507. MENTALITES au M..

Transcription

507. MENTALITES au M..
QUELQUES ASPECTS DES MENTALITÉS AU MOYEN ÂGE .
A. VISION THÉOCENTRIQUE DU MONDE.
La manière dont la plupart des hommes, au Moyen Age, envisagent la vie est bien
différente de la nôtre. A l’opposé de la mentalité moderne, dite anthropocentrique - où les activités humaines se
déploient en toute autonomie, sans faire nécessairement référence à la divinité -, la mentalité médiévale est dite
théocentrique parce que toute la vie est alors orientée en fonction de Dieu.
En effet, le théocentrisme est une conception du monde selon laquelle tout, y compris l’homme, existe
par (Créateur) et pour Dieu, et n’a de sens qu’en fonction de Lui. A Lui seul la gloire (on ne peut honorer à l’excès
un homme, car cela s’apparente à de l’idolâtrie et omet ce qu’il doit à Dieu). Certes, l’homme doit utiliser
l’intelligence dont Dieu l’a doté, mais il ne doit pas pousser trop loin son questionnement de l’univers créé par
Dieu : il n’appartient pas à l’homme de tout expliquer, et moins encore de juger, mais seulement de gérer au mieux
les biens dont Dieu l’a gratifié, en Lui faisant confiance et en Lui rendant grâces - car Dieu a tout créé et a pourvu
à tout (« Providence ») dans sa sagesse infinie. La vie terrestre est imparfaite (seul Dieu est parfait), faite
d’épreuves et d’illusions ; elle est vouée à l’anéantissement. Il faut donc travailler avant tout à construire le
Royaume de Dieu, qui lui n’aura pas de fin. Pour cela, l’homme, créature pécheresse (inclination congénitale au
mal, expliquée par la notion de péché originel), doit se montrer humble et faire pénitence pour obtenir le pardon de
ses fautes et la vie éternelle. Dans cette perspective assez fataliste, sinon pessimiste, la vie sur terre est en quelque
sorte un mauvais moment à passer dans l’attente d’une vie de bonheur éternel auprès de Dieu.
A l’opposé, l’anthropocentrisme (avec ou sans la foi) envisage l’homme comme individu autonome,
digne et respectable, invité à enrichir les connaissances, approfondir la compréhension de l’univers et la réflexion
sur la place et la destinée de l’humanité, ainsi qu’à remodeler le monde dans une attitude volontariste et optimiste,
afin d’améliorer les conditions de vie pour tout homme.
B. ESPRIT DE GROUPE (sens communautaire, solidarité).
Dans une période longtemps marquée par l'insécurité, les violences de toutes sortes et la précarité des
conditions d'existence, la solidarité apparaît comme une nécessité absolue : l'individu est extrêmement vulnérable
s'il ne peut compter sur l'appui de ses semblables. Dès lors, la vie en société s'organise autour de groupes plus ou
moins structurés et réglementés : dans le milieu aristocratique, c'est le lignage, le réseau des liens vassaliques et la
chevalerie ; dans le clergé régulier, c'est la communauté religieuse sous la conduite de son supérieur ; dans le
peuple en général, c'est la famille (au sens le plus large, et non pas limitée à un couple avec ses enfants), sous
l'autorité de l'ancêtre commun ; dans le monde paysan, c'est la communauté de village, dirigée par les plus aisés,
et qui se charge d'organiser l'exploitation des terres communes (les communaux). Plus tard, à partir du XIe siècle,
ce sera la communauté urbaine, dirigée par les bourgeois ; les Serments, groupes d'hommes assermentés chargés
de la police en ville ; l'Université (communauté de professeurs et d'étudiants) ; au sein de la collégiale, le Chapitre
des chanoines ; les fidèles se grouperont en confréries, groupes de prière et d'entraide ; les marchands s'associeront
en guildes, associations leur permettant de renforcer leur puissance économique (et bientôt politique) ; à partir du
XIIIe siècle, on aura les corporations, associations professionnelles défendant les intérêts d'un corps de métier et
organisant l'entraide parmi ses membres.
A l'instar du serment, lien de personne à personne, l'appartenance à un groupe requiert la fidélité (voir ciaprès).
Tout à l'opposé de cet esprit de groupe, on assistera, dans les derniers siècles du Moyen Age, à la montée
d'une mentalité individualiste, résultant des progrès matériels et de l'essor de la bourgeoisie.
