Code Source 1978-1987

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Code Source 1978-1987
No 12
26 mars 2007
ANNÉE
1978
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
La renommée de l’IRIA s’étend
Le 13 décembre 1978 – C’est
aujourd’hui que prend fin dans la
bonne humeur le colloque international sur les méthodes numériques qui s’est tenu cette année
exceptionnellement à Rocquencourt. Dans les allées des exbaraquements de l’OTAN, on
entend à nouveau parler des langues diverses comme aux plus
belles heures du SHAPE, avec
une grande différence cependant : les échanges avec les pays
communistes sont importants.
En effet, depuis le voyage du
général de Gaulle en URSS, les
chercheurs de l’IRIA ont pu mettre en place des relations régulières avec les mathématiciens
soviétiques ou d’Europe de l’Est
dont la réputation déborde les
frontières. Les deux communautés scientifiques partagent certaines façons de faire, une commune chaleur et une passion
partagée des algorithmes. C’est
donc en nombre que les cher-
© INRIA
de Chicago à Novossibirsk !
Le célèbre mathématicien russe Guri Marchuk a assisté au colloque sur les perspectives de la recherche
en automatique et informatique qui s’est déroulé les 7 et 8 juin 1978 à l’Unesco (Paris)
à l’occasion du 10e anniversaire de l’IRIA. À sa droite, on voit Pierre Népomiastchy.
cheurs de l’IRIA se rendent à
Novossibirsk dans le cadre de la
coopération franco-soviétique en
informatique. Cette lointaine ville
de Sibérie, située sur le trajet du
trans-sibérien, dépasse le million
d’habitants mais possède surtout
une université, fondée en 1959,
dont la réputation en mathématiques est devenue internationale. De grands savants comme
le professeur Guri Marchuk ou
©INRIA
SPARTACUS,
le pionnier de la robotique
Le MAT-1 développé par le CEA
dans le cadre de Spartacus.
D
epuis la fin de l’année 1975,
l’IRIA a piloté SPARTACUS,
cet ambitieux programme de
recherche qui devait mettre au
point un dispositif (orthèse) permettant aux tétraplégiques de
recouvrer une certaine autonomie.
L’INSERM, le CNRS et le CEA se
sont associés à cette initiative qui
regroupait plus d’une dizaine de
partenaires scientifiques.
Trois ans plus tard, un peu plus de
cinq millions de francs ont été engagés et le bilan de cette opération
s’avère mitigé. Les chercheurs ont
exploré des options très innovantes
pour piloter le bras manipulateur :
la SAGEM et l’IRISA ont développé des techniques infrarouges
pour les capteurs de proximité alors
que le LAAS explorait les possibilités offertes par les ultrasons. Des
avancées très significatives ont également été réalisées en matière de
détermination de la position d’un
objet grâce à l’emploi de capteurs
de vision globale. Plus étonnant
encore, la réalisation d’une peau
artificielle pour la pince et des avancées notables dans le domaine du
retour sur effort laissent entrevoir
de réelles potentialités dans un
domaine encore très peu développé.
L’interface entre l’utilisateur et l’ap-
pareil a également donné lieu à la
conception de prototypes extrêmement innovants fondés sur l’utilisation du souffle ou de la succion. Un
système recevant les mouvements
de la glotte et les convertissant en
un signal électrique a même été
testé. Il permet à l’utilisateur d’agir
sur le bras mécanique grâce à un
ordinateur capable d’interpréter ses
ordres.
« Le robot “sensible” viendra à
l’aide des grands handicapés »
titraient nos confrères de France
Soir au début de l’année 1976. Mais
le système est trop cher, trop lourd
et trop volumineux pour être opérationnel. Le robot peut toutefois
être déjà utilisé dans d’autres
domaines, à commencer par l’industrie où encombrement et coûts sont
des paramètres moins cruciaux.
■ AB & PG
encore Sergei Sobolev et Nicolay
Nicolayevich Yanenko font la
gloire de ce que l’on peut appeler l’école sibérienne.
Depuis le milieu des années
1970, l’idée d’une coopération
internationale centrée sur l’Europe se fait jour et l’IRIA se rapproche des chercheurs ouestallemands – en dépit de l’échec
encore frais d’UNIDATA –, des
Italiens et même des Britanniques dont l’entrée dans le Marché Commun a dû attendre la
disparition du général de Gaulle.
Les Japonais, qui misent sur l’informatique appliquée, sont aussi
de plus en plus souvent invités.
Quant aux pays en voie de développement, ils ne sont pas
oubliés même si, ici, la coopération s’exprime différemment.
Dans un monde qui reste divisé, il
n’est pas faux d’affirmer que la
recherche internationale dessine
les alliances de demain, en éclaireur. ■ AB & PG
Et pendant
ce temps là...
Naufrage de l’Amoco
Cadiz dans le NordFinistère – Naissance de
Louise Brown, le premier
bébé éprouvette, à
Cambridge – Signature
des accords de Camp
David entre Israël et
l’Égypte – Mort du chanteur et compositeur
belge Jacques Brel
– Première édition du
Paris-Dakar – Le film de
Patrice Leconte « Les
Bronzés » sort en salle –
Première diffusion en
France du dessin animé
Goldorak.
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
« Au mois de mai, les chercheurs
du Laboria allaient en Sibérie »
(no 12 – 26 mars 2007)
« J’ai passé des nuits
entières à travailler
sur Spartacus »
par Georges Nissen
ancien directeur des relations internationales de l’INRIA.
par Bernard Espiau
datait d’une mission officielle en
d’informatique et de mathémati-
Russie en 1964 au cours de
ques appliquées. Pierre Nepo-
laquelle les deux hommes sympa-
miastchy en a été le directeur et
thisèrent et se découvrirent des
j’ai fait partie du conseil scientifi-
nement. Je me souviens avoir
intérêts communs. Dès 1966 Mar-
que et du comité de gestion. Lors
passé des nuits entières à travail-
chuk et son équipe effectuèrent
de nos collaborations avec les
ler avec Pierre André qui venait de
un voyage en France. J’étais un
Russes, nous évitions de parler
Besançon et qui faisait de la com-
étudiant de Lions et, comme je
des sujets militaires pour des rai-
mande par glottométrie. À Ren-
parlais le russe, j’étais son inter-
sons évidentes. Il était question de
nes, j’étais logé dans la Tour des
prète. Par la suite, j’ai souvent
sujets fondamentaux concernant
Maths qui, comme son nom ne
accompagné Lions lors de ses visi-
des applications civiles de la
l’indique pas, avait été occupée
tes régulières en URSS, à Moscou
mécanique des fluides, les calculs,
par des chimistes ! Dans mon
© INRIA - Photo A. Eidelman
ou dans la cité scientifique d’Aka-
la résolution des grands systèmes
bureau, il y avait encore les pail-
La coopération scientifique avec
demgorodok, et, de façon plus
ou l’étude de systèmes hiérarchi-
lasses avec des robinets et d’au-
les Russes s’inscrivait dans la poli-
générale, je le représentais sou-
sés.
tique étrangère de la France qui
vent en tant qu’adjoint.
Contrastant avec le cadre formel
J’ai quitté le service technique
La commande référencée cap-
visait l’équilibrage entre les super-
Au mois de décembre, se tenait le
des relations avec l’URSS, les
informatique de l’IRIA à Rocquen-
teurs sur laquelle j’ai travaillé a
puissances. Pour l’IRIA, les rela-
traditionnel colloque sur les
échanges avec le reste du monde
court en 1976 pour aller à l’Irisa
été implantée sur un manipula-
tions avec la Russie étaient avant
méthodes numériques au Palais
et en particulier les États-Unis se
(Rennes) travailler dans le projet
teur nucléaire MA23. Ensuite le
tout l’histoire d’une rencontre
des congrès de Versailles où nous
sont développés de façon infor-
Spartacus. Ce projet pilote venait
prototype MAT1 a été réalisé par
entre deux hommes : Jacques
accueillions les équipes du centre
melle. Vers le milieu des années
d’être créé et était dirigé par un
le CEA et a eu un grand retentisse-
Louis Lions, qui dirigeait le Labo-
de calcul et d’autres instituts de
1980, les directeurs de la NSF
champion d’escrime, Jack Guittet.
ment médiatique. Les perspecti-
ria, et Guri Marchuk, le directeur
recherche de Akademgorodok. En
(National Science Foundation) et
J’avais l’ambition de développer
ves ouvertes par ce projet ont été
du centre de calcul d’Akademgo-
retour, au mois de mai, les cher-
de l’INRIA – respectivement Eric
une activité robotique : je voulais
nombreuses. Spartacus a marqué
rodok – l’équivalent du centre de
cheurs du Laboria allaient en
Bloch et Alain Bensoussan – se
faire de l’automatique pour la
le début de la recherche en robo-
calcul en France, et également
Sibérie. À partir de 1972, des sémi-
sont entendus pour formaliser le
robotique. Le sujet n’était pas
tique au service des personnes
centre de recherche – qui devint
naires ont été régulièrement orga-
réseau franco-américain devenu
facile, c’était donc d’autant plus
handicapées. Il a d’autre part faci-
par la suite le ministre de la
nisés et ces échanges aboutiront,
très dense en finançant des
intéressant !
lité la rencontre de personnes
Science et Technique (GKNT) et
au tout début des années 1990, à
actions de recherche réunissant
À l’époque, la robotique en était à
venant d’horizons différents qui
vice-premier ministre, puis prési-
la création, dans les locaux de
des équipes INRIA et des équipes
ses débuts et on la considérait
ont constitué la première com-
dent de l’Académie des sciences
l’université de Moscou, du labora-
universitaires américaines.
plutôt comme manufacturière,
munauté robotique française. Par
d’URSS. Leur première rencontre
toire franco-russe A.M Liapunov
ayant comme seule application
ailleurs, la télé-opération a eu des
l’automatisation des lignes de
applications intéressantes dans
production dans les usines. Dans
le domaine du nucléaire, par
ce contexte Spartacus était très
exemple pour des manipulations
novateur : c’était le premier projet
en zones à hautes radiations. Le
de robotique avec application
CEA a beaucoup travaillé dans ce
médicale. Spartacus était un robot
domaine.
d’assistance pour des personnes
La communauté créée autour de
tétraplégiques. Mon sujet de
Spartacus a servi à la création
recherche consistait à utiliser des
ultérieure du projet ARA (Auto-
capteurs infrarouges réalisés par
matique et robotique avancées)
la Sagem, implantés dans les
lancé par Georges Giralt. L’activité
doigts du robot, et à transmettre
robotique à l’IRIA s’est amplifiée,
l’information ainsi obtenue aux
surtout à Rocquencourt. En ce qui
commandes du robot. Ce dernier
me concerne, la participation à
était guidé dans des tâches de sai-
ce projet a clairement influencé
sie grâce à ces capteurs d’environ-
toute ma carrière. ■ A.-M. M.
© INRIA - Photo R. Lamoureux
tres matériels de chimie.
■ J. G.
Le robot MA23 a été conçu par
Jean Vertut et réalisé par le
CEA. Trois capteurs de proximité infrarouge à fibres optiques (réalisation Sagem) ont
été intégrés sur une pince bidigitale et utilisés dans la commande référencée capteurs du
robot pour la saisie automatique d'objets.
Une manipulation totalement
automatique a été montée dans
la vitrine d'un grand magasin
parisien pour Noël 1977 ou
1978 (ci contre). Les commandes développées sur le MA23
ont ensuite été transférées sur
le robot MAT1, longtemps utilisé à l'hôpital de Garches.
Le MA23 développé par le CEA
dans le cadre de Spartacus
© Michel Parent
directeur scientifique adjoint de la direction du développement
technologique
LE SAVIEZ-VOUS?
La Sems annonce le Mitra 15 – Le rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société française est publié – La société Transpac est créée
– Apple présente son premier lecteur de disquette à Las Vegas – Intel
lance la production de son processeur 16 bits 8086. Il est composé de
29000 transistors en technologie 3 microns et peut accéder 1 Mo de
Ram. Sa puissance est de 0.33 MIPS et il coûte 360 $.
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest,
J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de
l’informatique » paru chez EDP Sciences), J. Gramage et A.-M. Militan.
No 13
2 avril 2007
ANNÉE
1979
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
Le 20 novembre 1979 – Les bouleversements du secteur de l’industrie informatique menacent
désormais directement l’IRIA.
Certes, un certain nombre de
déclarations semblaient l’an dernier rassurantes quant à l’avenir
de l’institut. Mais en réalité des
dysfonctionnements continus
perturbent, pour ne pas dire
paralysent, l’essor de l’IRIA malgré la réforme de 1972. Il serait
long de pointer les multiples causes qui ont débouché à la fois sur
l’inquiétude des personnels et sur
des formes de désenchantement
tant de la direction que des tutelles. On peut souligner toutefois
que le statut administratif de
l’institut ne lui permet pas d’avoir
la souplesse et la réactivité
nécessaires quand il s’agit d’ouvrir des voies nouvelles. Dans un
tel contexte, certains pensent
qu’une nouvelle réforme ne serait
pas suffisante et qu’une solution
plus radicale s’impose. De ce
point de vue, la création, l’année
dernière, de l’Agence pour le
développement des applications
de l’informatique pourrait bien
être le signe que le gouvernement du Président Valéry Giscard
Photo ©INRIA
Des menaces persistantes pèsent sur l’IRIA
Le personnel de l’IRIA s’est mis en grève ce 20 novembre
à l’appel des syndicats SNTRS-CGT, SGEN-CFDT et SNCS-FEN.
d’Estaing ne regarde plus l’IRIA
avec le même œil.
Faut-il alors évoquer un démembrement ? Avec le peu d’informations dont nous disposons, les
craintes les plus diverses s’expriment aujourd’hui par la voix des
syndicats qui sont unis devant
cette menace persistante de
démantèlement. Ils parlent
d’éclatement et s’inquiètent tout
particulièrement du sort du Laboria. Le 16 mai dernier, le journal
« Le Monde », qui passe pour
généralement bien informé, précisait que le Laboria serait
décentralisé vraisemblablement
à Rennes ou à Valbonne, dans
les Alpes-Maritimes, où il est
question de développer un centre
de technologies de pointe. Deux
jours plus tard, dans « l’Éclair du
centre », Michel Durafour posait
la candidature de Saint-Étienne
pour l’implantation de l’IRIA. À
l’automne, la presse annonçait
que le CNRS allait désormais
accueillir une partie des fonctions de l’IRIA. La fin de l’année
approchant, les rumeurs se font
plus précises. L’informatisation
de la société reste d’actualité
mais l’IRIA serait réformé. Un
nom a déjà été avancé pour la
direction de la nouvelle structure
et ferait l’unanimité dans les
sphères dirigeantes. Les fonctions de l’institut seraient partagées avec l’Agence nouvellement créée, qui s’appelle
désormais l’Agence de l’informatique. Certains spécialistes font
savoir que, dans ces conditions,
ils préféreraient poursuivre leurs
recherches hors de France. La
nouvelle de la suppression imminente de l’IRIA inquiète le personnel d’autant qu’aucune explication n’a été fournie sur le
partage des rôles entre l’Agence
de l’informatique et le successeur de l’institut. Bien que perceptible, l’angoisse reste teintée
de la volonté de réussir un nouveau départ.
■ AB & PG
Une décentralisation de l’IRIA à Rennes ?
’IRIA sera-t-il délocalisé à Rennes ?
