeiskiï, plus tard evropeïskiï, po-evropski) de même que les substantifs
indiquant les habitants européens (evropeïtsy, evropeany, evropiiane, evropliane...)
se répandent8. Comme il est normal, ces mots apparaissent dans les tout premiers
ouvrages de géographie, comme celui de 1710 9. Plus intéressante est la façon dont
le nom de Pierre le Grand lui-même fut clairement associé à l’Europe. Une carte de
l’Europe, gravée par Alexis Zoubov entre 1720 et 1725, portait en médaillon dans
son coin gauche supérieur le portrait de l’empereur en vainqueur de la guerre. Le fait
en soi n’aurait rien de remarquable si ce médaillon ne portait pas comme légende...
Evropa (Europe) en place du nom ou du titre du tsar10 !
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Wladimir BERELOWITCH
Le tsar apporte l’Europe, une Europe considérée comme extérieure à la Russie,
même si les cartes géographiques l’y intègrent bel et bien, du moins sa partie
européenne, soit jusqu’au Iaïk et à l’Ob. Toutefois cette idée, si évidente et si courante,
déjà, dans les pays occidentaux avant même la mort du tsar en 1725, n’apparaît que
rarement sous une forme explicite, mais plutôt sous celle de périphrases. On en trouve
abondamment dans les sermons très politiques de l’archevêque Théophane Prokopovitch,
le propagandiste principal et l’un des proches conseillers de Pierre. Par exemple, dans
son sermon prononcé en 1716, à l’occasion du premier anniversaire de la naissance du
plus jeune prince, Théophane évoque ces nations qui “nous dédaignaient pour notre
prétendue grossièreté” et qui “recherchent assidûment notre amitié”; “ceux qui nous
méprisaient ne dédaignent pas nous servir”, etc. Et c’est seulement à la fin de cette
énumération qu’il lâche le mot : “Bien des têtes couronnées d’Europe ne se contentent
pas de conclure de leur plein gré des alliances avec Pierre, notre monarque, mais ne
considèrent pas comme un déshonneur de tendre la main droite à Sa Majesté : elles
ont changé d’opinion, abandonné leurs récits d’antan, effacé leurs histoires, et se sont
mises à parler et à écrire autrement”11.
Si le mot même d’Europe apparaît peu, c’est sans doute en raison de sa relative
nouveauté, mais aussi, peut-être, parce que son usage à cette époque, et a fortiori dans
la Russie du début du XVIIIe siècle, n’implique pas encore toute la charge culturelle et
politique qui l’accompagnera plus tard, puisque, comme l’a montré Federico Chabod
dans son texte célèbre, c’est lentement et surtout à partir de la fin du XVIIe siècle que
“l’Europe” s’est dotée de ses caractères propres12.
La glorification de la puissance aussi bien militaire que morale russe plaçait
clairement la Moscovie face à l’Europe, d’une Europe limitée à sa partie “occidentale”,
Empire des Habsbourg et Allemagnes, Suède et Danemark y compris, mais amputée de
la Pologne et des pays balkaniques. Il ne s’agissait pas, toutefois, d’une opposition, mais
d’une apposition, et d’un premier pas vers l’intégration. En effet, Pierre était crédité
par ses contemporains d’avoir inséré leur pays dans un ensemble de nations civilisées.
Les termes employés pour exprimer cette idée étaient variables, à la mesure du flou
qui régnait autour de cette notion même. Lorsqu’en 1721, après la paix de Nystad, le
chancelier Gavriil Golovkine décerna solennellement à Pierre, au nom du Sénat, les titres
romains d’imperator, de grand et de père de la patrie, il le crédita dans son discours
d’avoir tiré la Russie des “ténèbres de l’ignorance” (“pour ainsi dire du néant”) dont
elle avait été victime dans le monde, pour la faire accéder à la “société des nations
politiques” (à “l’être”)13. On trouve une réflexion similaire, plus tardive, chez Andreï
Nartov, auteur d’anecdotes sur Pierre le Grand dont il fut proche : “Pierre le Grand,
qui désirait placer la Russie au rang des nations européennes et morales, tant sur le
plan des lumières des sciences et des arts que des mœurs et de la façon de s’habiller,
donna l’ordre de raser les barbes et de porter des vêtements allemands courts...”14. Or il
semble que ces anecdotes aient été écrites bien après la mort de Pierre et il se pourrait
aussi que l’usage présent du terme “européennes” ait été dû à ce caractère tardif.