C. FIDÉLITÉ ET INFIDÉLITÉ.
Celui appartient à un groupe, de même que celui qui adhère sincèrement à une religion ou à un système
de valeurs fondamentales qui donnent sens à sa vie, et dans lequel il a mis toute sa confiance (ou foi), a
normalement tendance à considérer les intérêts de ce groupe, ou ses convictions comme justes, sinon même comme
la seule vérité acceptable. Sa démarche constitue un engagement existentiel qui fait partie intégrante de sa propre
identité. Cette personne tient donc à un certain nombre de valeurs qu’elle considère de bonne foi - c’est le cas de
le dire - comme essentielles et sur lesquelles elle peut à juste titre se montrer intransigeante. En outre, cette
adhésion individuelle présente aussi une dimension collective, puisqu’elle intègre l’adepte au sein d’un groupe
(communauté religieuse, famille, société, parti, Nation) dont la vitalité dépendra en partie de son apport. En
s’engageant, il a effectué une démarche de foi, de confiance ; il a, formellement ou non, donné sa parole. Dès lors,
il ne peut se permettre, sauf raisons gravissimes, de reprendre cette parole - en d’autres termes, de se montrer
infidèle, ou de mauvaise foi.
La fidélité est la vertu primordiale qu’on est en droit d’attendre de lui, à la fois par cohérence envers
soi-même et par respect et solidarité envers le groupe.
Les implications de la fidélité.
Cette fidélité n’implique pas seulement qu’il n’abandonne jamais ses convictions. Elle requiert en outre
qu’il s’applique à les préserver dans leur pureté originelle et à les répandre autour de soi, mais aussi qu’il sache, au
besoin, les défendre si elles sont attaquées. Elle exige enfin qu’il s’attache consciencieusement à transmettre aux
suivants (enfants, disciples, élèves, etc.) le message dont il est dépositaire - et cela par respect tout à la fois pour
le message lui-même, pour ceux dont il l’a reçu (parents, éducateurs, ancêtres, peuple) et pour ceux auxquels il le
transmet. Refuser de le faire, ou ne pas le faire, cela reviendrait à rompre la chaîne d’une tradition souvent longue.
Cela serait interprété comme une trahison par la communauté, et le coupable serait considéré comme parjure,
renégat ou apostat, traité comme un hors-la-loi, marginalisé, mis au ban de la société. Une telle réaction peut se
comprendre : la conscience collective appréhende en effet les terribles conséquences de ce geste. D’une part le
dissident contribue à troubler ou égarer ses compatriotes, voire à leur faire perdre leur identité, ce qui aboutirait à
terme à l’anéantissement de son peuple privé de l’appui de la divinité ; d’autre part, il s’expose lui-même aux pires
châtiments, non seulement dans sa vie terrestre, mais encore dans l’au-delà.
La fidélité est donc un devoir essentiel pour l’existence individuelle autant que pour la vie
communautaire.
D. TOLÉRANCE ET INTOLÉRANCE.
Tolérer, au sens noble du terme, c’est admettre - sans pour autant changer d’opinion - que quelqu’un ait,
en matière de philosophie, de valeurs, de convictions profondes, des idées différentes des siennes propres. Cela ne
doit logiquement se concevoir qu’à partir du moment où l’on a acquis soi-même une connaissance suffisante et de
ses propres convictions, et de celles de l’autre : il est donc absurde, et même dangereux, de prétendre tolérer une
pensée que l’on ne connaît pas, même si cette position de principe peut apparaître comme sympathique.
Pendant fort longtemps et chez presque tous les peuples, la règle générale a été l’intolérance ; la
tolérance est d’autant plus remarquable au sein de certaines élites cultivées, mais aussi chez certains peuples
comme, dans l’Antiquité, les Perses et les Romains. Chaque peuple, en effet, a tendance à considérer sa
philosophie et sa religion comme la meilleure, la seule vraie, et comme faisant partie intégrante de son identité
nationale - de la même manière qu’un individu tient normalement à ses convictions et à un certain nombre de
valeurs qu’il considère comme essentielles et sur lesquelles il peut se montrer à juste titre intransigeant. Les autres
visions du monde seront dès lors facilement perçues comme des menaces qu’il s’agit de neutraliser, voire de
combattre, sous peine de perdre cette identité, d’être anéanti. La tendance commune est donc, surtout au sein de
populations pas ou peu instruites, à l’intolérance, voire à l’intégrisme. En ce qui concerne le peuple juif, cette
attitude est d’autant plus compréhensible qu’il s’est trouvé pendant très longtemps être le seul peuple monothéiste
parmi des nations païennes - qu’il désignait d’ailleurs d’un vocable particulier, les Gentils (lat. gentes = les
Nations) ; de nos jours encore, le terme de Gohim leur sert à désigner tous ceux qui ne sont pas Juifs (de même,
l’Europe du Moyen Age se définissait elle-même par le vocable de Chrétienté). La nation juive s’est ainsi signalée
de très longue date comme différente de tous les autres peuples, ce qu’elle fut longtemps effectivement.
