L`expérience comme stigmate ou comme acquis
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L`expérience comme stigmate ou comme acquis
L’expérience comme stigmate ou comme acquis ? Réflexions sur les pratiques de valorisation des acquis de l’expérience en Communauté française de Belgique Renaud Maes1,2, Cécile Sztalberg2 et Michel Sylin1 1 Unité de Psychologie des Organisations, 2Service de Formation continue, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique Résumé Le dispositif de Valorisation des Acquis de l’Expérience (VAE) tel qu’il a été défini en Communauté française de Belgique (CFB) s’inscrit dans le cadre de politiques générales visant à implémenter les stratégies de Lifelong Learning. Dans le cas des institutions universitaires, le dispositif est harmonisé et est constitué de cinq étapes « initiatiques ». Ce dispositif peut être sous-tendu par plusieurs logiques. Ces logiques peuvent être liées aux motifs d’engagement tels que les candidats à la VAE (CFB) les explicitent. Par ailleurs, les étudiants admis via la VAE (CFB) constituent un public spécifique pour l’université qui, lorsqu’il est identifiable, peut connaître une stigmatisation. Le dispositif de VAE peut donc être considéré comme un révélateur des déterminants institutionnels. Mots-clés VAE, Valorisation des Acquis expérientiels, Université, Trajectoires individualisées d’enseignement, Stigmate 1. Introduction Parmi les utopies contemporaines, la nécessité du Lifelong Learning pour permettre l’avènement de la « société de la connaissance » constitue sans doute l’une de celles qui ont trouvé le plus d’écho auprès des décideurs politiques – on citera exempli gratia le texte initial de la Stratégie de Lisbonne (2001) et les diverses communications de la Commission européenne (1995, 2003). L’hypothèse fondamentale des promoteurs de ce projet sociétal peut se réduire comme suit : subséquemment à une intensification de la diffusion des savoirs et savoir-faire, l’économie deviendrait plus compétitive (Osborne, 2003). Une hypothèse analogue poussa, dans les années 50 et 60, de nombreux gouvernements européens à proposer des stratégies visant à « massifier » l’accès à l’enseignement (de Meulemeester, 2003). Les travaux d’économistes de l’école du capital humain tels Schultz (1961) et Becker (1964) permirent à ces politiques publiques de trouver une assise scientifique en cherchant à démontrer le lien entre investissement dans le capital humain et croissance économique. Néanmoins, dès la fin des années 70, dans un contexte où le taux de croissance se réduisait drastiquement, une série d’économistes plaidèrent pour une limitation du nombre de diplômés disponibles sur le marché du travail, afin d’éviter un phénomène de « saturation » (Freeman, 1976 ; Spence, 1974). Cette nouvelle doctrine connut un succès certain dès le début des années 80 et trouva l’apogée de son crédit auprès des gouvernements néoconservateurs de Thatcher en Europe et Reagan aux Etats-Unis d’Amérique (de Meulemeester, 2003). Dans ce contexte, la promotion du Lifelong Learning s’avère le fruit d’une spargyrie subtile visant à concilier ces deux conceptions antithétiques (Sztalberg et al., 2009). Bien que ne soit jamais clairement définie la signification de ce syntagme, les mesures prises en vertu de ce principe visent à permettre à un travailleur d’étudier lorsque cela s’avère utile dans un contexte précis (parce qu’il désire une promotion au sein de l’entreprise, parce qu’il est momentanément usager du chômage, parce que la firme a besoin de développer une compétence spécifique chez ses collaborateurs). Si l’on pose l’hypothèse que le syntagme Lifelong Learning doit être défini comme le trait général, la caractéristique commune aux mesures concrétisées en son nom, on peut dès lors percevoir comment il a permis la compatibilité nouvelle des thèses susmentionnées. C’est dans cette approche à la fois utilitariste et individualisée de la formation et de l’éducation que la validation des acquis de l’expérience (VAE) a pu trouver un intérêt en tant que pierre angulaire des politiques de Lifelong Learning. En Communauté française de Belgique (CFB), la VAE se nomme valorisation des acquis de l’expérience. Sorte de déclinaison locale de la « validation partielle des acquis de l’expérience » à la française, elle permet aux candidats de faire reconnaître leurs acquis de l’expérience de manière à, sur preuve de leurs « compétences », les admettre aux programmes pour lesquels