dda016 sl - Aix

Transcription

dda016 sl - Aix
Site académique Aix-Marseille Histoire et Géographie
« Second Life » : un nouveau territoire pour
l’enseignement ?
Daniel Dalet et le groupe « La Durance »
Le 4 mai 2007
Professeur au Lycée Alexandra David Néel
DIGNE
[email protected]
Depuis quelques mois, vous n’avez pas pu y échapper : « Second Life » est
dans la bouche (ou sous la plume) de tous les journalistes, que ce soit dans le
cadre de la campagne électorale pour décrire les attaques contre la « maison »
du Front National ou dans celui de la presse « people » qui imagine la vie des
stars dans cet univers, chacun y va de son couplet. Alors pourquoi un nouvel
article sur ce sujet ? Et surtout pourquoi dans un média dédié à la pédagogie ?
Vous le découvrirez en lisant les lignes qui suivent et, à défaut d’être
convaincu par la pertinence éducative de l’outil, vous aurez au moins fait
connaissance avec ce monde virtuel dans lequel nos élèves passent de plus en
plus de temps...
______________________________________________
Imaginez : vous vous promenez en marchant, en courant ou en volant, vous
visitez des bâtiments et des jardins, vous admirez des galeries d’art, vous
assistez à un concert où vous pouvez échanger avec vos voisins sur la qualité de
la musique, vous participez à un concours de danse, vous pouvez aussi acheter,
imaginer, débattre, jouer, bâtir, conduire un véhicule, participer à un cours
interactif, vous téléporter d’un lieu à un autre, etc. Vous êtes dans « Second
Life ».
Voici mon « Avatar » dans SL
(Second Life). Je m’appelle
« SLdaniel Cortes » par référence
au grand explorateur !
Oui ... je sais ... la silhouette est
avantageuse, mais dans SL, tout
le monde est jeune et beau.
J’ai acheté le Jean, la chemise
hawaïenne et la montre pour 250
L$ (Linden-Dollar), monnaie
locale que l’on peut acquérir au
moyen d’une carte bancaire :
l’achat de 2000 L$ m’a été
facturé environ 6 €. Le cours du
L$ fluctue en fonction de l’offre
et de la demande, comme une
monnaie réelle.
Nouveau temple de la consommation virtuelle ? Nouvel Eldorado pour la
pornographie et les jeux d’argent ? Nouveau délire schizophrénique d’une
jeunesse en mal de paradis artificiels ? C’est l’image que la presse écrite française
renvoie de ce nouveau monde et c’est en partie exact, mais pendant que nous
lançons nos anathèmes bien-pensants, le monde éducatif anglo-saxon investit
massivement ces nouveaux territoires et commence à en explorer les
potentialités.
Face au bâtiment de la « Nova
Southern University », l’un des
nombreux lieux créés par des
universités américaines.
On trouve de tout dans SL, mais
beaucoup de projets sont encore
« under construction », comme
aux premiers temps de
l’Internet. Les terrains sont à
vendre ou à louer, de même que
les bâtiments que l’on peut
construire soi-même, de
nombreuses agences
immobilières sont présentes.
A ce jour, selon le site SL Educating (http://www.sleducating.com/), 101
organisations et institutions éducatives sont présentes dans SL et y proposent
contenus et activités pédagogiques. On trouve aussi bien des grandes universités
(Harvard, New York University, Texas State University ...) que des organismes
plus spécialisés (Nanyang Polytechnic (Singapour), Art Institute of California,
Australian Film TV and Radio School...).
La géographie de ces organismes montre une très nette prépondérance des
anglo-saxons mais on trouve aussi des Danois, des Finlandais, des Australiens,
des Sud-Africains ...
L’école de la « Seconde chance »
version SL. Les cours sont
diffusés à heure fixe sous forme
audio ou vidéo. Selon les cas, on
peut ensuite questionner le
professeur sous forme de
« Chat ». C’est également par ce
moyen que l’on peut dialoguer
avec tous les résidents. La
société Linden Lab annonce pour
très bientôt la possibilité
d’échanger par la voix en temps
réel, avec une technologie
voisine de Skype.
