Le thème éducatif chez Rabelais
Transcription
Le thème éducatif chez Rabelais
Le thème éducatif chez Rabelais -Une analyse de quelques idées pédagogiques dans Gargantua Table des matières Introduction........................................................................................................................................1 Les principes de l’éducation rabelaisienne ......................................................................................2 L’éducation scolastique vs l’éducation humaniste..........................................................................3 L’éducation morale et religieuse.......................................................................................................5 L’éducation physique.........................................................................................................................6 La lecon des choses.............................................................................................................................8 L’héritage médiéval de Rabelais.......................................................................................................9 Conclusion ........................................................................................................................................10 Bibliographie ....................................................................................................................................11 Introduction La renaissance et l’humanisme sont des phénomènes de culture et de civilisation essentiellement caractérisés par une libération, une promotion et une exaltation de l’humain. Le 16ème siècle s’oppose au moyen âge par som optimisme et sa confiance retrouvée et surtout son appétit de savoir. Désirant mettre l’homme au centre des recherches dans tous les domaines du savoir pour assurer son plein épanouissement, les humanistes persécutent l’assujettissement de l’individu à une collectivité oppressive et sombre, l’ignorance et la superstiton du moyen âge. S’accordant à l’idéal antique, les humanistes romptent avec la mentalité médiévale dans leur désir de conquête et de connaissance ainsi que dans leur désir de débarasser la société du joug que l’Eglise avec ses pratiques et ses dogmes ont fait peser sur elle pendant le moyen âge. Les humanistes de la renaissance cherchent ainsi à travers un retour à l’antiquité de transformer où bien influencer leur temps en définissant de nouveaux ideaux. Inspiré par Erasme, François Rabelais est l’un des humanistes qui intervient dans la recherche pédagogique de son temps pour donner son avis et élaborer une méthode d’éducation. Rabelais est l’un des premiers auteurs français à dénoncer l’ignorance et la superstition du moyen âge et à reflèter l’esprit antique au lieu de l’esprit chrétien médiéval. Il n’envisagait pas d’autres autorités que les Anciens et il se fait connaître pour son attitude intellectuelle et pour son intérêt porté à l’homme et à sa personnalité individuelle. Il est engagé dans le combat humaniste et repand l’idée que l’éducation doit rendre l’homme plus humain. Tout en opposant la barberie médiévale à la pédagogie humaniste, il se fait porte-parole d’une éducation à la fois intellectuelle, artistique, religieuse, morale et physique. L’objectif de ce devoir est d’analyser quelqu’unes des idées pédagogiques dans ”La vie trèshorrificque du Grand Gargantua, père de Pantagruel” de François Rabelais. Son æuvre est étroitement liée au mouvement humaniste et à la vie politique et religieuse à l’époque en France, raison pour laquelle il est indispensable de la situer dans son époque. Je vais donc essayer d’analyser les théories pédagogiques dans Gargantua et montrer leurs rapports avec le mouvement humaniste en examinant les différences et les ressemblances entre l’éducation scolastique et l’éducation humaniste, la méthode de Rabelais, ses aspects humanistes et son héritage médiéval. 1 Les principes de l’éducation rabelaisienne ”La révolution culturelle que vivaient les contemporains de Rabelais trouvait non seulement son prolongement et son affermissement, mais ses bases mêmes, dans une réforme des études: il s’agissait de réaliser un nouveau type d’homme en modelant son esprit sur un savoir pur et solide, sur les Lettres d’humanité.” 