ils n’ont pas le titre requis et/ou les dispenser de parties de ce programme (Sylin et al., 2004 ; CIUF, 2008). La VAE (CFB) s’adresse, de manière générale, à des personnes plus âgées que la moyenne des étudiants et, dans le cadre d’une série de partenariats avec les organismes régionaux chargés des politiques d’emploi, à des usagers du chômage (Sylin et al., 2004). On pourrait donc craindre que leur âge et leur condition socio-économique puissent constituer des stigmates défavorables à la réussite académique. Qu’en est-il concrètement ? Ce « nouveau public » trouve-t-il sa place au sein de l’université ? Notre article sera organisé comme suit. Dans la première partie, nous décrirons brièvement le dispositif de valorisation des acquis de l’expérience dans les universités de la Communauté française. Nous détaillerons les cinq étapes du processus d’admission et mettrons notamment en exergue le rôle de l’accompagnement individualisé dans le suivi de ce processus et la procédure de formalisation des acquis de l’expérience. Dans la seconde partie, nous étudierons l’impact de l’accompagnement individualisé sur la manière dont le candidat VAE conçoit son futur parcours universitaire et exprime ses motifs d’engagement. Dans un troisième et dernier temps, nous suggèrerons qu’une étude quantitative de l’influence de l’admission via la VAE sur la réussite est nécessaire. 2. Le processus de VAE en Communauté française de Belgique En Communauté française de Belgique, la valorisation des acquis de l’expérience est autorisée depuis le vote du décret du 31 mars 2004 définissant l’enseignement supérieur, favorisant son intégration dans l’espace européen d’enseignement supérieur et refinançant les universités, souvent qualifié de « décret Bologne » - en effet, ce décret est censé être la concrétisation locale des accords interministériels pris dans le cadre du Processus de Bologne. Il semble pertinent, avant de détailler le processus de VAE (CFB) proprement dit, de décrire brièvement le contexte de l’Enseignement supérieur dans lequel il s’inscrit – contexte largement modifié par le décret du 31 mars 2004. 2.1. Structure de l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique L’enseignement supérieur de la Communauté française possède une structure particulière : elle se compose de trois « réseaux » et de plusieurs « types » (Maes et Sylin, 2009). Les types d’enseignement sont définis par l’article 4 du décret du 31 mars 2004. La table 1 propose quelques éléments de comparaison entre ces types d’enseignement. La table 2 explicite la structuration en réseaux dans le cas des universités : on notera qu’il existe des universités organisées par l’Etat et des universités subventionnées. La différence principale entre ces institutions réside dans leur « obédience philosophique ». Ainsi, les universités organisées sont traditionnellement neutres, les universités subventionnées se répartissant entre institutions confessionnelles affichant des valeurs catholiques et institutions non-confessionnelles affichant des valeurs laïques1. Toutes ces institutions délivrent des titres reconnus par l’Etat. Dans ce cadre, les institutions subventionnées sont sujettes à d’abondantes obligations légales édictées par le Parlement de la Communauté française2. Type court Type long Caractéristiques « associe intimement, sur le plan pédagogique, la théorie et la pratique, les stages en milieu professionnel ou en laboratoire et répond ainsi à des objectifs professionnels précis » « procède à partir de concepts fondamentaux, d'expérimentations et d'illustrations, et prodigue ainsi une formation à la fois générale et approfondie » Institutions Ecoles supérieures des arts Hautes écoles Ecoles supérieures des arts Hautes écoles Instituts supérieurs d’architecture Spécificités des institutions « L'enseignement supérieur organisé hors université poursuit une finalité professionnelle ou artistique de haute qualification. Les établissements qui l'organisent remplissent leur mission de recherche appliquée liée à leurs enseignements en relation étroite avec les milieux professionnels ou artistiques ou en collaboration avec les institutions universitaires. » Nombre d’étudiants en 2006-2007 Titres délivrés 63 914 (a) Bachelier (CEC 6) « professionnalisant » Universités « L’enseignement universitaire se fonde sur un lien étroit entre la recherche scientifique et les matières enseignées. Les [universités] ont pour mission spécifique la recherche scientifique