Un bain de bien-être Un bain de bien-être
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Un bain de bien-être Un bain de bien-être
Dossier JMC n°48 I JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2012 11 Un bain de bien-être Les bienfaits de la balnéothérapie sont reconnus de longue date, mais de manière souvent empirique, les études sur le sujet étant encore assez rares. Souhaitant étayer sa pratique sur des bases rationnelles, l’équipe de psychomotriciens de la résidence Orpéa de Saint-Rémy lès Chevreuse a justement cherché à évaluer scientifiquement l’impact du bain thérapeutique sur les douleurs chroniques du sujet âgé, mais aussi sur son bien-être. Les résultats plaident en faveur de la balnéothérapie. Par Julien Baleine, Sophie Barrière, Héléna Boissais, Cécile Dormia, Sophie Fève et Alix Perney, psychomotriciens, Résidence Saint-Rémy-lès-Chevreuse. F réquentes chez la personne âgée, les affections à retentissement musculo-squelettique (dans lesquelles nous englobons les atteintes ostéo-articulaires et la maladie de Parkinson) occasionnent des pertes fonctionnelles et des douleurs chroniques qui altèrent parfois sévèrement la qualité de vie des résidents. La résidence Orpéa de Saint-Rémy lès Chevreuse accueille environ 300 personnes âgées. Elle est, comme nombre d’Ehpad, particulièrement sensible à la problématique des douleurs chroniques qui affectent le bien-être de ses résidents. L’hydrothérapie et la balnéothérapie étant traditionnellement utilisées pour soulager les douleurs articulaires depuis la plus haute Antiquité, l’établissement s’est depuis 2007 doté de cinq baignoires, qui lui permettent de mieux répondre aux besoins et aux attentes des résidents. Ce matériel high tech, adapté aux résidents douloureux et/ou à mobi- lité réduite, est utilisé sur prescription de suivi et de non-contreindication des médecins gériatres, par des psychomotriciens expérimentés. Lorsque la dépendance s’aggrave, préserver la qualité de vie de la personne âgée souffrant de douleurs chroniques suppose de renforcer sa stimulation et son encadrement psychologiques et corporels, en privilégiant les thérapies non médicamenteuses. Un soulagement de la douleur… mais pas seulement Ces bains thérapeutiques poursuivent plusieurs objectifs. Physiquement, il s’agit de soulager la douleur, d’offrir une stimulation sensorielle douce, de favoriser la détente et le bien-être, de soulager les contraintes et les tensions corporelles. Plusieurs mécanismes expliqueraient le soulagement que la balnéothérapie procure : la © Francois Doisnel - Fotolia.com contre la douleur chronique D ossier JMC n°48 I JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2012 Baignoire à jets bouillonnants (ici, de type Parker, société Arjo) utilisée pour l’étude. 12 d’un « corps subi » à un « corps agi » grâce au « cercle afféro-efférentiel » redonne au corps son unité. En creux, ce processus resitue le corps dans son environnement physique (ici, l’eau du bain), favorisant la prise de conscience des limites au travers du moi-peau, mais aussi dans son environnement social, puisque le bain constitue un moment privilégié, inscrit dans une relation particulièrement contenante. © Orpea Une image scientifique contrastée portance, l’immersion, la résistance et la température joueraient un rôle important. L’apaisement de la douleur pourrait pour sa part être dû à la pression et à la température de l’eau sur la peau. Enfin, la chaleur influe sur le tonus musculaire et l’intensité de la douleur, contribuant à la réduction du spasme musculaire et à l’accroissement de la résistance à la douleur. « Par expérience, tout soignant reconnaît les bienfaits du bain thérapeutique dans la prise en charge des douleurs chroniques de la personne âgée. Malgré cette légitimité empirique, la balnéothérapie souffre toutefois d’une image scientifique contrastée, car elle est finalement assez mal documentée, en raison des nombreuses difficultés méthodologiques qu’elle soulève. Souhaitant étayer sa pratique