Femmes tondues

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Femmes tondues
France – Libération
Coupables, amoureuses, victimes
Julie Desmarais
Autour
l’événement
Dirigée par Michel De Waele et Martin Pâquet
Histoire
Femmes tondues
France – Libération
Coupables, amoureuses, victimes
Autour
de
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Julie Desmarais est historienne, diplômée de l’Université
Laval. Elle s’intéresse à l’histoire des femmes pendant la
Deuxième Guerre mondiale.
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ISBN 978-2-7637-8849-4
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Près de 20 000 femmes sont tondues en France
à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Au
moment de la Libération, alors que d’autres célèbrent le départ des troupes allemandes, elles
doivent subir la tonte de leurs cheveux devant
leur entourage. Maintes fois photographiées
pendant l’événement, ces femmes sont aussi
des personnages importants de nombreux écrits
sur la guerre. Elles marquent la Libération tout
autant que l’imaginaire et la mémoire française.
Coupables, amoureuses, victimes : trois personnages de femmes tondues qui nous aident à
comprendre comment la fin de la guerre a été
vécue à la Libération et comment elle est perçue aujourd’hui.
Julie Desmarais
Collection
Femmes
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Coupables, amoureuses, victimes
Coupables, amoureuses, victimes
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France – Libération
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Julie Desmarais
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Collection
Colle
l’événement
l’événement
Dirigée par Michel De Waele et Martin Pâquet
L’événement s’inscrit tant dans le quotidien que dans l’extraordinaire.
Impossible à dissocier de la vie de tous les jours qu’il rythme ou bouleverse, l’événement permet de réfléchir sur le monde dans lequel il prend
place et sur les traces qu’il y laisse. Faisant une large place à la jeune
recherche et aux approches novatrices, la collection «Autour de l’événement» regroupe des études en histoire, en histoire de l’art, en ethnologie,
en archéologie, en archivistique et en muséologie qui explorent les multiples arcanes de ce moment quotidien et extraordinaire.
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FEMMES TONDUES
France - LibÉration
Coupables, amoureuses, victimes
Julie Desmarais
FEMMES TONDUES
France - LIBÉRATION
Coupables, amoureuses, victimes
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ISBN 978-2-7637-8849-4
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Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Est-ce un événement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
Des tontes racontées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Chapitre 1 : Des tontes, des femmes tondues,
un événement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Les acteurs principaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
La mise en scène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Chapitre 2 : Pourquoi tondre des femmes ? . . . . . . . . 37
La guerre au quotidien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Les hommes et les femmes de la Libération . . . 56
Chapitre 3 : La coupable, l’amoureuse, la victime. . . 79
La tondue « coupable » (1942-1948) . . . . . . . . . 81
La tondue « amoureuse » (1970-2005) . . . . . . . . 94
La tondue « victime » (1970-2005) . . . . . . . . . . . 112
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Introduction
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Français
disposaient en moyenne de 1 230 calories par jour1. Ce
chiffre n’est qu’officiel parce que la possession d’un ticket
de ravitaillement ne garantit pas que les commerçants aient
les ressources nécessaires pour l’honorer. Tous les jours, et
plus particulièrement à l’approche de la Libération, le
rationnement est une préoccupation majeure et bouscule les
habitudes des Français. Les femmes, par exemple, ne peuvent plus se permettre d’accorder les mêmes soins à leur
apparence. Le manque d’argent pour s’offrir un shampoing
ou une coupe de cheveux incite plusieurs d’entre elles à
porter un turban. Pratique et tendance, cet accessoire
permet aussi de cacher les ravages d’une nutrition déficiente
sur leurs cheveux 2. Le temps de la Libération (été
1944-­printemps 1945) mettra toutefois un terme au port du
turban comme accessoire de mode3.
Près de 20 000 femmes4, bien souvent perçues comme
des « collaboratrices horizontales » par leurs communautés,
se font tondre les cheveux pendant des manifestations qui
s’intègrent dans les moments communs de le Libération de
la France. Les tontes s’exécutent dans la continuité de
l’épuration extra-judiciaire, du pavoisement des drapeaux,
de l’accueil enthousiaste des troupes alliées et du retrait des
derniers symboles de la présence allemande. Des femmes
tondues cachent alors leurs crânes dénudés avec un turban,
1. Avec des variations évidentes au cours de la guerre ; voir : Éric Alary
et al., Les Français au quotidien 1939-1949, Paris, Perrin, 2006, p. 217.
2.Claire Duchen, Women’s Rights and Women’s Lives in France, 1944-1968,
Londres, Routledge, 1994, p. 23.
3. À l’exception de quelques femmes, dont Simone de Beauvoir, dans Ibid.
4. Un chiffre qui semble faire consensus; voir Fabrice Virgili, La France
« virile » : Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000, p. 77.
Femmes tondues
devenu le symbole d’un acte de trahison. Des amies leur
donnent parfois même une mèche de cheveux pour qu’elles
puissent simuler une chevelure abondante, enroulée dans
un turban5. Ces femmes tondues sont humiliées au moment
de l’événement, mais aussi pendant les mois qui suivent, en
attendant que la repousse de leurs cheveux efface les traces
de l’épuration.
Sur ces femmes tondues, nous avons découvert quelques photographies et plusieurs récits dont la concordance
ne peut que surprendre. À leur manière et sans encadrement
particulier, chaque communauté reprend sensiblement les
mêmes éléments, donnant ainsi aux tontes les allures d’un
rituel. Le déroulement des événements, de la présentation
des acteurs à la mise en scène, sera abordé dans la première
partie de cet ouvrage.
Est-ce un événement ?
Est-ce que les 20 000 femmes tondues pendant la
Libération de la France représentent un sujet pertinent pour
une collection intitulée « Autour de l’événement » ? Si cette
question peut surprendre aujourd’hui, soulignons qu’elle ne
s’est tout simplement pas posée durant près de cinq décennies après la guerre. En effet, jusqu’au début des années
1990, la plupart des historiens n’incluent pas vraiment de
femmes tondues dans leurs études sur la France de la
Deuxième Guerre mondiale. Lorsqu’elles sont présentes,
ces femmes sont utilisées seulement comme élément de
décor, sorte de détour obligé pour raconter la Libération en
détail. Le premier livre est publié en 1992, sous le titre Les
tondues : Un carnaval moche6. L’auteur, Alain Brossat, philo­
sophe de formation, s’intéresse surtout aux enjeux de
mémoire, aux résurgences de traditions anciennes et aux
fonctions des manifestations. Il décrit les femmes tondues
5. Voir, entre autres, Lieutenant-colonel de Branges de Civria, La
Libération dans le Morbihan, Paris, Librairie Celtique, 1946, p. 177 ; Sacha Guitry,
60 jours de prison, Paris, Perrin, 1964, p. 149 ; Olivier Truc, « Sur l’estrade du kiosque à musique », Libération, 6 août 2004, p. 30-31.
6. Alain Brossat, Les tondues: Un carnaval moche, Levallois-Peret, Manya,
1992.