L’Europe apparaissait parfois d’une façon encore plus vague. Le projet, écrit en
1724, de création d’une Académie des sciences de Russie, qui fut corrigé et approuvé par
Pierre le Grand, commençait par un préambule où étaient exposées, sans autre précision,
les considérations suivantes : “On use habituellement de deux sortes d’établissements
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L'Europe vue de Russie au XVIIIe siècle...
afin de répandre les arts et les sciences : le premier est l’université (ouniversitet), le
second l’Académie (akademiia) ou société (sotsietet) des arts et des sciences”. Or,
poursuit l’auteur, si un tel établissement va être institué en Russie, “il est impossible
de suivre l’exemple adopté dans les autres Etats...”, car il ne s’agit pas ici, seulement,
de faire progresser les sciences comme dans l’académie, mais aussi de les diffuser,
donc de former des étudiants, et c’est pourquoi le nouvel établissement sera à la fois
académie, université et même collège15. Il nous semble significatif que cette création,
fortement inspirée par Leibniz à partir des exemples prussien, français et autres, ne
mentionne pas ses racines, non pas parce qu’on aurait voulu cacher le procédé, qui est
clairement défini comme une imitation, mais parce qu’on se réfère vaguement, mais
aussi universellement, au monde civilisé dans son ensemble. Cette idée d’universalité
associée à l’Europe, nous pouvons la rencontrer dans d’autres usages linguistiques. Par
exemple, lorsque certains voyageurs de l’époque découvrent l’Europe occidentale et
qu’ils décrivent les villes qu’ils visitent, ils usent du terme arkhitektoura pour désigner
l’architecture moderne en Europe, opposée non seulement au gothique, mais à tout ce
qu’elle n’est pas. Le terme, inexistant dans la langue du XVIIe siècle, apparaît peut-être
pour la première fois dans le récit de voyage de Piotr Tolstoï, au cours de son périple
en Europe de 1697-1699 : “A Florence [...] il y a des palais de grande taille, de trois ou
quatre étages, mais bâtis simplement, et non pas selon l’architecture”16 (c’est-à-dire
sans l’utilisation des ordres antiques). Lors de la construction de Saint-Pétersbourg,
cette dernière expression allait être officiellement utilisée afin d’obliger l’élite à bâtir
selon le langage architectural commun à toute l’Europe, qui impliquait l’emploi des
ordres. Pierre avait parfaitement compris que l’européanité, comprise comme un bloc,
devait passer par l’Antiquité.
Là est sans doute la clé de l’européanisation pétrovienne. L’Europe y est vue
comme un tout, considéré surtout comme une source d’emprunts et de transpositions.
Autant dire que le choix est nécessairement éclectique : il poursuit une visée utilitaire
et rapide et obéit bien plus à l’inspiration du moment, à des considérations d’opportunité
et d’efficacité qu’à des plongées réfléchies dans le passé ou dans les racines de tel ou
tel ensemble culturel. L’Europe est une sorte de grand marché, de bazar, dans lequel
on peut librement puiser, et d’autant plus librement qu’aux yeux du tsar lui-même, la
Russie apparaît bien comme une tabula rasa : appliquée à la Russie, l’expression est
de Leibniz. Moins vulgaire que celle du bazar, mais similaire, on trouve une image
de cette activité d’acquisition dans une homélie de Théophane, prononcée en 1717 à
l’occasion du retour de Pierre de son voyage en Hollande et en France. Après avoir loué
les mérites du tsar qui, tel saint Pierre, s’était mis à voyager et qui, tel saint Antoine,
considérait que son livre (la source de sa sagesse) était le monde entier, il comparait
le sage à l’abeille car “telle l’abeille, laissant là tout ce qui est nuisible, il choisit ce
qu’il voit de meilleur pour son propre redressement et pour celui de notre nation”17.
L’image antique de l’abeille, que Théophane a pu puiser chez Horace ou Sénèque aussi
bien que chez Montaigne18, s’associait au voyage, au progrès, à l’éducation, et donc à
la civilisation de l’homme.
Mais ce butinage ne signifiait pas pour autant que la procédure de l’emprunt fût
superficielle ou anodine. Ce n’est pas le lieu ici d’énumérer les très grandes et très
coûteuses “rafles” culturelles auxquelles Pierre se livra en Europe, soit par ses propres
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Wladimir BERELOWITCH
moyens, soit par l’intermédiaire de ses diplomates, agents et hommes de confiance,
pour européaniser la Russie. Il suffira de rappeler qu’il entrait dans l’obligation de
ceux-ci non pas seulement d’acquérir systématiquement des livres, instruments et
parfois œuvres d’art, non pas seulement d’embaucher des spécialistes étrangers et de
surveiller les jeunes Russes placés en apprentissage dans les universités, académies et
écoles navales de plusieurs Etats européens, mais aussi de fournir systématiquement
le tsar en informations sur le fonctionnement des armées, des forces navales, des
administrations et, de façon générale, sur l’“état” (c’était l’expression de l’époque)
de ces pays. Certes, dans quelques cas, des modèles prévalaient sur d’autres, mais la
création du Règlement de la marine, celle des collèges, celle de la fameuse “Table
des rangs” furent les fruits de ce procédé éminemment synthétique et éclectique dans
son esprit même.