1 La renaissance est caractérisé par un retour à l’antiquité et une rupture avec le moyen âge et Rabelais s’accorde à ces nouveaux idées humanistes qui se répandent vite à l’époque. Pour lui aussi il s’agit de développer un nouveau type d’homme en assurant la libération de l’homme par la raison. Ce qui oppose Rabelais, et avec lui plusieurs humanistes à l’èpoque, aux réformés, c’est leur refus du péché originel. Rabelais est d’avis que l’homme de la nature est bon mais ce n’est qu’à travers l’éducation qu’il développe ses dons naturels. Une pensée que l’on peut résumer avec le mot célèbre d’Erasme:”On ne naît pas homme; on le devient” 2 C’est une pensée commune à la plupart des humanistes du 16ème siècle, qui sont convaincus que l’éducation a une influence considérable sur l’enfant. La pensée rabelaisienne se résume donc par une croyance à la bonté naturelle chez l’homme, une pensée que Jean-Jacques Rousseau va développer deux siècles plus tard, ainsi qu’une éducation nécessaire. L’éducation du moyen âge trouvait son fondement dans les arts libéraux. L’enseignement des clercs était organisé autour des septem artes liberales: le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique), puis le quadrium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie). 3 Ce modèle est appliqué au cours de tout le moyen âge et sert comme inspiration aux nouveaux programmes éducatifs qui apparaissent à la renaissance. Rabelais ajoute d’autres disciplines au programme éducatif mais son programme s’oppose surtout au programme du moyen âge en ce qui concerne le fait que Rabelais fait alterner les exercises intellectuelles et physiques. Rabelais n’est donc pas loin du moyen âge en ce qui concerne les disciplines mais il s’en distinque en ce qui concerne la méthode, comme nous le verrons. L’éducation humaniste est avant tout une découverte des capacités de l’homme et du monde et un réveil de la culture antique. Parmi tous les pensées humanistes à l’époque, Rabelais définit les principes et le programme d’une pédagogie favorable à la nouvelle culture. Le vaste programme 1 Demerson, Guy: Rabelais, Fayard, 1991, p. 285 Larmat, Jean: Le moyen âge dans le Gargantua de Rabelais, Association des publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice, 1973, p. 311 3 Delort, p. 218 2 2 d’études du précepteur humaniste, Ponocratès donne une bonne impression de ce qu’est, selon Rabelais, une bonne éducation. Tout d’abord, l’enseignement doit être varié et intéressant et sans caractère de contrainte, car l’objectif principal du précepteur est d’éveiller et d’exiter l’intérêt de l’enfant, afin que celui-ci sera capable de et aura envie de poursuivre ses études tout seul plus tard. Comprenant tous les domaines de l’activité intellectuelle, le programme que Ponocratès laisse suivre Gargantua a un caractère encyclopédique. Il s’agit d’une éducation à la fois intellectuelle, comprenant l’enseignement en 7 langues, l’arithmétique, la musique, l’astronomie, la botanique, la médecine, l’histoire, la cosmographie, la géométrie, la musique, l’astronomie, le droit civil et les sciences naturelles. Gargantua devient donc lui-même cet ”abysme de science” dont il parle dans la fameuse lettre écrite à son fils Pantagruel.4 Faisant l’éloge du savoir encyclopédique, l’idéal de Rabelais apparaît clairement comme un echo de l’antiquité. L’éducation scolastique vs l’éducation humaniste Dans Gargantua, nous suivons le géant Gargantua et son développement d’un être presque animal à un homme éduqué. Pour souligner la différence entre un homme éduqué et un homme non-éduqué et la grande importance qu’il accorde à l’éducation, Rabelais décrit la situation dans laquelle l’enfant se trouve avant l’éducation, où il est abandonné à lui-même. Dans sa petite enfance Gargantua est l’incarnation même du manque d’éducation humaine:”Tousjours se vaultroit par les fanges, se mascaroyt le nez, se chauffourroit le visage.... Il pissoit sur ses souliers, il chyoit en sa chemise, il se mouschoyt à ses manches, mourvoit dedans sa soupe.” 