2
Introduction
comme les boucs émissaires d’un rituel moyenâgeux. Mis à
part cet ouvrage et quelques articles7, la première étude
historique portant sur les femmes tondues paraît en 2000.
Rédigée par l’historien Fabrice Virgili, La France virile : Des
femmes tondues à la Libération8 dresse un portrait de ce phéno­
mène. Pour expliquer le manque de considération à l’égard
de ces femmes, F. Virgili souligne, entre autres, que les gestes
reprochés et le type d’épuration n’ont pas vraiment eu
­d’impact sur le déroulement de la guerre et de la Libération.
Il avance également que des auteurs auraient pu percevoir
les tontes comme étant marginales par rapport à d’autres
types d’épurations, tels que l’emprisonnement ou l’exécution. « On peut même se demander si elles ont été simplement
perçues comme un événement9 », conclut-il.
L’absence d’intérêt pour les femmes tondues pourrait
s’expliquer par une historiographie où, selon Jean-Paul
Picaper, journaliste et politologue, « il fallait que tout le reste
soit étudié avant : les déportations, les camps de concentration, les horreurs de la guerre 10». Dès le milieu des années
1970, et avec une certaine recrudescence au début des
années 1990, les Français de tous horizons sont davantage
portés à témoigner de leurs expériences de la guerre. La
présentation de certaines œuvres cinématographiques11
initie un mouvement d’évocation des différents choix et
comportements des Français pendant la guerre. Cet intérêt
pour les expériences individuelles se reflète dans une histoire
où l’on ne parle plus de la « France de Vichy », mais bien des
« Français sous l’Occupation ». La curiosité envers les
7. François Rouquet, « Épuration. Résistance et représentations :
Quelques éléments pour une analyse sexuée », La Résistance et les Français. Enjeux
stratégiques et environnement social, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1995,
p. 285-293 ; Luc Capdevila, « La «collaboration sentimentale» : Antipatriotisme ou
sexualité hors-normes ? », dans François Rouquet et Danièle Voldman (dir.),
Identités féminines et violences politiques (1936-1946), Paris, CNRS Éditions, 1995,
p. 67-82.
8. Virgili, op. cit.
9. Ibid., p. 14.
10. Delphine Saubaber, « Pour l’amour d’un «boche» », L’Express, no 2761,
31 mai 2004, p. 92.
11. Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, 1971 ; Louis Malle, Lacombe
Lucien, 1974.
3
Femmes tondues
femmes tondues se manifeste dans ce contexte où les
Français sont à la fois plus sensibles aux parcours des autres,
mais où ils sont aussi beaucoup plus enclins à porter un
jugement intransigeant face aux choix des leurs.
L’intérêt pour les femmes tondues ne provient donc
pas a priori de leur sort en lui-même, mais plutôt de ce
qu’elles peuvent nous apprendre sur la société française aux
abords de la Libération12. L’événement agit comme un révélateur des tensions entre les Français, entre les Français et
les Allemands, mais aussi entre les Français et les Françaises.
Il témoigne de la fin de la guerre et de cet espoir qu’apporte
la Libération. Les tontes des femmes sont imprégnées de ce
contexte et nous en discuterons dans la seconde partie de
cette étude en suivant deux aspects, soit la vie quotidienne
et les relations entre les hommes et les femmes en temps
de guerre. Cette mise en contexte nous permettra de
­remettre en question l’utilité de tondre des femmes, comme
cela a été si ­souvent avancé par des témoins et par des histo­
riens.
Des tontes racontées
Si les crânes ne sont plus visibles pour la communauté
dès la repousse des cheveux, ils demeurent bien gravés dans
la mémoire des femmes tondues, tout comme dans celle de
leur entourage. L’histoire d’Esther Albouy, mieux connue
sous le nom de la « séquestrée de Saint-Flour », n’est absolument pas exemplaire, mais elle illustre bien l’impact que
la tonte peut avoir sur une famille. Au moment de la libération de son village, la jeune Esther est tondue, accusée
d’avoir parlé avec un Allemand et dénoncé une de ses
­collègues de travail. La famille d’Esther l’enferme dans le
sous-sol d’une maison de Saint-Flour et s’y cache à son tour.
Esther y demeure attachée durant plusieurs années, et ce,
même si son innocence est prouvée quelques mois après
qu’elle ait été tondue. La rumeur veut même que son père
la sorte parfois du sous-sol la nuit, en l’attachant à une laisse.
12. « Leur importance symbolique est inversement proportionnelle à leur
influence sur les événements » ; Virgili, op. cit., p. 20.
4
Introduction
Toute la famille vit en retrait de la société, barricadée dans
un logement insalubre. Elle ne sort même pas de la maison
pour aller chercher de la nourriture ou pour se débarrasser
des déchets. La mort des parents, puis celle de Henri, un
des fils, ne poussent pas pour autant Esther et son frère à
­quitter le sous-sol, ou, à tout le moins, d’en sortir les corps
des personnes mortes. La forte odeur provenant des cadavres et des déchets accumulés au fil des ans, de même que
les coups de feu tirés vers les passants, forcent les autorités
à entrer dans le sous-sol en 1983, près de 40 ans après la
séquestration volontaire de la famille13. Évidemment, la
plupart des femmes tondues ne vivent pas une expérience
similaire, mais elles semblent toutes porter des séquelles.
« La honte : opprobre, flétrissure pour la famille, marque
d’indignité rejaillissant sur tous14 », semble être un sentiment
récurrent pour ces femmes. Le fait d’avoir été tondues
devient, pour elles, un événement qu’elles doivent cacher et
faire oublier.
Ces femmes ne parlent pas de leurs expériences. Leur
attitude nous semble être un bon indicateur de l’impact
psychologique des tontes. Contrairement à de nombreux
Français, les femmes tondues ne publient pas leurs récits
ou leurs mémoires de la Deuxième Guerre mondiale. En
1971, dans son documentaire Le Chagrin et la Pitié, Marcel
Ophüls présente Solange, l’une des premières femmes
­tondues à se raconter un peu15. La tonte n’y est pas mentionnée précisément, mais le réalisateur utilise une chanson
de George Brassens intitulée « La tondue » pour introduire
l’entrevue de Solange. Les paroles de cette chanson ne
sauraient laisser de doute : « La belle qui couchait avec le
roi de Prusse, avec le roi de Prusse / À qui l’on a tondu le
crâne rasibus, / Le crâne rasibus16. » Nous devons attendre
jusqu’en 2004, à l’approche du 60e anniversaire de la
13. Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’Occupation,
t. XIII : Joies et douleurs du peuple libéré, 6 juin – 1er septembre 1944, Paris, Robert
Laffont, 1988, p. 534.
14.Brossat, op. cit., p. 275.
15. Ophüls, op. cit.
16. Georges Brassens, « La tondue », Poèmes et chansons, Paris, Seuil, 2001,
p. 169.
