Prise en charge des nausées et vomissements gravidiques chez la

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Prise en charge des nausées et vomissements gravidiques chez la
Synthèse
J Pharm Clin 2012 ; 31 (3) : 135-9
Prise en charge des nausées
et vomissements gravidiques
chez la femme enceinte
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017.
Management of nausea and vomiting during pregnancy
Caroline Bader, Audrey Glanard, Claire Vignand-Courtin
Service de pharmacie, Hôpital A. Béclère, Clamart, France
<[email protected]>
Résumé. Les nausées et vomissements concernent 90 % des femmes enceintes au cours de leur grossesse.
Ces troubles ont une composante physiologique (imprégnation hormonale) mais aussi psychologique (fatigue,
stress. . .). La prise en charge est complexe compte tenu des différentes étiologies possibles et de l’existence
de toxicité de certains médicaments chez la femme enceinte. La première mesure consiste en des règles
hygiéno-diététiques (fractionnement des repas, hydratation, supplémentation en fer), un soutien psychologique
et possiblement l’introduction de vitamine B6 et de doxylamine dont l’efficacité et l’innocuité sont démontrées.
Dans les cas plus sévères, une consultation médicale est suggérée pour écarter les étiologies autres que la grossesse (infections, troubles endocriniens. . .). Selon les cas, un traitement peut être introduit avec des antiémétiques
(métoclopramide) et des inhibiteurs de la pompe à protons. D’autres thérapies alternatives (homéopathie, phytothérapie, acupuncture) peuvent être envisagées. Dans les cas les plus graves, une hospitalisation est indispensable
pour réhydrater la patiente et faire un bilan complet sur le plan physiopathologique et psychologique. Dans tous les
cas, les prescripteurs doivent s’assurer de l’innocuité des molécules prescrites auprès du Crat (centre de référence
des agents tératogènes).
Mots clés : nausées, vomissements, femme enceinte, traitements
Abstract. Nausea and vomiting in pregnancy affects approximately 80% cent of women. Etiology includes physiopathologic (hormonal) or psychologic (stress, asthenia) factors. Therapeutic management is complex because of
multiple and sometimes unknown etiologies and potential drug toxicity in pregnant woman. Initial treatment should
be conservative and should involve dietary changes and emotional support. Several medications including doxylamine and pyridoxine have been shown to be safe and effective treatments. In more complicated cases, medical
consultation is recommended to rule out others pathologic causes (infections, endocrinian troubles). Antiemetics
(metoclopramide) and antiacids can be prescribed. Eventually, alternative therapies (homeopathy, phytotherapy)
can be proposed to pregnant patients. Pregnant women who have severe vomiting may require hospitalization to
rehydrate them and make a complete physiopathology and psychologic examination. In all cases, the pharmacist
in parternship with the patient have to make sure that the prescribed drugs are safe for pregnant women.
Key words: nausea, vomiting, pregnant woman, treatment
L
es nausées et vomissements concernent 90 % [1]
des femmes enceintes au cours de leur grossesse.
Seules 10 % de ces femmes sont amenées à consulter un médecin pour ce motif. Les vomissements sont
Tirés à part : C. Bader
fréquents au cours du premier trimestre de la grossesse
et peuvent durer jusqu’à l’accouchement dans de rares
cas. Ils peuvent être un signe de découverte de la grossesse. Les vomissements au troisième trimestre peuvent
être un signe d’éclampsie. Il est nécessaire de différencier
les crachats des vomissements et le reflux des nausées.
Pour citer cet article : Bader C, Glanard A, Vignand-Courtin C. Prise en charge des nausées et vomissements gravidiques chez la femme enceinte. J Pharm
Clin 2012 ; 31(3) : 135-9 doi:10.1684/jpc.2012.0219
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C. Bader, et al.
Nous proposons d’aborder dans cet article, tout d’abord
la physiopathologie et dans un second temps la prise en
charge à la fois globale (mesures hygiéno-diététiques) et
spécifique.
