DP Saison 2007-2008 final.qxp

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DP Saison 2007-2008 final.qxp
Saison 2007 - 2008
Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier
Direction Olivier Py
Théâtre de l’Odéon
place de l’Odéon Paris 6e
M° Odéon et RER Saint Michel
Ateliers Berthier
angle de la rue André Suarès et du bd Berthier Paris 17e
M° et RER Porte de Clichy
Location : 01 44 85 40 40
Administration : 01 44 85 40 00
2, rue Corneille - 75006 Paris
Service de presse
Lydie Debièvre, Marie-Line Dumont
01 44 85 40 73 / [email protected]
www.theatre-odeon.fr
Saison 2007-2008
Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier
20 > 30 sept. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
27 sept. > 10 nov. 07
Ateliers Berthier / 17e
9 > 27 oct. 07
Théâtre de l'Odéon / 6
e
Illusions comiques
texte et mise en scène OLIVIER PY
Homme sans but
création
d'ARNE LYGRE / mise en scène CLAUDE RÉGY
Le Bourgeois, la Mort et le Comédien
(Les Précieuses ridicules, Tartuffe, Le Malade imaginaire)
de MOLIÈRE / mise en scène ÉRIC LOUIS — La Nuit surprise par le Jour
7 > 11 nov. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
14 > 18 nov. 07
Théâtre de l'Odéon / 6
e
27 nov. > 4 déc. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
8 > 16 déc. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
10 janv. > 23 fév. 08
Ateliers Berthier / 17
e
24 janv. > 29 mars 08
Théâtre de l'Odéon / 6e
8 > 22 mars 08
Ateliers Berthier / 17e
27 mars > 18 avril 08
Ateliers Berthier / 17e
22 > 31 mai 08
Ateliers Berthier / 17e
15 mai > 21 juin 08
Théâtre de l'Odéon / 6
e
Moby Dick
en italien surtitré
création
d'après HERMAN MELVILLE / mise en scène ANTONIO LATELLA
La Cena de le ceneri (Le Banquet des cendres) en italien surtitré
d'après GIORDANO BRUNO / mise en scène ANTONIO LATELLA
Maeterlinck
en français, allemand, néerlandais, anglais surtitrés
d'après MAURICE MAETERLINCK / mise en scène CHRISTOPH MARTHALER
Krum en polonais surtitré
d'HANOKH LEVIN / mise en scène KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
La Petite Catherine de Heilbronn
création
d'HEINRICH VON KLEIST / mise en scène ANDRÉ ENGEL
L'École des femmes
création
de MOLIÈRE / mise en scène JEAN-PIERRE VINCENT
Pinocchio
spectacle pour enfant
création
d'après CARLO COLLODI / texte et mise en scène JOËL POMMERAT
Tournant autour de Galilée
création
spectacle de JEAN-FRANÇOIS PEYRET
Ivanov
en hongrois surtitré
d'ANTON TCHEKHOV / mise en scène TAMÁS ASCHER
L'Orestie
création
d'ESCHYLE / mise en scène OLIVIER PY
20 › 30 sept. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
Illusions comiques
texte et mise en scène OLIVIER PY
décor, costumes Pierre-André Weitz
musique Stéphane Leach
lumières Olivier Py
avec Olivier Balazuc, Michel Fau, Clovis Fouin, Philippe Girard, Mireille Herbstmeyer,
Olivier Py
et les musiciens Mathieu El Fassi, Pierre-André Weitz
production : Centre dramatique national/Orléans-Loiret-Centre, le Théâtre du
Rond-Point-Paris avec le soutien de la Fondation BNP Paribas, de la région Centre et du
Fonds d''insertion pour jeunes artistes dramatiques
créé le 29 mars 2006 au Centre dramatique national à Orléans
Le texte de la pièce est édité chez Actes Sud-Papiers
Extrait
Monsieur Balazuc. 1 – Sapiens sapiens se
plante une épine dans le pied. Il voit que
sa douleur n'est pas partagée par ses
camarades, alors il invente le théâtre.
Monsieur Girard. 2 – Non, Sapiens
sapiens voit que son collègue s'est
planté une épine dans le pied et en ressent la douleur, c'est lui qui a inventé le
théâtre.
Le théâtre est une épine dans la chair
de l'autre.
Mademoiselle Mazev. 3 – Le théâtre est
la première pensée humaine et sa dernière question.
Monsieur Fau. 4 – Je n'aime pas le théâtre, dit-elle en mettant du rouge à
lèvres.
L'adolescent. 5 – Nous sommes libres,
voilà l'horreur, le théâtre est la musique
de cette liberté.
Dieu. 6 – Le théâtre est le lieu où les
choses cachées depuis le début des
temps sont révélées sans qu'on puisse
toutefois les comprendre absolument.
Hommage à Corneille, bien sûr, mais aussi au Molière de L'Impromptu de Versailles ou des
Fâcheux, ces Illusions comiques furent l'un des plus beaux succès publics et critiques de la
dernière saison. Ce fut également la plus franche incursion dans le domaine du rire qu'ait
réussie jusqu'ici le nouveau directeur du Théâtre de l'Europe. Mais si Olivier Py a souhaité
reprendre sa dernière création pour ouvrir la rentrée, c'est avant tout parce qu'elle lui permet
de présenter aux spectateurs de l'Odéon, en termes simples, directs et vivants, sa façon de
rêver la scène. Qu'arriverait-il donc, demande l'auteur, «si le monde entier, les politiques, les
prélats, les marchands de mode» étaient «soudainement pris d'une épidémie d'amour du
théâtre» ?... Olivier Py, présent sur les planches pour interpréter le poète «Moi-même», sera à
cette occasion entouré de Michel Fau (dans un rôle qui lui valut le prix du meilleur comédien,
décerné par le Syndicat de la Critique) ainsi que des «camarades comédiens» qui
l'accompagnent depuis ses débuts, prêts à célébrer par l'exemple les fastes du théâtre dans
tous ses états.
Le texte a la prétention ridicule de tout dire sur l'art dramatique et le mystère
théâtral. La cavalcade politique du poète, à qui on demande plus que des mots, est
entrecoupée de leçons de théâtre, dans lesquelles on découvre que le théâtre de
boulevard, la tragédie et le drame lyrique sont trois pensées de l'homme et de sa
parole. Cette farce, pièce satirique, comédie philosophique, c'est l'art de faire du
rire avec notre impuissance. Cette impuissance est peut-être la pensée la plus
nécessaire à l'homme de théâtre et il n'y atteindra, comme l'a fait Jean-Luc
Lagarce (figuré ici par «Le poète mort trop tôt»), à qui est dédiée la pièce, que dans
un éclat de rire.
Olivier Py, novembre 2005
Olivier Py, né en 1965 à Grasse, dirige l'Odéon-Théâtre de l'Europe depuis le 1er mars 2007.
Après une hypokhâgne, puis une khâgne au Lycée Fénelon, il entre à l'ENSATT (rue Blanche) puis, en 1987, au
Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, ce qui ne l'empêchera pas d'entamer des études de
théologie à l'Institut Catholique. En 1988, il fonde sa propre compagnie, «L'inconvénient des boutures», et
assure lui-même la mise en scène de ses textes. Citons entre autres Gaspacho, un chien mort (1990) ;
Les Aventures de Paco Goliard (1992) ; La Jeune Fille, le Diable et le moulin, d'après les frères Grimm (1993) ;
La Servante, histoire sans fin, un cycle de cinq pièces et cinq dramaticules d'une durée totale de vingt-quatre
heures, présenté en intégrale au Festival d'Avignon 1995 et repris à la Manufacture des Oeillets à Ivry en 1996 ;
Le Visage d'Orphée, créé au CDN d'Orléans puis présenté au Festival d'Avignon, dans la Cour d'honneur du Palais
des Papes en 1997. Olivier Py met également en scène des textes d'Elizabeth Mazev (Mon père qui fonctionnait
par périodes culinaires et autres, 1989 ; Les Drôles, 1993) et de Jean-Luc Lagarce (Nous les héros, 1997).
Nommé en juillet 1998 à la direction du Centre Dramatique National/Orléans-Loiret-Centre, il y crée Requiem
pour Srebrenica, qui a tourné en France, en ex-Yougoslavie, au Canada, aux États-Unis et en Jordanie, puis
L'Eau de la Vie et une deuxième version de La Jeune fille, le Diable et le moulin (1999) ; L'Apocalypse joyeuse
(juin 2000) ; Épître aux jeunes acteurs (2001) ; Au Monde comme n'y étant pas (2002). D'autres
metteurs en scène commencent à monter ses pièces : Théâtres l'est par Michel Raskine au Théâtre du Point
du jour à Lyon en 1998, L'Exaltation du labyrinthe par Stéphane Braunschweig au TNS en 2001, La Servante par
Robert Sandoz en 2004 à Neuchâtel. Le Soulier de satin, de Paul Claudel, dont Olivier Py donne une mise en
scène en version intégrale à Orléans en mars 2003, est ensuite joué au TNS, au Théâtre de la Ville, au Grand
Théâtre de Genève et au Festival d'Edimbourg en 2004, et reçoit le prix Georges-Lherminier, décerné par le
Syndicat de la Critique au meilleur spectacle créé en région. En 2005, création d'une trilogie : Les Vainqueurs,
qui tourne au TNP à Villeurbanne, à la Ferme du Buisson, au Festival d'Avignon, à Paris. La même année, Olivier
Py met en scène A Cry from heaven de Vincent Woods à l'Abbey Theatre à Dublin. En 2006, à
l'invitation de Jean-Michel Ribes, il présente au Théâtre du Rond-Point «La Grande Parade de Py», ensemble
de six spectacles dont il est l'auteur et le metteur en scène : L'Eau de la Vie, La Jeune fille, le Diable et le
moulin, Épître aux jeunes acteurs, Les Vainqueurs, Chansons du Paradis perdu et une nouvelle création :
Illusions comiques, jouée également à Orléans, Lille, Strasbourg, Sartrouville, Caen, Douai, Lorient, Forbach,
Annecy, Reims, Creil ou Bordeaux avant d'être reprise en ouverture de saison 2007/2008 à l'Odéon-Théâtre de
l'Europe.
En juillet 2006, à l'occasion de la clôture du 60ème Festival d'Avignon, Olivier Py met en scène dans la Cour
d'honneur du Palais des Papes un hommage à Jean Vilar, L'Énigme Vilar. C'est également au Festival
d'Avignon, en 1996, qu'il interprète pour la première fois son personnage de cabaret : Miss Knife, dont le tour
de chant, Les ballades de Miss Knife, composé de chansons qu'il a écrites, mises en musique par Jean-Yves
Rivaud, a été présenté au public à Paris (Théâtre du Rond-Point, Café de la Danse), Orléans, Cherbourg, Lyon,
au Petit Quevilly, à New York ou à Bruxelles (un disque a été édité par Actes Sud). Mais Olivier Py a
également joué dans des spectacles mis en scène par Jean-Luc Lagarce, François Rancillac, Pascal Rambert,
ou dans des longs-métrages signés Jacques Maillot, Cédric Klapisch, Michel Deville, Laurent Bénégui, Peter
Chelsom ou Noémie Lvovsky il tient aussi un rôle dans son premier film : Les Yeux fermés, qu'il a réalisé en
1999 pour Arte.
Depuis une dizaine d'années, Olivier Py a abordé la mise en scène d'opéra. Il en a signé sept à ce jour :
Der Freischütz de C. M. von Weber à l'Opéra de Nancy (1999), Les Contes d'Hoffmann de Jacques Offenbach
(2001) et La Damnation de Faust d'Hector Berlioz (2003) au Grand Théâtre de Genève, Le Vase de parfums
(musique de Suzanne Giraud, livret d'Olivier Py) à l'Opéra de Nantes (2004), Tristan und Isolde et Tannhäuser
de Richard Wagner au Grand Théâtre de Genève (2005), Curlew River de Benjamin Britten (Edimbourg, 2005).
Lauréat de la Fondation Beaumarchais et boursier du Centre national du Livre, Olivier Py s'est vu décerner le
Prix Nouveau Talent Théâtre/SACD (1996) ainsi que le Prix Jeune Théâtre de l'Académie Française (2002).
Certains de ses textes sont disponibles aux Solitaires Intempestifs, aux éditions Grandvaux, à L'École des
loisirs, chez Bayard ou ARTE éditions ; la plupart de son œuvre est éditée chez Actes Sud (qui a notamment
publié en 2005 son premier roman, Paradis de tristesse, chez Acte Sud). Son théâtre a été traduit en anglais,
italien, allemand, slovène, espagnol, roumain et grec.
27 sept. › 10 nov. 07
Ateliers Berthier / 17e
Homme sans but
création
d'ARNE LYGRE
mise en scène CLAUDE RÉGY
traduit du norvégien par Terje Sinding
scénographie Sallahdyn Khatir
lumière Joël Hourbeigt
son Philippe Cachia
avec Axel Bogousslavsky, Jean-Quentin Chatelain, Marion Coulon, Bénédicte Le Lamer,
Redjep Mitrovitsa, Bulle Ogier
production : Les Ateliers Contemporains, Odéon-Théâtre de l'Europe, Festival d'Automne
à Paris, Théâtre National Populaire - Villeurbanne, Usine C - Montréal
avec la participation du Théâtre national de Bretagne - Rennes
Le texte sera publié aux Editions de l'Arche
Extrait
FRÈRE Ce sera peut-être… une jolie
ville.
