Pour l`amour de Bach

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Pour l`amour de Bach
Le Chat Bleu
Actualités
de. Car, chose que l’on ignore souvent, le
fascisme n’est à l’origine en rien antisémite et
de nombreux Juifs Italiens sont membres de ce
parti. On imagine facilement leur surprise
lorsque leurs anciens camarades se retournent
contre eux.
Au cours de la Seconde guerre mondiale,
après bien des tourments avec la censure
notamment, Malaparte entre dans l’opposition
farouche au fascisme et il participe même à la
libération de l’Italie3 au côté des armées
alliées.
C’est le sujet de ce petit roman agréable
et poétique, tranquille et sans fioriture. Il nous
invite à faire un voyage avec un soldat italien
en déroute, Calusia, depuis l’extrême pointe de
la botte, face à la Sicile, jusqu’à Naples. Le
compagnon de voyage, c’est tout simplement
le lecteur. En septembre 1943, Calusia, l’homme du nord, est affecté dans un petit poste
avancé près de la plage et attend avec une
angoisse dissimulée le débarquement des alliés
sur le continent. Moments particuliers pour un
homme simple qui sait qu’il participe au
premier plan à la grande histoire. Au cours de
la bataille, le lieutenant Cafiero est tué. Calusia, indemne, lui promet alors qu’il rend son
dernier souffle, de porter son corps à sa mère,
à Naples. Le compagnon de voyage raconte
son périple à travers les villages laissés à
l’abandon sens dessus dessous, une Italie peu
à peu occupée par les alliés mais qui ne
renonce jamais.
Chose étrange, on se dit après avoir lu ce
livre que sa brièveté fait sa force. Les quelques
pages écrites par Malaparte présentent à elles
seules et de fort belle façon toute la dignité du
peuple italien dans la tragédie de la défaite,
incarnée dans le personnage de Mariagiuliana,
femme séduisante, fière et courageuse qui
jamais ne se laisse aller aux larmes. Il n’y a
alors plus aucun doute sur l’amour de Malaparte pour ce peuple méditerranéen qui toujours
se relève. Il lui a rendu un très émouvant
hommage.
Notes
2. Sur ce sujet,
voir par exemple
Pierre Milza et
Serge Bernstein,
Le fascisme
italien - 19191945, Seuil,
1980.
3. Nous voulons
dire par là, libération de la dictature fasciste.
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Gaël Marquet
Pour l’amour de Bach
A
nna Magdalena, fille d’un important
musicien à la cour du prince
Léopold d’Anhalt-Cöthen, rentre un
jour de 1720 dans l’église Sainte Catherine de
Hambourg afin d’y admirer le magnifique
orgue qui s’y trouve. Sans s’en douter, elle va
faire en ce lieu une rencontre qui bouleversera
le reste de son existence. A l’intérieur, un
homme est déjà là et joue merveilleusement
du majestueux instrument. C’est le Kapellmeister du Prince de Cöthen, un certain Johann
Sebastian Bach…
Esther Meynell
La Petite Chronique D’Anna
Magdalena Bach
Editions du Félin, 2009, 10.90 €.
La Petite Chronique d’Anna Magdalena
Bach n’est pas l’œuvre de celle qui va devenir
en 1721 la seconde épouse du célèbre organiste. Non, en fait cet ouvrage est bien plus
récent. Il est le fruit du travail d’une musicologue anglaise des années 20, Esther Meynell. A
travers le regard d’Anna Magdalena, cette
spécialiste de Bach nous plonge dans la Prusse
du début du XVIIIe siècle. Un pays constellé de
duchés et d’églises luthériennes et calvinistes.
La voix d’Anna Magdalena nous retrace la
vie de son époux avant leur rencontre. Sa
naissance à Eisenach en 1685, dans une
grande famille de musiciens (de nombreux
membres ou ancêtres de cette famille ont été
musiciens de cour, d’église ou de ville). Puis la
mort prématurée de ses parents qui le fait
recueillir par son frère aîné. Sa jeunesse s’étire
alors entre études musicales, apprentissage de
l’orgue et chant dans une chorale. Mais bientôt, sa voix muant, il privilégie la pratique
instrumentale, notamment l’orgue et le clavecin.
