Le chat

Transcription

Le chat
Le chat
Le
Le
Le
Le
chat ouvrit les yeux,
soleil y entra.
chat ferma les yeux,
soleil y resta,
Voilà pourquoi, le soir,
Quand le chat se réveille,
J'aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.
Maurice Carême (1899-1978)
35 mots
Devinette
« Je suis brin de bois noirci
Et travaille jour et nuit.
Je soulève- c'est inouïCent fois mon poids, et sans cric.
Du grenier jusqu'au fournil,
J'engrange des grains de riz.
Ne touchez pas à mon nid
Vous feriez venir la pluie. »
C'est ce qu'un soir m'avait dit,
Quand nous étions entre amis,
La fourmi.
Michel Beau
47 mots
Bonté
Il faut plus d’une pomme
Pour remplir un panier.
Il faut plus d’un panier
Pour que chante un verger.
Mais il ne faut qu’un homme
Pour qu’un peu de bonté
Luise comme une pomme
Que l’on va partager.
Maurice Carême (1899-1978)
38 mots
Portrait dégoûtant
Il avait mauvaise mine
Une langue de vipère
Un nez de fouine
Des oreilles de cocker
Des dents de loup
Des yeux de mouche
Mais surtout
Une bouche d'égout.
C'est pourquoi
Il ne se sentait pas bien du tout.
Antoine Bial
38 mots
Un dragon chez soi
Avoir un dragon chez soi
Ce n’est pas si mal que ça,
Surtout quand il fait très froid.
Quand on lui tire la queue
Ca le rend tellement furieux
Que sa gueule crache du feu.
Il réchauffe l’appartement,
Il sèche les vêtements,
Les parents sont tout contents.
Corinne Albaut
47 mots
Chanson d’automne
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
45 mots
Verlaine, Poèmes saturniens, 1886
Pour ma mère
Il y a plus de fleurs
Pour ma mère, en mon cœur,
Que dans tous les vergers ;
Plus de merles rieurs
Pour ma mère, en mon cœur,
Que dans le monde entier ;
Et bien plus de baisers
Pour ma mère, en mon cœur,
Qu’on en pourrait donner.
Maurice Carême (1899-1978)
49 mots
Homonymes
Il y a le vert du cerfeuil
Et il y a le ver de terre
Il y a l'endroit et l'envers
L'amoureux qui écrit en vers
Le verre d'eau plein de lumière,
La fine pantoufle de vair
Et il y a moi, tête en l'air,
Qui dit toujours tout de travers.
Maurice Carême (1899-1978)
51 mots
Poète belge d’expression française.
Il est issu d’une famille modeste. Son père est peintre en bâtiment, sa mère
tient une petite épicerie et son grand-père est marchand forain. Il passe une
enfance campagnarde si heureuse qu’elle sera une des sources d’inspiration de
son œuvre.
Elève brillant, il obtient, la même année, une bourse d’études et entre à l’école
normale de Tirlemont. Il devient instituteur .
Chanson des Escargots qui
vont à l'enterrement
À l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés.
Jacques Prévert
53 mots
Le Brouillard
Le brouillard a tout mis
Dans son sac en coton ;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison.
Plus de fleurs au jardin,
Plus d’arbres dans l’allée ;
La serre du voisin
Semble s’être envolée.
Et je ne sais vraiment
Où peut s’être posé
Le moineau que j’entends
Si tristement crier.
Maurice Carême
53 mots
Bonne année !
Bonne année à toutes les choses :
Au monde ! À la mer ! Aux forêts !
Bonne année à toutes les roses
Que l'hiver prépare en secret.
Bonne année à tous ceux qui m'aiment
Et qui m'entendent ici-bas...
Et bonne année aussi, quand même,
A tous ceux qui ne m'aiment pas !
Rosemonde Gérard
53 mots
Je parle
Je parle miel avec les abeilles.
Je parle sève avec les arbres.
Je parle pollen avec les fleurs.
Je parle terre avec les insectes.
Je parle source avec les poissons.
Je me tais quand le jour se tait.
Au vent, je souffle des histoires.
Sur la nuit, j’épingle mes rêves
Pour qu’ils se confondent aux étoiles.
Carl Norac
56 mots
Le bel automne est revenu
À pas menus, menus,
Le bel automne est revenu.
Dans le brouillard, sans qu’on s’en doute,
Il est venu par la grand’ route
Habillé d’or et de carmin.
Et tout le long de son chemin,
Le vent bondit, les pommes roulent,
Il pleut des noix, les feuilles croulent.
Ne l’avez-vous pas reconnu ?
Le bel automne est revenu.
Raymond Richard
58 mots
La catastrophe
Quel malheur! Ça me désole :
On vient de fermer l'école !
On a tout cadenassé !
Que je suis bouleversé !
Au soleil ou sous la pluie,
Mon Dieu, que cela m'ennuie !
J'ai beau rire et m'amuser,
J'en ai le cœur tout brisé.
Quand finiront les vacances,
Si j'ai survécu par chance,
Épuisé de tant souffrir,
C'est moi qui viendrai rouvrir.
Istvan Csukas (poète russe)
63 mots
L'invitation au voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
60 mots
Ponctuation
Un point d'interrogation
Comment ? Une question ?
Et un point d'exclamation
Oh ! Quelle émotion !
Sur mon écritoire,
J'invente une histoire,
J'aligne les mots
Avec mon stylo.
Puis trois points de suspension,
Hé hé hésitation ...
Je rajoute une virgule
Et regarde la pendule.
Quand j'ai tout écrit,
Alors je relis.
