L`âge d`or des séries
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L`âge d`or des séries
Chronique Télévision 5 avril 2006 L’âge d’or des séries Par Benoît Landousy, Etudiant e n Mast er Droit e t Mé tiers de l ’A udiovisuel L’âge d’or des séries par Ben oît L and ou sy , le 2 5 janvie r 2 005 N ip Tuck, The Shield, Les Sopranos, Alias, A la Maison Blanche, Sex and the city, Six feet under, 24 Heures chrono, Les experts, NCIS, Ally Mc Beal… Longtemps confinées au rang de divertissement médiocre, les séries, et notamment les séries américaines, sont devenues, en quelques années, le fer de lance de la créativité et de l’imaginaire visuel et connaissent aujourd’hui un succès démesuré, qui fait de l’ombre à Hollywood. Le jour de la diffusion du dernier épisode de la sitcom Friends par ABC, aux Etats-Unis, 70 millions de téléspectateurs se trouvaient devant leur écran ; en une décennie, la série X-Files a rapporté un milliard de dollars à ses concepteurs… Combien de films peuvent se vanter d’en avoir fait autant ? L’explication de ce phénomène est simple. Héros, personnages historiques, événements réels ou fantastiques… le spectateur qui se rend dans une salle de cinéma assiste au déroulement d’une histoire qui, quelle que soit sa valeur ou son mérite, est bornée dans l’espace et dans le temps, et donc lui est étrangère. Les personnages de série, au contraire, naissent, vivent, meurent ou évoluent dans une temporalité parallèle à celle du spectateur ; lorsque celui-ci porte son regard sur le petit écran, il voit… son propre reflet. Les séries constituent le miroir de la société occidentale moderne. Crainte du terrorisme dans 24 Heures ; mal-être du 21ème siècle dans Six feet under ; désorientation sexuelle dans The L World ; manipulation mentale dans Alias ; survivalisme dans Lost ; tyrannie de la beauté et de la chirurgie dans Nip/Tuck ; quête effrénée du plaisir dans Sex in the city ; horreur pénitentiaire dans Oz ; cauchemar professionnel dans Profit ; violence dans The shield ; peur de l’ennui et du quotidien dans Desperate Housewives… Aucune de nos appréhensions, de nos envies, de nos pulsions, aucun de nos sentiments, de nos doutes et de nos travers n’échappe à l’œil acerbe des scénaristes. Les séries sont impertinentes, brutales, dérangeantes… Elles disent tout, osent tout et repoussent leurs propres limites. Sur le plan humain comme sur le plan artistique. X-Files Urgences et Friends ont transfiguré le genre dans les années 90 avec "réalisme, démesure et profondeur" 1. Les séries jouissent désormais de scénarios complexes, de budgets colossaux, de réalisations soignées et d’acteurs remarquables, qui leur permettent de concurrencer en tous points le septième art. De nombreux comédiens, à Hollywood, n’hésitent d’ailleurs plus à franchir le pas : Gary Sinise (Les Experts), Kiefer Sutherland (24 Heures), ou Martin Sheen (A la Maison Blanche) ont définitivement trouvé leur place sur petit écran. © Ecranlarge.com Jusqu’à présent souvent reléguées en seconde ou en troisième partie de soirée, les séries américaines sont maintenant diffusées en prime time, à 20h50 et font le bonheur des chaînes françaises : sur France 2, FBI : portés disparus attire en moyenne 7,5 millions de téléspectateurs le dimanche soir ; sur TF1, Les Experts réunissent près de 8,5 millions de personnes… "Les productions américaines ne cessent d’alimenter le PAF, à raison de deux ou trois excellentes par an " selon Laurent Storch, directeur des acquisitions de TF1 2. " Quatre univers intéressent le public : policier, médical, juridique et familial. On peut ajouter la veine fantastique de Star Trek. Le policier a le plus extraordinairement renouvelé son propre genre. Nous sommes passés de héros comme Kojak ou Columbo à des histoires très prenantes". "La série policière est un genre de prédilection pour le public français", juge pour sa part Cécile Négrier, directrice adjointe des acquisitions de programmes chez France 2. "Nous sommes sur des codes narratifs et une écriture très bien identifiés sans trop de références culturelles pour les polluer. Une victime, un assassin, c’est une base universelle". "Historiquement, le genre a toujours fédéré de l’audience. Beaucoup de gens ont grandi avec elle et quand on leur propose de la qualité, ils sont au rendez-vous. Les américains ont de bonnes idées et des moyens", conclut Nicolas Coppermann, directeur adjoint des programmes en charge de la production de fiction chez M6. La fiction américaine n’est pas la seule à tirer son épingle du jeu. Les séries françaises caracolent en tête du palmarès respectif de chaque chaîne et s’imposent comme championnes toutes catégories au sein du classement des meilleures audiences de la télévision française : 55 des 100 meilleures audiences ont été réalisées par des séries en 2005, et quatre fictions ont dépassé le cap des dix millions de téléspectateurs (Dolmen, Les Cordier juge et flic, Julie Lescaut, Une femme d’honneur) ; à titre de comparaison, seuls 17 films ont réussi à se hisser dans le top 100 des audiences de la télévision française. Si tous les genres sont représentés dans le paysage audiovisuel – fictions éducatives comme L’instit, sociales comme Docteur Sylvestre, policières comme Navarro, ou historiques, comme Les rois maudits – les séries policières sont indéniablement celles qui plaisent le plus au public. 