Ces traits perdurèrent en Russie dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. D’où
venait le modèle de l’Académie des Beaux Arts, créée en 1758 ? De Paris, comme
on cherche bien souvent à le faire croire en France et en Russie, sous prétexte que
beaucoup d’enseignants furent en effet français au moment de sa création ? Ou
de Copenhague ou encore de Vienne, comme il peut le paraître d’après certaines
structures de l’institution ? Mieux vaudrait dire qu’il venait d’Europe, car au milieu
du XVIIIe siècle, les académies artistiques étaient devenues un phénomène européen,
de sorte que leurs différentes origines ou modèles tendaient à se mélanger aux yeux
du client néophyte du “supermarché” culturel européen. L’Instruction (Nakaz) que
Catherine fit publier en 1767 à l’intention de la commission législative, la charte des
villes qu’elle rédigea, encore, en 1785, même ses mesures visant à instruire les Russes,
furent des œuvres d’inspirations multiples, et la seconde, surtout, frappe par sa visée
universaliste (c’est-à-dire européenne) et éclectique19. Quant au Nakaz, comme pour
mieux affirmer cet ancrage européen, rappelons que son premier article spécifiait, de
façon péremptoire, que la Russie était un Etat européen. Dans son éclectisme européiste,
Catherine II suivait l’exemple de Pierre le Grand. Du reste, elle fit de l’abeille butineuse
son emblème personnel.
L’Europe occidentale continuait de fournir des modèles à imiter, des biens à acquérir,
des lieux à visiter. Si l’éditeur et écrivain Nikolaï Novikov entreprend de publier un
Essai de dictionnaire historique des écrivains de Russie (Opyt istoritcheskago slovaria
o rossiïskikh pissateliakh), c’est, écrit-il dans sa préface, parce que “toutes les nations
européennes ont appliqué leurs efforts pour conserver la mémoire de leurs écrivains”
et que “seule la Russie n’est pas encore pourvue d’un tel ouvrage”20. Plus encore que
sous Pierre le Grand, l’Europe, espace géographique dont le contenu était synonyme
de la civilisation, s’habillait d’une personnalité propre et d’une unité culturelle, à telle
enseigne qu’on répugnait parfois à condescendre jusqu’au niveau de la nation ou de
l’Etat. Dans une notice consacrée au diplomate et très accessoirement écrivain Fedor
Kozlovski, Novikov, toujours dans le même dictionnaire, mentionne en passant que
son personnage devait rendre visite “au célèbre écrivain européen Voltaire”21. Idée
parfaitement compréhensible, reposant sur des réalités tangibles (Voltaire fut français,
anglais, voire suisse et assez célèbre pour être qualifié d’Européen) et qui n’aurait sans
doute pas déplu à l’intéressé, mais qui, par son insistance européiste, inhabituelle dans
le contexte de l’époque, peut faire penser à l’enthousiasme d’un néophyte.
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L'Europe vue de Russie au XVIIIe siècle...