C’est l’une des possibilités évoquées actuellement avec Nice et Grenoble qui présentent
également des atouts
importants. Mais le
développement de la
Bretagne est une priorité depuis les années
1950 et l’IRIA a contribué depuis près de 10
ans au développement
de l’informatique dans
cette région. En particulier, il a réussi, avec
l’université et le CNRS, à créer l’Institut de recherche
sur l’informatique et les systèmes aléatoires (IRISA)
en 1975. L’installation d’un pôle consacré à la recherche
en informatique et en automatique qui absorberait
DR
L
l’IRIA ne serait que la
poursuite et l’accélération des moyens dont
Rennes bénéficie ou va
bénéficier : l’université,
bien entendu, l’Institut
national des sciences
appliquées,
l’École
supérieure d’électricité,
le Centre commun
d’études de télédiffusion et de télécommunication et le Centre
électronique de l’armement. Aujourd’hui, le
succès est patent puisque la Bretagne se
classe en quatrième position pour la recherche en informatique et en automatique, presque à égalité avec MidiPyrénées et proche de Rhône-Alpes. Elle possède donc
■ AB & PG
tous les atouts pour accueillir l’IRIA.
Et pendant
ce temps là...
Le Conseil Européen
décide de créer un système monétaire européen baptisé Ecu – Le
premier restaurant Mc
Donald’s ouvre en
France – Mère Thérésa
reçoit le prix Nobel de la
Paix – La première fusée
Ariane est réalisée –
Saint Gobain rachète la
participation de la CGE
dans la CII.
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
« Le protocole d’accord avait
l’avantage d’être à peu près vide »
(no 13 – 2 avril 2007)
« L’institut existera-t-il
après les fêtes
de Noël ? »
par Jean-Yves Violle,
ancien secrétaire général de l’Irisa
par Danièle Steer,
secrétaire de la section INRIA du syndicat SNTRS/CGT
© INRIA - Photo A. Eidelman
ration menée conjointement avec
Le premier travail que me
le CNRS, l’université de Rennes 1
demanda le comité de direction
et l’Insa de Rennes aboutit néan-
devant lequel le directeur de
agents. Le personnel du Laboria
moins à la création d’un labora-
l’Irisa était responsable fut de
qui s’était fortement opposé à
toire universitaire associé au
rédiger un protocole d’accord
quitter Rocquencourt ne savait
CNRS (LA 227) et soutenu par
concrétisant la volonté des quatre
pas de quoi l’avenir serait fait. À la
l’IRIA qui mettait à sa disposition
établissements partenaires d’œu-
veille des fêtes de Noël et des cinq
des personnels de recherche et
vrer à l’existence et au bon fonc-
jours de congés octroyés à cette
des crédits.
tionnement de l’Irisa. Ce proto-
occasion, aucune décision offi-
Ce laboratoire prit le nom d’Irisa
cole, qui fut rédigé sur les
cielle n’était parue et nous guet-
et je fus mis à la disposition de
directives du Président de l’INRIA
tions chaque numéro du Journal
son directeur Michel Métivier
et avec la collaboration d’Anne-
Officiel avec une inquiétude gran-
sous le titre pompeux de secré-
Marie Laroche du service juridi-
dissante. Nous sommes tous par-
Avant de rejoindre Rennes, je tra-
taire général à partir du 1er sep-
que de l’institut, avait l’avantage
tis avec en tête la question : « L’ins-
vaillais au service administratif de
tembre 1974. Concrètement, je
d’être à peu près vide. Dans son
titut existera-t-il après les fêtes de
Rocquencourt en qualité de chef
m’occupais de la gestion des cré-
article premier, les signataires
du personnel. Dès 1969, alors
dits, de la rédaction des contrats
s’engageaient « à maintenir les
À la fin des années 1970, la Délé-
créé par décret le 27 décembre
qu’il était question de vagues pro-
de recherche, du suivi des per-
moyens mis à la disposition de
gation à l’aménagement du terri-
1979, sans création d’emplois et
jets de création d’un laboratoire à
sonnels – notamment des per-
l’Irisa » et – plus important –il
toire et à l’action régionale
plus d’un an après l’annonce de la
Rennes – on parlait à l’époque de
sonnels rémunérés sur contrats
était mentionné que la direction
(DATAR) ne voulait plus créer
réorganisation de l’IRIA et de la
décentraliser l’IRIA –, j’avais indi-
de recherche – et du suivi des mis-
de l’Irisa était assurée par un
d’emplois en région parisienne ; le
décentralisation du Laboria et du
qué à Alain Serieyx (alors secré-
sions, sans oublier l’interface
directeur nommé par le comité
Laboria était bloqué à 80 postes.
centre de calcul. Restait la ques-
taire général de l’IRIA) que j’étais
avec les services administratifs de
de direction de l’Irisa. L’Irisa fonc-
Dès l’été 1978 se répandirent des
tion des personnels : pour les
intéressé par cette perspective. Le
l’IRIA, du CNRS et de l’université
tionna pendant près de 15 ans en
bruits sur la volonté de la DATAR
chercheurs, dont le statut était
projet initial tourna court devant
de Rennes 1. Ma tâche fut facilitée
se fondant sur un protocole d’ac-
de délocaliser le centre de calcul
précaire, comme pour les ITA, il
l’impossibilité pour le ministère
par la confiance que m’accordè-
cord d’une très grande souplesse.
et le Laboria à Sophia Antipolis
n’y avait aucune garantie que la
de tutelle de s’engager financiè-
rent par la suite le président de
Comme l’avait dit Bonaparte,
pour y créer une Silicon Valley à la
décentralisation ou le refus d’aller
rement pour les dépenses de
l’IRIA (INRIA à partir de 1980),
« une bonne constitution doit être
française et de transférer les acti-
à l’Agence n’entraîneraient pas le
fonctionnement induites par
Jacques-Louis Lions, et son secré-
courte et obscure »
vités du Sesori à la nouvelle
licenciement. Notre action a porté
cette décentralisation. Une opé-
taire général, Vincent George.
Agence de l’informatique. La nou-
sur la dévolution des emplois
velle ne fut officielle qu’en
entre l’Agence et l’INRIA ; nous
février 1979. Je me souviens qu’il
avons défendu ceux qui ne vou-
« Les ordinateurs sont comme les Dieux
de l’Ancien Testament :
beaucoup de règles et aucune pitié »
n’a cependant jamais été envisagé
laient pas aller à l’Agence.
de consulter le personnel alors
Grâce à l’action conjointe des per-
que nous nous battions déjà pour
sonnels et des organisations syn-
plus de démocratie au sein de
dicales ainsi à celle du professeur
l’institut.
Lions, l’INRIA est resté à Roc-
Joseph Campbell, mythologiste américain.
Si les décrets de création de
quencourt. In fine, la décentrali-
l’Agence et de suppression de
sation s’est traduite par la créa-
l’IRIA étaient parus, la création de
tion d’une unité de recherche à
l’INRIA ne faisait que l’objet d’an-
Sophia-Antipolis. Nous avons
nonces. Il semblait y avoir des dif-
obtenu que les départs se fassent
ficultés pour définir le statut du
sur la base du volontariat avec des
nouvel institut et celui de ses
indemnités conséquentes. ■ J. P.
■ C. S.
© INRIA - Photo J.-M. Ramès
Noël ? ». L’INRIA a finalement été
LE SAVIEZ-VOUS?
CII-HB sort le DPS 7 — Sony lance le walkman — Philips, Sony et
Hitachi sortent le CD audio — Début de la radiotéléphonie cellulaire —
Sortie du jeu Space Invaders de Toshihiro Nishikado chez Taito — Premier SPAM envoyé sur Arpanet à plus de 400 personnes par un res© Photo France Telecom
ponsable marketing de Digital Equipement Corporation. SPAM (en français pourriel — contraction de poubelle et de courriel) fait référence à
un sketch des Monty Python et vient de la marque américaine du même
La naissance du Minitel
En France, la Direction Générale des Télécommunications lance une
expérience à grande échelle de son terminal télématique Minitel à
Vélizy, Versailles et Val de Bièvre.
nom (Shoulder of Pork and hAM) qui vend de la viande en conserve bon
marché.
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest,
J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de
l’informatique » paru chez EDP Sciences), J. Paul et C. Sortais.
No 14
10 avril 2007
ANNÉE
1980
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
Dès sa naissance
l’INRIA fait face à de grands défis
Le 10 avril 1980 – Moins de
quatre mois après le décret de
création
de
l’INRIA
le
27 décembre dernier, où en est
le nouvel institut d’informatique
et d’automatique ? Même si son
statut d’établissement administratif rompt avec le passé, l’INRIA doit continuer de tendre
vers les applications industrielles
de la science et de la technique
et assurer une large diffusion du
savoir et du savoir-faire de l’institut. Son président, JacquesLouis Lions a ainsi affirmé que les contrats
favorisent la connaissance des besoins des
industriels tout en faisant progresser la
science fondamentale.
De nombreuses questions restent cependant
en suspens. Le premier défi à relever est de
réussir la décentralisation. L’établissement
© INRIA
L’IRIA ajoute un N à son nom, et inaugure un nouveau logo
dont la légende dit qu’il fut conçu par Jacques-Louis Lions lui-même.
d’une unité à Sophia Antipolis pourrait ouvrir
la voie à de nouvelles implantations régionales, ce qui serait dans la logique d’un institut
d’envergure nationale. Ensuite, il s’agit de
convaincre les tutelles que l’institut a besoin
de ressources suffisantes et surtout d’une
certaine continuité dans les moyens. Trop
souvent par le passé des budgets maigres ou de rattrapage
se sont succédé et ont ralenti la
croissance légitime de l’IRIA. Il
faut aussi se poser la question
de l’évolution des formes de
coopération avec le monde
extérieur. Certains parlent de
filiales, d’autres espèrent que la
législation ouvrira la voie de
l’entreprise aux instituts publics.
Enfin, les syndicats, fortement
émus par les derniers événements, attendent du nouveau
président un dialogue concret pour ne pas
avoir l’impression de subir des décisions
venues d’un ministère ou d’un cabinet. Des
chantiers complexes et quelquefois redoutables mais l’histoire récente du défunt IRIA
montre que la ressource humaine existe et
qu’elle se plaît aux grands défis. ■ AB & PG
© INRIA
Jacques-Louis Lions, l’homme de la situation
L’
avenir de l’INRIA repose très
largement sur les épaules
de son premier Président-directeur
général Jacques-Louis Lions.
Nommé pour trois ans, JacquesLouis Lions apparaît tout à la fois
comme le président du renouveau
et l’homme de la continuité. La
grève des 7 et 8 janvier dernier
aurait pourtant pu placer ce nouveau départ sous de bien mauvais
auspices. L’énergie et le charisme du
grand mathématicien ont très largement contribué à surmonter ces difficultés. Le cap est en effet fixé très
clairement avec pour priorité l’excellence scientifique et le transfert
de technologie. Jacques-Louis Lions
a précisé sa doctrine lors du récent
conseil scientifique du mois de mars.
« Les projets de recherches seront
extrêmement souples, laissant à chacun une très grande initiative individuelle, aucune idée ne sera jamais
refusée au départ, mais soumise à
un examen collectif, afin d’en vérifier et d’en approfondir l’intérêt. »
Au-delà de l’homme c’est en effet
un collectif qui monte en ligne. Jacques-Louis Lions s’appuie sur un
premier cercle de disciples surnommés les Lionceaux mais il sait également pouvoir compter sur une
génération de chercheurs qu’il a
choisis et qui ont désormais l’expérience et la surface internationale
nécessaires pour donner à l’institut
les cadres indispensables. Organisa-
teur, Jacques-Louis Lions est également un homme de communication.
Fort de son expérience à la tête du
Laboria, il entend bien rassurer les
autorités extérieures – qui comprennent avec quelques difficultés la
nature exacte des recherches
menées à l’INRIA – tout en préservant en interne les équilibres entre
spécialités, localisations et communautés de recherche.
Académicien des sciences, professeur au Collège de France, secrétaire de l’Union mathématique
internationale, Jacques-Louis Lions
a fait des mathématiques appliquées
une discipline respectée dans l’université et courtisée au-dehors. Il
n’en est pas moins resté accessible.
En renvoyant dos-à-dos, comme il
l’a toujours fait, les fanatiques de
l’art pour l’art et les inconditionnels
de l’utilitaire, il entend faire de l’INRIA une institution de recherche de
premier rang, inscrite dans son siècle. Sa stature apparaît donc comme
l’un des atouts majeurs de l’INRIA
au point que certains s’interrogent :
le pouvoir politique aurait-t-il
donné cette nouvelle chance à l’institut sans l’énergie et la caution
intellectuelle de celui qui en prend
cette année les rênes ? ■ AB & PG
Et pendant ce temps là...
Marguerite Yourcenar est la première femme élue à
l’Académie française – Éruption du Mont Saint-Hélens
aux États-Unis – Lancement de la première chaîne d’information en continu CNN – L’Irak envahit l’Iran – En
France, le comique Coluche est candidat à la présidentielle – John Lennon est assassiné à New York.
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
(no 14 – 10 avril 2007)
« Tout le monde défilait à Rocquencourt Jacques-Louis Lions m’a
pour voir le buroviseur »
dit « une page se tourne »
par Najah Naffah,
par Antoinette Theis,
ancien responsable du projet Kayak
ancienne secrétaire de Jacques-Louis Lions.
© Najah Naffah
tute et au laboratoire de Xerox.
évoluée, de la reconnaissance et
Nous avons d’emblée été inspirés
synthèse vocale, d’une connexion
les groupes de recherche de Gre-
par l’ordinateur personnel inter-
en réseau local, d’un traitement
noble, de Toulouse et de la Lor-
actif Alto, développé par Xerox
de texte, d’un écran graphique et
raine. Mais le cœur de l’INR1A
sous la direction d’Alan Kay et
d’un éditeur comparable à l’ac-
était maintenu à Rocquencourt,
dédié à la programmation. En
tuel Powerpoint (mais avec 15 ans
préservant ainsi le savoir-faire
rentrant, j’ai lancé Kayak qui a
d’avance). Universitaires, étu-
patiemment élaboré depuis tant
rapidement mobilisé une quaran-
diants et délégations étrangères
d’années et le réseau de relations
taine de chercheurs (dont une
défilaient à Rocquencourt pour le
avec les grands organismes et les
dizaine sur postes IRIA). Nous
voir et le tester. Malheureusement
autorités de tutelle.
avons conçu le buroviseur en six
les tentatives d’industrialisation
Pragmatique autant que vision-
mois, avec un processeur Intel de
n’ont pas abouti : le marché n’était
© INRIA - Photo A. Eidelman
Aujourd’hui,
quoi de plus com-
8 bits et des mémoires et cartes
pas prêt à adopter une solution
Je suis arrivée en 1971 pour être
l’organigramme de 1’INRIA, me
mun qu’un PC multimédia ? C’est
banalisées. Nous y avons ajouté le
aussi évoluée ! Bull, qui était au
secrétaire de J.-L. Lions et je l’ai
dit aussitôt « Dessinez-moi un
en quelque sorte ce que nous
traitement de la voix et des appli-
conseil d’administration de l’IRIA,
accompagné durant la majeure
camembert », montrant ainsi son
avons inventé au début des
cations bureautiques interactives.
a décidé d’exploiter notre savoir-
partie de sa carrière. En 1979, en
souhait de définir une direction
années 1980 avec notre « burovi-
En le voyant, Alan Kay et ses collè-
faire. J’ai rejoint le groupe avec
pleine turbulence de décentrali-
collégiale dans le droit-fil de ce
seur », dans le cadre du projet
gues ont été bluffés. Professeurs et
une grande partie de mon équipe
sation, de nombreuses rumeurs
qui était déjà la méthode Lions :
pilote Kayak. L’histoire remonte à
chercheurs américains et cana-
et nous avons pu faire aboutir plu-
circulaient sur l’avenir de l’insti-
déléguer, faire confiance en susci-
1978, quand nous avons réfléchi
diens sont vite devenus des visi-
sieurs projets industriels comme
tut, notamment sur le sort du
tant chez chacun le meilleur de
avec Louis Pouzin – l’homme du
teurs permanents de l’IRIA et des
ImageWorks et FlowPath mais
volet « recherche » qu’il était ques-
ses possibilités, faire circuler l’in-
réseau Cyclades – à ce que serait
centres de recherche français.
aucune solution complète grand
tion de rattacher au CNRS et
formation, écouter puis décider
un terminal de bureautique
Une thèse du MIT a même été
public. Seuls quelques burovi-
d’installer en province. Ne tari-
en ponctuant d’un « ne perdons
moderne adapté aux besoins
menée dans notre équipe. En 1981
seurs ont été distribués aux uni-
rait-on pas les échanges privilé-
pas de temps ! ». Et cela toujours
d’une secrétaire ou d’un cadre.
nous avons fait un véritable show
versités, et des grands comptes
giés avec le tissu universitaire,
avec enthousiasme, droiture,
Rien de ce genre n’existait en
devant 800 personnes et la presse :
comme le ministère des finances
industriel et scientifique desquels
modestie et avec le souci très vif
France mais nous sommes allés
le buroviseur disposait d’un écran
s’en sont inspirés pour bâtir leurs
le Laboria tirait sa substance, sa
de contribuer à un rayonnement :
voir les développements en cours
à plusieurs fenêtres, d’une souris
modèles de bureautique. Dom-
raison d’être et sa notoriété ?