En conséquence de ce qui vient d’être dit, la tolérance, de la part d’un individu ou d’un groupe, sera
souvent perçue comme une trahison, une infidélité. Ceci, bien entendu, est parfaitement incompréhensible pour
ceux qui prônent l’indifférence ou ne sont attachés à aucune conviction précise, si ce n’est, éventuellement, celle
d’envisager leur attitude comme la seule valable.
E. RELIGION ET POLITIQUE.
L’adhésion (plus ou moins libre ou forcée) à un régime politique peut donner à l’impératif de fidélité une
force encore plus contraignante. Ce fut particulièrement le cas dans les civilisations anciennes, qui ont connu des
régimes théocratiques : le pouvoir, censé émaner de la divinité elle-même, y était exercé en son nom par un
souverain divinisé (en Egypte, pharaon est fils de dieu et dieu lui-même) ou par les autorités religieuses (roisprêtres des cités-Etats de Mésopotamie). D’une façon générale, les sociétés primitives, et encore le Moyen Age et
en grande partie les Temps modernes, parfois au-delà, ont connu une interpénétration, voire une confusion entre le
pouvoir temporel et le pouvoir spirituel (alliance de l’épée et de la croix, ou du trône et de l’autel). Cette
conception, liée à la notion de religion officielle (ou religion d’Etat), prévaudra en Europe du IVe au XVIIIe siècle.
Inauguré, pour ce qui concerne le christianisme, avec l’empereur romain Théodose (380), renouvelé avec le
baptême de Clovis (fin du Ve s.) et surtout avec les Carolingiens (751, 800) puis avec le couronnement des
empereurs et le sacre des rois, cet amalgame est le fait de systèmes politiques et sociaux encore fragiles. De tels
systèmes ne voient de salut que dans la stricte unité politique et idéologique, susceptible de maintenir l’ordre et de
mobiliser les forces vives de la Nation ; cela implique forcément, tant chez les gouvernants que chez les
gouvernés, l’intolérance et souvent l’intransigeance. En effet, cette unité est perçue comme le fondement même de
toute l’organisation sociale. Elle commande un conformisme social qui s’apparente au totalitarisme, puisque
l’idéologie officielle tend à s’imposer dans tous les domaines de l’activité humaine. Au Moyen Age d’ailleurs, le
terme de fidèle désigne aussi bien celui qui se soumet au pouvoir que celui qui adhère à la foi. Il s’agit, dans un cas
comme dans l’autre, d’une adhésion sans réserve à une personne (seigneur, suzerain, roi, empereur, Dieu),
commandant le respect absolu de la parole donnée (serment de fidélité, baptême, profession de foi). Celui qui y
renonce ou qui s’y oppose - par ses idées ou par les armes - est un infidèle, un traître qui non seulement se met
hors-la-loi mais également met en danger la communauté tout entière. Celle-ci aura donc le devoir de neutraliser
les infidèles, voire même de les combattre, au besoin par les armes ; une telle obligation est même explicite dans
l’Islam (notion de djihâd), où religion et politique se confondent plus encore qu’ailleurs.
Dans une telle perspective, la frontière entre fidélité au message et intégrisme sera facilement
franchie… De même, quand on étudie de prétendues guerres de religion, il est souvent malaisé de distinguer la
part de fidélité sincère à la tradition et celle d’un fanatisme manipulé par des individus ou groupes qui visent des
objectifs totalement étrangers à la religion ou aux principes qu’ils prétendent défendre ou promouvoir…
Certaines conséquences de la confusion entre religion (ou idéologie) et politique.