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Physiopathologie
Différents types de stimuli peuvent actionner le centre du
vomissement et entraîner des vomissements. Comme le
montre la figure 1 [2], cette cascade met en jeu plusieurs
types de récepteurs : sérotoninergiques (5HT), muscariniques (M), dopaminergiques (DA), histaminiques (H1 et
H2) sur lesquels agissent les médicaments. Les stimuli
provenant du tractus gastro-intestinal et les substances
émétisantes présentes dans le sang agissent via la trigger
zone, alors que les stimuli sensoriels et cognitifs agissent
directement sur le centre du vomissement ne mettant pas
en jeu les mêmes types de récepteurs. Enfin, les stimuli
liés au centre de l’équilibre (mouvements de la tête, transports, etc.) activent également le centre du vomissement.
Les nausées et vomissements du premier trimestre sont
dus à la stimulation chimique du centre du vomissement
par l’hormone ␤-hCG (hormone gonadotrophine chorionique) et à la stimulation des chémorécepteurs par les
odeurs. La sécrétion de ␤-hCG est à son maximum entre
10 et 12 semaines d’aménorrhée puis décroit rapidement.
Après le premier trimestre, la physiopathologie des nausées et vomissements est plus complexe et est liée en
grande partie à la composante psychologique [3].
Prise en charge
La prise en charge des nausées et vomissements chez la
femme enceinte est indispensable car cela peut être très
gênant pour la patiente et altérer sa santé et celle du bébé.
Cette prise en charge est souvent complexe et doit être
adaptée à la patiente.
Dans un premier temps, quelques règles hygiénodiététiques sont à rappeler comme fractionner les repas,
éviter les aliments gras ou épicés (difficiles à digérer), éviter les boissons gazeuses, bien se reposer, prendre son
petit-déjeuner avant de se lever, bien aérer son logement,
éviter les odeurs dérangeantes, éviter tout stress. . . Afin
d’éviter toute déshydratation (et donc toute perte hydroélectrolytique), il est important de boire régulièrement
et en quantité suffisante à savoir 1 litre à 1,5 litre d’eau
quotidiennement.
Par ailleurs, Il faut également déterminer si la patiente
est supplémentée en fer car cette supplémentation peut
être à l’origine de vomissements [4].
Dans un second temps, avant d’envisager une consultation, un traitement par vitamine B6 à raison de 10 à
25 mg 3 fois par jour (pas de spécialité disponible en
France à ce dosage, mais sous forme de préparation
magistrale en pharmacie) est associé à la doxylamine. Les
études [3] ont été faites avec des doses de 25 mg au coucher complétées si besoin avec une dose de 12,5 mg matin
et midi. En France, la seule spécialité disponible est le
Donormyl® 15 mg prescrit à la posologie d’un comprimé
Stimulations provenant du
tractus digestif
Stimulations
émotionnelles : peur,
anticipation, mémoire
Neurones sympathiques et
parasympathiques
Stimulations sensorielles :
vue, odeur, douleur
5-HT3
D2
M1
Appareil vestibulaire
H1, M1
5-HT1a
α2-A
Substances émétisantes
présentes dans le sang :
chimiothérapies, opioïdes
Chemoreceptor
Trigger Zone
Centre du vomissement
VOMISSEMENT
Récepteurs :
5-HT : sérotoninergique
D : dopaminergique
H : histaminique
M : muscarinique
Figure 1. Centres cérébraux du vomissement [2].
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Nausées et vomissements chez la femme enceinte
le soir, voire deux en cas d’inefficacité. Le traitement est
poursuivi pendant tout le premier trimestre jusqu’à résolution des symptômes. En cas de persistance, la doxylamine
peut être poursuivie sans risque tout au long de la grossesse avec un suivi médical. Plusieurs études ont montré
l’efficacité de ce traitement même si le mécanisme d’action
reste empirique [3].
Toutefois, des thérapies alternatives comme
l’homéopathie, l’acupuncture et l’hypnose peuvent
être utilisées comme traitements adjuvants sans avoir
cependant démontré leur efficacité. Concernant la
phytothérapie, le gingembre (500 à 1 500 mg par jour)
a démontré son efficacité sans risque malformatif.
Toutefois, il n’est disponible que comme complément
alimentaire ce qui implique un contrôle qualité encore
imparfait aujourd’hui [5].
