Code Source 1978-1987
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No 12 26 mars 2007 ANNÉE 1978 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA La renommée de l’IRIA s’étend Le 13 décembre 1978 – C’est aujourd’hui que prend fin dans la bonne humeur le colloque international sur les méthodes numériques qui s’est tenu cette année exceptionnellement à Rocquencourt. Dans les allées des exbaraquements de l’OTAN, on entend à nouveau parler des langues diverses comme aux plus belles heures du SHAPE, avec une grande différence cependant : les échanges avec les pays communistes sont importants. En effet, depuis le voyage du général de Gaulle en URSS, les chercheurs de l’IRIA ont pu mettre en place des relations régulières avec les mathématiciens soviétiques ou d’Europe de l’Est dont la réputation déborde les frontières. Les deux communautés scientifiques partagent certaines façons de faire, une commune chaleur et une passion partagée des algorithmes. C’est donc en nombre que les cher- © INRIA de Chicago à Novossibirsk ! Le célèbre mathématicien russe Guri Marchuk a assisté au colloque sur les perspectives de la recherche en automatique et informatique qui s’est déroulé les 7 et 8 juin 1978 à l’Unesco (Paris) à l’occasion du 10e anniversaire de l’IRIA. À sa droite, on voit Pierre Népomiastchy. cheurs de l’IRIA se rendent à Novossibirsk dans le cadre de la coopération franco-soviétique en informatique. Cette lointaine ville de Sibérie, située sur le trajet du trans-sibérien, dépasse le million d’habitants mais possède surtout une université, fondée en 1959, dont la réputation en mathématiques est devenue internationale. De grands savants comme le professeur Guri Marchuk ou ©INRIA SPARTACUS, le pionnier de la robotique Le MAT-1 développé par le CEA dans le cadre de Spartacus. D epuis la fin de l’année 1975, l’IRIA a piloté SPARTACUS, cet ambitieux programme de recherche qui devait mettre au point un dispositif (orthèse) permettant aux tétraplégiques de recouvrer une certaine autonomie. L’INSERM, le CNRS et le CEA se sont associés à cette initiative qui regroupait plus d’une dizaine de partenaires scientifiques. Trois ans plus tard, un peu plus de cinq millions de francs ont été engagés et le bilan de cette opération s’avère mitigé. Les chercheurs ont exploré des options très innovantes pour piloter le bras manipulateur : la SAGEM et l’IRISA ont développé des techniques infrarouges pour les capteurs de proximité alors que le LAAS explorait les possibilités offertes par les ultrasons. Des avancées très significatives ont également été réalisées en matière de détermination de la position d’un objet grâce à l’emploi de capteurs de vision globale. Plus étonnant encore, la réalisation d’une peau artificielle pour la pince et des avancées notables dans le domaine du retour sur effort laissent entrevoir de réelles potentialités dans un domaine encore très peu développé. L’interface entre l’utilisateur et l’ap- pareil a également donné lieu à la conception de prototypes extrêmement innovants fondés sur l’utilisation du souffle ou de la succion. Un système recevant les mouvements de la glotte et les convertissant en un signal électrique a même été testé. Il permet à l’utilisateur d’agir sur le bras mécanique grâce à un ordinateur capable d’interpréter ses ordres. « Le robot “sensible” viendra à l’aide des grands handicapés » titraient nos confrères de France Soir au début de l’année 1976. Mais le système est trop cher, trop lourd et trop volumineux pour être opérationnel. Le robot peut toutefois être déjà utilisé dans d’autres domaines, à commencer par l’industrie où encombrement et coûts sont des paramètres moins cruciaux. ■ AB & PG encore Sergei Sobolev et Nicolay Nicolayevich Yanenko font la gloire de ce que l’on peut appeler l’école sibérienne. Depuis le milieu des années 1970, l’idée d’une coopération internationale centrée sur l’Europe se fait jour et l’IRIA se rapproche des chercheurs ouestallemands – en dépit de l’échec encore frais d’UNIDATA –, des Italiens et même des Britanniques dont l’entrée dans le Marché Commun a dû attendre la disparition du général de Gaulle. Les Japonais, qui misent sur l’informatique appliquée, sont aussi de plus en plus souvent invités. Quant aux pays en voie de développement, ils ne sont pas oubliés même si, ici, la coopération s’exprime différemment. Dans un monde qui reste divisé, il n’est pas faux d’affirmer que la recherche internationale dessine les alliances de demain, en éclaireur. ■ AB & PG Et pendant ce temps là... Naufrage de l’Amoco Cadiz dans le NordFinistère – Naissance de Louise Brown, le premier bébé éprouvette, à Cambridge – Signature des accords de Camp David entre Israël et l’Égypte – Mort du chanteur et compositeur belge Jacques Brel – Première édition du Paris-Dakar – Le film de Patrice Leconte « Les Bronzés » sort en salle – Première diffusion en France du dessin animé Goldorak. L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA « Au mois de mai, les chercheurs du Laboria allaient en Sibérie » (no 12 – 26 mars 2007) « J’ai passé des nuits entières à travailler sur Spartacus » par Georges Nissen ancien directeur des relations internationales de l’INRIA. par Bernard Espiau datait d’une mission officielle en d’informatique et de mathémati- Russie en 1964 au cours de ques appliquées. Pierre Nepo- laquelle les deux hommes sympa- miastchy en a été le directeur et thisèrent et se découvrirent des j’ai fait partie du conseil scientifi- nement. Je me souviens avoir intérêts communs. Dès 1966 Mar- que et du comité de gestion. Lors passé des nuits entières à travail- chuk et son équipe effectuèrent de nos collaborations avec les ler avec Pierre André qui venait de un voyage en France. J’étais un Russes, nous évitions de parler Besançon et qui faisait de la com- étudiant de Lions et, comme je des sujets militaires pour des rai- mande par glottométrie. À Ren- parlais le russe, j’étais son inter- sons évidentes. Il était question de nes, j’étais logé dans la Tour des prète. Par la suite, j’ai souvent sujets fondamentaux concernant Maths qui, comme son nom ne accompagné Lions lors de ses visi- des applications civiles de la l’indique pas, avait été occupée tes régulières en URSS, à Moscou mécanique des fluides, les calculs, par des chimistes ! Dans mon © INRIA - Photo A. Eidelman ou dans la cité scientifique d’Aka- la résolution des grands systèmes bureau, il y avait encore les pail- La coopération scientifique avec demgorodok, et, de façon plus ou l’étude de systèmes hiérarchi- lasses avec des robinets et d’au- les Russes s’inscrivait dans la poli- générale, je le représentais sou- sés. tique étrangère de la France qui vent en tant qu’adjoint. Contrastant avec le cadre formel J’ai quitté le service technique La commande référencée cap- visait l’équilibrage entre les super- Au mois de décembre, se tenait le des relations avec l’URSS, les informatique de l’IRIA à Rocquen- teurs sur laquelle j’ai travaillé a puissances. Pour l’IRIA, les rela- traditionnel colloque sur les échanges avec le reste du monde court en 1976 pour aller à l’Irisa été implantée sur un manipula- tions avec la Russie étaient avant méthodes numériques au Palais et en particulier les États-Unis se (Rennes) travailler dans le projet teur nucléaire MA23. Ensuite le tout l’histoire d’une rencontre des congrès de Versailles où nous sont développés de façon infor- Spartacus. Ce projet pilote venait prototype MAT1 a été réalisé par entre deux hommes : Jacques accueillions les équipes du centre melle. Vers le milieu des années d’être créé et était dirigé par un le CEA et a eu un grand retentisse- Louis Lions, qui dirigeait le Labo- de calcul et d’autres instituts de 1980, les directeurs de la NSF champion d’escrime, Jack Guittet. ment médiatique. Les perspecti- ria, et Guri Marchuk, le directeur recherche de Akademgorodok. En (National Science Foundation) et J’avais l’ambition de développer ves ouvertes par ce projet ont été du centre de calcul d’Akademgo- retour, au mois de mai, les cher- de l’INRIA – respectivement Eric une activité robotique : je voulais nombreuses. Spartacus a marqué rodok – l’équivalent du centre de cheurs du Laboria allaient en Bloch et Alain Bensoussan – se faire de l’automatique pour la le début de la recherche en robo- calcul en France, et également Sibérie. À partir de 1972, des sémi- sont entendus pour formaliser le robotique. Le sujet n’était pas tique au service des personnes centre de recherche – qui devint naires ont été régulièrement orga- réseau franco-américain devenu facile, c’était donc d’autant plus handicapées. Il a d’autre part faci- par la suite le ministre de la nisés et ces échanges aboutiront, très dense en finançant des intéressant ! lité la rencontre de personnes Science et Technique (GKNT) et au tout début des années 1990, à actions de recherche réunissant À l’époque, la robotique en était à venant d’horizons différents qui vice-premier ministre, puis prési- la création, dans les locaux de des équipes INRIA et des équipes ses débuts et on la considérait ont constitué la première com- dent de l’Académie des sciences l’université de Moscou, du labora- universitaires américaines. plutôt comme manufacturière, munauté robotique française. Par d’URSS. Leur première rencontre toire franco-russe A.M Liapunov ayant comme seule application ailleurs, la télé-opération a eu des l’automatisation des lignes de applications intéressantes dans production dans les usines. Dans le domaine du nucléaire, par ce contexte Spartacus était très exemple pour des manipulations novateur : c’était le premier projet en zones à hautes radiations. Le de robotique avec application CEA a beaucoup travaillé dans ce médicale. Spartacus était un robot domaine. d’assistance pour des personnes La communauté créée autour de tétraplégiques. Mon sujet de Spartacus a servi à la création recherche consistait à utiliser des ultérieure du projet ARA (Auto- capteurs infrarouges réalisés par matique et robotique avancées) la Sagem, implantés dans les lancé par Georges Giralt. L’activité doigts du robot, et à transmettre robotique à l’IRIA s’est amplifiée, l’information ainsi obtenue aux surtout à Rocquencourt. En ce qui commandes du robot. Ce dernier me concerne, la participation à était guidé dans des tâches de sai- ce projet a clairement influencé sie grâce à ces capteurs d’environ- toute ma carrière. ■ A.-M. M. © INRIA - Photo R. Lamoureux tres matériels de chimie. ■ J. G. Le robot MA23 a été conçu par Jean Vertut et réalisé par le CEA. Trois capteurs de proximité infrarouge à fibres optiques (réalisation Sagem) ont été intégrés sur une pince bidigitale et utilisés dans la commande référencée capteurs du robot pour la saisie automatique d'objets. Une manipulation totalement automatique a été montée dans la vitrine d'un grand magasin parisien pour Noël 1977 ou 1978 (ci contre). Les commandes développées sur le MA23 ont ensuite été transférées sur le robot MAT1, longtemps utilisé à l'hôpital de Garches. Le MA23 développé par le CEA dans le cadre de Spartacus © Michel Parent directeur scientifique adjoint de la direction du développement technologique LE SAVIEZ-VOUS? La Sems annonce le Mitra 15 – Le rapport Nora-Minc sur l’informatisation de la société française est publié – La société Transpac est créée – Apple présente son premier lecteur de disquette à Las Vegas – Intel lance la production de son processeur 16 bits 8086. Il est composé de 29000 transistors en technologie 3 microns et peut accéder 1 Mo de Ram. Sa puissance est de 0.33 MIPS et il coûte 360 $. Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), J. Gramage et A.-M. Militan. No 13 2 avril 2007 ANNÉE 1979 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA Le 20 novembre 1979 – Les bouleversements du secteur de l’industrie informatique menacent désormais directement l’IRIA. Certes, un certain nombre de déclarations semblaient l’an dernier rassurantes quant à l’avenir de l’institut. Mais en réalité des dysfonctionnements continus perturbent, pour ne pas dire paralysent, l’essor de l’IRIA malgré la réforme de 1972. Il serait long de pointer les multiples causes qui ont débouché à la fois sur l’inquiétude des personnels et sur des formes de désenchantement tant de la direction que des tutelles. On peut souligner toutefois que le statut administratif de l’institut ne lui permet pas d’avoir la souplesse et la réactivité nécessaires quand il s’agit d’ouvrir des voies nouvelles. Dans un tel contexte, certains pensent qu’une nouvelle réforme ne serait pas suffisante et qu’une solution plus radicale s’impose. De ce point de vue, la création, l’année dernière, de l’Agence pour le développement des applications de l’informatique pourrait bien être le signe que le gouvernement du Président Valéry Giscard Photo ©INRIA Des menaces persistantes pèsent sur l’IRIA Le personnel de l’IRIA s’est mis en grève ce 20 novembre à l’appel des syndicats SNTRS-CGT, SGEN-CFDT et SNCS-FEN. d’Estaing ne regarde plus l’IRIA avec le même œil. Faut-il alors évoquer un démembrement ? Avec le peu d’informations dont nous disposons, les craintes les plus diverses s’expriment aujourd’hui par la voix des syndicats qui sont unis devant cette menace persistante de démantèlement. Ils parlent d’éclatement et s’inquiètent tout particulièrement du sort du Laboria. Le 16 mai dernier, le journal « Le Monde », qui passe pour généralement bien informé, précisait que le Laboria serait décentralisé vraisemblablement à Rennes ou à Valbonne, dans les Alpes-Maritimes, où il est question de développer un centre de technologies de pointe. Deux jours plus tard, dans « l’Éclair du centre », Michel Durafour posait la candidature de Saint-Étienne pour l’implantation de l’IRIA. À l’automne, la presse annonçait que le CNRS allait désormais accueillir une partie des fonctions de l’IRIA. La fin de l’année approchant, les rumeurs se font plus précises. L’informatisation de la société reste d’actualité mais l’IRIA serait réformé. Un nom a déjà été avancé pour la direction de la nouvelle structure et ferait l’unanimité dans les sphères dirigeantes. Les fonctions de l’institut seraient partagées avec l’Agence nouvellement créée, qui s’appelle désormais l’Agence de l’informatique. Certains spécialistes font savoir que, dans ces conditions, ils préféreraient poursuivre leurs recherches hors de France. La nouvelle de la suppression imminente de l’IRIA inquiète le personnel d’autant qu’aucune explication n’a été fournie sur le partage des rôles entre l’Agence de l’informatique et le successeur de l’institut. Bien que perceptible, l’angoisse reste teintée de la volonté de réussir un nouveau départ. ■ AB & PG Une décentralisation de l’IRIA à Rennes ? ’IRIA