L`annonce de la trisomie 21, témoignages de parents
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L`annonce de la trisomie 21, témoignages de parents
dossier L’annonce du handicap témoignage L’annonce de la trisomie 21, témoignages de parents ALEXIA LANTRÈS ❚ Les professionnels de santé sont les premières personnes à voir le bébé au moment de l’échographie ou en salle de naissance, et à porter un regard sur son handicap ❚ Ce premier regard est déterminant ❚ Par le témoignages de parents, l’association Regards sur la trisomie 21 exprime toute l’importance du soin apporté à l’annonce et de l’accompagnement des professionnels. Announcing Down’s Syndrome: parents’ experiences. Healthcare professionals are the first people to see a baby during the ultrasound or in the delivery room, and therefore the first to see any disabilities it may have. Their initial reaction is crucial. Through first-hand accounts from parents, the association ‘Regards sur la trisomie 21’ emphasises just how important it is for professionals to take care when making the announcement and to provide support to parents. MOTS CLÉS • Annonce • Association • Échographie • Enfant • Handicap • Parent • Trisomie 21 KEY WORDS • Announcement • Association • Child • Disability • Down’s Syndrome • Parent • Ultrasound est née sans que ses parents n’aient Q uitterie découvert sa trisomie 21 pendant la grossesse. Le médecin échographiste des parents de Virgile leur avait fait part d’un “risque faible” à l’échographie du deuxième trimestre mais ils n’ont vraiment découvert la trisomie 21 de leur enfant qu’à sa naissance. La trisomie 21 d’Inès a été décelée en début de grossesse et ses parents ont choisi de demander une amniocentèse pour les aider dans leur décision : ils ont choisi d’accueillir leur petite fille et s’y sont préparés. Oscar est un magnifique bébé, ses parents ont appris la suspicion de trisomie 21 le concernant le lendemain de sa naissance et il est “devenu” un enfant porteur de trisomie 21 trois jours après. L’association Regards sur la trisomie 211 regroupe des familles confrontées à cette maladie. Ces témoignages sont issus d’échanges entre des parents de cette association. UNE VÉRITÉ DIFFICILE À ÉNONCER Il n’existe pas une seule manière idéale de dire aux parents cette vérité qui va changer leur vie de façon irréversible, mais autant que de professionnels de santé et de parents. Quel que soit le moment de l’annonce (avant ou après la naissance), il existe toujours “un avant” et “un après”, et chaque parole prononcée joue un grand rôle dans l’acceptation du handicap. ❚ « Je m’aperçois que mon échographiste se fige. Je lui pose la question : “Le cœur bat ?”, il me dit d’un air assez sombre : “Le cœur bat mais le bébé ne bouge pas beaucoup…”. Je lui pose des questions, il 36 reste assez froid, distant et me dit : “Vous savez madame, vous êtes jeunes, vous en aurez d’autres”. Le soir, quand mon mari rentre, je comprends avec lui que je ne vais pas perdre mon bébé d’une fausse couche mais tout simplement qu’il a un handicap. » ❚ « “Votre fille présente quelques signes particuliers, elle a les yeux en amande et un pli caractéristique dans la main. Elle nous semble hypotonique”, avait dit le médecin. Heureusement, le second pédiatre a eu un sourire que je n’oublierai jamais. Je ne sais plus exactement ce qu’il nous a dit tellement le choc a été fort, mais son sourire nous disait : “Votre enfant est belle et c’est une enfant avant tout”. » ❚ « “Oui, je pense que Virgile est porteur de trisomie 21”, dit la pédiatre. Elle me donne un sourire extrêmement doux qui me dit que le bonheur est encore possible. » UNE VÉRITÉ DIFFICILE À ENTENDRE L’annonce de la trisomie 21 fait toujours “s’écrouler” les parents : le poids est lourd à porter. Le professionnel de santé ne peut pas atténuer la souffrance des parents mais il peut les aider à la surmonter. ❚ « L’annonce est un tel choc que nous restons sans voix, sans larmes. De ce premier entretien, nous ne retenons presque rien, c’est le trou noir. Une fois seuls, un mélange de sentiment d’injustice, de désespoir fait son apparition, et les larmes commencent à couler. Pourquoi nous ? Qu’avons-nous fait pour mériter ce coup du destin que rien ne laissait prévoir ? Nous avons l’impression de vivre un cauchemar, d’être aspirés dans un tourbillon dont nous ne