PETER Ce sera.
FRÈRE Ici ?
PETER Ne recommence pas !
FRÈRE Tout ça parce qu'on s'est
Découvrir, mettre en scène : s'il est un artiste chez qui ces deux gestes n'en font qu'un,
c'est Claude Régy. Ce maître passeur cherche inlassablement «comment amener chacun
à renouveler, lui-même, de façon autonome, sa sensation du monde», ainsi qu'il l'écrit en
1991 dans Espaces perdus. L'intrigue d'Homme sans but, qui se développe sur près de
trente ans, pourrait se résumer en quelques mots, mais ces mots en trahiraient aussitôt la
subtilité et les secrets. Sobre et claire, la langue d'Arne Lygre (un auteur norvégien qui jouit
déjà d'une solide réputation dans son pays) construit par petites touches un vertige à la
fois très concret et presque métaphysique : la banalité quotidienne semble baigner dans
la brume d'un mythe à demi oublié, où le réel, pareil au «bougé» des photographes, ne
se laisse jamais saisir sans incertitude. Claude Régy, pour cette nouvelle exploration, s'est
entouré d'acteurs hors pair, dont certains (Bulle Ogier, Axel Bogousslavsky, Jean-Quentin
Chatelain) sont familiers depuis longtemps de son exigence.
engouffrés dans ce fjord ?
PETER Sans ça je n'aurais pas découvert cet endroit.
Claude Régy, Arne Lygre
FRÈRE Et tes affaires ?
PETER Je les liquide. J'investirai l'ar-
Une volonté constante de «travailler sur des écritures en train de se faire» a
conduit Claude Régy à rencontrer, depuis plus d'un demi-siècle, «des écrivains qui
refusaient le didactisme et restaient révolutionnaires par l'écriture, la force de la
pensée» (Espaces perdus, 1991), faisant de lui l'un des premiers metteurs en scène
du théâtre de Marguerite Duras ou de Nathalie Sarraute, mais aussi l'infatigable
passeur d'auteurs tels qu'Edward Bond, Peter Handke, David Harrower, Sarah Kane,
Gregory Motton, Harold Pinter, James Saunders, Tom Stoppard, David Storey, Botho
Strauss, entre autres. Depuis 1999, date à laquelle il crée une première pièce du
Norvégien Jon Fosse, Claude Régy s'intéresse au domaine nordique. Son nouveau
projet est la troisième pièce d'un jeune compatriote de Fosse. Arne Lygre est né
à Bergen en 1968. Son premier texte dramatique, Maman et moi et les hommes,
qui lui valut d'être connu en Norvège dès 1998, vient d'être mis en scène au Mans
par François Chevallier. Il est aussi l'auteur d'un recueil de nouvelles, Tid inne (Il
est temps), qui a obtenu la plus prestigieuse des distinctions littéraires norvégiennes,
le prix Brage. Son premier roman, Et siste ansikt (Un dernier visage), a été publié
en 2006 ; sa pièce la plus récemment montée, Skygge av ein gutt (L'Ombre d'un
garçon), composée en 2003 et créée à Oslo, au Théâtre Norvégien, trois ans plus
tard, lui a valu une nomination pour le Prix Ibsen 2007. Homme sans but, sa
dernière œuvre dramatique à ce jour, a été publié et créé en Norvège en 2005.
«Nous voyons là,» note Régy, «avec un traitement du temps très libre, une cité se
construire sur une terre vierge. Et puis cet empire d'un homme fortuné est réduit
gent ici.
Je réunirai tout en un seul endroit.
FRÈRE Tu liquides tout ?
PETER J'ai besoin de me lancer dans
autre chose.
Dans quelque chose qui pourrait ne
pas réussir.
Frère ne répond pas. Ils restent un
instant silencieux.
FRÈRE Et après ?
PETER Quoi ?
FRÈRE Si jamais ça ne réussit pas ?
PETER C'est ça la différence.
FRÈRE Comment ?
PETER Entre ceux qui réussissent et
les gens comme… toi.
Si jamais. Si jamais. Si jamais.
Il y a toujours un risque.
FRÈRE Tout liquider. Pour ça ?
PETER C'est tout de même une idée…
au pillage, à la destruction. Les objets pourraient laisser la place à des êtres, mais
les êtres, eux-mêmes réduits à l'infime pellicule d'une apparence éphémère, sont
devenus des objets marchands, jusqu'au plus bas degré de l'Éros prostitué. On est
très au-delà du jugement.»
exaltante.
Peter s'assied sur une pierre. Il sort
une bouteille thermos de son sac,
verse du café dans deux gobelets et
en tend un à Frère. Frère s'assied à
côté de lui.
«Simplement, comme un état du monde»
FRÈRE Exaltante ?
PETER Cette possibilité.
Quelles que soient ses implications et sa complexité, la pièce reste en état
d'apesanteur.
Frère ne répond pas. Ils boivent.
Frère se met à rire bruyamment.
Peter le regarde. Frère se
calme.
FRÈRE Qui voudra habiter ici
PETER Des milliers de gens.
?
Homme sans but, acte I (traduction
de Terje Sinding)
Le ton d'Arne Lygre est neuf. Il surprend par une extrême mobilité du temps.
Une prostitution peu visible (grâce à un niveau de paiements élevé) met en place
une réalité factice. Cette réalité semble ne pas avoir de poids mais il y a un
trouble. Ce trouble, contre toute attente, agit comme une lumière sur le réel.
Sans littérature une poésie est créée.
Apparaît clairement que la réalité virtuelle a aussi une réalité. Un jeu de
simulation s'installe au fur et à mesure d'improvisations.
Cette vie, on voit bien qu'elle est, pour une part, falsifiée, mais l'évidence de la
falsification ne nous empêche pas d'y croire.
On demeure sur le flou d'une frontière indécise.
Peu à peu une sensation s'infiltre, le monde ne glisse-t-il pas vers une situation où
l'artificialité tient lieu de réel.
Dans le même temps est à l'œuvre une réalité invisible qui pourtant nous atteint.
La mort et la violence de la haine se révèlent être ce qu'il y a de plus fort et de
plus constant chez l'homme.
Tout est donné simplement, comme un état du monde. Un monde dont la véritable
structure est dissimulée par son expansion même.
La lumière apparente est calme — il y a des éclats — la lumière est froide, celle de
la glace.
Une poussière de neige transforme l'image en croquis.
Par la couleur rouge — le pourpre, l'écarlate — s'évoque la destruction de Babylone
(la grande prostituée de l'Apocalypse) où s'entassaient le stupre et les richesses.
Ici, une cité construite sur une terre vierge est soumise au pillage.
Les objets pourraient laisser la place à des êtres, mais les êtres, eux-mêmes réduits
à l'infime pellicule d'une apparence éphémère, sont devenus des objets marchands,
jusqu'au plus bas degré de l'Éros prostitué.
Les théorèmes, les équations — ce texte leur ressemble — n'ont pas de morale.
Par contre, on sait que la démence développe une lucidité extrême. Alors sans
doute une lucidité extrême trahit une certaine forme de démence.
Ce délire-là serait blanc. On voit la lucidité transpercer l'opacité. Mais tout à coup
la neige a le gris de la cendre.
Claude Régy, décembre 2006
9 › 27 oct. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
Le Bourgeois, la Mort et le Comédien
(Les Précieuses ridicules, Tartuffe, Le Malade imaginaire)
de MOLIÈRE
mise en scène ÉRIC LOUIS - La Nuit surprise par le Jour
dramaturgie Pascal Collin
scénographie François Mercier
costumes Thierry Grapotte
lumières Bruno Goubert
musique Fred Fresson
avec Cyril Bothorel, Xavier Brossard, Claire Bullett, John Carroll, Yannick Choirat,
Yann-Joël Collin, Catherine Fourty, Thierry Grapotte, Éric Louis, Élios Noël, Alexandra Scicluna
et les musiciens Paul Breslin et Issa Dakuyo
production déléguée La Nuit surprise par le Jour (conventionnée par la DRAC Ile-de-France)
en coproduction avec La Comédie de Béthune, le Nouveau Théâtre de Besançon, la Maison
de la Culture de Bourges et la Comédie de Valence avec la participation artistique du jeune
théâtre national et du Théâtre national de Bretagne, avec l'aide de la Spedidam
Éric Louis
De 1987 à 1989, Éric Louis est élève
comédien à l'École du Théâtre
national de Chaillot sous la direction
d'Antoine Vitez. Il rencontre DidierGeorges Gabily vers la même époque
et participe au travail d'atelier sur
«Phèdres et Hippolytes». Avec
Stéphane Braunschweig, de 1990 à
1992, il crée les premiers spectacles du
Théâtre Machine et joue dans
Woyzeck, Tambours dans la nuit, Don
Juan revient de guerre. Associé à la
création du groupe T'CHAN'G, de
Gabily, il est comédien, de 1991 à
1997, dans Violences, Enfonçures, Les
Cercueils de Zinc, et dans le diptyque
Dom Juan / Chimères. En 1992, il est
l'un des cofondateurs de la compagnie
La Nuit surprise par le Jour et joue
dans une demi-douzaine de spectacles
mis en scène par Yann-Joël Collin. Éric
Louis a également participé à des
spectacles mis en scène par Oskaras
Korsunovas, Martine Charlet, Éric
Lacascade, Paul Annen, Michel Didym.
Le Bourgeois, la Mort et le Comédien
est sa première mise en scène.
Un tréteau, deux accessoires, trois bouts de planche, quelques costumes au
décrochez-moi-ça, mais surtout une douzaine de comédiens qui se connaissent à fond,
habités par une intelligence totale des textes, et quels textes ! Trois étapes marquantes
dans la trajectoire artistique de Molière, que les interprètes de la compagnie La Nuit
surprise par le Jour prennent d'assaut : d'abord la prose narquoise des Précieuses, puis les
rigoureux alexandrins du Tartuffe, pour finir par le feu d'artifice musical et verbal, jouéchanté-dansé, du Malade imaginaire. Une nouvelle fable se crée ainsi sous les yeux du
public, celle d'une troupe qui s'invente et se développe dans et par le théâtre de Molière.
Un festival scénique qui triompha tout au long de sa tournée, un marathon de fantaisie,
d'engagement et de générosité jaillissante, à voir en trois soirées ou en intégrale. Le
théâtre en fête, l'art des apparitions, y proclame haut et fort sa vocation à dévoiler les
apparences, à dénoncer tous les snobismes, à soumettre hypocrisie et prétention à
l'épreuve imparable du ridicule.
«La Nuit surprise par le Jour» : trois questions à Éric Louis
«La Nuit surprise par le Jour» est-elle une troupe, une compagnie, un collectif, une
utopie ?»
On est en questionnement perpétuel par rapport à «La Nuit surprise par le Jour»,
comme on l'est par rapport à notre travail. C'est très difficile de lui donner un
nom, car les noms comme «troupe» ou «collectif» ont des significations dans
l'histoire du théâtre qui ne nous correspondent pas. Au départ, «La Nuit surprise
par le Jour» n'est pas faite pour exister de façon permanente. C'est un endroit de
rencontre autour d'un projet, à un certain moment, pour défendre une espèce
d'utopie. Mais comme les conditions de production sont de plus en plus dures, et
aussi parce qu'on a évolué, on commence à penser à de la permanence, avec des
projets qui s'enchaîneraient un peu plus. Mais notre existence reste quand même
uniquement liée à des projets.
Comment s'est constituée «La Nuit surprise par le Jour» ?
Il y a un noyau «historique», avec ceux qui ont travaillé à Chaillot, avec Stéphane
Braunschweig, avec Gabily. Et il y a des gens qu'on rencontre sur des spectacles,
dans des stages et qu'on sent capables de partager notre manière de travailler un
peu particulière. Parce qu'on n'est pas seulement ensemble sur le plateau. On doit
s'impliquer au-delà. Une aventure comme Le Bourgeois représente au moins un an
et demi de vie. Ça engage plus que la part professionnelle de l'existence.
Il est très rare que les acteurs participent à toutes les étapes d'un spectacle. Vous
pouvez expliquer le mode de fonctionnement de «La Nuit» ?
C'est assez difficile… On demande à tous (comédiens, créateur lumière, scénographe,
créateur costumes…) d'être présents tout le temps en répétition pour pouvoir tout
discuter ensemble, pour que chacun ait conscience de la totalité du projet, ait
l'intelligence maximum de l'aventure. Mais on n'est pas exceptionnels, on a quand
même des problèmes de gestion de groupe. On essaie simplement d'en avoir
conscience et de les gérer tous ensemble. On fait dans la vie comme sur le plateau :
on met les choses sur la table et on essaie de trouver des solutions. Au départ, on
était élèves comédiens à Chaillot. Et on s'est rendu compte, quand on a commencé
à travailler à l'extérieur, que la place du comédien est relativement stéréotypée :
on lui demande d'être intelligent quand il est sur le plateau mais pas beaucoup plus.
Seuls le metteur en scène ou le dramaturge sont conscients de l'ensemble du
projet. C'est assez frustrant. Or quand on est porteur de l'ensemble du projet, on
joue mieux, on trouve plus facilement sa place, on est plus impliqué, plus
intelligent dans ses propositions. On est parti de ce constat.
