DP Saison 2007-2008 final.qxp
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DP Saison 2007-2008 final.qxp
Saison 2007 - 2008 Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier Direction Olivier Py Théâtre de l’Odéon place de l’Odéon Paris 6e M° Odéon et RER Saint Michel Ateliers Berthier angle de la rue André Suarès et du bd Berthier Paris 17e M° et RER Porte de Clichy Location : 01 44 85 40 40 Administration : 01 44 85 40 00 2, rue Corneille - 75006 Paris Service de presse Lydie Debièvre, Marie-Line Dumont 01 44 85 40 73 / [email protected] www.theatre-odeon.fr Saison 2007-2008 Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier 20 > 30 sept. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e 27 sept. > 10 nov. 07 Ateliers Berthier / 17e 9 > 27 oct. 07 Théâtre de l'Odéon / 6 e Illusions comiques texte et mise en scène OLIVIER PY Homme sans but création d'ARNE LYGRE / mise en scène CLAUDE RÉGY Le Bourgeois, la Mort et le Comédien (Les Précieuses ridicules, Tartuffe, Le Malade imaginaire) de MOLIÈRE / mise en scène ÉRIC LOUIS — La Nuit surprise par le Jour 7 > 11 nov. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e 14 > 18 nov. 07 Théâtre de l'Odéon / 6 e 27 nov. > 4 déc. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e 8 > 16 déc. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e 10 janv. > 23 fév. 08 Ateliers Berthier / 17 e 24 janv. > 29 mars 08 Théâtre de l'Odéon / 6e 8 > 22 mars 08 Ateliers Berthier / 17e 27 mars > 18 avril 08 Ateliers Berthier / 17e 22 > 31 mai 08 Ateliers Berthier / 17e 15 mai > 21 juin 08 Théâtre de l'Odéon / 6 e Moby Dick en italien surtitré création d'après HERMAN MELVILLE / mise en scène ANTONIO LATELLA La Cena de le ceneri (Le Banquet des cendres) en italien surtitré d'après GIORDANO BRUNO / mise en scène ANTONIO LATELLA Maeterlinck en français, allemand, néerlandais, anglais surtitrés d'après MAURICE MAETERLINCK / mise en scène CHRISTOPH MARTHALER Krum en polonais surtitré d'HANOKH LEVIN / mise en scène KRZYSZTOF WARLIKOWSKI La Petite Catherine de Heilbronn création d'HEINRICH VON KLEIST / mise en scène ANDRÉ ENGEL L'École des femmes création de MOLIÈRE / mise en scène JEAN-PIERRE VINCENT Pinocchio spectacle pour enfant création d'après CARLO COLLODI / texte et mise en scène JOËL POMMERAT Tournant autour de Galilée création spectacle de JEAN-FRANÇOIS PEYRET Ivanov en hongrois surtitré d'ANTON TCHEKHOV / mise en scène TAMÁS ASCHER L'Orestie création d'ESCHYLE / mise en scène OLIVIER PY 20 › 30 sept. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e Illusions comiques texte et mise en scène OLIVIER PY décor, costumes Pierre-André Weitz musique Stéphane Leach lumières Olivier Py avec Olivier Balazuc, Michel Fau, Clovis Fouin, Philippe Girard, Mireille Herbstmeyer, Olivier Py et les musiciens Mathieu El Fassi, Pierre-André Weitz production : Centre dramatique national/Orléans-Loiret-Centre, le Théâtre du Rond-Point-Paris avec le soutien de la Fondation BNP Paribas, de la région Centre et du Fonds d''insertion pour jeunes artistes dramatiques créé le 29 mars 2006 au Centre dramatique national à Orléans Le texte de la pièce est édité chez Actes Sud-Papiers Extrait Monsieur Balazuc. 1 – Sapiens sapiens se plante une épine dans le pied. Il voit que sa douleur n'est pas partagée par ses camarades, alors il invente le théâtre. Monsieur Girard. 2 – Non, Sapiens sapiens voit que son collègue s'est planté une épine dans le pied et en ressent la douleur, c'est lui qui a inventé le théâtre. Le théâtre est une épine dans la chair de l'autre. Mademoiselle Mazev. 3 – Le théâtre est la première pensée humaine et sa dernière question. Monsieur Fau. 4 – Je n'aime pas le théâtre, dit-elle en mettant du rouge à lèvres. L'adolescent. 5 – Nous sommes libres, voilà l'horreur, le théâtre est la musique de cette liberté. Dieu. 6 – Le théâtre est le lieu où les choses cachées depuis le début des temps sont révélées sans qu'on puisse toutefois les comprendre absolument. Hommage à Corneille, bien sûr, mais aussi au Molière de L'Impromptu de Versailles ou des Fâcheux, ces Illusions comiques furent l'un des plus beaux succès publics et critiques de la dernière saison. Ce fut également la plus franche incursion dans le domaine du rire qu'ait réussie jusqu'ici le nouveau directeur du Théâtre de l'Europe. Mais si Olivier Py a souhaité reprendre sa dernière création pour ouvrir la rentrée, c'est avant tout parce qu'elle lui permet de présenter aux spectateurs de l'Odéon, en termes simples, directs et vivants, sa façon de rêver la scène. Qu'arriverait-il donc, demande l'auteur, «si le monde entier, les politiques, les prélats, les marchands de mode» étaient «soudainement pris d'une épidémie d'amour du théâtre» ?... Olivier Py, présent sur les planches pour interpréter le poète «Moi-même», sera à cette occasion entouré de Michel Fau (dans un rôle qui lui valut le prix du meilleur comédien, décerné par le Syndicat de la Critique) ainsi que des «camarades comédiens» qui l'accompagnent depuis ses débuts, prêts à célébrer par l'exemple les fastes du théâtre dans tous ses états. Le texte a la prétention ridicule de tout dire sur l'art dramatique et le mystère théâtral. La cavalcade politique du poète, à qui on demande plus que des mots, est entrecoupée de leçons de théâtre, dans lesquelles on découvre que le théâtre de boulevard, la tragédie et le drame lyrique sont trois pensées de l'homme et de sa parole. Cette farce, pièce satirique, comédie philosophique, c'est l'art de faire du rire avec notre impuissance. Cette impuissance est peut-être la pensée la plus nécessaire à l'homme de théâtre et il n'y atteindra, comme l'a fait Jean-Luc Lagarce (figuré ici par «Le poète mort trop tôt»), à qui est dédiée la pièce, que dans un éclat de rire. Olivier Py, novembre 2005 Olivier Py, né en 1965 à Grasse, dirige l'Odéon-Théâtre de l'Europe depuis le 1er mars 2007. Après une hypokhâgne, puis une khâgne au Lycée Fénelon, il entre à l'ENSATT (rue Blanche) puis, en 1987, au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, ce qui ne l'empêchera pas d'entamer des études de théologie à l'Institut Catholique. En 1988, il fonde sa propre compagnie, «L'inconvénient des boutures», et assure lui-même la mise en scène de ses textes. Citons entre autres Gaspacho, un chien mort (1990) ; Les Aventures de Paco Goliard (1992) ; La Jeune Fille, le Diable et le moulin, d'après les frères Grimm (1993) ; La Servante, histoire sans fin, un cycle de cinq pièces et cinq dramaticules d'une durée totale de vingt-quatre heures, présenté en intégrale au Festival d'Avignon 1995 et repris à la Manufacture des Oeillets à Ivry en 1996 ; Le Visage d'Orphée, créé au CDN d'Orléans puis présenté au Festival d'Avignon, dans la Cour d'honneur du Palais des Papes en 1997. Olivier Py met également en scène des textes d'Elizabeth Mazev (Mon père qui fonctionnait par périodes culinaires et autres, 1989 ; Les Drôles, 1993) et de Jean-Luc Lagarce (Nous les héros, 1997). Nommé en juillet 1998 à la direction du Centre Dramatique National/Orléans-Loiret-Centre, il y crée Requiem pour Srebrenica, qui a tourné en France, en ex-Yougoslavie, au Canada, aux États-Unis et en Jordanie, puis L'Eau de la Vie et une deuxième version de La Jeune fille, le Diable et le moulin (1999) ; L'Apocalypse joyeuse (juin 2000) ; Épître aux jeunes acteurs (2001) ; Au Monde comme n'y étant pas (2002). D'autres metteurs en scène commencent à monter ses pièces : Théâtres l'est par Michel Raskine au Théâtre du Point du jour à Lyon en 1998, L'Exaltation du labyrinthe par Stéphane Braunschweig au TNS en 2001, La Servante par Robert Sandoz en 2004 à Neuchâtel. Le Soulier de satin, de Paul Claudel, dont Olivier Py donne une mise en scène en version intégrale à Orléans en mars 2003, est ensuite joué au TNS, au Théâtre de la Ville, au Grand Théâtre de Genève et au Festival d'Edimbourg en 2004, et reçoit le prix Georges-Lherminier, décerné par le Syndicat de la Critique au meilleur spectacle créé en région. En 2005, création d'une trilogie : Les Vainqueurs, qui tourne au TNP à Villeurbanne, à la Ferme du Buisson, au Festival d'Avignon, à Paris. La même année, Olivier Py met en scène A Cry from heaven de Vincent Woods à l'Abbey Theatre à Dublin. En 2006, à l'invitation de Jean-Michel Ribes, il présente au Théâtre du Rond-Point «La Grande Parade de Py», ensemble de six spectacles dont il est l'auteur et le metteur en scène : L'Eau de la Vie, La Jeune fille, le Diable et le moulin, Épître aux jeunes acteurs, Les Vainqueurs, Chansons du Paradis perdu et une nouvelle création : Illusions comiques, jouée également à Orléans, Lille, Strasbourg, Sartrouville, Caen, Douai, Lorient, Forbach, Annecy, Reims, Creil ou Bordeaux avant d'être reprise en ouverture de saison 2007/2008 à l'Odéon-Théâtre de l'Europe. En juillet 2006, à l'occasion de la clôture du 60ème Festival d'Avignon, Olivier Py met en scène dans la Cour d'honneur du Palais des Papes un hommage à Jean Vilar, L'Énigme Vilar. C'est également au Festival d'Avignon, en 1996, qu'il interprète pour la première fois son personnage de cabaret : Miss Knife, dont le tour de chant, Les ballades de Miss Knife, composé de chansons qu'il a écrites, mises en musique par Jean-Yves Rivaud, a été présenté au public à Paris (Théâtre du Rond-Point, Café de la Danse), Orléans, Cherbourg, Lyon, au Petit Quevilly, à New York ou à Bruxelles (un disque a été édité par Actes Sud). Mais Olivier Py a également joué dans des spectacles mis en scène par Jean-Luc Lagarce, François Rancillac, Pascal Rambert, ou dans des longs-métrages signés Jacques Maillot, Cédric Klapisch, Michel Deville, Laurent Bénégui, Peter Chelsom ou Noémie Lvovsky il tient aussi un rôle dans son premier film : Les Yeux fermés, qu'il a réalisé en 1999 pour Arte. Depuis une dizaine d'années, Olivier Py a abordé la mise en scène d'opéra. Il en a signé sept à ce jour : Der Freischütz de C. M. von Weber à l'Opéra de Nancy (1999), Les Contes d'Hoffmann de Jacques Offenbach (2001) et La Damnation de Faust d'Hector Berlioz (2003) au Grand Théâtre de Genève, Le Vase de parfums (musique de Suzanne Giraud, livret d'Olivier Py) à l'Opéra de Nantes (2004), Tristan und Isolde et Tannhäuser de Richard Wagner au Grand Théâtre de Genève (2005), Curlew River de Benjamin Britten (Edimbourg, 2005). Lauréat de la Fondation Beaumarchais et boursier du Centre national du Livre, Olivier Py s'est vu décerner le Prix Nouveau Talent Théâtre/SACD (1996) ainsi que le Prix Jeune Théâtre de l'Académie Française (2002). Certains de ses textes sont disponibles aux Solitaires Intempestifs, aux éditions Grandvaux, à L'École des loisirs, chez Bayard ou ARTE éditions ; la plupart de son œuvre est éditée chez Actes Sud (qui a notamment publié en 2005 son premier roman, Paradis de tristesse, chez Acte Sud). Son théâtre a été traduit en anglais, italien, allemand, slovène, espagnol, roumain et grec. 27 sept. › 10 nov. 07 Ateliers Berthier / 17e Homme sans but création d'ARNE LYGRE mise en scène CLAUDE RÉGY traduit du norvégien par Terje Sinding scénographie Sallahdyn Khatir lumière Joël Hourbeigt son Philippe Cachia avec Axel Bogousslavsky, Jean-Quentin Chatelain, Marion Coulon, Bénédicte Le Lamer, Redjep Mitrovitsa, Bulle Ogier production : Les Ateliers Contemporains, Odéon-Théâtre de l'Europe, Festival d'Automne à Paris, Théâtre National Populaire - Villeurbanne, Usine C - Montréal avec la participation du Théâtre national de Bretagne - Rennes Le texte sera publié aux Editions de l'Arche Extrait FRÈRE Ce sera peut-être… une jolie ville. PETER Ce sera. FRÈRE Ici ? PETER Ne recommence pas ! FRÈRE Tout ça parce qu'on s'est Découvrir, mettre en scène : s'il est un artiste chez qui ces deux gestes n'en font qu'un, c'est Claude Régy. Ce maître passeur cherche inlassablement «comment amener chacun à renouveler, lui-même, de façon autonome, sa sensation du monde», ainsi qu'il l'écrit