Certes, l’acculturation de l’élite nobiliaire, et, déjà, intellectuelle russe permettait
à celle-ci d’affiner sa vision de l’Europe et de différencier les cultures aussi bien dans
l’espace que dans le temps. Cependant, par ses voyages, ses lectures, ses consommations
diverses, elle était conduite, comme avant, à remplir son panier de produits très divers,
ceci à une époque où, de toute façon, les Européens voyageaient et consommaient
beaucoup et où la curiosité, tout comme le personnage du curieux, était érigée en
vertu cardinale, dans son “désir de totalité”22. Une partie de la haute noblesse russe se
consacra elle aussi à l’usage du Grand Tour qui, dès les premiers voyages de ce type
sous Elisabeth, voire de Pierre le Grand, embrassa non pas seulement l’Italie comme
le voulait cette pratique lancée par les Anglais dans son origine au XVIIe siècle, mais
une grande partie de l’Europe occidentale. Ces voyages laissèrent des traces souvent
circonstanciées dans les correspondances privées de ces nobles, surtout jeunes, qu’il
n’est pas question d’aborder ici, car elles furent nombreuses et abondantes. Il suffira
de constater que les mentions de ces voyageurs qui sillonnaient les Allemagnes, la
Suisse, l’Italie, la Hollande, la France et l’Angleterre contribuaient à unifier cet espace
occidental tout en spécifiant ses différentes parties sans trop les approfondir. Soit par
exemple quelques lettres de l’ambassadeur de Russie à Vienne, Dimitri Mikhaïlovitch
Golitsyne, adressées en 1783 à son cousin germain, le ci-devant vice-chancelier
Alexandre Mikhaïlovitch du même nom. Le 20 décembre, il l’informe que la comtesse
Skavronskaïa a passé six semaines à Vienne, puis est repartie pour Rome et Naples pour
y passer l’hiver : “de façon étrange, cette dame voyage par toute l’Europe” (voiajirouet
po vseï Evrope). Et d’ajouter que “depuis quelque temps, le nombre de nos compatriotes
voyageant dans tous les États a considérablement augmenté. Si seulement la moitié
d’entre eux revenait dans la patrie en ayant acquis des connaissances et des informations
nécessaires sur les pays étrangers !”23. Six mois après, un gouverneur français nommé
Massenet écrit au vice-chancelier au sujet du voyage éducatif d’un neveu de celui-ci,
voyage dont il a mis l’itinéraire au point en accord avec l’ambassadeur : il propose de
supprimer le passage en Espagne et au Portugal, coûteux et inutile, mais de maintenir
l’Angleterre, les provinces méridionales de la France, la Suisse, l’Italie, l’Allemagne et
les cours du Nord24. Auparavant, Paris, Londres et Vienne ont été biffées du trajet en
raison des dangers que ces capitales représentent pour la moralité des jeunes gens25.
Nous citons ces épisodes anodins précisément parce qu’ils rendent assez bien compte
de la banalité relative que ces voyages représentaient aux yeux de l’élite nobiliaire, et
aussi de cette unification de l’Europe grâce aux circonvolutions des itinéraires.
A partir du milieu du XVIIIe siècle, les thèmes majeurs que nous venons d’esquisser
se retrouvèrent dans des contextes semblables à ceux de l’époque pétrovienne, à ceci
près que le terme même d’Europe apparut plus ouvertement et que la place de la Russie
face à l’Europe et au sein de l’Europe fut plus clairement revendiquée.
Les élites russes recherchaient une reconnaissance européenne. Lorsque Vassili
Tatichtchev écrit, en russe, son ambitieuse Histoire de la Russie (Istoriia Rossiïskaia),
il se pose la question de sa diffusion “en Europe” et par conséquent de sa traduction
dans une langue savante (le latin) 26. Le même Tatichtchev définit d’ailleurs clairement
l’Europe, dans son projet inachevé de dictionnaire, comme un continent qui, bien
qu’historiquement second par rapport à l’Asie (où l’homme avait été créé et qui
avait été le premier peuplé) prévaut sur les autres “par sa richesse, ses sciences, sa
force et sa gloire”27.
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Wladimir BERELOWITCH
Tatichtchev est modeste et franc; il a écrit ces lignes entre la fin des années
1720 et les années 1740. Mais plus tard, dans la plupart des cas, on se targue d’une
reconnaissance européenne comme s’il s’agissait d’un fait acquis. Le dictionnaire
déjà cité de Novikov, particulièrement riche sur ce plan, crédite plusieurs auteurs,
non sans exagération, d’une gloire européenne. Ainsi Alexandre Soumarokov, ce
“Racine du Nord”, a atteint une “grande gloire immortelle non pas seulement chez les
Russiens, mais auprès des académies étrangères et des écrivains européens les plus
illustres”28. Ce thème apparaît encore plus fortement, le genre y oblige, dans la poésie
panégyrique de l’époque, autrement dit dans les odes adressées aux impératrices Anne
et Elisabeth, à Pierre III, à Catherine II, à Paul Ier. Vassili Trediakovski, parmi les tout
premiers, écrivait en 1742 qu’Elisabeth était “la gloire de l’Europe”... Et d’ajouter “et
de l’Asie” pour ne pas faire de jalouses29. Chose curieuse, car inhabituelle, il avait
qualifié en 1732 l’impératrice Anne de “princesse du monde chrétien”, perpétuant ainsi,
probablement sans le savoir, l’ancienne vision de l’Europe, dissoute dans la chrétienté30.