«Jusqu'au bout du jeu»
Molière a toujours tenté de plaire au monarque absolu par le spectacle, qui seul justifie la puissance de la satire. Il y a ici de la farce, de la grande comédie en alexandrins, encore de la farce, de la comédie-ballet, toujours de la farce… Ces trois pièces ainsi ordonnées forment un cheminement de créations qui ne témoigne pas
d'un progrès constant vers le haut comique et la gloire posthume, mais qui semble
plutôt aller vers toujours plus de séduction, de divertissement, qui manifeste en
tout cas une confiance dans le pouvoir du théâtre et qui, même dans ses égarements, dit la nécessité du jeu […].
D'autant que le jeu paraît finalement la seule morale de l'histoire. Si, comme il se
doit à la fin de la comédie, l'ordre social se voit reconfirmé, ce n'est qu'au prix de
trop visibles artifices, qui rendent assez vain son triomphe… Que nous reste-t-il au
bout du parcours, à la fin du Malade imaginaire ? Ce que dit Béralde : «Tout ceci
n'est qu'entre nous. Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous
donner ainsi la comédie les uns aux autres. Le carnaval autorise cela. Allons vite
préparer toute chose.»
Pas plus que dans les autres pièces, le malade n'est guéri. Tous en effet, et le bourgeois en particulier, sont aveuglés par la peur de leur condition humaine, peur de
la mort. C'est là, peut-être, le rôle du comédien et de la comédie : rappeler que
tout cela n'est qu'un jeu, puisque la guérison est illusoire. Reste donc la fête, avec
tous, où chacun peut obtenir le plaisir de jouer […].
Notre fiction est donc celle d'une troupe allant jusqu'au bout du jeu, par laquelle
Molière devient épique, non pas en tant qu'il raconterait une aventure, mais en tant
qu'il est théâtre, pleinement, et que ce théâtre est une aventure.
Éric Louis
7 › 11 nov. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
Moby Dick en italien surtitré
création
d'après HERMAN MELVILLE
libre adaptation de FEDERICO BELLINI
mise en scène ANTONIO LATELLA
scénographie Antonio Latella
costumes Gianluca Falaschi
lumières Giorgio Cervesi Ripa
son Franco Visioli
avec Giorgio Albertazzi, Marco Foschi
et Emiliano Brioschi, Marco Cacciola, Timothy Martin, Giuseppe Papa, Fabio Pasquini,
Annibale Pavone, Enrico Roccaforte, Rosario Tedesco
production : Teatro Stabile dell'Umbria et le Teatro di Rome
Giorgio Albertazzi
Certains voient en lui le plus grand
acteur vivant du panorama théâtral
italien (mémorable Hamlet, dans la
mise en scène de Franco Zeffirelli, en
1964). Personnalité éclectique, aux
mille facettes, Albertazzi est architecte,
acteur, metteur en scène, auteur et
photographe. Depuis 2002, il est
directeur du Théâtre de Rome. Dans le
Moby Dick de Latella, Giorgio
Albertazzi sera Achab, le capitaine du
Pequod. Il résidera scéniquement dans
une pièce remplie de livres, surélevée
par rapport au reste de l'équipage.
Plus calme et plus réfléchi que dans
l'ouvrage de Melville, Achab est
souvent pure pensée, entité incorporelle,
dimension de l'être plus que de
l'événement. Il doit son nom à un roi
biblique dont les chiens, à sa mort, ne
voulurent pas même lécher le sang.
Marco Foschi
29 ans, diplômé en 1999 de l'académie
nationale d'art dramatique Silvio
D'Amico, débute comme professionnel
dans une Iphigénie à Aulis, avec Memè
Perlini. En 2000, il fait la connaissance
d'Antonio Latella. Foschi sera Mercutio
dans Roméo et Juliette, Lefranc dans
Haute surveillance, Robert dans
Antonio Latella est de ceux pour qui la scène est expérience et voyage. Un voyage
pictural et raffiné. Comme tous ses vrais créateurs, il veut voir chaque soir «lever l'ancre
du théâtre». Aussi aime-t-il tenter, en compagnie d'un équipage fidèle, les traversées les
..
plus inouies. Moby Dick est de celles-là. La chasse à la grande baleine blanche est sans
doute (comme le note le collaborateur de Latella, Federico Bellini) «l'une des plus grandes
métaphores que l'histoire de la littérature ait jamais produites». Le périple est animé par
l'indéchiffrable désir d'un vieux capitaine. Quelles frontières de l'être ou de la connaissance
cherche-t-il à franchir ? Latella a confié le rôle d'Achab à celui qui est sans doute
aujourd'hui le plus grand acteur de la scène italienne : Giorgio Albertazzi. Son Achab, du
haut de sa solitude environnée de livres, transmettra l'expérience de son savoir au jeune
Ismaël incarné par Marco Foschi, une bête de scène avec qui Latella travaille depuis sept ans.
«Lever l`ancre du théâtre»
Un chant, une danse avec la mort, un tour de valse étourdissant, entre la vie et la
mort...
L'on ne peut affronter les paroles philosophiques de Melville sans participer au
voyage d'un grand acteur qui, depuis longtemps, sillonne les ports du monde
entier, les plateaux de tous les théâtres ; un homme qui n'a plus besoin de réciter
les paroles, car c'est dans son être même qu'est la parole, tandis que la blancheur
de ses cheveux reflète la blancheur aveuglante de quelque chose qui n'a peutêtre jamais existé, comme la Baleine blanche.
«Par-dessus tout, c'est la blancheur de la baleine qui m'attirait. Mais comment
puis-je espérer m'en expliquer ici ? Et pourtant, il faut que je m'explique, sinon
tous ces chapitres pourraient se réduire à néant», dit Ismaël. «Parce que ce
voyage était quelque chose de plus».
Ce voyage, ce «quelque chose de plus», peut-être le perçoit-on dans la voix d'un
capitaine tel que Giorgio Albertazzi plus que dans la vaine conceptualisation d'une
idée de mise en scène : il est temps pour mes marins et pour moi d'avoir une
nouvelle voix à écouter, pour pouvoir poursuivre le voyage que nous avons depuis
longtemps commencé, à la recherche d'une voie à suivre ou d'une réponse à la
question de savoir pourquoi, chaque soir, continuer à lever l'ancre du théâtre.
Antonio Latella
Querelle de Jean Genet, Pylade dans
Pylade et Jan dans Bête de style, de
Pier Paolo Pasolini, Gaveston dans
Edouard II de Marlowe et Smitho/
Nundinio dans Le Banquet des Cendres
de Giordano Bruno. Dans Moby Dick, il
sera Ismaël, simple marin, celui qui
survivra à la lutte contre la baleine
blanche en s'accrochant au cercueil
originellement destiné à Queequeg,
tandis que l'équipage périt. C'est le
témoin de l'histoire, celui qui est
appelé à la raconter pour qu'elle ait
lieu. Il est aussi celui auquel, le
considérant comme son véritable
interlocuteur, Achab transmettra sa
connaissance avant de mourir. Ismaël
est jeune, parfois effrayé, parfois le
seul à se rendre compte de la folie
dans laquelle il se sont embarqué.
Très instruit, c'est pratiquement un
intellectuel, mais il ignore tout du
monde de la baleinière au moment de
s'y embarquer. Il porte un nom
biblique. Ismaël est le premier fils
d'Abraham, l'autre étant Isaac qui, suite
à l'intervention de Dieu, échappera au
sacrifice prévu par Abraham. Ismaël est
le fils d'une esclave à laquelle la
femme d'Abraham, trop âgée pour
pouvoir encore être mère, demanda
d'accoucher à sa place. Mais, s'en étant
repentie, elle demanda à Abraham de
les chasser tous deux et Ismaël apprit
ainsi à errer de par le monde parmi les
parias, les oubliés de Dieu.
Antonio Latella
Né en 1967 à Castellammare di Stabia (Naples), Antonio Latella se forme à l'école
du Teatro Stabile di Torino et à la Bottega teatrale, dirigée par Vittorio Gassman, à
Florence. En 1986, il débute comme comédien et, en l'espace d'une dizaine
d'années, interprète des spectacles dirigés par Walter Pagliaro, Vittorio Gassman,
Luca Ronconi, Massimo Castri, Elio De Capitani, Antonio Syxty. Ses débuts de
metteur en scène remontent à 1998, avec Agatha de Marguerite Duras. Dès lors,
Latella s'affirme comme l'un des réalisateurs les plus intéressants de la scène
italienne. En 2001, il remporte le prix spécial Ubu pour le projet «Shakespeare et
au-delà», qui comprend ses relectures personnelles d'Othello (1999), Macbeth
(2000), Roméo et Juliette (2000) et Hamlet (2001). La recherche radicale qu'il
poursuit sur Shakespeare, dont il dirige également Richard III (2002), La Nuit des
rois, La Tempête et La Mégère apprivoisée (2003), n'épuise pas son activité ; il
transpose également sur scène trois textes de Genet, Haute Surveillance (2001), Les
Nègres, Querelle, 2002 et Le Triomphe de Testori (2003). Il s'est récemment essayé
aussi à l'opéra lyrique: en 2004 à l'Opéra de Lyon avec L'Orfeo de Monteverdi, et
au Piccinni de Bari avec Orphée et Eurydice, de Gluck ; en 2005, au Sferisterio de
Macerata avec La Tosca de Puccini. Mais c'est surtout son approche visionnaire de
l'œuvre de Pasolini qui attire l'attention du public et de la critique sur son théâtre.
Il réalise Pylade (2002) puis Porcherie (2003) et Bête de style (2004).
La Cena de le ceneri en italien surtitré
14 › 18 nov. 07
(Le Banquet des cendres)
Théâtre de l'Odéon / 6e
d'après GIORDANO BRUNO
mise en scène ANTONIO LATELLA
adaptation et dramaturgie Federico Bellini
scénographie Antonio Latella
lumières Giorgio Cervesi Ripa
costumes Emanuela Pischedda
musique originale Franco Visioli
chorégraphie Deda Cristina Colonna
avec Marco Foschi, Danilo Nigrelli, Fabio Pasquini, Annibale Pavone
production : Teatro Stabile dell'Umbria
Spectacle créé le 3 octobre 2005 au Théâtre Mercadante - Naples
Extrait
Smitho
Comment est-il possible que l'univers
soit infini ?
Teofilo
Comment est-il possible que l'univers
soit fini ?
Smitho
Voulez-vous donc qu'on
démontrer cette infinitude ?
Teofilo
Voulez-vous donc qu'on
démontrer cette finitude ?
puisse
puisse
Smitho
Qu'est-ce donc que cette dilatation ?
Teofilo
Qu'est-ce donc que cette limite ?
Smitho
Chaque chose prise dans l'univers
comprend-elle à sa façon toute l'âme
du monde ?
Teofilo
C'est bien cela.
Smitho
Les différences visibles dans les corps
en tant que formes, figures, couleurs
ne sont-elles rien d'autre qu'un visage
différent d'une même substance ?
Deuxième volet du diptyque Latella, et deuxième métaphore de ce voyage au long cours
qu'est le savoir : après l'expérience de l'énormité et de la sauvagerie du monde, celle de
la folle liberté de la pensée s'exposant à l'immensité du cosmos. Au roman-océan de
Melville répond ici un dialogue que Giordano Bruno écrivit vers 1584 pour exposer sa doctrine
hérétique la Terre n'est pas le centre du monde ; chaque chose a une âme propre ; surtout,
l'Univers est infini, et au sein de cette infinité, comme le note Latella, chaque être
singulier est à son tour un monde en soi, «chacun avec son corps-planète, chacun avec un
rôle auquel donner vie et caractère mais des planètes appartenant toutes au même
univers, à la même spirale qui s'enroule autour d'une lumière, d'une idée.» Plus qu'une
doctrine obscure ou abstraite, ce sont les cheminements d'un homme vers la connaissance
que Latella donnera à voir, sa marche errante à la conquête de sa liberté.
«Le corps humain reproduit le monde»
«Le philosophe aspire à surmonter son individualité... pour dilater son être fini
dans la splendeur de l'infini, pour retrouver l'union avec la nature infinie. Penser
à l'infini signifie, en particulier, se penser comme une partie minuscule d'un tout,
manifester avec enthousiasme la certitude que même sa propre vie participe,
proportionnellement, à l'incessant mouvement de l'univers.»
Pour les nouvelles idées, Bruno a besoin de la parole, du mot sous toutes ses
formes: le mot énoncé, le mot écrit, le mot arme dans les duels des principales
villes européennes, le mot «théâtre».
Le Banquet des cendres fonctionne comme une boîte chinoise où chaque niveau
mène à un autre, puis à un autre encore ; il ne fournit aucune solution, mais se
suspend, s'ouvre pour renvoyer à d'autres niveaux, aux «mondes infinis». Un cycle
qui se répète, en formant une «spirale d'infinis univers».
Teofilo représente le corps, la raison de la philosophie du Nolain. Smitho est le
monde des gentlemen anglais qui aiment débattre de philosophie pour discerner
ce qui est vrai et juste. Prudenzio est le classiciste pédant et obtus (souvent
homosexuel), l'un de ces érudits si souvent malmenés par Giordano Bruno. Enfin,
Frulla est le serviteur qui ne connaît ni savoir ni discipline (la nature, l'instinct).