en 1991 dans Espaces perdus. L'intrigue d'Homme sans but, qui se développe sur près de trente ans, pourrait se résumer en quelques mots, mais ces mots en trahiraient aussitôt la subtilité et les secrets. Sobre et claire, la langue d'Arne Lygre (un auteur norvégien qui jouit déjà d'une solide réputation dans son pays) construit par petites touches un vertige à la fois très concret et presque métaphysique : la banalité quotidienne semble baigner dans la brume d'un mythe à demi oublié, où le réel, pareil au «bougé» des photographes, ne se laisse jamais saisir sans incertitude. Claude Régy, pour cette nouvelle exploration, s'est entouré d'acteurs hors pair, dont certains (Bulle Ogier, Axel Bogousslavsky, Jean-Quentin Chatelain) sont familiers depuis longtemps de son exigence. engouffrés dans ce fjord ? PETER Sans ça je n'aurais pas découvert cet endroit. Claude Régy, Arne Lygre FRÈRE Et tes affaires ? PETER Je les liquide. J'investirai l'ar- Une volonté constante de «travailler sur des écritures en train de se faire» a conduit Claude Régy à rencontrer, depuis plus d'un demi-siècle, «des écrivains qui refusaient le didactisme et restaient révolutionnaires par l'écriture, la force de la pensée» (Espaces perdus, 1991), faisant de lui l'un des premiers metteurs en scène du théâtre de Marguerite Duras ou de Nathalie Sarraute, mais aussi l'infatigable passeur d'auteurs tels qu'Edward Bond, Peter Handke, David Harrower, Sarah Kane, Gregory Motton, Harold Pinter, James Saunders, Tom Stoppard, David Storey, Botho Strauss, entre autres. Depuis 1999, date à laquelle il crée une première pièce du Norvégien Jon Fosse, Claude Régy s'intéresse au domaine nordique. Son nouveau projet est la troisième pièce d'un jeune compatriote de Fosse. Arne Lygre est né à Bergen en 1968. Son premier texte dramatique, Maman et moi et les hommes, qui lui valut d'être connu en Norvège dès 1998, vient d'être mis en scène au Mans par François Chevallier. Il est aussi l'auteur d'un recueil de nouvelles, Tid inne (Il est temps), qui a obtenu la plus prestigieuse des distinctions littéraires norvégiennes, le prix Brage. Son premier roman, Et siste ansikt (Un dernier visage), a été publié en 2006 ; sa pièce la plus récemment montée, Skygge av ein gutt (L'Ombre d'un garçon), composée en 2003 et créée à Oslo, au Théâtre Norvégien, trois ans plus tard, lui a valu une nomination pour le Prix Ibsen 2007. Homme sans but, sa dernière œuvre dramatique à ce jour, a été publié et créé en Norvège en 2005. «Nous voyons là,» note Régy, «avec un traitement du temps très libre, une cité se construire sur une terre vierge. Et puis cet empire d'un homme fortuné est réduit gent ici. Je réunirai tout en un seul endroit. FRÈRE Tu liquides tout ? PETER J'ai besoin de me lancer dans autre chose. Dans quelque chose qui pourrait ne pas réussir. Frère ne répond pas. Ils restent un instant silencieux. FRÈRE Et après ? PETER Quoi ? FRÈRE Si jamais ça ne réussit pas ? PETER C'est ça la différence. FRÈRE Comment ? PETER Entre ceux qui réussissent et les gens comme… toi. Si jamais. Si jamais. Si jamais. Il y a toujours un risque. FRÈRE Tout liquider. Pour ça ? PETER C'est tout de même une idée… au pillage, à la destruction. Les objets pourraient laisser la place à des êtres, mais les êtres, eux-mêmes réduits à l'infime pellicule d'une apparence éphémère, sont devenus des objets marchands, jusqu'au plus bas degré de l'Éros prostitué. On est très au-delà du jugement.» exaltante. Peter s'assied sur une pierre. Il sort une bouteille thermos de son sac, verse du café dans deux gobelets et en tend un à Frère. Frère s'assied à côté de lui. «Simplement, comme un état du monde» FRÈRE Exaltante ? PETER Cette possibilité. Quelles que soient ses implications et sa complexité, la pièce reste en état d'apesanteur. Frère ne répond pas. Ils boivent. Frère se met à rire bruyamment. Peter le regarde. Frère se calme. FRÈRE Qui voudra habiter ici PETER Des milliers de gens. ? Homme sans but, acte I (traduction de Terje Sinding) Le ton d'Arne Lygre est neuf. Il surprend par une extrême mobilité du temps. Une prostitution peu visible (grâce à un niveau de paiements élevé) met en place une réalité factice. Cette réalité semble ne pas avoir de poids mais il y a un trouble. Ce trouble, contre toute attente, agit comme une lumière sur le réel. Sans littérature une poésie est créée. Apparaît clairement que la réalité virtuelle a aussi une réalité. Un jeu de simulation s'installe au fur et à mesure d'improvisations. Cette vie, on voit bien qu'elle est, pour une part, falsifiée, mais l'évidence de la falsification ne nous empêche pas d'y croire. On demeure sur le flou d'une frontière indécise. Peu à peu une sensation s'infiltre, le monde ne glisse-t-il pas vers une situation où l'artificialité tient lieu de réel. Dans le même temps est à l'œuvre une réalité invisible qui pourtant nous atteint. La mort et la violence de la haine se révèlent être ce qu'il y a de plus fort et de plus constant chez l'homme. Tout est donné simplement, comme un état du monde. Un monde dont la véritable structure est dissimulée par son expansion même. La lumière apparente est calme — il y a des éclats — la lumière est froide, celle de la glace. Une poussière de neige transforme l'image en croquis. Par la couleur rouge — le pourpre, l'écarlate — s'évoque la destruction de Babylone (la grande prostituée de l'Apocalypse) où s'entassaient le stupre et les richesses. Ici, une cité construite sur une terre vierge est soumise au pillage. Les objets pourraient laisser la place à des êtres, mais les êtres, eux-mêmes réduits à l'infime pellicule d'une apparence éphémère, sont devenus des objets marchands, jusqu'au plus bas degré de l'Éros prostitué. Les théorèmes, les équations — ce texte leur ressemble — n'ont pas de morale. Par contre, on sait que la démence développe une lucidité extrême. Alors sans doute une lucidité extrême trahit une certaine forme de démence. Ce délire-là serait blanc. On voit la lucidité transpercer l'opacité. Mais tout à coup la neige a le gris de la cendre. Claude Régy, décembre 2006 9 › 27 oct. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e Le Bourgeois, la Mort et le Comédien (Les Précieuses ridicules, Tartuffe, Le Malade imaginaire) de MOLIÈRE mise en scène ÉRIC LOUIS - La Nuit surprise par le Jour dramaturgie Pascal Collin scénographie François Mercier costumes Thierry Grapotte lumières Bruno Goubert musique Fred Fresson avec Cyril Bothorel, Xavier Brossard, Claire Bullett, John Carroll, Yannick Choirat, Yann-Joël Collin, Catherine Fourty, Thierry Grapotte, Éric Louis, Élios Noël, Alexandra Scicluna et les musiciens Paul Breslin et Issa Dakuyo production déléguée La Nuit surprise par le Jour (conventionnée par la DRAC Ile-de-France) en coproduction avec La Comédie de Béthune, le Nouveau Théâtre de Besançon, la Maison de la Culture de Bourges et la Comédie de Valence avec la participation artistique du jeune théâtre national et du Théâtre national de Bretagne, avec l'aide de la Spedidam Éric Louis De 1987 à 1989, Éric Louis est élève comédien à l'École du Théâtre national de Chaillot sous la direction d'Antoine Vitez. Il rencontre DidierGeorges Gabily vers la même époque et participe au travail d'atelier sur «Phèdres et Hippolytes». Avec Stéphane Braunschweig, de 1990 à 1992, il crée les premiers spectacles du Théâtre Machine et joue dans Woyzeck, Tambours dans la nuit, Don Juan revient de guerre. Associé à la création du groupe T'CHAN'G, de Gabily, il est comédien, de 1991 à 1997, dans Violences, Enfonçures, Les Cercueils de Zinc, et dans le diptyque Dom Juan / Chimères. En 1992, il est l'un des cofondateurs de la compagnie La Nuit surprise par le Jour et joue dans une demi-douzaine de spectacles mis en scène par Yann-Joël Collin. Éric Louis a également participé à des spectacles mis en scène par Oskaras Korsunovas, Martine Charlet, Éric Lacascade, Paul Annen, Michel Didym. Le Bourgeois, la Mort et le Comédien est sa première mise en scène. Un tréteau, deux accessoires, trois bouts de planche, quelques costumes au décrochez-moi-ça, mais surtout une douzaine de comédiens qui se connaissent à fond, habités par une intelligence totale des textes, et quels textes ! Trois étapes marquantes dans la trajectoire artistique de Molière, que les interprètes de la compagnie La Nuit surprise par le Jour prennent d'assaut : d'abord la prose narquoise des Précieuses, puis les rigoureux alexandrins du Tartuffe, pour finir par le feu d'artifice musical et verbal, jouéchanté-dansé, du Malade imaginaire. Une nouvelle fable se crée ainsi sous les yeux du public, celle d'une troupe qui s'invente et se développe dans et par le théâtre de Molière. Un festival scénique qui triompha tout au long de sa tournée, un marathon de fantaisie, d'engagement et de générosité jaillissante, à voir en trois soirées ou en intégrale. Le théâtre en fête, l'art des apparitions, y proclame haut et fort sa vocation à dévoiler les apparences, à dénoncer tous les snobismes, à soumettre hypocrisie et prétention à l'épreuve imparable du ridicule. «La Nuit surprise par le Jour» : trois questions à Éric Louis «La Nuit surprise par le Jour» est-elle une troupe, une compagnie, un collectif, une utopie ?» On est en questionnement perpétuel par rapport à «La Nuit surprise par le Jour», comme on l'est par rapport à notre travail. C'est très difficile de lui donner un nom, car les noms comme «troupe» ou «collectif» ont des significations dans l'histoire du théâtre qui ne nous correspondent pas. Au départ, «La Nuit surprise par le Jour» n'est pas faite pour exister de façon permanente. C'est un endroit de rencontre autour d'un projet, à un certain moment, pour défendre une espèce d'utopie. Mais comme les conditions de production sont de plus en plus dures, et aussi parce qu'on a évolué, on commence à penser à de la permanence, avec des projets qui s'enchaîneraient un peu plus. Mais notre existence reste quand même uniquement liée à des projets. Comment s'est constituée «La Nuit surprise par le Jour» ? Il y a un noyau «historique», avec ceux qui ont travaillé à Chaillot, avec Stéphane Braunschweig, avec Gabily. Et il y a des gens qu'on rencontre sur des spectacles, dans des stages et qu'on sent capables de partager notre manière de travailler un peu particulière. Parce qu'on n'est pas seulement ensemble sur le plateau. On doit s'impliquer au-delà. Une aventure comme Le Bourgeois représente au moins un an et demi de vie. Ça engage plus que la part professionnelle de l'existence. Il est très rare que les acteurs participent à toutes les étapes d'un spectacle. Vous pouvez expliquer le mode de fonctionnement de «La Nuit» ? C'est assez difficile… On demande à tous (comédiens, créateur lumière, scénographe, créateur costumes…) d'être présents tout le temps en répétition pour pouvoir tout discuter ensemble, pour que chacun ait conscience de la totalité du projet, ait l'intelligence maximum de l'aventure. Mais on n'est pas exceptionnels, on a quand même des problèmes de gestion de groupe. On essaie simplement d'en avoir conscience et de les gérer tous ensemble. On fait dans la vie comme sur le plateau : on met les choses sur la table et on essaie de trouver des solutions. Au départ, on était élèves comédiens à Chaillot. Et on s'est rendu compte, quand on a commencé à travailler à l'extérieur, que la place du comédien est relativement stéréotypée : on lui demande d'être intelligent quand il est sur le plateau mais pas beaucoup plus. Seuls le metteur en scène ou le dramaturge sont conscients de l'ensemble du projet. C'est assez frustrant. Or quand on est porteur de l'ensemble du projet, on joue mieux, on trouve plus facilement sa place, on est plus impliqué, plus intelligent dans ses propositions. On est parti de ce constat. «Jusqu'au bout du jeu» Molière a toujours tenté de plaire au monarque absolu par le spectacle, qui seul justifie la puissance de la satire. Il y a ici de la farce, de la grande comédie en alexandrins, encore de la farce, de la comédie-ballet, toujours de la farce… Ces trois pièces ainsi ordonnées forment un cheminement de créations qui ne témoigne pas d'un progrès constant vers le haut comique et la gloire posthume, mais qui semble plutôt aller vers toujours plus de séduction, de divertissement, qui manifeste en tout cas une confiance dans le pouvoir du théâtre et qui, même dans ses égarements, dit la nécessité du jeu […]. D'autant que le jeu paraît finalement la seule morale de l'histoire. Si, comme il se doit à la fin de la comédie, l'ordre social se voit reconfirmé, ce n'est qu'au prix de trop visibles artifices, qui rendent assez vain son triomphe… Que nous reste-t-il au bout du parcours, à la fin du Malade imaginaire ? Ce que dit Béralde : «Tout ceci n'est qu'entre nous. Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres. Le carnaval autorise cela. Allons vite préparer toute chose.» Pas plus que dans les autres pièces, le malade n'est guéri. Tous en effet, et le bourgeois en particulier, sont aveuglés par la peur de leur condition humaine, peur de la mort. C'est là, peut-être, le rôle du comédien et de la comédie : rappeler que tout cela n'est qu'un jeu, puisque la guérison est illusoire. Reste donc la fête, avec tous, où chacun peut obtenir le plaisir de jouer […]. Notre fiction est donc celle d'une troupe allant jusqu'au bout du jeu, par laquelle Molière devient épique, non pas en tant qu'il raconterait une aventure, mais en tant qu'il est théâtre, pleinement, et que ce théâtre est une aventure. Éric Louis 7 › 11 nov. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e Moby Dick en italien surtitré création d'après HERMAN MELVILLE libre adaptation de FEDERICO BELLINI mise en scène ANTONIO LATELLA scénographie Antonio Latella costumes Gianluca Falaschi lumières Giorgio Cervesi Ripa son Franco Visioli avec Giorgio Albertazzi, Marco Foschi et Emiliano Brioschi, Marco Cacciola, Timothy Martin, Giuseppe Papa, Fabio Pasquini, Annibale Pavone, Enrico Roccaforte, Rosario Tedesco production : Teatro Stabile dell'Umbria et le Teatro di Rome Giorgio Albertazzi Certains voient en lui le plus grand acteur vivant du panorama théâtral italien (mémorable Hamlet, dans la mise en scène de Franco Zeffirelli, en 1964). Personnalité éclectique, aux mille facettes, Albertazzi est architecte, acteur, metteur en scène, auteur et photographe. Depuis 2002, il est directeur du Théâtre de Rome. Dans le Moby Dick de Latella, Giorgio Albertazzi sera Achab, le capitaine du Pequod. Il résidera scéniquement dans une pièce remplie de livres, surélevée par rapport au reste de l'équipage. Plus calme et plus réfléchi que dans l'ouvrage de Melville, Achab est souvent pure pensée, entité incorporelle, dimension de l'être plus que de l'événement. Il doit son nom à un roi biblique dont les chiens, à sa mort, ne voulurent pas même lécher le sang. Marco Foschi 29 ans, diplômé en 1999 de l'académie nationale d'art dramatique Silvio D'Amico, débute comme professionnel dans une Iphigénie à Aulis, avec Memè Perlini. En 2000, il fait la connaissance d'Antonio Latella. Foschi sera Mercutio dans Roméo et Juliette, Lefranc dans Haute surveillance, Robert dans Antonio Latella est de ceux pour qui la scène est expérience et voyage. Un voyage pictural et raffiné. Comme tous ses vrais créateurs, il veut voir chaque soir «lever l'ancre du théâtre». Aussi aime-t-il tenter, en compagnie d'un équipage fidèle, les traversées les .. plus inouies. Moby Dick est de celles-là. La chasse à la grande baleine blanche est sans doute (comme le note le collaborateur de Latella, Federico Bellini) «l'une des plus grandes métaphores que l'histoire de la littérature ait jamais produites». Le périple est animé par l'indéchiffrable désir d'un vieux capitaine. Quelles frontières de l'être ou de la connaissance cherche-t-il à franchir ? Latella a confié le rôle d'Achab à celui qui est sans doute aujourd'hui le plus grand acteur de la scène italienne : Giorgio Albertazzi. Son Achab, du haut de sa solitude environnée de livres, transmettra l'expérience de son savoir au jeune Ismaël incarné par Marco Foschi, une bête de scène avec qui Latella travaille depuis sept ans. «Lever l`ancre du théâtre» Un chant, une danse avec la mort, un tour de valse étourdissant, entre la vie et la mort... L'on ne peut affronter les paroles philosophiques de Melville sans participer au voyage d'un grand acteur qui, depuis longtemps, sillonne les ports du monde entier, les plateaux de tous les théâtres ; un homme qui n'a plus besoin de réciter les paroles, car c'est dans son être même qu'est la parole, tandis que la blancheur de ses cheveux reflète la blancheur aveuglante de quelque chose qui n'a peutêtre jamais existé, comme la Baleine blanche. «Par-dessus tout, c'est la blancheur de la baleine qui m'attirait. Mais comment puis-je espérer m'en expliquer ici ? Et pourtant, il faut que je m'explique, sinon tous ces chapitres pourraient se réduire à néant», dit Ismaël. «Parce que ce voyage était quelque chose de plus». Ce voyage, ce «quelque chose de plus», peut-être le perçoit-on dans la voix d'un capitaine tel que Giorgio Albertazzi plus que dans la vaine conceptualisation d'une idée de mise en scène : il est temps pour mes marins et pour moi d'avoir une nouvelle voix à écouter, pour pouvoir poursuivre le voyage que nous avons depuis longtemps commencé, à la recherche d'une voie à suivre ou d'une réponse à la question de savoir pourquoi, chaque soir, continuer à lever l'ancre du théâtre. Antonio Latella Querelle de Jean Genet, Pylade dans Pylade et Jan dans Bête de style, de Pier Paolo Pasolini, Gaveston dans Edouard II de Marlowe et Smitho/ Nundinio dans Le Banquet des Cendres de Giordano Bruno. Dans Moby Dick, il sera Ismaël, simple marin, celui qui survivra à la lutte contre la baleine blanche en s'accrochant au cercueil originellement destiné à Queequeg, tandis que l'équipage périt. C'est le témoin de l'histoire, celui qui est appelé à la raconter pour qu'elle ait lieu. Il est aussi celui auquel, le considérant comme son véritable interlocuteur, Achab transmettra sa connaissance avant de mourir. Ismaël est jeune, parfois effrayé, parfois le seul à se rendre compte de la folie dans laquelle il se sont embarqué. Très instruit, c'est pratiquement un intellectuel, mais il ignore tout du monde de la baleinière au moment de s'y embarquer. Il porte un nom biblique. Ismaël est le premier fils d'Abraham, l'autre étant Isaac qui, suite à l'intervention de Dieu, échappera au sacrifice prévu par Abraham. Ismaël est le fils d'une esclave à laquelle la femme d'Abraham, trop âgée pour pouvoir encore être mère, demanda d'accoucher à sa place. Mais, s'en étant repentie, elle demanda à Abraham de les chasser tous deux et Ismaël apprit ainsi à errer de par le monde parmi les parias, les oubliés de Dieu. Antonio Latella Né en 1967 à Castellammare di Stabia (Naples), Antonio Latella se forme à l'école du Teatro Stabile di Torino et à la Bottega teatrale, dirigée par Vittorio Gassman, à Florence. En 1986, il débute comme comédien et, en l'espace d'une dizaine d'années, interprète des spectacles dirigés par Walter Pagliaro, Vittorio Gassman, Luca Ronconi, Massimo Castri, Elio De Capitani, Antonio Syxty. Ses débuts de metteur en scène remontent à 1998, avec Agatha de Marguerite Duras. Dès lors, Latella s'affirme comme l'un des réalisateurs les plus intéressants de la scène italienne. En 2001, il remporte le prix spécial Ubu pour le projet «Shakespeare et au-delà», qui comprend ses relectures personnelles d'Othello (1999), Macbeth (2000), Roméo et Juliette (2000) et Hamlet (2001). La recherche radicale qu'il poursuit sur Shakespeare, dont il dirige également Richard III (2002), La Nuit des rois, La Tempête et La Mégère apprivoisée (2003), n'épuise pas son activité ; il transpose également sur scène trois textes de Genet, Haute Surveillance (2001), Les Nègres, Querelle, 2002 et Le Triomphe de Testori (2003). Il s'est récemment essayé aussi à l'opéra lyrique: en 2004 à l'Opéra de Lyon avec L'Orfeo de Monteverdi, et au Piccinni de Bari avec Orphée et Eurydice, de Gluck ; en 2005, au Sferisterio de Macerata avec La Tosca de Puccini. Mais c'est surtout son approche visionnaire de l'œuvre de Pasolini qui attire l'attention du public et de la critique sur son théâtre. Il réalise Pylade (2002) puis Porcherie (2003) et Bête de style (2004). La Cena de le ceneri en italien surtitré 14 › 18 nov. 07 (Le Banquet des cendres) Théâtre de l'Odéon / 6e d'après GIORDANO BRUNO mise en scène ANTONIO LATELLA adaptation et dramaturgie Federico Bellini scénographie Antonio Latella lumières Giorgio Cervesi Ripa costumes Emanuela Pischedda musique originale Franco Visioli chorégraphie Deda Cristina Colonna avec Marco Foschi, Danilo Nigrelli, Fabio Pasquini, Annibale Pavone production : Teatro Stabile dell'Umbria Spectacle créé le 3 octobre 2005 au Théâtre Mercadante - Naples Extrait Smitho Comment est-il possible que l'univers soit infini ? Teofilo Comment est-il possible que l'univers soit fini ? Smitho Voulez-vous donc qu'on démontrer cette infinitude ? Teofilo Voulez-vous donc qu'on démontrer cette finitude ? puisse puisse Smitho Qu'est-ce donc que cette dilatation ? Teofilo Qu'est-ce donc que cette limite ? Smitho Chaque chose prise dans l'univers comprend-elle à sa façon toute l'âme du monde ? Teofilo C'est bien cela. Smitho Les différences visibles dans les corps en tant que formes, figures, couleurs ne sont-elles rien d'autre qu'un visage différent d'une même substance ? Deuxième volet du diptyque Latella, et deuxième métaphore de ce voyage au long cours qu'est le savoir : après l'expérience de l'énormité et de la sauvagerie du monde, celle de la folle liberté de la pensée s'exposant à l'immensité du cosmos. Au roman-océan de Melville répond ici un dialogue que Giordano Bruno écrivit vers 1584 pour exposer sa doctrine hérétique la Terre n'est pas le centre du monde ; chaque chose a une âme propre ; surtout, l'Univers est infini, et au sein de cette infinité, comme le note Latella, chaque être singulier est à son tour un monde en soi, «chacun avec son corps-planète, chacun avec un rôle auquel donner vie et caractère mais des planètes appartenant toutes au même univers, à la même spirale qui s'enroule autour d'une lumière, d'une idée.» Plus qu'une doctrine obscure ou abstraite, ce sont les cheminements d'un homme vers la connaissance que Latella donnera à voir, sa marche errante à la conquête de sa liberté. «Le corps humain reproduit le monde» «Le philosophe aspire à surmonter son individualité... pour dilater son être fini dans la splendeur de l'infini, pour retrouver l'union avec la nature infinie. Penser à l'infini signifie, en particulier, se penser comme une partie minuscule d'un tout, manifester avec enthousiasme la certitude que même sa propre vie participe, proportionnellement, à l'incessant mouvement de l'univers.» Pour les nouvelles idées, Bruno a besoin de la parole, du mot sous toutes ses formes: le mot énoncé, le mot écrit, le mot arme dans les duels des principales villes européennes, le mot «théâtre». Le Banquet des cendres fonctionne comme une boîte chinoise où chaque niveau mène à un autre, puis à un autre encore ; il ne fournit aucune solution, mais se suspend, s'ouvre pour renvoyer à d'autres niveaux, aux «mondes infinis». Un cycle qui se répète, en formant une «spirale d'infinis univers». Teofilo représente le corps, la raison de la philosophie du Nolain. Smitho est le monde des gentlemen anglais qui aiment débattre de philosophie pour discerner ce qui est vrai et juste. Prudenzio est le classiciste pédant et obtus (souvent homosexuel), l'un de ces érudits si souvent malmenés par Giordano Bruno. Enfin, Frulla est le serviteur qui ne connaît ni savoir ni discipline (la nature, l'instinct). Dans le jeu métathéâtral qui passe de la narration à la discussion, ces personna- Teofilo C'est bien cela. Smitho Voulez-vous que ce qui est engendré et ce qui engendre soient faits de la même substance ? Teofilo Vous avez parfaitement compris. Smitho De sorte que ce monde vrai, universel, infini, immense, dans chacune de ses parties est un tout de sorte qu'il est lui-même contenu dans chaque partie ? Teofilo Voulez-vous donc que ce soit l'inverse ? Extrait du Banquet des cendres, d'après Giordano Bruno (adaptation : Federico Bellini) ges eux-mêmes jouent d'autres rôles qui leur sont plus propres ; ainsi seulement la métaphore du banquet peut devenir l'indispensable dispute, afin que Teofilo/Nolain puisse atteindre l'objectif et donc, comme dans le cinquième dialogue, l'essence, l'expression philosophale de Giordano Bruno – peut-être le summum de la théâtralisation, pour pouvoir dire l'indicible, la vérité, sans subir la censure des vulgarisateurs du verbe, la seule vérité (la parole de Dieu). «Nous autres sorciers sommes tous un peu plaisantins et acteurs. La sagesse (en admettant que certains réussissent à la conquérir) n'est pas accessible seulement par le biais du cerveau ; le corps aussi est nécessaire. Il n'est pas de sagesse sans l'union de la pensée, de la chair et du sourire.» Une fois encore, le corps donne sa forme à la nécessité d'être là. Le corps humain reproduit le monde. Ce n'est qu'après avoir retrouvé la pureté du corps que l'homme peut pousser son esprit vers la lumière, la sagesse, qui trouve son équilibre entre le fini (le corps) et l'infini (l'âme). Antonio Latella 27 nov. › 4 déc. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e Maeterlinck en français, allemand, néerlandais, anglais surtitrés d'après MAURICE MAETERLINCK mise en scène CHRISTOPH MARTHALER dramaturgie Koen Tachelet scénographie Frieda Schneider, Anna Viebrock costumes Sarah Schittek lumières Dennis Diels musique Rosemary Hardy piano Bendix Dethleffsen avec Marc Bodnar, Wine Dierickx, Rosemary Hardy, Hadewych Minis, Frieda Pittoors, Sasha Rau, Graham F. Valentine, Steven Van Watermeulen production : NTGent, Toneelgroep Amsterdam en coproduction avec Odéon-Théâtre de l'Europe, Paris et Stadsschouwburg Amsterdam créé le 14 mars 2007 au NTGent schouwburg Maeterlinck, d'après l'œuvre de Maurice Maeterlinck, comprend des extraits des textes suivants : Les sept princesses .. Visions typhoïdes Bulles bleues : souvenirs heureux L'intelligence des fleurs La princesse Maleine Le trésor des humbles Intérieur L'intruse Pelléas et Mélisande Les Quinze chansons Musique : Pelléas et Mélisande (Debussy) La Messe des pauvres (Satie) Tendrement (Satie) Chant ecclésiastique (Satie) Chorals 5 et 6 (Satie) Les Pantins dansent (Satie) Carmen (Bizet) Nocturne (Mozart) Le Baiser de ma mère (Bovet) Schoon is de lente (Worp) Lamento et finale de Didon et Enée (Purcell) The Ninety-Nine (Sanky / Clephane) Die Mädchen mit den verbundenen Augen (Zemlinsky) Devinette : qu'est-ce que Maeterlinck ? Réponse : c'est un Marthaler. Autrement dit, une combinaison unique d'humour et de mélancolie, de lucidité critique et de légèreté enfantine. Et puis des comédiens extraordinaires, une population d'êtres un peu perdus, maladroits, solitaires ou plutôt ensemble sans l'être, vêtus de nylon gris perle ou de percaline à fleurs, «patientes ouvrières» perdues dans leurs pensées au fond d'un atelier de confection décati ou contremaîtres «embarrassant le travail, bousculant, bousculés, ahuris, importants, tout gonflés d'un mépris étourdi et sans malice». Des gens qu'on dirait taciturnes s'ils n'interprétaient soudain des airs comiques ou sublimes, un tube en langue hollandaise ou un lamento de Purcell. Quant à Maurice Polydore Marie Bernard Maeterlinck poète, dramaturge, observateur passionné de la vie des insectes sociaux, il est celui dont une dizaine d'ouvrages (de Pelléas au Trésor des humbles) hantent ce Marthaler-ci, sous l'épigraphe suivante : «Un grand nombre de nos pensées attaquent notre âme par-derrière.» Un être de foule Pour l'instant, il suffit d'appeler l'attention sur le trait essentiel de la nature de l'abeille qui explique l'entassement extraordinaire de ce travail confus. L'abeille est avant tout, et plus encore que la fourmi, un être de foule. Elle ne peut vivre qu'en tas. Quand elle sort de la ruche si encombrée qu'elle doit se frayer à coups de tête un passage à travers les murailles vivantes qui l'enserrent, elle sort de son élément propre. Elle plonge un moment dans l'espace plein de fleurs, comme le nageur plonge dans l'océan plein de perles, mais sous peine de mort il faut qu'à intervalles réguliers elle revienne respirer la multitude, de même que le nageur revient respirer l'air. Isolée, pourvue de vivres abondants et dans la température la plus favorable, elle expire au bout de quelques jours, non de faim ou de froid, mais de solitude. L'accumulation, la cité, dégage pour elle un aliment invisible aussi indispensable que le miel. C'est à ce besoin qu'il faut remonter pour fixer l'esprit des lois de la ruche. Dans la ruche, l'individu n'est rien, il n'a qu'une existence conditionnelle, il n'est qu'un moment indifférent, un organe ailé de l'espèce. Toute sa vie est un sacrifice total à l'être innombrable et perpétuel dont il fait partie. Il est curieux de constater qu'il n'en fut pas toujours ainsi. On retrouve encore aujourd'hui parmi les hyménoptères mellifères, tous les états de la civilisation progressive de notre abeille domestique. Au bas de l'échelle, elle travaille seule, dans la misère ; […]. Elle forme ensuite des associations temporaires […] pour arriver enfin, de degrés en degrés, à la société à peu près parfaite mais impitoyable de nos ruches, où l'individu est entièrement absorbé par la république, et où la république à son tour est régulièrement sacrifiée à la cité abstraite et immortelle de l'avenir. Ne nous hâtons pas de tirer de ces faits des conclusions applicables à l'homme. Maurice Maeterlinck : La Vie des abeilles, livre premier, VII-VIII. Christoph Marthaler «Je suis Suisse, on n'y peut rien changer», dit de lui-même Christoph Marthaler, qui est en effet né à Erlenbach, dans le canton de Zurich, en 1951. Ses études musicales – il travaille entre autres le hautbois et la flûte – l'amènent à tenter quelques expériences de free jazz à base d'instruments anciens. Formé à l'école de Jacques Lecoq, dont il suit les cours pendant deux ans sans renoncer à la musique, il travaille pendant les années 70 au Neumarkttheater de Zurich, aux côtés de Horst Zanki, en tant que musicien de théâtre. En 1979, il fait à ce titre une tournée à travers toute la Suisse au sein du «Schaubude» de Peter Brogle. Ses premiers projets musico-théâtraux, d'inspiration néo-dadaïste (Erik Satie, Kurt Schwitters) datent du début des années 80 et sont présentés sur des scènes alternatives zurichoises. Dans la décennie suivante, ses mises en scène au Théâtre de Bâle (où il est invité par Frank Baumbauer dès 1988), au Festival de Salzbourg, à la Deutsche Schauspielhaus de Hambourg et à la Volksbühne de Berlin confirment sa réputation de créateur théâtral, dont les œuvres contribuent à abolir les distinctions entre théâtre à texte et théâtre musical. Vers cette époque, Marthaler aime à élaborer, à partir de la forme simple et traditionnelle que constitue le récital chanté, plusieurs spectacles qui donnent à voir l'«helvétitude», si l'on peut dire, à travers des chants de l'armée suisse, ou à l'occasion du sept-centième anniversaire de la Confédération. Mais le spectacle légendaire qui lui valut une notoriété internationale, monté en 1993 à la Volksbühne, fut un requiem pour la RDA (Murx den Europäer ! Murx ihn ! Murx ihn ! Murx ihn ab !, 1993). La même année, Frank Baumbauer est nommé à la tête du Schauspielhaus de Hambourg et offre à Marthaler l'occasion de créer certains de ses spectacles les plus mémorables : Faust. Wurzel aus 1+2 (Faust. Racine de 1+2) d'après Goethe ; Die Hochzeit (Le Mariage), de Canetti ; Kasimir und Karoline, de Horváth ; ainsi que les projets Die Stunde Null oder Die Kunst des Servierens (L'Heure zéro ou L'art de servir), qui tourna dans le monde entier, et Die Spezialisten, ein Gedenktraining für Führungskräfte (Les Spécialistes, un entraînement mémoriel pour cadres). Peu à peu, comme on voit, Marthaler a commencé à explorer un répertoire théâtral plus classique (L'Affaire de la rue de Lourcine, de Labiche, une de ses premières tentatives en ce genre, remonte à 1991). Du côté de la Volksbühne, des travaux inspirés de Shakespeare ou Tchekhov succèdent à Murx den Europäer… ; c'est également sur cette scène qu'il met en scène La Vie parisienne, d'Offenbach, sous la direction de Sylvain Cambreling. En étroite collaboration artistique avec Cambreling, Marthaler devient dès lors un metteur en scène d'opéras : Pelléas et Mélisande de Debussy, Luisa Miller de Verdi, Fidelio de Beethoven, Pierrot Lunaire / Quatuor pour la fin du temps de Schönberg / Messiaen, Katia Kabanova de Janacek, Les Noces de Figaro de Mozart… Marthaler, qui a dirigé de 2000 à 2004 le Schauspielhaus de Zurich (où il a mis en scène, entre autres, Was ihr wollt (La nuit des rois) et Dantons Tod (La Mort de Danton), présentés à l'Odéon-Théâtre de l'Europe), est aujourd'hui reconnu comme l'un des principaux metteurs en scène du domaine allemand. Il a obtenu le Prix Konrad Wolf 1996 (décerné par l'Académie de Berlin), le Prix Nestroy, le Prix du Théâtre Européen. En 1997, il a partagé le Prix de Théâtre du Land de Bavière avec sa décoratrice et costumière attitrée, Anna Viebrock ; il a également été distingué par le Prix Fritz Kortner. 8 › 16 déc. 07 Théâtre de l'Odéon / 6e Krum en polonais surtitré d'HANOKH LEVIN mise en scène KRZYSZTOF WARLIKOWSKI scénographie Malgorzata Szczesniak musique Pawel Mykietyn lumières Dariusz Adamski son Lukasz falinski avec Stanislawa Celinska, Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, Miron Hakenbeck, Marek Kalita, Redbad Klynstra, Pawel Kruszelnicki, Zygmunt Malanowicz, Adam Nawojczyk, Maja Ostaszewska, Jacek Poniedzialek, Anna Radwan-Gancarczyk, Danuta Stenka coproduction Tr Warszawa et Stary teatr de Cracovie créé le 20 juillet 2005 au Festival d'Avignon Krzysztof Warlikowski Krzysztof Warlikowski est né en 1962 à Szczecin, en Pologne. Après des études d'histoire de la philosophie à l'Université Jagellonia de Cracovie et un séjour d'un an à Paris (au cours duquel il étudie l'histoire du théâtre à l'École Pratique des Hautes Études), il entame une formation à la mise en scène dès 1989 à l'Académie du Théâtre de Cracovie, où il signe ses .. premiers spectacles, d'après Dostoïevski et Elias Canetti. En 1992-1993, il est successivement l'assistant de Peter Brook sur Impressions de Pelléas (Paris, Bouffes du Nord, 1992), puis de Krystian Lupa sur Malte, d'après Rilke (Cracovie, Stary Teatr, 1992). Giorgio Strehler soutient et supervise son travail d'adaptation et de mise en scène d'A la recherche du temps perdu, d'après Proust (Milan, Piccolo Teatro, 1994). La même année, Warlikowski entame un cycle Shakespeare, montant six de ses pièces entre 1994 et 2003, tout en abordant le théâtre tragique grec (Sophocle, Euripide) et le domaine contemporain : Kafka (Le Procès, 1995), Koltès (Roberto Zucco, 1995 ; Depuis sa mort en 1999, l'audience internationale de Hanokh Levin ne cesse de s'étendre. Kroum l'ectoplasme est l'une des meilleures introductions qui soient à son univers. La scène est située dans un quartier populaire d'une ville non identifiée. Les quelques spécimens d'humanité que l'on y croise n'ont jamais fait grand-chose pour en sortir. On se marie, on meurt ; on reste là, englué dans une sorte de paralysie, tout en rêvant d'une vraie vie qui serait, c'est sûr, tellement mieux, ailleurs… Ancien assistant de Lupa, de Brook, de Strehler, ex-enfant terrible des scènes, Warlikowski