CERVULLE Maxime, REES-ROBERTS Nick, Homo Exoticus. Race

Transcription

CERVULLE Maxime, REES-ROBERTS Nick, Homo Exoticus. Race
CERVULLE Maxime, REES-ROBERTS Nick, Homo Exoticus. Race, cl...
1 sur 4
http://gss.revues.org/index1548.html
n°4 | Automne 2010 :
Egologies
Analyses & comptes rendus
CERVULLE Maxime,
REES-ROBERTS Nick, Homo
Exoticus. Race, classe et
critique queer, Armand Colin,
2010.
NELLY QUEMENER
Texte intégral
1
2
L’ouvrage Homo exoticus. Race, classe et critique queer propose une analyse
critique des conflictualités de classe, de race et de sexualité dans la culture
visuelle gay hégémonique contemporaine, suivant une approche ancrée dans les
cultural studies et des théories queer. Il ouvre sur l’analyse des enjeux
postcoloniaux de l’affaire Frédéric Mitterrand, ministre de la culture accusé de
pédophilie en 2009, après avoir raconté ses rencontres avec de jeunes garçons
thaïlandais dans un livre autofictionnel, La mauvaise vie, publié quatre ans
auparavant1 . La polémique est, selon les auteurs, la manifestation d’« une
culture sexuelle où les tensions coloniales, la précarité socio-économique et la
racialisation organisent les fantasmes et les représentations » (p. 14). Le versant
non questionné de l’affaire n’est-il pas, en effet, le « regard exotisant » porté par
Mitterrand sur les jeunes travailleurs du sexe thaïlandais ? Or cette exotisation
des minorités ethnoraciales n’est pas propre à la polémique et à l’ouvrage de
Mitterrand. Elle organise les représentations et les discours du cinéma d’auteur
de Gaël Morel ou de François Ozon, et de la pornographie gay française, qui fait
des corps de l’ouvrier maghrébin ou du jeune de banlieue un objet de fantasmes
et d’excitation. Ces différents modes d’objectivation renseignent sur le regard et
les politiques gays hégémoniques, « ancrés dans la classe moyenne blanche »
(p. 18).
Le premier chapitre produit une critique de l’homonormativité en mettant en
perspective l’impensé néolibéral et les exclusions du modèle d’égalité des droits
promus par la lutte en faveur du mariage gay et lesbien et l’homoparentalité.
19/08/2011 07:26
CERVULLE Maxime, REES-ROBERTS Nick, Homo Exoticus. Race, cl...
2 sur 4
3
http://gss.revues.org/index1548.html
Cette critique porte sur deux points essentiels. D’une part, l’institutionnalisation
de l’identité gay conduit, selon les auteurs, à étendre un modèle de société basé
sur les liens de la filiation et la solidarité privée, plutôt qu’une prise en charge
par l’État et la solidarité publique. Elle privilégie l’équité et les privilèges fiscaux
dans le cadre restreint de la famille et du mariage au détriment d’autres formes
de reconnaissance de l’individu, à l’instar d’une égalité des droits entre couples
mariés et non mariés (p. 27). Elle empêche alors d’envisager un modèle en
dehors de l’éthique du mariage hétérosexuel. D’autre part, l’agenda
assimilationniste s’appuie sur une histoire et une identité commune, empêchant
d’envisager des formes de solidarité nouvelles entre groupes dominés sur la base
d’une situation marginale partagée. Il relègue aux marges du débat public les
exclusions culturelles, sociales et politiques d’un modèle républicain dont le
« color blindness » couvre en fait une hégémonie blanche. Il s’inscrit dans la
droite ligne de la défense des frontières et l’ethnocentrisme, instaurant un
« levier républicain », le mariage, à l’acquisition de la citoyenneté pour tout
étranger. À l’échelle internationale, ces mêmes exclusions se retrouvent dans
une lutte contre l’homophobie qui promeut une conception universelle de la
sexualité. Cette dernière ignore la complexité des identités et les traditions
nationales et régionales qui dissocient le lien entre pratiques sexuelles et
identités. Ces débats autour des questions ethno-raciales et postcoloniales
connaissent néanmoins une actualité dans la pensée queer contemporaine. La
relecture des politiques de représentation des sexualités propose de les orienter
vers les intersections des rapports de pouvoir de classe, de race, de genre et de
sexualité.