Dans le jeu métathéâtral qui passe de la narration à la discussion, ces personna-
Teofilo
C'est bien cela.
Smitho
Voulez-vous que ce qui est engendré
et ce qui engendre soient faits de la
même substance ?
Teofilo
Vous avez parfaitement compris.
Smitho
De sorte que ce monde vrai, universel,
infini, immense, dans chacune de ses
parties est un tout de sorte qu'il est
lui-même contenu dans chaque partie ?
Teofilo
Voulez-vous donc que ce soit l'inverse ?
Extrait du Banquet des cendres,
d'après Giordano Bruno (adaptation :
Federico Bellini)
ges eux-mêmes jouent d'autres rôles qui leur sont plus propres ; ainsi seulement la
métaphore du banquet peut devenir l'indispensable dispute, afin que Teofilo/Nolain
puisse atteindre l'objectif et donc, comme dans le cinquième dialogue, l'essence,
l'expression philosophale de Giordano Bruno – peut-être le summum de la
théâtralisation, pour pouvoir dire l'indicible, la vérité, sans subir la censure des
vulgarisateurs du verbe, la seule vérité (la parole de Dieu).
«Nous autres sorciers sommes tous un peu plaisantins et acteurs. La sagesse (en
admettant que certains réussissent à la conquérir) n'est pas accessible seulement
par le biais du cerveau ; le corps aussi est nécessaire. Il n'est pas de sagesse sans
l'union de la pensée, de la chair et du sourire.»
Une fois encore, le corps donne sa forme à la nécessité d'être là. Le corps humain
reproduit le monde. Ce n'est qu'après avoir retrouvé la pureté du corps que
l'homme peut pousser son esprit vers la lumière, la sagesse, qui trouve son
équilibre entre le fini (le corps) et l'infini (l'âme).
Antonio Latella
27 nov. › 4 déc. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
Maeterlinck en français, allemand, néerlandais, anglais surtitrés
d'après MAURICE MAETERLINCK
mise en scène CHRISTOPH MARTHALER
dramaturgie Koen Tachelet
scénographie Frieda Schneider, Anna Viebrock
costumes Sarah Schittek
lumières Dennis Diels
musique Rosemary Hardy
piano Bendix Dethleffsen
avec Marc Bodnar, Wine Dierickx, Rosemary Hardy, Hadewych Minis, Frieda Pittoors,
Sasha Rau, Graham F. Valentine, Steven Van Watermeulen
production : NTGent, Toneelgroep Amsterdam en coproduction avec Odéon-Théâtre de
l'Europe, Paris et Stadsschouwburg Amsterdam
créé le 14 mars 2007 au NTGent schouwburg
Maeterlinck, d'après l'œuvre de Maurice
Maeterlinck, comprend des extraits des
textes suivants :
Les sept princesses
..
Visions typhoïdes
Bulles bleues : souvenirs heureux
L'intelligence des fleurs
La princesse Maleine
Le trésor des humbles
Intérieur
L'intruse
Pelléas et Mélisande
Les Quinze chansons
Musique :
Pelléas et Mélisande (Debussy)
La Messe des pauvres (Satie)
Tendrement (Satie)
Chant ecclésiastique (Satie)
Chorals 5 et 6 (Satie)
Les Pantins dansent (Satie)
Carmen (Bizet)
Nocturne (Mozart)
Le Baiser de ma mère (Bovet)
Schoon is de lente (Worp)
Lamento et finale de Didon et Enée
(Purcell)
The Ninety-Nine (Sanky / Clephane)
Die Mädchen mit den verbundenen
Augen (Zemlinsky)
Devinette : qu'est-ce que Maeterlinck ? Réponse : c'est un Marthaler. Autrement dit, une
combinaison unique d'humour et de mélancolie, de lucidité critique et de légèreté enfantine.
Et puis des comédiens extraordinaires, une population d'êtres un peu perdus, maladroits,
solitaires ou plutôt ensemble sans l'être, vêtus de nylon gris perle ou de percaline à fleurs,
«patientes ouvrières» perdues dans leurs pensées au fond d'un atelier de confection décati
ou contremaîtres «embarrassant le travail, bousculant, bousculés, ahuris, importants, tout
gonflés d'un mépris étourdi et sans malice». Des gens qu'on dirait taciturnes s'ils
n'interprétaient soudain des airs comiques ou sublimes, un tube en langue hollandaise ou
un lamento de Purcell. Quant à Maurice Polydore Marie Bernard Maeterlinck poète,
dramaturge, observateur passionné de la vie des insectes sociaux, il est celui dont une dizaine
d'ouvrages (de Pelléas au Trésor des humbles) hantent ce Marthaler-ci, sous l'épigraphe
suivante : «Un grand nombre de nos pensées attaquent notre âme par-derrière.»
Un être de foule
Pour l'instant, il suffit d'appeler l'attention sur le trait essentiel de la nature de
l'abeille qui explique l'entassement extraordinaire de ce travail confus. L'abeille
est avant tout, et plus encore que la fourmi, un être de foule. Elle ne peut vivre
qu'en tas. Quand elle sort de la ruche si encombrée qu'elle doit se frayer à coups
de tête un passage à travers les murailles vivantes qui l'enserrent, elle sort de son
élément propre. Elle plonge un moment dans l'espace plein de fleurs, comme le
nageur plonge dans l'océan plein de perles, mais sous peine de mort il faut qu'à
intervalles réguliers elle revienne respirer la multitude, de même que le nageur
revient respirer l'air. Isolée, pourvue de vivres abondants et dans la température
la plus favorable, elle expire au bout de quelques jours, non de faim ou de froid,
mais de solitude. L'accumulation, la cité, dégage pour elle un aliment invisible
aussi indispensable que le miel. C'est à ce besoin qu'il faut remonter pour fixer
l'esprit des lois de la ruche. Dans la ruche, l'individu n'est rien, il n'a qu'une
existence conditionnelle, il n'est qu'un moment indifférent, un organe ailé de
l'espèce. Toute sa vie est un sacrifice total à l'être innombrable et perpétuel dont
il fait partie. Il est curieux de constater qu'il n'en fut pas toujours ainsi. On retrouve
encore aujourd'hui parmi les hyménoptères mellifères, tous les états de la
civilisation progressive de notre abeille domestique. Au bas de l'échelle, elle
travaille seule, dans la misère ; […]. Elle forme ensuite des associations temporaires
[…] pour arriver enfin, de degrés en degrés, à la société à peu près parfaite mais
impitoyable de nos ruches, où l'individu est entièrement absorbé par la république,
et où la république à son tour est régulièrement sacrifiée à la cité abstraite et
immortelle de l'avenir. Ne nous hâtons pas de tirer de ces faits des conclusions
applicables à l'homme.
Maurice Maeterlinck : La Vie des abeilles, livre premier, VII-VIII.
Christoph Marthaler
«Je suis Suisse, on n'y peut rien changer», dit de lui-même Christoph Marthaler, qui
est en effet né à Erlenbach, dans le canton de Zurich, en 1951. Ses études musicales
– il travaille entre autres le hautbois et la flûte – l'amènent à tenter quelques
expériences de free jazz à base d'instruments anciens. Formé à l'école de Jacques
Lecoq, dont il suit les cours pendant deux ans sans renoncer à la musique, il
travaille pendant les années 70 au Neumarkttheater de Zurich, aux côtés de Horst
Zanki, en tant que musicien de théâtre. En 1979, il fait à ce titre une tournée à
travers toute la Suisse au sein du «Schaubude» de Peter Brogle. Ses premiers
projets musico-théâtraux, d'inspiration néo-dadaïste (Erik Satie, Kurt Schwitters)
datent du début des années 80 et sont présentés sur des scènes alternatives
zurichoises. Dans la décennie suivante, ses mises en scène au Théâtre de Bâle (où
il est invité par Frank Baumbauer dès 1988), au Festival de Salzbourg, à la Deutsche
Schauspielhaus de Hambourg et à la Volksbühne de Berlin confirment sa réputation
de créateur théâtral, dont les œuvres contribuent à abolir les distinctions entre
théâtre à texte et théâtre musical. Vers cette époque, Marthaler aime à élaborer, à
partir de la forme simple et traditionnelle que constitue le récital chanté, plusieurs
spectacles qui donnent à voir l'«helvétitude», si l'on peut dire, à travers des chants
de l'armée suisse, ou à l'occasion du sept-centième anniversaire de la
Confédération. Mais le spectacle légendaire qui lui valut une notoriété internationale,
monté en 1993 à la Volksbühne, fut un requiem pour la RDA (Murx den Europäer !
Murx ihn ! Murx ihn ! Murx ihn ab !, 1993). La même année, Frank Baumbauer est
nommé à la tête du Schauspielhaus de Hambourg et offre à Marthaler l'occasion
de créer certains de ses spectacles les plus mémorables : Faust. Wurzel aus 1+2
(Faust. Racine de 1+2) d'après Goethe ; Die Hochzeit (Le Mariage), de Canetti ;
Kasimir und Karoline, de Horváth ; ainsi que les projets Die Stunde Null oder Die
Kunst des Servierens (L'Heure zéro ou L'art de servir), qui tourna dans le monde
entier, et Die Spezialisten, ein Gedenktraining für Führungskräfte (Les Spécialistes,
un entraînement mémoriel pour cadres). Peu à peu, comme on voit, Marthaler a
commencé à explorer un répertoire théâtral plus classique (L'Affaire de la rue de
Lourcine, de Labiche, une de ses premières tentatives en ce genre, remonte à 1991).
Du côté de la Volksbühne, des travaux inspirés de Shakespeare ou Tchekhov
succèdent à Murx den Europäer… ; c'est également sur cette scène qu'il met en
scène La Vie parisienne, d'Offenbach, sous la direction de Sylvain Cambreling. En
étroite collaboration artistique avec Cambreling, Marthaler devient dès lors un
metteur en scène d'opéras : Pelléas et Mélisande de Debussy, Luisa Miller de Verdi,
Fidelio de Beethoven, Pierrot Lunaire / Quatuor pour la fin du temps de Schönberg /
Messiaen, Katia Kabanova de Janacek, Les Noces de Figaro de Mozart… Marthaler,
qui a dirigé de 2000 à 2004 le Schauspielhaus de Zurich (où il a mis en scène, entre
autres, Was ihr wollt (La nuit des rois) et Dantons Tod (La Mort de Danton),
présentés à l'Odéon-Théâtre de l'Europe), est aujourd'hui reconnu comme l'un des
principaux metteurs en scène du domaine allemand. Il a obtenu le Prix Konrad Wolf
1996 (décerné par l'Académie de Berlin), le Prix Nestroy, le Prix du Théâtre
Européen. En 1997, il a partagé le Prix de Théâtre du Land de Bavière avec sa
décoratrice et costumière attitrée, Anna Viebrock ; il a également été distingué par
le Prix Fritz Kortner.
8 › 16 déc. 07
Théâtre de l'Odéon / 6e
Krum en polonais surtitré
d'HANOKH LEVIN
mise en scène KRZYSZTOF WARLIKOWSKI
scénographie Malgorzata Szczesniak
musique Pawel Mykietyn
lumières Dariusz Adamski
son Lukasz falinski
avec Stanislawa Celinska, Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, Miron Hakenbeck, Marek Kalita,
Redbad Klynstra, Pawel Kruszelnicki, Zygmunt Malanowicz, Adam Nawojczyk,
Maja Ostaszewska, Jacek Poniedzialek, Anna Radwan-Gancarczyk, Danuta Stenka
coproduction Tr Warszawa et Stary teatr de Cracovie
créé le 20 juillet 2005 au Festival d'Avignon
Krzysztof Warlikowski
Krzysztof Warlikowski est né en 1962
à Szczecin, en Pologne. Après des
études d'histoire de la philosophie à
l'Université Jagellonia de Cracovie et
un séjour d'un an à Paris (au cours
duquel il étudie l'histoire du théâtre à
l'École Pratique des Hautes Études), il
entame une formation à la mise en
scène dès 1989 à l'Académie du
Théâtre de Cracovie, où il signe ses
..
premiers spectacles, d'après Dostoïevski
et Elias Canetti.
En 1992-1993, il est successivement
l'assistant de Peter Brook sur
Impressions de Pelléas (Paris, Bouffes
du Nord, 1992), puis de Krystian Lupa
sur Malte, d'après Rilke (Cracovie,
Stary Teatr, 1992). Giorgio Strehler
soutient et supervise son travail
d'adaptation et de mise en scène
d'A la recherche du temps perdu,
d'après Proust (Milan, Piccolo Teatro,
1994).
La même année, Warlikowski entame
un cycle Shakespeare, montant six de
ses pièces entre 1994 et 2003, tout en
abordant le théâtre tragique grec
(Sophocle, Euripide) et le domaine
contemporain : Kafka (Le Procès,
1995), Koltès (Roberto Zucco, 1995 ;
Depuis sa mort en 1999, l'audience internationale de Hanokh Levin ne cesse de s'étendre.