sur des bases rationnelles, notre équipe de psychomotriciens a donc réalisé une étude scientifique afin d’évaluer l’impact du bain thérapeutique sur les douleurs chroniques du sujet âgé (tassement vertébraux ostéoporotiques, arthrose, rhumatisme, lombalgies, maladie de Parkinson...). Et pour renforcer la fiabilité de ses résultats, elle a demandé à ses collègues des résidences La Jordanne (Aurillac) et Les Jardins de Jouvence (Albi) de mener les mêmes observations… Malgré une légitimité empirique, la balnéothérapie souffre toutefois d’une image scientifique contrastée, car elle est finalement assez mal documentée, en raison des nombreuses difficultés méthodologiques qu’elle soulève. « Mais l’impact de la balnéothérapie est aussi – et avant tout ? – psychologique. L’empathie du thérapeute lors de la séance pourrait également jouer un rôle : le fait de se sentir pris en considération et d’être accompagné de façon non médicamenteuse pourrait favoriser un mieux-être et diminuer l’impact psychologique de la douleur. Le bain contribue ainsi à la renarcissisation du sujet, en travaillant sur le schéma corporel. Ce schéma, rappelle Julian de Ajuriaguerra, est « édifié sur la base des impressions tactiles, kinesthésiques, labyrinthiques et visuelles » et « réalise dans une construction active constamment remaniée des données actuelles et du passé, la synthèse dynamique, qui fournit à nos actes, comme à nos perceptions, le cadre spatial de référence où ils prennent leur signification ». Ce passage Le cadre de l’étude a été au préalable strictement défini : chaque résident inclus a bénéficié d’un bain thérapeutique hebdomadaire pendant cinq semaines, dans une baignoire équipée de jets bouillonnants. Les séances étaient programmées à heure fixe et dans la même pièce, afin de préserver les unités de temps et de lieu. L’environnement était normalisé, avec une ambiance sonore, olfactive et lumineuse invitant à la détente. Les observations étaient consignées sur une fiche d’évaluation générale remplie avant la séance 1 et après les séances 2 et 5. Les échelles de cotation étaient quant à elles remplies par le soignant à la fin de chaque séance. Au total, 11 résidents ont été inclus dans l’étude, qui présentaient des douleurs musculaires ou ostéo-articulaires chroniques, d’une intensité supérieure ou égale à 40/100 sur l’échelle visuelle analogique d’évaluation de la douleur (EVA), et ayant bénéficié d’une prescription médicale de suivi et de non-contre-indication à la balnéothérapie. Un impact sur la douleur et le bien-être bien réel L’évaluation hebdomadaire de la douleur par les résidents euxmêmes a, logiquement, fourni 55 observations. La moyenne du score EVA relevé avant les séances de balnéothérapie était de 53,4, JMC n°48 I JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2012 13 Cet effet antalgique est confirmé par l’analyse des fiches d’évaluation. À la question « Avez-vous l’impression que les séances de balnéothérapie agissent sur vos douleurs ? », les résidents répondent oui dans 17 évaluations sur 21 (81 %). Notons que 3 des 11 patients modifient leur réponse (non ª oui) entre la séance 2 et la séance 5. © Orpea Les jets contribuent à la relaxation des résidents. passant à 40,1 à la sortie du bain, soit une baisse de l’intensité ressentie de 13,3 points EVA. L’intensité de la douleur baisse le plus fortement durant la 3e séance, puisque le score EVA moyen perd alors 17,08 points entre le début et la fin de la séance. Les séances 4 et 5 sont aussi marquées par des baisses du score EVA dépassant 11,5 points (tableau 1). Séance 1 – 9,166667 Séance 2 – 8,333333 Séance 3 – 17,08333 Séance 4 – 11,66667 Séance 5 – 12,91667 Tableau 1 • Évolution du score EVA moyen entre le début et la fin de la séance. La balnéothérapie procure un mieux-être, mais les douleurs ne sont pas suffisamment soulagées pour justifier une diminution des doses antalgiques : dans 14 réponses exprimées sur 18, les résidents ne pensent pas pouvoir diminuer les prises d’antalgiques