Mikhaïl Lomonossov, surtout, excella dans cette veine. “L’Europe, aujourd’hui éblouie,
est tournée vers l’Est...” écrit-il dans une ode à Pierre III en 176231. Soumarokov,
lui, dans une ode écrite en 1773 à la gloire du dauphin Paul, classe résolument la
Russie au Nord et prétend que la rumeur de Paul “traverse toute l’Europe”32. Quant à
Catherine II (ode de 1769), sa victoire sur les Turcs à Khotin lui vaut que la “nation
slave se précipite vers elle” et que “l’Europe jette ses regards vers la Néva”33. Dans
les odes de Lomonossov, la Russie est posée comme la pacificatrice de l’Europe et
par conséquent, comme l’objet d’une grande demande de la part de celle-ci. En 1746 :
“L’Europe en attend [de la main d’Elisabeth] que la paix y soit rétablie”34. En 1748 :
“L’Europe, lasse de la guerre, [...] tend ses mains vers toi” (Elisabeth) 35. En 1751 :
“Quand tu donnes la paix à toute l’Europe, elle incline sa tête avec respect et érige
pour toi un temple de gloire immortelle”36. Plus tard, ce thème d’une Russie chargée
d’une mission particulière en Europe qui en devient tributaire, devait connaître un
nouveau développement sous Paul Ier, lorsque la puissance russe, se dressant face à la
France révolutionnaire, allait se poser en défenseuse de la monarchie et de la chrétienté.
Le poète Gavriil Derjavine écrivait une ode en 1798 où un représentant de l’ordre de
Malte lançait cet appel au tsar russe : “L’Europe est toute pleine de brigandages, / Les
régicides sont sacrés comme des héros, / Toi, Paul, sois son sauveur !”37.
Ce topos d’une Russie, ou de Saint-Pétersbourg, ou de l’impératrice qui serait le
point de mire de l’Europe entière, Lomonossov lui donna une forme si achevée dans
une ode à Elisabeth en 1748 qu’elle mérite d’être citée plus longuement : “L’Europe et
le monde entier est témoin, / Un million de nations diverses, / De la haute vertu / qui
orne le trône de Russie. / Ô comme il nous est doux / Que l’univers entier magnifie /
Tes œuvres, impératrice ! / Les langues des nations qui sont sous ton règne, / Leurs
vêtements, leurs mœurs sont distincts, / Mais la louange est la même pour tous”38. En
quelque sorte, la Russie est un ferment d’unification, car en elle trouvent un langage
commun, communient, tout à la fois les très nombreuses nations de l’Europe (du monde)
et, symétriquement celles de l’Empire, toutes unifiées par la gloire.
Lomonossov, très “nationaliste” russe avant la lettre, fut sans doute celui qui
poussa le plus loin cette symétrie inégale, car centrée sur la Russie. De part et d’autre
du regard en effet, les rapports s’inversent comme par les règles de l’optique : “Que la
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L'Europe vue de Russie au XVIIIe siècle...
prétendue liberté opprime les autres”, écrit-il dans une inscription pour une illumination
en 1747, “sous ton règne, la servitude (rabstvo) nous élève”39. Aussi la symétrie n’en
est-elle plus une, car la balance penche décidément du côté russe.
La Russie, nouvelle et dernière venue dans le concert européen, est destinée à
devenir la première. Cet optimisme, que nous venons de voir exprimé sur les plans
militaire et politique, touche aussi les domaines littéraire et scientifique. De l’idée
de rattrapage, on passe insensiblement à celle du dépassement, sinon sur le plan de
la perfection, du moins par l’extraordinaire rapidité de ce bond en avant que l’élite a
opéré à la suite de Pierre le Grand. Novikov fait dire à un Allemand dans sa revue
satirique La Bourse (Kocheliok, 1774) : “Si l’on considère les succès rapides que les
Russiens ont obtenus dans le domaine des sciences et des arts, on pourra en conclure
qu’en Russie, les sciences et les arts atteindront la perfection en un temps bien plus
bref que ce ne fut le cas en France. [...] Alors la Russie grandira encore et encore
aux yeux de l’Europe”40. Or l’excellence à venir de la Russie ne peut être le fruit
d’une pure imitation. L’acteur et dramaturge Petr Plavilchtchikov écrit : “Si la nation
russienne se distinguait de toutes les races terrestres par la seule imitation et n’avait
aucune autre capacité, comment pourrait-elle étonner l’univers qui la considère avec
des yeux envieux ? Toute l’Europe, cette capitale de la science et du goût, rend justice
contre son gré à la Russie à bien des égards, elle admire ses vertus qu’on ne trouve
pas hors de Russie”41. Bien avant lui, Trediakovski, Soumarokov, Ekaterina Dachkova
et l’équipe du Dictionnaire de l’Académie russienne (Slovar akademii rossiïskoï),
Catherine II même, s’étaient déjà appliqués à découvrir la supériorité de la Russie non
plus seulement dans un futur, car une telle construction ne pouvait s’appuyer sur des
preuves, mais dans le passé, qui justifiait du même coup l’avenir : cette supériorité
venait de l’antériorité de la Russie, de l’ancienneté de sa langue42.