est aujourd'hui reconnu comme le digne héritier de la grande tradition théâtrale polonaise. Après ses succès dans les opéras du monde entier ou au Festival d'Avignon, le premier spectacle qu'il présente à l'Odéon est caractéristique de sa manière : toute en style et en simplicité, au service d'une troupe de comédiens admirable. Entretien avec Krzysztof Warlikowski Dans une interview, vous avez dit que le théâtre ne devait pas être beau et que la beauté au théâtre endort… C'est un peu provocateur, bien sûr… Je crois que si la beauté vient toute seule, c'est très bien, mais qu'elle ne doit pas être l'objectif premier du travail. La beauté vient de la profondeur du sujet qu'on traite, du sens, de ce qu'on peut comprendre. Vous ne travaillez que sur des textes dramatiques ? Jamais sur des adaptations d'œuvres romanesques ? Je crois que les romans ne sont pas des matières théâtrales. Ce sont des univers très forts, comme chez Rilke, Musil, Dostoïevski… Mais au théâtre, il faut avoir un .. entretien, un dialogue très précis, et prendre le temps nécessaire. La description ou la narration des univers ne m'intéresse pas… Je l'ai tenté avec À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, mais je ne sais plus pourquoi. Pour moi, au théâtre, nous devons parler directement au public de ce qui le concerne, pour le réveiller, pour faire vivre des moments ici, maintenant, ensemble… Ce n'est pas la recherche de l'Art qui doit nous préoccuper. La tragédie antique ressemble à ce qui se passe à l'église où l'on communie dans des rituels. Quai Ouest, 1998), Matéi Visniec, Gombrowicz, Sarah Kane (Purifiés, 2001). Warlikowski a présenté son travail à travers l'Europe : dans toute la Pologne, mais aussi aux Kammerspiele de Hambourg, au Staatstheater de Stuttgart, à Zagreb, au Holland Festival, au Festival d'Avignon, au Festival Europalia, au Schauspiel de Bonn, au Festival Theater der Welt, au Staatstheater de Hanovre, au Centre dramatique national de Nice, ainsi qu'en Israël. Depuis quelques années, Warlikowski est également un metteur en scène d'opéra : citons entre autres The Music Programme, de Roxanna Panufnik (2000), Don Carlos, de Verdi (2001), Ubu Roi, de Krzysztof Penderecki (2003), Iphigénie en Tauride, de Gluck (2006) et tout dernièrnement L'Affaire Makropoulos, de Leos Janacek (2007). Hanokh Levin Né à Tel-Aviv en décembre 1943, Hanokh Levin est mort prématurément d`un cancer en août 1999. Il est l`auteur d`une œuvre considérable qui comprend des pièces de théâtre, des sketches, des chansons, de la prose et de la poésie. Également metteur en scène, il a monté la plupart de ses pièces. Cofondateur de l`Association des auteurs dramatiques israéliens, il a milité pour l`amélioration du statut et des droits du dramaturge dans son pays. Il a participé à la création de la revue Teatron et, jusqu’à sa mort, a fait partie de son comité de rédaction. Son théâtre s'interroge toujours sur la finalité d'une existence fondamentalement vouée à l'échec. Le théâtre doit être ritualisé ? C'est un rituel, comme au Parlement où l'on échange des points de vue, ou comme à l'église. Mais la vraie question, c'est : qu'est-ce que le théâtre ? C'est un endroit où l'on va éteindre les lumières et où le public va voir quelque chose qui n'est pas vrai, où il lui sera interdit de tuer les comédiens, même s'ils jouent un personnage mauvais, interdit d'embrasser une femme même nue à ses pieds, etc. C'est un rituel à suivre qui répond à un besoin abstrait du public de venir s'enfermer dans une salle sombre pour radoter, délirer… C'est étrange, non ? Un observateur extérieur, un Esquimau, par exemple, pourrait se poser des questions sur cette nécessité de rester enfermés pendant des heures, parfois douze heures sinon plus, avec des gens qu'on ne connaît pas, excités à écouter Claudel… Comment vous est venu le désir de monter Kroum ? Après avoir fait beaucoup de grands textes, j'ai eu la sensation d'être arrivé au terme de quelque chose, un peu fatigué d'avoir beaucoup travaillé sur les grands thèmes du théâtre et d'avoir tenté de parler de notre histoire polonaise, en particulier dans son rapport avec la communauté juive. À mon âge, je me suis posé la question de mes satisfactions, de mes désirs, de ma place dans la société, de mes insatisfactions… Que me restait-il à faire maintenant ? La question qui m'est apparue la plus évidente était celle de mon lien avec mon passé, avec mes parents, avec ma mère en particulier. J'ai senti comme un cancer en moi, une matière troublante, pas évidente, il m'a fallu oser me présenter avec ça devant le public. Il y a aussi deux thèmes très présents dans la pièce : la maladie et l'amour. Est-ce aussi cela qui vous a intéressé ? C'est la maladie qu'on retrouve aussi chez Sarah Kane… Ce sont deux forces, l'une dévastatrice, l'autre constructive. J'ai l'impression que l'amour, le désir physique, soit l'énergie de mon art. Pour Kroum, c'est la relation malsaine avec sa mère qui est son énergie. Si un jour il devient un artiste, ce sera à cause de cette relation, un peu comme Elfriede Jelinek qui trouve dans son rapport à sa mère la force de son écriture. Hanokh Levin était dans la même situation que Kroum… Alors peutêtre ne doit-on plus dire que cette relation mère-fils est malsaine… et se poser la question de savoir s'il est possible d'avoir une relation saine avec la personne qui vous a donné la vie. Extrait d'une interview réalisée par Jean-François Perrier, Festival d'Avignon, 2005 10 janv. › 23 fév. 08 Ateliers Berthier / 17e La Petite Catherine de Heilbronn création d'HEINRICH VON KLEIST mise en scène ANDRÉ ENGEL version scénique André Engel et Dominique Muller dramaturgie Dominique Muller son Pipo Gomes scénographie Nicky Rieti lumières André Diot costumes Chantal de la Coste-Messelière avec Gérard Desarthe, Evelyne Didi, Irène Jacob, Jérôme Kircher, Julie-Marie Parmentier (distribution en cours) production : Odéon-Théâtre de l'Europe, Le Vengeur Masqué Extrait WENZEL Ce n'est pas possible ! HANS Elle disparaît ? WENZEL En laissant tout derrière elle ? HANS Ses propriétés, son foyer et le fiancé à qui elle était promise ? WENZEL Sans même demander ta bénédiction ? THEOBALD Elle disparaît, mes seigneurs — M'abandonnant, moi et tout ce qui l'attache ici : le devoir, l'habitude et la nature — Elle pose un baiser sur mes yeux encore ensommeillés et disparaît. J'aurais préféré qu'elle me les ferme pour de bon. La Petite Catherine, traduction Pierre Deshusses, (œuvres complètes, t 4, Théâtre II, Gallimard, Le Promeneur, 1999) Une histoire impossible. Un défi à la mesure d'André Engel et de certains des comédiens qui le suivent depuis Léonce et Léna, Le Jugement dernier ou Le Roi Lear. Ces cinq acteslà tiennent un peu de tous les genres : feuilleton amoureux à rebondissements, La Petite Catherine est aussi à certains égards une chronique médiévale, un conte fantastique, un roman policier, une légende de cape et d'épée, un mythe intemporel, un poème mystique, une ballade populaire. L'intrigue est folle : pourquoi la petite Catherine a-t-elle un jour tout quitté pour suivre comme une somnambule le Comte von Strahl ? Comment la fille d'un simple armurier peut-elle prétendre épouser un aussi noble chevalier ? Et pourtant cela doit être. Mais pour que l'homme et la femme, ces deux pièces d'un puzzle onirique, puissent se rejoindre, c'est tout un monde qui devra être traversé. Et qui le sera comme s'il n'en fallait pas moins pour réinventer Ève et Adam. L'épreuve du feu Maintenant, Wilhelmine, je vais moi aussi te dire quel bonheur j'attends d'un futur mariage. Autrefois, je n'en avais pas le droit, mais maintenant – oh Dieu ! Quelle joie j'en ressens ! – Je vais te décrire l'épouse qui peut maintenant me rendre heureux – et c'est là la grande idée que je médite pour toi. L'entreprise est vaste, mais le but l'est également. Je consacrerai à cette tâche chaque heure que ma situation à venir me laissera libre. Cela donnera un attrait nouveau à ma vie et nous fera traverser plus vite le temps d'épreuve qui nous attend. Dans cinq ans, je l'espère, l'œuvre sera accomplie. Tu n'as pas à craindre que cette épouse rêvée ne soit pas de cette terre, que je ne puisse la trouver qu'au ciel. Je la trouverai ici-bas dans cinq ans et je l'étreindrai de mes bras terrestres – Je n'exigerai point du lys qu'il s'élève dans les airs aussi haut que le cèdre et ne demanderai point à la colombe de voler comme l'aigle. Je ne sculpterai pas dans la toile, ne peindrai pas le marbre. Je connais le bloc auquel j'ai affaire et je sais ce que j'en puis tirer. C'est un minerai avec de l'or natif et il ne me reste qu'à séparer le métal de sa gangue. Il a reçu de la nature son poids, sa sonorité, et l'épreuve du feu l'a rendu invulnérable, le soleil de l'amour lui donnera éclat et lumière, et je n'aurai plus, après cette opération chimique, qu'à me chauffer aux rayons que sa surface me renverra. Je sens moi-même combien ce langage imagé reste terne en comparaison de l'esprit qui m'anime – Oh ! si je pouvais seulement te communiquer un éclair du feu qui brûle en moi ! Si tu pouvais ressentir à quel point l'idée de faire de toi un jour un être parfait exalte en moi les forces vitales, aiguise les aptitudes, transforme mes énergies en vie et en activité ! Extrait d'une lettre à Wilhelmine von Zenge, Würzburg, 10/11 oct.1800 (trad. J.-Cl. Schneider, in Kleist : œuvres complètes, t. 5, Théâtre II, Gallimard, le Promeneur, 1999, pp. 131-132). Heinrich von Kleist Né en 1777, issu d'une famille de militaires, il fait ses études à Francfort avant d'entrer dans l'armée jusqu'en 1799, au sein de laquelle il participe au Siège de Mayence (1793). Il voyage dans divers pays d'Europe. Il écrit des nouvelles et des pièces de théâtre qu'il ne vit jamais représentées de son vivant. Il lance également plusieurs revues littéraires, qui restent éphémères. Soupçonné d'espionnage, il est incarcéré par les Français en 1807 pendant quelques mois au Fort de Joux. Après l'échec de sa dernière pièce Le Prince de Hombourg, il se suicide au bord du lac de Wannsee, près de Potsdam, avec son amie Henriette Vogel. Kleist est l'un des rares romantiques qui aient mis pleinement leur pensée en action. La recherche de l'absolu a été sa seule quête dans sa vie publique, littéraire et privée. Le suicide à deux, minutieusement préparé alors qu'il n'a que 34 ans, en sera l'ultime témoignage – son Penthésilée, où le vertige de l'amour est associé à celui de la mort, apparaissant désormais comme un signe prémonitoire. Sa vie chaotique, faite de passion et de déception aussitôt surmontée, d'une densité extrême, est tragique comme la plupart de ses textes. De la lignée de Shakespeare, il sait à merveille faire entrer dans des canevas classiques la barbarie et la démesure, le duel éternel du réel et de la subjectivité, l'impossible tentative de dépassement – hormis dans Le Prince de Hombourg. Chez lui, le rêve n'est jamais un refuge : bien plutôt un ferment de réconciliation avec le réel. L'être doit s'atteindre sans le secours de la raison, qui mène à une impasse, ni de la volonté, souvent stérile, mais à travers la grâce de l'abolition du Moi, qui seule délivre de ces vies «verrouillées de l'intérieur», si fatales à l'être humain. Il faudra attendre Nietzsche pour que la singularité encombrante de Kleist soit reconnue pour ce qu'elle est : la sublime «impossibilité de vivre» une existence privée d'absolu. Et Nietzsche cite la lettre, où Kleist dit comment la lecture de Kant l'a réduit au désespoir, lui retirant tout but, une existence condamnée au relatif devenant l'«incurable» même. Principales œuvres : La Cruche cassée (1803), La Famille Schroffenstein (1801), Robert Guiscard (1803), La Marquise d'O... (1805), Michael Kohlhaas (1810), Penthésilée (1805-1807), La Petite Catherine de Heilbronn (1808), La Bataille d'Arminius (1808), Le Prince de Hombourg (1811). 