grâce à la balnéothérapie. Les changements de perception entre les séances 2 et 5 ne permettent de tirer aucune conclusion, puisque l’on enregistre 2 glissements non ª oui pour 2 glissements oui ª non. Mais l’étude menée ne cherchait pas uniquement à évaluer l’impact des bains thérapeutiques sur les douleurs chroniques et la prise d’antalgiques — il s’agissait également d’explorer la sensation de bien-être des personnes avant et après un bain thérapeutique, la durée d’efficacité de la balnéothérapie, et son impact sur le sommeil. Ainsi, à la question « La balnéothérapie vous offre-t-elle un bienêtre ? », la réponse est oui dans 100 % des cas — immédiatement après le bain dans 100 % des réponses également, et quelques heures après le bain dans 78 % des réponses. Les séances de bain thérapeutique n’ont globalement d’effet positif ni sur la vitesse d’endormissement, ni sur la durée et la qualité du D ossier JMC n°48 I JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2012 sommeil (tableau 2), que les sujets prennent ou non des « comprimés pour dormir ». Question que toutes les personnes ayant participé à notre étude aient souhaité poursuivre les séances de balnéothérapie. Oui Non Vous endormez-vous plus vite ? 20 % 80 % Anzieu D. (1995). Le Moi peau. Paris, éditions Dunod. Dormez-vous plus longtemps ? 15 % 85 % Aubert E, Albaret JM (2011). Vieillissement et psychomotricité. Marseille, éditions Solal. Avez-vous l’impression d’avoir un sommeil de meilleure qualité ? 15 % À lire Corraze J (1980). Les Communications non verbales. Paris, Presses universitaires de France. 85 % Descamps MA (1996). Le Langage du corps et la communication corporelle. Paris, Presses universitaires de France. Tableau 2 • Effets du bain thérapeutique sur le sommeil. Dolto F (1984). L’Image inconsciente du corps. Paris, éditions Le Seuil. Cette absence d’impact sur le sommeil mériterait toutefois une investigation plus poussée. Dans notre étude, les séances de balnéothérapie ont en effet eu lieu le matin ou en début d’après-midi, et augmentaient le bien-être et la détente des sujets durant quelques heures. L’impact sur l’endormissement et la qualité du sommeil d’un bain thérapeutique donné quelques heures avant le coucher mériterait donc d’être étudié. Gaucher-Hamoudi O, Guiose M (2007). Soins palliatifs et psychomotricité. Paris, éditions Heures de France. Joly F, Labbes G (2009). Julian de Ajuriaguerra et la naissance de la psychomotricité. Volume 1, « Corps, tonus et psychomotricité ». Paris, éditions du Papyrus. Joly F, Labbes G (2009). Julian de Ajuriaguerra et la naissance de la psychomotricité. Volume 2, « Psychopathologie développementale et troubles psychomoteurs ». Paris, éditions du Papyrus. Joly F, Labbes G (2010). Julian de Ajuriaguerra et la naissance de la psychomotricité. Volume 3, « Entre inné et acquis : le bébé et le développement précoce ». Paris, éditions du Papyrus. Un effort de recherche à poursuivre Nos résultats sont conformes aux données de la littérature internationale. Les limites méthodologiques que nous avons évoquées, et qui affectent nombre de publications scientifiques en la matière, montrent qu’un effort de recherche demeure nécessaire pour affiner l’intérêt de la balnéothérapie en pratique gériatrique quotidienne. Le pragmatisme conduit toutefois à confirmer que la balnéothérapie s’inscrit, à l’évidence, parmi les vecteurs non seulement de limitation de la perte d’autonomie, notamment aux âges extrêmes, mais aussi d’amélioration du bien-être. C’est en tout cas ce que suggère le fait Juhel JC (2010). La Psychomotricité au service de la personne âgée. Québec, Presses de l’Université Laval, collection Chronique sociale. Potel C (2009). Le Corps et l’eau. Ramonville-Saint-Agne, éditions Érès. Potel C (2010). Psychomotricité : entre théorie et pratique. Paris, éditions In Press, coll. Psycho. Savatoski J (2009). Le Toucher massage, 2e édition. Rueil-Malmaison, éditions Lamarre. L’une des baignoires utilisées, avec ambiance lumineuse. © Orpea 14