Une approche clinico-phénoménologique des

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Une approche clinico-phénoménologique des
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ENCEP-617; No. of Pages 6
ARTICLE IN PRESS
L’Encéphale (2013) xxx, xxx—xxx
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOPATHOLOGIE
Une approche clinico-phénoménologique
des dépressions résistantes
A phenomenological approach of treatment-resistant
depressions
A. Ledoux ∗, D. Cioltea , L. Angeletti
Service de psychiatrie, HIA Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 9 0001, 57077 Metz cedex 3, France
Reçu le 3 mai 2012 ; accepté le 7 mars 2013
MOTS CLÉS
Dépression résistante
au traitement ;
Phénoménologie
clinique ;
Dépression
unipolaire ;
Trouble bipolaire ;
Dépression endogène
KEYWORDS
Treatment-resistant
depression;
∗
Résumé Les praticiens hospitaliers sont fréquemment confrontés aux dépressions résistantes
pour lesquelles il existe plusieurs définitions et différents niveaux de résistance, selon que
la rémission est partielle ou absente et selon l’évolution dans les étapes thérapeutiques. Les
termes de résistance « relative » et « absolue » décrivent les degrés plus ou moins grands de certitude concernant l’adéquation d’un essai de traitement spécifique. Ce problème de l’adéquation
nous a amené à préciser la clinique des dépressions résistantes, avec les différentes modalités
de modification du tableau clinique, et à faire un retour sur l’expérience clinique qui met au
jour les phénomènes endogènes de la dépression. Cette première étape permet de légitimer la
recherche d’une stratégie médicamenteuse optimale, ou d’évoquer l’opportunité d’une stimulation cérébrale. Notre perspective clinico-phénoménologique se poursuit dans l’exploration
des fausses résistances ou de ce qui peut apparaître comme tel. Nous abordons notamment
le problème de l’articulation avec les comorbidités anxieuses, les comorbidités médicales, les
addictions, les troubles de la personnalité et l’existence éventuelle d’une diathèse bipolaire.
L’orientation thérapeutique met l’accent sur la stratégie médicamenteuse, et l’aide psychothérapeutique est détaillée en mettant en évidence les modalités d’un retour à l’équilibre avec
l’appui d’une analyse des situations pathogènes tout en explicitant les difficultés d’une alliance
thérapeutique authentique.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Summary
Background. — Hospital practitioners are regularly facing treatment-resistant depression, which
may be defined according to the clinical picture or according to the therapeutic strategy. There
are different levels of resistance and different levels of evidence for this resistance. Indeed,
the notions of relative and absolute resistance describe the adequacy of assigned treatment.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (A. Ledoux).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.03.011
Pour citer cet article : Ledoux A, et al. Une approche clinico-phénoménologique des dépressions résistantes. Encéphale
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A. Ledoux et al.
Clinical
phenomenology;
Unipolar depression;
Bipolar disorder;
Endogenous
depression
It thus seems necessary to specify the psychopathology of treatment-resistant depression and
to highlight the endogeneity phenomenon in order to solve this problem.
Objective. — Our work addresses the concept of endogeneity (previously clarified by Hubertus
Tellenbach) and will consider its implications in the management of treatment-resistant depression. We attempt to demonstrate that the phenomenological approach is an interesting tool in
clinical practice through the highlight of endogenous characteristics.
Method. — The first step consists in specifying the endogenous phenomena: abolition of rhythms,
loss of the forward-looking deployment, overall impression, and reversibility, spatial and temporal characteristics from the phenotype. Our phenomenological approach continues by exploring
the false resistances. Hence, we take into account anxious comorbidity, medical comorbidity,
addictions, personality disorders and the hypothesis of a bipolar diathesis. First of all, it is difficult to show the patient in which way their behaviour results in stagnation. Indeed, it could
strengthen the internal move that leads to an imperious necessity to cope with the surroundings.
The psychotherapeutic help is elaborated by specifically highlighting the pathogenic situations
whilst also taking into account the difficulties of an authentic therapeutic alliance.
Results. — Our approach emphasizes the endogeneity phenomenon in depression, permitting
the search for an optimal therapeutic strategy. It also provides assistance in resolving false
resistance or what is apparent. In cases of endogenous depression, therapeutic orientation
favours pharmacological and instrumental strategies (brain stimulation). If elements of selfunderstanding can be given to the patient, they must show that the rigid way in which the
patient appropriates the daily reports is more stressful than the choice. Therefore, the psychotherapeutic help must take into account the situation and the individual vulnerability so as to
develop a suitable care.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Introduction
Les dépressions résistantes
La dépression résistante peut être associée à des facteurs
biologiques [1] ou situationnels impliquant la subjectivité.