L'histoire est jolie,
Un point c'est fini.
Daniel Coulon
60 mots
Automne
Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillard
d'automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux
Et s'en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d'amour et d'infidélité
Qui parle d'une bague et d'un cœur que l'on brise
Oh ! l'automne l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes
grises
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Poète français. Guillaume Apollinaris de Kostrowitzki est né à Rome.
Il est le fils d'une Polonaise de vingt-deux ans, et d'un inconnu.
Il incarne l'esprit nouveau du début du siècle. Il succombe en 1918, frappé par
l’épidémie de grippe espagnole qui sévit en Europe.
61 mots
La poule et le mur
Une poule sur un mur
Cherchait des bouts de pain dur.
Sur le mur, pas de pain dur
Mais un trou plein de fissures,
Et dans le trou, des cailloux.
Que la poule, mise en goût,
Gloutonnement picora,
Deux par deux, puis trois par trois.
Que crois-tu qu'il arriva
À la poule sur le mur ?
Elle pondit un œuf dur.
Pierre Coran
61 mots
Trois escargots
J'ai rencontré trois escargots
Qui s'en allaient cartable au dos
Et dans le pré trois limaçons
Qui disaient par cœur leur leçon.
Puis dans un champ, quatre lézards
Qui écrivaient un long devoir.
Où peut se trouver leur école ?
Au milieu des avoines folles ?
Et leur maître est-il ce corbeau
Que je vois dessiner là-haut
De belles lettres au tableau ?
Maurice Carême (1899-1978)
63 mots
La tranche de pain
Un enfant seul,
Tout seul avec en main
Une belle tranche de pain,
Un enfant seul
Avec un chien
Qui le regarde comme un dieu
Qui tiendrait dans sa main
La clé du paradis des chiens.
Un enfant seul
Qui mord dans sa tranche de pain,
Et que le monde entier
Observe pour le voir donner
Avec simplicité,
Alors qu'il a très faim,
La moitié de son pain
Bien beurré à son chien.
Maurice Carême (1899-1978)
73 mots
Conseils donnés par une
sorcière
Retenez-vous de rire
Dans le petit matin.
N'écoutez pas les arbres
Qui gardent les chemins.
Ne dites votre nom
À la terre endormie
Qu'après minuit sonné.
A la neige à la pluie
Ne tendez pas la main.
N'ouvrez votre fenêtre
Qu'aux petites planètes
Que vous connaissez bien.
Confidence pour confidence
Vous qui venez me consulter
Méfiance, méfiance
On ne sait pas ce qui peut arriver.
65 mots
Jean Tardieu
Comme il est bon d'aimer
Il suffit d'un mot
Pour prendre le monde
Au piège de nos rêves
Il suffit d'un geste
Pour relever la branche
Pour apaiser le vent
Il suffit d'un sourire
Pour endormir la nuit
Délivrer nos visages
De leur masque d'ombre
Mais cent milliards de poèmes
Ne suffirait pas
Pour dire
Comme il est bon d'aimer
Jean-Pierre Siméon
55 mots
Voici venu le froid
Voici venu le froid radieux de septembre :
Le vent voudrait entrer et jouer dans les
chambres;
Mais la maison a l'air sévère ce matin,
Et le laisse dehors qui sanglote au jardin.
Les feuilles dans le vent courent comme des
folles;
Elles voudraient aller où les oiseaux
s'envolent;
Mais le vent les reprend et barre leur
chemin :
Elles iront mourir sur les étangs demain.
Anna de Noailles
66 mots
Les larmes du crocodile
Si vous passez au bord du Nil
Où le délicat crocodile
Croque en pleurant la tendre Odile,
Emportez un mouchoir de fil.
Essuyez les pleurs du reptile
Perlant aux pointes de ses cils,
Et consolez le crocodile :
C'est un animal très civil.
Sur les bords du Nil en exil,
Pourquoi ce saurien pleure-t-il ?
C'est qu'il a les larmes faciles
Le crocodile qui croque Odile.
Jacques Charpentreau
66 mots
La blanche école
La blanche école où je vivrai
N’aura pas de roses rouges
Mais seulement devant le seuil
Un bouquet d’enfants qui bougent
On entendra sous les fenêtres
Le chant du coq et du roulier ;
Un oiseau naîtra de la plume
Tremblante au bord de l’encrier
Tout sera joie ! Les têtes blondes
S’allumeront dans le soleil,
Et les enfants feront des rondes
Pour tenter les gamins du ciel
René-Guy Cadou
68 mots
La grêle
Les légers grêlons de la grêle
Bondissent sur le bord des toits ;
Leur chute claire s'amoncelle,
Au pied des murs, en tas étroits ;
Parfois, se heurtant aux parois,
Un grain rejaillit et sautelle
Sur les pavés mouillés et froids,
Comme une blanche sauterelle.
Le sol un instant étincelle,
Argentés de ce fin gravois ;
Les légers grêlons de la grêle
Bondissent sur le bord des toits.
Auguste Angellier
68 mots
Le petit chat blanc
Un petit chat blanc
Qui faisait semblant
D'avoir mal aux dents
Disait en miaulant :
"Souris mon amie
J'ai bien du souci
Le docteur m'a dit :
Tu seras guéri
Si entre tes dents
Tu mets un moment
Délicatement
La queue d'une souris."
Très obligeamment
Souris bon enfant
S'approcha du chat
Qui se la mangea.
Moralité :
Les bons sentiments
Ont l'inconvénient
D'amener souvent
De graves ennuis
Aux petits enfants
Comme-z-aux souris.