voyons pas d’issue SOiNS PÉDIATRIE–PUÉRICULTURE - n° 263 - novembre/décembre 2011 dossier possible. Dès cet instant, nous réalisons que notre vie a changé et pris un tournant radical. » ❚ « L’annonce de la trisomie 21 d’Oscar nous a plongé dans la plus grande stupeur. Après la stupeur, sont venus la peur, la douleur (immense), l’incompréhension, le sentiment d’injustice. […] Ce diagnostic intervient comme une gifle. On est littéralement anéanti, assommé. […] Je n’ai jamais oublié le visage de ce médecin, debout, au pied de mon lit. […] “Han-di-ca-pé”, quatre syllabes que je ne voulais et ne pouvais pas prononcer, même mentalement. Le handicap c’est une autre planète et nous allions changer de planète si le médecin ne s’était pas trompé […] J’avais peur de perdre nos amis, qu’on se détourne de nous […] Après la peur du regard des autres vient celle de ne pas être à la hauteur (ou peut-être en même temps, je ne sais plus). Un sentiment qui m’a très vite tenaillé après que le médecin est venu nous voir. » ❚ « Je me suis sentie fait, je savais que ma vie avait basculé à partir de ce diagnostic. » LA FORCE DE LA RÉSILIENCE © C. Moreau/Elsevier Masson SAS ▲ Les parents devront trouver en eux, dans leur histoire familiale et dans leur couple, les ressources pour vivre avec cette annonce quelle que soit la décision qu’ils prendront. Une fois passé le choc de l’annonce, l’information par des professionnels de santé sur la maladie et les possibilités d’évolution est indispensable pour que les parents puissent se projeter dans l’avenir. Ceux-ci ont besoin de connaître les différents choix qui s’offrent à eux et les professionnels sont là pour les aider à y réfléchir ensemble. Il est important que les parents puissent alors prendre contact avec d’autres ayant connu les mêmes moments, pour bénéficier de leur expérience. ❚ « Pendant les trois aspirée par un trou premiers jours, des senLes parents devront trouver en eux, timents et des états comnoir, comme mon mari. Comment est-il possible dans leur histoire familiale et dans leur plètement fous et incond’éprouver autant de bonnus vont faire surface. heur et de tristesse en couple, les ressources pour vivre avec Envie de supprimer le même temps ? Le bonheur bébé, de le voir s’endormir, de tenir son enfant en cette annonce quelle que soit la de l’abandonner, d’espébonne santé dans les bras rer qu’on nous l’emet la tristesse de le savoir décision qu’ils prendront mène… Notre cauchemar différent. » est bien réel et chaque ❚ « Après, j’ai pleuré regard sur Lauriane nous car c’était le moyen de faire le deuil de notre enfant qu’on le confirme ; elle est bien là devant nous. Son envie de aurait voulu “idéal”. »1 vivre est tellement visible qu’il nous fait mal. Elle tète ❚ « Je garde le souvenir de quelque chose de très goulûment, ne pleure que pour manger, et essaie de se dur parce que très brutal, parce que je suis seule face à rendre aussi invisible que possible dans la chambre, pour quelque chose d’inconnu et complètement paniquée. nous laisser à nos réflexions sans nous déranger… Pour Quand on nous a proposé l’amniocentèse, j’ai préféré nous, le choix après 4 jours est pris, même si l’avenir savoir au milieu de ce chaos. Une fois le diagnostic nous semble bien noir encore : nous allons rentrer SOiNS PÉDIATRIE–PUÉRICULTURE - n° 263 - novembre/décembre 2011 37 dossier L’annonce du handicap 1. Regards sur la trisomie 21, 11 bis, rue de la République, 78100 Saint-Germain-en-Laye, contact@regardsurlatrisomie21. org, www.regardsurlatrisomie21. org Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en relation avec cet article. L’AUTEUR Alexia Lantrès, présidente de l’association Regards sur la trisomie 21, Saint-Germain-en-Laye (78), contact@ regardsurlatrisomie21.org 38 ▲ NOTE avec Lauriane. Nous ne l’avons à aucun moment au fur et à mesure, ils “remontent la pente” et la tenue pour responsable de ce qui nous arrive. Seule la vie reprend son cours. fatalité est en cause… La décision que nous avons prise ❚ « On n’a pas la famille sans soucis dont on peut rêver après tant de discussions nous soulage, nous avons au départ mais elle nous apporte beaucoup de joies et nous l’impression d’avoir voulu nous donner un choix entre sommes finalement comblés au-delà de nos espérances. » deux solutions possibles, vu que le destin nous a imposé ❚ « Elle