Entre un et deux tiers de troubles dépressifs majeurs ne
répondront pas au premier antidépresseur et 15 à 33 %
« résisteront » aux interventions multiples, y compris aux
thérapeutiques non pharmacologiques [2]. Les patients avec
un trouble bipolaire présentent deux à trois fois plus souvent des phases dépressives que des états maniaques et
le trouble bipolaire I n’est pas détecté dans 35 à 45 % des
patients traités pour dépression [3]. La dépression résistante
est significativement associée à un âge de survenue précoce (< 18 ans) et à des caractéristiques mélancoliques [4].
Les comorbidités multiples réduisent la probabilité d’une
résolution substantielle des symptômes dépressifs interépisodiques, augmentant ainsi le risque de rechute [5].
Une des plus importantes comorbidités qui contribue à une
mauvaise réponse au traitement est représentée par les
troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives.
Cela doit être pris en considération en cas de dépression
résistante au traitement car il y a alors des stratégies
thérapeutiques spécifiques [6] et il faut d’autant plus évoquer l’éventualité d’une diathèse bipolaire [7]. Nombres
d’études récentes ont tendance à suggérer l’existence d’une
diathèse bipolaire dans un sous-groupe de patients déprimés
unipolaires, ce qui comporte d’évidentes implications thérapeutiques [8]. Notre travail se propose de faire un retour
sur la notion d’endogénéité et de reprendre les étapes de
la prise en charge de la dépression résistante à l’aune de
cette notion qui a été notamment clarifiée par Tellenbach
[9].
Outre les trois grands systèmes de classification des résistances au traitement [4], l’étude STAR-D apporte une
déclinaison de taux de réponse en se basant sur certains algorithmes décisionnels qui montre que ce n’est
que lorsqu’on tient compte du taux de rémission cumulatif théorique de quatre étapes thérapeutiques que le taux
de réussite des traitements approche le taux d’échec des
traitements de première intention [10]. Dans les études,
une absence de réponse est habituellement définie par
« l’échec de réduire d’au moins 50 % le score total de
l’échelle de Hamilton (HAM-D) » [11]. La définition la plus
banale en pratique clinique est « l’échec de réponse à
2 essais ou plus d’antidépresseurs adéquats » [12]. Enfin, la
résistance au traitement interroge sur l’adéquation du traitement à la situation clinique, d’autant plus qu’elle peut
concerner différentes stratégies thérapeutiques comme la
psychothérapie et l’électroconvulsivothérapie. Les termes
de résistance « relative » et « absolue » permettent de
rendre compte des degrés plus ou moins grands de certitude
concernant l’adéquation d’un essai de traitement spécifique
[13,14].
L’endogénéité de la dépression
La notion d’endogénéité a été fortement contestée par
différents travaux qui montrent qu’une dichotomie endogène/exogène basée sur les critères classiques n’a pas
sa raison d’être dans la mesure où l’histoire même de
la maladie dépressive, dès lors que l’on s’inscrit dans
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une perspective longitudinale, fait passer la dépression de
l’exogénéité à l’endogénéité. Néanmoins, nous tenterons de
montrer que la perspective phénoménologique, qui renoue
avec l’expérience clinique et permet la mise au jour de
l’endogène, constitue un outil intéressant dans la pratique
clinique.
Un des aspects les plus flagrants de l’endogénéité est
l’altération survenue dans les rythmes qui accordent et
synchronisent l’organisme et l’environnement qu’il soit
sociologique ou écologique. Cela se retrouve non seulement dans l’altération de l’alternance veille—sommeil mais
aussi dans l’accentuation des fluctuations de l’humeur
et du dynamisme au cours de la journée et selon les
périodes de l’année, dans l’hyposomnie avec réveil précoce
s’accompagnant d’une tendance à la rumination morbide, et dans l’interruption du comportement régulier de
l’appétence digestive et sexuelle. On peut parfois rencontrer une alternance avec des phases d’hypersomnie avec
surappétence sexuelle et digestive. La suppression des processus rythmiques se retrouve aussi dans la monotonie d’une
dépression agitée ou dans l’excitation anxieuse qui tourne à
vide durant des mois.