5 En effet, Gargantua ne fait que manger, boire et dormir mais malgrè cette paresse anti-humaniste, le pére de Gargantua est d’avis qu’il s’agit d’un enfant intelligent et ingénieux, raison pour laquelle il décide de le faire éduquer. D’abord Gargantua est confié à deux précepteurs scolastiques qui représentent l’enseignement du moyen âge. Etant d’avis que les scolastiques ne possèdent aucun vrai savoir, comme nous le voyons au chapitre 15 de Gargantua:”.. que mieulx luy vauldroit rien apprendre que telz livres soubz telz precepteurs aprendre car leur scavoir n’estoit que besterie et leur sapience n’estoit que moufles, abastardisant les bons et nobles esperitz et corrompent toute fleur de jeunesse” 6 , Rabelais souligne et se moque de la manière dont les scolastiques enseignaient au moyen âge. Il fait une critique de leurs methodes, qui selon lui, n’amènent pas l’enfant à réfléchir 4 Rabelais, François: Pantagruel,Æuvres complètes, Edition du Seuil, 1973 et novemvre1995, p. 355 Rabelais, François: Gargantua, Æuvres complètes, Edition du Seuil, 1973 et novembre 1995, p. 102 6 Ibid p.120 5 3 lui-même puisque les méthodes consistent en une lecture commentée de textes sans valeur littéraire, un abus des choses à apprendre par cæur et des répétitions superflues. Sous l’enseignement scolastique Gargantua apprend ainsi”sa charte si bien qu’il la disoit par cueur au rebours..” 7 , ce qui ne l’aide pas à progresser, par contre ”est en devenoit fou, niays, tout resveux et rassoté” 8 . Etant lourd, ennuyeux et peu attrayant, la méthode scolastique apparaît donc comme une méthode d’éducation surannée. Le père de Gargantua voit bientôt que son fils ne progresse pas en suivant l’éducation du scolastique, raison pour laquelle Gargantua est confié ensuite à un humaniste. Il faut remarquer que Rabelais donc fait dépendre une éducation réussie du choix d’un bon précepteur. Selon lui, les méthodes des précepteurs scolastiques sont incapables de mener à bonne fin l’éducation de Gargantua. Ponocratès, par contre apparaît comme un précepteur intelligent qui sait bien comment faire de Gargantua un homme éduqué sur tous les plans. Rabelais nous présente donc deux systèmes éducatifs différents: le système scolastique et le système humaniste. Et tout en critiquant les défauts des vieilles méthodes, il insiste donc sur les avantages d’une formation humaine. Gargantua est envoyé étudier à Paris chez le précepteur Ponocrates, qui représente l’idéologie humaniste. Ponocratès se rend tout de suite compte que Gargantua se trouve dans un état d’esprit pénible et lui ordonne d’abord de se comporter selon sa méthode habituelle ”affin d’entendre par quel moyen, en si long temps, ses antiques precepteurs l’avoient rendu tant fat, niays et ignorant.” 9 Rabelais insiste sur le fait qu’une mauvaise éducation est pire encore que de n’en avoir pas, raison pour laquelle Ponocratès ”luy nettoya toute l’alteration et perverse habitude du cerveau.” 10 Ensuite, Ponocratès le soumet à un rythme de travail tel ”qu’il ne perdoit heure quelconques du jour, ains tout son temps comsommoit en lettres et honeste scavoir.” 11 Il s’agit d’un programme d’études de très grande envergure. Ponocratès le soumet à une discipline intellectuelle, morale et physique. Gargantua se lève à quatre le matin et toute la journée est occupée mais il est important de souligner que Ponocratès fait naître l’envie d’apprendre chez Gargantua. C’est pourquoi, la méthode ”que semblast pour le commencement difficile, en la continuation tant doulx fut, legier et delctable, que mieulx ressembloit un passetemps de roy que l’estude d’un escholier.” 