Claude Roy
71 mots
Pour mon papa
J'écris le mot agneau
Et tout devient frisé :
La feuille du bouleau,
La lumière des prés.
J'écris le mot étang
Et mes lèvres se mouillent ;
J'entends une grenouille
Rire au milieu des champs.
J'écris le mot forêt
Et le vent devient branche.
Un écureuil se penche
Et me parle en secret.
Mais si j'écris papa,
Tout me devient caresse,
Et le monde me berce
En chantant dans ses bras.
Maurice Carême
71 mots
Le Pélican
Le Capitaine Jonathan,
Étant âgé de dix-huit ans
Capture un jour un pélican
Dans une île d'Extrême-orient,
Le pélican de Jonathan
Au matin, pond un oeuf tout blanc
Et il en sort un pélican
Lui ressemblant étonnamment.
Et ce deuxième pélican
Pond, à son tour, un oeuf tout blanc
D'où sort, inévitablement
Un autre, qui en fait autant.
Cela peut durer pendant très longtemps
Si l'on ne fait pas d'omelette avant.
71 mots
Robert Desnos
L'heure du crime
Minuit. Voici l'heure du crime.
Sortant d'une chambre voisine,
Un homme surgit dans le noir.
Il ôte ses souliers
S'approche de l'armoire
Sur la pointe des pieds
Et saisit un couteau
Dont l'acier luit, bien aiguisé.
Puis masquant ses yeux de fouine
Avec un pan de son manteau,
Il pénètre dans la cuisine
Et, d'un seul coup, comme un bourreau
Avant que ne crie la victime,
Ouvre le cœur d'un artichaut.
Maurice Carême (1899-1978)
71 mots
Au petit bonheur
Rien qu'un petit bonheur, Suzette,
Un petit bonheur qui se tait.
Le bleu du ciel est de la fête;
Rien qu'un petit bonheur secret.
Il monte ! C'est une alouette
Et puis voilà qu'il disparaît;
Le bleu du ciel est de la fête.
Il chante, il monte, il disparaît.
Mais si tu l'écoutes, Suzette,
Si dans tes paumes tu le prends
Comme un oiseau tombé des crêtes,
Petit bonheur deviendra grand.
Géo Norge
71 mots
Semonce à Mistigri
Mon Mistigri, mon infidèle,
Tu dois venir quand je t'appelle,
Au lieu de courir la souris
Tout le jour et encor la nuit.
Je n'aime pas cette manière
De te sauver dans les jardins
Quand je t'ai préparé du pain,
Et de la sauce et du gruyère...
Tu en connais, toi, des maîtresses
Aussi patientes que je suis,
Et qui vous font mille caresses
Après qu'on s'est si mal conduit ?
Jean Desmeuze
71 mots
Et un sourire
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.
Paul Eluard
59 mots
Les papillons
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
- Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Gérard de Nerval
75 mots
Le coyote tagueur
Un coyote rageur
Sur un mur blanc taguait
Griffonnant sa rancœur
Contre un loup trop aisé
« C’est bien que je salisse,
Grommelait ce jaloux,
La trop belle bâtisse
De ce trop riche loup ! »
Regagnant sa masure,
Il se trouva surpris
D’y trouver la peinture
D’un plus pauvre que lui.
Moralité :
Si tu veux qu’on soit correct
Avec ce qui t’appartient
Il faudra que tu respectes
De tous les autres les biens.
Yvon Danet
74 mots
Les roses de Saadi
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures
closes
Que les nœuds trop serrés n'ont pu les
contenir.
Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes
allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme
enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout
embaumée...
Respires- en sur moi l'odorant souvenir.
Marceline Desbordes-Valmore
76 mots
L'écolière
Bon Dieu ! que de choses à faire !
Enlève tes souliers crottés,
Pends donc ton écharpe au vestiaire,
Lave tes mains pour le goûter
Revois tes règles de grammaire
Ton problème, est-il résolu ?
Et la carte de l'Angleterre,
Dis, quand la dessineras-tu ?
Aurai-je le temps de bercer
Un tout petit peu ma poupée,
De rêver, assise par terre,
Devant mes châteaux de nuées ?
Bon Dieu ! que de choses à faire !
Maurice Carême (1899-1978)
77 mots
C’est pour maman
J’ai cueilli trois fleurs dans les champs,
Mais la plus jolie que j’aime tant,
La plus jolie, c’est pour maman.
J’ai trouvé trois beaux cailloux blancs,
Mais le plus joli que j’aime tant,
Le plus joli, c’est pour maman.
Et j’ai aussi trois beaux rubans,
Mais le plus joli que j’aime tant,
Le plus joli, c’est pour maman.
Je n’ai qu’un petit cœur d’enfant,
Mais mon p’tit cœur qui l’aime tant,
Mon petit cœur, c’est pour maman.
C. Duparc
77 mots
La biche brame au clair de
lune
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux :
Son petit faon délicieux
À disparu dans la nuit brune.
Pour raconter son infortune
À la forêt de ses aïeux,
La biche brame au clair de lune
Et pleure à se fondre les yeux.
Mais aucune réponse, aucune,
À ses longs appels anxieux !
Et, le cou tendu vers les cieux,
Folle d'amour et de rancune,
La biche brame au clair de lune.
Maurice Rollinat
78 mots
Grosgnongnon le cochon
Grosgnongnon le cochon
Rouspète en toute saison
Pour un oui, pour un non
Au printemps quand il fait doux
Il dit qu'il se sent tout mou
En été, quand il fait chaud
Et qu'il se met en maillot
Il se trouve un peu trop gros
Lorsque s'approche l'automne,
Grosgnongnon baille et frissonne.