5
Femmes tondues
Libération, pour que quelques femmes tondues, telles
qu’Élise17 ou Renée18, acceptent de raconter leurs histoires.
Et même après toutes ces années, ces femmes choisissent
de taire le moment de leurs tontes pour centrer leurs histoires sur les gestes qui leur sont reprochés à la Libération et
sur les conséquences de ce qui leur est arrivé19.
Le silence semble être de mise pour toutes les personnes impliquées directement dans l’événement. Non seulement les femmes tondues ne parlent de leurs expériences
que dans de très rares occasions, mais les tondeurs, ceux
qui tiennent les ciseaux, ne se racontent pas davantage. Ce
que nous connaissons des tontes et des femmes tondues
provient donc uniquement des spectateurs, des personnes
extérieures à l’événement20, qu’ils soient des représentants
de l’autorité, des membres de la foule assistant aux tontes
ou des gens qui ont entendu des rumeurs. C’est une voix
qui est donnée aux femmes tondues par les rapporteurs de
commérages, par les témoins et par les historiens. Et cette
voix qui est imposée n’est pas nécessairement juste : « Nul
n’admettra, sauf exception, avoir été tondeur ou tondue, de
même aucun des témoins de la scène n’irait jurer que
­l’accusée, expiant sa “ faute ”, était vraiment coupable21. » La
connaissance des tontes de la Libération est donc toujours
liée à la représentation de l’événement puisque les deux se
sont construits au même moment. Quelques jours, et peutêtre même seulement quelques heures après, les témoins
rapportent leur dégoût de l’humiliation imposée à ces
femmes qui ont eu des « relations avec les Allemands ». Le
décalage entre l’événement et sa représentation est important. Il s’effectue rapidement et il évolue dans le temps,
17. Sorj Chalandon, « Le commandant », Libération, no 7052, 14 janvier
2004, p. 28.
18. Saubaber, loc. cit.
19. Un livre publié en 2006 comprend cinq témoignages de femmes
tondues. Tout au contraire des autres femmes tondues, celles-ci se révèlent candidement et en ne négligeant aucun détail. Nous préférons être prudents dans nos
références à ce livre. Voir Dominique François, Femmes tondues : La diabolisation de
la femme en 1944, Coudray-Macouard, Cheminements, 2006.
20.Richard Vinen, The Unfree French : Life Under the Occupation, Londres,
Allen Lane, 2006, p. 350.
21.Brossat, op. cit., p. 190.
6
Introduction
influencé, entre autres, par les enjeux sociaux d’une époque
et par la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale.
La dernière partie de notre étude portera sur l’écart
entre le discours sur les femmes tondues et la réalité de
l’événement, telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pour
ce faire, nous avons analysé le regard de trois types d’auteurs
de nationalité française, celui du témoin, de l’artiste et de
l’expert, lesquels ont respectivement écrit des récits ou des
mémoires22, des romans et des études. Ces auteurs ont des
parcours diversifiés. Ils ont fait des choix différents pendant
la guerre et ils ont chacun leurs raisons pour inclure des
femmes tondues dans leurs écrits. Leurs points de vue sont
ensuite confrontés aux préoccupations sociales de l’époque
de même qu’à l’évolution de la mémoire des Français à
l’égard de la Deuxième Guerre mondiale23.
Les liens entre ces éléments nous permettent de tracer
trois portraits distincts de femmes tondues. Chacun d’entre
eux marque la progression de la représentation des femmes
tondues : « coupable », « amoureuse » et « victime ». À défaut
de nous amener à comprendre pourquoi des femmes sont
tondues à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ces différents portraits nous permettent de concevoir ce que
représente une femme tondue pour les Français au fil des
ans.
22. L’année de publication 1947 est choisie comme date pour séparer les
récits des mémoires. Cette date laisse le temps aux témoins de publier leurs récits
et n’inclut pas les gens qui ont pris plus d’un an pour écrire leurs souvenirs.
23. Notre corpus de sources se compose de sources littéraires et scientifiques. Il comprend 12 récits, 28 mémoires, 21 romans et 30 études historiques.
Le nombre n’est pas égal pour chaque type de sources, ce qui n’est pas nécessairement problématique. Il est plutôt significatif de souligner, par exemple, que les
romans sont plus nombreux entre les années 1980 et 1999, alors qu’une seule étude
historique fait état des femmes tondues entre 1944 et 1960. De plus, nous n’avons
pas travaillé avec des sources orales. Tout d’abord pour des raisons d’accessibilité,
mais aussi parce que ces femmes, comme nous l’avons déjà souligné, ont peu parlé
et elles parlent peu. L’inexistence de témoignages réalisés en 1944, puis à divers
moments jusqu’aux années 2000, nous aurait aussi empêché d’étudier le décalage
entre l’événement vécu et sa représentation.
7
Chapitre 1
Des tontes, des femmes
tondues, un événement
Les Français n’inventent pas la tonte des cheveux des
femmes. Au Moyen Âge tardif, lorsque des prostituées sont
bannies publiquement de Londres, on leur fait subir la tonte
de leurs cheveux et un parcours humiliant dans les rues de
la ville1. En 2004, en Inde, sept femmes, dont les familles se
sont converties au christianisme, sont tondues par des
hommes appartenant à un groupe radical hindou. « Un geste
qui a le même poids d’humiliation partout dans le monde »,
écrit alors le journaliste2. Les libérations de pays ayant des
expériences tout à fait différentes de la Deuxième Guerre
mondiale comprennent aussi la tonte des cheveux de
­certaines femmes, que ce soit le cas de l’Italie fasciste ou de
l’Allemagne nazie, de la Pologne envahie ou de la
Tchécoslovaquie démembrée3. Plus près de notre sujet, dès
le début de la Deuxième Guerre mondiale, en France, un
coiffeur français est contraint par des « Allemands » de
1. Hanna Zaremska, Les bannis au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1996,
p. 80-83.
2. Henri Tincq, « Femmes tondues en Inde pour “crime de conversion” »,
Le Monde, 20 février 2004, p. 1.
3. Luc Capdevila, « Identités masculines et féminines pendant et après
la guerre », dans Évelyn Morin-Rotureau (dir.), 1939-1945 : Combats de femmes.
Françaises et Allemands, les oubliées de la guerre, Paris, Autrement, 2001, p. 214 ; Fabrice
Virgili, La France virile : Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, p. 271-278.
Femmes tondues
tondre une Française ayant exprimé tout haut son souhait
de voir l’occupant quitter son pays4. Bien que ces exemples
ne soient pas exhaustifs, ils révèlent que la tonte des cheveux
des femmes n’est pas spécifique à la France de la Libération5.
À chaque fois, la tonte est une sanction intemporelle qui vise
à soumettre des femmes contrevenant à des principes admis
par leur communauté. Encore plus, selon Fabrice Virgili,
« dans chacune de ces crises, une violence spécifique s’est
exercée contre des femmes perçues non seulement comme
ennemies, mais aussi comme femmes6 ». Cet enjeu est bien
présent : des tondeurs et certaines communautés éliminent
le symbole de la féminité de celles qui choisissent d’utiliser
leurs corps d’une manière qui n’est pas perçue comme étant
« acceptable » en temps de guerre.