« c’est bon pour la science et c’est
aux États-Unis et puiser des idées
à trois touches fonctions, d’une
mage tout de même que l’on n’ait
La création envisagée d’un nou-
bon pour la France ». Où s’instal-
au MIT, au Stanford research insti-
interface homme-machine très
pas plus breveté !
■ I. B.
veau pôle « high-tech » à Sophia-
ler ? Autre question dont le sym-
Antipolis, fut une occasion extra-
bolisme ne lui échappa pas. Le
ordinaire
une
choix se porta finalement sur les
décentralisation et de créer I’IN-
bâtiments du centre de calcul qui
RIA dans une perspective hardie
lui permettaient de quitter ceux
et habile de vocation nationale.
de la recherche sans pour autant
En effet, J.-L. Lions, nommé pré-
intégrer ceux de l’ancienne direc-
sident du nouvel institut en 1980,
tion. Le jour de la transition, il y
associait dans un même orga-
avait à peine une dizaine de
nisme l’Irisa de Rennes, sous la
mètres à parcourir, du bâtiment
houlette de J.-P. Verjus, et le nou-
16 au 8, et aussi une nouvelle voie
veau centre de Sophia-Antipolis,
où s’engager, peut-être semée
confié à P. Bernhard et dont les
d’embûches. D’une voix rendue
plans déployés sur la table de mon
sourde par l’émotion, J.-L. Lions
bureau furent discutés et réalisés
me dit alors « une page se
en un temps record. S’y ajoutaient
tourne ».
© Photo INRIA
Le buroviseur
© INRIA - Photo Studio 9
naire, J.-L. Lions, réfléchissant à
de
justifier
■ J. G.
LE SAVIEZ-VOUS?
Inauguration par le parlement européen du réseau public Euronet —
Pacman envahit les bornes arcades — L’industrie s’empare de la technologie de la mémoire flash pour conserver sans alimentation les données utilisées par les systèmes intelligents embarqués dans les avions
ou les voitures — IBM (international business machines) lance le pre-
« En 1980, près de six millions de personnes étaient concernées en France par le travail de
bureau, soit 950 000 secrétaires et dactylos, 1 650 000 cadres administratifs et 3 000 000
d’employés de bureau. Cette population met en circulation 250 milliards de pages par an,
émet et reçoit 10 milliards d’appels téléphoniques. Comment, avec l’aide de l’informatique, pourra-t-on à terme simplifier ces activités ? La réponse s’appelle bureautique, c’està-dire l’automatisation des fonctions d’information et de communication. »
Dossier Le bureau de demain, La Recherche, no 136, 1982.
mier micro-ordinateur grand public baptisé IBM PC (personal computer). Il est commercialisé avec le système d’exploitation MS-DOS de
Microsoft ; il est doté de 16 à 64 Ko de mémoire vive et fonctionne
avec un processeur 8088 Intel.
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest,
J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de
l’informatique » paru chez EDP Sciences), I. Belin et J. Gramage.
No 15
16 avril 2007
ANNÉE
1981
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
Questions sociales récurrentes à l’INRIA
Le 11 mai 1981 — L’élection de
François Mitterrand saura-t-elle
apaiser le climat social délétère
régnant à l’INRIA ? Après la
grève du 20 novembre 1979 liée
à la disparition de l’IRIA, puis
celle des 7 et 8 janvier 1980 à
propos de la séparation des biens
entre le nouvel INRIA et l’Agence
pour
l’informatique,
c’est
aujourd’hui le sort des personnels hors-statuts qui inquiètent
les personnels de l’INRIA ainsi
que des problèmes d’avancement de carrière, de revalorisations de salaire, de primes, etc.
Pour lutter contre l’inflation, le
gouvernement a mené durant les
années 1970 une politique de
défense du franc et de gel des
salaires qui a irrité de nombreuses catégories sociales. Un certain nombre de fois le « pot » de
la direction pour la nouvelle
année a été boycotté en faveur
du « pot » des syndicats. Nombre de ces revendications sont
d’ailleurs communes à l’ensem-
© Ina
ble des organismes de recherche
avec, en tête, le CNRS qui représente les bataillons les plus
importants de chercheurs et ITA,
suivi de l’INRA et de l’INSERM.
Mais elles sont exacerbées à l’INRIA par les incertitudes et les
craintes associées à la naissance
du nouvel institut. Le personnel
administratif attend des recrutements et des revalorisations tandis que les chercheurs réclament
des ouvertures de poste et la fin
des blocages statutaires. Il est à
noter également que pendant les
années 1970, la discrimination
Voluceau :
la destination de curieux touristes étrangers...
W
©
P
here is the Hut ? Telle pourrait avec le désir d’explorer de nouveaux
être la question posée par un territoires.
improbable touriste britannique se Gilles Kahn et Gérard Huet furent
présentant pour visiter Voluceau. Au
sein des constructions anonymes
t
ue
héritées de la rationalité américq
Ja
pe
ilip
h
caine, le bâtiment 8 est en
effet devenu un lieu quasi
mythique pour un nombre
croissant d’informaticiens à
travers le monde. Les anglosaxons l’ont baptisé la
« hutte ». L’identité du lieu
s’affirme en fait à travers ses
occupants, un groupe de chercheurs – que d’aucuns comparent
à une tribu d’irréductibles gaulois –
qui s’est formé il y a quelques années
sous la protection bienveillante de ainsi à l’origine du premier projet
Jacques-Louis Lions soucieux de dirigé par cette nouvelle génération.
faciliter l’émergence de thématiques Sur les pas de Dana Scott, père de
réellement neuves en informatique. la sémantique des langages de proIl fit ainsi confiance à de jeunes doc- grammation, l’IRIA, maintenant
teurs ayant soutenu leur thèse aux INRIA, est devenue dans leur sillage
États-Unis et revenant en France l’une des rares institutions mondiales
à s’engager de manière consistante
dans le domaine du Lambda Calcul.
Jean Vuillemin, Philippe Flajolet et
Jean-Jacques Lévy ont réalisé en une
dizaine d’années des avancées décisives dans le domaine des langages
de programmation.
Ces réussites n’ont pas
changé l’état d’esprit d’un
lieu où les sympathies
dépassent largement le
cadre professionnel et où les
échanges internationaux
sont plus que jamais privilégiés. Profitant de la fusion
entre CII et Honeywell-Bull,
Gilles Kahn a obtenu l’attribution
d’une machine américaine le GE 645
de General Electric. Faute des VAX
dont ils rêvent, les hommes du Bâtiment 8 s’adonnent grâce à elle à
une nouvelle forme de communication aux formes curieuses et à l’avenir incertain : le « courrier électronique ».
■ AB & PG
de salaires entre hommes et femmes, en particulier pour le personnel administratif le moins
qualifié, est régulièrement
dénoncée. L’association qui gère
les œuvres sociales (comme le
restaurant) figure également
parmi les revendications du personnel car il est souhaité qu’elle
soit aidée et encouragée. Toutefois, la nécessaire mobilité des
personnels dans un secteur de
pointe suppose que des solutions
originales soient trouvées avec
les représentants du personnel
pour ne pas figer la situation.
Établissement de taille moyenne,
encore peu dispersé d’un point
de vue régional, l’INRIA bénéficie néanmoins d’un président
apte au dialogue social. Les premiers résultats sont encourageants et l’atmosphère devient
d’autant moins lourde que le
nouveau gouvernement souhaite
apporter une solution définitive à
la question récurrente de l’avenir
des hors-statuts.
■ AB & PG
Et pendant
ce temps là...
François Mitterrand est
élu président de la république française – La
série américaine Dallas
arrive sur les écrans français – Mort du plus grand
chanteur de reggae
jamaïcain Bob Marley –
Les premiers cas de
SIDA sont déclarés –
Mariage
du
Prince
Charles et de Lady Diana
– Lancement de la premiere chaîne musicale
MTV – Les députés français votent le projet de loi
de Robert Badinter abolissant la peine de mort –
Mise en circulation du
premier Train à Grande
Vitesse (TGV).
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
(no 15 – 16 avril 2007)
« Nous nous éloignions
« Retranscrire les brouillons
inconsciemment du service des chercheurs relevait
des perforatrices »
de méthodes extra-terrestres ! »
par Thierry Despeyroux,
par Martine Verneuille,
projet Axis, INRIA Rocquencourt
assistante des projets Mathfi et Sosso2
© Najah Naffah
Versaillaise mais encore insensi-
que, ou semi-électrique, un peu
vail est toujours restée très agréa-
taux intolérables aujourd’hui,
ble au charme de l’IRIA, je me pré-
mutante puisqu’elle disposait de
ble avec mes collègues, Martine
nous avions pour mission de faci-
sente en décembre 1978 dans le
petits
Cornélis,
liter le travail des programmeurs.
bureau de Monsieur
Le symbole de ces recherches était
Guannel
le programme Mentor développé
poste de secrétaire. Il
équipes de recherche
sur l’Iris 80 à partir de 1975. Écrit
me propose d’occu-
dont celle d’Alain Ben-
en Pascal, il permettait d’optimi-
per le poste d’assis-
soussan, le métier a
ser la manipulation des program-
tante de projet au
inexorablement suivi
mes et d’en améliorer la visualisa-
Laboria étant donné
l’évolution
tion. Ce faisant, ces recherches
mes références en
outils de travail. Des
nous éloignaient tout doucement
langue anglaise. Et
machines IBM à boules
des éditeurs ligne à ligne et,
cela tombait bien ! Ce
aux machines ETAP à
inconsciemment, du service des
poste m’offrait une
mémoire et enfin aux
perforatrices chargées, via le cour-
nouvelle approche du
Un heureux concours de circons-
rier interne, de transmettre aux
métier même si 99%
tances m’a amené dans le bureau
chercheurs leurs programmes
de mon temps de travail restait
situés près des ballets chargés de
l’équipe devenaient de plus en
de Gilles Kahn en 1980. Imposant
transformés en cartes perforées...
consacré à la frappe d’articles ou
frapper la lettre sur le ruban
plus indépendants. Notre activité
et pédagogue, il m’a chaleureuse-
Qu’il s’agisse des appels d’offre du
de thèses. La frappe, dans l’uni-
encreur. Ces emplacements nous
était volée par la technologie et,
ment accueilli et a commencé à
département de la défense améri-
vers de l’informatique, c’était
permettaient d’insérer des bâton-
en même temps, nous conduisait
m’expliquer le travail qu’il souhai-
caine (DOD) ou simplement des
séduisant. Je découvrais un
nets « Typit » affublés de π, de ζ ou
à découvrir de nouvelles métho-
tait me confier. Au bout de quel-
jeux-concours que nous enga-
monde avec des signes, des for-
de Σ , qui à la place d’une lettre,
des d’édition : le latex, le web, etc.
ques minutes, il s’est interrompu
gions par défi à la cafétéria, nous
mules, des dessins, un ensemble
allait frapper à leur tour le ruban.
Bien qu’aujourd’hui l’idée d’avoir
par un « ça ne peut pas continuer
travaillions avec le même matériel
de caractères extra-terrestres mais
Si on y ajoute la manipulation des
les doigts musclés pour taper un
comme ça ! » et a poursuivi, en me
et les mêmes courtes sessions sur
très esthétiques.
Seul bémol,
repères du papier glacé permet-
article semble insensée, un point
tutoyant cette fois. L’échange a
le système d’exploitation Multics ;
retranscrire les brouillons des
tant une bonne disposition des
reste inchangé : celui de rester
duré toute l’après-midi.
il y en avait cinquante seulement
chercheurs et les mettre en forme
mots, notre travail ne se conten-
plusieurs heures par jour assise
J’ai donc démarré au sein de
dans le monde. En repensant à
relevait également de méthodes
tait pas de retranscrire l’article du
face à une machine, comme dés-
l’équipe Croap où Gilles Kahn,
cette époque, ce qui me semble le
extra-terrestres ! Notre outil de
chercheur mais il lui donnait réel-
ormais tout le monde à l’INRIA.
Bernard Lang et Véronique Don-
plus incroyable est le décalage
travail était une machine mécani-
lement vie. Si l’ambiance de tra-
zeau-Gouge travaillaient déjà
qu’il y avait entre la qualité des
depuis des années. Il y avait aussi
idées que mes collègues chevron-
Bertrand Mélèse et Elham Morcos,
nés faisaient émerger et les faibles
sans oublier les autres membres
performances du matériel. À l’is-
du célèbre bâtiment 8 : Jean-Jac-
sue de ma thèse, l’expérimenta-
ques Levy, Gérard Huet, Jean Vuil-
teur né qu’était Gilles Kahn a
lemin, Jean-Marie Hullot, Jérome
amorcé la délocalisation du projet
Chailloux, Philippe Flajolet... et
Croap vers les cieux sophipolitains
Lydia Paganini qui choyait tout ce
avec toujours ce même objectif :
petit monde. Dans une ambiance
observer, comprendre le monde
où défis et débats s’invitaient tous
de l’informatique et l’aider à gran-
les jours, dans des bureaux où la
dir dans la bonne direction
densité humaine atteignait des
■ V. C.
© INRIA / Photo Véronique Debry
pour
un
emplacements
carrés,
Chantal
Delebarre,
Claudine Lucas, Domi© INRIA / Photo Jonathan Dumont
Les bâtonnets « Typit » dans leur coffret.
nique Poulicet, et les
de
nos
premiers Macintosh,
les
membres
de
■ V. C.