Dans le deuxième chapitre, les auteurs s’attachent justement à produire une
analyse combinée des questions de sexualité et ethno-raciales à partir d’un
nombre restreint mais significatif de films pornos gay français, dont la plupart
sont labellisés « porno ethniques ». Ce label rappelle les stratégies de
représentation de l’altérité héritées de la période coloniale qui ne font
l’économie ni des procédures de fétichisation et de distanciation, ni des relents
d’orientalisme. La pornographie gay ethnique commercialise la différence,
masquant la blanchité de la culture gay hégémonique sous l’alibi du plaisir
visuel. L’analyse des films de Cadinot et René Clair montre la dimension
ambivalente de ce type de représentations. Exotisés sous le regard blanc, la
charge sexuelle et érotique des acteurs arabes repose bien souvent sur une
« relation d’exploitation » entre le « contremaître voyeur » et l’ouvrier arabe,
dominés en termes de classe et d’ethnicité. Dans les films de Cadinot
notamment, le spectateur fait l’expérience d’un tourisme de classe, qui exploite
les hiérarchies et les différences à des fins d’érotisation et d’excitation, plutôt
que d’en désigner les mécanismes. Dans les films Studio Beurs et URSS de René
Clair2, cette exotisation articule de manière flagrante la dimension genrée et
sexuelle du stéréotype. Les Arabes répondent aux attendus de l’homme viril et
sont présentés comme hétérosexuels, confortant ainsi l’équation gay = blanc.
Réduits à une présence corporelle à l’écran, ils sont également érotisés par
l’association à une classe défavorisée, puisque la narration laisse penser qu’ils
sont des prostitués. À côté des films de Cadinot et de René Clair cependant,
certains espaces de différences persistent, parmi lesquels les films du studio
français Cité Beur qui signale par la parodie et la mise en scène hyperbolique des
figures du « lascar » ou de la « racaille » les stéréotypes de l’arabité. Pourtant,
dans les séquences dépeintes, l’exacerbation du stéréotype sexuel de l’Arabe
(viril, violeur, en situation sociale subalterne) n’échappe jamais complètement à
une inscription dans un jeu d’érotisation qui finit par matérialiser le stéréotype.
19/08/2011 07:26
CERVULLE Maxime, REES-ROBERTS Nick, Homo Exoticus. Race, cl...
3 sur 4
4
5
6
http://gss.revues.org/index1548.html
Sans doute les films de Cité Beur remettent-ils en cause et désignent-ils la
blanchité dominante du porno gay, mais ils restent tributaires d’un univers
discursif qui érotise la différence ethnora-ciale et de classe en la mettant à
distance.
Ce processus d’exotisation fonctionne tel un jeu complexe autour de
l’imaginaire genré et sexuel, que les auteurs n’hésitent à qualifier
d’« orientalisme gay » (p. 83). Le troisième chapitre montre que cet orientalisme
gouverne les produits culturels apparemment plus « nobles » que la
pornographie, c’est-à-dire le cinéma gay d’auteur français, à l’instar des films de
François Ozon, Sébastien Lifshitz ou Gaël Morel. François Ozon, dans un film,
Les Amants criminels,3au succès très confidentiel, active le fantasme
homoérotique blanc du garçon arabe en filmant l’acteur Salim Kechiouche dans
le rôle de Saïd, tel un pin up et en suggérant l’attirance homosexuelle entre Saïd
et Luc, son meurtrier. Plus ambivalentes sont les relations dépeintes par le
réalisateur Lifshitz : le désir de ses personnages blancs pour les beurs et les noirs
se situe certes « dans la différence ethno-raciale », mais substitue « au
fétichisme une forme d’admiration pour la capacité de résistance des hommes
noirs et des hommes beurs » (p. 94). Le stéréotype de la puissance physique du
beur ou du noir se trouve reformulé par l’alliance d’une forme d’exotisation et
d’érotique du mouvement politique et des stratégies de résistance des noirs et
des Arabes. Cette exotisation explicite ou ambivalente dans le cinéma d’auteur
gay semble participer d’un backlash contemporain4 dans le cinéma grand public.