Bien que la mémoire actuelle retienne surtout que les
femmes tondues faisaient de la « collaboration horizontale7 »,
nous savons maintenant que les accusations de la communauté sont plus diversifiées. Les femmes tondues n’accumulent pas nécessairement une fortune grâce à leurs liaisons
avec des Allemands, et celles qui obtiennent une quelconque
rétribution ne l’utilisent pas nécessairement aux dépens de
leur communauté. Les tondues ne sont pas vraiment des
femmes « qui choisissent de vivre leur féminité, leur sexualité, leurs pulsions amoureuses, […] et ce, face aux passions
guerrières violentes et mortifères8 ». Les portraits des
femmes tondues et des tondeurs sont beaucoup plus ­nuancés,
voire flous. Ils doivent être compris avec toutes les nuances
nécessaires, ce qui n’est toutefois pas le cas de la mise en
4. Frédérique Moret, Journal d’une mauvaise Française, Paris, La Table
Ronde, 1973, p. 79.
5. Ajoutons, pour la première moitié du XXe siècle, les Pays-Bas, la
Norvège, le Danemark et l’Espagne ; voir Virgili, ibid. et Capdevila, ibid.
6. Virgili, op. cit., p. 279.
7. La « collaboration horizontale » est pourtant l’expression la moins
utilisée par les contemporains de la Libération . « Relations avec les Allemands »,
« relations sexuelles », « relations intimes », « relations amoureuses », « relations du
dodo » ou « relations d’un genre spécial » sont plus communes ; voir Virgili, op. cit.,
p. 28.
8.Catherine Durand, « Préface », dans Dominique François, Femmes
tondues : La diabolisation de la femme en 1944, Coudray-Macouard, Cheminements,
2006, p. 9-10.
10
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
scène. L’événement prend plutôt des allures de rituel, et ce,
malgré les disparités sociales et géographiques. Dans cette
première partie, nous présentons les aspects de la mise en
scène, dans l’ordre : d’abord les acteurs, puis les différentes
étapes du rituel.
Les acteurs principaux
Les femmes à tondre
Une apparence de critères de sélection
Lorsque les historiens qui s’intéressent aux 20 000
femmes tondues commencent leurs études par un long avantpropos sur les relations sexuelles entre les occupants et les
occupés, ils n’évoquent qu’une partie du sujet. Bien que les
liaisons aient un impact sur la désignation des femmes à
tondre, cela ne concerne que 42 % des cas9. Et, à l’intérieur
même de ce pourcentage, il serait pertinent de se demander
combien de femmes ont effectivement fait de la « collaboration horizontale ». Nous ne connaissons pas ce nombre
aujourd’hui, pas plus que les participants aux tontes de la
Libération. Professeur à l’École polytechnique de Paris où
il occupe la chaire d’histoire et de littérature, Paul Truffau
note, en ce sens, une foule qui spécule sur les gestes commis
par deux femmes tondues le 27 août 1944, à Paris : « Des
bruits divers courent : dénonciations, ce qui mériterait plus,
bamboches avec les Allemands, etc10. » Si « les relations d’un
genre spécial » ne sont pas toujours avérées, la cause des
tontes est tout simplement indéterminée dans 27 % des cas.
Ces deux dernières statistiques nous indiquent donc que,
dans une proportion du plus des deux tiers, des femmes
peuvent être tondues sans que les actes qui leur sont reprochés s’appuient sur des faits vérifiés. Bien souvent, les
femmes désignées pour être tondues le sont parce que certaines personnes de leur voisinage ont l’impression que
9. Pour toutes les statistiques relatives à la nature des accusations, voir
Virgili, op. cit., p. 23. L’historien a publié l’unique compilation statistique à ce sujet,
ce qui en fait un référent incontournable et obligé.
10. Paul Truffau, De la « drôle de guerre » à la Libération de Paris, 1939-1944 :
Lettres et carnets, Paris, Imago, 2002, p. 121.
11
Femmes tondues
quelque chose « n’est pas correct ». Ces gens ont peu vu,
parfois entendu, mais souvent parlé des relations entre les
femmes à tondre et l’occupant. Ils utilisent alors le média le
plus accessible et le plus couramment utilisé en temps de
guerre pour propager les « nouvelles locales » : la rumeur
Il y aurait beaucoup à écrire sur la rumeur, tant elle
semble représenter la manière privilégiée de choisir les
femmes à tondre. Le croisement de regards ou l’échange de
quelques mots entre une Française et un Allemand sont
souvent bien suffisants pour la nourrir. P. Truffau rapporte
l’exemple d’une femme qui discute dans sa maison avec un
soldat allemand au sujet de son mari, les deux hommes
s’étant rencontrés au cours de la guerre. La communauté
n’a pas pu voir ce que l’homme et la femme ont réellement
fait dans cette maison à la porte close ; elle n’a vu qu’un
Allemand en entrer et en sortir. Elle a imaginé tout le reste.
Ce qui est alors perçu comme une « relation » vaut à la femme
d’être tondue pendant la libération de Nutchez11.
Les récits et les mémoires des témoins de la Libération
rapportent plusieurs rumeurs qui associent la sexualité des
femmes à de la prostitution. Janine Bouissounouse, intellectuelle liée au Front populaire, vit la Deuxième Guerre
mondiale du haut de sa fenêtre. Elle en entend les rumeurs
et, souvent, elle semble confondre ce qu’elle voit avec ce
qu’elle croit voir. Elle n’apprécie pas les tontes (« ça c’était
moins beau12 »), ce qui ne l’empêche pas d’être plus critique
à l’égard du comportement de certaines femmes.
Une grosse blonde dégrafe son corsage, en tire d’énormes
seins blancs qu’elle soutient à deux mains et qui servent de
cible aux cigarettes que les hommes jettent du premier étage.
On raconte qu’un brave homme reçoit des Allemands chez
lui et boit avec eux pendant que sa femme les occupe à tour
de rôle dans la chambre. On raconte qu’une mégère loue sa
fille de 13 ans pour un mark. On raconte… des horreurs
vraies ou imaginées13 ?
11. Ibid., p. 130.
12. Janine Bouissounouse, Maison occupée, Paris, Gallimard, 1946,
p. 348.