12 La notion de la curiosité et 7 Ibid p. 118 Ibid p. 120 9 Gargantua, p. 138 10 Ibid p. 154 11 Ibid p. 156 12 Ibid p. 166 8 4 l’envie d’apprendre de l’enfant est essentiel dans la pédagogie rabelaisienne. Etant d’avis qu’il faut motiver l’enfant et lui donner envie d’apprendre pour pouvoir mener à bonne fin une éducation réussie, il développe un système d’éducation varié qui est attrayant pour l’enfant. Une bonne éducation comprend ainsi à la fois une éducation intellectuelle, une éducation physique et une éducation morale et religieuse. L’éducation morale et religieuse ”La formation intellectuelle est insuffissante si elle ne se double pas d’une formation morale” 13 Rabelais met l’accent sur le fait que la formation intellectuelle et la formation morale sont inséparables, ce que l’on voit surtout dans la formule celèbre dans la lettre de Gargantua à Pantagruel:”Sapience n’entre point en ame malivole, et science sans conscience n’est que ruine de l’ame” 14 Etant d’avis que la sagesse ne sert à rien s’il n’est pas accompagné de la vertu, il souligne qu’une éducation intellectuelle doit être completée par une formation morale et religieuse, car un intellect ne sert à rien de bien s’il n’est pas suivi d’une morale:”Car; ainsi comme debiles sont les armes au dehors si le conseil n’est en la maison, aussi vaine est l’estude, et le conseil inutile qui en temps oportun par vertus n’est executé et à son effect reduict.” 15 L’enseignement doit developper les instincts nobles qui, selon Rabelais sont innés, c’est à dire la loyauté, la dévotion, la charité et l’amour du prochain:”Soys serviable à tous tes prochains et les ayme comme toumesmes.” 16 Rabelais fait une critique de la formation religieuse du moyen âge où seuls importaient la formation extérieure, c’est à dire le nombre des messes et des prières, comme Gargantua, qui, enseigné par les scolastiques, tous les jours ”oyoit vingt et six ou trente messe. 17 Sous l’influence humaniste on lit chaque matin à Gargantua ”quelque pagine de la divine escripture haultement et clerement, avec pronunciation competente à la matière” 18 et sous la tutelle des scolastiques, Gargantua ”tout lordement grignotant d’un transon de graces.” 19 Avec Ponocratès, Gargantua ”prioient Dieu le createur en l’adorant et ratifiant leur foy envers luy et, le glorifiant de sa bonté immense et luy rendant grace de tout le temps passé, se recommandoient à sa divine clemence pour tout 13 Lazard, Madeleine: : Rabelais. L’humaniste, Hachette, 1993, p. 168 14 La lettre de Gargantua à son fils Pantagruel, Pantagruel, p. 354 Gargantua, p. 184 16 La lettre de Gargantua à son fils Pantagruel, Pantagrual, p. 354 17 Gargantua, p. 140 18 Gargantua, p. 156 19 Ibid, p.142 15 5 l’advenir.” 20 Rabelais ridiculise la formation religieuse que les scolastiques donnent à Gargantua, mais ce n’est pas la religion en soi-même qu’il ridiculise. Il veut débarasser la société et les méthodes pédagogiques de tout ce qui est superflu. Il critique les exercises mécaniques et la prière machinale qui sont dépourvus de sens et qui n’ont rien à voir avec une véritable foi:”ilz marmonnent grand renfort de legendes et psealmes nullement par eulx entenduez. ils content force patenostres entrelardées de longs Ave Mariaz, sans y penser ny entendre. Et ce je appelle mocqueDieu, non oraison.” 21 Sous la direction de Ponocratès, Gargantua lit et médite la Bible et les Evangiles dans leur langue originelle, et prie de manière personnelle au créateur. L’essentiel chez les humanistes est donc la formation intérieure de la religion, c’est à dire l’enseignement évangélique, la connaissance de la Bible et la prière personnelle. À l’époque, les idées de Rabelais ont été révolutionnaires, étant donné qu’il présente un modèle d’éducation religieuse où les pratiques du catholicisme sont ridiculisées. Il propose comme exemplaire une formation religieuse où presque rien n’est conservé de ce qui était pour la plupart des Français, l’essentiel de la vie religieuse. 22 C’est à dire la messe, la confession, la communion, les processions, les pélerinages, bref tous les rites et les pratiques machinales de la religion officielle. Par contre, il propose une ”une religion de la parole, où il n’est pas question de sacrements ni d’institutions, non une église mais une foi dans la substance et dans l’Evangile.” 