Comme on le sait, ce “retour de flamme” nationaliste ne signifiait généralement
pas pour autant un rejet de l’Europe ni l’affirmation d’une russité spécifique opposée à
l’Europe. Mais il se couplait d’une répugnance à imiter autrui et d’une condamnation
véhémente de ceux qui, honteux de leurs origines, cherchaient à singer les Européens.
Ce déplacement presque insensible, qui ne rompait nullement avec l’exemple éclatant,
le modèle parfait de Pierre le Grand, conduisait toutefois à le gauchir au point de
le dénaturer. De la supériorité future et passée à la supériorité présente il n’y avait
qu’un pas que certains n’hésitaient pas à franchir. C’est ainsi que l’image du Russe
apprenti, avide de connaître, courant par toute l’Europe pour y recueillir les fruits
de la civilisation, tournait à la négation, une négation confortée par le comportement
ni studieux ni travailleur de nombre de ses compatriotes. Dans sa revue satirique Le
Peintre (Jivopissets, 1772), Novikov fit paraître cette parodie d’annonce : “Les curieux
peuvent voir gratuitement dans beaucoup de rues de la ville un jeune goret russien,
qui a voyagé dans les pays étrangers pour éclairer son esprit et qui, après en avoir fait
le tour avec profit, en est revenu en cochon accompli”43. De proche en proche, c’est
ainsi l’activité même de l’emprunt pétrovien, éclectique et presque fortuit, qu’on en
vient à mettre en cause. Novikov, encore (La Bourse, 1774, préface) :
• 37
Wladimir BERELOWITCH
Je n’ai jamais suivi l’exemple de ces gens qui, sans aucune recherche intérieure,
séduits qu’ils étaient par certains dons des étrangers, à l’extérieur brillant,
ne se contentent pas de préférer les pays étrangers à leur patrie, mais aussi,
à la honte de la Russie tout entière, répugnent à côtoyer leurs compatriotes et
croient que le Russien doit tout emprunter aux étrangers, même jusqu’à son
caractère; comme si la nature, qui avait arrangé toutes choses avec tant de
sagesse et qui avait doté toutes les contrées de capacités et de coutumes propres
à leurs climats, avait été si injuste qu’elle avait privé la Russie de caractère
propre et l’avait destinée à errer dans toutes les contrées et d’emprunter aux
différentes nations des bribes de leur caractère afin de composer, à partir de
ce mélange, un nouveau caractère, impropre à toute nation et encore moins
au Russien44 .
Nous sommes loin de l’abeille studieuse et appliquée. Son butinage est devenu un
objet de dérision et son caractère omnivore la fait tirer vers l’espèce porcine…
Nous conclurons par trois remarques. La première est que l’extraordinaire opération
d’acculturation que Pierre le Grand fit subir aux élites russes conduisit certes celles-ci
à s’insérer dans le jeu européen et, à la longue, à se reconnaître, dans tous les sens de
ce mot, dans les différents paysages culturels, compliqués, changeants, historiquement
chargés et codés de l’Europe occidentale. Mais, soit à cause de la brièveté relative de
cette période de folie, soit par suite d’une réaction nationale qui ne tarda pas à venir,
cette insertion ou cette greffe maintint dans l’esprit de ces élites une Europe conçue
comme une identité propre, à laquelle la Russie continuait de faire face, certes sans
s’y opposer nécessairement. Tel ou tel aristocrate, homme de lettres, savant pouvait
préférer une capitale ou une université européenne : cette adoption, comme il est normal,
n’allait pas jusqu’à l’assimilation, et sa russité le maintenait à l’extérieur du bloc, ce
qu’il est difficile de dire d’un Anglais, d’un Allemand, d’un Italien, d’un Viennois,
qui ne se posaient guère vis-à-vis de l’Europe et pour lesquels cette dernière restait
encore, malgré tout, une notion géographique.
La seconde est que cette mise en apposition entre Europe et Russie dotait
immanquablement la première d’un contenu culturel ou civilisationnel peu différencié
qui, tout banal ou élémentaire qu’il fût, n’en était pas moins doté d’une force singulière,
à proportion de l’effort fourni par les élites russes depuis le début du siècle. Et c’est
pourquoi la réaction nationale déjà évoquée devait nécessairement répondre, par
symétrie, à l’image peu profonde, un peu semblable à un circuit imprimé, de la culture
européenne. Mais les surfaces planes peuvent être génératrices de chocs douloureux.