fondamentale et appliquée. » 18 959 (a) 55 025 (b) Bachelier de transition (CEC 6) Bachelier de transition (CEC 6) Master (CEC 7) Master (CEC 7) Doctorat (CEC 8) Table 1 – Comparaison entre les différents types d’enseignement supérieur de plein exercice en Communauté française de Belgique – (a) (ETNIC, 2008) ; (b) (CREF, 2008). Organisé Subventionné Non-confessionnel Université de Liège (ULg) Confessionnel Université libre de Bruxelles (ULB) Université catholique de Louvain (UCL) Université de Mons (UMons) Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix – Namur (FUNDP) Facultés universitaires Saint-Louis – Bruxelles (FUSL) Facultés universitaires catholiques de Mons (FUCAM) Table 2 – Structuration en réseaux des universités de la Communauté française de Belgique. Situation d’avril 2010. Malgré son ouverture (la plupart des filières sont accessibles sans concours ni examen d’entrée, les institutions sont réparties sur l’ensemble du territoire), l’enseignement supérieur de la Communauté française de Belgique demeure l’un des plus inégalitaires d’Europe. Cette situation fut notamment rendue manifeste lors de la publication de l’enquête Eurostudent en 2000. Sur la Figure 1 ci-dessous, inspirée de cette enquête, est symbolisé le rapport du nombre d’étudiants issus des « classes ouvrières3 » sur l’ensemble des étudiants et le rapport 1 Il faut entendre par laïque, dans ce contexte, qui s’oppose à l’emprise des religions en général et de l’Eglise catholique en particulier sur la société. 2 Ces obligations légales concernent, inter alia, la langue d’enseignement, la structure en cycle et la durée des études, l’organisation des jurys et les modes de délibération, les modalités d’inscription, les modèles de diplômes, la reconnaissance qui conditionne les effets de droits des diplômes, les habilitations à organiser des filières d’enseignements reconnues dans une région géographique donnée. 3 Dans l’étude Eurostudent 2000, cette appartenance est déterminée en fonction du diplôme du père. Il est à noter qu’en toute rigueur, comme le montrent notamment les travaux de Jean-Jacques Droesbeke (2001), on tend à préférer le diplôme de la mère comme indicateur. du nombre de travailleurs issus des « classes ouvrières » sur l’ensemble des travailleurs (avec ou sans emploi). On le constatera aisément, les « classes ouvrières » sont largement sousreprésentées dans l’enseignement supérieur et ce phénomène est particulièrement criant en Communauté française de Belgique (EPI, 2005). Figure 1 - Représentation des classes ouvrières parmi les populations étudiantes en 1999 pour 7 pays d’Europe (Maes et Sylin, 2009 - d’après Eurostudent 2000). Par ailleurs, les étudiants issus des milieux plus défavorisés s’orientent préférentiellement vers les études de type court et, plus généralement, vers les études hors université (De Kerchove & Lambert, 2001). Les études universitaires restent quant à elles l’apanage de milieux plus aisés tant en termes d’orientation (De Kerchove & Lambert, 2001) qu’en termes de probabilités de réussite (De Meulemeester et Rochat, 1995 ; Ortiz, 2008). 2.2. Description du dispositif de VAE (CFB) Le législateur a introduit la valorisation des acquis de l’expérience comme possibilité d’accès au second cycle universitaire via un article du Décret du 31 mars 2004. Le commentaire de l’article en question indique « Cet article introduit la valorisation d’expérience personnelle ou professionnelle pour l’accès aux études de deuxième cycle ». En filigrane du caractère pour le moins laconique de ce commentaire d’article, il appert que l’objectif politique de l’introduction de la VAE (CFB) était pour le moins nébuleux pour le législateur communautaire. Comme conséquence de cette irrésolution nomothétique, le texte décrétal souffre d’une contradiction immanente : la VAE (CFB) peut permettre l’accès à un second cycle de l’enseignement supérieur d’une personne ne disposant pas des « titres requis » pour l’admission mais elle n’a pas été envisagée pour l’accès au premier cycle. Outre la possibilité d’admission, la VAE (CFB) permet également au candidat d’obtenir des dispenses, c’est-à-dire d’être exempté de certains cours du cursus et, par là, d’abréger la durée de ses études. Les institutions universitaires distinguent donc la VAE par admission et la VAE par dispenses, qui peuvent être combinées (Hiernaux, 2005). Dans la pratique, le processus de VAE (CFB) est organisé selon un schéma harmonisé dans toutes les universités de la Communauté : le candidat à la VAE (CFB) doit franchir cinq étapes « initiatiques » pour obtenir son admission au sein de l’institution. 