23 Inspiré des réformateurs, Rabelais participe au mouvement évangélique de son époque avec sa volonté de vivre l’enseignement évangélique et sa volonté de restaurer le christianisme dans sa pureté primitive. Il rejette les mæurs religieuses du moyen âge, et présente une formation religieuse qui est dirigée vers l’intérieur et non pas l’extérieur. Comme les Anciens, Rabelais est d’avis qu’une éducation doit se composer d’une formation intellectuelle, morale et religieuse comme nous l’avons vu, et dans le même temps d’une formation physique. L’éducation physique Comme l’antiquité, la renaissance exalte la beauté du corps humain, et les humanistes s’efforcent à accorder au corps la place qui lui est due. Avec toute son époque, Rabelais met donc l’accent sur 20 Ibid, p. 164 Ibid, p.226 22 Larmat, p. 319 23 Ibid, p. 403 21 6 l’importance du développement harmonieux entre le corps et l’âme. Il est d’avis qu’une âme saine se trouve dans un corps propre et qu’il existe un lien entre l’intérieur et l’extérieur de l’homme, raison pour laquelle il souligne l’importance de l’hygiène personnelle et l’entraînement physique. Cette éducation a pour objet un développement simultané du corps et de l’intellect. Rabelais est inspiré par les humanistes italiens, qui louaient les disciplines physiques, et c’est pourquoi Ponocratès donne à la fois une éducation intellectuelle et un entraînement physique dans les disciplines tel que le tir à l’arc, l’équitation, la natation et l’escrime à Gargantua. Les chevaliers du moyen âge ont également reçu une éducation physique, comprenant la course, la natation, la chasse et les sports guerriers. 24 Rabelais souhaite compléter l’éducation de son héros avec une éducation de chevalier afin qu’il puisse défendre sa maison:”doresnavent que tu deviens homme et te fais grand, il te fauldra yssir de ceste tranquillité et repos d’estude, at apprendre la chevalerie et les armes, pour defendre ma maison..” 25 Rabelais alterne sans cesse les exercises physiques et les exercises intellectuels, ce qui le distingue des méthodes éducatives du moyen âge. Chaque jour, Ponocratès lui fait donc la lecture et puis des exercises physiques:”Puis par troys bonnes heures luy estoit faicte lecture. Ce faict yssoienthors, tousjours conferens des propoz de la lecture, et se desportoient en Bracque ou ès prez et jouoient à la balle, à la paulme, à la pile trigone, galentement se exercens les corps comme ilz avoient les au paravant exercé.” 26 Les activités intellectuelles et physiques sont harmonieusement réparties dans la journée ce qui présente ”le double avantage de fortifier le corps tout en reposant l’esprit.” 27 De cette manière la théorie et la lecture sont constamment suivies des exercises physiques et des expériences et des considérations personnelles. Rabelais est ainsi un porte-parole de l’enseignement simultané où l’enfant parallèlemet est enseigné en plusieurs disciplines comme c’était le cas à l’antiquité. La méthode pédagogique de Rabelais consiste donc à faire ”alterner l’exercise physique et l’exercise intellectuel, à développer toutes les aptitudes de l’adolescent, à l’entraîner à toutes les activités humaines..” 28 24 Delort, Robert: La vie au moyen age. Lausanne, Edita SA 1972 et Paris, édition du Seuil, coll. ”points-histoire”, 1982. 25 La lettre du Gargantua à son fils Pantagruel, Pantagruel, p. 354 26 Ibid, p.156 27 Larmat, p. 319 28 Larmat, p. 316 7 La lecon des choses L’éducation physique est completée par une éducation des expériences. Rabelais se sert de la méthode ayant été nommée ”La lecon des choses” par Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1826) deux cent ans plus tard. Dans les æuvres pédagogiques sur le développement de l’individualité de l’enfant, Pestalozzi présente un programme pédagogique dont l’objectif est de faire éduquer les enfants à travers des activités et des expériences. 29 La même méthode est appliquée par Rabelais. L’essentiel, c’est que Rabelais enseigne son héros par un contact personnel avec le monde qui l’entoure, avec les choses, la nature et les hommes. Etant d’avis que l’enfant apprend le mieux possible quand il s’intéresse à apprendre et quand il voit l’utilité de ce qu’il apprend, Rabelais accuse l’éducation du moyen âge d’avoir détruit l’envie d’apprendre et d’avoir eu un effet abrutissant. Il fait une critique de l’enseignement doctoral en soulignant l’importance de ce que l’enfant doit s’appuyer sur ses propres expériences et par ce chemin obtenir des relations plus proches avec le monde entourant. Gargantua apprend à faire des observations lui-même. Il s’agit à la fois des observations astronomiques et botaniques, chimiques et arithmétiques. Il apprend à travers de ses probres sensations et expériences. Par exemple, en ce qui concerne l’enseignement de l’astronomie:”Eulx retornans, consideroient l’estat du ciel, si tel estoit comme l’avoient noté au soir precedent et quelz signes entroit le soleil, aussi la lune, pour icelle journé.” 