sera-t-il délocalisé à Rennes ? C’est l’une des possibilités évoquées actuellement avec Nice et Grenoble qui présentent également des atouts importants. Mais le développement de la Bretagne est une priorité depuis les années 1950 et l’IRIA a contribué depuis près de 10 ans au développement de l’informatique dans cette région. En particulier, il a réussi, avec l’université et le CNRS, à créer l’Institut de recherche sur l’informatique et les systèmes aléatoires (IRISA) en 1975. L’installation d’un pôle consacré à la recherche en informatique et en automatique qui absorberait DR L l’IRIA ne serait que la poursuite et l’accélération des moyens dont Rennes bénéficie ou va bénéficier : l’université, bien entendu, l’Institut national des sciences appliquées, l’École supérieure d’électricité, le Centre commun d’études de télédiffusion et de télécommunication et le Centre électronique de l’armement. Aujourd’hui, le succès est patent puisque la Bretagne se classe en quatrième position pour la recherche en informatique et en automatique, presque à égalité avec MidiPyrénées et proche de Rhône-Alpes. Elle possède donc ■ AB & PG tous les atouts pour accueillir l’IRIA. Et pendant ce temps là... Le Conseil Européen décide de créer un système monétaire européen baptisé Ecu – Le premier restaurant Mc Donald’s ouvre en France – Mère Thérésa reçoit le prix Nobel de la Paix – La première fusée Ariane est réalisée – Saint Gobain rachète la participation de la CGE dans la CII. L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA « Le protocole d’accord avait l’avantage d’être à peu près vide » (no 13 – 2 avril 2007) « L’institut existera-t-il après les fêtes de Noël ? » par Jean-Yves Violle, ancien secrétaire général de l’Irisa par Danièle Steer, secrétaire de la section INRIA du syndicat SNTRS/CGT © INRIA - Photo A. Eidelman ration menée conjointement avec Le premier travail que me le CNRS, l’université de Rennes 1 demanda le comité de direction et l’Insa de Rennes aboutit néan- devant lequel le directeur de agents. Le personnel du Laboria moins à la création d’un labora- l’Irisa était responsable fut de qui s’était fortement opposé à toire universitaire associé au rédiger un protocole d’accord quitter Rocquencourt ne savait CNRS (LA 227) et soutenu par concrétisant la volonté des quatre pas de quoi l’avenir serait fait. À la l’IRIA qui mettait à sa disposition établissements partenaires d’œu- veille des fêtes de Noël et des cinq des personnels de recherche et vrer à l’existence et au bon fonc- jours de congés octroyés à cette des crédits. tionnement de l’Irisa. Ce proto- occasion, aucune décision offi- Ce laboratoire prit le nom d’Irisa cole, qui fut rédigé sur les cielle n’était parue et nous guet- et je fus mis à la disposition de directives du Président de l’INRIA tions chaque numéro du Journal son directeur Michel Métivier et avec la collaboration d’Anne- Officiel avec une inquiétude gran- sous le titre pompeux de secré- Marie Laroche du service juridi- dissante. Nous sommes tous par- Avant de rejoindre Rennes, je tra- taire général à partir du 1er sep- que de l’institut, avait l’avantage tis avec en tête la question : « L’ins- vaillais au service administratif de tembre 1974. Concrètement, je d’être à peu près vide. Dans son titut existera-t-il après les fêtes de Rocquencourt en qualité de chef m’occupais de la gestion des cré- article premier, les signataires du personnel. Dès 1969, alors dits, de la rédaction des contrats s’engageaient « à maintenir les À la fin des années 1970, la Délé- créé par décret le 27 décembre qu’il était question de vagues pro- de recherche, du suivi des per- moyens mis à la disposition de gation à l’aménagement du terri- 1979, sans création d’emplois et jets de création d’un laboratoire à sonnels – notamment des per- l’Irisa » et – plus important –il toire et à l’action régionale plus d’un an après l’annonce de la Rennes – on parlait à l’époque de sonnels rémunérés sur contrats était mentionné que la direction (DATAR) ne voulait plus créer réorganisation de l’IRIA et de la décentraliser l’IRIA –, j’avais indi- de recherche – et du suivi des mis- de l’Irisa était assurée par un d’emplois en région parisienne ; le décentralisation du Laboria et du qué à Alain Serieyx (alors secré- sions, sans oublier l’interface directeur nommé par le comité Laboria était bloqué à 80 postes. centre de calcul. Restait la ques- taire général de l’IRIA) que j’étais avec les services administratifs de de direction de l’Irisa. L’Irisa fonc- Dès l’été 1978 se répandirent des tion des personnels : pour les intéressé par cette perspective. Le l’IRIA, du CNRS et de l’université tionna pendant près de 15 ans en bruits sur la volonté de la DATAR chercheurs, dont le statut était projet initial tourna court devant de Rennes 1. Ma tâche fut facilitée se fondant sur un protocole d’ac- de délocaliser le centre de calcul précaire, comme pour les ITA, il l’impossibilité pour le ministère par la confiance que m’accordè- cord d’une très grande souplesse. et le Laboria à Sophia Antipolis n’y avait aucune garantie que la de tutelle de s’engager financiè- rent par la suite le président de Comme l’avait dit Bonaparte, pour y créer une Silicon Valley à la décentralisation ou le refus d’aller rement pour les dépenses de l’IRIA (INRIA à partir de 1980), « une bonne constitution doit être française et de transférer les acti- à l’Agence n’entraîneraient pas le fonctionnement induites par Jacques-Louis Lions, et son secré- courte et obscure » vités du Sesori à la nouvelle licenciement. Notre action a porté cette décentralisation. Une opé- taire général, Vincent George. Agence de l’informatique. La nou- sur la dévolution des emplois velle ne fut officielle qu’en entre l’Agence et l’INRIA ; nous février 1979. Je me souviens qu’il avons défendu ceux qui ne vou- « Les ordinateurs sont comme les Dieux de l’Ancien Testament : beaucoup de règles et aucune pitié » n’a cependant jamais été envisagé laient pas aller à l’Agence. de consulter le personnel alors Grâce à l’action conjointe des per- que nous nous battions déjà pour sonnels et des organisations syn- plus de démocratie au sein de dicales ainsi à celle du professeur l’institut. Lions, l’INRIA est resté à Roc- Joseph Campbell, mythologiste américain. Si les décrets de création de quencourt. In fine, la décentrali- l’Agence et de suppression de sation s’est traduite par la créa- l’IRIA étaient parus, la création de tion d’une unité de recherche à l’INRIA ne faisait que l’objet d’an- Sophia-Antipolis. Nous avons nonces. Il semblait y avoir des dif- obtenu que les départs se fassent ficultés pour définir le statut du sur la base du volontariat avec des nouvel institut et celui de ses indemnités conséquentes. ■ J. P. ■ C. S. © INRIA - Photo J.-M. Ramès Noël ? ». L’INRIA a finalement été LE SAVIEZ-VOUS? CII-HB sort le DPS 7 — Sony lance le walkman — Philips, Sony et Hitachi sortent le CD audio — Début de la radiotéléphonie cellulaire — Sortie du jeu Space Invaders de Toshihiro Nishikado chez Taito — Premier SPAM envoyé sur Arpanet à plus de 400 personnes par un res© Photo France Telecom ponsable marketing de Digital Equipement Corporation. SPAM (en français pourriel — contraction de poubelle et de courriel) fait référence à un sketch des Monty Python et vient de la marque américaine du même La naissance du Minitel En France, la Direction Générale des Télécommunications lance une expérience à grande échelle de son terminal télématique Minitel à Vélizy, Versailles et Val de Bièvre. nom (Shoulder of Pork and hAM) qui vend de la viande en conserve bon marché. Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), J. Paul et C. Sortais. No 14 10 avril 2007 ANNÉE 1980 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA Dès sa naissance l’INRIA fait face à de grands défis Le 10 avril 1980 – Moins de quatre mois après le décret de création de l’INRIA le 27 décembre dernier, où en est le nouvel institut d’informatique et d’automatique ? Même si son statut d’établissement administratif rompt avec le passé, l’INRIA doit continuer de tendre vers les applications industrielles de la science et de la technique et assurer une large diffusion du savoir et du savoir-faire de l’institut. Son président, JacquesLouis Lions a ainsi affirmé que les contrats favorisent la connaissance des besoins des industriels tout en faisant progresser la science fondamentale. De nombreuses questions restent cependant en suspens. Le premier défi à relever est de réussir la décentralisation. L’établissement © INRIA L’IRIA ajoute un N à son nom, et inaugure un nouveau logo dont la légende dit qu’il fut conçu par Jacques-Louis Lions lui-même. d’une unité à Sophia Antipolis pourrait ouvrir la voie à de nouvelles implantations régionales, ce qui serait dans la logique d’un institut d’envergure nationale. Ensuite, il s’agit de convaincre les tutelles que l’institut a besoin de ressources suffisantes et surtout d’une certaine continuité dans les moyens. Trop souvent par le passé des budgets maigres ou de rattrapage se sont succédé et ont ralenti la croissance légitime de l’IRIA. Il faut aussi se poser la question de l’évolution des formes de coopération avec le monde extérieur. Certains parlent de filiales, d’autres espèrent que la législation ouvrira la voie de l’entreprise aux instituts publics. Enfin, les syndicats, fortement émus par les derniers événements, attendent du nouveau président un dialogue concret pour ne pas avoir l’impression de subir des décisions venues d’un ministère ou d’un cabinet. Des chantiers complexes et quelquefois redoutables mais l’histoire récente du défunt IRIA montre que la ressource humaine existe et qu’elle se plaît aux grands défis. ■ AB & PG © INRIA Jacques-Louis Lions, l’homme de la situation L’ avenir de l’INRIA repose très largement sur les épaules de son premier Président-directeur général Jacques-Louis Lions. Nommé pour trois ans, JacquesLouis Lions apparaît tout à la fois comme le président du renouveau et l’homme de la continuité. La grève des 7 et 8 janvier dernier aurait pourtant pu placer ce nouveau départ sous de bien mauvais auspices. L’énergie et le charisme du grand mathématicien ont très largement contribué à surmonter ces difficultés. Le cap est en effet fixé très clairement avec pour priorité l’excellence scientifique et le transfert de technologie. Jacques-Louis Lions a précisé sa doctrine lors du récent conseil scientifique du mois de mars. « Les projets de recherches seront extrêmement souples, laissant à chacun une très grande initiative individuelle, aucune idée ne sera jamais refusée au départ, mais soumise à un examen collectif, afin d’en vérifier et d’en approfondir l’intérêt. » Au-delà de l’homme c’est en effet un collectif qui monte en ligne. Jacques-Louis Lions s’appuie sur un premier cercle de disciples surnommés les Lionceaux mais il sait également pouvoir compter sur une génération de chercheurs qu’il a choisis et qui ont désormais l’expérience et la surface internationale nécessaires pour donner à l’institut les cadres indispensables. Organisa- teur, Jacques-Louis Lions est également un homme de communication. Fort de son expérience à la tête du Laboria, il entend bien rassurer les autorités extérieures – qui comprennent avec quelques difficultés la nature exacte des recherches menées à l’INRIA – tout en préservant en interne les équilibres entre spécialités, localisations et communautés de recherche. Académicien des sciences, professeur au Collège de France, secrétaire de l’Union mathématique internationale, Jacques-Louis Lions a fait des mathématiques appliquées une discipline respectée dans l’université et courtisée au-dehors. Il n’en est pas moins resté accessible. En renvoyant dos-à-dos, comme il l’a toujours fait, les fanatiques de l’art pour l’art et les inconditionnels de l’utilitaire, il entend faire de l’INRIA une institution de recherche de premier rang, inscrite dans son siècle. Sa stature apparaît donc comme l’un des atouts majeurs de l’INRIA au point que certains s’interrogent : le pouvoir politique aurait-t-il donné cette nouvelle chance à l’institut sans l’énergie et la caution intellectuelle de celui qui en prend cette année les rênes ? ■ AB & PG Et pendant ce temps là... Marguerite Yourcenar est la première femme élue à l’Académie française – Éruption du Mont Saint-Hélens aux États-Unis – Lancement de la première chaîne d’information en continu CNN – L’Irak envahit l’Iran – En France, le comique Coluche est candidat à la présidentielle – John Lennon est assassiné à New York. L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 14 – 10 avril 2007) « Tout le monde défilait à Rocquencourt Jacques-Louis Lions m’a pour voir le buroviseur » dit « une page se tourne » par Najah Naffah, par Antoinette Theis, ancien responsable du projet Kayak ancienne secrétaire de Jacques-Louis Lions. © Najah Naffah tute et au laboratoire de Xerox. évoluée, de la reconnaissance et Nous avons d’emblée été inspirés synthèse vocale, d’une connexion les groupes de recherche de Gre- par l’ordinateur personnel inter- en réseau local, d’un traitement noble, de Toulouse et de la Lor- actif Alto, développé par Xerox de texte, d’un écran graphique et raine. Mais le cœur de l’INR1A sous la direction d’Alan Kay et d’un éditeur comparable à l’ac- était maintenu à Rocquencourt, dédié à la programmation. En tuel Powerpoint (mais avec 15 ans préservant ainsi le savoir-faire rentrant, j’ai lancé Kayak qui a d’avance). Universitaires, étu- patiemment élaboré depuis tant rapidement mobilisé une quaran- diants et délégations étrangères d’années et le réseau de relations taine de chercheurs (dont une défilaient à Rocquencourt pour le avec les grands organismes et les dizaine sur postes IRIA). Nous voir et le tester. Malheureusement autorités de tutelle. avons conçu le buroviseur en six les tentatives d’industrialisation Pragmatique autant que vision- mois, avec un processeur Intel de n’ont pas abouti : le marché n’était © INRIA - Photo A. Eidelman Aujourd’hui, quoi de plus com- 8 bits et des mémoires et cartes pas prêt à adopter une solution Je suis arrivée en 1971 pour être l’organigramme de 1’INRIA, me mun qu’un PC multimédia ? C’est banalisées. Nous y avons ajouté le aussi évoluée ! Bull, qui était au secrétaire de J.