13. Ibid., p. 39.
12
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
Les rumeurs d’orgies avec des membres de l’armée
allemande sont omniprésentes. Quelques thèmes sont récurrents : des femmes qui donnent leurs corps à des officiers
allemands hauts gradés, une nourriture abondante, de
­l’alcool qui coule à flots, la décadence et l’immoralité. En
ces temps de restrictions, l’idée qu’un groupe puisse vivre
un moment d’aisance et de luxure peut être choquante. La
rumeur d’une orgie est d’ailleurs utilisée par le romancier
Marcel Aymé pour illustrer sa sombre représentation de
l’épuration dans Uranus publié en 1948. Les thèmes des
« lâchetés entre Français et [des] exactions de l’épuration14 »
sont privilégiés par l’auteur et ils sont parfois repris dans
ses autres romans15. Pour décrire l’ambiance d’un café,
M. Aymé écrit : « On disait, mais sans en être bien sûr, que
les officiers allemands y avaient fait des orgies nocturnes en
compagnie de la patronne qui, au jour de la Libération avait
d’ailleurs été tondue16. » Cette femme ayant tenu commerce
durant la guerre ne pouvait, selon le romancier, qu’avoir
voulu tirer profit du mark allemand de toutes les façons
possibles.
Les rumeurs sont importantes pour une communauté
puisqu’elles permettent de différencier les « bons » des
« méchants » ou, plus simplement, les « résistants » des « collaborateurs ». Cette logique d’inclusion et d’exclusion amène
les différents membres à se comparer et à créer des groupes.
Selon Jean-Noël Kapferer, professeur de marketing ayant
écrit plusieurs travaux de référence sur les rumeurs, la
désignation des éléments différents d’une communauté
permet aux autres « de resserrer leurs liens sur le dos de
cette tierce personne. En somme, la rumeur fournit le tremplin d’une consommation de relations sociales et du renfor14. Jacques Julliard et Michel Winock, dir., Dictionnaire des intellectuels
français : Les personnes, les lieux, les moments, Paris, Seuil, 2002, p. 118.
15. Voir, entre autres, Marcel Aymé, Le Chemin des écoliers, Paris,
Gallimard, 1946, 255 p.
16. Marcel Aymé, Uranus, Paris, Gallimard, 1948, p. 204 ; un exemple
semblable de rapports présumés entre un officier, une mère ou sa fille française
peut être retrouvé dans le récit de Bertrand de Chézal, À travers les batailles pour
Paris, Paris, Plon, 1945, p. 118.
13
Femmes tondues
cement des liens d’amitié, de voisinage et de parenté17 ». Les
membres de la communauté peuvent ainsi s’identifier par
rapport aux femmes tondues, ces femmes qui semblent
choisir de vivre la guerre d’une autre façon, et améliorer
l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Le discours entourant les
femmes tondues rassure les membres de la communauté
dans leur façon de vivre la guerre et permet de créer une
certaine unité entre eux, le temps de propager la rumeur et
de tondre les femmes visées.
Même si les femmes sont surtout tondues en raison de
la « collaboration horizontale » ou pour une cause indéterminée, d’autres ont pu participer à des formes de collaboration perçues comme ayant davantage d’impact sur la
guerre. Notons tout d’abord que 7 % des femmes sont
­tondues en raison d’un acte de délation. La dénonciation est
un acte vivement condamné parce que les conséquences
possibles, ce qui inclut la confiscation des biens, la déportation ou l’exécution, sont tragiques. Bien qu’il soit évident
que des hommes aient pu accomplir des gestes semblables,
les relations intimes et la délation sont deux formes de
­collaboration associées largement aux femmes18, que l’on
soupçonne plus volontiers de « confessions sur l’oreiller ».
Dans une moindre mesure, les femmes tondues peuvent
aussi être accusées pour des faits de collaboration plus
typiquement « masculins ». Elles sont tondues pour des
motifs politiques et économiques dans respectivement 8 %
et 15 % des cas. Elles peuvent s’être impliquées dans la
milice19 ou avoir exploité le contexte de la guerre pour en
faire bénéficier leur commerce. Enfin, avoir la nationalité
d’un pays de l’Axe20 est la cause de 2 % des tontes, ce qui en
fait un motif plutôt négligeable.
17. Jean-Noël Kapferer, Rumeurs : Le plus vieux media du monde, Paris,
Seuil, 1990, p. 71.
18. Hanna Diamond, Women and the Second World War in France, 1939-1948 :
Choices and Constraints, London, New York, Longman, 1999, p. 81-82.
19. Organisation paramilitaire composée de volontaires français et visant
à répondre aux besoins de l’armée allemande.
20. Italie, Allemagne, Japon.
14
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
Le fait de tondre des femmes semble surtout viser à
réprimer un type de « comportement féminin » perçu comme
inacceptable en temps de guerre par la dégradation d’un
symbole de la féminité. Nous avons aussi pu remarquer que
les accusations n’ont pas besoin d’être soutenues par des
faits. Les tontes deviennent ainsi l’épuration d’une proximité
avec l’occupant, qui est visible pour la communauté.
L’identification de ces zones de proximité et de visibilité
devient donc essentielle à l’élaboration des portraits des
femmes tondues.
Existe-t-il une femme tondue ?
Hiroshima mon amour21 est porté sur les écrans français
en 1959. Écrit par Marguerite Duras et réalisé par Alain
Resnais, ce film illustre notamment l’influence d’une zone
de proximité dans la sélection des femmes à tondre. À
Nevers, Elle travaille dans une pharmacie où se rend un
soldat allemand blessé et elle n’a pas d’autre choix que de
le soigner. Elle panse sa plaie tous les jours, d’abord dans la
haine, puis par obligation. Au fil de leurs rencontres, ils
discutent de problèmes mathématiques, ils développent des
affinités et ils ne cachent plus leurs fréquentations. Leur
rêve de fuite en Bavière prend fin abruptement au moment
de la libération du village, alors que l’homme est tué et
qu’Elle est tondue, perçue par sa communauté comme une
« collaboratrice horizontale ». Tout comme Elle, la plupart
des femmes tondues ont des occupations qui les amènent à
côtoyer régulièrement des Allemands. Elles peuvent être
agricultrices, secrétaires, professeures, ménagères, cuisinières, infirmières ou, dans une plus grande proportion, travailler dans un commerce, comme un restaurant ou une
épicerie22. Elles n’ont pas besoin de travailler pour côtoyer
ces hommes sur une base régulière puisqu’elles peuvent
même, parfois, être dans l’obligation de les héberger. Toutes
ces occupations obligent les femmes à vivre auprès
des Allemands et elles imposent une certaine relation qui
21. Alain Resnais, Hiroshima mon amour, 1959.
22. Virgili, op. cit., p. 229.
15
Femmes tondues
­ ourrait devenir plus intime ou, le plus souvent, qui pourrait
p
ressembler de l’extérieur à une « collaboration horizontale23 ». Selon F. Virgili, « l’appréciation de l’engagement
germanophile ne s’appuie pas sur une quelconque mesure
de la participation effective à l’économie allemande, des
sommes ou des marchandises obtenues pas les activités
commerciales, ou de la fréquence des relations privées, mais
bien plus sur leur déroulement à la vue de tous24 ». Lorsque
des femmes doivent travailler dans des lieux publics, comme
c’est le cas pour Elle, les rapprochements deviennent encore
plus visibles. À la Libération, la communauté peut facilement
désigner à la tonte ces femmes qu’elle croit « avoir vues »
dans son quotidien.