Une autre caractéristique majeure de l’endogénéité
dépressive est la perte du déploiement de l’existence vers
l’avenir, ce ralentissement qui a la particularité d’être,
selon Binswanger, un affranchissement des liens constitutifs
de l’expérience naturelle [15].
Par ailleurs, le repérage des symptômes dépressifs cardinaux se combine dans la pratique avec la saisie d’une
impression globale qui est une sorte d’émanation atmosphérique immédiatement perceptible par le clinicien. C’est
ainsi que l’expérience clinique permet de détecter des
formes atténuées de dépression endogène alors que le repérage de l’intensité symptomatique amènerait à négliger un
état véritablement pathologique. Le sentiment spécifique
qui peut être éprouvé en présence d’un patient déprimé
est de l’ordre du flétrissement, de la perte de fraîcheur,
de l’assèchement, voire du vieillissement. Ce qui peut ainsi
se sentir dans une certaine qualité de l’atmosphère correspond à une modification de la forme globale de l’existence.
Autrement dit, dans tous les aspects du comportement et de
l’expression réside l’ensemble de l’altération, chaque manifestation étant un phénomène constitutif de la dépression.
La réversibilité est une autre caractéristique bien connue
des dépressions endogènes, notamment en cas de récurrence. Elle a la particularité de comporter des conditions
situationnelles d’amélioration et de rechutes plus spécifiques et différenciées que dans les psychosyndromes
organiques. Ces conditions situationnelles sont notamment
liées à des situations interpersonnelles. Il est ainsi fréquent
de voir l’humeur s’améliorer lors de l’admission à l’hôpital,
ne serait-ce que par l’accueil réalisé par les soignants, lors
des activités d’ergothérapie ou lors d’un entretien suffisamment long.
Enfin, on ne peut parler d’endogénéité sans la relier
à l’hérédité en tant que possibilité d’un phénotype spécifique. Le mode existentiel prédépressif correspondant à
ce phénotype se caractérise phénoménologiquement par
un attachement rigide à la réalisation des tâches quotidiennes (temporalisation dans le sens d’un évitement de
tout retard dans les accomplissements) et à un cadre de
vie limité (spatialisation dans le sens d’un enlisement dans
3
une configuration existentielle d’ordre relationnelle, statutaire, géographique ou autre). Cette forme de normalité
pathologique, Bruce Bégout la caractérise par le besoin
de s’ancrer dans un quotidien limité et répétitif, activement recherché pour ses vertus rassurantes. Cela se traduit
par une pure conformité dans le sens d’un attachement
fixe à la sphère de ce qui est familier et proche [16]. La
contrainte de satisfaire les exigences du quotidien n’est pas
vécue ici sur le mode de « la tyrannie d’un surmoi écrasant » mais comme un accord nécessaire et entier avec sa
propre conscience morale. Au fil du temps, les conventions rigides et l’absolutisation des certitudes quotidiennes
sclérosent dans une identité close et fixe. La signification
pathogène des situations dites « déclenchantes » n’apparaît
qu’en considérant les tendances générales de cette dépressivité intrinsèque.
Différenciation entre les fausses résistances
et les vraies résistances
Les rémissions partielles peuvent accentuer la coloration
du tableau clinique par des attributs se rattachant à la
palette névrotique ou amener avec elle une résurgence de
manifestations anxieuses. La perception phénoménologique
de l’endogénéité et la détermination du fonctionnement
psychique prémorbide peut aider à déceler un processus
dépressif voilé derrière des éléments annexes ou dans ce
qui se présente comme troubles réactionnels marqués par
une particulière intensité clinique et une durée en lien avec
les facteurs contextuels de la détresse psychique.