-L. Lions et je l’ai dit aussitôt « Dessinez-moi un en quelque sorte ce que nous traitement de la voix et des appli- conseil d’administration de l’IRIA, accompagné durant la majeure camembert », montrant ainsi son avons inventé au début des cations bureautiques interactives. a décidé d’exploiter notre savoir- partie de sa carrière. En 1979, en souhait de définir une direction années 1980 avec notre « burovi- En le voyant, Alan Kay et ses collè- faire. J’ai rejoint le groupe avec pleine turbulence de décentrali- collégiale dans le droit-fil de ce seur », dans le cadre du projet gues ont été bluffés. Professeurs et une grande partie de mon équipe sation, de nombreuses rumeurs qui était déjà la méthode Lions : pilote Kayak. L’histoire remonte à chercheurs américains et cana- et nous avons pu faire aboutir plu- circulaient sur l’avenir de l’insti- déléguer, faire confiance en susci- 1978, quand nous avons réfléchi diens sont vite devenus des visi- sieurs projets industriels comme tut, notamment sur le sort du tant chez chacun le meilleur de avec Louis Pouzin – l’homme du teurs permanents de l’IRIA et des ImageWorks et FlowPath mais volet « recherche » qu’il était ques- ses possibilités, faire circuler l’in- réseau Cyclades – à ce que serait centres de recherche français. aucune solution complète grand tion de rattacher au CNRS et formation, écouter puis décider un terminal de bureautique Une thèse du MIT a même été public. Seuls quelques burovi- d’installer en province. Ne tari- en ponctuant d’un « ne perdons moderne adapté aux besoins menée dans notre équipe. En 1981 seurs ont été distribués aux uni- rait-on pas les échanges privilé- pas de temps ! ». Et cela toujours d’une secrétaire ou d’un cadre. nous avons fait un véritable show versités, et des grands comptes giés avec le tissu universitaire, avec enthousiasme, droiture, Rien de ce genre n’existait en devant 800 personnes et la presse : comme le ministère des finances industriel et scientifique desquels modestie et avec le souci très vif France mais nous sommes allés le buroviseur disposait d’un écran s’en sont inspirés pour bâtir leurs le Laboria tirait sa substance, sa de contribuer à un rayonnement : voir les développements en cours à plusieurs fenêtres, d’une souris modèles de bureautique. Dom- raison d’être et sa notoriété ? « c’est bon pour la science et c’est aux États-Unis et puiser des idées à trois touches fonctions, d’une mage tout de même que l’on n’ait La création envisagée d’un nou- bon pour la France ». Où s’instal- au MIT, au Stanford research insti- interface homme-machine très pas plus breveté ! ■ I. B. veau pôle « high-tech » à Sophia- ler ? Autre question dont le sym- Antipolis, fut une occasion extra- bolisme ne lui échappa pas. Le ordinaire une choix se porta finalement sur les décentralisation et de créer I’IN- bâtiments du centre de calcul qui RIA dans une perspective hardie lui permettaient de quitter ceux et habile de vocation nationale. de la recherche sans pour autant En effet, J.-L. Lions, nommé pré- intégrer ceux de l’ancienne direc- sident du nouvel institut en 1980, tion. Le jour de la transition, il y associait dans un même orga- avait à peine une dizaine de nisme l’Irisa de Rennes, sous la mètres à parcourir, du bâtiment houlette de J.-P. Verjus, et le nou- 16 au 8, et aussi une nouvelle voie veau centre de Sophia-Antipolis, où s’engager, peut-être semée confié à P. Bernhard et dont les d’embûches. D’une voix rendue plans déployés sur la table de mon sourde par l’émotion, J.-L. Lions bureau furent discutés et réalisés me dit alors « une page se en un temps record. S’y ajoutaient tourne ». © Photo INRIA Le buroviseur © INRIA - Photo Studio 9 naire, J.-L. Lions, réfléchissant à de justifier ■ J. G. LE SAVIEZ-VOUS? Inauguration par le parlement européen du réseau public Euronet — Pacman envahit les bornes arcades — L’industrie s’empare de la technologie de la mémoire flash pour conserver sans alimentation les données utilisées par les systèmes intelligents embarqués dans les avions ou les voitures — IBM (international business machines) lance le pre- « En 1980, près de six millions de personnes étaient concernées en France par le travail de bureau, soit 950 000 secrétaires et dactylos, 1 650 000 cadres administratifs et 3 000 000 d’employés de bureau. Cette population met en circulation 250 milliards de pages par an, émet et reçoit 10 milliards d’appels téléphoniques. Comment, avec l’aide de l’informatique, pourra-t-on à terme simplifier ces activités ? La réponse s’appelle bureautique, c’està-dire l’automatisation des fonctions d’information et de communication. » Dossier Le bureau de demain, La Recherche, no 136, 1982. mier micro-ordinateur grand public baptisé IBM PC (personal computer). Il est commercialisé avec le système d’exploitation MS-DOS de Microsoft ; il est doté de 16 à 64 Ko de mémoire vive et fonctionne avec un processeur 8088 Intel. Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), I. Belin et J. Gramage. No 15 16 avril 2007 ANNÉE 1981 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA Questions sociales récurrentes à l’INRIA Le 11 mai 1981 — L’élection de François Mitterrand saura-t-elle apaiser le climat social délétère régnant à l’INRIA ? Après la grève du 20 novembre 1979 liée à la disparition de l’IRIA, puis celle des 7 et 8 janvier 1980 à propos de la séparation des biens entre le nouvel INRIA et l’Agence pour l’informatique, c’est aujourd’hui le sort des personnels hors-statuts qui inquiètent les personnels de l’INRIA ainsi que des problèmes d’avancement de carrière, de revalorisations de salaire, de primes, etc. Pour lutter contre l’inflation, le gouvernement a mené durant les années 1970 une politique de défense du franc et de gel des salaires qui a irrité de nombreuses catégories sociales. Un certain nombre de fois le « pot » de la direction pour la nouvelle année a été boycotté en faveur du « pot » des syndicats. Nombre de ces revendications sont d’ailleurs communes à l’ensem- © Ina ble des organismes de recherche avec, en tête, le CNRS qui représente les bataillons les plus importants de chercheurs et ITA, suivi de l’INRA et de l’INSERM. Mais elles sont exacerbées à l’INRIA par les incertitudes et les craintes associées à la naissance du nouvel institut. Le personnel administratif attend des recrutements et des revalorisations tandis que les chercheurs réclament des ouvertures de poste et la fin des blocages statutaires. Il est à noter également que pendant les années 1970, la discrimination Voluceau : la destination de curieux touristes étrangers... W © P here is the Hut ? Telle pourrait avec le désir d’explorer de nouveaux être la question posée par un territoires. improbable touriste britannique se Gilles Kahn et Gérard Huet furent présentant pour visiter Voluceau. Au sein des constructions anonymes t ue héritées de la rationalité américq Ja pe ilip h caine, le bâtiment 8 est en effet devenu un lieu quasi mythique pour un nombre croissant d’informaticiens à travers le monde. Les anglosaxons l’ont baptisé la « hutte ». L’identité du lieu s’affirme en fait à travers ses occupants, un groupe de chercheurs – que d’aucuns comparent à une tribu d’irréductibles gaulois – qui s’est formé il y a quelques années sous la protection bienveillante de ainsi à l’origine du premier projet Jacques-Louis Lions soucieux de dirigé par cette nouvelle génération. faciliter l’émergence de thématiques Sur les pas de Dana Scott, père de réellement neuves en informatique. la sémantique des langages de proIl fit ainsi confiance à de jeunes doc- grammation, l’IRIA, maintenant teurs ayant soutenu leur thèse aux INRIA, est devenue dans leur sillage États-Unis et revenant en France l’une des rares institutions mondiales à s’engager de manière consistante dans le domaine du Lambda Calcul. Jean Vuillemin, Philippe Flajolet et Jean-Jacques Lévy ont réalisé en une dizaine d’années des avancées décisives dans le domaine des langages de programmation. Ces réussites n’ont pas changé l’état d’esprit d’un lieu où les sympathies dépassent largement le cadre professionnel et où les échanges internationaux sont plus que jamais privilégiés. Profitant de la fusion entre CII et Honeywell-Bull, Gilles Kahn a obtenu l’attribution d’une machine américaine le GE 645 de General Electric. Faute des VAX dont ils rêvent, les hommes du Bâtiment 8 s’adonnent grâce à elle à une nouvelle forme de communication aux formes curieuses et à l’avenir incertain : le « courrier électronique ». ■ AB & PG de salaires entre hommes et femmes, en particulier pour le personnel administratif le moins qualifié, est régulièrement dénoncée. L’association qui gère les œuvres sociales (comme le restaurant) figure également parmi les revendications du personnel car il est souhaité qu’elle soit aidée et encouragée. Toutefois, la nécessaire mobilité des personnels dans un secteur de pointe suppose que des solutions originales soient trouvées avec les représentants du personnel pour ne pas figer la situation. Établissement de taille moyenne, encore peu dispersé d’un point de vue régional, l’INRIA bénéficie néanmoins d’un président apte au dialogue social. Les premiers résultats sont encourageants et l’atmosphère devient d’autant moins lourde que le nouveau gouvernement souhaite apporter une solution définitive à la question récurrente de l’avenir des hors-statuts. ■ AB & PG Et pendant ce temps là... François Mitterrand est élu président de la république française – La série américaine Dallas arrive sur les écrans français – Mort du plus grand chanteur de reggae jamaïcain Bob Marley – Les premiers cas de SIDA sont déclarés – Mariage du Prince Charles et de Lady Diana – Lancement de la premiere chaîne musicale MTV – Les députés français votent le projet de loi de Robert Badinter abolissant la peine de mort – Mise en circulation du premier Train à Grande Vitesse (TGV). L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 15 – 16 avril 2007) « Nous nous éloignions « Retranscrire les brouillons inconsciemment du service des chercheurs relevait des perforatrices » de méthodes extra-terrestres ! » par Thierry Despeyroux, par Martine Verneuille, projet Axis, INRIA Rocquencourt assistante des projets Mathfi et Sosso2 © Najah Naffah Versaillaise mais encore insensi- que, ou semi-électrique, un peu vail est toujours restée très agréa- taux intolérables aujourd’hui, ble au charme de l’IRIA, je me pré- mutante puisqu’elle disposait de ble avec mes collègues, Martine nous avions pour mission de faci- sente en décembre 1978 dans le petits Cornélis, liter le travail des programmeurs. bureau de Monsieur Le symbole de ces recherches était Guannel le programme Mentor développé poste de secrétaire. Il équipes de recherche sur l’Iris 80 à partir de 1975. Écrit me propose d’occu- dont celle d’Alain Ben- en Pascal, il permettait d’optimi- per le poste d’assis- soussan, le métier a ser la manipulation des program- tante de projet au inexorablement suivi mes et d’en améliorer la visualisa- Laboria étant donné l’évolution tion. Ce faisant, ces recherches mes références en outils de travail. Des nous éloignaient tout doucement langue anglaise. Et machines IBM à boules des éditeurs ligne à ligne et, cela tombait bien ! Ce aux machines ETAP à inconsciemment, du service des poste m’offrait une mémoire et enfin aux perforatrices chargées, via le cour- nouvelle approche du Un heureux concours de circons- rier interne, de transmettre aux métier même si 99% tances m’a amené dans le bureau chercheurs leurs programmes de mon temps de travail restait situés près des ballets chargés de l’équipe devenaient de plus en de Gilles Kahn en 1980. Imposant transformés en cartes perforées... consacré à la frappe d’articles ou frapper la lettre sur le ruban plus indépendants. Notre activité et pédagogue, il m’a chaleureuse- Qu’il s’agisse des appels d’offre du de thèses. La frappe, dans l’uni- encreur. Ces emplacements nous était volée par la technologie et, ment accueilli et a commencé à département de la défense améri- vers de l’informatique, c’était permettaient d’insérer des bâton- en même temps, nous conduisait m’expliquer le travail qu’il souhai- caine (DOD) ou simplement des séduisant. Je découvrais un nets « Typit » affublés de π, de ζ ou à découvrir de nouvelles métho- tait me confier. Au bout de quel- jeux-concours que nous enga- monde avec des signes, des for- de Σ , qui à la place d’une lettre, des d’édition : le latex, le web, etc. ques minutes, il s’est interrompu gions par défi à la cafétéria, nous mules, des dessins, un ensemble allait frapper à leur tour le ruban. Bien qu’aujourd’hui l’idée d’avoir par un « ça ne peut pas continuer travaillions avec le même matériel de caractères extra-terrestres mais Si on y ajoute la manipulation des les doigts musclés pour taper un comme ça ! » et a poursuivi, en me et les mêmes courtes sessions sur très esthétiques. Seul bémol, repères du papier glacé permet- article semble insensée, un point tutoyant cette fois. L’échange a le système d’exploitation Multics ; retranscrire les brouillons des tant une bonne disposition des reste inchangé : celui de rester duré toute l’après-midi. il y en avait cinquante seulement chercheurs et les mettre en forme mots, notre travail ne se conten- plusieurs heures par jour assise J’ai donc démarré au sein de dans le monde. En repensant à relevait également de méthodes tait pas de retranscrire l’article du face à une machine, comme dés- l’équipe Croap où Gilles Kahn, cette époque, ce qui me semble le extra-terrestres ! Notre outil de chercheur mais il lui donnait réel- ormais tout le monde à l’INRIA. Bernard Lang et Véronique Don- plus incroyable est le décalage travail était une machine mécani- lement vie. Si l’ambiance de tra- zeau-Gouge travaillaient déjà qu’il y avait entre la qualité des depuis des années. Il y avait aussi idées que mes collègues chevron- Bertrand Mélèse et Elham Morcos, nés faisaient émerger et les faibles sans oublier les autres membres performances du matériel. À l’is- du célèbre bâtiment 8 : Jean-Jac- sue de ma thèse, l’expérimenta- ques Levy, Gérard Huet, Jean Vuil- teur né qu’était Gilles Kahn a lemin, Jean-Marie Hullot, Jérome amorcé la délocalisation du projet Chailloux, Philippe Flajolet... et Croap vers les cieux sophipolitains Lydia Paganini qui choyait tout ce avec toujours ce même objectif : petit monde. Dans une ambiance observer, comprendre le monde où défis et débats s’invitaient tous de l’informatique et l’aider à gran- les jours, dans des bureaux où la dir dans la bonne direction densité humaine atteignait des ■ V. C. © INRIA / Photo Véronique Debry pour un emplacements carrés, Chantal Delebarre, Claudine Lucas, Domi© INRIA / Photo Jonathan Dumont Les bâtonnets « Typit » dans leur coffret. nique Poulicet, et les de nos premiers Macintosh, les membres de ■ V. C. Nombre de machines connectées sur internet en 1981 : 213 « Je ne crois pas que ce soient les ordinateurs eux-mêmes qu’il faille redouter, mais bien plutôt la façon dont la culture digèrera leur présence » Les perforatrices de l’IRIA Service des perforatrices en 1971, de gauche à droite et de l'avant à l'arrière : Michèle Verrier, Maïté Augier, Françoise Richard, Marie-Thérèse Freret, Hortense Hammel ( ?), Suzanne Ferrand, Laure Martin (photo fournie par Laure Martin). Seymour Papert, MIT Lab, Jaillissement de l’esprit, 1981. « En 1970, l'IRIA comptait sept perforatrices qui tapaient les programmes - principalement en Fortran et en Cobol - sur des cartes perforées. Ces dernières étaient ensuite reprises par la vérificatrice qui retapait sans perforer le même programme afin de détecter des erreurs éventuelles. Les pupitreurs ajoutaient ensuite des commandes avec les cartes JOB et le tout était transmis aux chercheurs dans des grands bacs. À partir de 1975, des consoles ont été connectées directement sur l'ordinateur 10070 en time sharing et les cartes perforées ont progressivement disparu. Les perforatrices sont devenues pupitreur sur le mini réseau Cyclades ou techniciennes réseau sur Mitra et le Mini 6 ou bien assistantes de projet. » Laure Martin, INRIA Sophia-Antipolis LE SAVIEZ-VOUS? IBM (international business machines) lance le premier micro-ordinateur grand public baptisé IBM PC (personal computer) Xerox commercialise le Star 8010, une machine évoluée qui est dotée d'une interface entièrement graphique utilisant le copier-coller et les menus contextuels. Trop chère (17000 $) et trop en avance sur son temps, elle n'aura aucun succès commercial. Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), V. Coronini. ANNÉE 1982 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 16 - 23 AVRIL 2OO7 © INRIA / Photo A. Eidelman « Une forte représentation syndicale » La bibliothèque de Modulef permet, par exemple, de réaliser des simulations en aérodynamique externe, ici, une carte des pressions sur un véhicule. Modulef, un exemple à suivre pour la filière électronique ? Le 8 novembre 1982 – La montée en puissance du plan filière électronique relance le débat sur les formes de coopération entre recherche publique et recherche privée. Certains échecs spectaculaires et coûteux ont démontré par le passé que les projets les plus visibles et les plus ambitieux ne donnaient pas toujours toutes les garanties du succès et ponctionnaient, sans véritable retour sur investissement, les fonds publics. Modeste, pragmatique et performant, le club Modulef (Modules Éléments Finis) constitue à cet égard une sorte de contre modèle dont la pertinence semble plus que jamais d’actualité. Débuté au milieu des années 1970, ce sont aujourd’hui 75 équipes universitaires, dont certaines du MIT, et un grand nombre d’industriels qui contribuent à Modulef et tirent le meilleur parti de l’extraordinaire bibliothèque de logiciels dont ils peuvent ainsi disposer. Constitué à l’initiative du Laboria, le club réunit depuis 1975 un ensemble de laboratoires de pointe, tant universitaires qu’industriels, qui mettent en commun leurs compétences pour alimenter une bibliothèque de sous-programmes à usages multiples, utilisables sur toutes les machines. La méthode des éléments finis présente l’avantage d’être capable de traiter des problèmes à géométrie très complexe et de calculer des fonctions discontinues. Des partenaires venus d’horizons très différents ont rapidement été séduits par ce concept de club où chacun met ses avancées à la disposition des membres tout en profitant des recherches de tous. Dès 1976, le CEBTP, l’EDF, Thomson-CSF, l’Insa de Lyon, les universités de Paris VI, Jérusalem, Pavie, Montréal, se sont ainsi montrés très actifs, créant des modules qui contribuent à la richesse de la bibliothèque. Très rapidement, le succès de Modulef est devenu tel que le Laboria a dû mobiliser quatre personnes pour constituer une équipe de coor- dination gérant et optimisant la mise en commun des contributions des membres. Le principe coopératif respecte bien évidemment les droits des uns et des autres. Ainsi, si les logiciels sont à la disposition des membres à des fins de recherche, leur propriété reste de plein droit au membre ayant écrit le programme concerné. Depuis peu néanmoins, il est question de transférer les droits patrimoniaux des contributeurs à l’Inria afin d’en permettre la distribution libre et gratuite. Au fil des adhésions et des synergies, les domaines d’application se sont multipliés amenant la création de clubs orientés vers des domaines plus spécifiques. Moduleco pour la modélisation économique et Modulopt pour l’optimisation ont ainsi démarré en 1977. Il n’est pas interdit d’espérer qu’un tel exemple puisse inspirer les équipes de la rue de Grenelle à l’heure où le Gouvernement souhaite relancer la recherche industrielle dans les hautes technologies. ■ AB & PG Devant les grandes ques- André Lichnerowicz, une tions qui se posent ou se personnalité bien connue sont posées à l’institut ces de l’Inria, qui a joué un rôle dernières années, il est fré- essentiel dans son dévequent de voir les syndicats loppement. Le Syndicat de chercheurs s’unir pour national des travailleurs de faire front. Leur la recherche scienpremière tâche, et tifique (SNTRSnon des moinCGT) a longtemps dres, est d’eseu l’oreille des sayer de faire personnels technientendre la voix ques. Il faut de de l’institut face plus ajouter à ce Jérôme Jaffré, au CNRS qui a représentant du SNCS en 1982. tableau les syndifatalement plus cats généraux de de poids vu l’importance l’Éducation nationale de son personnel et dont (SGEN-CFDT) et le syndila préoccupation majeure cat national de l’enseigneactuelle se concentre sur ment supérieur (SNESUP). la question du statut de Les demandes syndicales rattachement pour ses comportent donc des chercheurs. Pourtant, en revendications générales dehors de l’unanimité sur mais aussi des attentes les questions fondamenta- spécifiques à l’institut. Toules, il existe bien une tefois, si la petite taille de variété de syndicats à l’In- l’Inria ne supprime pas les ria. De même que pour le conflits, elle rend les syndicalisme ouvrier, l’his- contacts plus simples avec toire récente du syndica- la direction. Une culture lisme des chercheurs n’est commune (mathématipas sans présenter des ques, projets) rapproche tensions et des reposition- les dirigeants de leur pernements. Parmi les plus sonnel d’autant plus que actifs on peut citer le l’on trouve aujourd’hui à la Syndicat national des tête de l’institut un cherchercheurs scientifiques cheur de renom qui a fait (SNCS) qui a vu le jour en une bonne partie de sa car1956 lors d’un congrès de rière à Rocquencourt. ■ AB & PG la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) et Et pendant ce temps là... Instauration en France de la semaine des 39 heures pour les salariés et généralisation de la cinquième semaine de congés payés – La guerre des Malouines qui oppose la Grande-Bretagne à l’Argentine s’achève après trois mois de conflits – Israël restitue le Sinaï à l’Égypte – Les premières machines d’imagerie du corps humain fonctionnant sur le principe de l’IRM sont mises en vente – Steven Spielberg présente son dernier film « E.T. », l’extra-terrestre. L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA « Nous avons créé une des premières start-up de l'INRIA » (no 16 – 23 avril 2007) « Il fallait préparer 100 bandes magnétiques pour la réunion annuelle » par Michel Gien, co-fondateur de Chorus Systems, Jaluna et VirtualLogix par Dominique Bégis, directeur adjoint de l'INRIA Rocquencourt © 2005 Stanley Rowin service et installé Unix sur des et j’étais responsable de la straté- machines françaises dont la gie technique. SM90, tout juste conçue au Cnet. Nous avons développé notre sys- Nous avons créé la culture Unix en tème d’exploitation pour des devenu en 1978 un projet de France et formé beaucoup d’ingé- super calculateurs (Cray, ICL, Uni- recherche dont j’ai assuré la direc- nieurs système. sys) et pour AT & T Unix System tion. Durant ces années, Danièle Parallèlement, nous travaillions Laboratories, l’inventeur d’Unix. Steer et Marina Vidrascu ont avec le projet de recherche Chorus Nous avons ensuite orienté notre connu les nuits courtes qui précé- lancé par Hubert Zimmermann activité vers le support des systè- daient les assemblées générales avec Jean-Serge Banino et Marc mes de télécommunication pour annuelles : il s’agissait de mettre Guillemont. Chorus visait à inven- des clients comme Alcatel, Nortel, au point la nouvelle version et de C’est avant tout une belle aven- ter un nouveau modèle de sys- Lucent, Nokia ou Fujitsu. Nous préparer la centaine de bandes ture humaine. D’ailleurs, malgré tème d’exploitation dit réparti, avons ensuite été rachetés par Sun quatre changements de cap en 20 capable de gérer plusieurs ordina- Microsystems en 1997 mais, ré- Le Club Modulef est né en 1974 de d’accompagnement qui seraient ans, le noyau dur des années 1980, teurs connectés entre eux par un cession oblige, la société s’est la volonté de l’IRIA et du labora- distribués aux membres du club à constitué autour de l’équipe de réseau. Comme certains d’entre séparée de notre activité en 2002. toire d’analyse numérique de cette occasion. Internet n’existait Louis Pouzin, de Hubert Zimmer- nous avaient rejoint le Cnet tout J’ai alors créé Jaluna avec 35 Paris VI, en particulier celle pas et les rencontres étaient cru- mann et du projet Cyclades, est en continuant des recherches à anciens de Chorus Systems et d’Alain Perronnet. L’idée était de ciales pour la vie de la commu- toujours là. l’INRIA, nous avons décidé de nous avons repris nos anciens créer et d’entretenir collective- nauté. Elles fédéraient les cher- Dès 1979, nous nous sommes combiner les innovations de Cho- contrats et fait évoluer notre tech- ment une bibliothèque de pro- cheurs intéressés à Unix (l’ancêtre de rus avec le système Unix de Sol, le nologie vers la virtualisation du grammes cohérente et normali- d’analyse numérique mais égale- Linux) qui venait d’apparaître aux tout sur la SM90 du Cnet. La réa- matériel, afin de faire tourner plu- sée, fondée sur la théorie des ment des industriels comme Das- États-Unis. Nous n’avions pas le lisation du premier prototype, sieurs systèmes d’exploitation sur éléments finis et destinée à la sault Aviation, l’Aérospatiale, droit d’importer le mini calcula- baptisé ChorusOS, nous a amené un même équipement de télé- modélisation de phénomènes Renault ou Thomson CSF. Sur ce teur DEC sur lequel il tournait. à fonder, en 1986, une des premiè- communication. Aujourd’hui, physiques divers. C’était un club même modèle, le club a d’ailleurs Alors nous avons lancé le projet res start-up issues de l’INRIA : Jaluna est devenue VirtualLogix, au sens anglais, sans échange eu des petits frères : Moduleco et pilote Sol pour créer une version Chorus Systems. Nous étions une plus évocateur, et bon nombre des financier : contre une contribution Modulad. française d’Unix, en Pascal. Nous petite dizaine de chercheurs de anciens des projets Sol et Chorus scientifique, les membres, cher- La promotion de la bibliothèque avons développé des compila- l’INRIA, du Cnet et du projet Sol ; sont toujours là. cheurs et industriels, recevaient et du Club Modulef nous ont teurs avec plusieurs sociétés de Hubert Zimmermann était le PDG une fois par an l’intégralité de la conduits de Rome à Saint Jacques bibliothèque. C’était un précur- de Compostelle et jusqu’en URSS seur de l’actuelle communauté du ou aux États-Unis. Cette activité libre. de valorisation, très prenante, Je suis arrivé à l’IRIA en 1970 pour était difficilement conciliable avec faire ma thèse avec Jacques-Louis la recherche. L’INRIA a décidé de Lions puis pour mener des recher- créer, début 84, la filiale Simulog ches en simulation et optimisa- pour réaliser en particulier cette tion numérique avec Roland Glo- tâche et je me suis lancé dans winski. Nous nous chargions cette aventure avec Christian également de récupérer les contri- Saguez. La recherche s’est pour- butions des membres du club, de suivie dans les projets de recher- les valider, de les agréger pour for- che Gamma et Macs. Quant au mer les versions nouvelles de la club Modulef, il est toujours actif bibliothèque Modulef et de pro- et connaît un réel succès dont poser de nouveaux développe- témoignent de nombreux télé- ments. Sous l’impulsion de Jac- chargements. ■ I. B. © INRIA / Photo Véronique Debry ques-Louis Lions, Modulef est magnétiques et les documents LE SAVIEZ-VOUS? Les PTT lancent le Minitel – Sony et Philips lancent le Compact Disc Digital Audio (CDDA) capable de stocker une de la communauté ■ C. A. Nombre de machines connectées sur internet en 1982 : 235 heure de son stéréo de très haute qualité – L’icône Smiley fait son apparition – « Tron » (Walt Disney) est le premier film utilisant © INRIA / Photo R.Rajaonarivelo Alain Caristan, du projet Chorus, devant le SM90 massivement des effets spéciaux créés par ordinateur. Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), C. Acharian et I. Bellin. ANNÉE 1983 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 17 - 2 MAI 2OO7 © INRIA / Photo R. Rajaonarivelo Et pendant ce temps là... La retraite passe à 60 ans en France – Accord de paix Israélo-libanais – L’homme d’état et écrivain sénégalais Léopold Sédar Senghor est élu à l’Académie française – Luc Montagnier découvre le virus du Sida, HIV, à l’institut Pasteur – La sonde américaine Pioneer 10 est le premier objet terrestre à quitter le système solaire – Victoire de Yannick Noah au tournoi de tennis de Roland Garros. ©? Une unité de recherche à partir de rien À Rocquencourt, le GIP SM90 et la machine SM90 connectée au système graphique Colorix réalisé par Louis Audoire. SM90 ou la fin de la disette en équipement pour les chercheurs de l’Inria ! Le 30 juin 1983 – On n’est jamais aussi bien servis que par soi-même. Ce vieil adage évoque, sans le résumer, le succès de la machine SM90 qui commence à équiper les équipes de recherche de l’Inria. Le projet SM90 est né à Lannion dans les laboratoires du Centre national d’études des télécommunications (Cnet). Les recherches ont été menées entre 1980 et 1981 avec la collaboration de la Société européenne de mini-informatique et de systèmes (Sems) et ont abouti, l’année dernière, à la construction d’un premier prototype de machine Unix conçue en France autour d’un processeur 68 000 de Motorola. Sollicité pour apporter ses compétences au développement du projet, l’Inria s’est montré doublement intéressé. Le projet lui a permis de participer à un projet stimulant pour l’industrie française tout en valorisant ses propres compétences. De surcroît, la réalisation d’une station de travail française lui donnera enfin l’occasion d’acquérir des machines plus proches de ses besoins. En effet, ses équipes de recherche, contraintes jusqu’alors « d’acheter français », ont longtemps été handicapées faute de pouvoir disposer des meilleurs matériels disponibles aux États-Unis. Grâce à cette double motivation que l’Inria a apporté une contribution importante dans la conception du système d’exploitation et du compilateur du SM90. La licence de l’ensemble est offerte aux fabricants français (Bull, Thomson Téléphone, TRT, CSEE, ESD, SMT-Goupil, Telmat) par le Cnet. L’Agence de l’informatique finance vigoureusement l’opération en annonçant une commande de 50 machines pour différents laboratoires. Les projets CAO-VLSI, Sabre, Verso, Ergonomie, Réseau, Sol et Chorus de l’Inria seront les bénéficiaires des vingt premières livraisons. Les crédits ministériels de recherche sou- tiennent directement cette politique d‘équipement à hauteur de 25 millions de francs par an pour les quatre années à venir. Fort de ces premiers succès, le projet SM90 devrait permettre de relancer la politique industrielle de la France dans le domaine du matériel informatique. Il est pour cela d’ores et déjà envisagé d’installer à Rocquencourt un Groupement d’intérêt public scientifique et informatique (Gipsi) regroupant les moyens et savoir faire de Bull-Sems, du Cnet et de l’Inria. Il réalisera autour du SM90 des produits, tant matériel que logiciels, permettant de réaliser des postes scientifiques et des stations de travail pour des environnements temps-réel. Le travail réalisé dans ce cadre placera les équipes de l’Inria dans l’évolution fondamentale que connaît à l’heure actuelle l’univers informatique avec le développement d’Unix. ■ AB & PG DR Le plateau de Valbonne où sera implantée l’unité de Sophia Antipolis L’Inria inaugurera bientôt les nouveaux locaux de son unité de Sophia Antipolis. Certes, le plateau de Valbonne où se trouve Sophia a une longue histoire qui remonte au Moyen-Âge, mais c’est en 1969 que le sénateur des Alpes-Maritimes Pierre Laffitte a engagé la commune dans une grande mutation en affichant sa volonté d’installer sur cette zone pratiquement vierge un espace dédié aux technologies de pointe. À l’image de ce qui se fait assez couramment aux États-Unis, il s’agissait de réunir dans un même lieu des centres de recherche, des entreprises et des entités d’enseignement afin de développer un site d’excellence offrant les meilleures conditions de travail. La Côte d’Azur et la proximité de l’aéroport de Nice étaient des facteurs importants de la réussite de ce pari, mais l’obstination, les relations et l’ambition de Pierre Laffitte furent tout autant nécessaires. Sa qualité de polytechnicien membre du Corps des mines a pu faciliter l’installation de l’Inria sur le site car Pierre Bernhard, qui a pris la tête de l’antenne sophipolitaine de l’Inria, est aussi membre de ce corps d’élite. Là encore l’Inria fait figure de pionnier : quand l’institut est arrivé à Valbonne, rien ou presque n’existait. Cette démarche nouvelle a d’ailleurs surpris et les premiers volontaires n’étaient pas légion. Aujourd’hui, les esprits semblent avoir changé. Il le faudra bien car l’Inria semble avoir pour ambition d’ouvrir de nouveaux espaces de recherche dans des lieux qui eux-mêmes sont à l’avant-garde de ce qui se fait habituellement ■ AB & PG L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA « Je troquais le costume cravate pour le pull et le col de chemise ouvert... » par Pierre Bernhard, professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis et premier directeur de l’INRIA Sophia Antipolis © INRIA / Photo J.M. Ramès (no 17 – 2 mai 2007) LE SAVIEZ-VOUS? Bjarne Stroustrup développe une extension orientée objet au langage C : le C++ – Le réseau Arpanet adopte définitivement le TCP/IP à la place de NCP et devient un projet avant tout universitaire nommé Arpa-Internet ; le volet militaire est désormais indépendant et nommé Milnet – Apple sort Lisa, le premier micro-ordinateur à disposer d’une interface graphique. Laffitte, qui m’avait chargé, en début avec nous et contribué au 1976-1977, de constituer le labo- succès de la technopole. Mais il ratoire de mathématiques appli- était parfois difficile de se faire quées de l’École des Mines à accepter car nous étions sur la rive Sophia ! droite du Var et donc considérés Deux ans plus tard, après la comme des étrangers ! Nous décentralisation partielle de l’IRIA entretenions des contacts régu- par Guy Sergeant, décidée par le cabinet du Premier liers avec l’université : j’étais moi- adjoint au directeur de l'INRIA Sophia Antipolis ministre Raymond Barre, j’étais même enseignant à l’université de nommé directeur du centre de Nice dès mon arrivée et J.L. Lions En quittant mon bureau de l'Imag management Ceram – L’UR se l’INRIA Sophia Antipolis (on ne venait régulièrement rencontrer en novembre 1982, j'avais soi- résumait à l’époque à une dizaine parlait pas encore d’unité de les universitaires pour compren- gneusement mis dans ma sacoche de personnes dispersées entre les recherche). Nous avons convaincu dre comment nous pouvions tra- les deux premiers chapitres de la locaux du Centre de mathémati- des chercheurs d’autres sites — vailler ensemble. Lorsque j’allais à thèse d'État sur les réseaux que ques appliquées, place Sophie Rocquencourt notamment — de l’université, je troquais le costume j'espérais terminer tranquillement Laffitte, et le Ceram – il m’a donné venir s’installer à Sophia mais cravate arboré habituellement par © INRIA / Photo A. Eidelman la clé de contact de la Renault 4L aussi des scientifiques de la région les dirigeants de l’IRIA pour la de service et m’a dit : « Tu es comme Gérard Berry. Des axes de tenue plus décontractée des uni- chargé de suivre le chantier des C’est dans la perspective d’une recherche se sont très rapidement versitaires : pull et col de chemise nouveaux bâtiments ». Et la mis- décentralisation de l’IRIA deman- dégagés, notamment autour des ouvert... sion s’est révélée tellement inté- dée par la Datar, qu’en 1978 André réseaux avec des gens comme Gilles Kahn a été le principal ressante que je n’ai jamais écrit le Danzin, conseillé par Jacques- Christian Huitema, François Bac- architecte du succès scientifique chapitre 3 de ma thèse ! Louis lions, m’avait chargé de sui- celli et plus tard Philippe Nain. Au de l’opération et Guy Sergeant a Lorsque nos bâtiments ont été vre ce dossier pour une installa- début, publics été l’artisan de son succès maté- livrés en 1983, nous étions une tion éventuelle à Sophia Antipolis. (CCI, etc.) nous reprochaient de riel. Marc Berthod a créé le pre- quarantaine avec les collègues qui J’étais à l’époque directeur du ne pas recruter de niçois ! Et là, mier projet de l’UR, Pastis, sur le nous avaient rejoints de Rocquen- Centre d’automatique et informa- Gilles Kahn a eu une idée de génie traitement d’images. Ce projet court et quelques nouvelles têtes. tique de l’École des Mines de Paris en expliquant qu’à défaut, nous nécessitait l’acquisition d’un gros Nous étions si peu nombreux que, (à Fontainebleau) et également avions contribué à ramener des disque pour l’époque (80 Mo). pour la première visite officielle, professeur à l’université Paris élites niçois à Sophia (A. Dervieux, Cela représentait un investisse- nous avons dû déménager dans Dauphine. Ma situation était assez A. Desideri, A. Michard, etc.). ment très important pour un les bureaux du rez-de-chaussée pittoresque car j’étais à la fois le Les universitaires ne voyaient pas laboratoire mais le conseil scienti- Lagrange pour donner l’impres- conseiller d’André Danzin qui dis- tous d’un bon œil la création de la fique, constitué en majorité de sion que tous les bureaux étaient cutait avec Pierre Laffitte sur l’op- technopole de Sophia Antipolis. professeurs de l’université, a portunité de créer une unité de Certains, dont Jean Céa et Jacques d’emblée soutenu cet achat. l’IRIA à Sophia, et celui de Pierre Morgenstern, ont travaillé dès le les pouvoirs ■ R-M. C. © INRIA / Photo A. Eidelman « J’ai gardé le casque en souvenir... » occupés. L’une des principales en attendant l'ouverture de nos inquiétudes de Pierre Bernhard locaux prévus en 1983. En effet, était alors de savoir si nous arrive- seul chercheur Inria décentralisé rions à remplir les 7 000 m2 depuis Grenoble (bien avant la construits. En 2007, nous aurons création de l'UR Rhône-Alpes), je 18 000 m2 et la pression ne dimi- débarquais à Sophia en accord nue pas. C’est vraiment une avec son directeur pour monter le décentralisation réussie ! Quant à service chargé de la gestion des moi, j’ai gardé le casque et les télécoms des nouveaux bâti- deux chapitres de la thèse en sou- ments. Mais lorsque j’ai retrouvé venir, et depuis mon job navigue Pierre Bernhard dans son bureau toujours entre les deux… à l’École de commerce et de « J’ai toujours rêvé d’un ordinateur qui soit aussi facile à utiliser qu’un téléphone. Mon rêve s’est réalisé. Je ne sais plus comment utiliser mon téléphone. » L’unité de Sophia Antipolis en 1991, avec Pierre Bernhard devant le plan d’eau. Bjarne Stroustrup (Texas A&M University) ■ R-M. C. Nombre de machines connectées sur internet en 1983 : 562 Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Rose-Marie Cornus. ANNÉE 1984 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 18 - 7 MAI 2OO7 © Laurent Francez Et pendant ce temps là... Première sortie dans l’espace de deux astronautes américains sans être reliés physiquement à une navette – Début de l’affaire Gregory en France – Lancement de la première chaîne à péage française Canal + – Catastrophe chimique à Bhopal en Inde – Assassinat d’Indira Gandhi par deux sikhs de sa garde personnelle – Les soviétiques boycottent les JO de Los Angeles – Assassinat du prêtre polonais Jerzy Popieluszko à Varsovie. ©? Les fondateurs de Simulog devant le gâteau d’anniversaire des cinq ans de l’entreprise. De gauche à droite : Christian Saguez, Duc Duong et Dominique Bégis. L’Inria lance la première filiale de l’institut : Simulog Le 6 janvier 1984 – C’est aujourd’hui qu’est créée officiellement la première entreprise issue de l’Inria, Simulog. Son directeur général Christian Saguez, épaulé par Dominique Bégis qui dirigeait le célèbre club Modulef, parie sur le fait que les hommes sont le meilleur vecteur de transfert de savoir et que l’esprit d’innovation des chercheurs pourra s’exprimer pleinement dans un contexte concurrentiel. Les transferts de technologie sont souvent décevants et il s’avère très difficile de conserver la dynamique d’une équipe de recherche en se contentant de transférer ses résultats à une entreprise qui les appliquerait. La création de clubs comme Modulef a permis à l’Inria de faciliter l’apparition de telles dynamiques. Cette solution reste cependant limitée lorsqu’il s’agit de porter un projet réellement innovant impliquant fortement les acteurs sur un objectif précis. Aller plus loin nécessite de créer des entreprises chargées de déve- lopper et commercialiser les innovations issues de ces recherches. Alors que le simple fait d’accoler les termes d’entreprise et de recherche publique dans une même phrase relève déjà du blasphème pour certains, on imagine à quel point l’idée qu’un organisme de recherche public puisse devenir entrepreneur ne pouvait que relever du tabou. La loi du 15 juillet 1982 créant les EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique) a facilité le mouvement d’une recherche plus tournée vers la « réalité » économique et a considérablement changé la donne en ouvrant la possibilité, pour ces acteurs essentiels de la politique d’innovation, de créer des filiales. Le président de l’Inria Jacques-Louis Lions, qui a beaucoup contribué à cet aspect de la loi en tant que conseiller du Premier ministre Laurent Fabius, s’est rapidement employé depuis à concrétiser sa volonté d’inscrire son institut dans une dynamique de création d’entreprise. Le premier projet que constitue Simulog a rapidement pris forme autour de Christian Saguez, entré comme chercheur à l’Iria en 1972 et occupant depuis deux ans le poste de délégué aux relations industrielles et internationales. Un repas suffit aux deux hommes pour se mettre d’accord sur l’idée d’une entreprise développant des logiciels de simulation et d’optimisation scientifique. Jacques-Louis Lions sollicite les partenaires de l’Inria et, le domaine étant reconnu comme l’un des points forts de sa recherche, il les convainc sans trop de difficulté d’entrer dans le capital de la future entreprise. C’est ainsi que Framatome et Serete participent pour 22,5 % alors que l’institut mise quant à lui 1,275 million de francs dans l’aventure. Le logiciel de CAO Blaise, conçu à l’Inria, sera le premier produit commercialisé par Simulog sous le nom de Basile. Si le succès est au rendez-vous, nul doute que d’autres rejetons de l’Inria verront bientôt le jour ! ■ AB & PG Le nouveau président de l’Inria est un ancien de l’Iria © INRIA / Photo A. Eidelman C’est un quadragénaire qui vient de prendre la tête de l’Inria en remplacement de Jacques-Louis Lions. Alain Bensoussan, né à Tunis, est un produit des formations d’élite de la Nation, étant sorti du prestigieux lycée du quartier latin Louis-le-Grand pour intégrer l’École polytechnique et l’École nationale de statistique et de l’administration économique (ENSAE). Il connaît bien l’Inria puisqu’il a commencé sa carrière à l’institut, l’année même de sa création en 1967. Après un détour par l’enseignement – dans des écoles tout aussi prestigieuses : université de Dauphine, Polytechnique et l’École normale supérieure – il a repris le chemin de Rocquencourt en 1973 avant de s’engager dans une expérience européenne qui l’a amené à diriger pendant deux ans l’Institut européen d’études supé- rieures et de recherches en management, à Bruxelles. Connu pour être un proche de Jacques-Louis Lions, il y a fort à parier que le nouveau directeur continuera sur la lancée de son prédécesseur et tâchera d’accroître les coopérations européennes avec des instituts de niveau comparable. Alain Bensoussan est par ailleurs bien connu aux ÉtatsUnis puisqu’il est membre de nombreuses associations de mathématiciens prestigieuses et qu’il y a reçu plusieurs prix. Le nouveau directeur se trouve donc en territoire connu et ce sera, sans aucun doute, un atout pour continuer et amplifier les mutations que l’Inria doit envisager et qui sont déjà entamées. Nul doute que ce fort en thème saura résoudre les équations complexes que l’institut ne manquera pas de lui poser ■ AB & PG L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 18 – 6 mai 2007) « Vous êtes de Nice ? Candidatez ! » « Pour que l’INRIA investisse, il fallait un arrêté interministériel ! » par Alain Dervieux, Laure Reinhart, directeur de recherche, projet Tropics, INRIA Sophia Antipolis directrice de la stratégie à la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) © INRIA / Photo A. Eidelman Par un hasard malicieux, le projet Ce qui m’a frappée lorsque je suis arrivée à Rocquen- envie de sortir de mon domaine de recherche. Il était d’une équipe de calcul scientifi- court à la fin des années 70, c’est l’ouverture inter- par ailleurs plus facile de concilier sa vie profession- que commence à se former lors nationale de l’IRIA. Au départ j’ai partagé mon nelle avec une vie de famille. d’un voyage de Roland Glowinski bureau avec trois indiens puis ensuite avec deux C’était une époque clé pour les relations industriel- à Stanford. Il est abordé par un les. Dans les statuts de l’institut, le transfert tenait la © L.R. Français, Jean-Antoine Desideri, même place que l’excellence scientifique et cela ryth- un SupAero passé à la Nasa et qui mait toute la vie de l’organisme. Un des premiers y a déjà acquis des lettres de chantiers a été de régulariser les « doubles casquet- noblesse aérodynamique tes » car beaucoup de gens passaient par l’INRIA puis numérique. « Vous êtes de Nice ? allaient et venaient dans l’industrie. En particulier, il justement nous allons ouvrir un a fallu définir un cadre légal à un essaimage déjà centre à Sophia Antipolis, Candi- important et demander aux chercheurs de se posi- datez ! », lui répond Roland. Un tionner : institut ou industrie. jeune major de l’X, Bernard Lar- Nous avons également cherché à favoriser la création En 1980, une des vitrines de l’IN- routurou, veut lui aussi faire de la d’entreprise en proposant aux chercheurs/entrepre- RIA est sa collaboration en calcul mécanique des fluides numérique neurs d’être hébergés à l’INRIA. La création du club scientifique pour l’aérodynami- dans le Sud et reçoit la même des start-up date de cette époque également tout que avec les Avions Marcel Das- réponse de Jacques-Louis Lions : comme le démarrage des groupements d’intérêt sault, animée par Roland Glo- « Candidatez ! ». À la même épo- public (GIP). Ces collaborations entre partenaires winski et Olivier Pironneau côté que, je fais part à Pierre Bernhard publics et privés permettaient la mise en commun de INRIA et Jacques Périaux côté de mon souhait de partir dans le moyens sur des problématiques ciblées pour une Dassault. L’une des percées futur centre de Sophia pour y faire durée limitée. Par exemple, le GIP SM90, créé en remarquée du tandem INRIA- de l’aérodynamique appliquée. Je 1983, a rassemblé autour du développement de sta- Dassault concerne l’adaptation lui donne un exemplaire de ma tions de travail graphiques une grande variété d’ac- des nouvelles méthodes des élé- récente thèse d’état, pavé théori- teurs : BULL, France Telecom/CNET et l'INRIA. Son ments finis au calcul aérodynami- que indigeste, dont l’examen ne ambition était de créer un poste de travail à la fran- que autour d’un avion complet. Il manquera pas de l’inquiéter forte- çaise, ce qui, à l’époque des gros ordinateurs de type reste à passer à l’aérodynamique ment quant à mon intérêt pour les Multics, était une idée novatrice. Une de nos préoc- complexe et notamment à la com- applications. Il me l’avouera plus bustion. Mais Roland Glowinski tard… quand il sera rassuré sur ce espagnols ! Cet environnement très stimulant m’a tel- up issues de l’INRIA car, à l’époque, il y avait peu d’ai- pense à une carrière américaine et péril ! Parallèlement, Roland Glo- lement séduite que j’ai passé les vingt premières des et pas d’incubateurs. Pour que l’INRIA investisse, réfléchit à la relève. Jacques-Louis winski et moi rendons visite à une années de ma carrière à l’institut. Vers le milieu des il fallait un arrêté interministériel ! Enfin, nous avons Lions se débat avec les projets célébrité de la spécialité, Roger années 1980, je me suis occupée, aux côtés d’Anne déployé beaucoup d’effort pour instaurer un climat gouvernementaux de décentrali- Peyret du CNRS à Paris VI, qui Schroeder, des relations industrielles de l’institut. J’ai de confiance et de compétence avec les entreprises, sation de l’institut et négocie – à la quitte Paris pour Nice et est ensuite dirigé l’UR de Rocquencourt durant plus de arriver à faire du gagnant-gagnant sur la propriété place, finalement – la création du engagé comme conseiller scienti- 6 ans, jusqu’en 1999. Les relations industrielles m’ont industrielle et intellectuelle. Cela a bien fonctionné pôle de Sophia Antipolis. Choisi fique de la future équipe. Une très vite attirée. Travailler dans le concret convenait avec Renault par exemple. pour lancer ce nouveau pôle, retouche de dernière minute va parfaitement à ma nature pragmatique et à mon Pierre Bernhard est obligé de tra- mettre un ancien lionceau, Jean verser régulièrement mon bâti- Cea, professeur à Nice, à la tête de ment, ce qu’il fait à une telle cette équipe. Début 83, les cinq vitesse que mon étudiant de l’épo- membres de l’équipe se rencon- LE SAVIEZ-VOUS? que tente de me persuader que trent à Sophia Antipolis pour un Mise en place du DNS (Domain Name Server) sur Internet. Jusque-là, il fallait connaître l’adresse numérique pendant ces courses effrénées des premier séminaire – certains pour de la machine recherchée ou tenir à jour un unique fichier texte contenant le nom et l'adresse numérique zones d’écoulement supersonique la première fois ! L’aventure com- correspondante de toutes les machines de l'Internet, ce qui est rapidement devenu impossible — Hewlett se développent derrière les oreil- mence. Packard commercialise la première imprimante laser : la HP Laserjet. Elle a une résolution de 300 dpi et les de Pierre… en ■ R.-M. C. cupations était de trouver des capitaux pour les start- ■ Y. L. T. coûte 3600 $ — Philips et Sony sortent le CD-Rom. Le fondateur d’Apple, Steve Jobs, présente l’Apple Macintosh au public en 1984. L’ordinateur possède une interface graphique et se présente lui-même en disant « Hello, I am Macintosh and I am glad to be out of that bag » « L’innovation, c’est une situation que l’on choisit parce qu’on a une passion brûlante pour quelque chose ». Paul Stevens Job Nombre de machines connectées sur internet en 1984 :1024 Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Rose-Marie Cornus, Yannick Le Thiec. ANNÉE 1985 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 19 - 14 MAI 2OO7 © Ministère de la recherche © Minéfi / Sircom Deux tutelles pour une politique Le décret n°85-831 du 2 août 1985 fait de l’Inria un établissement public national à caractère scientifique et technologique (EPST) placé sous la double tutelle du ministre chargé de la recherche, Hubert Curien (à gauche), et du ministre chargé de l’industrie, Édith Cresson (à droite). L’Inria, avant-dernier établissement à devenir un EPST Le 2 août 1985 – La modification de statut de l’Inria est enfin consommée. Depuis ce 2 août, l’institut a rejoint la liste des autres établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST). Dès 1982, il apparaissait en effet que le CNRS et l’Inserm ne bénéficiaient pas d’un statut adapté à leurs besoins. Le statut d’EPST, c’està-dire une personne morale de droit public dotée de l’autonomie financière, fut donc appliqué d’abord au CNRS, puis à l’Inserm, à l’Inra, etc. et finalement à l’Inria cette année. Certains établissements n’ont qu’une seule tutelle (pour le CNRS, le ministère de la Recherche), d’autres deux tutelles (l’Inserm par exemple avec la Recherche et le ministère de la Santé). Toujours est-il que ce changement attendu devrait donner à l’Inria des possibilités nouvelles tant de développement que de valorisation de ses recherches. La loi 82/610 du 15 juillet 1982 a changé profondément le paysage scientifique de notre pays. Pour nos lecteurs qui ne sont pas accoutumés à la lecture du Journal officiel, il n’est pas inutile de rappeler que ce texte, émanation de la volonté de la nouvelle majorité politique, se veut une rupture et un nouvel élan pour promouvoir une grande politique de recherche et d’essor industriel dans notre pays. Dès son article 1er, il est en effet déclaré : « La recherche scientifique et le développement technologique sont des priorités nationales. » Certains commentateurs ont vu dans ces affirmations un retour à la politique gaullienne des années 1960 qui a mis l’accent sur des secteurs de pointe comme le nucléaire, l’espace et, bien entendu, « le Plan calcul ». Vingt ans plus tard, cette inflexion volontariste marque encore la physionomie de notre recherche publique. La loi de 1982 va plus loin par certains aspects puisqu’elle a inscrit noir sur blanc un niveau de dépenses de recherche, soit 2,5 % du produit intérieur brut, afin de « favoriser l’accroissement des connais- sances, la valorisation des résultats de la recherche, la diffusion de l’information scientifique et technique et la promotion du français comme langue scientifique ». Élément fondamental pour l’avenir, l’article 19 stipule que les EPST sont autorisés à prendre des participations ou à constituer des filiales. Enfin, elle a également mis en avant des programmes mobilisateurs dont certains, comme la maîtrise de la filière électronique, concernent directement l’informatique : matériaux et composants, électronique professionnelle (télécommunications, spatial, médical), électronique grand public (audiovisuel, automobile...), infor-matique (microinformatique, bureautique et gros calculateurs, logiciel), automatisation et banques de données. Un programme destiné à créer un mouvement vigoureux dans l’ensemble de la filière et dans lequel l’Inria pourra donner sa pleine mesure. ■ AB & PG Désormais, l’Inria est sous une double tutelle, celle du ministère de l’Industrie et celle du ministère de la Recherche, ce qui marque un certain retour à une politique industrielle, même si l’histoire de ces deux ministères est remarquablement imbriquée. Le ministère de la Production industrielle, apparu peu avant la guerre, réunissait certaines fonctions des ministères du Commerce, des Travaux publics et de l’Industrie dont le rôle a été fondamental au moment des pénuries puis surtout du dirigisme industriel qui marqua l’aprèsguerre et les années 1960. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le projet industriel reprend vigueur, avec en particulier la création d’un grand ministère de l’Industrie, de la Recherche et de la Technologie en 1982. Les racines du ministère de la Recherche remontent quant à elles à l’époque du Front populaire, en 1936, avec la création d’un soussecrétariat à la recherche scientifique confié à Irène Joliot-Curie puis à Jean Perrin. En 1954, sous la IVe république, un secrétariat d’État à la recherche scientifique et au progrès technique apparaît. Son action est relayée par le colloque de Caen en 1956. La Ve république gaullienne crée de nombreuses entités pour développer la recherche et l’on sait que l’Inria en est un célèbre exemple. L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing aux fonctions de président de la république unit pour la première fois l’industrie et la recherche sous la houlette de Michel d’Ornano. En 1981, recherche et technologie – puis recherche et industrie en 1982 – passent sous la responsabilité de Jean-Pierre Chevènement qui sera à l’origine de la politique de la filière électronique et de la loi d’orientation de la recherche. Toutefois, après juillet 1984 et suite à un retournement de politique, industrie et recherche ne sont plus placées sous la même autorité, même si les passerelles existent toujours comme en témoigne le fait que l’Inria soit désormais sous les auspices – que d’aucun espère favorables – de la rue de Grenelle et de la rue Descartes. ■ AB & PG Et pendant ce temps là... Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du parti communiste de l’URSS – Signature des accords de Schengen abolissant les contrôles aux frontières communes entre les états signataires – Drame au stade du Heysel (Bruxelles) pour la finale de la coupe d’Europe des clubs champions – En France, première campagne pour les restos du cœur lancée par le comique Coluche – le Général Audran, responsable des affaires internationales du ministère de la Défense, est abattu par Action directe. L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA « La transformation de l’institut n’a pas été un long fleuve tranquille » (no 19 – 14 mai 2007) LE SAVIEZ-VOUS? Commodore présente l’Amiga 1000, une machine multitâches, munie d’une interface graphique (le Workbench) capable d’afficher des images en 4096 couleurs, d’afficher plusieurs résolutions différentes sur des parties de l’écran et de jouer du son digitalisé en stéréo sur 4 canaux — Microsoft lance son logiciel de traitement de texte par Vincent George, Word et la première version du tableur graphique Excel pour Macintosh — Lancement du CDRom. secrétaire général de l’INRIA de 1980 à 1996 © INRIA / Photo A. Eidelman contrôler, on ne contrôlait rien ! En homme avisé, il avait donné de larges délégations à l’agent comptable et à l’ordonnateur. En devenant EPST, nous avons bénéficié de nombreuses facilités de gestion, notamment la globalisation des crédits des unités de recher- « Les discussions, voire les disputes, n’étaient pas rares lorsqu’il fallait attribuer des connexions » par Alain Caristan, directeur technique de l’Afnic che et une responsabilisation © INRIA / Photo J. Wallace d’émergence mondiale des tech- accrue des directeurs d’UR. Précé- J’ai rejoint le projet Cyclades en demment, les comptes étaient très septembre 1975 comme scientifi- nologies de l’information et de la cloisonnés, chaque transfert d’un que du contingent. Suite à l’inci- communication a été activement compte vers un autre nécessitait dent qui avait immobilisé le calcu- vécue par l’INRIA, par ses recher- une validation en conseil d’admi- lateur central de Rocquencourt ches mais également par ses expé- Dès l’été 1979, Jacques-Louis nistration : environ 500 décisions pour plusieurs mois (voir Code rimentations, améliorations, vali- Lions, futur président de l’INRIA, modificatives provisoires du bud- source n° 9), l’équipe Cyclades dations, recommandations et m’a demandé de devenir secré- get étaient ainsi signées chaque mettait en place un service d’ac- utilisations des nouvelles techno- taire général de l’institut. Se qua- année ! Le gain de souplesse a été cès à distance au centre de calcul logies ! lifiant lui-même de « fanatique considérable. de Grenoble qui disposait aussi C’est également au cours de cette d’organisation », son idée était de Mais la transformation de l’insti- d’un Iris 80. Mon premier travail décennie que le projet d’informa- mettre en place une gestion effi- tut n’a pas été un long fleuve tran- a consisté à développer un sys- tisation des services, lancé dès cace sans pour autant renoncer à quille. Nous avons dû faire face à tème d’analyse