Et, quand arrive l'hiver
Grosgnongnon est en colère :
Il n'aime pas son bonnet
Qui lui tombe sur le nez!
C'est ainsi toute l'année
Ce qu'il aime, c'est rouspéter.
Claude Clément
81 mots
La neige tombe
Toute blanche dans la nuit brune,
La neige tombe en voletant,
Ô pâquerettes ! Une à une,
Toutes blanches dans la nuit brune.
Qui donc là-haut plume la lune ?
Ô frais duvet ! Flocons flottants !
Toute blanche dans la nuit brune,
La neige tombe en voletant.
La neige tombe monotone
Monotonement dans les cieux,
Dans le silence qui chantonne
La neige tombe monotone
Et file, tisse, ourle et festonne,
Un suaire silencieux.
La neige tombe monotone
Monotonement dans les cieux.
Jean Richepin
82 mots
Ce matin
Ce matin, j'ai mangé de la colère
À la petite cuillère.
J'ai mis plein de mauvaise humeur
Sur ma tartine de beurre.
Toute la journée,
Je l'ai passée à grogner,
À donner des coups de pieds,
Et à dire "C'est bien fait !".
Mais maintenant, ça suffit,
J'ai envie que ce soit fini.
Et avant d'aller me coucher,
Je voudrais vous apporter
Une salade de baisers
Bien frais, bien doux, bien sucrés.
C'est très facile à préparer.
Qui veut la goûter ?
82 mots
Monique Müller
La pendule
Je suis la pendule, tic !
Je suis la pendule, tac !
On dirait que je mastique
Du mastic et des moustiques
Quand je sonne et quand je craque,
Je suis la pendule, tic !
Je suis la pendule, tac !
J'avance ou bien je recule,
Tic, tac, je suis la pendule,
Je brille quand on m'astique
Je ne suis pas fantastique,
Mais je sais l'arithmétique.
J'ai plus d'un tour dans mon sac,
Je suis la pendule, tic !
Je suis la pendule, tac !
Pierre Gamarra
85 mots
Les mots qui font vivre
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et
certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d'amis.
Paul Eluard
72 mots
Tu dis
Tu dis sable
Et déjà
La mer est à tes pieds
Tu dis forêt
Et déjà
Les arbres te tendent leurs bras
Tu dis colline
Et déjà
Le sentier court avec toi vers le sommet
Tu dis nuage
Et déjà
Un cumulus t’offre la promesse du voyage
Tu dis poème
Et déjà
Les mots volent et dansent comme des étincelles
dans ta cheminée
Joseph-Paul Schneider
63 mots
Chanson d’automne
Déjà plus d’une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis ;
Soir et matin, la bise est fraîche
Hélas ! les beaux jours sont finis !
On voit s’ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor :
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d’or.
La pluie au bassin fait des bulles ;
Les hirondelles sur le toit
Tiennent des conciliabules :
Voici l’hiver, voici le froid !
Théophile Gautier (1811 – 1872)
72 mots
Le cancre
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le cœur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir de malheur
Il dessine le visage du bonheur.
Jacques Prévert
93 mots
Sables mouvants
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le
vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.
Jacques Prévert
67 mots
Pour toi mon amour
Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
Mon amour
Et je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
Mon amour
Jacques Prévert
72 mots
Les enfants qui s'aiment
Les enfants qui s'aiment s'embrassent debout
Contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s'aiment
Ne sont là pour personne
Et c'est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage, leur mépris, leurs rires et leur envie
Les enfants qui s'aiment ne sont là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour.
Jacques Prévert
86 mots
À mes amis
Rions, chantons, ô mes amis,
Occupons-nous à ne rien faire,
Laissons murmurer le vulgaire,
Le plaisir est toujours permis.
Que notre existence légère
S'évanouisse dans les jeux.
Vivons pour nous, soyons heureux,
N'importe de quelle manière.
Un jour il faudra nous courber
Sous la main du temps qui nous presse ;
Mais jouissons dans la jeunesse,
Et dérobons à la vieillesse
Tout ce qu'on peut lui dérober.
Evariste De Parny (1753-1814)
67 mots
Les sentiments en images
La colère a des lèvres rouge sang
La mélancolie erre sur la grève
La joie fait tournoyer ses longues jupes
La jalousie se griffe le visage
Le désespoir s'effondre sur son lit
Le bonheur gravit l'échelle du ciel
La tristesse enfile une robe grise
L'espoir s'élance en ouvrant grand ses bras
La peur grelotte dans son manteau pâle
Et moi je savoure l'instant vibrant...
Evelyne Wilwerth
56 mots
Le chat
Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde,
C'est là son charme et son secret.
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu?
Charles Baudelaire
88 mots
Les petits bruits nocturnes
Une goutte sur l'évier,
Un meuble qui
Craque,
Une montre où bat
Le pouls infime des secondes,
Des bœufs qui remâchent leurs souffles,
Une goutte sur l'évier,
Un moustique insaisissable
Jouant d'un très mince violon,
Un rien de vent qui retrousse du lierre,
Des pépiements feutrés qui dénoncent un nid
Entre solive et tuile,
Un grillon limant la clef des songes,
Une goutte sur l'évier,
Une reinette, ti, tâ
Modulant un télégramme aux anges,
Des souris à fleur de trou
Grignotant des miettes de silence,
Une goutte sur l'évier,
Dix gouttes dans le pot,
Un baiser.
79 mots
Hervé Bazin
Soleil
Ô Soleil ! Que fais-tu là-haut,
L’air fatigué ?
Tu rougis !
Est-ce colère ou timidité ?