Nombre de machines connectées sur internet en 1981 : 213
« Je ne crois pas que ce soient
les ordinateurs eux-mêmes qu’il faille
redouter, mais bien plutôt la façon dont
la culture digèrera leur présence »
Les perforatrices de l’IRIA
Service des perforatrices en 1971, de gauche à droite et de l'avant à l'arrière : Michèle Verrier, Maïté Augier, Françoise Richard,
Marie-Thérèse Freret, Hortense Hammel ( ?), Suzanne Ferrand, Laure Martin (photo fournie par Laure Martin).
Seymour Papert, MIT Lab,
Jaillissement de l’esprit, 1981.
« En 1970, l'IRIA comptait sept perforatrices qui
tapaient les programmes - principalement en Fortran et en Cobol - sur des cartes perforées. Ces
dernières étaient ensuite reprises par la vérificatrice qui retapait sans perforer le même programme afin de détecter des erreurs éventuelles.
Les pupitreurs ajoutaient ensuite des commandes
avec les cartes JOB et le tout était transmis aux
chercheurs dans des grands bacs. À partir de
1975, des consoles ont été connectées directement sur l'ordinateur 10070 en time sharing et les
cartes perforées ont progressivement disparu. Les
perforatrices sont devenues pupitreur sur le mini
réseau Cyclades ou techniciennes réseau sur
Mitra et le Mini 6 ou bien assistantes de projet. »
Laure Martin, INRIA Sophia-Antipolis
LE SAVIEZ-VOUS?
IBM (international business machines) lance le
premier micro-ordinateur
grand public baptisé IBM
PC (personal computer) Xerox commercialise le
Star 8010, une machine
évoluée qui est dotée
d'une interface entièrement graphique utilisant le
copier-coller et les menus
contextuels. Trop chère
(17000 $) et trop en
avance sur son temps,
elle n'aura aucun succès
commercial.
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice
en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.
Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA
(mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce
numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), V.
Coronini.
ANNÉE
1982
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 16 - 23 AVRIL 2OO7
© INRIA / Photo A. Eidelman
« Une forte représentation
syndicale »
La bibliothèque de Modulef permet, par exemple, de réaliser des simulations en aérodynamique externe,
ici, une carte des pressions sur un véhicule.
Modulef, un exemple
à suivre pour la filière
électronique ?
Le 8 novembre 1982 – La
montée en puissance du
plan filière électronique
relance le débat sur les
formes de coopération entre recherche publique et
recherche privée. Certains
échecs spectaculaires et coûteux ont démontré par le passé
que les projets les plus visibles
et les plus ambitieux ne donnaient pas toujours toutes les
garanties du succès et ponctionnaient, sans véritable retour sur investissement, les
fonds publics.
Modeste, pragmatique et performant, le club Modulef (Modules Éléments Finis) constitue à cet égard une sorte de
contre modèle dont la pertinence semble plus que jamais
d’actualité. Débuté au milieu
des années 1970, ce sont aujourd’hui 75 équipes universitaires, dont certaines du MIT,
et un grand nombre d’industriels qui contribuent à Modulef et tirent le meilleur parti de
l’extraordinaire bibliothèque
de logiciels dont ils peuvent
ainsi disposer.
Constitué à l’initiative du
Laboria, le club réunit depuis
1975 un ensemble de laboratoires de pointe, tant universitaires qu’industriels, qui mettent en commun leurs
compétences pour alimenter
une bibliothèque de sous-programmes à usages multiples,
utilisables sur toutes les machines. La méthode des éléments
finis présente l’avantage d’être
capable de traiter des problèmes à géométrie très complexe
et de calculer des fonctions discontinues. Des partenaires
venus d’horizons très différents
ont rapidement été séduits par
ce concept de club où chacun
met ses avancées à la disposition des membres tout en profitant des recherches de tous.
Dès 1976, le CEBTP, l’EDF,
Thomson-CSF, l’Insa de Lyon,
les universités de Paris VI,
Jérusalem, Pavie, Montréal, se
sont ainsi montrés très actifs,
créant des modules qui contribuent à la richesse de la bibliothèque. Très rapidement, le
succès de Modulef est devenu
tel que le Laboria a dû mobiliser quatre personnes pour
constituer une équipe de coor-
dination gérant et optimisant
la mise en commun des contributions des membres. Le principe coopératif respecte bien
évidemment les droits des uns
et des autres. Ainsi, si les logiciels sont à la disposition des
membres à des fins de recherche, leur propriété reste de
plein droit au membre ayant
écrit le programme concerné.
Depuis peu néanmoins, il est
question de transférer les droits
patrimoniaux des contributeurs
à l’Inria afin d’en permettre la
distribution libre et gratuite.
Au fil des adhésions et des
synergies, les domaines d’application se sont multipliés
amenant la création de clubs
orientés vers des domaines
plus spécifiques. Moduleco
pour la modélisation économique et Modulopt pour l’optimisation ont ainsi démarré en
1977. Il n’est pas interdit d’espérer qu’un tel exemple puisse
inspirer les équipes de la rue de
Grenelle à l’heure où le Gouvernement souhaite relancer
la recherche industrielle dans
les hautes technologies.
■ AB & PG
Devant les grandes ques- André Lichnerowicz, une
tions qui se posent ou se personnalité bien connue
sont posées à l’institut ces de l’Inria, qui a joué un rôle
dernières années, il est fré- essentiel dans son dévequent de voir les syndicats loppement. Le Syndicat
de chercheurs s’unir pour national des travailleurs de
faire front. Leur
la recherche scienpremière tâche, et
tifique (SNTRSnon des moinCGT) a longtemps
dres, est d’eseu l’oreille des
sayer de faire
personnels technientendre la voix
ques. Il faut de
de l’institut face
plus ajouter à ce
Jérôme Jaffré,
au CNRS qui a représentant du SNCS en 1982. tableau les syndifatalement plus
cats généraux de
de poids vu l’importance l’Éducation
nationale
de son personnel et dont (SGEN-CFDT) et le syndila préoccupation majeure cat national de l’enseigneactuelle se concentre sur ment supérieur (SNESUP).
la question du statut de Les demandes syndicales
rattachement pour ses comportent donc des
chercheurs. Pourtant, en revendications générales
dehors de l’unanimité sur mais aussi des attentes
les questions fondamenta- spécifiques à l’institut. Toules, il existe bien une tefois, si la petite taille de
variété de syndicats à l’In- l’Inria ne supprime pas les
ria. De même que pour le conflits, elle rend les
syndicalisme ouvrier, l’his- contacts plus simples avec
toire récente du syndica- la direction. Une culture
lisme des chercheurs n’est commune
(mathématipas sans présenter des ques, projets) rapproche
tensions et des reposition- les dirigeants de leur pernements. Parmi les plus sonnel d’autant plus que
actifs on peut citer le l’on trouve aujourd’hui à la
Syndicat national des tête de l’institut un cherchercheurs scientifiques cheur de renom qui a fait
(SNCS) qui a vu le jour en une bonne partie de sa car1956 lors d’un congrès de rière à Rocquencourt.
■ AB & PG
la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) et
Et pendant ce temps là...
Instauration en France de la semaine des 39 heures
pour les salariés et généralisation de la cinquième
semaine de congés payés – La guerre des Malouines
qui oppose la Grande-Bretagne à l’Argentine
s’achève après trois mois de conflits – Israël restitue
le Sinaï à l’Égypte – Les premières machines d’imagerie du corps humain fonctionnant sur le principe
de l’IRM sont mises en vente – Steven Spielberg présente son dernier film « E.T. », l’extra-terrestre.
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
« Nous avons créé une des premières
start-up de l'INRIA »
(no 16 – 23 avril 2007)
« Il fallait préparer
100 bandes magnétiques
pour la réunion annuelle »
par Michel Gien,
co-fondateur de Chorus Systems, Jaluna et VirtualLogix
par Dominique Bégis,
directeur adjoint de l'INRIA Rocquencourt
© 2005 Stanley Rowin
service et installé Unix sur des
et j’étais responsable de la straté-
machines françaises dont la
gie technique.
SM90, tout juste conçue au Cnet.
Nous avons développé notre sys-
Nous avons créé la culture Unix en
tème d’exploitation pour des
devenu en 1978 un projet de
France et formé beaucoup d’ingé-
super calculateurs (Cray, ICL, Uni-
recherche dont j’ai assuré la direc-
nieurs système.
sys) et pour AT & T Unix System
tion. Durant ces années, Danièle
Parallèlement, nous travaillions
Laboratories, l’inventeur d’Unix.
Steer et Marina Vidrascu ont
avec le projet de recherche Chorus
Nous avons ensuite orienté notre
connu les nuits courtes qui précé-
lancé par Hubert Zimmermann
activité vers le support des systè-
daient les assemblées générales
avec Jean-Serge Banino et Marc
mes de télécommunication pour
annuelles : il s’agissait de mettre
Guillemont. Chorus visait à inven-
des clients comme Alcatel, Nortel,
au point la nouvelle version et de
C’est avant tout une belle aven-
ter un nouveau modèle de sys-
Lucent, Nokia ou Fujitsu. Nous
préparer la centaine de bandes
ture humaine. D’ailleurs, malgré
tème d’exploitation dit réparti,
avons ensuite été rachetés par Sun
quatre changements de cap en 20
capable de gérer plusieurs ordina-
Microsystems en 1997 mais, ré-
Le Club Modulef est né en 1974 de
d’accompagnement qui seraient
ans, le noyau dur des années 1980,
teurs connectés entre eux par un
cession oblige, la société s’est
la volonté de l’IRIA et du labora-
distribués aux membres du club à
constitué autour de l’équipe de
réseau. Comme certains d’entre
séparée de notre activité en 2002.
toire d’analyse numérique de
cette occasion. Internet n’existait
Louis Pouzin, de Hubert Zimmer-
nous avaient rejoint le Cnet tout
J’ai alors créé Jaluna avec 35
Paris VI, en particulier celle
pas et les rencontres étaient cru-
mann et du projet Cyclades, est
en continuant des recherches à
anciens de Chorus Systems et
d’Alain Perronnet. L’idée était de
ciales pour la vie de la commu-
toujours là.
l’INRIA, nous avons décidé de
nous avons repris nos anciens
créer et d’entretenir collective-
nauté. Elles fédéraient les cher-
Dès 1979, nous nous sommes
combiner les innovations de Cho-
contrats et fait évoluer notre tech-
ment une bibliothèque de pro-
cheurs
intéressés à Unix (l’ancêtre de
rus avec le système Unix de Sol, le
nologie vers la virtualisation du
grammes cohérente et normali-
d’analyse numérique mais égale-
Linux) qui venait d’apparaître aux
tout sur la SM90 du Cnet. La réa-
matériel, afin de faire tourner plu-
sée, fondée sur la théorie des
ment des industriels comme Das-
États-Unis. Nous n’avions pas le
lisation du premier prototype,
sieurs systèmes d’exploitation sur
éléments finis et destinée à la
sault Aviation, l’Aérospatiale,
droit d’importer le mini calcula-
baptisé ChorusOS, nous a amené
un même équipement de télé-
modélisation de phénomènes
Renault ou Thomson CSF. Sur ce
teur DEC sur lequel il tournait.
à fonder, en 1986, une des premiè-
communication.
Aujourd’hui,
physiques divers. C’était un club
même modèle, le club a d’ailleurs
Alors nous avons lancé le projet
res start-up issues de l’INRIA :
Jaluna est devenue VirtualLogix,
au sens anglais, sans échange
eu des petits frères : Moduleco et
pilote Sol pour créer une version
Chorus Systems. Nous étions une
plus évocateur, et bon nombre des
financier : contre une contribution
Modulad.
française d’Unix, en Pascal. Nous
petite dizaine de chercheurs de
anciens des projets Sol et Chorus
scientifique, les membres, cher-
La promotion de la bibliothèque
avons développé des compila-
l’INRIA, du Cnet et du projet Sol ;
sont toujours là.
cheurs et industriels, recevaient
et du Club Modulef nous ont
teurs avec plusieurs sociétés de
Hubert Zimmermann était le PDG
une fois par an l’intégralité de la
conduits de Rome à Saint Jacques
bibliothèque. C’était un précur-
de Compostelle et jusqu’en URSS
seur de l’actuelle communauté du
ou aux États-Unis. Cette activité
libre.
de valorisation, très prenante,
Je suis arrivé à l’IRIA en 1970 pour
était difficilement conciliable avec
faire ma thèse avec Jacques-Louis
la recherche. L’INRIA a décidé de
Lions puis pour mener des recher-
créer, début 84, la filiale Simulog
ches en simulation et optimisa-
pour réaliser en particulier cette
tion numérique avec Roland Glo-
tâche et je me suis lancé dans
winski. Nous nous chargions
cette aventure avec Christian
également de récupérer les contri-
Saguez. La recherche s’est pour-
butions des membres du club, de
suivie dans les projets de recher-
les valider, de les agréger pour for-
che Gamma et Macs. Quant au
mer les versions nouvelles de la
club Modulef, il est toujours actif
bibliothèque Modulef et de pro-
et connaît un réel succès dont
poser de nouveaux développe-
témoignent de nombreux télé-
ments. Sous l’impulsion de Jac-
chargements.
■ I. B.
© INRIA / Photo Véronique Debry
ques-Louis Lions, Modulef est
magnétiques et les documents
LE SAVIEZ-VOUS?
Les PTT lancent le Minitel –
Sony et Philips lancent le Compact Disc Digital Audio (CDDA) capable de stocker une
de
la
communauté
■ C. A.
Nombre
de machines
connectées
sur internet
en 1982 :
235
heure de son stéréo de très
haute qualité – L’icône Smiley
fait son apparition – « Tron »
(Walt Disney) est le premier film
utilisant
© INRIA / Photo R.Rajaonarivelo
Alain Caristan, du projet Chorus, devant le SM90
massivement
des
effets spéciaux créés par ordinateur.
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en
chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.
Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise
en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :
A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), C. Acharian et
I. Bellin.
ANNÉE
1983
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 17 - 2 MAI 2OO7
© INRIA / Photo R. Rajaonarivelo
Et pendant ce temps là...
La retraite passe à 60 ans en France – Accord de
paix Israélo-libanais – L’homme d’état et écrivain
sénégalais Léopold Sédar Senghor est élu à
l’Académie française – Luc Montagnier découvre le
virus du Sida, HIV, à l’institut Pasteur – La sonde
américaine Pioneer 10 est le premier objet terrestre
à quitter le système solaire – Victoire de Yannick
Noah au tournoi de tennis de Roland Garros.
©?
Une unité de recherche
à partir de rien
À Rocquencourt, le GIP SM90 et la machine SM90 connectée au système graphique Colorix
réalisé par Louis Audoire.
SM90 ou la fin de
la disette en équipement
pour les chercheurs
de l’Inria !
Le 30 juin 1983 – On n’est
jamais aussi bien servis que
par soi-même. Ce vieil adage
évoque, sans le résumer, le succès de la machine SM90 qui
commence à équiper les équipes de recherche de l’Inria.
Le projet SM90 est né à Lannion dans les laboratoires du
Centre national d’études des
télécommunications (Cnet).
Les recherches ont été menées
entre 1980 et 1981 avec la collaboration de la Société européenne de mini-informatique
et de systèmes (Sems) et ont
abouti, l’année dernière, à la
construction d’un premier prototype de machine Unix
conçue en France autour d’un
processeur 68 000 de Motorola.
Sollicité pour apporter ses
compétences au développement du projet, l’Inria s’est
montré doublement intéressé.