et de visualisation 1986 suite à une première expé- la « hiérarchie souriante » qui de nombreuses situations de crise des flux d’activité de ce service. rience réussie au sein du service caractérisait l’organigramme de la avec les personnels. Je me sou- L’Iris 80 a très vite été remplacé direction. Cette époque a été mar- viens même avoir été (gentiment) par un calculateur Multics suffi- tivité. Les discussions, voire les lippe Le Puil, a permis de rattraper quée événements séquestré une soirée dans mon samment puissant pour offrir un disputes, n’étaient pas rares entre le décalage visible avec les envi- majeurs : la dissolution de l’IRIA, bureau par des représentants syn- accès en temps partagé à un grand utilisateurs lorsqu’il fallait attri- ronnements de travail de la la décentralisation de l’institut dicaux réclamant le retour à Roc- nombre d’utilisateurs simultané- buer des connexions en fonction recherche. avec la création des unités de Ren- quencourt personne ment. À la même époque, la direc- du déploiement envisagé (bâti- Basculer vers les réseaux a été pas- nes et de Sophia, le passage au malencontreusement affectée tion des moyens informatiques, ment, projet, bureau, etc.) ! sionnant. Cela a aussi ouvert la statut d’EPST, les plans successifs auprès de l’Adi, au 37e étage de la nouvellement créée par Jacques- Tout au long des années 1980 les voie aux créations d’entreprises de fonctionnarisation, etc. Tour Fiat à La Défense alors Louis Lions, s’est engagée dans le équipes des moyens informati- issues de l’INRIA. Par exemple, C’est un décret en Conseil d’État qu’elle était sujette au vertige ! De développement de systèmes indi- ques ont mis en œuvre des systè- Chorus, le projet sur les systèmes qui a transformé l’INRIA en EPST même, les premiers conseils d’ad- viduels et d’une infrastructure de mes de communication en réseau opératoires répartis animé par en 1985. Le changement de statut ministration se sont déroulés dans communication pour l’accès et le permettant de mailler finement Jean-Serge Banino, Hubert Zim- s’est matérialisé tardivement car des lieux tenus secrets jusqu’à la partage des moyens de traite- les bâtiments et de fournir le haut mermann, les ministères ont commencé par dernière minute afin d’éviter l’en- ment. Son travail s’appuyait sur la débit. En particulier le remplace- Gérard Morisset et moi-même, a les plus gros établissements, vahissement de la salle par des concertation avec les projets et ment, dès 1982, des boîtiers de donné naissance à Chorus Sys- CNRS en tête, avant de s’intéresser manifestants qui, il est vrai, man- services, et c’est en tant que cor- connexion télématique par le tems avec le renfort de Michel à l’INRIA. Mais dès le début des quaient alors de visibilité sur leur respondant du projet Chorus que réseau X25 privé de Ouest stan- Gien (projet pilote Sol). Mais voilà années 1980, nous avions adopté avenir. Mais au-delà des difficul- j’ai participé aux travaux de spéci- dard télématique (OST) simplifia qui mène à l’aventure Unix, linux un protocole de gestion moins tés rencontrées, je retiens finale- fication des systèmes de connec- la connexion filaire. Cette période et du logiciel libre... lourd, qui préfigurait les statuts à ment, qu’ensemble, nous avons venir. Le contrôleur financier de réussi la mutation de l’INRIA. par l’époque des estimait qu’à trop d’une ■ Y. L. T. des relations extérieures par Phi- Marc Guillemont, ■ V.C. « Essayez mon logiciel, diffusez-le librement. » A. Fluegelman, programmateur de San Francisco, invente le freeware. © INRIA / Photo R. Rajaonarivelo Le robot V80 de Renault pouvait soulever 80 kg avec une accélération de 2 G ! Il était très dangereux et donc en cage (il avait transpercé une cloison au bâtiment 13 avant d’être déplacé au 24). Il s’agissait pour les équipes de François Germain – à l’origine de l’achat du robot – et d’Olivier Faugeras de rendre ces robots capables de s’adapter à un environnement variable. Les logiciels de Nicholas Ayache (à droite) réalisaient la Nombre de machines connectées sur internet en 1985 :1961 reconnaissance d’objets disposés en vrac grâce à une caméra (image 2D sur l’écran) et les logiciels de Jean-Daniel Boissonnat (à gauche) pilotaient le robot pour qu’il saisisse délicatement ces pièces. Tout était automatique mais il n’était pas question de rester dans la cage pour corriger les derniers bugs : Nicholas a le doigt sur le bouton d’arrêt d’urgence ! La démo a eu beaucoup de succès et est même passée au JT. François Germain et George Kryze ont aussi développé le capteur 3D qui a joué par la suite un rôle clé dans l’approche géométrique de la vision par ordinateur du projet Robotvis. Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Vincent Coronini, Yannick Le Thiec. ANNÉE 1986 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 20 - 21 MAI 2OO7 © INRIA Le pirate informatique, un nouvel acteur incontournable ? Dans le cadre du projet Eureka Prometheus, des techniques d’interprétation routières sont à l’étude à l’INRIA Sophia Antipolis, en collaboration avec l’INRIA Rennes et les universités de Compiègne et de Clermont-Ferrand. Eurêka pour dépasser les égoïsmes nationaux Le 3 janvier 1986 – Le projet Eurêka, proposé par la France, a été lancé au cours de la conférence intergouvernementale qui s’est tenue le 5 novembre dernier à Hanovre, en Allemagne, et qui réunissait dix-neuf participants : la Commission et les représentants de 18 états européens dont la Turquie qui siégeait pour la première fois dans ce genre d’assemblée. La crainte d’un fossé technologique croissant avec les ÉtatsUnis et le Japon est en effet au centre des préoccupations et le projet Eurêka incarne la volonté de l’Europe d’agir en commun pour renforcer sa capacité industrielle et s’imposer sur le marché face aux autres grandes puissances. Une telle politique de coopération scientifique et technologique a déjà été amorcée par la création de structures intergouvernementales comme le Cern, à Genève, et l’agence spatiale européenne qui sont indéniablement des réussites. Mais un projet comme l’Euratom, né en même temps que la Communauté européenne et qui devait permettre à l’Europe des Six de se doter de l’énergie nucléaire pacifique n’a pas donné les mêmes satisfactions. Le bilan d’un quart de siècle d’activité est bien faible car le « chacun pour soi » a dominé, sauf peutêtre dans le domaine de la fusion qui reste de la recherche à très long terme. Le projet Esprit, lancé en 1984 et financé pour moitié par la Communauté européenne, voulait déjà lancer l’Europe dans la construction des ordinateurs de la cinquième génération (il existe des projets identiques pour les télécommunications) mais il ne vise pas directement le marché. Sur ce plan, Euréka affiche donc une grande ambition technologique en ayant pour objectif d’accroître la productivité et la compétitivité des industries et des économies nationales européennes par le renforcement de la coopération entre les entreprises et les instituts de recherche en hautes technologies. Ce plan met l’accent sur six domaines particuliers : les matériaux nouveaux, les lasers de puissance, l’opto-électronique et surtout la micro-électronique rapide, les supercalculateurs et l’intelligence artificielle qui intéressent directement l’Inria même si le handicap par rapport aux États-Unis est devenu important. Un programme dont le délégué luxembourgeois qui se fait l’interprète de tous affirme qu’il demande de dépasser les « frontières mentales » pour penser européen. Pour un institut comme l’Inria, penser européen est sans doute une nécessité mais aussi une pratique. Il est clair en tout cas que le nouveau président de l’institut, Alain Bensoussan, insistera dans les mois qui viennent sur toutes les formes de coopération européenne. À commencer, bien entendu, par les programmes Eurêka qui sont du ressort de l’institut, comme Prometheus qui devrait réunir dès cette année un gigantesque consortium sur le thème du véhicule « intelligent ». ■ AB & PG La création du Chaos Com- trusion se multiplient et puter Club en Allemagne ont même entraîné l’arrêt au début de cette décennie du Cray, perturbant de la avait montré que les sorte très gravement le traréseaux pouvaient être la vail des chercheurs. cible d’actions inamicales. Les responsables du centre de calcul ont Les événements Le Multics en proie dont l’Inria est la aux attaques des pirates rappelé que le respect scrupuvictime depuis leux des procéquelques mois dures de sécuen est une illusrité est seul à tration. Tout a même de procommencé à la téger les utilisafin du mois de mars dernier avec la pre- teurs. Les caractéristiques mière intrusion réalisée par techniques des comptes des inconnus – Hackers, doivent rester strictement crackers, pirates selon le confidentielles et les mots nom qu’on leur donne – de passe, qui ne doivent sur l’ordinateur Multics du pas rester en mémoire sur centre de calcul vectoriel les ordinateurs, doivent pour la recherche à l’Inria. être changés régulièreDès le lendemain, l’ordina- ment. Par mesure de préteur Cray était piraté à son caution, le Cray a été tour, suscitant une inquié- arrêté le week-end dernier. tude tempérée par les Ce type d’affaire s’est résultats de l’enquête généralisé comme l’a sourévélant que rien n’était ligné, il y a trois ans, l’arendommagé. La volonté restation aux États-Unis du de se faire remarquer sem- pirate Kevin Poulsen, ble en effet être le principal connu sous le pseudoressort des pirates qui nyme de Dark Dante, et trouvèrent alors spirituel de l’apparition des premiers laisser pour tout message : virus sur les PC en 1984. « Le Cray est momentané- Ce phénomène ne doit pas ment remplacé par un Sin- être pris à la légère. Il n’y a là rien de folklorique pour clair ZX 81 » !!! La révélation par la presse la direction de l’INRIA qui a de ces incidents a malheu- d’ailleurs décidé de prenreusement encouragé les dre les dernières intrusions imitateurs qui ont ensuite très au sérieux, en dépochercher à s’introduire sur sant plainte contre X au trile réseau de l’institut via bunal de grande instance ■ AB & PG Transpac. Depuis le début d’Evry. de l’été, les tentatives d’in- Et pendant ce temps là... Lancement de la première chaîne généraliste privée française La Cinq – La station orbitale russe MIR (paix en russe) s’installe dans l’espace – Après la victoire de la droite aux élections législatives le 16 mars, le président François Mitterrand nomme Jacques Chirac Premier ministre. LE SAVIEZ-VOUS? La société Thinking Machines commercialise le premier super ordinateur massivement parallèle, la Connection L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 20 – 21 mai 2007) Machine CM-1, pouvant comporter jusqu’à 65 536 processeurs ! La machine reconfigure les connexions internes entre les processeurs pour résoudre un problème donné. L’inconvénient de cette architecture est, bien « J.-L. Lions voulait contribuer au plan Fabius en créant une nouvelle Les personnels étaient contents unité de recherche d’intégrer la fonction publique en Lorraine » par Chantal Le Tonquèze, sûr, l’extrême complexité de la programmation et de l’optimisation — Lancement du Radio Data System (RDS qui permet de transmettre des données numériques via les ondes radio ; il est en particulier utilisé par les postes radiophoniques des véhicules. par Jean-Paul Haton, relations industrielles, INRIA/Irisa Rennes. professeur à l’université Henri Poincaré et à l’institut universitaire de France Le 2 août 1985 le statut de l’INRIA « Macintosh ». Avant cela, nous ques. Exercice, néanmoins fasti- montés par la suite et qui étaient évolue, il devient un EPST. C’était travaillions sur les machines IBM dieux, puisqu’il fallait changer de issus en quasi-totalité du Crin. Les le résultat d’un long travail en à boules – les premières machines boule très souvent, selon que l’on six équipes Maia, Parole, Cortex, amont et cela a créé une véritable Orpailleur, Merlin et Langue et dia- effervescence au sein de l’établis- mathématiques, mais c’était déjà logue sont nées de l’équipe Recon- sement. Une des conséquences un réel progrès. L’arrivée des pre- naissance des formes et intelli- importantes de ce changement de miers micro-ordinateurs a été éga- gence artificielle (RFIA) que j’avais statut fut l’intégration des person- lement l’occasion de nous former créée à l’université. L’intelligence nels contractuels dans les grilles sur de nouveaux outils, tels que le artificielle représente aujourd’hui de la fonction publique sans avoir traitement de texte, tableur, mais environ la moitié des thématiques à passer un concours au préalable. aussi d’apprivoiser une souris que de recherche du Loria, tout ce qui Bien que délicat à gérer, ce glisse- l’on n’arrivait pas toujours à maî- touche à l’imagerie, la fouille de ment s’est plutôt bien passé. Les triser. données, etc. ! personnels étaient contents d’in- En 1986, Maurice Robin est Je suis devenu en 1974 le deuxième L’UR a emménagé dans les locaux tégrer la fonction publique. nommé directeur adjoint de l’IN- professeur d’informatique de la du château du Montet. La co- J’étais à cette époque l’assistante RIA. Il fut remplacé par Anne faculté des sciences avec Jean- direction par le Crin et l’INRIA n’a de Maurice Robin qui, de respon- Schroeder à la tête de l’UR de Claude Derniame qui fut ensuite le pas été facile car nous avions des sable du service des relations Rocquencourt qui connaissait directeur du Centre de recherche activités très proches et toutes les internationales, fut nommé direc- alors une très forte croissance en en informatique de Nancy (Crin). équipes – comme aujourd’hui – teur de l’unité de recherche de Ce laboratoire, commun aux trois étaient des projets mixtes. Nous Rocquencourt. électriques – amélioration ma- d’années plus tard, j’ai rejoint le nouvelles universités de la ville et avons bénéficié de l’image d’excel- Pendant ce temps, le travail des jeure pour les assistantes qui sai- service des relations industrielles reconnu Laboratoire associé par le lence ainsi que de la structure et du assistantes de services ou de sissaient les manuscrits scientifi- de l’unité de recherche de Rennes, CNRS, regroupait les enseignants- mode d’organisation de l’INRIA, projets évoluait avec l’arrivée ques qui était alors dirigée par Jean- chercheurs de cette discipline. Il mais l’institut est arrivé avec très des premiers micro-ordinateurs nombreuses formules mathémati- n’avait pas de locaux propres et peu de forces vives : Jean-Marie fondait son unité sur un séminaire Proth puis François Charpillet et qui avait lieu tous les jeudis après- Michael Rusinowitch. Les moyens midi sous la direction de Claude financiers sont venus ensuite. Pair, son premier directeur. Il n’en C’était bizarre car nous débau- était pas moins l’un des grands chions l’industrie (Sollac, IRSID) « Pour 1,265 millions de francs HT, vous disposez d’une unité centrale avec 512 Ko de mémoire et d’une unité de disque de 67 Mo » laboratoires français en informati- tout en conservant de bonnes rela- Publicité de Digital parue dans Le Monde informatique en 1982. que. tions avec nos partenaires… En 1981, dans le cadre du plan Un moment important a été la Fabius destiné à développer les construction de la tranche B des hautes technologies en Lorraine bâtiments car, jusque là, nous pour sauver la sidérurgie, j’ai reçu étions entassés dans les bâtiments © INRIA / Photo C. Lebedinsky un coup de fil de J.