Allons tu te couches déjà,
Sans même attendre que la lune
T’apporte des étoiles avec lesquelles avant de dormir
Tu joueras ?
Non ! Ne boude pas la fête !
Pourquoi ces coups de soleil ?
Est-ce fantaisie ou coup de tête ?
T’as chaud !
Ton crâne chauve n’est pas beau, gros insecte va !
Couvre-toi la tête, avec un joli bonnet de nuit,
Veux-tu ?
Mohamed Azizlahababi
73 mots
Liberté
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom.
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom.
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom.
[…]
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer :
LIBERTE
75 mots
Paul Eluard
Le vieux et son chien
S’il était le plus laid
De tous les chiens du monde
Je l’aimerais encore
À cause de ses yeux.
Si j’étais le plus vieux
De tous les vieux du monde
L’amour luirait encore
Dans le fond de ses yeux.
Et nous serions tous deux
Lui si laid , moi si vieux
Un peu moins seuls au monde
À cause de ses yeux.
Pierre Menanteau
62 mots
Ces fous
Il va vous bousculer
Et monter dans le train
Qui est déjà parti.
Ou presque.
Sans s’excuser.
Il va vous empêcher
De descendre du train
Qui est déjà en route.
Ou presque.
Sans s’excuser.
Il va vous demander
De lui donner du feu,
Lira votre journal
Par dessus votre épaule.
Sans s’excuser.
Il va vous critiquer
De ne pas vous lever,
Lui céder votre place
Et ranger son bagage.
Sans s’excuser.
Ces fous !
Claude Blanc
73 mots
Sagesse
Le ciel est, par - dessus le toit,
Si bleu, si calme
Un arbre, par - dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, Mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur là
Vient de la ville.
- Qu'as- tu fait, ô toi que voilà,
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as- tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Paul Verlaine
81 mots
La chevauchée
Certains, quand ils sont en colère,
Crient, trépignent, cassent des verres...
Moi, je n'ai pas tous ces défauts :
Je monte sur mes grands chevaux.
Et je galope, et je voltige,
Bride abattue, jusqu'au vertige
Des étincelles sous leurs fers,
Mes chevaux vont un train d'enfer.
Je parcours ainsi l'univers,
Monts, forêts, campagnes, déserts ...
Quand mes chevaux sont fatigués,
Je rentre à l'écurie « calmé ».
Jacques Charpentreau
66 mots
L'air en conserve
Dans une boîte, je rapporte
Un peu de l'air de mes vacances
Que j'ai enfermé par prudence.
Je l'ouvre ! Fermez bien la porte
Respirez à fond ! Quelle force !
La campagne en ma boîte enclose
Nous redonne l'odeur des roses,
Le parfum puissant des écorces,
Les arômes de la forêt...
Mais couvrez- vous bien, je vous prie,
Car la boîte est presque finie :
C'est que le fond de l'air est frais.
Jacques Charpentreau
74 mots
Dimanche
Charlotte
Fait de la compote.
Bertrand
Suce des harengs.
Cunégonde
Se teint en blonde.
Epaminondas
Cire ses godasses.
Thérèse
Souffle sur la braise.
Léon
Peint des potirons.
Brigitte
S'agite, s'agite.
Adhémar
Dit qu'il en a marre.
La pendule
Fabrique des virgules.
Et moi dans tout cha?
Et moi dans tout cha?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z'ai un chat.
61 mots
René de Obaldia
Je hais les haies
Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de mûres
Qu’elles soient de houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en dur
Qu’ils soient en mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nous.
Raymond Devos
70 mots
Si...
Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s'appelait Gisèle,
Si l'on pleurait lorsque l'on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l'on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l'agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient zoulou,
Si la mer Noire était la Manche
Et la mer Rouge la mer Blanche,
Si le monde était à l'envers,
Je marcherais les pieds en l'air,
Le jour je garderais la chambre,
J'irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois...
Quel ennui ce monde à l'endroit !
Jean-Luc Moreau
94 mots
Iles
Îles
Îles où l’on ne prendra jamais terre
Îles où l’on ne descendra jamais
Îles couvertes de végétation
Îles tapies comme des jaguars
Îles muettes
Îles immobiles
Îles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord
Car je voudrais bien aller jusqu’à vous.
Blaise Cendrars
45 mots
Déménager
Quitter un appartement. Vider les lieux.
Décamper. Faire place nette.
Débarrasser le plancher.
Inventorier ranger classer trier
Éliminer jeter fourguer
Casser
Brûler
Descendre desceller déclouer décoller dévisser
Décrocher
Débrancher détacher couper tirer démonter
Plier couper
Rouler
Empaqueter emballer sangler nouer empiler
Rassembler entasser ficeler envelopper protéger
Recouvrir entourer serrer
Enlever porter soulever
Balayer
Fermer
Partir.
Georges Perec , Espèces d’espaces
55 mots
Les beaux métiers
Certains veulent être marins,
D'autres ramasseurs de bruyère,
Explorateurs de souterrains,
Perceurs de trous dans le gruyère,
Cosmonautes, ou, pourquoi pas,
Goûteurs de tartes à la crème,
De chocolat et de babas :
Les beaux métiers sont ceux qu'on aime.
L'un veut nourrir un petit faon,
Apprendre aux singes l'orthographe,
Un autre bercer l'éléphant...
Moi, je veux peigner la girafe !
Jacques Charpentreau
61 mots
Le lutin horloger
Il court, il court, sa montre en main,
Par les rues et par les chemins !
Mais qu'est- il en train de chercher
De l'hôtel de ville au clocher ?