Les effets de miroir entre Russie et Europe devinrent sources de tensions.
La troisième est que ces tensions reposaient sur des thèmes et des mises en scène
émotionnelles qui allaient s’épanouir au cours de la première moitié du XIXe siècle.
Si la période dite “préromantique” puis romantique allaient devenir l’âge d’or de ces
batailles d’identités et si, comme Alexandre Koyré et d’autres l’ont si bien montré, toutes
ces constructions furent nourries d’idées philosophiques occidentales, principalement
allemandes, il n’en reste pas moins que le XVIIIe siècle fut le théâtre où tous les
éléments du drame national russe étaient déjà en place. Ce qui interdit de ne voir dans
ce drame qu’un jeu culturel ou une acné juvénile. Et ce qui milite pour qu’on prenne
ce drame au sérieux.
38 •
L'Europe vue de Russie au XVIIIe siècle...
NOTES
1
Martin MALIA, Russia under western eyes. From the Bronze Horseman to the Lenin
Mausoleum, Belknap Press of Harvard University Press, 1999 (traduction française :
L’Occident et l’énigme russe. Du cavalier de bronze au mausolée de Lénine, Paris,
Seuil, 2003).
2
Larry WOLFF, The invention of Eastern Europe, The map of civilization in the mind of
the Enlightenment, Stanford Univ. Press, 1994.
3
C’est une des critiques qu’on peut adresser au livre de Martin Malia : au siècle des
Lumières, les Européens étaient moins convaincus de l’européanité de la Russie qu’il
ne le laisse croire dans son ouvrage.
4
Ces entreprises bilatérales, dont il ne s’agit évidemment pas de mettre en doute la
valeur et le grand intérêt, s’expliquent par des raisons d’efficacité et de commodité (car
les visées plus larges sont plus difficiles à assurer), où la question du financement des
projets par les différents pays concernés joue un rôle non négligeable.
5
C’est sans doute la seconde critique qu’on peut adresser à l’ouvrage de Martin Malia
qui, nous semble-t-il, ne tient pas assez compte de la part qu’ont prise les élites russes
dans l’élaboration de leur propre image en Occident.
6
Peu ou pas d’études ont été consacrées à ce sujet proprement dit, mais il imprègne une
telle masse de publications qu’il serait vain d’en dresser un inventaire même sommaire.
Signalons toutefois une étude synthétique qui traite d’un sujet voisin et symétrique du
nôtre, et qui pose fréquemment la question de “l’Europe russe” : Hans ROGGER, National
consciousness in Eighteenth-century Russia, Harvard University Press, 1960.
7
Ivan T. POSOŠKOV, Kniga o skudosti i bogatstve i drugie sočinenija, Moscou, 1951.
8
On trouve un ensemble de références dans Slovar’ russkogo jazyka XVIII veka, vol. 7,
Saint-Pétersbourg, Nauka, 1992, p. 58. Le mot n’apparaît pas dans les dictionnaires de
langues portant sur les périodes antérieures. Le terme “Evropija”, du reste rare et sans
dérivés, semble avoir été le seul utilisé.
9
Geografija ili kratkoe zemnogo kruga opisanie, Moscou, 1710, p. 100 et al.
10
Novaja i dostovernaja vseja Evropy karta, la carte a été reproduite dans M. A LEKSEEVA,
Gravjura petrovskogo vremeni, Leningrad, Iskusstvo, 1990, pp. 146-147.
11
Feofan PROKOPOVIČ, Sočinenija, Moscou-Leningrad, A.N. S.S.S.R., 1961, p. 46.
Federico CHABOD, Storia dell’idea d’Europa, Bari, Giuseppe Laterza et Figli, 1961
(traduction française par Yves Hersant dans Yves HERSANT (dir.), Europes, Paris, Robert
Laffont “Bouquins”, pp. 209-312).
12
13
14
PSZ (recueil complet des lois russes, 1ère série), vol. VI, n° 3840.
A.K. NARTOV, Dostopamjatnye povestvovanija i reči Petra Velikogo. C’est nous qui
soulignons. Nous citons d’après l’édition : Petr Velikij. Vospominanija. Dnevnikovye
zapisi. Anekdoty, Paris–Moscou–New York, Tret’ja volna, 1993, p. 264 (anecdote
n° 18).
15
Texte reproduit en annexe dans Istorija Akademii Nauk SSSR, Moscou-Leningrad,
A.N. SSSR, 1958, vol. 1, pp. 429-430.
16
Putešestvie stol’nika P.A. Tolstogo po Evrope, 1697-1699, Moscou, Nauka, 1992,
p. 232.