24 janv. › 29 mars 08 Théâtre de l'Odéon / 6e L'École des femmes création de MOLIÈRE mise en scène JEAN-PIERRE VINCENT dramaturgie Bernard Chartreux scénographie Jean-Paul Chambas lumière Alain Poisson costumes Patrice Cauchetier avec Daniel Auteuil, Bernard Bloch, Michèle Goddet, Pierre Gondard, Charlie Nelson, Lyn Thibault, Stéphane Varupenne (distribution en cours) production : Odéon-Théâtre de l'Europe, Studio Libre Extrait Arnolphe. […] Ah ! ah ! si jeune encor, vous jouez de ces tours ! Votre simplicité, qui semble sans pareille, Demande si l'on fait des enfants par l'oreille ; Et vous savez donner des rendez-vous la nuit, Et pour suivre un galant vous évader sans bruit ! Tudieu ! comme avec lui votre langue cajole ! Il faut qu'on vous ait mise à quelque bonne école. Qui diantre tout d'un coup vous en a tant appris ? Vous ne craignez donc plus de trouver des esprits ? Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie ? Ah ! coquine, en venir à cette perfidie ? Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein ! Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein, Et qui, dès qu'il se sent, par une humeur ingrate, Cherche à faire du mal à celui qui le flatte ! Agnès. Pourquoi me criez-vous ? Arnolphe. J'ai grand tort en effet ! Agnès. Je n'entends point de mal dans tout ce que j'ai fait. En 1990, Daniel Auteuil traversait Les Fourberies de Scapin avec Jean-Pierre Vincent. Ils se retrouvent aujourd'hui pour aborder le plus grand succès dramatique que Molière ait connu de son vivant. Auteuil y tiendra le rôle que l'auteur s'était réservé : celui d'Arnolphe, «un homme», tel que le raconte Vincent, «obsédé par la tromperie féminine. Il s'est emparé d'une petite fille pour en faire un jour sa «femme idéale». Il l'a enfermée chez lui, à l'écart du monde, la laissant dans l'ignorance. Elle a grandi ainsi, dans ce qu'il appelle la sottise. Un jour, la jeune fille tombe amoureuse d'un jeune passant. Alors, pour la tirer des mirages de l'amour, notre homme a un urgent besoin que la fille fasse preuve de «raison». «Oui, mais, dit-elle, je suis sotte». C'est ainsi qu'elle lui échappe, pas si sotte…» Après avoir monté Jean-Luc Lagarce aux Ateliers Berthier, Jean-Pierre Vincent revient au répertoire classique et aux ors de la grande salle de l'Odéon pour des retrouvailles attendues avec un très grand acteur. En route vers L'École des femmes J'ai toujours eu un faible pour L'École des femmes de Molière, en tant que lecteur, en tant que spectateur. Il y a là quelque chose de radieux, une aurore de théâtre et d'humanité, et qui se mêle bientôt à je ne sais quoi de sombre et de sordide. Il faut bien qu'il y ait la nuit pour que le jour la chasse. L'École des femmes représente un saut dans l'œuvre de Molière. Et ce saut se produit durant la pièce : on y voit l'ancienne farce se métamorphoser en grande comédie, frôlant le drame. L'École des maris, qui la précède, était encore une petite forme, une démonstration gracieuse, mais limitée dans ses ambitions. Ici, d'acte en acte, on sent jaillir et grandir une veine poétique sans précédent, qui engage Molière dans la série des grands chefs-d'œuvre. On peut aisément tirer la pièce vers le noir (désespoir de vieillir, aventure sordide, imbécillité désolante…). Mais la leçon de la version historique de Louis Jouvet, que je n'ai fait qu'écouter, nous montre bien que la farce est sans doute la manière la plus sérieuse de traiter cette affaire «Arnolphe». On sait aussi que Molière s'engage ici dans un bras de fer, qu'il met les mains dans un feu qui va le brûler. Ce poème théâtral pour acteurs, si limpide et si simple en apparence, déclencha aussitôt des réactions (politiques et morales) extravagantes de violence. Et cela n'allait pas cesser durant quatre ans, car Molière ne baissait Arnolphe. Suivre un galant n'est pas une action infâme ? Agnès. C'est un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme : J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez prêché Qu'il se faut marier pour ôter le péché. Arnolphe. Oui. Mais pour femme, moi, je prétendais vous prendre ; Et je vous l'avais fait, me semble, assez entendre. Agnès. Oui. Mais à vous parler franchement entre nous, Il est plus pour cela selon mon goût que vous. L'École des femmes, V, iv, 1491-1515 pas les bras. La coterie bigote et réactionnaire ne voulait pas de cette «école» ? Il leur servit Tartuffe sous ses diverses formes ; il fit semblant de se divertir ailleurs avec Dom Juan, pour mieux revenir à la charge dans les trois derniers actes. Ce n'est qu'à la fin du Misanthrope, fourbu par ces luttes contre l'hypocrisie, qu'il laisse partir «au désert», avec Alceste, son engagement dans le monde. Ensuite, il daubera de diverses façons sur le bourgeois pour amuser toutes les galeries. Il y a un «avant-École des femmes», comme il y aura un «après-Misanthrope». Cette valeur de pamphlet doit aussi nous animer en montant la pièce aujourd'hui. Que nous raconte cette pièce, en effet ? Un homme (Arnolphe) obsédé par la tromperie féminine s'est emparé d'une petite fille (Agnès) pour en faire un jour sa «femme idéale». Il l'a enfermée chez lui, à l'écart du monde, la laissant dans l'ignorance. Elle a grandi ainsi, dans ce qu'il appelle la sottise. Un jour, la jeune fille tombe amoureuse d'un jeune passant (Horace). Alors, pour la tirer des griffes de l'amour juvénile, notre homme a un urgent besoin que sa prisonnière fasse preuve de «raison». «Oui mais, dit-elle, je suis sotte». C'est ainsi qu'elle lui échappe, pas si sotte. Combien de jeunes filles aujourd'hui sont enfermées «pour leur bien» (et pas seulement par des psychopathes) ? Combien de jeunes gens aujourd'hui sont abandonnés hors de l'école, dans un monde sans travail et sans attrait ? Et le jour où la classe responsable a besoin qu'ils soient raisonnables, ils mettent le feu : façon «sotte» d'affirmer leur existence et leur liberté bafouée. L'école ici n'est pas celle du feu, mais celle de l'amour et de la «nature» échappant radicalement à la contrainte peureuse. L'École des femmes, c'est aussi, ou d'abord, cela : l'explosion utopique de sentiments naturels, animaux, qui franchissent toutes les barrières de la raison raisonnante. Oh, pas chez des génies, pas chez des surdoués, non ! Agnès et Horace sont des personnes très ordinaires, loin du luxe baroque de Roméo et Juliette : une naïve et un gaffeur, comme on en voit dans les feuilletons, des ados comme il peut y en avoir tant. Et c'est là qu'intervient le miracle utopique qui transcende un récit qui pourrait patauger dans la médiocrité : l'intelligence leur arrive par des chemins ravissants, imprévisibles. Molière, l'inquiet, le tourmenté, plaide ici pour la gaîté profonde de la vie des sens. Et il y a encore d'autres apparitions. Il y a Chrysalde, «ami d'Arnolphe». Mais comment donc deux types aussi disparates peuvent-ils être amis ? Le grand bourgeois parisien permissif, voire libertin, avec le narquois tortionnaire ? C'est que le réel de Molière ne passe pas par le «réalisme» : il a toujours besoin de ces couples improbables qui mettent le monde en débat, qui discutent à perte de vue alors qu'ils n'ont rien à se dire, se prenant mutuellement pour des fous. C'est cela aussi, la vie. Il y a Georgette et Alain, les serviteurs recrutés eux aussi pour leur idiotie, et qui se libéreront de même qu'Agnès, parce que la raison (d'Arnolphe) devenue folie ne peut être vaincue qu'en revenant aux conceptions les plus simples, aux réflexes vitaux. Il y a un notaire, très sérieux, emporté par le flot de l'absurde bouffonnerie. Il y a enfin l'Amérique qui débarque, sous la figure du père exilé et qui a fait fortune, homo ex machina, sans qui l'histoire ne finirait pas comme un conte de fées. L'École des femmes, c'est un bouillon de théâtre, le drolatique s'y mêlant sans cesse à l'émotion, le mensonge à la sincérité, le touchant au répugnant. On y partage un moment historique en cinq actes où l'on voit l'humanité changer à vue, et changer aussi le regard qu'elle porte sur elle-même : une fête de l'esprit sur une histoire idiote. Jean-Pierre Vincent 8 › 22 mars 08 Ateliers Berthier / 17e Pinocchio spectacle pour enfant création d'après CARLO COLLODI texte et mise en scène JOËL POMMERAT scénographie et lumière Éric Soyer costumes Isabelle Deffin recherche sonore François et Grégoire Leymarie (distribution en cours) production : Compagnie Louis Brouillard, Le Centre Dramatique de Tours, Théâtre de Villefranche sur Saône, La Ferme de Bel Ebat / Guyancourt, Théâtre Brétigny, Le Gallia Théâtre / Saintes, Théâtre National de Bordeaux Aquitaine, Les Salins / Scène nationale de Martigues, Espace Malraux-Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie… Joël Pommerat Joël Pommerat est né en 1963 à Roanne. Auteur et metteur en scène, il fonde en 1990 la Compagnie Louis Brouillard, avec laquelle il crée plusieurs pièces, dont Pôles (1995) au Centre dramatique national des Fédérés, Treize étroites têtes (1997), Mon ami (2001) au Théâtre Paris-Villette, Qu'est-ce qu'on a fait ? (2003) au Centre dramatique national de Caen. Au monde (créé en 2004 au Théâtre national de Strasbourg avant de partir en tournée en France et à l'étranger), Le Petit Chaperon rouge à Brétigny-sur-Orge, D'une seule main (2005) au Centre dramatique de Thionville et Les Marchands (2006) au Théâtre national de Strasbourg. Pour Joël Pommerat, et pour tous ceux qui composent autour de lui, l'art de la scène est une affaire collective. Les éléments sensibles et perceptifs d'un spectacle ne viennent pas se surajouter à sa forme écrite, mais font d'emblée partie intégrante de son écriture. Bruits et musiques, corps et gestes, incidents impondérables nourrissent, au même titre que l'écriture, un processus de création qui ne peut se conduire qu'à plusieurs voix. Qui donc est-il, ce Pinocchio dont rêve Joël Pommerat et qu'il destine d'abord aux enfants ? .. Un être effaré, naïf, ravi donc plongé, ajoute-t-il, dans «un état profondément théâtral». Autour de Pinocchio, héros d'une fête musicale et douce, le paysage auquel songe Pommerat (qui vient de recevoir le Prix de Littérature dramatique pour sa dernière pièce, Les Marchands) tient plus des rêveries féeriques du Grand Meaulnes que de l'Italie de Collodi. Le spectacle jouera du contraste entre l'austérité sérieuse du réel et les prestiges de la fantasmagorie. Librement réinventé, ce Pinocchio où l'imagination enfantine se mesure à la dureté des «grandes personnes» partira «de la question de la paternité et de la pauvreté». Peut-on s'acquitter d'une dette de vie ? Comment devient-on grand tout en restant libre ? Joël Pommerat ne sait pas si les enfants se formulent de telles questions. Mais depuis qu'il a créé pour eux un Petit Chaperon rouge, il aime les histoires où elles se posent et sait qu'elles peuvent les captiver. «Quelque chose derrière l'action» Dans la manière, dans la forme de ce qui est dit, au théâtre, quelque chose est contenu, bien plus fort que dans les discours, les opinions et autres dénonciations irréprochables : à bas la guerre, non à l'argent, les autres ont tort, que meure la bêtise… C'est aussi dans la quête de la forme que peut se dégager au théâtre le sens dont nous avons besoin. En cela, je pense aussi qu'il est plus urgent de montrer que d'expliquer. Que c'est là, même, notre seul et essentiel travail au théâtre : montrer, quoi montrer, comment montrer. Et sans exclure le texte, non, car la parole doit être montrée elle aussi. Le théâtre ne sert aucune cause, au contraire, pour moi il doit empoisonner la réflexion et tenter de nous faire sortir de nous-mêmes. En cela, peut-être, il est politique. Quand j'écris, je vise quelque chose d'autre que l'anecdote. Quand nous travaillons, je dis souvent : «Non, ça, ça ne m'intéresse pas, c'est anecdotique», anecdotique, cela veut dire pour moi qu'il n'y a rien d'autre derrière la chose que le reflet de la chose elle-même. Les choses qui m'intéressent valent pour ce qu'elles sont capables de révéler d'autre, de différent, voire de contraire, c'est leur profondeur qui m'intéresse. Je vise quelque chose derrière l'action, les mots, la situation. Quelque chose qu'on Joël Pommerat est artiste associé à la Scène nationale de Chambéry et de la Savoie jusqu'en 2008. La Compagnie Louis Brouillard est en résidence au Théâtre Brétigny depuis 1997 et au Théâtre des Bouffes du Nord depuis 2007 pour trois années. Après un séjour à la Fonderie au Mans en mars 2007 en vue de préparer la prochaine création, Je tremble, la Compagnie Louis Brouillard va s'installer fin avril à Chambéry pour une nouvelle étape de travail. Je tremble verra le jour à Chambéry fin mai et sera présenté à Douai puis aux Bouffes du Nord en octobre 2007. ne doit pas pouvoir désigner simplement, quelque chose qui doit apparaître, quelque chose qui doit s'immiscer, se glisser entre les lignes des gestes et des phrases prononcées comme une réalité fantôme bien plus présente, bien plus forte sous cette forme que si elle était désignée par le texte ou par le jeu des interprètes, par leurs intentions affirmées, soulignées. Une réalité fantôme comme ces membres fantômes, ces jambes ou ces bras qui ont été amputés et dont la présence continue à se faire ressentir. Joël Pommerat (extrait de Théâtres en présence, éd. Actes Sud, Arles, 2007, pp. 25-27). 