Il retourne les sabliers,
Il inspecte les balanciers.
Quartz ou ressort, vite il déloge
L'oiseau caché dans votre horloge.
Tic- tac, il avance, il recule
Les aiguilles de la pendule.
Il court, de demeure en demeure,
Chercher midi à quatorze heures.
Jacques Charpentreau
71 mots
Ulysse
- Ulysse, Ulysse, arrête- toi,
Écoute la voix des sirènes
Plonge, va trouver notre reine,
Dans son palais, deviens le roi.
Mais Ulysse préfère au toit
Des vagues celui des nuages,
Dans la direction d'Ithaque
Son regard reste fixé droit.
Et les filles aux longs cheveux
Ont beau nager dans son sillage,
Il demeure sourd, il ne veut
Que la chanson, que le visage
Conservé au fond de ses yeux,
De Pénélope toujours sage.
Louis Guillaume
70 mots
Terre- Lune
Terre Lune, Terre Lune
Ce soir j'ai mis mes ailes d'or
Dans le ciel comme un météore
Je pars.
Terre Lune, Terre Lune
J'ai quitté ma vieille atmosphère
J'ai laissé les morts et les guerres
Au revoir.
Dans le ciel piqué de planètes
Tout seul sur une lune vide
Je rirai du monde stupide
Et des hommes qui font les bêtes.
Terre Lune, Terre Lune
Adieu ma ville, adieu mon cœur
Globe tout perclus de douleurs
Bonsoir.
Boris Vian
77 mots
C'est la Toussaint
C'est la Toussaint
Le ciel est gris comme demain
Et lourd comme les chrysanthèmes.
Le vent
Rougit le nez des gens
Glace leurs pieds
Glace leurs mains:
C'est la Toussaint.
Des feuilles mortes
Que la brise emporte
Bouchent les portes.
Dans les maisons
Le feu chante
À son diapason
Sa chanson.
Mais le froid
Entre quand même
Par les fentes des croisées :
Il faut geler.
Alors
Dedans comme dehors
le froid mord.
Et les gens moroses
Se plaignent des choses
De l'hiver qui vient:
C'est la Toussaint...
Clod'Aria
88 mots
J’ai vu le menuisier
J'ai vu le menuisier
Tirer parti du bois.
J'ai vu le menuisier
Comparer plusieurs planches.
J'ai vu le menuisier
Caresser la plus belle.
J'ai vu le menuisier
Approcher le rabot.
J'ai vu le menuisier
Donner la juste forme.
Tu chantais, menuisier,
En assemblant l'armoire.
Je garde ton image
Avec l'odeur du bois.
Moi, j'assemble des mots
Et c'est un peu pareil.
46 mots
Eugène Guillevic
Liberté
Prenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin!
Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l'instant,
La jeunesse est brève !
Il est des chemins
Inconnus des hommes,
Il est des chemins
Si aériens !
Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L'horizon briller.
Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant !
Le monde appartient
A ceux qui n'ont rien.
Maurice Carême
58 mots
L’automne
On voit tout le temps, en automne,
Quelque chose qui vous étonne ,
C'est une branche tout à coup ,
Qui s'effeuille dans votre cou.
C'est un petit arbre tout rouge,
Un , d'une autre couleur encor ,
Et puis partout ,ces feuilles d'or
Qui tombent sans que rien ne bouge.
Nous aimons bien cette maison,
Mais la nuit si tôt va descendre !
Retournons vite à la maison
Rôtir nos marrons dans la cendre.
Lucie Delarue-Mardrus
64 mots
Caillou noir,
Pas d'espoir.
Caillou rouge,
Rien ne bouge.
Caillou rond,
Pas un rond.
Caillou gris,
Rien de pris.
Caillou vert,
On le perd.
Caillou rose,
Peu de chose.
Caillou jaune,
On le prône,
Caillou blanc,
Vif argent.
Caillou d'or,
Quel trésor !
Caillou bleu,
Qui dit mieux ?
Moi, moi, moi,
Dit le fou:
Caillou plat
Et sans trou.
Caillou
Maurice Carême
35 mots
Araignée
Araignée du matin: chagrin,
Pensait un bébé coccinelle
Cherchant à libérer ses ailes.
Araignée du midi: souci
Grognait un rat dans son chagrin
De voir un chat près de sa belle.
Araignée du soir: espoir,
Disait au briquet l'étincelle
Mourant dans le vent du jardin.
Mais l'araignée dans sa nacelle
Prisonnière à vie de sa faim
Rêvait qu'elle était hirondelle.
Pierre Béarn
50 mots
Grenouilles
Ne coassons pas
Dit crapaud papa
Nul coassement
Dit crapaud maman
Moi pas coasser
Dit crapaud jeunet
Ils en font du bruit
Dit le vieux marquis
Vite une corvée
Disent les laquais
Ça c’est pas marrant
Dit le paysan
Si j’avais su ça
Dit crapaud papa
Au lieu de nous taire
Dit crapaud mémère
Nous aurions chanté
Dit crapaud jeunet
Raymond Queneau
60 mots
Anniversaire
Je voudrais te donner une couronne
Constellée de toutes les étoiles du firmament
Je voudrais te donner
Le chant des rossignols
De toute la terre
Je voudrais te donner
Les silences de l’hiver
Les sourires du printemps
La clarté de l’été
Les flammes de l’automne
Je voudrais te donner
Tout ce que je n’ai pas pu
Pas su
Te donner
Ma vie
Notre éternité
Philippe Soupault
64 mots
Il y a des mots
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs
Et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d'amis.