La liste de discussion anglophone « SLED » dédiée aux actions et aux acteurs
éducatifs présents dans SL, avec ses trente à quarante messages par jour, donne
une bonne idée de l’ébullition actuelle autour de l’utilisation pédagogique des
univers 3D en ligne. On peut s’y inscrire sur les pages du site de Linden Lab
consacrées à l’éducation :
(http://secondlife.com/businesseducation/education.php)
« Second Life provides an opportunity to use simulation in a safe environment to
enhance experiential learning, allowing individuals to practice skills, try new
ideas, and learn from their mistakes. The ability to prepare for similar real-world
experiences by using Second Life as a simulation has unlimited potential ».
En vol plané au-dessus du
campus de l’Université de
Houston, on aperçoit l’écran
vidéo de l’amphithéâtre à gauche
de l’image.
La marche à pied étant parfois
fastidieuse, on peut prendre son
envol ou, plus directement, se
téléporter d’un lieu à un autre en
indiquant sa géo-localisation à
l’aide trois informations : un nom
de région suivi de trois nombres
correspondant à latitude,
longitude et altitude.
De simple jeu de rôle lors de son lancement, « Second Life » est devenu un
phénomène de société, un nouveau monde avec six millions d’inscrits (à la date
de cet article) dont 1,7 million lors de ces deux derniers mois, ce qui donne une
bonne idée du taux de croissance actuel de la fréquentation. Indicateur significatif
de l’importance de ce territoire et des populations qui le fréquentent, les grands
candidats à l’élection présidentielle y ont tous investi dans des locaux
somptueux : l’île Sarkozy, l’immeuble Le Pen, le carrefour Bayrou, les locaux
Royal ou le jardin Voynet ont rivalisé de créativité pour attirer le chaland.
Devant l’entrée du QG de
Dominique Voynet où un petit
malin a déposé un bidon
radioactif. La guerre politique fait
rage dans SL...
Transposition logique de la
grande tradition missionnaire
chrétienne dans les nouveaux
territoires, toutes les Eglises sont
présentes ... mais il y a
visiblement moins de monde que
dans les discothèques.
Ce territoire est avant tout marchand : si l’entrée est gratuite (selon le monde
d’abonnement choisi) – comme dans un gigantesque centre commercial – tout le
reste s’achète : un vêtement pour habiller votre « avatar », une place pour
assister à un match de hockey ou un spectacle de strip-tease. La pornographie y
tient une place de choix, mais du cinéma « X » à l’Internet « pédophile » en
passant par le Minitel « Rose », c’est une permanence de l’histoire des médias
naissants, et il est fort probable que, juste après la Bible, Gutenberg a dû
imprimer un livre « de charme » pour amortir ses investissements. Cette
pornographie est d’ailleurs toujours omniprésente sur Internet, ce qui ne nous
empêche pas d’envoyer régulièrement nos élèves y effectuer des recherches.
L’une des activités principales
des habitants de SL consiste à
faire du shopping, pour habiller
ou équiper son avatar (ici dans
une bijouterie) ou pour décorer
ou meubler sa maison.
Je viens d’acheter le maillot de
l’équipe de France 80 L$, une
promo à l’occasion du match
France-Autriche.
Casinos et discothèques pullulent également dans SL. Sexe, boîtes de nuit et
argent : de quoi renforcer l’image d’un Las Vegas virtuel qui contribue largement
à l’attractivité du lieu pour nos élèves. Linden Lab, sans doute sous la pression
des ligues moralistes américaines, gère également une version « jeune » de son
monde virtuel (http://teen.secondlife.com/) vers lequel tout inscrit déclarant être
âgé de moins de 18 ans est automatiquement dirigé. Ce « teen-SL » ne contient
aucun lieu « pour adulte », ce qui contribue sans doute grandement à sa
désaffection, nos adolescents ayant vite compris que les choses « intéressantes »
se situent dans le monde des grands, et se créent un nouvel « avatar » âgé de
quelques années de plus.
Petit moment de détente dans
une discothèque.
Comme dans le monde réel,
c’est l’un des lieux de
rencontres les plus prisés
des adolescents, et le
terrain de chasse des
prostitué(e)s.
Mais le phénomène est tout
de même limité : je n’ai été
« racolé » qu’une seule fois
au cours de mes
explorations.