Par ailleurs, il est nécessaire de rechercher systématiquement des antécédents d’épisodes maniaques ou
hypomaniaques pour exclure des troubles du spectre bipolaire [17]. Les autres indices sont notamment la notion
d’antécédents familiaux de troubles bipolaires, la survenue
brutale des épisodes, la plus grande fréquence des épisodes
ou la moindre durée des périodes sans épisodes. La probabilité d’une bipolarité est également plus forte lorsqu’il
existe des caractéristiques atypiques, un ralentissement
psychomoteur, une culpabilité pathologique, des symptômes
psychotiques, une labilité thymique ou un âge plus précoce de début de la pathologie. Le profil symptomatique de
la dépression unipolaire comporte notamment une insomnie initiale, une perte d’appétit, une activité normale ou
accrue, des plaintes somatiques, un âge de début plus tardif,
des épisodes prolongés et une absence d’histoire familiale
de trouble bipolaire [18]. La classification des psychoses
endogènes de Karl Leonhard [19] apporte aussi dans cette
distinction des éléments extrêmement utiles en pratique clinique : les formes unipolaires de dépression apparaissent
d’une manière relativement caractéristique, ce qui fait
que le clinicien les reconnaît rapidement, tandis que les
dépressions bipolaires, avec leur tableau clinique variable et
changeant (au cours de l’épisode et d’un épisode à l’autre),
ne se distinguent pas aisément dès le premier contact. La
mixité se dévoile dans des phénomènes en surimpression tels
que des revendications agressives, une sensibilité exacerbée, des moments d’effusion passionnée ou un attachement
chaleureux aux proches.
Un troisième problème diagnostic se pose devant
la présence d’une organicité sous-jacente. L’incapacité
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d’accomplir les tâches quotidiennes du fait d’une affection
somatique peut d’abord s’accompagner d’une hyperactivité
en guise de lutte désespérée contre l’inefficience liée à des
troubles qui paralysent l’activité. La dépression endogène
comorbide à une affection somatique est ainsi à mettre en
perspective avec la mise en péril du carcan de normes qui
habituellement protègent contre l’expression des facteurs
de vulnérabilité. Les comorbidités médicales les plus fréquentes sont les maladies infectieuses (VIH par exemple)
et les troubles endocriniens comme l’hypothyroïdie ou les
déséquilibres de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
[20]. D’autres comorbidités médicales majeures sont représentées par les maladies cardiovasculaires et le diabète
[21,22].
En ce qui concerne l’intrication entre dépression résistante et addiction, la probabilité d’une dépression avérée
augmente en présence de symptômes dépressifs antérieurs à
l’apparition de consommations excessives ou incontrôlables.
Il faut aussi évoquer une diathèse bipolaire potentielle
devant des conduites addictives associées à une dépression résistante : des antécédents de toxicomanie sont
aujourd’hui considérés comme un indice fort en faveur
d’une bipolarité [23].
Enfin, certaines situations cliniques posent le problème
de la présence de troubles de la personnalité comme
facteurs de résistance au traitement. En effet, certaines
dépressions résistantes peuvent s’appréhender phénoménologiquement comme liées à une structure pathologique
sans solidité ni consistance, dépourvue de l’appui d’une
« stance » de soi, du levier nécessaire à la dimension
d’ouverture au monde. Sans gravité intrinsèque, le monde
vécu est constamment menacé de devenir un pseudo-monde
stéréotypé et dévitalisé, moulé dans le carcan de pratiques
réglées. Le projet thérapeutique ne peut faire l’économie
de la mise en place de la possibilité d’un appui instrumental
constant sur des dispositifs normatifs sans lesquels le patient
ne peut qu’être précipité dans l’abîme de l’angoisse.
L’orientation thérapeutique
Une première stratégie est d’augmenter la posologie si
la réponse observée à la cinquième ou sixième semaine
est insuffisante, tandis qu’un switch pharmacologique trop
précoce devrait être évité [24]. Le switch vers un autre antidépresseur peut être approprié aux patients éprouvant peu
ou pas de soulagement de leurs symptômes ou alors des
effets secondaires intolérables avec l’antidépresseur initial. Pour les patients qui présentent une réponse partielle
aux antidépresseurs de première intention, l’adjonction
de molécules (majoration de l’antidépresseur initial avec
une autre médication) évite la perte de cette réponse, le
wash-out et la titration qui est requise en switchant les
antidépresseurs. Plusieurs molécules majorant l’effet antidépresseur sont disponibles, comme le lithium, les hormones
thyroïdiennes, des anxiolytiques et des neuroleptiques atypiques. La preuve de l’efficacité et les risques de ces
stratégies sont néanmoins discutables [25]. D’autres auteurs
mentionnent que les stratégies thérapeutiques incluent un
large nombre de composés qui ne sont, pour la plupart,
pas pris en compte dans les guidelines [26]. Les données des méta-analyses tendent à suggérer la stratégie
de switch contre celle de la majoration avec du lithium et
un antipsychotique atypique [27—29]. En ce qui concerne
ce switch, l’intérêt d’un changement de classe pharmacologique reste faible [27]. Mais le problème des traitements
antidépresseurs prolongés réside notamment dans le fait
qu’ils peuvent induire un cyclage rapide, un état mixte ou
une résistance aux antidépresseurs chez quelques patients.