Des films tels Agathe Cléry5 ou Aïsha6, malgré leurs bonnes intentions, activent
les anxiétés autour de la défense de la blanchité et de la laïcité, en mobilisant des
éléments tirés des stéréotypes ethno-raciaux. À l’opposé, les autres films à
l’instar d’Indigènes7 ou Welcome8 interrogent les exclusions et procédures de
discrimination du modèle républicain, tentant d’éviter l’objectivation de la figue
de l’Arabe ou du noir. Cette combinaison contradictoire et la matérialisation
dans la répétition du stéréotype, constitutifs de la sphère publique française,
amènent les auteurs à interroger « les effets politiques des récits et des images »
(p. 109).
Le chapitre conclusif s’apparente à une question finale. Il insiste sur la remise
en cause des fondements des politiques de la reconnaissance par le matérialisme
queer, qui tente de réintroduire les hiérarchies de classes sociales et les rapports
de race dans l’analyse des relations interpersonnelles. Les théoriciennes Nancy
Fraser et Mandy Merck ont en effet montré l’enchevêtrement des facteurs
d’oppression économique et sexuelle, touchant particulièrement deux
catégories : les femmes et les minorités ethno-raciales. Par conséquent, en
choisissant d’œuvrer pour une reconnaissance par l’État et pour l’inclusion
économique, les politiques gay mainstream ignorent les intersections des
rapports de pouvoir et leurs principales victimes. Elles détournent surtout
l’attention d’une réflexion sur les moyens de fédérer les groupes subalternes
autour la dénonciation d’un modèle hégémonique. Pourtant, depuis la fin des
années 1990, la pensée queer s’est remise en cause avec la montée des
problématiques de l’intersection, des queers of color et des questions
économiques. Plutôt que de conclure à la réussite ou l’échec de cette relecture
des théories queer, Cervulle et Rees-Roberts défendent la complexification des
territoires des identités dans les représentations et les politiques des minorités
qu’elle invite à envisager. Cette complexification est aussi l’instrument d’une
désignation des nouvelles techniques de pouvoir qui consistent à associer
modernité et sexualité, francité et blanchité.
Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts livrent dans cet ouvrage une analyse
19/08/2011 07:26
CERVULLE Maxime, REES-ROBERTS Nick, Homo Exoticus. Race, cl...
4 sur 4
http://gss.revues.org/index1548.html
fine quoique non exhaustive des politiques des représentations gay en France,
marquées par une volonté assimilationniste et l’universalisme républicain.
Ignorant les enjeux de classe et de race qu’implique la lutte pour l’égalité, ces
politiques finissent par rejeter à la périphérie les groupes ethniques et les
minorités sexuelles. Si l’ouvrage ne se penche pas sur les autoreprésentations
produites par les gays beurs ou noirs, il se positionne en faveur d’une poursuite
de l’étude des intersections à travers la multiplication des objets d’analyse. D’une
très grande richesse théorique et mêlant le style de l’essai et de l’analyse
filmique, il pose les jalons d’une critique du regard gay mainstream, première
étape à une réflexion sur les possibilités politiques réformistes qui se proposent
d’envisager la multiplicité des facteurs d’oppression et des nouvelles formes de
solidarité.
Notes
1 MITTERRAND Frédéric, La Mauvaise Vie, Paris, Robert Laffont, 2005.
2 URSS, Jean-Noël René Clair, 1996 ; Studio Beurs, Jean-Noël René Clair, 1997.
3 Les Amants criminels, François Ozon, 1999.
4 FALUDI Susan, Backlash: The Undeclared War Against American Women, Londres,
Vintage, 1991.
Selon la définition de Susan Faludi, le backlash renvoie à une contre-offensive insidieuse
qui, tout en apparaissant progressiste, promeut un retour aux valeurs dominantes et
traditionnelles.
5 Agathe Cléry, Etienne Chatiliez, 2008.
6 Aïsha, Yamina Benguigui, 2010.
7 Indigènes, Rachid Bouchareb, 2006.
8 Welcome, Philippe Lioret, 2008.
Pour citer cet article
Référence électronique
Nelly Quemener , « CERVULLE Maxime, REES-ROBERTS Nick, Homo Exoticus. Race,
classe et critique queer, Armand Colin, 2010. », Genre, sexualité & société [En ligne] ,
n°4 | Automne 2010 , mis en ligne le 05 décembre 2010, Consulté le 19 août 2011. URL :
http://gss.revues.org/index1548.html
Auteur
Nelly Quemener
Droits d'auteur
© Tous droits réservés
19/08/2011 07:26