On retrouve en fait dans SL toutes les fonctions de l’Internet classique :
l’information multimédia (textes, images, sons, vidéos), les liens cliquables
(téléportations automatiques), le plan du site (survol 3D), la recherche par mots
clés, la communication directe (« Chat ») ou la possibilité d’élaborer son site (une
maison). La nouveauté réside dans l’interface 3D et surtout dans la possibilité de
rencontrer et d’échanger avec toutes les personnes qui fréquentent le même lieu
que vous au même moment.
En visite dans une galerie, je
croise Bellinda, artiste pop-art
vivant à Paris et qui est en train
de terminer la mise en place de
son exposition. Je lui explique
que je suis en train de rédiger un
article sur SL, elle m’autorise à
prendre quelques clichés et
m’invite pour le vernissage qui
aura lieu dans deux jours.
Toujours dans la galerie de
Bellinda.
Elle m’explique que pour elle,
une exposition virtuelle est
nettement plus facile (et moins
onéreuse) à mettre en place
qu’une exposition réelle. Elle
pourra aussi vendre ses tableaux
et reconvertir ses L$ en Euros.
Des passerelles existent entre SL et le Web. Un lieu SL peut, si vous activez une
commande, lancer votre navigateur vers un site web. (Dans SL, les commandes
s’activent en les désignant de la main). Inversement, un site web peut
automatiquement lancer SL (si le logiciel est installé sur la machine locale) vers
un lieu spécifique. Le site SLURL donne toutes les informations techniques sur ce
point (http://slurl.com/). Les échanges monétaires se font également dans les
deux sens (L$/€), à condition d’opter pour un abonnement payant (environ 60 €
par an) qui seul, permet également d’effectuer des opérations foncières ou
immobilières.
En visite au Musée de
l’Holocaust.
Chaque propriétaire de maison
ou de terrain fixe les lois qui
régissent le lieu : langue usuelle,
interdiction d’introduire des
armes, de la nudité, du racolage,
etc.
Quand un lieu nous séduit, il y a
toujours un tronc virtuel pour
laisser quelques L$ afin de
soutenir le propriétaire.
Le monde de SL vit 24 heures sur 24 : la fonction « recherche » donne accès à un
agenda détaillé des événements qui s’y déroulent heure par heure : promotions
commerciales, événements sportifs, concerts, débats, jeux, animations diverses
et permet de s’y téléporter directement. On peut aussi rechercher des petites
annonces, des lieux, des terrains à vendre, des personnes ou des groupes.
Café philo au Stone Globe Café.
Le thème du jour : les
interactions SL/RL (Second Life /
Real Life).
La communication se fait par
« chat » (dialogue direct) avec
toutes les personnes se trouvant
dans un rayon de 20 m autour de
vous, et par IM (« Instant
Message », l’équivalent d’un
SMS) pour vos « amis » quel que
soit le lieu où ils se trouvent.
Le modèle économique diffère radicalement du Web largement financé par la
publicité et qui jouit d’une grande indépendance. SL appartient à une société
(Linden Lab) qui vend les terrains (pour une durée déterminée) et des
abonnements payants. Il y a peu de publicité (quelques grandes enseignes de
l’habillement sont présentes) mais ce monde est totalement sous la dépendance
d’un intérêt particulier. Il se rapproche en cela davantage du modèle économique
du Minitel qui appartenait à France Telecom via sa filiale Transpac.
Rencontre avec Ana, professeure
à l’école des Beaux Arts de
Madrid, et qui m’explique qu’elle
est en train ... d’écrire un article
sur SL !
Le choix d’un lieu détermine
souvent le type de personne
qu’on y rencontre. J’ai croisé Ana
sur « Campus Island », une des
principales régions dédiées à
l’éducation.
Une autre activité très répandue dans SL est la recherche d’emploi. Des « jobs »
sont disponibles, principalement pour les filles (discrimination ?) comme danseuse
ou hôtesse d’accueil dans tous les lieux marchands, la notion d’accueil allant du
simple « bonjour » à la prostitution virtuelle. Les règles éthiques générales sont
fixées par Linden Lab. Tout habitant peut, à tout moment déposer plainte
(« report abuse ») contre un autre habitant. LL peut « avertir » un habitant voire
le « bannir » totalement. Des employés de Linden Lab parcourent en permanence
SL, ils sont identifiables par leur nom de famille : « Linden ».
Besoin d’une « escort girl » pour
la soirée ?