Le projet lui a permis de participer à un projet stimulant
pour l’industrie française tout
en valorisant ses propres compétences. De surcroît, la réalisation d’une station de travail
française lui donnera enfin
l’occasion d’acquérir des
machines plus proches de
ses besoins. En effet, ses équipes de recherche, contraintes
jusqu’alors « d’acheter français », ont longtemps été handicapées faute de pouvoir disposer des meilleurs matériels
disponibles aux États-Unis.
Grâce à cette double motivation que l’Inria a apporté une
contribution importante dans
la conception du système d’exploitation et du compilateur du
SM90. La licence de l’ensemble est offerte aux fabricants
français (Bull, Thomson Téléphone, TRT, CSEE, ESD,
SMT-Goupil, Telmat) par le
Cnet. L’Agence de l’informatique finance vigoureusement
l’opération en annonçant une
commande de 50 machines
pour différents laboratoires. Les
projets CAO-VLSI, Sabre,
Verso, Ergonomie, Réseau, Sol
et Chorus de l’Inria seront les
bénéficiaires des vingt premières livraisons. Les crédits
ministériels de recherche sou-
tiennent directement cette
politique d‘équipement à hauteur de 25 millions de francs
par an pour les quatre années
à venir. Fort de ces premiers
succès, le projet SM90 devrait
permettre de relancer la politique industrielle de la France
dans le domaine du matériel
informatique. Il est pour cela
d’ores et déjà envisagé d’installer à Rocquencourt un Groupement d’intérêt public scientifique et informatique (Gipsi)
regroupant les moyens et
savoir faire de Bull-Sems, du
Cnet et de l’Inria. Il réalisera
autour du SM90 des produits,
tant matériel que logiciels, permettant de réaliser des postes
scientifiques et des stations de
travail pour des environnements temps-réel. Le travail
réalisé dans ce cadre placera les
équipes de l’Inria dans l’évolution fondamentale que connaît
à l’heure actuelle l’univers
informatique avec le développement d’Unix.
■ AB & PG
DR
Le plateau de Valbonne où sera implantée l’unité de Sophia Antipolis
L’Inria inaugurera bientôt
les nouveaux locaux de
son unité de Sophia Antipolis. Certes, le plateau de
Valbonne où se trouve
Sophia a une longue histoire qui remonte au
Moyen-Âge, mais c’est
en 1969 que le sénateur
des Alpes-Maritimes Pierre
Laffitte a engagé la commune dans une grande
mutation en affichant sa
volonté d’installer sur cette
zone pratiquement vierge
un espace dédié aux technologies de pointe. À
l’image de ce qui se fait
assez couramment aux
États-Unis, il s’agissait de
réunir dans un même lieu
des centres de recherche,
des entreprises et des
entités d’enseignement
afin de développer un site
d’excellence offrant les
meilleures conditions de
travail. La Côte d’Azur et la
proximité de l’aéroport de
Nice étaient des facteurs
importants de la réussite
de ce pari, mais l’obstination, les relations et l’ambition de Pierre Laffitte
furent tout autant nécessaires. Sa qualité de polytechnicien membre du
Corps des mines a pu faciliter l’installation de l’Inria
sur le site car Pierre Bernhard, qui a pris la tête de
l’antenne sophipolitaine de
l’Inria, est aussi membre
de ce corps d’élite. Là
encore l’Inria fait figure de
pionnier : quand l’institut
est arrivé à Valbonne, rien
ou presque n’existait.
Cette démarche nouvelle a
d’ailleurs surpris et les premiers volontaires n’étaient
pas légion. Aujourd’hui, les
esprits semblent avoir
changé. Il le faudra bien
car l’Inria semble avoir
pour ambition d’ouvrir de
nouveaux espaces de
recherche dans des lieux
qui eux-mêmes sont à
l’avant-garde de ce qui se
fait habituellement
■ AB & PG
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
« Je troquais le costume cravate pour
le pull et le col de chemise ouvert... »
par Pierre Bernhard,
professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis et premier directeur de l’INRIA Sophia Antipolis
© INRIA / Photo J.M. Ramès
(no 17 – 2 mai 2007)
LE SAVIEZ-VOUS?
Bjarne Stroustrup développe une extension orientée objet au langage C :
le C++ – Le réseau Arpanet adopte définitivement le TCP/IP à la place de
NCP et devient un projet avant tout universitaire nommé Arpa-Internet ; le
volet militaire est désormais indépendant et nommé Milnet – Apple sort
Lisa, le premier micro-ordinateur à disposer d’une interface graphique.
Laffitte, qui m’avait chargé, en
début avec nous et contribué au
1976-1977, de constituer le labo-
succès de la technopole. Mais il
ratoire de mathématiques appli-
était parfois difficile de se faire
quées de l’École des Mines à
accepter car nous étions sur la rive
Sophia !
droite du Var et donc considérés
Deux ans plus tard, après la
comme des étrangers ! Nous
décentralisation partielle de l’IRIA
entretenions des contacts régu-
par Guy Sergeant,
décidée par le cabinet du Premier
liers avec l’université : j’étais moi-
adjoint au directeur de l'INRIA Sophia Antipolis
ministre Raymond Barre, j’étais
même enseignant à l’université de
nommé directeur du centre de
Nice dès mon arrivée et J.L. Lions
En quittant mon bureau de l'Imag
management Ceram – L’UR se
l’INRIA Sophia Antipolis (on ne
venait régulièrement rencontrer
en novembre 1982, j'avais soi-
résumait à l’époque à une dizaine
parlait pas encore d’unité de
les universitaires pour compren-
gneusement mis dans ma sacoche
de personnes dispersées entre les
recherche). Nous avons convaincu
dre comment nous pouvions tra-
les deux premiers chapitres de la
locaux du Centre de mathémati-
des chercheurs d’autres sites —
vailler ensemble. Lorsque j’allais à
thèse d'État sur les réseaux que
ques appliquées, place Sophie
Rocquencourt notamment — de
l’université, je troquais le costume
j'espérais terminer tranquillement
Laffitte, et le Ceram – il m’a donné
venir s’installer à Sophia mais
cravate arboré habituellement par
© INRIA / Photo A. Eidelman
la clé de contact de la Renault 4L
aussi des scientifiques de la région
les dirigeants de l’IRIA pour la
de service et m’a dit : « Tu es
comme Gérard Berry. Des axes de
tenue plus décontractée des uni-
chargé de suivre le chantier des
C’est dans la perspective d’une
recherche se sont très rapidement
versitaires : pull et col de chemise
nouveaux bâtiments ». Et la mis-
décentralisation de l’IRIA deman-
dégagés, notamment autour des
ouvert...
sion s’est révélée tellement inté-
dée par la Datar, qu’en 1978 André
réseaux avec des gens comme
Gilles Kahn a été le principal
ressante que je n’ai jamais écrit le
Danzin, conseillé par Jacques-
Christian Huitema, François Bac-
architecte du succès scientifique
chapitre 3 de ma thèse !
Louis lions, m’avait chargé de sui-
celli et plus tard Philippe Nain. Au
de l’opération et Guy Sergeant a
Lorsque nos bâtiments ont été
vre ce dossier pour une installa-
début,
publics
été l’artisan de son succès maté-
livrés en 1983, nous étions une
tion éventuelle à Sophia Antipolis.
(CCI, etc.) nous reprochaient de
riel. Marc Berthod a créé le pre-
quarantaine avec les collègues qui
J’étais à l’époque directeur du
ne pas recruter de niçois ! Et là,
mier projet de l’UR, Pastis, sur le
nous avaient rejoints de Rocquen-
Centre d’automatique et informa-
Gilles Kahn a eu une idée de génie
traitement d’images. Ce projet
court et quelques nouvelles têtes.
tique de l’École des Mines de Paris
en expliquant qu’à défaut, nous
nécessitait l’acquisition d’un gros
Nous étions si peu nombreux que,
(à Fontainebleau) et également
avions contribué à ramener des
disque pour l’époque (80 Mo).
pour la première visite officielle,
professeur à l’université Paris
élites niçois à Sophia (A. Dervieux,
Cela représentait un investisse-
nous avons dû déménager dans
Dauphine. Ma situation était assez
A. Desideri, A. Michard, etc.).
ment très important pour un
les bureaux du rez-de-chaussée
pittoresque car j’étais à la fois le
Les universitaires ne voyaient pas
laboratoire mais le conseil scienti-
Lagrange pour donner l’impres-
conseiller d’André Danzin qui dis-
tous d’un bon œil la création de la
fique, constitué en majorité de
sion que tous les bureaux étaient
cutait avec Pierre Laffitte sur l’op-
technopole de Sophia Antipolis.
professeurs de l’université, a
portunité de créer une unité de
Certains, dont Jean Céa et Jacques
d’emblée soutenu cet achat.
l’IRIA à Sophia, et celui de Pierre
Morgenstern, ont travaillé dès le
les
pouvoirs
■ R-M. C.
© INRIA / Photo A. Eidelman
« J’ai gardé le casque
en souvenir... »
occupés. L’une des principales
en attendant l'ouverture de nos
inquiétudes de Pierre Bernhard
locaux prévus en 1983. En effet,
était alors de savoir si nous arrive-
seul chercheur Inria décentralisé
rions à remplir les 7 000 m2
depuis Grenoble (bien avant la
construits. En 2007, nous aurons
création de l'UR Rhône-Alpes), je
18 000 m2 et la pression ne dimi-
débarquais à Sophia en accord
nue pas. C’est vraiment une
avec son directeur pour monter le
décentralisation réussie ! Quant à
service chargé de la gestion des
moi, j’ai gardé le casque et les
télécoms des nouveaux bâti-
deux chapitres de la thèse en sou-
ments. Mais lorsque j’ai retrouvé
venir, et depuis mon job navigue
Pierre Bernhard dans son bureau
toujours entre les deux…
à l’École de commerce et de
« J’ai toujours rêvé
d’un ordinateur
qui soit aussi facile
à utiliser
qu’un téléphone.
Mon rêve
s’est réalisé.
Je ne sais plus
comment
utiliser mon
téléphone. »
L’unité de Sophia Antipolis en 1991, avec Pierre Bernhard devant le plan d’eau.
Bjarne Stroustrup
(Texas A&M University)
■ R-M. C.
Nombre
de machines
connectées
sur internet
en 1983 :
562
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en
chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.
Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise
en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :
A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Rose-Marie
Cornus.
ANNÉE
1984
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 18 - 7 MAI 2OO7
© Laurent Francez
Et pendant ce temps là...
Première sortie dans l’espace de deux astronautes
américains sans être reliés physiquement à une
navette – Début de l’affaire Gregory en France –
Lancement de la première chaîne à péage française
Canal + – Catastrophe chimique à Bhopal en Inde
– Assassinat d’Indira Gandhi par deux sikhs de sa
garde personnelle – Les soviétiques boycottent les
JO de Los Angeles – Assassinat du prêtre polonais
Jerzy Popieluszko à Varsovie.
©?
Les fondateurs de Simulog devant le gâteau d’anniversaire des cinq ans de l’entreprise.
De gauche à droite : Christian Saguez, Duc Duong et Dominique Bégis.
L’Inria lance
la première filiale
de l’institut : Simulog
Le 6 janvier 1984 – C’est
aujourd’hui qu’est créée
officiellement la première
entreprise issue de l’Inria,
Simulog. Son directeur général Christian Saguez, épaulé
par Dominique Bégis qui dirigeait le célèbre club Modulef,
parie sur le fait que les hommes
sont le meilleur vecteur de
transfert de savoir et que l’esprit d’innovation des chercheurs pourra s’exprimer pleinement dans un contexte
concurrentiel.
Les transferts de technologie
sont souvent décevants et il
s’avère très difficile de conserver la dynamique d’une équipe
de recherche en se contentant
de transférer ses résultats à une
entreprise qui les appliquerait.
La création de clubs comme
Modulef a permis à l’Inria de
faciliter l’apparition de telles
dynamiques. Cette solution
reste cependant limitée
lorsqu’il s’agit de porter un projet réellement innovant impliquant fortement les acteurs sur
un objectif précis. Aller plus
loin nécessite de créer des
entreprises chargées de déve-
lopper et commercialiser les
innovations issues de ces
recherches. Alors que le simple
fait d’accoler les termes d’entreprise et de recherche publique dans une même phrase
relève déjà du blasphème pour
certains, on imagine à quel
point l’idée qu’un organisme
de recherche public puisse
devenir entrepreneur ne pouvait que relever du tabou.
La loi du 15 juillet 1982 créant
les EPST (établissements publics à caractère scientifique et
technologique) a facilité le
mouvement d’une recherche
plus tournée vers la « réalité »
économique et a considérablement changé la donne en
ouvrant la possibilité, pour ces
acteurs essentiels de la politique d’innovation, de créer des
filiales. Le président de l’Inria
Jacques-Louis Lions, qui a
beaucoup contribué à cet
aspect de la loi en tant que
conseiller du Premier ministre
Laurent Fabius, s’est rapidement employé depuis à concrétiser sa volonté d’inscrire son
institut dans une dynamique
de création d’entreprise.
Le premier projet que constitue Simulog a rapidement pris
forme autour de Christian
Saguez, entré comme chercheur à l’Iria en 1972 et occupant depuis deux ans le poste
de délégué aux relations industrielles et internationales. Un
repas suffit aux deux hommes
pour se mettre d’accord sur
l’idée d’une entreprise développant des logiciels de simulation
et d’optimisation scientifique.
Jacques-Louis Lions sollicite
les partenaires de l’Inria et,
le domaine étant reconnu
comme l’un des points forts de
sa recherche, il les convainc
sans trop de difficulté d’entrer
dans le capital de la future
entreprise. C’est ainsi que Framatome et Serete participent
pour 22,5 % alors que l’institut
mise quant à lui 1,275 million
de francs dans l’aventure. Le
logiciel de CAO Blaise, conçu
à l’Inria, sera le premier produit commercialisé par Simulog sous le nom de Basile. Si le
succès est au rendez-vous, nul
doute que d’autres rejetons de
l’Inria verront bientôt le jour !
■ AB & PG
Le nouveau président
de l’Inria
est un ancien de l’Iria
© INRIA / Photo A. Eidelman
C’est un quadragénaire qui
vient de prendre la tête de
l’Inria en remplacement de
Jacques-Louis Lions. Alain
Bensoussan, né à Tunis,
est un produit des formations d’élite de la Nation,
étant sorti du prestigieux
lycée du quartier latin
Louis-le-Grand pour intégrer l’École polytechnique
et
l’École
nationale
de statistique et de l’administration économique
(ENSAE). Il connaît bien
l’Inria puisqu’il a commencé sa carrière à l’institut, l’année même de sa
création en 1967. Après un
détour par l’enseignement
– dans des écoles tout
aussi prestigieuses : université de Dauphine, Polytechnique et l’École normale supérieure – il a
repris le chemin de Rocquencourt en 1973 avant
de s’engager dans une
expérience européenne
qui l’a amené à diriger pendant deux ans l’Institut
européen d’études supé-
rieures et de recherches
en management, à Bruxelles. Connu pour être un
proche de Jacques-Louis
Lions, il y a fort à parier
que le nouveau directeur
continuera sur la lancée
de son prédécesseur et
tâchera d’accroître les coopérations européennes
avec des instituts de
niveau comparable. Alain
Bensoussan est par ailleurs bien connu aux ÉtatsUnis puisqu’il est membre
de nombreuses associations de mathématiciens
prestigieuses et qu’il y a
reçu plusieurs prix. Le nouveau directeur se trouve
donc en territoire connu et
ce sera, sans aucun doute,
un atout pour continuer et
amplifier les mutations que
l’Inria doit envisager et qui
sont déjà entamées. Nul
doute que ce fort en
thème saura résoudre les
équations complexes que
l’institut ne manquera pas
de lui poser
■ AB & PG
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
(no 18 – 6 mai 2007)
« Vous êtes de Nice ?