Kroum l'ectoplasme est l'une des meilleures introductions qui soient à son univers. La scène
est située dans un quartier populaire d'une ville non identifiée. Les quelques spécimens
d'humanité que l'on y croise n'ont jamais fait grand-chose pour en sortir. On se marie, on
meurt ; on reste là, englué dans une sorte de paralysie, tout en rêvant d'une vraie vie qui
serait, c'est sûr, tellement mieux, ailleurs… Ancien assistant de Lupa, de Brook, de Strehler,
ex-enfant terrible des scènes, Warlikowski est aujourd'hui reconnu comme le digne
héritier de la grande tradition théâtrale polonaise. Après ses succès dans les opéras du
monde entier ou au Festival d'Avignon, le premier spectacle qu'il présente à l'Odéon est
caractéristique de sa manière : toute en style et en simplicité, au service d'une troupe de
comédiens admirable.
Entretien avec Krzysztof Warlikowski
Dans une interview, vous avez dit que le théâtre ne devait pas être beau et que
la beauté au théâtre endort…
C'est un peu provocateur, bien sûr… Je crois que si la beauté vient toute seule, c'est
très bien, mais qu'elle ne doit pas être l'objectif premier du travail. La beauté vient
de la profondeur du sujet qu'on traite, du sens, de ce qu'on peut comprendre.
Vous ne travaillez que sur des textes dramatiques ? Jamais sur des adaptations
d'œuvres romanesques ?
Je crois que les romans ne sont pas des matières théâtrales. Ce sont des univers
très forts, comme chez Rilke, Musil, Dostoïevski… Mais au théâtre, il faut avoir un
..
entretien, un dialogue très précis, et prendre le temps nécessaire. La description
ou la narration des univers ne m'intéresse pas… Je l'ai tenté avec À la recherche
du temps perdu de Marcel Proust, mais je ne sais plus pourquoi. Pour moi, au
théâtre, nous devons parler directement au public de ce qui le concerne, pour le
réveiller, pour faire vivre des moments ici, maintenant, ensemble… Ce n'est pas la
recherche de l'Art qui doit nous préoccuper. La tragédie antique ressemble à ce
qui se passe à l'église où l'on communie dans des rituels.
Quai Ouest, 1998), Matéi Visniec,
Gombrowicz, Sarah Kane (Purifiés,
2001).
Warlikowski a présenté son travail à
travers l'Europe : dans toute la
Pologne, mais aussi aux Kammerspiele
de Hambourg, au Staatstheater de
Stuttgart, à Zagreb, au Holland Festival,
au Festival d'Avignon, au Festival
Europalia, au Schauspiel de Bonn, au
Festival Theater der Welt, au
Staatstheater de Hanovre, au Centre
dramatique national de Nice, ainsi
qu'en Israël.
Depuis quelques années, Warlikowski
est également un metteur en scène
d'opéra : citons entre autres The Music
Programme, de Roxanna Panufnik
(2000), Don Carlos, de Verdi (2001),
Ubu Roi, de Krzysztof Penderecki
(2003), Iphigénie en Tauride, de Gluck
(2006) et tout dernièrnement
L'Affaire Makropoulos, de Leos
Janacek (2007).
Hanokh Levin
Né à Tel-Aviv en décembre 1943,
Hanokh Levin est mort prématurément
d`un cancer en août 1999. Il est
l`auteur d`une œuvre considérable qui
comprend des pièces de théâtre, des
sketches, des chansons, de la prose et
de la poésie. Également metteur en
scène, il a monté la plupart de ses
pièces.
Cofondateur de l`Association des
auteurs dramatiques israéliens, il a
milité pour l`amélioration du statut et
des droits du dramaturge dans son
pays. Il a participé à la création de la
revue Teatron et, jusqu’à sa mort, a
fait partie de son comité de rédaction.
Son théâtre s'interroge toujours sur la
finalité d'une existence fondamentalement vouée à l'échec.
Le théâtre doit être ritualisé ?
C'est un rituel, comme au Parlement où l'on échange des points de vue, ou comme
à l'église. Mais la vraie question, c'est : qu'est-ce que le théâtre ? C'est un endroit
où l'on va éteindre les lumières et où le public va voir quelque chose qui n'est pas
vrai, où il lui sera interdit de tuer les comédiens, même s'ils jouent un personnage
mauvais, interdit d'embrasser une femme même nue à ses pieds, etc. C'est un rituel
à suivre qui répond à un besoin abstrait du public de venir s'enfermer dans une salle
sombre pour radoter, délirer… C'est étrange, non ? Un observateur extérieur, un
Esquimau, par exemple, pourrait se poser des questions sur cette nécessité de
rester enfermés pendant des heures, parfois douze heures sinon plus, avec des gens
qu'on ne connaît pas, excités à écouter Claudel…
Comment vous est venu le désir de monter Kroum ?
Après avoir fait beaucoup de grands textes, j'ai eu la sensation d'être arrivé au
terme de quelque chose, un peu fatigué d'avoir beaucoup travaillé sur les grands
thèmes du théâtre et d'avoir tenté de parler de notre histoire polonaise, en
particulier dans son rapport avec la communauté juive. À mon âge, je me suis posé
la question de mes satisfactions, de mes désirs, de ma place dans la société, de
mes insatisfactions… Que me restait-il à faire maintenant ? La question qui m'est
apparue la plus évidente était celle de mon lien avec mon passé, avec mes parents,
avec ma mère en particulier. J'ai senti comme un cancer en moi, une matière
troublante, pas évidente, il m'a fallu oser me présenter avec ça devant le public.
Il y a aussi deux thèmes très présents dans la pièce : la maladie et l'amour.
Est-ce aussi cela qui vous a intéressé ?
C'est la maladie qu'on retrouve aussi chez Sarah Kane… Ce sont deux forces, l'une
dévastatrice, l'autre constructive. J'ai l'impression que l'amour, le désir physique,
soit l'énergie de mon art. Pour Kroum, c'est la relation malsaine avec sa mère qui
est son énergie. Si un jour il devient un artiste, ce sera à cause de cette relation,
un peu comme Elfriede Jelinek qui trouve dans son rapport à sa mère la force de
son écriture. Hanokh Levin était dans la même situation que Kroum… Alors peutêtre ne doit-on plus dire que cette relation mère-fils est malsaine… et se poser la
question de savoir s'il est possible d'avoir une relation saine avec la personne qui
vous a donné la vie.
Extrait d'une interview réalisée par Jean-François Perrier, Festival d'Avignon, 2005
10 janv. › 23 fév. 08
Ateliers Berthier / 17e
La Petite Catherine de Heilbronn
création
d'HEINRICH VON KLEIST
mise en scène ANDRÉ ENGEL
version scénique André Engel et Dominique Muller
dramaturgie Dominique Muller
son Pipo Gomes
scénographie Nicky Rieti
lumières André Diot
costumes Chantal de la Coste-Messelière
avec Gérard Desarthe, Evelyne Didi, Irène Jacob, Jérôme Kircher, Julie-Marie Parmentier
(distribution en cours)
production : Odéon-Théâtre de l'Europe, Le Vengeur Masqué
Extrait
WENZEL
Ce n'est pas possible !
HANS
Elle disparaît ?
WENZEL
En laissant tout derrière elle ?
HANS
Ses propriétés, son foyer et le fiancé
à qui elle était promise ?
WENZEL
Sans même demander ta bénédiction ?
THEOBALD
Elle disparaît, mes seigneurs —
M'abandonnant, moi et tout ce qui
l'attache ici : le devoir, l'habitude et
la nature — Elle pose un baiser sur
mes yeux encore ensommeillés et
disparaît. J'aurais préféré qu'elle me
les ferme pour de bon.
La Petite Catherine, traduction Pierre
Deshusses, (œuvres complètes, t 4,
Théâtre II, Gallimard, Le Promeneur,
1999)
Une histoire impossible. Un défi à la mesure d'André Engel et de certains des comédiens
qui le suivent depuis Léonce et Léna, Le Jugement dernier ou Le Roi Lear. Ces cinq acteslà tiennent un peu de tous les genres : feuilleton amoureux à rebondissements, La Petite
Catherine est aussi à certains égards une chronique médiévale, un conte fantastique, un
roman policier, une légende de cape et d'épée, un mythe intemporel, un poème mystique,
une ballade populaire. L'intrigue est folle : pourquoi la petite Catherine a-t-elle un jour tout
quitté pour suivre comme une somnambule le Comte von Strahl ? Comment la fille d'un
simple armurier peut-elle prétendre épouser un aussi noble chevalier ? Et
pourtant cela doit être. Mais pour que l'homme et la femme, ces deux pièces d'un puzzle
onirique, puissent se rejoindre, c'est tout un monde qui devra être traversé. Et qui le sera
comme s'il n'en fallait pas moins pour réinventer Ève et Adam.
L'épreuve du feu
Maintenant, Wilhelmine, je vais moi aussi te dire quel bonheur j'attends d'un futur
mariage. Autrefois, je n'en avais pas le droit, mais maintenant – oh Dieu ! Quelle
joie j'en ressens ! – Je vais te décrire l'épouse qui peut maintenant me rendre
heureux – et c'est là la grande idée que je médite pour toi. L'entreprise est vaste,
mais le but l'est également. Je consacrerai à cette tâche chaque heure que ma
situation à venir me laissera libre. Cela donnera un attrait nouveau à ma vie et
nous fera traverser plus vite le temps d'épreuve qui nous attend. Dans cinq ans, je
l'espère, l'œuvre sera accomplie.
Tu n'as pas à craindre que cette épouse rêvée ne soit pas de cette terre, que je ne
puisse la trouver qu'au ciel. Je la trouverai ici-bas dans cinq ans et je l'étreindrai
de mes bras terrestres – Je n'exigerai point du lys qu'il s'élève dans les airs aussi
haut que le cèdre et ne demanderai point à la colombe de voler comme l'aigle.
Je ne sculpterai pas dans la toile, ne peindrai pas le marbre. Je connais le bloc
auquel j'ai affaire et je sais ce que j'en puis tirer. C'est un minerai avec de l'or
natif et il ne me reste qu'à séparer le métal de sa gangue. Il a reçu de la nature
son poids, sa sonorité, et l'épreuve du feu l'a rendu invulnérable, le soleil de
l'amour lui donnera éclat et lumière, et je n'aurai plus, après cette opération
chimique, qu'à me chauffer aux rayons que sa surface me renverra.
Je sens moi-même combien ce langage imagé reste terne en comparaison de
l'esprit qui m'anime – Oh ! si je pouvais seulement te communiquer un éclair du
feu qui brûle en moi ! Si tu pouvais ressentir à quel point l'idée de faire de toi un
jour un être parfait exalte en moi les forces vitales, aiguise les aptitudes,
transforme mes énergies en vie et en activité !
Extrait d'une lettre à Wilhelmine von Zenge, Würzburg, 10/11 oct.1800 (trad. J.-Cl.
Schneider, in Kleist : œuvres complètes, t. 5, Théâtre II, Gallimard, le Promeneur,
1999, pp. 131-132).
Heinrich von Kleist
Né en 1777, issu d'une famille de militaires, il fait ses études à Francfort avant
d'entrer dans l'armée jusqu'en 1799, au sein de laquelle il participe au Siège de
Mayence (1793). Il voyage dans divers pays d'Europe. Il écrit des nouvelles et des
pièces de théâtre qu'il ne vit jamais représentées de son vivant. Il lance également
plusieurs revues littéraires, qui restent éphémères.
Soupçonné d'espionnage, il est incarcéré par les Français en 1807 pendant quelques
mois au Fort de Joux. Après l'échec de sa dernière pièce Le Prince de Hombourg, il se
suicide au bord du lac de Wannsee, près de Potsdam, avec son amie Henriette Vogel.
Kleist est l'un des rares romantiques qui aient mis pleinement leur pensée en
action. La recherche de l'absolu a été sa seule quête dans sa vie publique, littéraire
et privée. Le suicide à deux, minutieusement préparé alors qu'il n'a que 34 ans, en
sera l'ultime témoignage – son Penthésilée, où le vertige de l'amour est associé à
celui de la mort, apparaissant désormais comme un signe prémonitoire.
Sa vie chaotique, faite de passion et de déception aussitôt surmontée, d'une
densité extrême, est tragique comme la plupart de ses textes. De la lignée de
Shakespeare, il sait à merveille faire entrer dans des canevas classiques la
barbarie et la démesure, le duel éternel du réel et de la subjectivité, l'impossible
tentative de dépassement – hormis dans Le Prince de Hombourg.
Chez lui, le rêve n'est jamais un refuge : bien plutôt un ferment de réconciliation
avec le réel. L'être doit s'atteindre sans le secours de la raison, qui mène à une
impasse, ni de la volonté, souvent stérile, mais à travers la grâce de l'abolition du
Moi, qui seule délivre de ces vies «verrouillées de l'intérieur», si fatales à l'être
humain.
Il faudra attendre Nietzsche pour que la singularité encombrante de Kleist soit
reconnue pour ce qu'elle est : la sublime «impossibilité de vivre» une existence
privée d'absolu. Et Nietzsche cite la lettre, où Kleist dit comment la lecture de Kant
l'a réduit au désespoir, lui retirant tout but, une existence condamnée au relatif
devenant l'«incurable» même.