Dans SL, il n’y a que l’embarras
du choix. Mais comme sur le
Web, on peut aussi choisir de ne
pas fréquenter les lieux « pour
adulte ». Un filtrage est d’ailleurs
disponible pour toutes les
fonctions de recherches (lieux,
événements).
SL est un monde en construction, avec ses règles sociales, son langage spécifique
(lexique http://forums.jeuxonline.info/showthread.php?t=686294) et même sa
divinité, l’hippopotame, officiellement célébrée le 15 février.
Pour se repérer, on dispose de différentes cartes : des « mini cartes » qui
indiquent à tout moment combien de personnes sont présentes dans notre
environnement immédiat et où elles se situent exactement, et des cartes de
l’ensemble du monde de SL à toutes les échelles souhaitables.
Un extrait de la carte du monde
de SL à la plus petite échelle.
Chaque point rose représente un
événement en cours.
Un petit côté « Pangée
originelle ».
Un premier colloque sur les usages pédagogiques de SL s’est déroulé à San
Francisco en août dernier, les thèmes abordés ont été :
- Musées et vulgarisation scientifique
- Education des jeunes
- Mondes virtuels, écoles réelles
- Le professeur virtuel
http://www.elearnmag.org/subpage.cfm?section=articles&article=46-1
A défaut de pouvoir se payer ou
se construire un bâtiment, on
peut louer des locaux éducatifs
pour un temps limité, comme
dans ce « Study Space » dans
lequel on trouvera des salles de
réunion avec outils de
présentation Power Point ou
d’échange de documents, des
visionneuses vidéo et la
possibilité d’échanger
directement par canal audio.
Dans un article du 22 mars dernier, plusieurs spécialistes américains des TICE ont
listé les enjeux de ces nouveaux territoires. Bond en avant pour l’éducation ou
phénomène de mode ?
Les auteurs identifient cinq enjeux en terme de « ressenti » des utilisateurs :
- Le sens de soi-même
- La mort de la distance
- Le pouvoir de la présence, la conscience de l’espace et la production coopérative
- la prééminence de la pratique
- l’enrichissement par l’expérience
http://www.elearnmag.org/subpage.cfm?section=articles&article=44-1
Devant le planning des cours
proposés sur SL par cette
université pour le mois d’avril.
A l’intérieur de l’université,
j’assiste à un cours d’arts
plastiques.
Le professeur (en noir au centre
de la salle) enseigne aux
étudiants comment fabriquer un
objet 3D (une sorte d’oeuf
multicolore)
Contrairement au Web que nous connaissons, la potentialité éducative de l’outil
réside donc, non pas dans la création et la mise à disposition de bases
documentaires, mais dans la communication en direct et la modélisation 3D. Tout
est à imaginer : un débat d’ECJS sur une plage, un lycée reconstitué avec des
journées « portes ouvertes » et un accueil personnalisé, des cours, du soutien
scolaire, des échanges linguistiques, des jeux de rôle historiques, etc.
Nous en sommes là où nous en étions quand, au début des années 90, nous nous
demandions ce qu’on allait pouvoir faire avec Internet concernant l’éducation, et
ce que l’outil pouvait apporter de plus par rapport au Minitel.
________________________________________
En pratique :
- L’inscription en ligne et le téléchargement du logiciel se font sur le site de Linden
Lab : http://secondlife.com/
- Prévoir une machine récente (512 Mo de RAM minimum), une liaison Internet
haut débit et une bonne carte graphique.
- Une fois le logiciel installé, penser à franciser l’interface (Edit / Preferences /
General )
- Le logiciel étant encore en plein développement et le nombre d’abonnés en
croissance continue, les serveurs de Linden Lab ont parfois du mal à suivre et les
« plantages » ne sont pas rares.
- Comme tout débutant, vous découvrirez les règles du jeu ...en jouant. Le
principe est simple : ne pas hésiter à solliciter l’aide des passants qui sont tous
plus ou moins dans la même situation que vous. En quelques jours d’exploration,
je n’ai jamais essuyé de refus pour toutes les aides que j’ai sollicitées.
- Comme dans tout lieu « mondialisé », la langue usuelle est l’anglais, mais les
lieux francophones sont de plus en plus nombreux.
- Pour votre première sortie, je vous conseille de vous rendre sur Gaia, 148, 64,
26. Il s'agit d'une région francophone dédiée à l'accueil et à l'information des
nouveaux habitants de SL.