Les femmes dont la prostitution est le métier sont,
quant à elles, presque toutes épargnées des tontes. Malgré
une proximité évidente entre ces femmes et leurs clients, la
communauté semble différencier celles qui ont des relations
sexuelles avec l’occupant par métier, de celles qui le font par
choix. Nous devons toutefois être bien prudents sur ce point
puisque la tolérance à l’égard des prostituées ne signifie pas
nécessairement qu’elles sont respectées. Des membres de la
communauté peuvent, par exemple, décrier les femmes
tondues comme des prostituées, même si ce n’est pas le cas.
L’expression « putains à Allemands », et toutes ses variantes,
est couramment utilisée dans les récits de la Libération25.
De surcroît, certaines femmes tondues peuvent aussi être
traitées comme des prostituées 26. À la libération de
Montpellier, le Commissaire de la République, Jacques
Bounin, propose que « les femmes qui ont couché avec les
Allemands seront conduites au service de la prostitution ;
elles seront tondues et mises en carte après avoir subi un
examen vénérien27 ». J. Bounin est non seulement, à notre
connaissance, l’unique représentant de l’autorité à déclarer
23. Diamond, op.cit., p. 77-78.
24. Virgili, op. cit., p. 46.
25. Voir, entre autres : De Chézal, op. cit., p. 32.
26.Richard Vinen, The Unfree French : Life Under the Occupation, Londres,
Allen Lane, 2006, p. 371.
27. Jacques Bounin, Beaucoup d’imprudences, Paris, Stock, 1974, p. 156.
16
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
son initiative dans les tontes des femmes, mais il indique
aussi clairement que ces dernières doivent être fichées
comme des prostituées. Bien que les prostituées et les
femmes perçues comme des « collaboratrices horizontales »
ne soient pas considérées de la même façon, nous croyons
que la ligne séparant ces deux groupes est bien mince et
qu’elle est relative aux perceptions de chacun. F. Virgili
avance, en ce sens, que la présence de sentiments pourrait
être une manière de distinguer les relations amoureuses des
relations d’affaires28. Ce jugement d’une communauté sur
la présence de sentiments ne ferait que renforcer notre idée
selon laquelle le fait de tondre des femmes relève davantage
d’un châtiment des apparences que de la « collaboration
horizontale ».
Mis à part certains gestes, les perceptions dont les
femmes sont accusées et le type de profession qu’une proportion significative d’entre elles pratiquent, nous devons
admettre que nous en savons bien peu sur les femmes
­tondues. Les récits et les mémoires dont nous disposons ne
sont pas bavards sur les personnalités des femmes tondues.
Comme nous le verrons dans la prochaine partie, les auteurs
sont beaucoup plus loquaces au sujet des tontes que des
femmes tondues. Il n’existe pas de portrait typique ou de
profil qui condamne nécessairement à être tondue. Les
femmes sont de tout âge, de toute appartenance sociale
(« N’y a-t-il pas eu des jeunes filles de la «société» ­aussi…29? »)
et elles ont différentes occupations. Dans ses recherches,
F. Virgili remarque que la « relative jeunesse, un célibat
majoritaire, une activité professionnelle plus importante
mais dans des métiers moins stables30 » sont parmi les
­éléments qui caractérisent les femmes tondues. Nous nous
permettons d’ajouter que les femmes qui profitent d’un haut
statut social ou d’un efficace réseau de relations ont pu
échapper aux tontes, même si elles ont un comportement
similaire à celui des femmes tondues, comme c’est le cas
28. Virgili, op. cit., p. 43.
29. De Chézal, op. cit., p. 118.
30. Ibid., p. 230.
17
Femmes tondues
pour Coco Chanel31. Le peu d’indications que nous avons
sur ces femmes nous oblige à parler d’elles au pluriel et non
au singulier. Il n’existe pas une femme tondue, mais bien
plusieurs, dont les différents parcours sont réduits au
silence.
Les tondeurs
Si notre connaissance des femmes tondues est limitée,
elle l’est encore plus des tondeurs. Tout comme les femmes
tondues, les tondeurs n’inclinent pas à témoigner de leurs
expériences. Jusqu’à maintenant, l’historiographie ne s’est
pas réellement intéressée à eux et elle s’est souvent fiée à
une image plus réconfortante. Les tondeurs seraient ainsi
des résistants « de la dernière heure » ou de jeunes hommes
irresponsables qui profitent de la Libération pour exercer
une autorité indue. Notre savoir se confine donc à deux
éléments, soit le sexe des tondeurs et leurs occupations.
Il paraît d’abord évident que tous les tondeurs sont de
sexe masculin. Toutes les photographies, de même que la
grande majorité des récits et des mémoires de la Libération
de la France l’indiquent. Il existe bien quelques exceptions
à ce fait, relevant pour la plupart de la tradition orale. Nous
n’en avons trouvé que deux : la première apparaît dans une
étude et l’autre, dans des mémoires. Hanna Diamond, spécialiste de l’histoire de la France et des femmes pendant la
Deuxième Guerre mondiale, rapporte cette histoire aux airs
de vengeance. Pendant la libération de Châteauroux, des
femmes de l’Union des femmes françaises tondent certaines
femmes qu’elles décrivent ainsi : « infamous creatures, dishonoured and corrupted by the enemy, [they] represented
a challenge to the sacrifice tolerated by French women32 ».
Cette organisation résistante, affiliée aux mouvements communistes, prend alors l’initiative de tondre des femmes qui
31. Durant la guerre, Coco Chanel a fréquenté le général Schellenberg,
chef des services secrets nazis. À la libération de Paris, elle a pu quitter la France
durant quelques années, pour revenir ensuite poursuivre la carrière qu’on lui
connaît ; Jean Mabire, « Le who’s who des célébrités épurées », La révolution de
1944, La Nouvelle Revue d’Histoire, juillet-août 2004, no13, p. 46.
32. Diamond, op. cit., p. 138.
18
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
ont vécu la guerre d’une manière différente de la leur : « now
it’s their turn to tremble…33 » L’autre cas prend place à la
libération de Tonnay-Charente et Surgères où, à la demande
des hommes, des femmes tondent d’autres femmes afin de
renforcer l’aspect humiliant du processus. À ce moment,
Henri Jacques Gros a 18 ans et il n’a pas participé activement à la guerre. Son affiliation en 1943 au Cercle des Chiens
Charentais, dont le but est de rapprocher des gens qui, pour
« éviter le désœuvrement, ont compris qu’il était bon de se
réunir afin de partager ensemble de saines distinctions34 »,
nous laisse présager de son état d’esprit pendant la guerre.