Paul Eluard, extrait d'un poème à Gabriel Péri
72 mots
Si mon stylo était magique
Si mon stylo était magique
Avec des mots en herbe,
J'écrirais des poèmes superbes,
Avec des mots en cage,
J'écrirais des poèmes sauvages.
Si mon stylo était artiste,
Avec les mots les plus bêtes,
J'écrirais des poèmes en fête,
Avec des mots de tous les jours
J'écrirais des poèmes d'amour.
Mais mon stylo est un farceur
Qui n'en fait qu'à sa tête,
Et mes poèmes sur mon coeur
Font des pirouettes.
Robert Gélis
71 mots
Devinettes
Qui décoiffe la mer
Avec des mains qu'on ne voit pas ?
Qui roule sa chanson
Dans la gorge des torrents ?
Qui n'est jamais si lourd
Que quand un oiseau meurt ?
Le vent la pierre et le silence.
Qui est ronde comme une joue
Et plus lourde que la peine ?
Qui habille le monde
Quand il se fait tard ?
Qui souffle chaque soir
La bougie du soleil ?
La pierre le silence et le vent.
Jean-Pierre Siméon
79 mots
J’écris
J'écris des mots bizarres
J'écris des longues histoires
J'écris juste pour rire
Des choses qui ne veulent rien dire.
Écrire c'est jouer
J'écris le soleil
J'écris les étoiles
J'invente des merveilles
Et des bateaux à voiles.
Écrire c'est rêver
J'écris pour toi
J'écris pour moi
J'écris pour ceux qui liront
Et pour ceux qui ne liront pas.
Écrire c'est aimer
J'écris pour ceux d'ici
Ou pour ceux qui sont loin
Pour les gens d'aujourd'hui
Et pour ceux de demain.
Écrire c'est vivre.
82 mots
Geneviève Rousseau
L'oiseau du Colorado
L'oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat et des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.
L'oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d'autruche
Jus d'ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café.
L'oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait dodo
Puis il s'envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps.
Robert Desnos
88 mots
Le dilemme
J’ai vu des barreaux
je m’y suis heurté
c’était l’esprit pur.
J’ai vu des poireaux
je les ai mangés
c’était la nature.
Pas plus avancé !
Toujours des barreaux
toujours des poireaux !
Ah ! si je pouvais
laisser les poireaux
derrière les barreaux
la clé sous la porte
et partir ailleurs
parler d’autre chose !
Jean Tardieu
56 mots
Sahara
Sahara
Mamelles de sable
Qui portent les caresses
Des caravanes
Sahara
Mamelles de sable
Qui enveloppent
La tiédeur des nuits
Bleues
Armand Balima,Voiles marines
21 mots
Savoir
Papa, tu me diras
Pourquoi des enfants ici sont sans logis et moi
dans un palais.
Tu me diras d’où viennent les fous, les mendiants,
les sans-travail.
Tu me diras pourquoi il y a des pauvres et des
riches.
Tu me diras la différence entre les garibous* et
moi.
Tu me diras pourquoi tu es né dans la paillote de
campagne.
Tu me diras comment est la campagne et comment
est l’Afrique.
Oui, savoir !
Je dois tout savoir, car je vais à l’école.
*garibou : enfant chapardeur
Augustin- Soudé COULIBALY, La fontaine aux
masques, Les Nouvelles Éditions Africaines, 1976
83 mots
Une carte postale
Tu m’enverras une carte postale,
De la douceur des eaux,
De la chaleur des lumières !
Ici,
Le Soleil
Fera place à la Lune,
La Lune
Au nuage,
Le nuage
À la nuit,
Envoie-moi une carte postale !
Tu m’enverras cette lumière des nuits,
Des profonds cratères des Vésuves !
Tu m’enverras ce diamant des ténèbres,
De la froideur des Igloos !
Ici,
Le Soleil
Fera place à la Lune,
La Lune
Au nuage,
Le nuage
À la nuit,
Envoie-moi une carte postale !
Frédéric Pacéré TITINGA, Refrains sous le Sahel,
Éditions L’Harmattan, 1976
80 mots
Dans mon pays
Dans mon pays
On ne prête pas,
On partage.
Un plat rendu
N’est jamais vide ;
Du pain
Quelques fèves
Ou une pincée de sel.
Tahar BEN JELLOUN ,À l’insu du souvenir
24 mots
Invendable
Adil* !
Dis voici l’avenir,
Viens, butine.
Adil !
Le soleil, commun butin,
est copropriété vacante.
Adil !
Comme nous, le soleil
est libre, et jamais à vendre.
*Adil : prénom du fils du poète
Mohamed Aziz LAHBABI, Poèmes, Éditions
L’Harmattan
25 mots
Le toucan
— Salut, toucan !
— Salut à toi !
— Le marché est-il bon ?
— Pourquoi pas ?
Tant qu’il y a
des criquets
des vers de terre,
des termites ailés,
le marché est toujours bon !
Issaka Soumaïla KARANTA,Harandan,
Institut Culturel Africain et Nouvelles Éditions
Africaines, 1976
33 mots
Crépuscule
Mes villages ont peur de l’ombre
Mais l’ombre les prévient
Avant de les habiller de nuit.
Une mère avive le tison pâle
Un enfant ramène les chèvres
Un père bénit le soir hésitant
Et l’ombre mord un pan du village
Si doucement que la peur s’estompe.
Bonne nuit villages d’Afrique.
Malick FALL,Reliefs
Éditions Présence Africaine, 1964
50 mots
Pirogue
Tolli Tolli
Vogue ma pirogue.
Tolli Tolli
Vogue dans l'océan.