Candidatez ! »
« Pour que l’INRIA investisse,
il fallait un arrêté interministériel ! »
par Alain Dervieux,
Laure Reinhart,
directeur de recherche, projet Tropics, INRIA Sophia Antipolis
directrice de la stratégie à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI)
© INRIA / Photo A. Eidelman
Par un hasard malicieux, le projet
Ce qui m’a frappée lorsque je suis arrivée à Rocquen-
envie de sortir de mon domaine de recherche. Il était
d’une équipe de calcul scientifi-
court à la fin des années 70, c’est l’ouverture inter-
par ailleurs plus facile de concilier sa vie profession-
que commence à se former lors
nationale de l’IRIA. Au départ j’ai partagé mon
nelle avec une vie de famille.
d’un voyage de Roland Glowinski
bureau avec trois indiens puis ensuite avec deux
C’était une époque clé pour les relations industriel-
à Stanford. Il est abordé par un
les. Dans les statuts de l’institut, le transfert tenait la
© L.R.
Français, Jean-Antoine Desideri,
même place que l’excellence scientifique et cela ryth-
un SupAero passé à la Nasa et qui
mait toute la vie de l’organisme. Un des premiers
y a déjà acquis des lettres de
chantiers a été de régulariser les « doubles casquet-
noblesse
aérodynamique
tes » car beaucoup de gens passaient par l’INRIA puis
numérique. « Vous êtes de Nice ?
allaient et venaient dans l’industrie. En particulier, il
justement nous allons ouvrir un
a fallu définir un cadre légal à un essaimage déjà
centre à Sophia Antipolis, Candi-
important et demander aux chercheurs de se posi-
datez ! », lui répond Roland. Un
tionner : institut ou industrie.
jeune major de l’X, Bernard Lar-
Nous avons également cherché à favoriser la création
En 1980, une des vitrines de l’IN-
routurou, veut lui aussi faire de la
d’entreprise en proposant aux chercheurs/entrepre-
RIA est sa collaboration en calcul
mécanique des fluides numérique
neurs d’être hébergés à l’INRIA. La création du club
scientifique pour l’aérodynami-
dans le Sud et reçoit la même
des start-up date de cette époque également tout
que avec les Avions Marcel Das-
réponse de Jacques-Louis Lions :
comme le démarrage des groupements d’intérêt
sault, animée par Roland Glo-
« Candidatez ! ». À la même épo-
public (GIP). Ces collaborations entre partenaires
winski et Olivier Pironneau côté
que, je fais part à Pierre Bernhard
publics et privés permettaient la mise en commun de
INRIA et Jacques Périaux côté
de mon souhait de partir dans le
moyens sur des problématiques ciblées pour une
Dassault. L’une des percées
futur centre de Sophia pour y faire
durée limitée. Par exemple, le GIP SM90, créé en
remarquée du tandem INRIA-
de l’aérodynamique appliquée. Je
1983, a rassemblé autour du développement de sta-
Dassault concerne l’adaptation
lui donne un exemplaire de ma
tions de travail graphiques une grande variété d’ac-
des nouvelles méthodes des élé-
récente thèse d’état, pavé théori-
teurs : BULL, France Telecom/CNET et l'INRIA. Son
ments finis au calcul aérodynami-
que indigeste, dont l’examen ne
ambition était de créer un poste de travail à la fran-
que autour d’un avion complet. Il
manquera pas de l’inquiéter forte-
çaise, ce qui, à l’époque des gros ordinateurs de type
reste à passer à l’aérodynamique
ment quant à mon intérêt pour les
Multics, était une idée novatrice. Une de nos préoc-
complexe et notamment à la com-
applications. Il me l’avouera plus
bustion. Mais Roland Glowinski
tard… quand il sera rassuré sur ce
espagnols ! Cet environnement très stimulant m’a tel-
up issues de l’INRIA car, à l’époque, il y avait peu d’ai-
pense à une carrière américaine et
péril ! Parallèlement, Roland Glo-
lement séduite que j’ai passé les vingt premières
des et pas d’incubateurs. Pour que l’INRIA investisse,
réfléchit à la relève. Jacques-Louis
winski et moi rendons visite à une
années de ma carrière à l’institut. Vers le milieu des
il fallait un arrêté interministériel ! Enfin, nous avons
Lions se débat avec les projets
célébrité de la spécialité, Roger
années 1980, je me suis occupée, aux côtés d’Anne
déployé beaucoup d’effort pour instaurer un climat
gouvernementaux de décentrali-
Peyret du CNRS à Paris VI, qui
Schroeder, des relations industrielles de l’institut. J’ai
de confiance et de compétence avec les entreprises,
sation de l’institut et négocie – à la
quitte Paris pour Nice et est
ensuite dirigé l’UR de Rocquencourt durant plus de
arriver à faire du gagnant-gagnant sur la propriété
place, finalement – la création du
engagé comme conseiller scienti-
6 ans, jusqu’en 1999. Les relations industrielles m’ont
industrielle et intellectuelle. Cela a bien fonctionné
pôle de Sophia Antipolis. Choisi
fique de la future équipe. Une
très vite attirée. Travailler dans le concret convenait
avec Renault par exemple.
pour lancer ce nouveau pôle,
retouche de dernière minute va
parfaitement à ma nature pragmatique et à mon
Pierre Bernhard est obligé de tra-
mettre un ancien lionceau, Jean
verser régulièrement mon bâti-
Cea, professeur à Nice, à la tête de
ment, ce qu’il fait à une telle
cette équipe. Début 83, les cinq
vitesse que mon étudiant de l’épo-
membres de l’équipe se rencon-
LE SAVIEZ-VOUS?
que tente de me persuader que
trent à Sophia Antipolis pour un
Mise en place du DNS (Domain Name Server) sur Internet. Jusque-là, il fallait connaître l’adresse numérique
pendant ces courses effrénées des
premier séminaire – certains pour
de la machine recherchée ou tenir à jour un unique fichier texte contenant le nom et l'adresse numérique
zones d’écoulement supersonique
la première fois ! L’aventure com-
correspondante de toutes les machines de l'Internet, ce qui est rapidement devenu impossible — Hewlett
se développent derrière les oreil-
mence.
Packard commercialise la première imprimante laser : la HP Laserjet. Elle a une résolution de 300 dpi et
les de Pierre…
en
■ R.-M. C.
cupations était de trouver des capitaux pour les start-
■ Y. L. T.
coûte 3600 $ — Philips et Sony sortent le CD-Rom.
Le fondateur d’Apple, Steve Jobs,
présente l’Apple Macintosh
au public en 1984.
L’ordinateur possède une interface
graphique et se présente
lui-même en disant
« Hello, I am Macintosh and I am glad
to be out of that bag »
« L’innovation,
c’est une
situation que
l’on choisit parce
qu’on a une
passion brûlante
pour quelque
chose ».
Paul Stevens Job
Nombre
de machines
connectées
sur internet
en 1984 :1024
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en
chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.
Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise
en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :
A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Rose-Marie
Cornus, Yannick Le Thiec.
ANNÉE
1985
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 19 - 14 MAI 2OO7
© Ministère de la recherche
© Minéfi / Sircom
Deux tutelles
pour une politique
Le décret n°85-831 du 2 août 1985 fait de l’Inria un établissement public national à caractère scientifique
et technologique (EPST) placé sous la double tutelle du ministre chargé de la recherche, Hubert Curien
(à gauche), et du ministre chargé de l’industrie, Édith Cresson (à droite).
L’Inria, avant-dernier
établissement
à devenir un EPST
Le 2 août 1985 – La modification de statut de l’Inria
est enfin consommée.
Depuis ce 2 août, l’institut a
rejoint la liste des autres établissements publics à caractère
scientifique et technologique
(EPST). Dès 1982, il apparaissait en effet que le CNRS et
l’Inserm ne bénéficiaient pas
d’un statut adapté à leurs besoins. Le statut d’EPST, c’està-dire une personne morale de
droit public dotée de l’autonomie financière, fut donc appliqué d’abord au CNRS, puis à
l’Inserm, à l’Inra, etc. et finalement à l’Inria cette année.
Certains établissements n’ont
qu’une seule tutelle (pour le
CNRS, le ministère de la Recherche), d’autres deux tutelles (l’Inserm par exemple avec
la Recherche et le ministère de
la Santé). Toujours est-il que
ce changement attendu devrait donner à l’Inria des possibilités nouvelles tant de développement que de valorisation
de ses recherches.
La loi 82/610 du 15 juillet
1982 a changé profondément
le paysage scientifique de notre
pays. Pour nos lecteurs qui ne
sont pas accoutumés à la lecture du Journal officiel, il n’est
pas inutile de rappeler que ce
texte, émanation de la volonté
de la nouvelle majorité politique, se veut une rupture et un
nouvel élan pour promouvoir
une grande politique de recherche et d’essor industriel
dans notre pays. Dès son article 1er, il est en effet déclaré :
« La recherche scientifique et
le développement technologique sont des priorités nationales. » Certains commentateurs
ont vu dans ces affirmations un
retour à la politique gaullienne
des années 1960 qui a mis l’accent sur des secteurs de pointe
comme le nucléaire, l’espace
et, bien entendu, « le Plan
calcul ». Vingt ans plus tard,
cette inflexion volontariste
marque encore la physionomie
de notre recherche publique.
La loi de 1982 va plus loin par
certains aspects puisqu’elle a
inscrit noir sur blanc un
niveau de dépenses de recherche, soit 2,5 % du produit intérieur brut, afin de « favoriser
l’accroissement des connais-
sances, la valorisation des résultats de la recherche, la diffusion de l’information scientifique et technique et la promotion du français comme
langue scientifique ». Élément
fondamental pour l’avenir, l’article 19 stipule que les EPST
sont autorisés à prendre des
participations ou à constituer
des filiales. Enfin, elle a également mis en avant des programmes mobilisateurs dont
certains, comme la maîtrise de
la filière électronique, concernent directement l’informatique : matériaux et composants,
électronique professionnelle
(télécommunications, spatial,
médical), électronique grand
public (audiovisuel, automobile...), infor-matique (microinformatique, bureautique et
gros calculateurs, logiciel), automatisation et banques de
données. Un programme destiné à créer un mouvement vigoureux dans l’ensemble de la
filière et dans lequel l’Inria
pourra donner sa pleine
mesure.
■ AB & PG
Désormais, l’Inria est sous
une double tutelle, celle
du ministère de l’Industrie
et celle du ministère de
la Recherche, ce qui marque
un certain retour à une politique industrielle, même si
l’histoire de ces deux ministères est remarquablement
imbriquée. Le ministère de
la Production industrielle,
apparu peu avant la guerre,
réunissait certaines fonctions des ministères du
Commerce, des Travaux
publics et de l’Industrie dont
le rôle a été fondamental au
moment des pénuries puis
surtout du dirigisme industriel qui marqua l’aprèsguerre et les années 1960.
Avec l’arrivée de la gauche
au pouvoir en 1981, le projet
industriel reprend vigueur,
avec en particulier la création d’un grand ministère de
l’Industrie, de la Recherche
et de la Technologie en
1982.
Les racines du ministère de
la Recherche remontent
quant à elles à l’époque du
Front populaire, en 1936,
avec la création d’un soussecrétariat à la recherche
scientifique confié à Irène
Joliot-Curie puis à Jean Perrin. En 1954, sous la IVe
république, un secrétariat
d’État à la recherche scientifique et au progrès technique apparaît. Son action est
relayée par le colloque de
Caen en 1956. La Ve république gaullienne crée de
nombreuses entités pour
développer la recherche et
l’on sait que l’Inria en est un
célèbre exemple. L’arrivée
de Valéry Giscard d’Estaing
aux fonctions de président
de la république unit pour la
première fois l’industrie et
la recherche sous la houlette de Michel d’Ornano.
En 1981, recherche et technologie – puis recherche et
industrie en 1982 – passent
sous la responsabilité de
Jean-Pierre Chevènement
qui sera à l’origine de la politique de la filière électronique et de la loi d’orientation
de la recherche. Toutefois,
après juillet 1984 et suite à
un retournement de politique, industrie et recherche
ne sont plus placées sous la
même autorité, même si les
passerelles existent toujours comme en témoigne
le fait que l’Inria soit désormais sous les auspices –
que d’aucun espère favorables – de la rue de Grenelle
et de la rue Descartes.
■ AB & PG
Et pendant ce temps là...
Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du parti
communiste de l’URSS – Signature des accords de
Schengen abolissant les contrôles aux frontières communes entre les états signataires – Drame au stade du
Heysel (Bruxelles) pour la finale de la coupe d’Europe
des clubs champions – En France, première campagne pour les restos du cœur lancée par le comique
Coluche – le Général Audran, responsable des affaires internationales du ministère de la Défense, est
abattu par Action directe.
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
« La transformation
de l’institut n’a pas été
un long fleuve tranquille »
(no 19 – 14 mai 2007)
LE SAVIEZ-VOUS?
Commodore présente l’Amiga 1000, une machine multitâches, munie d’une interface graphique (le Workbench)
capable d’afficher des images en 4096 couleurs, d’afficher plusieurs résolutions différentes sur des parties de
l’écran et de jouer du son digitalisé en stéréo sur 4 canaux — Microsoft lance son logiciel de traitement de texte
par Vincent George,
Word et la première version du tableur graphique Excel pour Macintosh — Lancement du CDRom.
secrétaire général de l’INRIA de 1980 à 1996
© INRIA / Photo A. Eidelman
contrôler, on ne contrôlait rien !