Un extrait des mémoires de H.-J. Gros sur la libération de
sa région montre la difficulté de tondre une femme pour
celle qui sait qu’elle est la suivante :
Monsieur Plaideau tond mademoiselle G et madame M tond
mademoiselle R. Les cheveux tombent. Monsieur Plaideau
s’arrête bientôt sur un crâne dépourvu de tout poil : il ne
reste plus rien à couper ; seuls quelques points noirs paraissent encore. Madame M met, elle, plus longtemps et bientôt
c’est à son tour s’asseoir sur la chaise ! Des grossièretés sont
échangées parmi les spectateurs. – Hé là-bas, mets le feu
dedans, ça ira plus vite…35
Madame M semble étirer le temps de la tonte de mademoiselle R, comme si elle voulait retarder l’imminence de sa
propre tonte : l’exposition de mademoiselle R aux injures de
sa communauté n’en est que rallongée. L’épuration commise
entre femmes tondues et à tondre n’est que plus difficile à
vivre car, en plus d’être tondues, les femmes portent en elles
la responsabilité d’avoir tenu les ciseaux.
La notion de responsabilité des tontes est presque
absente des récits et des mémoires de la Libération de la
France. Mis à part J. Bounin, personne n’admet en avoir
pris l’initiative. Dans ses mémoires, J. Bounin veille
d’ailleurs à donner la responsabilité des tontes à un « on36 »
33. Ibid.
34. Henri Jacques Gros, Août et septembre 1944 à Tonnay-Charente et
Surgères, Angoulême, H. J. Gros, 1985, p. 122.
35. Ibid., p. 77.
36.Bounin, op. cit., p. 156.
19
Femmes tondues
imprécis plutôt qu’à lui-même. Pour les autres témoins de
notre corpus de sources, il est commun d’affirmer que les
tondeurs sont des coiffeurs37 ou, dans la plupart des cas, des
résistants « de septembre » ou « de la dernière heure38 ». Les
représentants de l’autorité prennent soin de mentionner
qu’ils n’ont jamais vu les tondeurs participer aux activités
de la résistance. Ceux qui se présentent comme étant de
« vrais » résistants se positionnent alors avantageusement
par rapport aux personnes qui s’impliquent dans la résistance durant les derniers mois précédant la Libération,
accordant ainsi de la valeur à la durée de l’engagement. La
description du tondeur effectuée par Jean Huguet illustre
cette démar­cation. Membre du réseau clandestin Front
national, J. Huguet s’implique dans la résistance en 1942
et infiltre des milieux collaborationnistes français pendant
la guerre39. Dans ses mémoires, il fait part de son malaise
face au déroulement de la Libération et aux personnes qui
se présentent comme des « résistants ».
Une commerçante du centre-ville fut tondue dans sa vitrine,
sous les yeux d’un public complaisant et goguenard, par un
jeune bourgeois, fils d’un des principaux notables des
Olonnes, mieux renseigné que moi sur les relations de la
coupable, sans doute parce qu’ils fréquentaient les mêmes
boîtes de nuit40.
Devant cette scène, J. Huguet choisit de se taire et de
ne plus participer à la Libération. Même s’il nous est impossible d’en estimer le nombre, il demeure incontestable que
les effectifs des groupes résistants augmentent à l’approche
de la Libération. Cette hausse s’inscrit dans un mouvement
général où les communautés se rassemblent pour appuyer
les troupes alliées ; les nombreuses barricades de rues en
sont un exemple probant. Ces initiatives sont approuvées
37. Diamond, op. cit., p. 137 ; Edmond Dubois, Vu pendant la Libération de
Paris, Lausanne, Payot, 1944, p. 72.
38. Philippe Buton, La joie douloureuse: La libération de la France, Bruxelles,
Complexe, 2004, p. 121.
39. Jean Huguet, Un témoin de l’Occupation à la Libération et la victoire en
Vendée, 1940-1945, Les Sables-d’Olonne, EPA, 1995, quatrième de couverture.
40. Ibid., p. 143.
20
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
United States Holocaust Memorial Museum
et souhaitées de tous. La veille de la libération de Paris, le
journal l’Humanité invite la population à agir : « Pour en finir
avec l’envahisseur exécré : À chaque Parisien son Boche !
Consolidez les barricades ! Union dans le combat ! Battezvous comme des lions. Armez-vous en désarmant l’ennemi.
Aux armes ! Aux armes ! Aux armes41 ! » Les gens sont
incités à fournir un effort ultime et ils peuvent, entre autres,
se joindre aux groupes résistants. Nous devons donc être
bien prudents dans notre jugement des motivations de ces
résistants « de la dernière heure » parce que, sans doute, bon
nombre d’entre eux répondent à l’urgence du moment, tout
comme d’autres en profitent pour régler des comptes
­personnels. Il est risqué de créer une équivalence entre
l’authenticité et la durée de l’engagement. Il est tout aussi
difficile d’identifier précisément chacun des acteurs de la
Libération parce que leurs parcours se brouillent, se précipitent. Ce que nous connaissons des tondeurs se limite
essentiellement aux photographies, sur lesquelles nous
voyons des hommes relativement jeunes et, souvent, bien
heureux de tenir les ciseaux.
Des tondeurs à Moustiers-Sainte-Marie, 18 août 1944.
41. L’Humanité, 24 août 1944, p. 1.
21
Femmes tondues
La mise en scène
Un événement annoncé et attendu
En tant qu’événement, les tontes nous paraissent spon­
tanées parce qu’elles sont initiées par des communautés
locales dans la foulée de la Libération. Cet aspect n’empêche
pas que les tontes peuvent être annoncées dans les journaux
de l’Occupation, ce qui contribue à nourrir l’attente chez
certains membres de la collectivité, déjà témoins des
­apparences de « collaboration horizontale ». Dans la presse
clandestine française, nous pouvons trouver, dès 1942, des
avertissements écrits à l’attention des femmes qui se
­rapprochent des Allemands. Les relations sexuelles avec
l’occupant sont déjà, et sans équivoque, associées à de la
collaboration et elles sont clairement dénoncées. Un article
de la presse clandestine est, en ce sens, particulièrement
révélateur. Ce journal est publié au mois de janvier et les
auteurs, anonymes, profitent de l’occasion pour prononcer
leurs vœux de la nouvelle année. Ils souhaitent « aux traîtres,
aux vendus, aux prostituées de toutes sortes de payer bientôt le prix de leur forfaiture42 ». Cette énumération révèle
que, dès cette époque, une équivalence est perçue entre
la délation, le commerce et les relations sexuelles avec
­l’occupant, trois actes tenant de la trahison pour les auteurs
du texte. Dans un autre article, cette fois écrit en 1941 et
publié en février 1942, l’auteur prévient franchement les
collaborateurs du sort qui les attend à la fin de la guerre.
Venez un peu ici que l’on vous vide le cœur, que l’on vous
crache notre dégoût, vous qui, faibles ou indignes, souriez
à l’ennemi. Ne croyez pas que votre impunité sera éternelle.
Si la dignité est impuissante, songez du moins au châtiment
à venir. […] Vous serez tondues, femelles, dites Françaises,
qui donnez votre corps à l’Allemand, tondues avec un écriteau dans le dos : vendues à l’ennemi. Tondues, vous aussi,
petites sans honneurs qui minaudez avec les occupants,
tondues et cravachées. Et sur vos fronts, à toutes, au fer
rouge, on imprimera une croix gammée43.