C’est en 1703 qu’il commence sa carrière
de musicien de cour, avec tout d’abord une
fonction auprès du Duc de Weimar. Peu de
temps après, son talent le propulse à la
direction de l’orgue de l’église Saint Boniface
d’Arnstadt, proche de Weimar. Mais des
tensions apparaissent, et les méthodes de
Bach ne plaisant pas à tous, ce dernier décide
en 1707 de partir et de prendre la place
d’organiste dans une autre ville de Thuringe,
Mülhausen. Dans cette cité, il épouse en 1708
sa cousine Maria Barbara et écrit sa première
cantate, prélude à une œuvre religieuse très
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importante. Mais une querelle entre luthériens
orthodoxes et piétistes (puritains refusant les
arts) de la ville, oblige Bach à chercher une
meilleure situation à Weimar. Il reste dans
cette dernière cité jusqu’en 1717, date à
laquelle il rejoint la cour du prince Léopold
d’Anhalt-Cöthen, en tant que Kapellmeister (un
grade musical des plus honorifiques). Le
prince, amoureux de la musique, mais calviniste, développe une relation d’égal à égal avec
Bach (ils vont prendre les eaux ensemble) et
l’incite à se tourner vers la musique profane.
Johann Sebastian Bach gagne désormais
correctement sa vie et écrit ses plus grandes
œuvres, notamment le premier livre du Clavier
tempéré pour clavecin. Mais Madame Bach
meurt subitement en 1719, alors que son mari
est en voyage. C’est donc un homme encore
bien triste que va découvrir la jeune Anna
Magdalena en 1720. L’ouvrage d’Esther
Meynell propose ensuite la vision quotidienne
d’Anna Magdalena sur son génie de mari. Ce
dernier, quelque peu frustré de ne plus pouvoir
écrire de musique sacrée à cause de la confession calviniste de son prince, décide de s’installer avec sa femme et ses enfants à Leipzig. Il
devient cantor de l’église Saint Thomas à
Leipzig (rang inférieur par rapport au poste de
Kapellmeister qu’il occupait à la cour de
Cöthen). Ses occupations journalières consistent alors en l’enseignement du latin et de la
musique dans deux écoles ecclésiastiques de la
ville. Mais aussi en l’écriture et l’exécution de
nombreuses partitions pour les églises de la
ville.
Au-delà du récit des différentes étapes de
la vie de Bach, ce livre propose avant tout la
probable vision amoureuse d’une femme
envers l’un des génies du XVIIIe siècle. Anna
Magdalena (Esther Meynell) dresse ainsi avec
tendresse, pendant près de deux cents pages,
la biographie de son défunt mari. Un homme
empreint d’une grande maîtrise de lui-même,
travailleur-né, bon père de famille et exigeant
avec ses élèves comme avec lui-même.
quelques remarques de Bach qui aujourd’hui
passerait pour du machisme, notamment
lorsqu’il affirme que l’orgue n’est pas un
instrument pour une femme.
L’attachement extrême de Bach à la
notion d’ordre, de loi et d’obéissance peut
aussi refroidir quelque peu le beau tableau que
dresse Anna Magdalena. «Madame, il n’y a pas
d’Amour ni de Beauté digne de ce nom sans
Loi, Ordre et Obéissance – l’accomplissement
de nos devoirs et l’obéissance à nos supérieurs ». Le célèbre compositeur passe ainsi
pour un parfait chevalier servant des puissants
de son temps, de cette hiérarchie sociale
propre à l’Ancien Régime.
Enfin, la lecture de cet ouvrage montre
néanmoins une Anna Magdalena soumise
entièrement au pouvoir de son mari, le craignant parfois et se rabaissant à plusieurs
reprises pour mieux le glorifier.
La Petite Chronique d’Anna Magdalena
Bach reste, de par le travail de documentation
important d’Esther Meynell, un remarquable
ouvrage pour quiconque désire découvrir ou
approfondir ses connaissances sur Johann
Sebastian Bach et son époque. Les descriptions
des techniques propres à l’orgue sont d’ailleurs
très précises. En outre, décider de raconter ce
grand personnage de l’histoire de la musique à
travers les yeux de celle qu’il a aimée, demeure une idée originale par rapport aux biographies traditionnelles. Même si, le sentiment
pouvant éclipser l’objectivité, on a parfois
l’impression d’assister à un catalogue de
paroles tendres envers un homme, dont du
coup, on ne peut réellement mesurer les
qualités.
François Hocquaux
Cependant une question peut venir à
l’esprit en lisant ce type de biographie imaginaire : a-t-on à peu de chose près, le sentiment d’Anna Magdalena Bach ou simplement
l’impression fantasmée d’une passionnée de
Bach, que semble être Esther Meynell ? En
effet, en lisant ce livre, on en vient à se
demander si l’organiste avait ne serait-ce que
le plus petit des défauts. Et étant donné le
caractère dithyrambique des mots d’Anna
Magdalena, il est difficile d’en trouver. C’est
alors au lecteur de chercher plus en profondeur. Ainsi, on pourrait peut-être relever les
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