17
Feofan PROKOPOVIČ, Sočinenija, op. cit., p. 65.
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Wladimir BERELOWITCH
18
Respectivement l’Ion (Horace, Odes, IV, II), Sénèque (Lettres, XII) et les Essais de
Montaigne (I, 26 : “De l’institution des enfants”).
19
Les origines du Nakaz, où Montesquieu et Beccaria eurent une part essentielle, sont
assez bien connues, bien qu’elles soient encore l’objet de recherches. La charte des
villes a fait l’objet d’une étude en tous points remarquable et complète d’Aleksandr
K IZEVETTER, Gorodovoe položenie Ekateriny II, Moscou, 1909.
20
Nikolaj NOVIKOV, Opyt istoričeskago slovarja o rossijskih pisateljah..., Saint-Pétersbourg,
1772, préface, sans pagination, 1e page.
21
Ibid., p. 103. C’est nous qui soulignons.
L’expression citée est de Krzysztof Pomian. Voir à ce sujet son ouvrage Collectionneurs,
amateurs et curieux, Paris – Venise : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, NRF, Gallimard, 1987,
notamment le chapitre intitulé “La culture de la curiosité”, pp. 61-80.
22
23
Archives des actes anciens (RGADA), Moscou, Fonds 1263 (les Golitsyne), inventaire
1, dossier 1154, f. 76-76 vo.
24
Lettre du 26 juin 1784, ibid., dossier 2056, f. 3 vo.
Lettre de l’ambassadeur au vice-chancelier du 28 février 1784, ibid., dossier 1155,
f. 9.
25
26
Vasilij N. TATIŠČEV, Istorija Rossijskaja, Moscou-Leningrad, A.N. SSSR, vol. 1, 1962,
p. 91.
27
Id., Leksikon rossijskoj, istoričeskoj, geografičeskoj i graždanskoj..., vol. II, SaintPétersbourg, 1793, p. 188.
28
Nikolaj NOVIKOV, Opyt istoričeskago slovarja o rossijskih pisateljah..., op. cit., p. 207.
29
Ode écrite pour le jour du couronnement d’Elisabeth, dans V.K. TREDIAKOVSKIJ, Izbrannye
proizvedenija, Moscou-Leningrad, Biblioteka poeta, Bol’šaja serija, 1965, p. 135.
30
Ibid., p. 126.
31
Cité d’après l’édition suivante : Rossija i zapad : gorizonty vzaimopoznanija. Literaturnye
istočniki XVIII veka (1726-1762), t. 2, Moscou, IMLI RAN, 2003, p. 410.
32
A.P. SUMAROKOV, Izbrannye proizvedenija, Leningrad, Biblioteka poeta, Bol’šaja serija,
1957, pp. 78-79.
33
Ibid., p. 74.
34
37
M.V. LOMONOSOV, Izbrannye proizvedenija, Moscou-Leningrad, Biblioteka poeta,
Bol’šaja serija, 1965, p. 115.
Ibid., p. 131.
Ibid., p. 231.
G. DERŽAVIN, “Na Mal’tijskij orden”, dans Sočinenija, Saint-Pétersbourg, 1845, p. 67. On
peut trouver de nombreux autres exemples de ce type dans la poésie de la toute fin du
siècle. Dans sa thèse d’histoire qu’elle prépare sur les représentations du catholicisme
en Russie, Marina Lecomte-Tchernykh consacre un chapitre à cette période et recense
ces exemples. Nous la remercions d’avoir attiré notre attention là-dessus.
38
M.V. LOMONOSOV, Izbrannye proizvedenija, op. cit., p. 131.
39
Ibid., p. 225.
35
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L'Europe vue de Russie au XVIIIe siècle...
40
N.I. NOVIKOV, Izbrannye sočinenija, Moscou-Leningrad, Gos. Izd. hudožestvennoj
literatury, 1951, p. 85.
41
P.A. PLAVIL’ŠČIKOV, “Nečto o vroždennom svojstve duš rossijskih”, 1816, reproduit dans
Hrestomatija po russkoj literature XVIII veka, A.V. KOROREV (réd.), Moscou, 1961,
p. 498.
42
Voir un exemple, parmi tant d’autres, dans la préface de ce dictionnaire, Slovar’ Akademii
Rossijskoj, vol. 1, Saint-Pétersbourg, Académie des sciences, 1789, p. VI : le russe a été
antérieur au celte et contemporain des langues les plus anciennes.
43
N. I. NOVIKOV, Izbrannye sočinenija, op. cit., p. 186.
Ibid., p. 75.
44
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