Principales œuvres : La Cruche cassée (1803), La Famille Schroffenstein (1801),
Robert Guiscard (1803), La Marquise d'O... (1805), Michael Kohlhaas (1810),
Penthésilée (1805-1807), La Petite Catherine de Heilbronn (1808), La Bataille
d'Arminius (1808), Le Prince de Hombourg (1811).
24 janv. › 29 mars 08
Théâtre de l'Odéon / 6e
L'École des femmes
création
de MOLIÈRE
mise en scène JEAN-PIERRE VINCENT
dramaturgie Bernard Chartreux
scénographie Jean-Paul Chambas
lumière Alain Poisson
costumes Patrice Cauchetier
avec Daniel Auteuil, Bernard Bloch, Michèle Goddet, Pierre Gondard, Charlie Nelson,
Lyn Thibault, Stéphane Varupenne (distribution en cours)
production : Odéon-Théâtre de l'Europe, Studio Libre
Extrait
Arnolphe.
[…]
Ah ! ah ! si jeune encor, vous jouez de
ces tours !
Votre simplicité, qui semble sans
pareille,
Demande si l'on fait des enfants par
l'oreille ;
Et vous savez donner des rendez-vous
la nuit,
Et pour suivre un galant vous évader
sans bruit !
Tudieu ! comme avec lui votre langue
cajole !
Il faut qu'on vous ait mise à quelque
bonne école.
Qui diantre tout d'un coup vous en a
tant appris ?
Vous ne craignez donc plus de trouver
des esprits ?
Et ce galant, la nuit, vous a donc
enhardie ?
Ah ! coquine, en venir à cette perfidie ?
Malgré tous mes bienfaits former un
tel dessein !
Petit serpent que j'ai réchauffé dans
mon sein,
Et qui, dès qu'il se sent, par une
humeur ingrate,
Cherche à faire du mal à celui qui le
flatte !
Agnès.
Pourquoi me criez-vous ?
Arnolphe.
J'ai grand tort en effet !
Agnès.
Je n'entends point de mal dans tout
ce que j'ai fait.
En 1990, Daniel Auteuil traversait Les Fourberies de Scapin avec Jean-Pierre Vincent. Ils se
retrouvent aujourd'hui pour aborder le plus grand succès dramatique que Molière ait connu de
son vivant. Auteuil y tiendra le rôle que l'auteur s'était réservé : celui d'Arnolphe, «un
homme», tel que le raconte Vincent, «obsédé par la tromperie féminine. Il s'est emparé
d'une petite fille pour en faire un jour sa «femme idéale». Il l'a enfermée chez lui, à l'écart
du monde, la laissant dans l'ignorance. Elle a grandi ainsi, dans ce qu'il appelle la sottise.
Un jour, la jeune fille tombe amoureuse d'un jeune passant. Alors, pour la tirer des
mirages de l'amour, notre homme a un urgent besoin que la fille fasse preuve de «raison».
«Oui, mais, dit-elle, je suis sotte». C'est ainsi qu'elle lui échappe, pas si sotte…» Après avoir
monté Jean-Luc Lagarce aux Ateliers Berthier, Jean-Pierre Vincent revient au répertoire
classique et aux ors de la grande salle de l'Odéon pour des retrouvailles attendues avec un
très grand acteur.
En route vers L'École des femmes
J'ai toujours eu un faible pour L'École des femmes de Molière, en tant que lecteur,
en tant que spectateur. Il y a là quelque chose de radieux, une aurore de théâtre
et d'humanité, et qui se mêle bientôt à je ne sais quoi de sombre et de sordide.
Il faut bien qu'il y ait la nuit pour que le jour la chasse.
L'École des femmes représente un saut dans l'œuvre de Molière. Et ce saut se
produit durant la pièce : on y voit l'ancienne farce se métamorphoser en grande
comédie, frôlant le drame. L'École des maris, qui la précède, était encore une
petite forme, une démonstration gracieuse, mais limitée dans ses ambitions. Ici,
d'acte en acte, on sent jaillir et grandir une veine poétique sans précédent, qui
engage Molière dans la série des grands chefs-d'œuvre. On peut aisément tirer la
pièce vers le noir (désespoir de vieillir, aventure sordide, imbécillité désolante…).
Mais la leçon de la version historique de Louis Jouvet, que je n'ai fait qu'écouter,
nous montre bien que la farce est sans doute la manière la plus sérieuse de
traiter cette affaire «Arnolphe».
On sait aussi que Molière s'engage ici dans un bras de fer, qu'il met les mains dans
un feu qui va le brûler. Ce poème théâtral pour acteurs, si limpide et si simple en
apparence, déclencha aussitôt des réactions (politiques et morales) extravagantes
de violence. Et cela n'allait pas cesser durant quatre ans, car Molière ne baissait
Arnolphe.
Suivre un galant n'est pas une action
infâme ?
Agnès.
C'est un homme qui dit qu'il me veut
pour sa femme :
J'ai suivi vos leçons, et vous m'avez
prêché
Qu'il se faut marier pour ôter le
péché.
Arnolphe.
Oui. Mais pour femme, moi, je prétendais vous prendre ;
Et je vous l'avais fait, me semble,
assez entendre.
Agnès.
Oui. Mais à vous parler franchement
entre nous,
Il est plus pour cela selon mon goût
que vous.
L'École des femmes, V, iv, 1491-1515
pas les bras. La coterie bigote et réactionnaire ne voulait pas de cette «école» ? Il
leur servit Tartuffe sous ses diverses formes ; il fit semblant de se divertir ailleurs
avec Dom Juan, pour mieux revenir à la charge dans les trois derniers actes. Ce n'est
qu'à la fin du Misanthrope, fourbu par ces luttes contre l'hypocrisie, qu'il laisse
partir «au désert», avec Alceste, son engagement dans le monde. Ensuite, il
daubera de diverses façons sur le bourgeois pour amuser toutes les galeries. Il y a
un «avant-École des femmes», comme il y aura un «après-Misanthrope». Cette
valeur de pamphlet doit aussi nous animer en montant la pièce aujourd'hui.
Que nous raconte cette pièce, en effet ? Un homme (Arnolphe) obsédé par la
tromperie féminine s'est emparé d'une petite fille (Agnès) pour en faire un jour sa
«femme idéale». Il l'a enfermée chez lui, à l'écart du monde, la laissant dans
l'ignorance. Elle a grandi ainsi, dans ce qu'il appelle la sottise. Un jour, la jeune fille
tombe amoureuse d'un jeune passant (Horace). Alors, pour la tirer des griffes de
l'amour juvénile, notre homme a un urgent besoin que sa prisonnière fasse preuve
de «raison». «Oui mais, dit-elle, je suis sotte». C'est ainsi qu'elle lui échappe, pas
si sotte. Combien de jeunes filles aujourd'hui sont enfermées «pour leur bien» (et
pas seulement par des psychopathes) ? Combien de jeunes gens aujourd'hui sont
abandonnés hors de l'école, dans un monde sans travail et sans attrait ? Et le jour
où la classe responsable a besoin qu'ils soient raisonnables, ils mettent le feu :
façon «sotte» d'affirmer leur existence et leur liberté bafouée.
L'école ici n'est pas celle du feu, mais celle de l'amour et de la «nature»
échappant radicalement à la contrainte peureuse. L'École des femmes, c'est aussi,
ou d'abord, cela : l'explosion utopique de sentiments naturels, animaux, qui
franchissent toutes les barrières de la raison raisonnante. Oh, pas chez des génies,
pas chez des surdoués, non ! Agnès et Horace sont des personnes très ordinaires,
loin du luxe baroque de Roméo et Juliette : une naïve et un gaffeur, comme on en
voit dans les feuilletons, des ados comme il peut y en avoir tant. Et c'est là
qu'intervient le miracle utopique qui transcende un récit qui pourrait patauger dans
la médiocrité : l'intelligence leur arrive par des chemins ravissants, imprévisibles.
Molière, l'inquiet, le tourmenté, plaide ici pour la gaîté profonde de la vie des sens.
Et il y a encore d'autres apparitions. Il y a Chrysalde, «ami d'Arnolphe». Mais
comment donc deux types aussi disparates peuvent-ils être amis ? Le grand
bourgeois parisien permissif, voire libertin, avec le narquois tortionnaire ? C'est que
le réel de Molière ne passe pas par le «réalisme» : il a toujours besoin de ces
couples improbables qui mettent le monde en débat, qui discutent à perte de vue
alors qu'ils n'ont rien à se dire, se prenant mutuellement pour des fous. C'est cela
aussi, la vie.
Il y a Georgette et Alain, les serviteurs recrutés eux aussi pour leur idiotie, et qui
se libéreront de même qu'Agnès, parce que la raison (d'Arnolphe) devenue folie ne
peut être vaincue qu'en revenant aux conceptions les plus simples, aux réflexes
vitaux.
Il y a un notaire, très sérieux, emporté par le flot de l'absurde bouffonnerie.
Il y a enfin l'Amérique qui débarque, sous la figure du père exilé et qui a fait fortune,
homo ex machina, sans qui l'histoire ne finirait pas comme un conte de fées.
L'École des femmes, c'est un bouillon de théâtre, le drolatique s'y mêlant sans
cesse à l'émotion, le mensonge à la sincérité, le touchant au répugnant. On y
partage un moment historique en cinq actes où l'on voit l'humanité changer à vue,
et changer aussi le regard qu'elle porte sur elle-même : une fête de l'esprit sur
une histoire idiote.
Jean-Pierre Vincent
8 › 22 mars 08
Ateliers Berthier / 17e
Pinocchio spectacle pour enfant
création
d'après CARLO COLLODI
texte et mise en scène JOËL POMMERAT
scénographie et lumière Éric Soyer
costumes Isabelle Deffin
recherche sonore François et Grégoire Leymarie
(distribution en cours)
production : Compagnie Louis Brouillard, Le Centre Dramatique de Tours, Théâtre de
Villefranche sur Saône, La Ferme de Bel Ebat / Guyancourt, Théâtre Brétigny, Le Gallia
Théâtre / Saintes, Théâtre National de Bordeaux Aquitaine, Les Salins / Scène nationale
de Martigues, Espace Malraux-Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie…
Joël Pommerat
Joël Pommerat est né en 1963 à
Roanne. Auteur et metteur en scène, il
fonde en 1990 la Compagnie Louis
Brouillard, avec laquelle il crée plusieurs
pièces, dont Pôles (1995) au Centre
dramatique national des Fédérés, Treize
étroites têtes (1997), Mon ami (2001) au
Théâtre Paris-Villette, Qu'est-ce qu'on a
fait ? (2003) au Centre dramatique
national de Caen. Au monde (créé en
2004 au Théâtre national de Strasbourg
avant de partir en tournée en France et
à l'étranger), Le Petit Chaperon rouge à
Brétigny-sur-Orge, D'une seule main
(2005) au Centre dramatique de
Thionville et Les Marchands (2006) au
Théâtre national de Strasbourg.
Pour Joël Pommerat, et pour tous ceux
qui composent autour de lui, l'art de la
scène est une affaire collective. Les
éléments sensibles et perceptifs d'un
spectacle ne viennent pas se surajouter
à sa forme écrite, mais font d'emblée
partie intégrante de son écriture. Bruits
et musiques, corps et gestes, incidents
impondérables nourrissent, au même
titre que l'écriture, un processus de
création qui ne peut se conduire qu'à
plusieurs voix.
Qui donc est-il, ce Pinocchio dont rêve Joël Pommerat et qu'il destine d'abord aux enfants ?
..
Un être effaré, naïf, ravi donc plongé, ajoute-t-il, dans «un état profondément théâtral».
Autour de Pinocchio, héros d'une fête musicale et douce, le paysage auquel songe
Pommerat (qui vient de recevoir le Prix de Littérature dramatique pour sa dernière pièce,
Les Marchands) tient plus des rêveries féeriques du Grand Meaulnes que de l'Italie de
Collodi. Le spectacle jouera du contraste entre l'austérité sérieuse du réel et les prestiges
de la fantasmagorie. Librement réinventé, ce Pinocchio où l'imagination enfantine se
mesure à la dureté des «grandes personnes» partira «de la question de la paternité et de
la pauvreté». Peut-on s'acquitter d'une dette de vie ? Comment devient-on grand tout en
restant libre ? Joël Pommerat ne sait pas si les enfants se formulent de telles questions.
Mais depuis qu'il a créé pour eux un Petit Chaperon rouge, il aime les histoires où elles se
posent et sait qu'elles peuvent les captiver.
«Quelque chose derrière l'action»
Dans la manière, dans la forme de ce qui est dit, au théâtre, quelque chose est
contenu, bien plus fort que dans les discours, les opinions et autres dénonciations
irréprochables : à bas la guerre, non à l'argent, les autres ont tort, que meure la
bêtise… C'est aussi dans la quête de la forme que peut se dégager au théâtre le
sens dont nous avons besoin.
En cela, je pense aussi qu'il est plus urgent de montrer que d'expliquer. Que c'est là,
même, notre seul et essentiel travail au théâtre : montrer, quoi montrer, comment
montrer. Et sans exclure le texte, non, car la parole doit être montrée elle aussi.
Le théâtre ne sert aucune cause, au contraire, pour moi il doit empoisonner la
réflexion et tenter de nous faire sortir de nous-mêmes. En cela, peut-être, il est
politique.
Quand j'écris, je vise quelque chose d'autre que l'anecdote.