Certains auteurs considèrent que la sur-prescription des
antidépresseurs devrait donc être évitée [30], en leur préférant le lithium ou les neuroleptiques atypiques [31]. Par
ailleurs, beaucoup de cas de dépression résistante avec des
caractéristiques psychotiques ou atypiques requièrent souvent des thérapies plus spécifiques [32,33] ; par exemple,
traiter une dépression atypique avec des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine au lieu des inhibiteurs
de la monoamine oxydase ou des tricycliques, ce qui peut
aussi mener à une vraie résistance compte-tenu du spectre
bipolaire qui englobe cette forme clinique [34]. Enfin,
l’électroconvulsivothérapie, lorsqu’elle est requise, peut
être évaluée par le nombre total de séances, l’utilisation
du placement bilatéral des électrodes et la mesure de
la crise électrique par enregistrement du tracé électroencéphalographique : plus le tracé se rapprocherait
architecturalement d’une épilepsie vraie, meilleure serait
l’efficacité [35].
Abord psychothérapeutique
En cas de dépression endogène, il est très délicat de faire
entrevoir au patient la stagnation que sa façon d’être
implique car cela peut renforcer le mouvement interne
qui le pousse à répondre incessamment aux sollicitations
environnantes. Si des éléments d’une compréhension de
soi peuvent parfois lui être apportés, il faut alors préciser
que ce mode rigide de réalisation de soi ne procède pas
d’un choix mais d’une contrainte, celle de ne pas pouvoir
s’écarter de ce par quoi et à quoi on est attaché. L’aide
psychothérapeutique peut par exemple consister à se pencher sur ce qui a bouleversé l’ordre des rapports familiaux et
à co-construire avec le patient l’installation dans une nouvelle configuration de la famille. Ailleurs, elle peut consister
à accepter des modifications profondes d’ordre biologique
qu’entraîne l’accouchement et à se confronter à l’angoisse
concernant les soins à donner au nouveau-né. S’il y a des
enfants en bas-âge qui peuvent se réveiller la nuit, cela peut
entraver le rythme veille—sommeil et entretenir le processus dépressif alors même que le(la) patient(e) estime ne
pouvoir se soustraire à cette tâche de veiller sur ses enfants.
Les permissions confrontent à la douloureuse épreuve de
se sentir sollicité par l’entourage et de se confronter aux
autoexigences impossibles à satisfaire. Elles pourront être
accordées en impliquant les proches, après évaluation de la
capacité de tolérance aux charges et de la capacité d’action
ainsi qu’en enjoignant le patient à limiter son activité quotidienne. La prise en charge doit donc inclure la perspective
situationnelle en instaurant des mesures adéquates propres
à chaque cas, en tenant compte de la vulnérabilité qui se
manifeste dans et par l’histoire d’une vie.
L’efficacité de la psychothérapie dépend du nombre de
séances, du savoir-faire du praticien, de l’adhésion du
médecin à une forme particulière de thérapie, et/ou de
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l’interaction de la dyade médecin-patient [36]. La psychoéducation se concentrant sur la reconnaissance des
prodromes de rechute est un appoint efficace à la gestion du
traitement. Les psychothérapies structurées sont corrélées
à un bénéfice thérapeutique [37]. Elles comportent néanmoins ici des difficultés majeures, notamment la propension
du patient à être en symbiose avec autrui dans une connivence affective et sa mise à l’abri derrière les barrières que
sont les conventions.
Conclusion
Notre approche réintroduit la notion d’endogénéité dans
la dépression, permettant ainsi une légitimation de la
recherche d’une stratégie médicamenteuse optimale. Elle
constitue également une aide dans la résolution du problème
des fausses résistances ou de ce qui peut apparaître comme
tel. Enfin, l’orientation thérapeutique, si elle met l’accent
sur la stratégie médicamenteuse, prend ici en considération la situation en tant qu’arrière-plan à partir duquel
peut se développer une constellation de paramètres qui
met en mouvement le processus pathologique. Le projet
thérapeutique se confronte souvent aux difficultés d’une
alliance thérapeutique authentique chez des personnes qui
ne peuvent souvent trouver leur équilibre qu’en s’attachant
à un monde fermé et figé.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
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Pour citer cet article : Ledoux A, et al. Une approche clinico-phénoménologique des dépressions résistantes. Encéphale
(2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.03.011

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