-L. Lions : il vou- du 1er cycle de la faculté des scien- lait contribuer à ce plan en créant ces. RFIA était dans une partie du une nouvelle unité de recherche en 5e étage, en vase clos. Nous avons Lorraine adossée au Crin. L’année eu la chance, contrairement à suivante, Jean-Marie Proth s’est vu d’autres laboratoires, de ne pas confier la direction de l’unité, avec éclater. Nous y avons gagné en visi- comme assistante Brigitte Pierrard, bilité. termes d’effectifs. Une dizaine qui comportaient ■ V. P. et je suis devenu le premier président du comité des projets. J’ai été, en quelque sorte, la cheville ouvrière des projets qui se sont Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conceptionréalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Véronique Poirel, Céline Sortais. Nombre de machines connectées sur le pré-internet en février 1986 : 2308 en novembre 1986 : 5089 tapait du texte ou des formules © INRIA / Photo J. Wallace Gaston est arrivé au Loria grâce à Jean-Paul Haton. Ce robot Nomad 200 était utilisé comme plateforme expérimentale pour tester les modèles développés au sein du projet Syco : fusion de capteurs, raisonnement temporel et temps réel, planification d’actions, apprentissage et réseaux neuro-mimétiques. © INRIA / Photo A. Eidelman de Pierre Banâtre. ■ C.S. ANNÉE 1987 L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA - N O 21 - 28 MAI 2OO7 © Ilog Deux pointures à la tête d’Ilog L’équipe d’Ilog dans leurs locaux de l’avenue Galliéni à Gentilly, avec Jérôme Chailloux, Catherine Granger, Matthieu Devin, Manuel Montalban, Antoine de Montgareuil, Pierre Haren et Odile Chénetier comme anciens de l’Inria. L’Inria se lance sur le marché via sa filiale Ilog Le 7 avril 1987 – Tournant important pour l’informatique française, l’institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) crée sa première filiale Ilog. Cette jeune entreprise pénètre un marché radicalement neuf – celui de l’intelligence logicielle dont elle tire d’ailleurs son nom – grâce à des années d’investissement de l’Inria dans le domaine des langages. Le lancement du programme Formel par Gérard Huet au début de cette décennie avait fait de l’Inria un acteur majeur dans ce domaine à l’échelle internationale. La réalisation du langage Caml en a été un premier aboutissement. Dès lors les industriels réclamèrent à l’institut d’industrialiser les logiciels issus de ces programmes de recherche. Cette pression s’est récemment accentuée en raison de la notoriété mondiale acquise par le langage Le-Lisp élaboré par Jérome Chailloux. Alain Bensoussan a jugé qu’il était temps de prendre place sur ce marché de l’intelligence logicielle en pleine croissance mais largement dominé par des sociétés nées sur les campus américains. L’Inria est l’actionnaire majoritaire de la jeune entreprise dotée d’un capital d’un million et demi de francs. Dirigée par Pierre Haren et Jérome Chailloux, elle orientera ses activités vers le conseil et la formation, et commercialisera des langages et des environnements spécialisés ainsi que des outils de développement de systèmes experts. Cinq départements assureront le développement de l’activité : langages (Greg Nuyens), environnements Lisp (Mathieu Devin), générateurs de systèmes experts (Patrick Albert et Catherine Granger), conseil (Manuel Montalban) et simulation (Patrice Poyet). Renault, Aérospatiale, EDFGDF, Bull et Thomson sont particulièrement intéressés par ces nouveaux produits et seront les premiers clients d’Ilog. Ilog restera néanmoins en étroite relation avec l’Inria et les synergies qui en résulteront seront précieuses pour la France qui doit rester vigilante en matière de normalisation. On estime en effet que la norme Common Lisp acceptée par les industriels américains n’a pas la précision sémantique suffisante et l’Inria entend agir de manière décidée pour que Lisp conserve à l’avenir une véritable qualité scientifique. Pour cela la collaboration avec Ilog sera précieuse car elle apportera à l’institut la vision des industriels clients de sa filiale sur ces questions. La création d’Ilog est ainsi l’aboutissement d’une logique de recherche fondamentale permettant la création d’une entreprise capable de commercialiser des produits parfaitement placés sur le marché international. Si de surcroît, comme on l’espère, Ilog verse quelques dividendes permettant d’améliorer un peu un budget toujours chiche, la recherche française sera alors gagnante sur les deux tableaux ! ■ AB & PG Pierre Haren agé de 34 ans est le numéro un de l’entreprise. X-Pont, il a débuté sa carrière au ministère français de la Mer où il a contribué à la création de l’Ifremer. On dit qu’il n’hésitait pas à tester luimême certains équipements scientifiques en plongée sous-marine… Il rejoint l’Inria en 1983 après un doctorat passé au MIT. Il y dirige le projet Smeci consacré aux systèmes multi-experts. Ce sont ses qualités de gestionnaire de la recherche associées à sa parfaite connaissance de l’informatique telle qu’on la pratique dans le domaine de l’intelligence artificielle qui ont amené Alain Bensoussan, président de la nouvelle filiale, à lui confier la direction d’Ilog. À ses côtés, Jérôme Chailloux, le père du langage de programmation Le-Lisp, le produit phare d’Ilog, est entré à l’Inria sur les traces du projet de conception automatique de circuits VLSI dirigé par Jean Vuillemin. Il s’investit très rapi- dement dans un projet visant à développer un système Lisp opérationnel destiné au monde de la recherche. Le langage LeLisp est ainsi à la fois un outil de travail et un outil de recherche. Bien que très sollicité par les entreprises américaines, Jérome Chailloux a désiré rester en France. Grâce à Usenet, il reste néanmoins connecté en permanence à une communauté de recherche très internationalisée et il avoue passer deux heures chez lui chaque soir sur son ordinateur personnel pour répondre à son courrier électronique. Nul doute que les qualités complémentaires des deux chercheurs mettront Ilog sur la voie du succès. La démarche des deux hommes souligne bien la capacité d’adaptation des chercheurs de l’Inria et leur disponibilité lorsqu’il s’agit de s’investir dans des aventures industrielles. Si toutefois celles-ci restent en prise directe avec la ■ AB & PG recherche Et pendant ce temps là... Mort de l’artiste Andy Warhol – Premier vol de l’Airbus A320 – Perpétuité pour l’ancien chef de la Gestapo de Lyon Klaus Barbie – Le projet de tunnel ferroviaire sous la Manche démarre – Suite au référendum organisé sur l’île, la Nouvelle-Calédonie reste française – Signature du protocole de Montréal de 29 pays pour la réduction de la production de gaz nocifs pour la couche d'ozone – Les pays du « G6 » signent à Paris les Accords du Louvre, destinés à enrayer la baisse du dollar US et à stabiliser les taux de change – La commission des Nations Unies sur l’environnement et le développement publie le rapport Brundtland intitulé « Our common future » qui propose la définition du développement durable. LE SAVIEZ-VOUS? Microsoft lance Windows 2.0, la deuxième version de son interface graphique — Apple tente un procès contre L’HEBDOMADAIRE DES 40 ANS DE L’INRIA (no 21 – 28 mai 2007) Microsoft pour avoir copié en grande partie l'interface graphique du Macintosh. Mais Microsoft gagne le procès car auparavant Apple avait copié les idées du PARC —L’US National Science Foundation démarre NSFnet, « Chaque mois, nous réunissions chercheurs et industriels pour des conférences sur Le-Lisp » qui deviendra une partie de l’Internet actuel — IBM présente ses PS/2 pour casser le standard du PC et reconquérir des parts de marché : le nouveau bus de données 32 bits, baptisé MCA, est très performant, mais surtout protégé par des droits d’auteur — Apple présente une nouvelle gamme au format desktop, les Mac II, qui offre 6 slots d’extension. « Il a fallu de longues discussions pour faire adopter le bioinspiré » Par Frédéric Alexandre, projet Cortex, INRIA Lorraine Jérôme Chailloux, cofondateur d'Ilog © Ercim Issu d’une formation d’ingénieur nue par ces deux PDG de l’insti- années 1990. Ces travaux conti- en Informatique Industrielle, j’ai tut qui étaient alors respective- nuent aujourd’hui dans l’équipe découvert l’intelligence artificielle ment président de la commission Cortex avec Laurent Bougrain : Comment mêler le calcul neuro- Antipolis. De nombreuses person- et l’informatique théorique grâce nes prirent part au développe- aux cours de DEA de Jean-Paul nal avec des manipulations de ment (Jean-Marie Hullot, Mat- Haton et de Jean-Pierre Finance. connaissances explicites ? thieu Devin, Jean Vuillemin, Je souhaitais travailler sur le rai- Ces thématiques sont peu explo- Bernard Serpette, Bertrand Serlet, sonnement et je me suis donc rées et attirent des chercheurs etc.) et Le-Lisp devint un système lancé avec J.-P. Haton en 1987 d’autres horizons comme Domi- à base d’objets, intégrant des dans une thèse qui avait le cer- nique Martinez ou Thomas Voegt- bibliothèques graphiques, très en veau comme objet de recherche. lin. Je m’appuie beaucoup sur la avance sur son temps. Je souhaitais travailler avec les transversalité et j’ai même passé Dès 1984, les centres de recherche biologistes ce qui m’a entraîné sur une maîtrise de psychologie et de industriels se sont montrés inté- des chemins jamais parcourus physiologie afin de pouvoir com- ressés pour acquérir des licences auparavant ; c’est ainsi que je me muniquer aisément avec les spé- d’exploitation et de portage. Face suis intéressé aux approches sym- cialistes de ces disciplines. Cela à ce succès, en 1985, nous avons boliques et à leur lien avec les est indispensable pour pouvoir, créé « Les mardis du Lisp » qui approches numériques. par exemple, innover dans le per- réunissaient chercheurs et indus- Mais les recherches en sciences fectionnement des machines de J’ai rejoint l’INRIA fin 80, après la triels autour de conférences sur du vivant n’étaient pas encore à calculs parallèles en s’inspirant du délocalisation l’université Le-Lisp. Fin 85, plusieurs centai- l’ordre du jour. C’était un sujet expérimentale de Vincennes où je nes de licences avaient été émergent à l’époque ; nous étions d’évaluation et directeur scientifi- cul distribué pour faire évoluer les menais des recherches en intelli- octroyées. Pierre Haren a été un précurseurs et souvent nous fai- que. Les discussions étaient d’ail- processus et les limites physiques gence artificielle, notamment sur des premiers à avoir l’idée de sions figure de gens pas très leurs très enrichissantes car Ber- de miniaturisation. Aujourd’hui, des outils de programmation sym- créer une filiale de l’INRIA dédiée sérieux. Il a fallu de longues dis- nard Larouturrou venait du calcul nous travaillons à l’échelle du bolique appliqués aux arts plasti- au calcul symbolique, idée d’em- cussions avec Bernard Laroutur- scientifique et Gilles Kahn du cal- neurone et nous cherchons à ques et à la musique. J’ai été cha- blée soutenue par la direction de rou et Gilles Kahn pour les cul formel et de la théorie. comprendre comment cette entité leureusement au l’Institut. Reconnaissons-le, nous convaincre de la nécessité de Bien qu’a priori très fondamenta- de base du cerveau s’organise bâtiment 8. J’étais chargé de n’étions néanmoins pas très sûrs s’orienter vers le « bioinspiré ». les, ces recherches ont par exem- pour communiquer, travailler, concevoir une variante du langage de nous. Il nous a fallu toute l’an- Grâce à plusieurs autres jeunes ple eu des applications dans calculer avec les autres neurones. de programmation Lisp (le lan- née 1986 pour préciser notre pro- chercheurs de l’INRIA engagés le domaine de la sidérurgie en Sciences du vivant, calcul numé- gage symbolique réservé à l’épo- jet de filiale, que nous avons bap- dans la même démarche, cette appliquant les réseaux de neuro- rique et robotique sont étroite- que aux grosses machines) pour tisée Ilog (Intelligence logicielle). thématique a finalement été rete- nes aux laminoirs à la fin des ment liés. qu’il puisse être porté sur une A la fin de l’année, il ne nous man- © INRIA grande variété de stations de tra- quait plus que la signature du vail. Nous l’avons baptisé « Le- ministre de l’éducation nationale, Lisp ». Il a rapidement été utilisé à Alain Devaquet. Sa démission, Rocquencourt dans le projet de suite à la mort de l’étudiant Malik conception de circuits intégrés Oussekine, a retardé notre lance- VLSI de Jean Vuillemin, dans les ment de quelques mois, jusqu’au outils d’aide à la programmation 7 avril 1987. Ilog s’est ensuite du projet Croap de Gilles Kahn, développé très vite. Le mois der- dans les premières versions du nier, Pierre Haren, toujours à la langage Caml développé par tête d’Ilog a même eu l’honneur Gérard Huet et sur beaucoup de de sonner la cloche du Nasdaq à sites de l’INRIA, en particulier New-York pour le vingtième anni- dans le projet sur les systèmes à versaire de l’entreprise et le base de connaissances (Smeci) dixième anniversaire de son intro- dirigé par Pierre Haren à Sophia duction au Nasdaq. de accueilli ■ I. B. Directeur de la publication : M. Cosnard. Rédactrice en chef : S. Casademont. Comité de rédaction : M.-A. Enard, C. Genest, J. Gramage, A. Garot. Conception-réalisation : Direction de la communication/INRIA (mise en page : P. Laurent, iconographie : L. Calderan)-Technoscope (F. Breton). Ont collaboré à ce numéro : A. Beltran et P. Griset (« Histoire d’un pionnier de l’informatique » paru chez EDP Sciences), Isabelle Bellin, Sabah Khalfa. © INRIA / Photo J. Wallace vivant. Il faut travailler sur le cal- ■ S.K. Jérôme Chailloux et Jean-Marie Hullot testent sur l’ordinateur Lisa d’Apple la version de Le-Lisp portée par la société ACT Informatique (1985). J.-M. Hullot a créé par ailleurs le programme SOS Interface, écrit en Lisp. Les droits sur ce logiciel ont été rachetés en 1987 par la société NeXT Computer pour laquelle J.-M. Hullot travaillera ensuite et créera notamment Interface Builder.