En homme avisé, il avait donné de
larges délégations à l’agent comptable et à l’ordonnateur. En devenant EPST, nous avons bénéficié
de nombreuses facilités de gestion, notamment la globalisation
des crédits des unités de recher-
« Les discussions, voire les disputes,
n’étaient pas rares lorsqu’il fallait
attribuer des connexions »
par Alain Caristan,
directeur technique de l’Afnic
che et une responsabilisation
© INRIA / Photo J. Wallace
d’émergence mondiale des tech-
accrue des directeurs d’UR. Précé-
J’ai rejoint le projet Cyclades en
demment, les comptes étaient très
septembre 1975 comme scientifi-
nologies de l’information et de la
cloisonnés, chaque transfert d’un
que du contingent. Suite à l’inci-
communication a été activement
compte vers un autre nécessitait
dent qui avait immobilisé le calcu-
vécue par l’INRIA, par ses recher-
une validation en conseil d’admi-
lateur central de Rocquencourt
ches mais également par ses expé-
Dès l’été 1979, Jacques-Louis
nistration : environ 500 décisions
pour plusieurs mois (voir Code
rimentations, améliorations, vali-
Lions, futur président de l’INRIA,
modificatives provisoires du bud-
source n° 9), l’équipe Cyclades
dations, recommandations et
m’a demandé de devenir secré-
get étaient ainsi signées chaque
mettait en place un service d’ac-
utilisations des nouvelles techno-
taire général de l’institut. Se qua-
année ! Le gain de souplesse a été
cès à distance au centre de calcul
logies !
lifiant lui-même de « fanatique
considérable.
de Grenoble qui disposait aussi
C’est également au cours de cette
d’organisation », son idée était de
Mais la transformation de l’insti-
d’un Iris 80. Mon premier travail
décennie que le projet d’informa-
mettre en place une gestion effi-
tut n’a pas été un long fleuve tran-
a consisté à développer un sys-
tisation des services, lancé dès
cace sans pour autant renoncer à
quille. Nous avons dû faire face à
tème d’analyse et de visualisation
1986 suite à une première expé-
la « hiérarchie souriante » qui
de nombreuses situations de crise
des flux d’activité de ce service.
rience réussie au sein du service
caractérisait l’organigramme de la
avec les personnels. Je me sou-
L’Iris 80 a très vite été remplacé
direction. Cette époque a été mar-
viens même avoir été (gentiment)
par un calculateur Multics suffi-
tivité. Les discussions, voire les
lippe Le Puil, a permis de rattraper
quée
événements
séquestré une soirée dans mon
samment puissant pour offrir un
disputes, n’étaient pas rares entre
le décalage visible avec les envi-
majeurs : la dissolution de l’IRIA,
bureau par des représentants syn-
accès en temps partagé à un grand
utilisateurs lorsqu’il fallait attri-
ronnements de travail de la
la décentralisation de l’institut
dicaux réclamant le retour à Roc-
nombre d’utilisateurs simultané-
buer des connexions en fonction
recherche.
avec la création des unités de Ren-
quencourt
personne
ment. À la même époque, la direc-
du déploiement envisagé (bâti-
Basculer vers les réseaux a été pas-
nes et de Sophia, le passage au
malencontreusement
affectée
tion des moyens informatiques,
ment, projet, bureau, etc.) !
sionnant. Cela a aussi ouvert la
statut d’EPST, les plans successifs
auprès de l’Adi, au 37e étage de la
nouvellement créée par Jacques-
Tout au long des années 1980 les
voie aux créations d’entreprises
de fonctionnarisation, etc.
Tour Fiat à La Défense alors
Louis Lions, s’est engagée dans le
équipes des moyens informati-
issues de l’INRIA. Par exemple,
C’est un décret en Conseil d’État
qu’elle était sujette au vertige ! De
développement de systèmes indi-
ques ont mis en œuvre des systè-
Chorus, le projet sur les systèmes
qui a transformé l’INRIA en EPST
même, les premiers conseils d’ad-
viduels et d’une infrastructure de
mes de communication en réseau
opératoires répartis animé par
en 1985. Le changement de statut
ministration se sont déroulés dans
communication pour l’accès et le
permettant de mailler finement
Jean-Serge Banino, Hubert Zim-
s’est matérialisé tardivement car
des lieux tenus secrets jusqu’à la
partage des moyens de traite-
les bâtiments et de fournir le haut
mermann,
les ministères ont commencé par
dernière minute afin d’éviter l’en-
ment. Son travail s’appuyait sur la
débit. En particulier le remplace-
Gérard Morisset et moi-même, a
les plus gros établissements,
vahissement de la salle par des
concertation avec les projets et
ment, dès 1982, des boîtiers de
donné naissance à Chorus Sys-
CNRS en tête, avant de s’intéresser
manifestants qui, il est vrai, man-
services, et c’est en tant que cor-
connexion télématique par le
tems avec le renfort de Michel
à l’INRIA. Mais dès le début des
quaient alors de visibilité sur leur
respondant du projet Chorus que
réseau X25 privé de Ouest stan-
Gien (projet pilote Sol). Mais voilà
années 1980, nous avions adopté
avenir. Mais au-delà des difficul-
j’ai participé aux travaux de spéci-
dard télématique (OST) simplifia
qui mène à l’aventure Unix, linux
un protocole de gestion moins
tés rencontrées, je retiens finale-
fication des systèmes de connec-
la connexion filaire. Cette période
et du logiciel libre...
lourd, qui préfigurait les statuts à
ment, qu’ensemble, nous avons
venir. Le contrôleur financier de
réussi la mutation de l’INRIA.
par
l’époque
des
estimait
qu’à
trop
d’une
■ Y. L. T.
des relations extérieures par Phi-
Marc
Guillemont,
■ V.C.
« Essayez mon logiciel, diffusez-le librement. »
A. Fluegelman, programmateur de San Francisco, invente le freeware.
© INRIA / Photo R. Rajaonarivelo
Le robot V80 de Renault pouvait soulever 80 kg avec une accélération de 2 G !
Il était très dangereux et donc en cage (il avait transpercé une cloison au bâtiment 13
avant d’être déplacé au 24). Il s’agissait pour les équipes de François Germain – à l’origine de l’achat du robot – et d’Olivier Faugeras de rendre ces robots capables de s’adapter à un environnement variable. Les logiciels de Nicholas Ayache (à droite) réalisaient la
Nombre
de machines
connectées
sur internet
en 1985 :1961
reconnaissance d’objets disposés en vrac grâce à une caméra (image 2D sur l’écran) et
les logiciels de Jean-Daniel Boissonnat (à gauche) pilotaient le robot pour qu’il saisisse
délicatement ces pièces. Tout était automatique mais il n’était pas question de rester dans
la cage pour corriger les derniers bugs : Nicholas a le doigt sur le bouton d’arrêt d’urgence ! La démo a eu beaucoup de succès et est même passée au JT. François Germain
et George Kryze ont aussi développé le capteur 3D qui a joué par la suite un rôle clé dans
l’approche géométrique de la vision par ordinateur du projet Robotvis.
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en
chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.
Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise
en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :
A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Vincent Coronini, Yannick Le Thiec.
ANNÉE
1986
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 20 - 21 MAI 2OO7
© INRIA
Le pirate informatique,
un nouvel acteur
incontournable ?
Dans le cadre du projet Eureka Prometheus, des techniques d’interprétation routières
sont à l’étude à l’INRIA Sophia Antipolis, en collaboration avec l’INRIA Rennes
et les universités de Compiègne et de Clermont-Ferrand.
Eurêka pour dépasser
les égoïsmes nationaux
Le 3 janvier 1986 – Le projet Eurêka, proposé par la
France, a été lancé au cours
de la conférence intergouvernementale qui s’est
tenue le 5 novembre dernier à Hanovre, en Allemagne, et qui réunissait
dix-neuf participants : la
Commission et les représentants de 18 états européens
dont la Turquie qui siégeait
pour la première fois dans
ce genre d’assemblée. La
crainte d’un fossé technologique croissant avec les ÉtatsUnis et le Japon est en effet au
centre des préoccupations et le
projet Eurêka incarne la
volonté de l’Europe d’agir en
commun pour renforcer sa
capacité industrielle et s’imposer sur le marché face aux
autres grandes puissances.
Une telle politique de coopération scientifique et technologique a déjà été amorcée par la
création de structures intergouvernementales comme le Cern,
à Genève, et l’agence spatiale
européenne qui sont indéniablement des réussites. Mais un
projet comme l’Euratom, né en
même temps que la Communauté européenne et qui devait
permettre à l’Europe des Six de
se doter de l’énergie nucléaire
pacifique n’a pas donné les
mêmes satisfactions. Le bilan
d’un quart de siècle d’activité
est bien faible car le « chacun
pour soi » a dominé, sauf peutêtre dans le domaine de la
fusion qui reste de la recherche
à très long terme.
Le projet Esprit, lancé en 1984
et financé pour moitié par la
Communauté européenne,
voulait déjà lancer l’Europe
dans la construction des ordinateurs de la cinquième génération (il existe des projets
identiques pour les télécommunications) mais il ne vise pas
directement le marché. Sur ce
plan, Euréka affiche donc une
grande ambition technologique
en ayant pour objectif d’accroître la productivité et la compétitivité des industries et des
économies nationales européennes par le renforcement de
la coopération entre les entreprises et les instituts de recherche en hautes technologies. Ce
plan met l’accent sur six
domaines particuliers : les
matériaux nouveaux, les lasers
de puissance, l’opto-électronique et surtout la micro-électronique rapide, les supercalculateurs et l’intelligence artificielle
qui intéressent directement
l’Inria même si le handicap par
rapport aux États-Unis est
devenu important. Un programme dont le délégué luxembourgeois qui se fait l’interprète
de tous affirme qu’il demande
de dépasser les « frontières
mentales » pour penser européen. Pour un institut comme
l’Inria, penser européen est
sans doute une nécessité mais
aussi une pratique. Il est clair
en tout cas que le nouveau président de l’institut, Alain Bensoussan, insistera dans les mois
qui viennent sur toutes les formes de coopération européenne. À commencer, bien
entendu, par les programmes
Eurêka qui sont du ressort de
l’institut, comme Prometheus
qui devrait réunir dès cette
année un gigantesque consortium sur le thème du véhicule
« intelligent ».
■ AB & PG
La création du Chaos Com- trusion se multiplient et
puter Club en Allemagne ont même entraîné l’arrêt
au début de cette décennie du Cray, perturbant de la
avait montré que les sorte très gravement le traréseaux pouvaient être la vail des chercheurs.
cible d’actions inamicales. Les responsables du centre de calcul ont
Les événements
Le Multics en proie
dont l’Inria est la aux attaques des pirates rappelé que le
respect scrupuvictime depuis
leux des procéquelques mois
dures de sécuen est une illusrité est seul à
tration. Tout a
même de procommencé à la
téger les utilisafin du mois de
mars dernier avec la pre- teurs. Les caractéristiques
mière intrusion réalisée par techniques des comptes
des inconnus – Hackers, doivent rester strictement
crackers, pirates selon le confidentielles et les mots
nom qu’on leur donne – de passe, qui ne doivent
sur l’ordinateur Multics du pas rester en mémoire sur
centre de calcul vectoriel les ordinateurs, doivent
pour la recherche à l’Inria. être changés régulièreDès le lendemain, l’ordina- ment. Par mesure de préteur Cray était piraté à son caution, le Cray a été
tour, suscitant une inquié- arrêté le week-end dernier.
tude tempérée par les Ce type d’affaire s’est
résultats de l’enquête généralisé comme l’a sourévélant que rien n’était ligné, il y a trois ans, l’arendommagé. La volonté restation aux États-Unis du
de se faire remarquer sem- pirate Kevin Poulsen,
ble en effet être le principal connu sous le pseudoressort des pirates qui nyme de Dark Dante, et
trouvèrent alors spirituel de l’apparition des premiers
laisser pour tout message : virus sur les PC en 1984.
« Le Cray est momentané- Ce phénomène ne doit pas
ment remplacé par un Sin- être pris à la légère. Il n’y a
là rien de folklorique pour
clair ZX 81 » !!!
La révélation par la presse la direction de l’INRIA qui a
de ces incidents a malheu- d’ailleurs décidé de prenreusement encouragé les dre les dernières intrusions
imitateurs qui ont ensuite très au sérieux, en dépochercher à s’introduire sur sant plainte contre X au trile réseau de l’institut via bunal de grande instance
■ AB & PG
Transpac. Depuis le début d’Evry.
de l’été, les tentatives d’in-
Et pendant ce temps là...
Lancement de la première chaîne généraliste privée française La
Cinq – La station orbitale russe MIR (paix en russe) s’installe dans
l’espace – Après la victoire de la droite aux élections législatives
le 16 mars, le président François Mitterrand nomme Jacques
Chirac Premier ministre.
LE SAVIEZ-VOUS?
La société Thinking Machines commercialise le premier super ordinateur massivement parallèle, la Connection
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
(no 20 – 21 mai 2007)
Machine CM-1, pouvant comporter jusqu’à 65 536 processeurs ! La machine reconfigure les connexions internes entre les processeurs pour résoudre un problème donné. L’inconvénient de cette architecture est, bien
« J.-L. Lions voulait
contribuer au plan Fabius
en créant une nouvelle
Les personnels étaient contents
unité de recherche
d’intégrer la fonction publique
en Lorraine »
par Chantal Le Tonquèze,
sûr, l’extrême complexité de la programmation et de l’optimisation — Lancement du Radio Data System (RDS
qui permet de transmettre des données numériques via les ondes radio ; il est en particulier utilisé par les postes radiophoniques des véhicules.
par Jean-Paul Haton,
relations industrielles, INRIA/Irisa Rennes.
professeur à l’université Henri Poincaré
et à l’institut universitaire de France
Le 2 août 1985 le statut de l’INRIA
« Macintosh ». Avant cela, nous
ques. Exercice, néanmoins fasti-
montés par la suite et qui étaient
évolue, il devient un EPST. C’était
travaillions sur les machines IBM
dieux, puisqu’il fallait changer de
issus en quasi-totalité du Crin. Les
le résultat d’un long travail en
à boules – les premières machines
boule très souvent, selon que l’on
six équipes Maia, Parole, Cortex,
amont et cela a créé une véritable
Orpailleur, Merlin et Langue et dia-
effervescence au sein de l’établis-
mathématiques, mais c’était déjà
logue sont nées de l’équipe Recon-
sement. Une des conséquences
un réel progrès. L’arrivée des pre-
naissance des formes et intelli-
importantes de ce changement de
miers micro-ordinateurs a été éga-
gence artificielle (RFIA) que j’avais
statut fut l’intégration des person-
lement l’occasion de nous former
créée à l’université. L’intelligence
nels contractuels dans les grilles
sur de nouveaux outils, tels que le
artificielle représente aujourd’hui
de la fonction publique sans avoir
traitement de texte, tableur, mais
environ la moitié des thématiques
à passer un concours au préalable.
aussi d’apprivoiser une souris que
de recherche du Loria, tout ce qui
Bien que délicat à gérer, ce glisse-
l’on n’arrivait pas toujours à maî-
touche à l’imagerie, la fouille de
ment s’est plutôt bien passé. Les
triser.
données, etc. !
personnels étaient contents d’in-
En 1986, Maurice Robin est
Je suis devenu en 1974 le deuxième
L’UR a emménagé dans les locaux
tégrer la fonction publique.
nommé directeur adjoint de l’IN-
professeur d’informatique de la
du château du Montet. La co-
J’étais à cette époque l’assistante
RIA. Il fut remplacé par Anne
faculté des sciences avec Jean-
direction par le Crin et l’INRIA n’a
de Maurice Robin qui, de respon-
Schroeder à la tête de l’UR de
Claude Derniame qui fut ensuite le
pas été facile car nous avions des
sable du service des relations
Rocquencourt qui connaissait
directeur du Centre de recherche
activités très proches et toutes les
internationales, fut nommé direc-
alors une très forte croissance en
en informatique de Nancy (Crin).
équipes – comme aujourd’hui –
teur de l’unité de recherche de
Ce laboratoire, commun aux trois
étaient des projets mixtes. Nous
Rocquencourt.
électriques – amélioration ma-
d’années plus tard, j’ai rejoint le
nouvelles universités de la ville et
avons bénéficié de l’image d’excel-
Pendant ce temps, le travail des
jeure pour les assistantes qui sai-
service des relations industrielles
reconnu Laboratoire associé par le
lence ainsi que de la structure et du
assistantes de services ou de
sissaient les manuscrits scientifi-
de l’unité de recherche de Rennes,
CNRS, regroupait les enseignants-
mode d’organisation de l’INRIA,
projets évoluait avec l’arrivée
ques
qui était alors dirigée par Jean-
chercheurs de cette discipline. Il
mais l’institut est arrivé avec très
des premiers micro-ordinateurs
nombreuses formules mathémati-
n’avait pas de locaux propres et
peu de forces vives : Jean-Marie
fondait son unité sur un séminaire
Proth puis François Charpillet et
qui avait lieu tous les jeudis après-
Michael Rusinowitch. Les moyens
midi sous la direction de Claude
financiers sont venus ensuite.