30 En observant les mouvements astronomiques lui-même, l’intérêt de Gargantua s’éveille et il est donc plus motivé à apprendre. Rabelais rend également les études attrayantes pour l’enfant en effectuant de petits jeux:”Ce faict, on apportoit des chartes, non pour jouer, mais pour y apprendre mille petites gentillesses et inventions nouvelles. Lesquelles toutes yssoient de Arithmetique.” 31 Ici nous voyons encore comment Rabelais utilise des méthodes simples pour apprendre aux enfants des choses essentielles. L’enseignement est pratiqué pendant toute la journée, aussi au moment des repas:”attendens la concoction et digestion de son past, ils faisoient mille joyeux instruments et figures Geometricques et, de mesmes, praticquoient les canons Astronomicques.” 32 De cette manière, Gargantua obtient des talents divers à travers une observation du monde, où tout puisse 29 Gyldendals Verdens Litteraturhistorie, Bind 4 – 1720-1830, Redaktion: Hans Hertel, Nordisk Forlag A/S, København 1994, p. 164-165. 30 Gargantua, p. 156 31 Ibid, p. 158 32 Gargantua, p. 158 8 servir comme instruction. ”L’instruction est au fond de toute chose, et il n’y a rien, dont un esprit bien avisé ne puisse faire son profit” 33 , voilà la pensée rabelaisienne. L’héritage médiéval de Rabelais Bien que Rabelais soit un homme de la renaissance, inspiré des idées humanistes de son époque, il reste pourtant à bien des égards un homme médiéval. Comme Madeleine Lazard écrit:”Né dans les ”temps gothiques”, qu’il a tant méprisés, il en reste l’heritier par sa formation, son passé, sa mentalité, ses archétypes, son langage...” 34 La culture rabelaisienne est représentative de son temps mais dans son æuvre l’on trouve également un héritage médiéval. On retrouve par exemple chez Rabelais plusieurs genres dominants dans la culture populaire du moyen âge. Gargantua comprend ainsi à la fois la fantaisie du conte de géants, la farce, les fabliaux, les genres comiques et le mystère. Dans son æuvre, les gens mangent, boivent, voyagent, se combattent, parlent, apprennent et réflechissent dans le même temps. Les pensées philosophiques de Rabelais s’expriment ainsi à travers une conte enfantine, ce qui montre que Rabelais est à la fois un homme médiéval et un homme de la renaissance. L’auteur russe, Michaíl Bachthín a souligné l’importance de cet élément populaire dans l’univers rabelaisien. Dans son æuvre ”François Rabelais et la culture populaire au moyen âge et sous la Renaissance”, il met l’accent sur les aspects populaires et carnavalesques dans les æuvres de Rabelais et interprête son æuvre comme une expression de la culture populaire. 35 Il est remarquable qu’il existe un contraste dans l’univers de Rabelais qui consiste dans l’alliance de la fantaisie et la réalité. L’æuvre est ainsi une fusion du réel et du fantaistique, du quotidien et de l’étrange. Rabelais est à la fois un représentant de nouveaux idées humanistes et un homme médiéval. Nous le voyons aussi dans ses méthodes pédagogiques. Dans le programme que suit Gargantua, il y a une visible survivance médiévale: Gargantua ne prend jamais des notes pendant les leçons, par contre tout l’enseignement pratiqué par Ponocratès est oral. Il lit en haut les textes pour Gargantua et les commente aussi, mais il n’y pas d’exercises écrits ou de débats qui pourraient faire l’enfant travailler lui-même les textes. C’est un trait typique du moyen âge. Ce qui constitue également un trait du moyen âge, c’est qu’au cours de la journée, Gargantua doit répéter plusieurs fois ce qu’il a appris: ”là attendens, recitoient clerement et eloquentement quelques sentences 33 Jubert, s. 35 Lazard, p. 17 35 Gyldendals Verdens Litteraturhistorie, Bind 3-1450-1720, Redaktion: Hans Hertel, p. 154-155. 