Quand nous travaillons, je dis souvent : «Non, ça, ça ne m'intéresse pas, c'est
anecdotique», anecdotique, cela veut dire pour moi qu'il n'y a rien d'autre derrière
la chose que le reflet de la chose elle-même.
Les choses qui m'intéressent valent pour ce qu'elles sont capables de révéler
d'autre, de différent, voire de contraire, c'est leur profondeur qui m'intéresse.
Je vise quelque chose derrière l'action, les mots, la situation. Quelque chose qu'on
Joël Pommerat est artiste associé à la
Scène nationale de Chambéry et de la
Savoie jusqu'en 2008. La Compagnie
Louis Brouillard est en résidence au
Théâtre Brétigny depuis 1997 et au
Théâtre des Bouffes du Nord depuis 2007
pour trois années. Après un séjour à la
Fonderie au Mans en mars 2007 en vue
de préparer la prochaine création, Je
tremble, la Compagnie Louis Brouillard
va s'installer fin avril à Chambéry pour
une nouvelle étape de travail. Je
tremble verra le jour à Chambéry fin
mai et sera présenté à Douai puis aux
Bouffes du Nord en octobre 2007.
ne doit pas pouvoir désigner simplement, quelque chose qui doit apparaître, quelque chose qui doit s'immiscer, se glisser entre les lignes des gestes et des phrases
prononcées comme une réalité fantôme bien plus présente, bien plus forte sous
cette forme que si elle était désignée par le texte ou par le jeu des interprètes, par
leurs intentions affirmées, soulignées.
Une réalité fantôme comme ces membres fantômes, ces jambes ou ces bras qui
ont été amputés et dont la présence continue à se faire ressentir.
Joël Pommerat
(extrait de Théâtres en présence, éd. Actes Sud, Arles, 2007, pp. 25-27).
27 mars › 18 avril 08
Ateliers Berthier / 17e
Tournant autour de Galilée
création
spectacle de JEAN-FRANÇOIS PEYRET
texte de Jean-François Peyret et d'Alain Prochiantz
scénographie Nicky Rieti
lumières Bruno Goubert
musique Alexandros Markeas
avec Jeanne Balibar, Freddy Kunze, Olivier Perrier et Bibi
(distribution en cours)
production : tf2-Cie Jean-François Peyret
Jean-François Peyret
Pendant dix ans, jusqu'en 1994,
Jean-François Peyret a d'abord codirigé
le Sapajou Théâtre avec Jean Jourdheuil.
Ensemble, ils traduisent et assurent la
création française de plusieurs textes de
Heiner Müller (De l'Allemagne, Odéon,
1983 ; Paysage sous surveillance,
Bobigny, 1987 ; La Route des chars,
MC93 Bobigny, 1988 ; Le Cas Müller,
Festival d'Avignon, 1991). Peyret et
Jourdheuil fabriquent par ailleurs une
quinzaine de spectacles combinant
divers matériaux traduits, montés ou
écrits par leurs soins, notamment Le
Rocher la lande la librairie, d'après
Montaigne (Théâtre de la Commune
d'Aubervilliers, 1982), Shakespeare les
sonnets (Théâtre de la Bastille, 1989 ;
MC93 Bobigny, 1990), Lucrèce la
Nature des choses (MC93 Bobigny,
1990-1991), Le Loup et les sept
Blanche Neige (MC93 Bobigny, 1993).
En 1994, avec Sophie Loucachevsky, il
réalise et anime le Théâtre-Feuilleton
au Petit Odéon. Un an plus tard, il se
lance dans un cycle en sept épisodes,
le Traité des passions, qui l'occupe
cinq ans à la MC93 Bobigny ; à cette
occasion, il fonde une nouvelle
compagnie, baptisée tf2. Le cycle se
conclut par un épilogue inspiré de
Il y a un mythe Galilée. Selon la vulgate, il est avec Copernic l'un des martyrs
fondateurs du savoir moderne ; quant à l'Église qui le condamna, elle incarne les puissances
obscurantistes du dogme et de l'autorité. Or Jean-François Peyret (qui a lu Brecht de près,
et qui s'intéresse assez à la science pour cosigner des spectacles avec Alain Prochiantz, le
neurobiologiste) interprète tout autre chose dans le destin de Galilée. Il y déchiffre
l'avènement de la science-passion (comme on parle d'amour-passion), d'un désir de
voir-savoir-pouvoir visant à se soumettre l'univers, dût-il pour cela se soumettre aux grands de
ce monde. Aussi, entre foi et raison, Peyret convoquera-t-il d'autres figures afin de compliquer
le débat : celle d'un sage méfiant (Olivier Perrier), pourceau d'Épicure flanqué de sa truie,
qui aura pour mission ironique d'observer l'observateur ; celle aussi de la fille de Galilée,
l'émouvante Virginia (Jeanne Balibar), digne Antigone de cet Oedipe qui s'ignore.
Jouer avec Galilée
Certains, et même des amis, remarquant que mon théâtre flirte depuis quelques
années avec la science (je ne formulerais pas les choses ainsi, mais enfin…) me
demandent parfois pourquoi, au lieu de tourner autour du pot, je ne monte pas la
pièce qui par excellence traite du sujet, La Vie de Galilée de Brecht, chef-d'ouvre
incontournable et qui brille dans le firmament du répertoire théâtral (image), un
peu solitairement, tant il est vrai que le théâtre européen (il faudrait plutôt dire,
continental) a comme évité, ignoré la science (et ses conséquences, la
technoscience) à laquelle n'échappent ni nos vies privées ni notre vie publique.
Brecht appelait ça l'âge ou l'ère scientifique. Alors, pourquoi je ne monte pas…,
etc. ? D'abord, je ne monte jamais de pièces (j'ai même oublié pourquoi) ;
ensuite j'en serais probablement incapable ; enfin un reste d'esprit brechtien
entretient chez moi une vague méfiance quant à l'usage des classiques. […] Nous
ne monterons pas La Vie de Galilée […]. À la place nous tenterons plutôt ce que
Heiner Müller appellerait un commentaire, voire une anatomie de la pièce, nous
autorisant ainsi quelques variations sur des thèmes de La Vie de Galilée .
Matériau, oui, et matière à réflexion, terrain de jeu aussi. Non pas jouer la pièce,
jouer avec ou la faire jouer, comme joue le vieux bois.
Sur quoi jouer ou avec quoi ? Une entrée de jeu : le jeu curieux que Brecht joue
avec le mythe de Galilée : car il s'agit bien d'un mythe, tout le monde connaît
W. H. Auden, Projection privée/
théâtre public, présenté au Théâtre de
la Bastille.
À partir de 2002, il s'engage dans les
trois épisodes d'une nouvelle recherche
au long cours, Le Traité des formes,
avec la complicité d'Alain Prochiantz,
directeur du département de biologie
de l'École Normale Supérieure (depuis
au Collège de France). Ce cycle, qui a
fait l'objet d'une publication en deux
volumes aux éditions Odile Jacob,
comprend trois épisodes : La Génisse
et le Pythagoricien (TNS, puis Théâtre
de Gennevilliers, 2002) ; Des Chimères
en automne ou l'impromptu de
Chaillot (Théâtre national de Chaillot,
2003) ; Les Variations Darwin (Théâtre
national de Chaillot, 2004 ; TNS,
Théâtre du Port de la Lune, Théâtre de
Caen, 2005). Enfin, avec Le Cas de
Sophie K. (Festival d'Avignon, 2005 ;
Théâtre national de Chaillot, 2006),
inspiré entre autres par l'œuvre et la
personnalité de la mathématicienne
Sophie Kovalevskaïa, Jean-François
Peyret s'associe à Luc Steels, spécialiste
de l'intelligence artificielle, pour
poursuivre sous d'autres formes le
dialogue inattendu de l'art et de la
science contemporains.
Jean-François Peyret, qui enseigne à
l'université de Paris III, est depuis
2003 metteur en scène en résidence à
l'Ircam.
un peu l'histoire, tout le monde sait que Galilée s'est rétracté, nul n'ignore les démêlés du savant avec l'Église, chacun en connaît les enjeux : la raison contre la foi, le
savoir contre le pouvoir, les Lumières contre les Ténèbres ; bref, se joue quelque
chose comme la scène primitive de la science moderne. Eh bien, Brecht ne
cherche pas à réécrire le mythe, mais à le déjouer pour en donner une nouvelle
version, à le détruire pour tenir un autre discours : Galilée ne serait plus une
victime mais un coupable, […] coupable d'avoir coupé définitivement la science du
peuple pour la livrer aux puissants et aux intérêts qu'ils défendent. La rétractation
n'est ni une tragédie ni une ruse de la raison dans l'histoire, c'est une erreur
politique, une faute sociale. […]
J'ignore si notre petit théâtre est capable de reprendre à son compte une telle
question, et s'il peut être à la hauteur de ce qui taraude les esprits d'aujourd'hui […].
Soit, mais que fait-on quand ces questions font le siège de votre imagination, qu'on
ne sait guère s'exprimer qu'au théâtre (que cette joie demeure !), et que, selon une
formule célèbre, on a des picotements au ventre pour «y aller» ? Et y aller, c'est
aller voir derrière ce mythe, de quelque manière qu'on le raconte, voir ce qui le
motive, voir ce qui est peut-être le motif principal de la pièce, ce qui véritablement
met en mouvement Galilée, et qu'il faudrait appeler la science-passion, comme on
parle de l'amour-passion. Ces deux passions ne sont-elles pas du reste les deux
grandes affaires de l'Occident ? […] Ce qu'il y a de plus beau, de plus fort dans la
pièce, ce qui donne le plus envie de jouer avec, c'est la peinture de cette passion
de savoir. Increvable et énigmatique, car, après tout, comment nous est né ce désir
de lire le grand livre de la Nature, écrit en langage mathématique, comme on sait,
au lieu de se contenter de contempler le paysage ? Et ce désir de connaître est-il
aussi pur et désintéressé que les fondamentalistes de la science (on parle bien de
recherche fondamentale, non ?) veulent nous le faire croire ? De même que
l'amour-passion n'est pas seulement le désir de l'autre mais celui de sa possession
voire de sa destruction, on sait que le désir de connaître cache mal le désir de
devenir comme «maîtres et possesseurs de la nature» (Descartes), possesseurs, voire
destructeurs. Le pur désir est désir de mort, disait l'Autre. Un jeu : qu'est-ce que la
recherche de la vérité ? Et qui se cache sous le masque de l'homme de vérité ?
Extrait de notes de Jean-François Peyret
22 › 31 mai 08
Ateliers Berthier / 17e
Ivanov
création
en hongrois surtitré
d'ANTON TCHEKHOV
mise en scène TAMÁS ASCHER
dramaturgie Géza Fodor, Ildikó Gáspár
décors Zsolt Khell
costumes Györgyi Szakács
lumières Tamás Bányai
musique Márton Kovács
avec János Bán, Zoltán Bezerédi, Judit Csoma, Klára Czakó, Csaba Eröss, Ernö Fekete,
Csaba Hernádi, Adél Jordán, Vilmos Kun, Gábor Máté, Béla Mészáros, Erika Molnár,
Imre Morvay, Ervin Nagy, Szabina Nemes, Éva Olsavszky, Anna Pálmai, Réka Pelsöczy,
Zoltán Rajkai, Ági Szirtes, Ildikó Tóth, Vilmos Vajdai, Máté Zarári
production : Katona József Szinház, Budapest
créé le 27 mars 2004 au Katona Theatre
Tamás Ascher
Tamás Ascher est né en 1949 à
Budapest. Après sa formation à
l'Académie de théâtre de Budapest en
1973, il devient metteur en scène au
Théâtre Csiky Gergely à Kaposvar, puis
au théâtre national de Budapest de 1978
à 1981, le théâtre est alors sous la
direction de Gábor Székely et Gábor
Zsámbéki.
Depuis 1983, il est metteur en scène
associé au prestigieux Théâtre Katona
Jóseph, et conserve son rôle de directeur
artistique à Koposvar. Il enseigne
également à l'Académie de Théâtre de
Budapest.
À Kaposvár, Ascher a monté notamment
Le Cercle de craie Caucasien de Brecht
(1975), Les légendes de la forêt
viennoise (1978), Casimir et Caroline
(1982) d`Ödön von Horváth, En
attendant Godot de Beckett (1975),
Hamlet de Shakespeare (1980), Le
Misanthrope de Molière (1991), La visite
de la vieille dame de Dürrenmatt (1995),
et Le lieutenant de Inishmore de
Ostrovsky (2003).
Dans un intérieur quelconque, quelque part dans une Europe des années 1960 ou 1970,
quelqu'un traîne auprès d'un transistor allumé, projette vaguement d'organiser une soirée
pour tuer le temps, et faute de mieux, noie son mal de vivre dans un flot de paroles ou
d'alcool… Ivanov est la première de ses pièces que Tchekhov ait vu jouer. Jeune auteur, il
se doutait si peu de ce qu'est censée être une atmosphère «tchékhovienne» qu'il pensait de
bonne foi écrire une comédie. Ce détail n'a pas échappé à Tamás Ascher, familier de son
oeuvre depuis plus de vingt ans : on rit souvent et franchement dans cet Ivanov décapé,
où les portes battent le rythme d'une sorte de vaudeville de la banalité. La formidable
troupe du Katona de Budapest arrache chacun des personnages à ses clichés ; ainsi
incarnés, selon Jean-Pierre Thibaudat, ils «n'en apparaissent que plus nus et vulnérables.