1. Information et accueil Le futur candidat VAE contacte l’institution universitaire. Généralement, plusieurs points de contact existent mais les deux voies d’accès les plus fréquentes sont les services d’orientation et le site internet des universités. Il est à noter que des partenariats privilégiés avec les organismes régionaux en charge des politiques de l’emploi permettent également que des travailleurs inscrits comme demandeurs d’emploi soient contactés directement par les institutions universitaires en vue de leur proposer de reprendre des études et ce, afin d’augmenter leurs possibilités d’insertion socioprofessionnelle (Maes et al., 2010). 2. Orientation et positionnement Le candidat fait le choix de son orientation. Il peut alors contacter le service en charge de l’accompagnement afin d’entamer une première étude de la recevabilité du dossier : il s’agit à ce stade d’une première vérification de correspondance avec les critères légaux d’admissibilité. En effet, le Décret du 31 mars 2004 prévoit que le candidat doit pourvoir valoriser au moins cinq années d’expérience professionnelle ou personnelle en lien direct avec la filière d’étude visée. 3. Contractualisation Malgré la dénomination catachrétique de cette étape, il s’agit essentiellement dans plusieurs institutions pour le candidat souhaitant être accompagné dans sa démarche de VAE de planifier une série de rendez-vous avec un conseiller en VAE. 4. Evaluation A partir du dossier de VAE et, le cas échéant, des résultats d’une épreuve, le jury évalue l’expérience professionnelle et/ou personnelle du candidat. Dans le cas d’une VAE par admission, l’objectif est « de vérifier, au regard de cette expérience, la capacité du candidat à réussir des études de Master » (Hiernaux, 2005). En ce qui concerne la VAE par dispense, l’objectif est de vérifier au regard de cette expérience, si le candidat peut se voir octroyer les dispenses qu’il sollicite. 5. Communication des résultats La communication de la décision peut être accompagnée de remarques et de recommandations. De plus, les candidats peuvent être réorientés vers un niveau d’enseignement mieux adapté à leur situation et, le cas échéant, leur permettant d’acquérir les prérequis nécessaires à l’accès à l’université. 2.3. Logiques du dispositif de VAE, types d’épreuves et rôle de l’accompagnement Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’enseignement supérieur de la Communauté française de Belgique est fortement inégalitaire notamment en termes d’accès à l’université. Dans ce cadre, la VAE peut être un outil de recrutement de personnes issues de milieux socioéconomiquement moins favorisés, qu’elles n’aient pas eu l’occasion d’entamer des études universitaires avant de travailler ou qu’elles aient été contraintes à les abandonner. Comme le mentionnait l’introduction du présent article, la VAE peut également s’avérer un outil efficace pour permettre à un individu de se former lorsque cela paraît nécessaire pour une série de contraintes extérieures liées au « marché » de l’emploi (au sens large), par exemple dans le cadre d’une réorientation professionnelle ou après un licenciement. Une telle approche utilitariste de la VAE s’inscrit dans une logique plus générale de structuration de l’université. On peut de là proposer un modèle pour les logiques du dispositif de VAE, mesure sociale ou mesure économique. Si l’on conçoit la VAE comme une mesure d’utilité économique, elle s’inscrit dans une option générale en matière d’enseignement supérieur et, en particulier, d’enseignement universitaire. Dans la plupart des pays européens, on peut distinguer trois idéaux-types d’universités qui correspondent à trois visions utilitaristes différentes (Sztalberg et al., 2009) : l’université humboldtienne, l’université massifiée et l’université de marché. On peut faire correspondre à chacun de ces idéaux-types des stratégies de VAE différentes. Dans le cas de l’université humboldtienne, le candidat VAE devra faire la preuve de son érudition. On lui demandera de démontrer une connaissance du champ disciplinaire de la filière à laquelle il se destine. Dans le cas de l’université massifiée, le candidat VAE sera amené à expliquer la logique structurant son parcours. On lui demandera de composer un récit de vie qui démontre la cohérence de son curriculum vitae. Dans le cas