42. « Nos souhaits », La IVe République : Organe d’action socialiste et de libération nationale, janvier 1942.
43. « Vérités rudes », Défense de la France, 15 février 1942, p. 1.
22
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
Cet article est, selon toute probabilité, écrit par Philippe
Viannay, directeur du journal Défense de la France et auteur de
plusieurs articles. Ce journal, qu’il a fondé en mars 1941, est
à l’origine d’un mouvement de résistance44. Dans cet extrait,
la haine que P. Viannay ressent à l’égard de la collaboration
est radicale. On le perçoit autant par le vocabulaire utilisé
que par la manière précise dont l’auteur sait déjà qu’il va se
venger. La notion de trahison est également prégnante.
D’autres mises en garde du même acabit se manifestent un
an plus tard45, ce qui coïncide, comme nous le verrons dans
la prochaine partie, avec le début des tontes. Il ne faudrait
pas présumer que l’extrémisme de P. Viannay soit représentatif de l’opinion de tous les autres Français, mais il est probable que sa position rejoigne un certain mépris à l’égard des
relations entre des Françaises et des Allemands, de même
qu’un désir (ou un espoir) de vengeance.
Pendant l’Occupation, des femmes qui entretiennent
des relations avec des Allemands sont rapidement repérées
par la communauté et elles sont parfois même directement
menacées. Léon Werth, journaliste, romancier et essayiste
français, a écrit Déposition. Journal 1940-194446, récit riche en
observations sur la société française. Cet ouvrage est peu
retouché avant sa publication et il est qualifié par JeanPierre Azéma, historien spécialiste de la France sous
­l’Occupation, de « document décisif, un témoignage irremplaçable47 ». Dans ses écrits, L. Werth raconte que les rapprochements entre des Françaises et des Allemands intègrent
le quotidien et qu’ils bouleversent la communauté.
Deux femmes se promenaient, la semaine dernière, avec
deux officiers allemands, deux Chalonnaises. Deux étudiants
croisent le groupe. « On les reconnaîtra, celles-là », dit l’un
des étudiants. Les officiers s’approchent, les empoignent,
les conduisent à un poste de police. L’un des étudiants a été
assommé de coups, on lui a brisé les pieds, cassé un bras48.
44.Robert Belot (dir.), Les Résistants. L’Histoire de ceux qui refusèrent, Paris,
Larousse, 2003, p. 75.
45. Virgili, op. cit., p. 97.
46. Léon Werth, Déposition. Journal 1940-1944, Paris, Viviane Hamy,
1992.
47. Ibid., p. 14.
48. Ibid., p. 482.
23
Femmes tondues
Cette histoire, rapportée à L. Werth en 1943, témoigne
des avertissements déjà présents dans le quotidien d’une
communauté. Ces mises en garde doivent être suffisamment
nombreuses et communes pour qu’à la Libération, les représailles « ne surprennent pas leurs victimes et répondent à
une attente des tondeurs et du reste de la population49 ».
Un événement, divers endroits
Les années des tontes
Les tontes de 1943 s’inscrivent dans une recrudescence
des gestes commis contre l’ennemi50. Elles sont isolées, privées et se déroulent à l’abri des regards. Bien que ces tontes
aient pu contribuer à nourrir les attentes de certains Français
à la Libération, nous croyons que leur impact est mineur
parce qu’elles sont relativement peu connues. Dans ses
compilations statistiques, F. Virgili constate d’ailleurs qu’un
peu moins de 7 % des tontes se produisent pendant l’Occupation51. Elles sont toutefois beaucoup plus communes à la
Libération : 67 % des tontes sont réalisées pendant ce que
F. Virgili nomme les « journées libératrices », période de
transition allant des premiers combats à l’instauration de la
nouvelle autorité. Cette phase est de courte durée et elle est
suivie d’une baisse significative du nombre de tontes ; 16 %
des tontes sont commises au cours des trois premiers mois
qui suivent la Libération. Les dernières tontes, soit un peu
plus de 9 %, correspondent à la fin de la Deuxième Guerre
mondiale en Europe au printemps de 194552. Dans certains
cas particuliers, des femmes sont tondues en France jusqu’en
1946. Si le sujet de notre étude se concentre sur les femmes
tondues à la Libération, c’est justement en raison de
leur nombre. Ces événements sont les plus susceptibles de
49.
50.
51.
52.
Virgili, op. cit., p. 105.
Ibid.., p. 101.
Ibid., p. 91.
Ibid.
24
Chapitre 1 • Des tontes, des femmes tondues, un événement
­ arquer les témoins et de s’intégrer dans la mémoire colm
lective de la Deuxième Guerre mondiale53.
Les lieux des tontes
Les tontes de la Libération sont à la fois les plus communes, mais aussi les plus visibles parce qu’elles sont réalisées devant une foule. Les lieux choisis pour tondre les
femmes sont, généralement, des endroits habituels de
­rencontre pour la communauté, ce qui peut comprendre la
rue (42 %), la place publique (21 %) ou la mairie (20 %)54.
À Saint-Martin-en-Haut, Georgette Elgey rapporte, par
exemple, qu’une femme est tondue sur la place de l’Église55.
À Paris, des témoins repèrent des femmes tondues sur la
place Foch, au Champ-de-Mars, de même que sur le boulevard Saint-Germain56. Les lieux sont donc choisis en
fonction de leur accessibilité et de leur capacité à rassembler
la communauté. Les femmes et leurs tondeurs sont parfois
même surélevés sur un podium de fortune afin d’améliorer
la visibilité de l’événement.
Chaque communauté française semble avoir besoin de
tondre au moins une femme pendant la Libération. « Quel
est le village qui n’a pas “sa” tondue57 ? », demande justement
l’historienne Christine Bard. Françoise Moret écrit aussi
dans ses mémoires : « Il fallait au village sa victime, dernière
débauche d’une journée de kermesse58. » Le nombre de
femmes tondues à la Libération et la manifestation de cette
pratique dans plusieurs endroits ne nous aide pas à tracer
la « carte géographique » de l’événement. Nous sommes
portés à croire que ces événements sont plus susceptibles
53. Fabrice Virgili, « Les tondues de la Libération en France », dans
François Rouquet et Danièle Voldman (dir.), Identités féminines et violences politiques
(1936-1946), Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1995, p. 62.
54. Virgili, La France « virile », p. 292.
55. Georgette Elgey, La fenêtre ouverte, Paris, Fayard, 1973, p. 208.
56.Respectivement : Anne Jacques, Journal d’une Française, Paris, Seuil,
1946, p. 134 ; Édith Thomas, La Libération de Paris, Paris, Mellotée, 1945, p. 87 ;
Louis Guilloux, Carnets 1921-1944, Paris, Gallimard, 1978, p. 404.
57.Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris,
A. Colin, 2001, p. 151.
58. Moret, op. cit., p. 237 ; mais aussi Chézal, op. cit., p. 117.
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