Lors de la consultation, un premier interrogatoire,
comme proposé dans le tableau 1, permet de faire un
état des lieux sur la pathologie Ensuite, il est nécessaire
d’éliminer toutes les autres causes de vomissements avant
de mettre en place un traitement. La figure 2 présente
un logigramme qui permet d’orienter la prise en charge
de la patiente en fonction du contexte [6]. Ces autres
causes sont : les intoxications alimentaires, les infections gastro-intestinales, les hépatites, les pancréatites,
l’hyperthyroïdie et le diabète. Un examen clinique avec
examen neurologique ainsi que des analyses biologiques
telles que bandelette urinaire, ionogramme sanguin,
enzymes hépatiques (ASAT-ALAT), amylase, TSH (risque
de pseudo hyper-thyroïdie liée à l’HCG, d’évolution favorable spontanément sans traitement mais nécessitant un
contrôle à 20 semaines d’aménorrhées) peuvent être réalisées.
Le traitement de première intention est le métoclopramide, anti-émétique, prescrit à la posologie d’un
Tableau 1. Questionnaire d’état des lieux des vomissements en cours de la
consultation.
Question
Quel est le terme de votre grossesse ?
Souffrez-vous d’une pathologie particulière
(reflux, ulcère gastro-œsophagien, etc.) ?
Depuis combien de temps durent les vomissements ?
Quelle est leur fréquence ?
Avez-vous déjà essayé quelque chose contre les vomissements ?
Prenez-vous un traitement substitutif à base de fer ?
Avez-vous déjà souffert de vomissement
lors d’une précédente grossesse ?
Votre mère ou vos sœurs ont-elles souffert de vomissement
lors de leur grossesse
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012
Réponse
comprimé à 10 mg 3 fois par jour à prendre 30 minutes
avant les 3 repas principaux ou sous forme de
suppositoire à la même posologie. En cas d’échec,
d’autres anti-émétiques peuvent éventuellement être utilisés comme la métopimazine et la dompéridone.
Le traitement associé, en cas de reflux fréquemment
noté au cours de la grossesse et accentué par les vomissements, est l’oméprazole à la posologie d’une gélule à
20 mg le soir avant le coucher pendant 2 semaines associé
ou non au Gaviscon® (alginate de sodium) à la posologie de 1 sachet à prendre avant les 3 repas et à distance
(2 heures) des autres médicaments [7].
Si toutefois ceci ne suffit pas à soulager les vomissements gravidiques, une hospitalisation est nécessaire
notamment lorsque la perte de poids devient supérieure
ou égale à 10 % du poids initial.
Lors de l’arrivée aux urgences, le bilan précédemment cité est réalisé. La CRP est également mesurée afin
d’exclure une gastrite simple. Une prise en charge multidisciplinaire est ensuite mise en place et comporte : un
entretien avec un psychologue car l’origine des vomissements est en partie psychologique, un entretien avec
une diététicienne afin de faire un bilan des habitudes
alimentaires de la patiente.
Le psychologue émet un avis auprès du médecin sur la
nécessité de mettre en place un traitement en fonction du
contexte. L’hospitalisation permet à la patiente d’être sortie de son contexte social et familial et parfois cela suffit à
retrouver une certaine sérénité. Lorsqu’un traitement est
nécessaire plusieurs spécialités peuvent être prescrites :
l’hydroxyzine dichlorhydrate, la chlorpromazine le sulpiride, l’oxazépam, le citalopram ou la sertraline. D’après le
livret Médicaments et grossesse d’octobre 2007 réalisé par
l’Afssaps [8], l’utilisation de l’hydroxyzine, de la chlorpromazine, du sulpiride et de l’oxazépam sont envisageables
car les données disponibles sont rassurantes. Seule la
monographie de la sertraline mentionne une utilisation
avec précaution chez la femme enceinte. Une fois mis en
place, le traitement est poursuivi jusqu’à l’accouchement
au minimum et si possible quelque temps après l’arrivée
du bébé pour limiter le « babyblues ». Une étude réalisée
au Canada [1] comparant la prise d’un traitement antidépresseur avant la grossesse et au début de la grossesse
n’a pas montré de différences significatives sur l’incidence
des nausées et vomissements. Il faut être cependant prudent car la plupart des molécules passent dans le lait,
l’allaitement n’est donc pas toujours conseillé [9]. Des cas
de syndrome de sevrage chez le nouveau-né ont été rapportés associés à la prise d’inhibiteurs de recapture de la
sérotonine chez la maman.