de l’université de marché, le candidat devra faire la preuve de compétences transversales. On lui demandera de faire la preuve de son aptitude à suivre les études, à savoir rédiger, à savoir s’exprimer, etc. Comme suggéré dans nos travaux antérieurs (Sztalberg et al., 2009), les universités réelles sont le produit d’hybridations de différentes politiques publiques et par là se situent à l’interface entre ces trois idéaux-types. Il en sera de même avec les stratégies de VAE. Si l’on conçoit l’instauration d’un dispositif de VAE comme une mesure sociale, il convient de noter que cette mesure apparaît clairement résiduelle puisqu’elle s’inscrit dans une individuation du droit à la formation. Par ailleurs, étant donné l’état de « quasi-marché » de l’enseignement supérieur de la Communauté française de Belgique – identifiable notamment à la structure en réseaux, on peut considérer que cette mesure correspond à un haut degré de marchandisation. On pourrait donc considérer la VAE comme un indicateur d’un modèle sociétal de type libéral, au sens de Esping-Andersen (1990). Par ailleurs, il est courant de considérer que l’Etat-Providence belge est de type conservateurcorporatiste, caractérisé par une « pilarisation » marquée, ce qui se traduit notamment par un interventionnisme important de l’Eglise catholique pour défendre les « valeurs familiales traditionnelles » (Esping-Andersen, 1990). Un symptôme en est par exemple la dimension fortement paternaliste du système d’action sociale. Dans ce cadre, l’accompagnement individualisé et plus encore, l’étape dite de « contractualisation » du processus de VAE prennent un sens particulier. Il faut noter à ce niveau que les universités subventionnées d’obédience catholique donnent un sens plus fort à l’étape de contractualisation. Par exemple, comme le stipule le site internet de l’Université catholique de Louvain, « Si la demande est jugée recevable, cela signifie que l’institution s’engage à examiner le dossier. Le candidat, lui, prend la décision de s’investir dans le processus. » Au contraire, le site internet de l’Université libre de Bruxelles, historiquement proche des thèses libérales (Maes et Sylin, 2009) stipule clairement « Bien sûr, l’accompagnement est facultatif ». 3. Etude des dossiers de VAE de candidats admis à la reprise d’étude Nous avons tenté dans la section précédente de caractériser le cadre général du dispositif de VAE (CFB) ainsi que sa structure et ses logiques. Ce cadre étant posé, venons-en à présent au candidat VAE. Notre étude a porté sur les étudiants admis via la VAE à l’Université libre de Bruxelles, ayant fait le choix d’un accompagnement pour la construction de leur dossier de valorisation. 3.1. Matériaux Nous avons utilisé un corpus de 142 dossiers d’admission d’étudiants VAE ayant choisi de se faire accompagner sur la période septembre 2005-septembre 2009 et les lettres de motivations jointes aux dossiers disponibles pour 36 d’entre eux. Afin de caractériser ce corpus, nous avons défini cinq variables descriptives : le type d’expérience valorisée, la tranche d’âge, le sexe, l’orientation souhaitée. Sur les 142 dossiers, 98 contiennent explicitement l’année de naissance du candidat. La table 3 ci-dessous résume la répartition des dossiers par tranches d’âge. La condition légale de pouvoir valoriser au moins 5 années d’expérience personnelle ou professionnelle explique le plus faible nombre de dossiers dans la tranche d’âge 25-35 ans. Les 142 dossiers d’admission concernent 70 femmes et 72 hommes. Tranche d’âges Nombre de dossiers 25 ans – 35 ans 19 35 ans – 45 ans 37 45 ans – 55 ans 33 55 ans – 65 ans 9 Table 3 – Répartition des dossiers d’admission VAE par tranches d’âges. Le type d’expérience valorisé est connu pour 98 dossiers sur 142. Il s’agit dans 80 cas d’une expérience professionnelle, dans 6 cas seulement d’une expérience personnelle (activités bénévoles et/ou militantes, hobbies, etc.) et dans 12 cas d’une expérience « mixte », comprenant à la fois des éléments d’ordre professionnel et des éléments personnels. Le choix de l’orientation est précisé dans 119 dossiers sur 142. Parmi ceux-ci, deux filières sont particulièrement suivies par les candidats VAE : 77 candidats se sont orientés vers le « Master en Sciences du Travail », 12 vers le « Master en Santé publique ». Ces deux filières sont particulières en ce qu’il n’existe pas de formation de premier cycle y menant directement. Le Master en Sciences du Travail se déclinent en quatre orientations, dont 2 sont organisées à horaire décalé (les cours sont dispensés en soirée la semaine et le samedi). 