Pair, son premier directeur. Il n’en
C’était bizarre car nous débau-
était pas moins l’un des grands
chions l’industrie (Sollac, IRSID)
« Pour 1,265 millions de francs HT, vous disposez
d’une unité centrale avec 512 Ko de mémoire
et d’une unité de disque de 67 Mo »
laboratoires français en informati-
tout en conservant de bonnes rela-
Publicité de Digital parue dans Le Monde informatique en 1982.
que.
tions avec nos partenaires…
En 1981, dans le cadre du plan
Un moment important a été la
Fabius destiné à développer les
construction de la tranche B des
hautes technologies en Lorraine
bâtiments car, jusque là, nous
pour sauver la sidérurgie, j’ai reçu
étions entassés dans les bâtiments
© INRIA / Photo C. Lebedinsky
un coup de fil de J.-L. Lions : il vou-
du 1er cycle de la faculté des scien-
lait contribuer à ce plan en créant
ces. RFIA était dans une partie du
une nouvelle unité de recherche en
5e étage, en vase clos. Nous avons
Lorraine adossée au Crin. L’année
eu la chance, contrairement à
suivante, Jean-Marie Proth s’est vu
d’autres laboratoires, de ne pas
confier la direction de l’unité, avec
éclater. Nous y avons gagné en visi-
comme assistante Brigitte Pierrard,
bilité.
termes d’effectifs. Une dizaine
qui
comportaient
■ V. P.
et je suis devenu le premier président du comité des projets. J’ai été,
en quelque sorte, la cheville
ouvrière des projets qui se sont
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en
chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A.
Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise
en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro :
A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Véronique Poirel, Céline Sortais.
Nombre
de machines
connectées
sur le pré-internet
en février 1986 :
2308
en novembre 1986 :
5089
tapait du texte ou des formules
© INRIA / Photo J. Wallace
Gaston est arrivé au Loria grâce à Jean-Paul
Haton. Ce robot Nomad 200 était utilisé comme
plateforme expérimentale pour tester les modèles
développés au sein du projet Syco : fusion de capteurs, raisonnement temporel et temps réel, planification d’actions, apprentissage et réseaux
neuro-mimétiques. © INRIA / Photo A. Eidelman
de
Pierre Banâtre.
■ C.S.
ANNÉE
1987
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 21 - 28 MAI 2OO7
© Ilog
Deux pointures
à la tête d’Ilog
L’équipe d’Ilog dans leurs locaux de l’avenue Galliéni à Gentilly, avec Jérôme Chailloux, Catherine Granger,
Matthieu Devin, Manuel Montalban, Antoine de Montgareuil, Pierre Haren et Odile Chénetier
comme anciens de l’Inria.
L’Inria se lance sur le
marché via sa filiale Ilog
Le 7 avril 1987 – Tournant
important pour l’informatique française, l’institut
national de recherche en
informatique et en automatique (Inria) crée sa première
filiale Ilog. Cette jeune entreprise pénètre un marché radicalement neuf – celui de l’intelligence logicielle dont elle
tire d’ailleurs son nom – grâce
à des années d’investissement
de l’Inria dans le domaine des
langages. Le lancement du programme Formel par Gérard
Huet au début de cette décennie avait fait de l’Inria un
acteur majeur dans ce domaine
à l’échelle internationale. La
réalisation du langage Caml en
a été un premier aboutissement. Dès lors les industriels
réclamèrent à l’institut d’industrialiser les logiciels issus de
ces programmes de recherche.
Cette pression s’est récemment
accentuée en raison de la notoriété mondiale acquise par le
langage Le-Lisp élaboré par
Jérome Chailloux. Alain Bensoussan a jugé qu’il était temps
de prendre place sur ce marché
de l’intelligence logicielle en
pleine croissance mais largement dominé par des sociétés
nées sur les campus américains.
L’Inria est l’actionnaire majoritaire de la jeune entreprise
dotée d’un capital d’un million
et demi de francs. Dirigée par
Pierre Haren et Jérome Chailloux, elle orientera ses activités
vers le conseil et la formation,
et commercialisera des langages et des environnements spécialisés ainsi que des outils de
développement de systèmes
experts. Cinq départements
assureront le développement
de l’activité : langages (Greg
Nuyens), environnements Lisp
(Mathieu Devin), générateurs
de systèmes experts (Patrick
Albert et Catherine Granger),
conseil (Manuel Montalban)
et simulation (Patrice Poyet).
Renault, Aérospatiale, EDFGDF, Bull et Thomson sont
particulièrement intéressés par
ces nouveaux produits et
seront les premiers clients
d’Ilog.
Ilog restera néanmoins en
étroite relation avec l’Inria et
les synergies qui en résulteront
seront précieuses pour la
France qui doit rester vigilante
en matière de normalisation.
On estime en effet que la
norme Common Lisp acceptée
par les industriels américains
n’a pas la précision sémantique
suffisante et l’Inria entend agir
de manière décidée pour que
Lisp conserve à l’avenir une
véritable qualité scientifique.
Pour cela la collaboration avec
Ilog sera précieuse car elle
apportera à l’institut la vision
des industriels clients de sa
filiale sur ces questions.
La création d’Ilog est ainsi
l’aboutissement d’une logique
de recherche fondamentale
permettant la création d’une
entreprise capable de commercialiser des produits parfaitement placés sur le marché
international. Si de surcroît,
comme on l’espère, Ilog verse
quelques dividendes permettant d’améliorer un peu un
budget toujours chiche, la
recherche française sera alors
gagnante sur les deux
tableaux !
■ AB & PG
Pierre Haren agé de 34 ans
est le numéro un de l’entreprise. X-Pont, il a débuté
sa carrière au ministère
français de la Mer où il
a contribué à la création
de l’Ifremer. On dit qu’il
n’hésitait pas à tester luimême certains équipements scientifiques en
plongée sous-marine… Il
rejoint l’Inria en 1983 après
un doctorat passé au MIT.
Il y dirige le projet Smeci
consacré aux systèmes
multi-experts. Ce sont ses
qualités de gestionnaire de
la recherche associées à sa
parfaite connaissance de
l’informatique telle qu’on la
pratique dans le domaine
de l’intelligence artificielle
qui ont amené Alain Bensoussan, président de la
nouvelle filiale, à lui confier
la direction d’Ilog.
À ses côtés, Jérôme Chailloux, le père du langage de
programmation Le-Lisp, le
produit phare d’Ilog, est
entré à l’Inria sur les traces
du projet de conception
automatique de circuits
VLSI dirigé par Jean Vuillemin. Il s’investit très rapi-
dement dans un projet
visant à développer un système Lisp opérationnel
destiné au monde de la
recherche. Le langage LeLisp est ainsi à la fois
un outil de travail et un
outil de recherche. Bien
que très sollicité par les
entreprises américaines,
Jérome Chailloux a désiré
rester en France. Grâce à
Usenet, il reste néanmoins
connecté en permanence
à une communauté de
recherche très internationalisée et il avoue passer
deux heures chez lui chaque soir sur son ordinateur
personnel pour répondre à
son courrier électronique.
Nul doute que les qualités
complémentaires
des
deux chercheurs mettront
Ilog sur la voie du succès.
La démarche des deux
hommes souligne bien la
capacité d’adaptation des
chercheurs de l’Inria et leur
disponibilité lorsqu’il s’agit
de s’investir dans des
aventures industrielles. Si
toutefois celles-ci restent
en prise directe avec la
■ AB & PG
recherche
Et pendant ce temps là...
Mort de l’artiste Andy Warhol – Premier vol de l’Airbus
A320 – Perpétuité pour l’ancien chef de la Gestapo de
Lyon Klaus Barbie – Le projet de tunnel ferroviaire sous
la Manche démarre – Suite au référendum organisé sur
l’île, la Nouvelle-Calédonie reste française – Signature
du protocole de Montréal de 29 pays pour la réduction
de la production de gaz nocifs pour la couche d'ozone
– Les pays du « G6 » signent à Paris les Accords du
Louvre, destinés à enrayer la baisse du dollar US et à
stabiliser les taux de change – La commission des
Nations Unies sur l’environnement et le développement
publie le rapport Brundtland intitulé « Our common
future » qui propose la définition du développement
durable.
LE SAVIEZ-VOUS?
Microsoft lance Windows 2.0, la deuxième version de son interface graphique — Apple tente un procès contre
L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA
(no 21 – 28 mai 2007)
Microsoft pour avoir copié en grande partie l'interface graphique du Macintosh. Mais Microsoft gagne le procès car auparavant Apple avait copié les idées du PARC —L’US National Science Foundation démarre NSFnet,
« Chaque mois,
nous réunissions
chercheurs
et industriels
pour des conférences
sur Le-Lisp »
qui deviendra une partie de l’Internet actuel — IBM présente ses PS/2 pour casser le standard du PC et
reconquérir des parts de marché : le nouveau bus de données 32 bits, baptisé MCA, est très performant, mais
surtout protégé par des droits d’auteur — Apple présente une nouvelle gamme au format desktop, les Mac II,
qui offre 6 slots d’extension.
« Il a fallu de longues discussions
pour faire adopter le bioinspiré »
Par Frédéric Alexandre, projet Cortex,
INRIA Lorraine
Jérôme Chailloux,
cofondateur d'Ilog
© Ercim
Issu d’une formation d’ingénieur
nue par ces deux PDG de l’insti-
années 1990. Ces travaux conti-
en Informatique Industrielle, j’ai
tut qui étaient alors respective-
nuent aujourd’hui dans l’équipe
découvert l’intelligence artificielle
ment président de la commission
Cortex avec Laurent Bougrain :
Comment mêler le calcul neuro-
Antipolis. De nombreuses person-
et l’informatique théorique grâce
nes prirent part au développe-
aux cours de DEA de Jean-Paul
nal avec des manipulations de
ment (Jean-Marie Hullot, Mat-
Haton et de Jean-Pierre Finance.
connaissances explicites ?
thieu Devin, Jean Vuillemin,
Je souhaitais travailler sur le rai-
Ces thématiques sont peu explo-
Bernard Serpette, Bertrand Serlet,
sonnement et je me suis donc
rées et attirent des chercheurs
etc.) et Le-Lisp devint un système
lancé avec J.-P. Haton en 1987
d’autres horizons comme Domi-
à base d’objets, intégrant des
dans une thèse qui avait le cer-
nique Martinez ou Thomas Voegt-
bibliothèques graphiques, très en
veau comme objet de recherche.
lin. Je m’appuie beaucoup sur la
avance sur son temps.
Je souhaitais travailler avec les
transversalité et j’ai même passé
Dès 1984, les centres de recherche
biologistes ce qui m’a entraîné sur
une maîtrise de psychologie et de
industriels se sont montrés inté-
des chemins jamais parcourus
physiologie afin de pouvoir com-
ressés pour acquérir des licences
auparavant ; c’est ainsi que je me
muniquer aisément avec les spé-
d’exploitation et de portage. Face
suis intéressé aux approches sym-
cialistes de ces disciplines. Cela
à ce succès, en 1985, nous avons
boliques et à leur lien avec les
est indispensable pour pouvoir,
créé « Les mardis du Lisp » qui
approches numériques.
par exemple, innover dans le per-
réunissaient chercheurs et indus-
Mais les recherches en sciences
fectionnement des machines de
J’ai rejoint l’INRIA fin 80, après la
triels autour de conférences sur
du vivant n’étaient pas encore à
calculs parallèles en s’inspirant du
délocalisation
l’université
Le-Lisp. Fin 85, plusieurs centai-
l’ordre du jour. C’était un sujet
expérimentale de Vincennes où je
nes de licences avaient été
émergent à l’époque ; nous étions
d’évaluation et directeur scientifi-
cul distribué pour faire évoluer les
menais des recherches en intelli-
octroyées. Pierre Haren a été un
précurseurs et souvent nous fai-
que. Les discussions étaient d’ail-
processus et les limites physiques
gence artificielle, notamment sur
des premiers à avoir l’idée de
sions figure de gens pas très
leurs très enrichissantes car Ber-
de miniaturisation. Aujourd’hui,
des outils de programmation sym-
créer une filiale de l’INRIA dédiée
sérieux. Il a fallu de longues dis-
nard Larouturrou venait du calcul
nous travaillons à l’échelle du
bolique appliqués aux arts plasti-
au calcul symbolique, idée d’em-
cussions avec Bernard Laroutur-
scientifique et Gilles Kahn du cal-
neurone et nous cherchons à
ques et à la musique. J’ai été cha-
blée soutenue par la direction de
rou et Gilles Kahn pour les
cul formel et de la théorie.
comprendre comment cette entité
leureusement
au
l’Institut. Reconnaissons-le, nous
convaincre de la nécessité de
Bien qu’a priori très fondamenta-
de base du cerveau s’organise
bâtiment 8. J’étais chargé de
n’étions néanmoins pas très sûrs
s’orienter vers le « bioinspiré ».
les, ces recherches ont par exem-
pour communiquer, travailler,
concevoir une variante du langage
de nous. Il nous a fallu toute l’an-
Grâce à plusieurs autres jeunes
ple eu des applications dans
calculer avec les autres neurones.
de programmation Lisp (le lan-
née 1986 pour préciser notre pro-
chercheurs de l’INRIA engagés
le domaine de la sidérurgie en
Sciences du vivant, calcul numé-
gage symbolique réservé à l’épo-
jet de filiale, que nous avons bap-
dans la même démarche, cette
appliquant les réseaux de neuro-
rique et robotique sont étroite-
que aux grosses machines) pour
tisée Ilog (Intelligence logicielle).
thématique a finalement été rete-
nes aux laminoirs à la fin des
ment liés.
qu’il puisse être porté sur une
A la fin de l’année, il ne nous man-
© INRIA
grande variété de stations de tra-
quait plus que la signature du
vail. Nous l’avons baptisé « Le-
ministre de l’éducation nationale,
Lisp ». Il a rapidement été utilisé à
Alain Devaquet. Sa démission,
Rocquencourt dans le projet de
suite à la mort de l’étudiant Malik
conception de circuits intégrés
Oussekine, a retardé notre lance-
VLSI de Jean Vuillemin, dans les
ment de quelques mois, jusqu’au
outils d’aide à la programmation
7 avril 1987. Ilog s’est ensuite
du projet Croap de Gilles Kahn,
développé très vite. Le mois der-
dans les premières versions du
nier, Pierre Haren, toujours à la
langage Caml développé par
tête d’Ilog a même eu l’honneur
Gérard Huet et sur beaucoup de
de sonner la cloche du Nasdaq à
sites de l’INRIA, en particulier
New-York pour le vingtième anni-
dans le projet sur les systèmes à
versaire de l’entreprise et le
base de connaissances (Smeci)
dixième anniversaire de son intro-
dirigé par Pierre Haren à Sophia
duction au Nasdaq.
de
accueilli
■ I. B.
Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard,
C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en
page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran
et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Isabelle Bellin, Sabah Khalfa.
© INRIA / Photo J. Wallace
vivant. Il faut travailler sur le cal-
■ S.K.
Jérôme Chailloux et Jean-Marie Hullot testent sur l’ordinateur Lisa d’Apple la version de Le-Lisp portée par la société
ACT Informatique (1985). J.-M. Hullot a créé par ailleurs le
programme SOS Interface, écrit en Lisp. Les droits sur ce
logiciel ont été rachetés en 1987 par la société NeXT
Computer pour laquelle J.-M. Hullot travaillera ensuite et
créera notamment Interface Builder.

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