fait des merveilles autour d’elle, elle apporte cette trisomie 21. Malgré beaucoup d’affection, de joie tout notre avenir nous Les professionnels doivent sentir, simple, et elle rejoint particulièsemble semé d’embûches. rement ceux qui vont mal. » Saurons-nous accepter ce en laissant les parents sortir de la ❚ « Et cette course lente petit être différent, lui vers le progrès que nous faire la place qu’il mérite maternité, que ceux-ci disposent encourageons malgré tout et l’aimer autant que s’accompagne d’une telle pronotre premier enfant ? Il de toutes les informations qui leur fusion de satisfactions que la nous faudra certainepilule n’est pas très dure à ment beaucoup de temps, permettront de s’approprier peu avaler. Eloi nous rappelle à la de patience, d’espoir et joie lorsque nous sommes trisd’optimisme, mais nous à peu cette nouvelle vie tes. Il nous rappelle à la simy travaillons, en couple, plicité lorsque nous sommes en famille, avec nos empêtrés dans nos complicaamis, ainsi qu’avec d’autres parents d’enfant trisomi- tions. Sa candeur nous rappelle combien avec si peu, en que. » apparence, il semble, lui, si heureux. Sa joie déteint très ❚ « Quand notre fille est née, la fin de l’hiver m’arran- vite sur tous ceux qui l’entourent d’une manière très geait car emmitouflée, on voyait moins son handicap. » surprenante. » ❚ « De minutes en minutes, je gardais Virgile dans ❚ « Notre fille déplace des montagnes d’amour, les bras et ne réussissais pas à m’en détacher. Il fallait d’affection, de tendresse et de beaucoup de choses très qu’il reste un peu en couveuse branché à des capteurs positives. » pour contrôler son oxygénation mais je ne voulais pas ❚ « Notre vie a repris son cours, évidemment difféme séparer de lui… Je me suis vite rendu compte que la rente d’avant sa naissance mais toute naissance modimaladie n’altérait pas du tout les sentiments que j’éprou- fie la vie familiale. Celle-ci l’a juste modifiée un peu vais pour lui. Rassurée sur ce point, j’ai pu aborder étape plus. Aujourd’hui Quitterie a 6 ans et nous avons eu par étape la connaissance de la trisomie 21. » deux autres enfants après. Elle a sa place dans la ❚ « Grâce à d’autres organisme et contacts, j’ai famille et son rythme. Elle nous a appris beaucoup de été respectée dans mon choix de garder mon enfant, choses et nous renvoie au centuple l’amour que nous j’attendais un enfant, pas seulement un problème. » lui portons. » ❚ « [Mon mari] est revenu avec l’appareil photo et la caméra car, comme sa sœur, il nous semblait CONCLUSION important de faire comme si tout était “normal”. Et Que l’annonce intervienne avant ou après la naispourtant, dans ma tête les idées se bousculaient. Je ne sance, le mécanisme reste le même. Face à une connaissais rien à la trisomie. Une sage-femme est venue trisomie 21 qui leur est imposée, les parents vont me dire qu’une maman ayant accouché 18 ans aupa- devoir faire un choix entre les possibilités existanravant avait laissé ses coordonnées au cas où ... Elle est tes. Avant la naissance, ils peuvent choisir de vivre venue me voir et m’a parlé de sa fille, des démarches avec leur enfant, de le confier à l’adoption ou à administratives. Elle m’a raconté tout ce qu’on pourrait une famille d’accueil ou d’interrompre la grosfaire avec Quitterie. Elle m’a mis face à la vie ! Grâce à sesse. Après la naissance, une seule possibilité elle et à tous les témoignages de personnes inconnues disparaît, celle de l’interruption de grossesse. quelques jours avant, nous sommes revenus à la maison Le temps est l’élément clé qui leur permettra de avec notre bébé et l’envie de nous battre pour elle. » s’approprier leur décision. En effet, il leur faut du temps pour recevoir l’annonce, l’intégrer dans L’ACCOMPAGNEMENT leur réalité et envisager pleinement toutes les PAR LES PROFESSIONNELS possibilités en s’informant auprès de personnes Les professionnels doivent sentir, en laissant les différentes : professionnels de santé, parents ayant parents sortir de la maternité, que ceux-ci dispo- vécu cette annonce, psychologues... Ils pourront sent de toutes les informations qui leur permet- ainsi choisir la meilleure voie pour eux et leur tront de s’approprier peu à peu cette nouvelle vie : famille à ce moment précis de leur vie. ■ SOiNS PÉDIATRIE–PUÉRICULTURE - n° 263 - novembre/décembre 2011