Dans le contexte d’urgence, durant les 24 premières
heures la patiente est perfusée afin d’être réhydratée et
reçoit du métoclopramide par voie intraveineuse (10 mg 4
fois par jour) associé à un apport vitaminique en vitamine
B1 afin de prévenir le syndrome de Wernicke (caractérisé
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C. Bader, et al.
Nausées/Vomissements chez une femme enceinte
Recherche d’étiologies hors grossesse
Positive
Négative
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Traitement approprié
Règles hygiéno-diététiques
et soutien psychologique
Pas de Résolution
Suivi prénatal habituel
Pyridoxine, doxylamine,
acunpuncture, gingembre
Pas de résolution
Résolution
Bilan électrolytiques et
recherche de corps cétoniques
Anormal
Suivi prénatal habituel
Normal
Hydratation intraveineuse, hospitalisation,
antiE, antiH, antiC, corticoides
Pas de résolution
Résolution
Résolution
Nutrition parentérale totale
AntiE AntiH, antiC, corticoides
Pas de résolution
Résolution
Suivi prénatal habituel
Figure 2. Algorithme dans la gestion des nausées vomissements chez la femme enceinte [6]. Anti H : antihistaminiques ; Anti C : anticholinergiques, Anti E : antiémétiques.
par des troubles neuro-sensoriels de type ophtalmoplégie, ataxie à la marche, confusion) pouvant apparaître
en cas de vomissements persistants et prolongés. Dans
un second temps, une alimentation légère est réinstaurée
(biscuits, yaourts, thé sucré. . .). À partir du troisième jour,
une alimentation normale est reprise et la patiente peut
en général rentrer chez elle.
Il est possible d’administrer par voie orale ou par perfusion à la patiente un sétron (e.g. ondansetron) à la
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posologie de 4 mg en dose unique si le métoclopramide
s’avère insuffisant après administration à la posologie de
10 mg toutes les 8 heures sous forme injectable [7].
Conclusion
Les nausées et vomissements du premier trimestre sont
normaux et liés à l’imprégnation hormonale, donc
résolvables spontanément ou avec de simples mesures
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012
Nausées et vomissements chez la femme enceinte
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hygiéno-diététiques. Le métoclopramide peut être prescrit en première intention si les troubles deviennent
invalidants.
Si ces symptômes persistent dans les mois à suivre,
voire jusqu’à terme, ils sont plus souvent de nature psychologique voire psychosomatique et nécessitent, selon
la perte de poids et l’état de santé global de la patiente,
une hospitalisation.
Dans tous les cas, les prescripteurs doivent s’assurer de
l’innocuité des molécules prescrites auprès du Crat (centre
de référence des agents tératogènes) [10].
Conflits d’intérêts : aucun.
depressed women treated with antidepressants and non-depressed
women. Clin Invest Med 2006 ; 29 : 347-50.
2. http://www.servier.fr/servier-medical-art consulté le 1er avril
2012-06-06.
3. Niebyl JR. Nausea and vomiting in pregnancy. N Engl Med
2010 ; 363 : 1544-50.
4. J. Maesschalck PJ. Nausées et vomissements : prise en charge
rationnelle en pharmacie. J Pharm Belg 2011 ; 2 : 29-38.
5. Detavernier M. Vomissements et grossesse. Le Moniteur Hospitalier 2012 ; 244 : 46-8.
6. Quinla JD, Hill DA. Nausea and vomiting of pregnancy. Am Fam
Physician 2003 ; 68 : 121-8.
7. Protocole local interne. Service maternité de l’hôpital A. Béclère,
Clamart, France, 28 avril 2011.
8. Afssaps Livret Médicaments et Grossesse Psychiatrie 2007. Version
no 3. http://www.destinationsante.com/IMG/pdf/livret_psy.pdf.
Références
1. Bozzo P, Koren G, Nava-Ocampo AA, Einarson A. The incidence
of nausea and vomiting of pregnancy (NVP) : a comparison between
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 3, septembre 2012
9. Allaitement maternel. http://www.has-sante.fr/portail/upload/
docs/application/pdf/Allaitement_reco HAS. Consulté le 06 avril
2012.
10. CRAT http://www.lecrat.org/. Consulté le 15 avril 2012.
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