3.2. Les motifs de la reprise d’étude L’analyse des 36 lettres de motivations permet de mettre en évidence que les motifs énoncés pour la reprise d’étude peuvent être regroupés en 4 grandes catégories correspondant à la typologie de Carré (1999 ; 2005) : économique, identitaire, vocationnel, épistémique. Dans 94% des lettres, les candidats énoncent en première place dans le texte des motifs vocationnels. Ce faisant, ils tentent de montrer la cohérence de leur curriculum vitae par rapport à un projet personnel. Rien d’étonnant à cela, puisque les candidats répondent au prescrit : ils valorisent leur expérience. On retrouve de manière sous-jacente à la « justification » du CV par rapport à un « projet de vie » la logique du dispositif VAE comme mesure de massification. Viennent ensuite les autres types de motifs. 94% des candidats utilisent des motifs identitaires et 72% mentionnent des motifs économiques. Il est à noter que tous les candidats mentionnant des motifs économiques font également mention de motifs identitaires. Le caractère individuel de la démarche semble prendre une importance certaine aux yeux des candidats. 4 candidats indiquent concevoir la reprise d’études comme le moyen de réparer une « erreur de jeunesse » que constitue l’abandon, à leur estime précoce, des études. 6 candidats indiquent que malgré leur désir de suivre des études supérieures (sans préciser lesquelles), ils n’ont pas eu « cette chance ». Ce discours s’inscrit parfaitement dans la conception du dispositif VAE comme mesure sociale résiduelle. Les motifs économiques s’inscrivent quant à eux clairement dans l’approche d’une université « de marché », répondant aux réalités immédiates et locales du « marché du travail ». 36% des candidats mentionnent des motifs épistémiques. Parmi eux, une grande majorité fait mention de leur connaissance d’ouvrages de référence ou de concepts théoriques propres à la discipline. Ces candidats tentent donc de démontrer une certaine érudition, attitude que l’on peut évidemment attendre de candidats à l’admission d’une université de type « humboldtien ». On perçoit donc le lien entre les motifs des candidats VAE et les différentes logiques de la VAE. Il faut noter que les lettres de motivation sont déposées juste avant l’épreuve d’évaluation et donc à un stade avancé du processus. Les candidats VAE ont donc déjà interagit fréquemment avec l’institution avant de rédiger leurs missives. Le lien entre motifs d’engagement et éléments structurants des politiques institutionnelles s’inscrit dans ce cadre spécifique : le candidat VAE est amené à exprimer ses motivations en fonction de sa compréhension de la stratégie institutionnelle et du positionnement idéologique (au sens large) de l’université dans laquelle il prétend s’inscrire. 4. Des étudiants stigmatisés ? Dans cette section, nous ébauchons une première analyse des impacts du dispositif de VAE sur la manière dont les candidats admis interagissent avec l’institution. Avant d’aborder cette analyse proprement dite, il nous faut cependant formuler deux remarques générales à son sujet. D’une part, cette analyse requiert un prolongement sous forme d’une recherche quantitative. A ce stade, il s’agit de poser les bases d’un questionnement et d’en motiver l’intérêt pour la recherche : il s’agit de problématiser et non d’apporter une réponse aux questions posées. D’autre part, pour mener cette analyse, nous nous sommes basés sur le témoignage autobiographique d’un ancien étudiant VAE admis en Sciences du Travail et diplômé en 2008. L’intérêt de ce témoignage réside dans son caractère essentiellement illustratif : il permet d’éclairer l’analyse. Il ne s’agit donc pas, pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu au sujet de ce qu’il nomme l’illusion biographique, « d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c’est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations. (Bourdieu, 1986) » En considérant, pour les 98 étudiants pour lesquels nous disposons de dossiers complets de VAE, la réussite au cours de la première année d’études, on remarque que la probabilité de réussite de cette première année est statistiquement dépendante l’organisation horaire de la filière. Concrètement, un étudiant VAE a une plus forte probabilité de réussite si la filière est organisée à horaire décalé. A ce niveau, il convient d’éviter