Sa voile est une palme,
Un balai lui sert de rame.
Tolli, Tolli
Vogue ma pirogue.
J'irai vers la Chine,
L'Amérique latine et Jérusalem.
J'irai partout dans le monde
Où il faut semer la paix.
Vogue ma pirogue,
Tolli, Tolli,
Ma pirogue sans haine,
Ma pirogue sans chaîne
Où je voudrais voir
Tous les enfants du monde.
Mbaye Gana KÉBÉ, Rondes, Les Nouvelles Éditions
Africaines, 1979
67 mots
La main de maman
Ouvre ta main, maman.
Papa m'a dit qu'elle contient
Tous les secrets du monde.
Pourquoi la lune
Ne descend-elle pas éclairer notre
case?
Dans quel pays se trouve- t- elle, la nuit
Quand elle n'est pas chez nous ?
Fatou Sow NDIAYE, Takam-Takam, Devine, mon
enfant, devine!
Les Nouvelles Éditions Africaines, 1981
39 mots
Vois-tu dans le ciel
Vois-tu dans le ciel tout bleu, Ma jolie
Ces étoiles
Ces milliers d'étoiles
Qui dansent et brillent?
Elles dansent et brillent pour toi
Elles sont comme les milliers
Et les milliers d'yeux des Anges du Ciel
Qui te regardent
Et qui t'aiment
Et qui sont heureux
Parce que tu es heureuse
Et belle.
Yves-Emmanuel DOGBÉ, Morne Soliloque
Éditions Akpagnon, 1982
53 mots
L'oiseau bleu
Il est tout bleu
L'oiseau bleu
Il est bleu du bec
Bleu des plumes
Et bleu des yeux,
L'oiseau bleu
Il déploie ses ailes
Deux petits éventails bleus
Puis
Comme un léger papillon bleu
Il voltige dans le bleu azuré
Du ciel de mon imagination.
Toussaint Cossy GUENOU, Anthologie de la poésie
togolaise,
Éditions Akpagnon, 1980
45 mots
Quand je pense à la mer
Quand je pense à la mer
C'est à l'eau que je pense, verte et mouvante
Pas au poisson, pas au bateau.
Quand j'écoute la mer
C'est bien l'eau que j'entends, sourde et
roulante
Et pas le coquillage et pas le vent.
Quand j'entre dans la mer
Froide et secrète comme un grand abreuvoir
C'est moi le coquillage et le bateau
Et la vague et le vent et l'eau
Et je bois le soleil.
Jacqueline DAOUD, Traduit de l'abstrait,
Éditions Cérès productions, 1968
73 mots
Hospitalité arabe
Ô passant étranger
Qui tiens une houlette,
Veux-tu bien partager,
Avec moi, ma galette?
Ô passant! ô passant!
Dont j'ignore le nom,
Je t'offre cet encens;
Prends- le, ne dis pas: non !
Accepte ce lit rêche
Que prépare ma mère
Pour toi et notre eau fraîche
Et notre mie amère.
Notre pain, notre sel,
Notre encens sont à toi;
Hélas! Sous notre toit
Nous n'avons pas de miel.
Salah KHELIFA,La ronde des affamés, 1973
69 mots
Tu m'as regardée
Tu m'as regardée
Et ton regard plein d'amour
A souri
Dans le mien.
Tu m'as tendu
Ton bras
Ton bras droit
Comblé de promesses.
Et ton regard s'est fondu
Dans mon regard
Et tes bras m'ont enveloppée
D'un long pagne d'espoirs.
Élisabeth-Françoise MWEYA, Remous de feuilles,
Éditions du Mont Noir, 1971
41 mots
Est- il une musique plus
douce?
Est - il une musique plus douce
Pour nous endormir que l'amour?
Les feuilles d'arbres caressent
Le rossignol solitaire
Qui transperce le cri du vent
De son chant merveilleux.
Mais pour se reposer, elles ont besoin
De la douceur de la nuit.
Kama KAMANDA, Les Résignations
Association des Écrivains Africains, 1986
42 mots
Dunes
J'ai reçu les signes
En offrande du Désert
Comme ces rêves de jeunesse
À la limite de la transe
J'ai reçu le chant des pierres
À l'envers de ma solitude
Quand le chacal assoiffé d'errance
Hurle sa gangrène dans le creux des
vagues
J'ai reçu l'appel des sables
De liberté et de soleil
Si les mots peuvent guérir nos dérives
Dis- moi encore cette éternité
Où le Désert avance
Dans le repos du sablier.
74 mots
Abdelhak SERHANE, Les dunes paradoxales
Éditions Paris Méditerranée
On Frappe
Qui est là
Personne
C'est simplement mon coeur qui bat
Qui bat très fort
À cause de toi
Mais dehors
La petite main de bronze sur la porte de
bois
Ne bouge pas
Ne remue pas
Ne remue pas seulement le petit bout
du doigt.
Jaques Prévert
45 mots
Nous deux
Nous deux nous tenant par la main
Nous nous croyons partout chez nous
Sous l'arbre doux sous le ciel noir
Sous tous les toits au coin du feu
Dans la rue vide en plein soleil
Dans les yeux vagues de la foule
Auprès des sages et des fous
Parmi les enfants et les grands
L'amour n'a rien de mystérieux
Nous sommes l'évidence même
Les amoureux se croient chez nous.
Paul Eluard
69 mots
L'enfant qui est dans la
lune
Cet enfant, toujours dans la
lune,
S'y trouve bien, s'y trouve
heureux.
Pourquoi le déranger? La lune
Est un endroit d'où l'on voit le
mieux.
Claude Roy
25 mots