Afin d’assurer la préservation de l’idéologie officielle, mais aussi pour éviter des désordres en chaîne
susceptibles de dégénérer en guerre civile, parfois aussi pour protéger les communautés minoritaires contre la haine
populaire, les autorités politiques seront amenées à adopter un certain nombre de mesures à la fois juridiques
(législation) et pratiques. Ces mesures varient selon les lieux et les époques, de même qu’en fonction du but
recherché :
- mesures discriminatoires destinées à signaler à la population les catégories réputées
dangereuses pour la communauté dominante : enregistrement obligatoire, imposition de
signes ou accessoires vestimentaires distinctifs (ex.: rouelle, étoile de David) ;
- mesures discriminatoires destinées à prémunir la communauté dominante d’une
contamination idéologique (ou même soi-disant biologique, pour certains racistes) :
interdiction des fréquentations, des mariages mixtes ;
- mesures discriminatoires destinées à empêcher toute emprise économique et sociale sur la
communauté dominante : exclusion de certaines professions, interdiction d’accéder à la
propriété immobilière, exclusion des postes dirigeants ;
- mesures de ségrégation : lieux interdits, assignation à résidence dans un quartier réservé
(ghetto) ;
- mesures de persécution : soumission (affectation aux seules tâches subalternes, voire
travaux forcés, asservissement), persécutions de toutes sortes (administratives ou
psychologiques, racket, persécutions physiques), expulsion, déportation ou même
extermination (génocide).
F. GUERRE SAINTE.
Si la notion de guerre sainte est familière aux musulmans dès les origines de l’Islam (djihâd, obligation
de prendre les armes pour défendre la communauté musulmane menacée), elle est par contre étrangère aux
chrétiens pour qui, normalement, la guerre - et même toute violence à l’encontre du prochain - est absolument
proscrite (« Tu ne tueras pas ! »). On peut d’ailleurs se demander comment de nombreux chrétiens, jusqu’à nos
jours, ont pu admettre l’idée qu’un Dieu d’amour prétendant faire alliance avec tous les hommes sans exception
puisse vouloir la mort de ses enfants !
L’idée d’une guerre sainte gagne une communauté religieuse qui, à tort ou à raison, se sent menacée dans
son identité ou son intégrité par des adversaires idéologiques. Cette communauté redoute les effets du
prosélytisme : la conversion (forcée ou plus ou moins libre) à la religion de l’autre s’accompagnerait
inévitablement d’une emprise sur la société par la communauté adverse, et peut-être même d’une domination
politique - sans parler d’enjeux économiques. La perspective angoissante de perdre son identité collective,
toujours associée à l’ordre social et politique de la communauté dans son ensemble, est à ce point insupportable
qu’elle peut amener à prendre les armes au nom de la religion. D’abord, et sans trop y songer, par une sorte de
réflexe instinctif, en riposte à des attaques bien réelles (prosélytisme agressif, incursions, pillages…) ; ensuite par
solidarité avec son groupe et par fidélité au message dont il est le dépositaire.
1) Dans la chrétienté comme partout ailleurs, c’est la notion de légitime défense qui fera justifier
certaines guerres, autrement dit les faire considérer comme justes. La guerre sainte, pour ceux qui la font, est
nécessairement une guerre juste. C’est même la guerre juste par excellence, puisque c’est l’intérêt de Dieu qui est
prétendûment en jeu. Tel sera le cas :
a) dès le IVe siècle, à l’encontre des hérétiques avérés, irréductibles par le dialogue (cf. saint
Augustin) ;
b) à partir du VIIe siècle, en riposte aux agressions du monde musulman : dès les premiers siècles de
l’Islam, piraterie, brigandage et incursions en Méditerranée, en Espagne, dans le Midi de la France, en Italie. A cela
s’est ajoutée, au XIe siècle, l’invasion du Proche-Orient par les Turcs (sunnites) ; elle va aggraver l’insécurité qui
sévissait déjà sporadiquement dans la région du fait des conflits entre Arabes (sunnites contre chiites). Les
chrétiens d’Orient et les pèlerins occidentaux feront souvent les frais de conflits entre musulmans, qui ne les
concernaient nullement. D’autre part, la Terre Sainte, et Jérusalem en particulier, sera le théâtre d’affrontements
sanglants et même d’attentats sacrilèges dont les chrétiens, entre autres, seront victimes (destruction du SaintSépulcre par le calife fatimide al Hakim en 1009 ; Jérusalem disputée entre les Turcs et les Fatimides d’Egypte).
2) Ces guerres déjà considérées comme justes verront renforcer leur caractère sacré (guerre sainte) sous
l’action d’autres facteurs : la mobilisation internationale de la Chrétienté pour refouler les envahisseurs musulmans
d’Espagne ; la propagande orchestrée par la Papauté et les autorités ecclésiastiques, qui, à l’instar dudjihâd
musulman, mettent l’accent sur la défense de la foi et promettent des récompenses spirituelles (pardon des fautes,
accès au Paradis) : Jean (878), Alexandre II (1063), trois évêques allemands (1065), et enfin Urbain II (1095), qui
lance un « pèlerinage en armes » sous la bannière de la croix (« Dieu le veut ! »).
_______________