34 9 retenues de la lecon.” 36 et plus tard: ”eulz arrivez au logis, ce pendent qu’on aprestoit le souper, repetoient quelques passaiges de ce qu’voit esté leu et s’ässeoient à table.” 37 Alors, malgré le fait que Rabelais attaque et ridiculise l’abus de choses à apprendre par cæur du moyen âge ainsi que les répétitions, il ne s’en éloigne pas complètement, par contre il reste à bien des égards attaché à la tradition médiévale. Mais ce qui montre clairement que Rabelais est un homme de la renaissance c’est qu’il cherche le savoir dans l’antiquité et non pas dans le moyen âge. En outre, il insiste sur la lecture de tous les grands æuvres, l’apprentissage de toutes les langues et toutes les sciences, ce qui est très caractéristique pour la renaissance. Conclusion Avec une méthode qui est à la fois très conservatrice et trés nouvelle, Rabelais insiste sur les capacités et les possibilités de l’homme. Etant persuadé que l’homme de nature est bon, mais que ce n’est qu’à travers l’éducation qu’il développe ses dons naturels, il propose une union intime de l’éducation intellectuelle, morale, religieuse, artistique et physique. Les disciplines qu’il propose ne se distinguent pas fondamentalement des disciplines proposées au moyen âge, mais sa méthode est nouvelle. Insistant sur un programme encyclopédique comme bonne préparation à la vie et s’éloignant des méthodes contraignantes, Rabelais présente un nouveau système d’éducation basé sur le désir d’apprendre, ”la leçon des choses” et avant tout une méthode qui consiste à alterner les exercises physiques et les exercises intellectuelles afin que l’éducation soit toujours variée. Son éducation vise à une formation intégrale et une culture équilibrée au moyen d’une continuelle activité de toutes les facultés du corps et de l’âme. Tout en rejettant les dogmes et les exercises machinaux de l’Eglise, il insiste en outre sur un évangélisme fondé sur la connaissance de la Bible et la prière personnelle et il se fait porte-parole d’un développement nécessaire de la morale et de la vertu. L’æuvre de Rabelais est un acte de confiance en l’homme et un hymne à la dignité de l’homme, à son savoir et à son pouvoir. Dans son æuvre l’on trouve une alliance de contrastes puisqu’il unit les traditions et les nouveautés, la fantaisie et le réalisme, la farce carnavalesque et le roman humaniste. Comprenant à la fois des aspects populaires et médiévaux et des aspects humanstes, il se situe entre le moyen âge et la renaissance et il représente donc les deux époques. Nous voyons donc en lui une confirmation de ce que la renaissance est un intermédiaire entre le moyen âge et notre temps. Son æuvre ouvre les yeux sur le monde et amène à juger, à qualifier et à disqualifier l’époque actuelle, raison pour laquelle la lecture de Rabelais sera toujours actuelle. 36 Gargantua, p. 156 10 Bibliographie Littérature primaire: Rabelais, François: La vie treshorrificque du Grand Gargantua, pere de Pantagruel, Oeuvres complètes, Editions du Seuil, 1973 et novembre 1995. Rabelais, François: Pantagruel, Ouvres complètes, Éditions du Seuil, 1973 et novembre 1995. Littérature secondaire: Delort, Robert: La vie au Moyen Âge, Lausanne, Edita SA 1972 et Paris, Édition du Seuil, coll. ”points-histoire”, 1982. Demerson, Guy: Rabelais, Fayard, 1991. Larmat, Jean: Le Moyen Age dans le Gargantua de Rabelais, Association des publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice, 1973. Lazard, Madeleine: Rabelais. L’humaniste, Hachette, 1993. Littérature supplémentaire: Defaux, Gérard: Rabelais agonistes: du rieur au prophète. Etudes sur Pantagruel, Gargantua, Le Quart Livre, Librairie Droz S.A., Genève, 1997. Hertel, Hans: Gyldendals Verdens Litteraturhistorie, Bind 3, 1450-1720, Nordisk Forlag A/S, 1994, s. 150-155. Hertel, Hans: Gyldendals Verdens Litteraturhistorie, Bind 4, 1720-1830, Nordisk Forlag A/S, 1994, p. 164-165. Jubert, Anne Grethe Lykkeberg: Rabelais’ pædagogik. En fremstilling af Rabelais’ tanker vedrørende Gargantuas og Pantagruels opdragelse, og et forsøg på en vurdering af disse på baggrund af foreholdene i Renæssancen, Speciale, Romansk Institut, Københavns Universitet, 1996. 37 Ibid, p. 162 11