Proches de nous comme jamais.»
Ivanov
Tchekhov écrit Ivanov en 1887. Il a vingt-sept ans et exerce la médecine depuis
1884. Sa première pièce, Platonov, a été refusée par le Théâtre Maly cinq ans plus
tôt. La deuxième, Sur la grand-route, adaptée d'une de ses nouvelles, a été
interdite par la censure. Tchekhov a pourtant commencé a se faire un nom. Son
premier recueil, Les contes de Melpomène, a été publié en 1885, et depuis 1886,
il collabore régulièrement à un grand quotidien de Saint-Pétersbourg tout en
fréquentant les milieux du théâtre. Après une nouvelle adaptation en un acte d'un
de ses récits, il s'attaque à Ivanov.
À son frère Alexandre, il confie en ce temps-là l'un de ses trucs de composition :
«je mène tout l'acte tranquillement et doucement, mais à la fin, pan dans la
gueule du spectateur !» Chacun des quatre actes d'Ivanov s'achève en effet sur
une surprise ou sur un choc, dont la violence va croissant à mesure qu'avance le
drame. C'est d'abord la brusque décision d'Anna Pétrovna d'aller retrouver, malgré
sa maladie, son mari Ivanov à la soirée que donne Lébédev pour les vingt ans de
sa fille Sacha ; c'est ensuite son arrivée inopinée alors qu'Ivanov et Sacha sont
enlacés. À la fin du troisième acte éclate une scène atroce entre les deux époux,
au cours de laquelle Ivanov, harcelé, accablé, ne peut s'empêcher d'insulter Anna
Pétrovna, puis de lui révéler que sa maladie va bientôt l'emporter. La pièce
s'achève, un an après les obsèques d'Anna Petrovna, par le suicide d'Ivanov
devant Sacha, sa famille et les témoins rassemblés pour leurs noces.
Au Katona, il a mis en scène Les Trois
Sœurs (1985) et Platonov (1990) de
Tchekhov, Ce soir on improvise de
Pirandello (1994), Les Présidentes de
Werner Schwab (1997), Arcadia de Tom
Stoppard (1998), L'Opéra de quat'sous de
Brecht (2001), Rêve d'automne de Jon
Fosse et Ivanov de Tchekhov (2004). Ses
nombreuses productions tournent dans
les théâtres du monde entier.
À Paris, Tamás Ascher a présenté Les
Trois Sœurs à l'Odéon-Théâtre de
l'Europe en 1988.
Extrait du programme
du Festival Passages07
Le Katona
Le Katona József, théâtre public
subventionné par la Ville de Budapest,
est la plus célèbre des institutions
théâtrales hongroises. Fondé en 1982,
il se sépare alors du Théâtre National
de Budapest sous la conduite de Gábor
Székely, directeur général, et de
Gábor Zsámbéki, directeur artistique.
Ce dernier devient à son tour directeur
général sept ans plus tard, Gábor
Máté, Tamás Ascher et Péter Gothár
étant metteurs en scène associés. En
outre, Andor Lukáts ainsi que de
nombreux artistes de la nouvelle
génération sont régulièrement invités
à y créer leurs spectacles. Le Katona a
noué de nombreux liens avec le
théâtre international et compte parmi
les membres fondateurs de l'Union
des Théâtres en Europe (UTE). La
compagnie part souvent en tournée à
travers le monde, se produisant à ce
jour dans plus d'une soixantaine de
villes, de Paris à Chicago, de Londres à
Bogota, de Milan à Adélaïde. Les
productions et les artistes du Katona
ont été distingués par de nombreux
prix, tant nationaux qu'internationaux.
Mais un chef-d'œuvre de Tchekhov ne se réduit pas plus à quelques coups de théâtre
que ne se laisse résumer la poésie poignante du temps tchékhovien qui s'écoule
«tranquillement et doucement», dans un désœuvrement et un ennui traversés de
soudains éclats d'ironie ou de violence, dans la banalité provinciale que hante le
rêve d'une vraie vie. Et ses personnages inoubliables, loin d'être des caricatures
dramatiques, «sont le résultat de l'observation et de l'étude de la vie. Ils se
dressent dans mon cerveau,» écrit Tchekhov, «et je sens que je n'ai pas truqué d'un
centimètre, pas faussé d'un iota».
Après avoir achevé sa pièce, Tchekhov jette sur elle un regard rétrospectif : «les
dramaturges d'aujourd'hui commencent leurs pièces avec exclusivement des anges,
des scélérats et des bouffons... J'ai voulu être original : je n'ai pas fabriqué un seul
scélérat, ni un seul ange (mais je n'ai pas pu éviter les bouffons), je n'ai accablé
personne, n'ai justifié personne...» Puis il la confie au Théâtre Korch, à Moscou,
moyennant huit pour cent de la recette. Les répétitions se déroulent dans des
conditions catastrophiques. Les dix séances prévues se réduisent à quatre, dont la
moitié, au goût de l'auteur, prend «l'allure de tournois où les artistes ont pu
s'exercer à la logomachie et à l'engueulade. Seuls Davydov et Glama savaient leurs
rôles, quant aux autres, ils se fiaient au souffleur ou à leur inspiration.»
Le soir de la première, malgré les difficultés, les deux premiers actes sont bien
accueillis. Mais après un entracte malvenu (placé au beau milieu du dernier acte !),
quelques étudiants provoquent des incidents et la police doit intervenir. Tout rentre
cependant dans l'ordre dès la deuxième représentation, mais la pièce reçoit un
accueil critique mitigé.
Ivanov est repris en 1889 à Saint-Pétersbourg et fait un triomphe. Tchekhov peut
être content : «mon Ivanov continue à avoir un succès colossal. À SaintPétersbourg, il y a maintenant deux héros du jour : la Phryné de Sémigradsky, toute
nue, et moi habillé». Un an plus tard, il écrit Oncle Vania.
Notes sur Ivanov
Ce qui m'intéresse avant tout dans les pièces de Tchekhov, ce sont les relations
entre les êtres. Mais je n'ai pas voulu pour autant les dépouiller de leur climat, au
contraire : j'ai essayé de créer une mise en scène avec une atmosphère très forte,
bien que sans rapport avec celle de la tradition, avec la nostalgie tchékhovienne à
laquelle nous sommes habitués. Mon Ivanov a lieu dans un monde froid, déprimant,
qui nous est très familier… La scène est typique des années 60 et 70. Elle n'a rien
à voir avec les décors originaux, mais décrit parfaitement la scène «intérieure»,
l'âme d'Ivanov, l'essence de son existence… La situation d'Ivanov est sombre,
dépourvue de toute perspective. Il n'y a guère d'autre exemple, dans les grandes
pièces de Tchekhov, où un protagoniste analyse son propre état d'esprit (contrairement
aux autres personnages) et cherche à tout bout de champ à comprendre ce qui lui
arrive. En même temps, il ne s'aperçoit pas de la ruine qui menace aux alentours…
Tchekhov portait sur le monde, sur toutes les situations, un regard empreint d'un
certain humour noir, même si le trait principal du rôle-titre est l'apitoiement sur
soi-même. Je crois que la mise en scène ne doit pas viser à magnifier cette
attitude, mais à l'éclairer d'une lumière sarcastique.
Tamás Ascher
15 mai › 21 juin 08
Théâtre de l'Odéon / 6e
L'Orestie
création
d'ESCHYLE
mise en scène et adaptation OLIVIER PY
décor, costumes Pierre-André Weitz
lumières Olivier Py
avec Michel Fau, Philippe Girard, Nada Strancar (distribution en cours)
production : Odéon-Théâtre de l'Europe
Extrait
LE GUETTEUR
Ô dieux, délivrez-moi de mon
épreuve, depuis un an que je veille,
couché la tête sur les coudes comme
un chien sur le toit des Atrides à
contempler le cortège nocturne des
astres, messagers pour les mortels de
l'hiver ou de l'été, maîtres brillants
qui se distinguent dans le ciel, quand
déclinent ou se lèvent leurs constellations et que je guette comme
aujourd'hui la réponse d'une torche et
son message en flammes surgi de
Troie pour annoncer sa chute – puisque tels sont les ordres d'une femme
au coeur d'homme et tel est son
espoir. Dans la rosée de la nuit
tourmentée, quand je me tiens sur ma
couche sans rêves – car ce n'est pas
le sommeil qui m'assiste, mais la
crainte que le sommeil ne joigne mes
paupières – ou quand je songe à
siffloter, à chanter une chanson, pour
en frotter la plaie de mon sommeil,
alors mes larmes coulent et je gémis
sur le malheur de ce palais où le plus
noble des seigneurs ne règne plus
comme autrefois.
L'Orestie, traduction Daniel Loayza,
(éditions Garnier Flammarion 2001).
Auteur, c'est avec une comédie qu'Olivier Py aura ouvert la saison ; metteur en scène et
meneur de troupe, c'est par une tragédie qu'il la conclut. Ou plutôt sur trois, car Py aime
le théâtre dans les grandes largeurs et les histoires sans fin. Admirateur des Grecs et de Claudel,
il songeait depuis longtemps à se mesurer aux «voix endeuillées» de la monumentale trilogie
d'Eschyle ; son arrivée à l'Odéon lui en fournit l'occasion magnifique. Olivier Py retrouvera
dans cette Orestie (dont la version française sera traversée de fragments en langue
originale) des éléments qui sont au cœur de son idée du théâtre : l'énergie de rôles
surhumains ; le souffle d'une langue souveraine assez puissante pour faire parler hommes
et dieux, prêtant aux esclaves comme aux triomphateurs des accents d'une égale noblesse ;
l'ampleur d'une vision où chant, musique et dramaturgie mettent leurs ressources, pardelà la réflexion civique, au service d'une théodicée.
La tragédie n'est pas seulement politique
Le théâtre de Dionysos n'est pas sur l'Agora. Ce qui, dans cette simple phrase, se
donne à entendre sous forme d'un constat est beaucoup plus qu'un constat, si l'on
précise que, dans l'espace civique des cités (poleis), c'est sur l'Agora, lieu par
excellence du politique, que le théâtre a généralement sa place. De fait, en
creusant ainsi symboliquement l'écart entre le théâtre et la politique, d'entrée de
jeu j'entends marquer une rupture avec les lectures toutes politiques, voire toutes
civiques, qui ont dominé les études sur la tragédie durant les dernières décennies. […]
L'intelligence de la tragédie grecque commence par celle du théatron, c'est-à-dire
le théâtre à la fois comme lieu et comme collectivité assemblée, dans l'espace
civique et dans le temps de la cité.
Deux faits retiennent donc l'attention. Le premier est placé sous le signe de la
séparation. Au lieu de se côtoyer dans le même espace, le théâtre et l'assemblée
ont quitté le lieu commun de toutes les manifestations civiques pour s'installer
chacun en un lieu qui lui soit propre. Le second est marqué comme par une sorte
de solidarité, car ils l'ont quitté en même temps et comme du même mouvement.
Reste bien évidemment à déterminer sur lequel de ces deux faits l'accent doit
porter. Si je choisis malgré tout d'insister sur la séparation plus que sur la
solidarité, c'est d'abord parce que la politique n'est pas du théâtre, mais aussi,
mais surtout parce que […] la tragédie n'est pas seulement politique.
Depuis plusieurs décennies, pour tous ceux qui s'attachent au théâtre comme
institution athénienne, la cause semblerait entendue. Politique, de part en part
politique – et l'on ajoutera, pour faire bonne mesure, civique et démocratique –, est
le théâtre, en l'occurrence la tragédie – et la comédie, mais Aristophane n'est pas
ce qui m'occupe ici. Et de dérouler, à l'appui de cette affirmation, une longue liste
de preuves […]. Un pas de plus, et l'on fait du théatron, entendu comme
rassemblement des citoyens, une sorte de double à peine différencié d'une
assemblée (ekklesia), «oubliant» apparemment – ce que les orateurs attiques, eux,
n'oublient jamais – que la présence d'étrangers (sans même évoquer la question si
controversée de celle des femmes) était constitutive de ce type très particulier
d'assemblées. Pour éviter le risque de pareilles simplifications, dues à un trop
évident désir de «politiser» intégralement tout ce qui est athénien, il n'est pas
d'autre ressource que d'instaurer, une fois encore, un va-et-vient entre le théatron
et les textes dont il accueillait la représentation. Quel que soit l'accent mis sur le
caractère civique du théâtre, force est alors de reconnaître la profonde ambiguïté
du fait théâtral, à la fois civique et tellement ouvert à ce qui n'est pas civique. […]
En d'autres termes, l'univers tragique est tout sauf un fac-similé de la cité – cité
dont Pierre Vidal-Naquet écrit qu'elle est, «dans sa structure même, une machine
anti-tragique».
Mieux vaut entrer résolument dans l'espace même de la représentation pour
questionner ces textes qui sont tout ce qu'il nous reste des longues journées de
théâtre auxquelles étaient conviés les citoyens.
Nicole Loraux : La Voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Gallimard, 1999,
pp. 28-30 et 35-37.

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