absolument de tomber dans le piège du « cum hoc ergo propter hoc » : cette relation ne signifie nullement une causalité. En particulier, il nous faut absolument éviter un « effet cigogne » (Broch, 1989) en ignorant des facteurs « implicites » qui permettraient d’expliquer cette relation entre organisation horaire de la filière et probabilité de réussite du candidat VAE. Parmi les hypothèses envisageables pour expliquer ce lien, nous pouvons suggérer la piste suivante : les filières à horaire décalé sont généralement fréquentées par des étudiants plus âgés et déjà travailleurs. A contrario, les filières à horaire de jour sont souvent fréquentées par des étudiants plus jeunes, dans la continuité de l’obtention du diplôme de premier cycle. On peut dès lors suggérer que, dans les filières à horaire de jour, les étudiants VAE sont, par leur âge ou leur maturité, plus facilement identifiables. Ces attributs permettant l’identification peuvent dès lors constituer des stigmates au sens d’Erving Goffman, à savoir « un attribut qui jette un discrédit profond, mais il faut bien voir qu’en réalité c’est en termes de relations et non d’attributs qu’il faut parler. (Goffman, 1963 [1975], p.13) » Dans le témoignage autobiographique que nous avons recueilli, cette question paraît centrale. Ainsi, à la question « Quels sont les éléments de la démarche VAE qui vous ont déplu ? », cet ancien étudiant admis via la VAE répond : « L’attitude de certains profs qui ont parfois le même nombre d’années de travail que leurs étudiants, mais qui les traitent de manière infantile. Le fait que les autres étudiants vous disent parfois « monsieur » ce qui vous rappelle votre grand âge. » Il est à noter que bien évidemment, on doit lier cette stigmatisation avec la notion d’étudiant lambda : c’est par rapport à la normalité qu’est défini l’attribut stigmatisant. Or le positionnement d’une institution par rapport aux idéaux-types d’universités influe nécessairement sur la définition de l’étudiant normal. Il est donc impensable de faire l’économie d’une analyse des politiques institutionnelles et de leurs différents avatars pour comprendre les dynamiques à l’échelle des cohortes d’étudiants. 5. Conclusions Nous avons esquissé une première description du dispositif de VAE (CFB) intégrant les logiques sous-jacentes à sa structuration. Nous avons ensuite caractérisé les motifs d’engagements tels qu’ils transparaissent des dossiers d’admission de candidats VAE. Nous avons lié ces motifs d’engagements aux logiques de VAE, ce qui permet d’envisager le dispositif de VAE comme révélateur des déterminants institutionnels. Enfin, nous avons montré qu’une étude des conditions de réussite des candidats VAE est nécessaire, qui intègre l’hypothèse d’une stigmatisation de ces candidats. S’il est un solfatare en matière d’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique, nul doute qu’il s’agit de la valorisation des acquis de l’expérience. Ses détracteurs trouvent en effet d’excellents arguments quelles que soit leurs options idéologiques. Pour certains, elle contribue à la déconstruction de la logique disciplinaire au profit de « blocs de compétences » qui constituent des unités marchandisables. Pour d’autres, elle implique une trop grande flexibilisation des cursus éducatifs aboutissant à l’abandon de la promotion du mérite et à une diminution de la qualité des curricula via une décroissance de leur sélectivité. Ces deux types de thèses s’hybrident pour justifier une réticence importante (notamment des membres des communautés universitaires) vis-à-vis du dispositif de VAE (CFB). Le fait que le dispositif de VAE (CFB) puisse être envisagé selon des logiques diversifiées permet à l’ensemble de ces critiques de trouver prise. Mais il convient d’insister sur le fait que le dispositif réel se situe à l’interface de ces différentes logiques. La critique de l’outil VAE ne peut donc se construire sans passer par une analyse plus générale des politiques structurelles de l’institution universitaire elle-même, ces politiques étant déterminantes tant en termes de conception du dispositif qu’en termes de positionnement des candidats VAE vis-àvis de leur démarche de valorisation et de potentielle stigmatisation des étudiants admis via la VAE. Bibliographie Becker, G. S. (1964) Human Capital: A Theoretical and Empirical Analysis with Special Reference to Education. New York, USA : Columbia University Press. 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