27 mars › 18 avril 08 Ateliers Berthier / 17e Tournant autour de Galilée création spectacle de JEAN-FRANÇOIS PEYRET texte de Jean-François Peyret et d'Alain Prochiantz scénographie Nicky Rieti lumières Bruno Goubert musique Alexandros Markeas avec Jeanne Balibar, Freddy Kunze, Olivier Perrier et Bibi (distribution en cours) production : tf2-Cie Jean-François Peyret Jean-François Peyret Pendant dix ans, jusqu'en 1994, Jean-François Peyret a d'abord codirigé le Sapajou Théâtre avec Jean Jourdheuil. Ensemble, ils traduisent et assurent la création française de plusieurs textes de Heiner Müller (De l'Allemagne, Odéon, 1983 ; Paysage sous surveillance, Bobigny, 1987 ; La Route des chars, MC93 Bobigny, 1988 ; Le Cas Müller, Festival d'Avignon, 1991). Peyret et Jourdheuil fabriquent par ailleurs une quinzaine de spectacles combinant divers matériaux traduits, montés ou écrits par leurs soins, notamment Le Rocher la lande la librairie, d'après Montaigne (Théâtre de la Commune d'Aubervilliers, 1982), Shakespeare les sonnets (Théâtre de la Bastille, 1989 ; MC93 Bobigny, 1990), Lucrèce la Nature des choses (MC93 Bobigny, 1990-1991), Le Loup et les sept Blanche Neige (MC93 Bobigny, 1993). En 1994, avec Sophie Loucachevsky, il réalise et anime le Théâtre-Feuilleton au Petit Odéon. Un an plus tard, il se lance dans un cycle en sept épisodes, le Traité des passions, qui l'occupe cinq ans à la MC93 Bobigny ; à cette occasion, il fonde une nouvelle compagnie, baptisée tf2. Le cycle se conclut par un épilogue inspiré de Il y a un mythe Galilée. Selon la vulgate, il est avec Copernic l'un des martyrs fondateurs du savoir moderne ; quant à l'Église qui le condamna, elle incarne les puissances obscurantistes du dogme et de l'autorité. Or Jean-François Peyret (qui a lu Brecht de près, et qui s'intéresse assez à la science pour cosigner des spectacles avec Alain Prochiantz, le neurobiologiste) interprète tout autre chose dans le destin de Galilée. Il y déchiffre l'avènement de la science-passion (comme on parle d'amour-passion), d'un désir de voir-savoir-pouvoir visant à se soumettre l'univers, dût-il pour cela se soumettre aux grands de ce monde. Aussi, entre foi et raison, Peyret convoquera-t-il d'autres figures afin de compliquer le débat : celle d'un sage méfiant (Olivier Perrier), pourceau d'Épicure flanqué de sa truie, qui aura pour mission ironique d'observer l'observateur ; celle aussi de la fille de Galilée, l'émouvante Virginia (Jeanne Balibar), digne Antigone de cet Oedipe qui s'ignore. Jouer avec Galilée Certains, et même des amis, remarquant que mon théâtre flirte depuis quelques années avec la science (je ne formulerais pas les choses ainsi, mais enfin…) me demandent parfois pourquoi, au lieu de tourner autour du pot, je ne monte pas la pièce qui par excellence traite du sujet, La Vie de Galilée de Brecht, chef-d'ouvre incontournable et qui brille dans le firmament du répertoire théâtral (image), un peu solitairement, tant il est vrai que le théâtre européen (il faudrait plutôt dire, continental) a comme évité, ignoré la science (et ses conséquences, la technoscience) à laquelle n'échappent ni nos vies privées ni notre vie publique. Brecht appelait ça l'âge ou l'ère scientifique. Alors, pourquoi je ne monte pas…, etc. ? D'abord, je ne monte jamais de pièces (j'ai même oublié pourquoi) ; ensuite j'en serais probablement incapable ; enfin un reste d'esprit brechtien entretient chez moi une vague méfiance quant à l'usage des classiques. […] Nous ne monterons pas La Vie de Galilée […]. À la place nous tenterons plutôt ce que Heiner Müller appellerait un commentaire, voire une anatomie de la pièce, nous autorisant ainsi quelques variations sur des thèmes de La Vie de Galilée . Matériau, oui, et matière à réflexion, terrain de jeu aussi. Non pas jouer la pièce, jouer avec ou la faire jouer, comme joue le vieux bois. Sur quoi jouer ou avec quoi ? Une entrée de jeu : le jeu curieux que Brecht joue avec le mythe de Galilée : car il s'agit bien d'un mythe, tout le monde connaît W. H. Auden, Projection privée/ théâtre public, présenté au Théâtre de la Bastille. À partir de 2002, il s'engage dans les trois épisodes d'une nouvelle recherche au long cours, Le Traité des formes, avec la complicité d'Alain Prochiantz, directeur du département de biologie de l'École Normale Supérieure (depuis au Collège de France). Ce cycle, qui a fait l'objet d'une publication en deux volumes aux éditions Odile Jacob, comprend trois épisodes : La Génisse et le Pythagoricien (TNS, puis Théâtre de Gennevilliers, 2002) ; Des Chimères en automne ou l'impromptu de Chaillot (Théâtre national de Chaillot, 2003) ; Les Variations Darwin (Théâtre national de Chaillot, 2004 ; TNS, Théâtre du Port de la Lune, Théâtre de Caen, 2005). Enfin, avec Le Cas de Sophie K. (Festival d'Avignon, 2005 ; Théâtre national de Chaillot, 2006), inspiré entre autres par l'œuvre et la personnalité de la mathématicienne Sophie Kovalevskaïa, Jean-François Peyret s'associe à Luc Steels, spécialiste de l'intelligence artificielle, pour poursuivre sous d'autres formes le dialogue inattendu de l'art et de la science contemporains. Jean-François Peyret, qui enseigne à l'université de Paris III, est depuis 2003 metteur en scène en résidence à l'Ircam. un peu l'histoire, tout le monde sait que Galilée s'est rétracté, nul n'ignore les démêlés du savant avec l'Église, chacun en connaît les enjeux : la raison contre la foi, le savoir contre le pouvoir, les Lumières contre les Ténèbres ; bref, se joue quelque chose comme la scène primitive de la science moderne. Eh bien, Brecht ne cherche pas à réécrire le mythe, mais à le déjouer pour en donner une nouvelle version, à le détruire pour tenir un autre discours : Galilée ne serait plus une victime mais un coupable, […] coupable d'avoir coupé définitivement la science du peuple pour la livrer aux puissants et aux intérêts qu'ils défendent. La rétractation n'est ni une tragédie ni une ruse de la raison dans l'histoire, c'est une erreur politique, une faute sociale. […] J'ignore si notre petit théâtre est capable de reprendre à son compte une telle question, et s'il peut être à la hauteur de ce qui taraude les esprits d'aujourd'hui […]. Soit, mais que fait-on quand ces questions font le siège de votre imagination, qu'on ne sait guère s'exprimer qu'au théâtre (que cette joie demeure !), et que, selon une formule célèbre, on a des picotements au ventre pour «y aller» ? Et y aller, c'est aller voir derrière ce mythe, de quelque manière qu'on le raconte, voir ce qui le motive, voir ce qui est peut-être le motif principal de la pièce, ce qui véritablement met en mouvement Galilée, et qu'il faudrait appeler la science-passion, comme on parle de l'amour-passion. Ces deux passions ne sont-elles pas du reste les deux grandes affaires de l'Occident ? […] Ce qu'il y a de plus beau, de plus fort dans la pièce, ce qui donne le plus envie de jouer avec, c'est la peinture de cette passion de savoir. Increvable et énigmatique, car, après tout, comment nous est né ce désir de lire le grand livre de la Nature, écrit en langage mathématique, comme on sait, au lieu de se contenter de contempler le paysage ? Et ce désir de connaître est-il aussi pur et désintéressé que les fondamentalistes de la science (on parle bien de recherche fondamentale, non ?) veulent nous le faire croire ? De même que l'amour-passion n'est pas seulement le désir de l'autre mais celui de sa possession voire de sa destruction, on sait que le désir de connaître cache mal le désir de devenir comme «maîtres et possesseurs de la nature» (Descartes), possesseurs, voire destructeurs. Le pur désir est désir de mort, disait l'Autre. Un jeu : qu'est-ce que la recherche de la vérité ? Et qui se cache sous le masque de l'homme de vérité ? Extrait de notes de Jean-François Peyret 22 › 31 mai 08 Ateliers Berthier / 17e Ivanov création en hongrois surtitré d'ANTON TCHEKHOV mise en scène TAMÁS ASCHER dramaturgie Géza Fodor, Ildikó Gáspár décors Zsolt Khell costumes Györgyi Szakács lumières Tamás Bányai musique Márton Kovács avec János Bán, Zoltán Bezerédi, Judit Csoma, Klára Czakó, Csaba Eröss, Ernö Fekete, Csaba Hernádi, Adél Jordán, Vilmos Kun, Gábor Máté, Béla Mészáros, Erika Molnár, Imre Morvay, Ervin Nagy, Szabina Nemes, Éva Olsavszky, Anna Pálmai, Réka Pelsöczy, Zoltán Rajkai, Ági Szirtes, Ildikó Tóth, Vilmos Vajdai, Máté Zarári production : Katona József Szinház, Budapest créé le 27 mars 2004 au Katona Theatre Tamás Ascher Tamás Ascher est né en 1949 à Budapest. Après sa formation à l'Académie de théâtre de Budapest en 1973, il devient metteur en scène au Théâtre Csiky Gergely à Kaposvar, puis au théâtre national de Budapest de 1978 à 1981, le théâtre est alors sous la direction de Gábor Székely et Gábor Zsámbéki. Depuis 1983, il est metteur en scène associé au prestigieux Théâtre Katona Jóseph, et conserve son rôle de directeur artistique à Koposvar. Il enseigne également à l'Académie de Théâtre de Budapest. À Kaposvár, Ascher a monté notamment Le Cercle de craie Caucasien de Brecht (1975), Les légendes de la forêt viennoise (1978), Casimir et Caroline (1982) d`Ödön von Horváth, En attendant Godot de Beckett (1975), Hamlet de Shakespeare (1980), Le Misanthrope de Molière (1991), La visite de la vieille dame de Dürrenmatt (1995), et Le lieutenant de Inishmore de Ostrovsky (2003). Dans un intérieur quelconque, quelque part dans une Europe des années 1960 ou 1970, quelqu'un traîne auprès d'un transistor allumé, projette vaguement d'organiser une soirée pour tuer le temps, et faute de mieux, noie son mal de vivre dans un flot de paroles ou d'alcool… Ivanov est la première de ses pièces que Tchekhov ait vu jouer. Jeune auteur, il se doutait si peu de ce qu'est censée être une atmosphère «tchékhovienne» qu'il pensait de bonne foi écrire une comédie. Ce détail n'a pas échappé à Tamás Ascher, familier de son oeuvre depuis plus de vingt ans : on rit souvent et franchement dans cet Ivanov décapé, où les portes battent le rythme d'une sorte de vaudeville de la banalité. La formidable troupe du Katona de Budapest arrache chacun des personnages à ses clichés ; ainsi incarnés, selon Jean-Pierre Thibaudat, ils «n'en apparaissent que plus nus et vulnérables. Proches de nous comme jamais.» Ivanov Tchekhov écrit Ivanov en 1887. Il a vingt-sept ans et exerce la médecine depuis 1884. Sa première pièce, Platonov, a été refusée par le Théâtre Maly cinq ans plus tôt. La deuxième, Sur la grand-route, adaptée d'une de ses nouvelles, a été interdite par la censure. Tchekhov a pourtant commencé a se faire un nom. Son premier recueil, Les contes de Melpomène, a été publié en 1885, et depuis 1886, il collabore régulièrement à un grand quotidien de Saint-Pétersbourg tout en fréquentant les milieux du théâtre. Après une nouvelle adaptation en un acte d'un de ses récits, il s'attaque à Ivanov. À son frère Alexandre, il confie en ce temps-là l'un de ses trucs de composition : «je mène tout l'acte tranquillement et doucement, mais à la fin, pan dans la gueule du spectateur !» Chacun des quatre actes d'Ivanov s'achève en effet sur une surprise ou sur un choc, dont la violence va croissant à mesure qu'avance le drame. C'est d'abord la brusque décision d'Anna Pétrovna d'aller retrouver, malgré sa maladie, son mari Ivanov à la soirée que donne Lébédev pour les vingt ans de sa fille Sacha ; c'est ensuite son arrivée inopinée alors qu'Ivanov et Sacha sont enlacés. À la fin du troisième acte éclate une scène atroce entre les deux époux, au cours de laquelle Ivanov, harcelé, accablé, ne peut s'empêcher d'insulter Anna Pétrovna, puis de lui révéler que sa maladie va bientôt l'emporter. La pièce s'achève, un an après les obsèques d'Anna Petrovna, par le suicide d'Ivanov devant Sacha, sa famille et les témoins rassemblés pour leurs noces. Au Katona, il a mis en scène Les Trois Sœurs (1985) et Platonov (1990) de Tchekhov, Ce soir on improvise de Pirandello (1994), Les Présidentes de Werner Schwab (1997), Arcadia de Tom Stoppard (1998), L'Opéra de quat'sous de Brecht (2001), Rêve d'automne de Jon Fosse et Ivanov de Tchekhov (2004). Ses nombreuses productions tournent dans les théâtres du monde entier. À Paris, Tamás Ascher a présenté Les Trois Sœurs à l'Odéon-Théâtre de l'Europe en 1988. Extrait du programme du Festival Passages07 Le Katona Le Katona József, théâtre public subventionné par la Ville de Budapest, est la plus célèbre des institutions théâtrales hongroises. Fondé en 1982, il se sépare alors du Théâtre National de Budapest sous la conduite de Gábor Székely, directeur général, et de Gábor Zsámbéki, directeur artistique. Ce dernier devient à son tour directeur général sept ans plus tard, Gábor Máté, Tamás Ascher et Péter Gothár étant metteurs en scène associés. En outre, Andor Lukáts ainsi que de nombreux artistes de la nouvelle génération sont régulièrement invités à y créer leurs spectacles. Le Katona a noué de nombreux liens avec le théâtre international et compte parmi les membres fondateurs de l'Union des Théâtres en Europe (UTE). La compagnie part souvent en tournée à travers le monde, se produisant à ce jour dans plus d'une soixantaine de villes, de Paris à Chicago, de Londres à Bogota, de Milan à Adélaïde. Les productions et les artistes du Katona ont été distingués par de nombreux prix, tant nationaux qu'internationaux. Mais un chef-d'œuvre de Tchekhov ne se réduit pas plus à quelques coups de théâtre que ne se laisse résumer la poésie poignante du temps tchékhovien qui s'écoule «tranquillement et doucement», dans un désœuvrement et un ennui traversés de soudains éclats d'ironie ou de violence, dans la banalité provinciale que hante le rêve d'une vraie vie. Et ses personnages inoubliables, loin d'être des caricatures dramatiques, «sont le résultat de l'observation et de l'étude de la vie. Ils se dressent dans mon cerveau,» écrit Tchekhov, «et je sens que je n'ai pas truqué d'un centimètre, pas faussé d'un iota». Après avoir achevé sa pièce, Tchekhov jette sur elle un regard rétrospectif : «les dramaturges d'aujourd'hui commencent leurs pièces avec exclusivement des anges, des scélérats et des bouffons... J'ai voulu être original : je n'ai pas fabriqué un seul scélérat, ni un seul ange (mais je n'ai pas pu éviter les bouffons), je n'ai accablé personne, n'ai justifié personne...» Puis il la confie au Théâtre Korch, à Moscou, moyennant huit pour cent de la recette. Les répétitions se déroulent dans des conditions catastrophiques. Les dix séances prévues se réduisent à quatre, dont la moitié, au goût de l'auteur, prend «l'allure de tournois où les artistes ont pu s'exercer à la logomachie et à l'engueulade. Seuls Davydov et Glama savaient leurs rôles, quant aux autres, ils se fiaient au souffleur ou à leur inspiration.» Le soir de la première, malgré les difficultés, les deux premiers actes sont bien accueillis. Mais après un entracte malvenu (placé au beau milieu du dernier acte !), quelques étudiants provoquent des incidents et la police doit intervenir. Tout rentre cependant dans l'ordre dès la deuxième représentation, mais la pièce reçoit un accueil critique mitigé. Ivanov est repris en 1889 à Saint-Pétersbourg et fait un triomphe. Tchekhov peut être content : «mon Ivanov continue à avoir un succès colossal. À SaintPétersbourg, il y a maintenant deux héros du jour : la Phryné de Sémigradsky, toute nue, et moi habillé». Un an plus tard, il écrit Oncle Vania. Notes sur Ivanov Ce qui m'intéresse avant tout dans les pièces de Tchekhov, ce sont les relations entre les êtres. Mais je n'ai pas voulu pour autant les dépouiller de leur climat, au contraire : j'ai essayé de créer une mise en scène avec une atmosphère très forte, bien que sans rapport avec celle de la tradition, avec la nostalgie tchékhovienne à laquelle nous sommes habitués. Mon Ivanov a lieu dans un monde froid, déprimant, qui nous est très familier… La scène est typique des années 60 et 70. Elle n'a rien à voir avec les décors originaux, mais décrit parfaitement la scène «intérieure», l'âme d'Ivanov, l'essence de son existence… La situation d'Ivanov est sombre, dépourvue de toute perspective. Il n'y a guère d'autre exemple, dans les grandes pièces de Tchekhov, où un protagoniste analyse son propre état d'esprit (contrairement aux autres personnages) et cherche à tout bout de champ à comprendre ce qui lui arrive. En même temps, il ne s'aperçoit pas de la ruine qui menace aux alentours… Tchekhov portait sur le monde, sur toutes les situations, un regard empreint d'un certain humour noir, même si le trait principal du rôle-titre est l'apitoiement sur soi-même. Je crois que la mise en scène ne doit pas viser à magnifier cette attitude, mais à l'éclairer d'une lumière sarcastique. Tamás Ascher 15 mai › 21 juin 08 Théâtre de l'Odéon / 6e L'Orestie création d'ESCHYLE mise en scène et adaptation OLIVIER PY décor, costumes Pierre-André Weitz lumières Olivier Py avec Michel Fau, Philippe Girard, Nada Strancar (distribution en cours) production : Odéon-Théâtre de l'Europe Extrait LE GUETTEUR Ô dieux, délivrez-moi de mon épreuve, depuis un an que je veille, couché la tête sur les coudes comme un chien sur le toit des Atrides à contempler le cortège nocturne des astres, messagers pour les mortels de l'hiver ou de l'été, maîtres brillants qui se distinguent dans le ciel, quand déclinent ou se lèvent leurs constellations et que je guette comme aujourd'hui la réponse d'une torche et son message en flammes surgi de Troie pour annoncer sa chute – puisque tels sont les ordres d'une femme au coeur d'homme et tel est son espoir. Dans la rosée de la nuit tourmentée, quand je me tiens sur ma couche sans rêves – car ce n'est pas le sommeil qui m'assiste, mais la crainte que le sommeil ne joigne mes paupières – ou quand je songe à siffloter, à chanter une chanson, pour en frotter la plaie de mon sommeil, alors mes larmes coulent et je gémis sur le malheur de ce palais où le plus noble des seigneurs ne règne plus comme autrefois. L'Orestie, traduction Daniel Loayza, (éditions Garnier Flammarion 2001). Auteur, c'est avec une comédie qu'Olivier Py aura ouvert la saison ; metteur en scène et meneur de troupe, c'est par une tragédie qu'il la conclut. Ou plutôt sur trois, car Py aime le théâtre dans les grandes largeurs et les histoires sans fin. Admirateur des Grecs et de Claudel, il songeait depuis longtemps à se mesurer aux «voix endeuillées» de la monumentale trilogie d'Eschyle ; son arrivée à l'Odéon lui en fournit l'occasion magnifique. Olivier Py retrouvera dans cette Orestie (dont la version française sera traversée de fragments en langue originale) des éléments qui sont au cœur de son idée du théâtre : l'énergie de rôles surhumains ; le souffle d'une langue souveraine assez puissante pour faire parler hommes et dieux, prêtant aux esclaves comme aux triomphateurs des accents d'une égale noblesse ; l'ampleur d'une vision où chant, musique et dramaturgie mettent leurs ressources, pardelà la réflexion civique, au service d'une théodicée. La tragédie n'est pas seulement politique Le théâtre de Dionysos n'est pas sur l'Agora. Ce qui, dans cette simple phrase, se donne à entendre sous forme d'un constat est beaucoup plus qu'un constat, si l'on précise que, dans l'espace civique des cités (poleis), c'est sur l'Agora, lieu par excellence du politique, que le théâtre a généralement sa place. De fait, en creusant ainsi symboliquement l'écart entre le théâtre et la politique, d'entrée de jeu j'entends marquer une rupture avec les lectures toutes politiques, voire toutes civiques, qui ont dominé les études sur la tragédie durant les dernières décennies. […] L'intelligence de la tragédie grecque commence par celle du théatron, c'est-à-dire le théâtre à la fois comme lieu et comme collectivité assemblée, dans l'espace civique et dans le temps de la cité. Deux faits retiennent donc l'attention. Le premier est placé sous le signe de la séparation. Au lieu de se côtoyer dans le même espace, le théâtre et l'assemblée ont quitté le lieu commun de toutes les manifestations civiques pour s'installer chacun en un lieu qui lui soit propre. Le second est marqué comme par une sorte de solidarité, car ils l'ont quitté en même temps et comme du même mouvement. Reste bien évidemment à déterminer sur lequel de ces deux faits l'accent doit porter. Si je choisis malgré tout d'insister sur la séparation plus que sur la solidarité, c'est d'abord parce que la politique n'est pas du théâtre, mais aussi, mais surtout parce que […] la tragédie n'est pas seulement politique. Depuis plusieurs décennies, pour tous ceux qui s'attachent au théâtre comme institution athénienne, la cause semblerait entendue. Politique, de part en part politique – et l'on ajoutera, pour faire bonne mesure, civique et démocratique –, est le théâtre, en l'occurrence la tragédie – et la comédie, mais Aristophane n'est pas ce qui m'occupe ici. Et de dérouler, à l'appui de cette affirmation, une longue liste de preuves […]. Un pas de plus, et l'on fait du théatron, entendu comme rassemblement des citoyens, une sorte de double à peine différencié d'une assemblée (ekklesia), «oubliant» apparemment – ce que les orateurs attiques, eux, n'oublient jamais – que la présence d'étrangers (sans même évoquer la question si controversée de celle des femmes) était constitutive de ce type très particulier d'assemblées. Pour éviter le risque de pareilles simplifications, dues à un trop évident désir de «politiser» intégralement tout ce qui est athénien, il n'est pas d'autre ressource que d'instaurer, une fois encore, un va-et-vient entre le théatron et les textes dont il accueillait la représentation. Quel que soit l'accent mis sur le caractère civique du théâtre, force est alors de reconnaître la profonde ambiguïté du fait théâtral, à la fois civique et tellement ouvert à ce qui n'est pas civique. […] En d'autres termes, l'univers tragique est tout sauf un fac-similé de la cité – cité dont Pierre Vidal-Naquet écrit qu'elle est, «dans sa structure même, une machine anti-tragique». Mieux vaut entrer résolument dans l'espace même de la représentation pour questionner ces textes qui sont tout ce qu'il nous reste des longues journées de théâtre auxquelles étaient conviés les citoyens. Nicole Loraux : La Voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Gallimard, 1999, pp. 28-30 et 35-37.