1 2 Clara Géliot et Nicolas d’Estienne d’Orves, « La loi des séries », Le Figaro Magazine, 10/11/05 Nathalie Simon, « Les séries policières font la loi », Le Figaro, 23/03/06 © Ecranlarge.com La clé du succès ? "Une tapisserie d’histoires et de personnages qui serait inconcevable dans n’importe quel autre médium" estime Steven Bochco, le père de la série américaine NYPD Blues3. Mais pas seulement. Le réalisme et la proximité sont indispensables pour que la magie fonctionne... "On mêle l’enquête et les caractères des personnages auxquels le public parvient à s’identifier. Les formes et les modes narratifs qui servent le genre policier évoluent en même temps que la société", juge Takis Candilis, directeur de la fiction pour TF1. "Nous voulons montrer que les flics et les juges sont des gens comme tout le monde", ajoute Michel Reynaud, concepteur de Préjudices, une fiction de France 2 réalisée à partir de faits divers réels mais avec des personnages récurrents. "Ils peuvent être touchés par les affaires qu’ils traitent, avoir des névroses, des problèmes personnels, de sexe, d’argent. Nous avons essayé d’être vrais par rapport au fonctionnement de la justice. Il y a des individus qui font de bonnes choses pour de mauvaises raisons et d’autres qui font des mauvaises choses pour de bonnes raisons, comme dans la vie" 4. Les héros, finalement, sont des personnages ordinaires. Innovation et liberté de ton caractérisent également les séries contemporaines. Aujourd’hui, les scénaristes des fictions n’hésitent pas à bousculer les schémas établis et à mélanger les genres. Sex and the city, série branchée dans laquelle quatre filles décomplexées vivent leurs fantasmes à l’écran, a fait tomber le tabou de la sexualité à la télévision. 24 heures, série filmée caméra à l’épaule et construite avec un montage nerveux, très serré, a fait voler en éclats les conventions artistiques traditionnelles de la fiction. Life on Mars, série proposée par la BBC, mélange avec audace le genre policier et la science-fiction. Big Love, une série produite par la chaîne américaine HBO, propose aux téléspectateurs de s’immerger dans le quotidien d'une famille polygame de mormons (le père, ses trois épouses et ses onze enfants)… Une idée originale que n’ont manifestement pas appréciée certains membres de la secte, qui ont exprimé leur mécontentement. La fiction représente, au-delà des scores d’audience, une composante essentielle de l’image de marque des diffuseurs et génère un coefficient de sympathie qui profite à l’ensemble des programmes d’une chaîne. Les groupes français n’hésitent donc pas à investir plusieurs millions d’euros sur les séries (en 2005, TF1 a consacré 180 millions d’euros à 95 projets de fictions et France 2 a investi 130 millions dans 110 projets) et à rassembler d’impressionnants castings pour leur tournage. Mais une telle débauche de moyens est parfois superflue, comme en témoigne le succès de Plus belle la vie sur France 3 : ce feuilleton quotidien de 26 minutes, porté par de jeunes comédiens, réunit près de 3,6 millions de téléspectateurs en access prime time tous les soirs de la semaine (15,6% de part d’audience). M6, qui vient d’acheter au diffuseur mexicain Televisa les droits de 118 épisodes de Rubi, un feuilleton du même format racontant l’histoire d’une jeune fille pauvre qui met tout en œuvre pour atteindre la richesse, espère suivre la trace de France 3 sur le chemin de la réussite. Une ombre vient toutefois ternir le tableau de la fiction française : l’absence fréquente de rediffusion des œuvres hexagonales. Assis sur près de 2.000 heures de programmes de fiction quasiment inexploités, producteurs et diffuseurs répugnent à utiliser leur stock d’œuvres et préfèrent miser sur de la production fraîche ; "seule la fiction américaine se rediffuse à l'envi, et à n'importe quelle heure du jour et de la nuit" 5. Les raisons de cette situation ? Une réglementation favorable à la création, mais défavorable aux rediffusions. Le décret du 1er juillet 2001 a limité le nombre de rediffusions gratuites des programmes financés par les chaînes de télévision pour accroître le second marché des œuvres audiovisuelles et la convention collective des acteurs, négociée en 1992, prévoit un supplément de rémunération pouvant aller jusqu’à 20% du cachet initial en cas de rediffusion d’une série. Un système prohibitif pour les chaînes, qui doivent payer un surcoût important à chaque nouveau passage de fiction sur petit écran. "Conclusion", explique Pierre-Alain Benoît, directeur d’Espaces TV Communication, qui vient de réaliser une étude sur le cycle de vie des séries à la télévision, "les rediffusions des oeuvres se font principalement en prime time, la tranche la plus juteuse de la télévision, et lorsque c'est indispensable à l'installation du programme". Sur les 380 heures de fictions françaises inédites diffusées chaque année entre 20 heures et 22 heures, seules 30% seront rediffusées. Et seuls 5% de ces oeuvres bénéficieront d'un troisième passage à la télévision, quand Colombo ou La petite maison dans la prairie bénéficient de multiples diffusions. Le défaut de la fiction française, qui réside dans l’absence de schéma d’exploitation à long terme (rediffusion, exportation), doit être corrigé rapidement, sous peine de voir les séries américaines truster le petit écran et des séries françaises de qualité sombrer dans l’oubli. 3 Olivier Joyard et Loïc Prigent, « Hollywood, le règne des séries», ARTE, septembre 2005 Nathalie Simon, « Des faits divers en série », Le Figaro, 13/03/06 5 Gonzales Paule, « Pas de seconde vie pour la fiction française», Le Figaro Economie, 03/04/06 4 Décrypter les séries : quelques éléments fondamentaux Formats & Genres Série : œuvre de fiction télévisée à épisodes ; les personnages sont récurrents d’un épisode à l’autre, mais les intrigues sont indépendantes (Navarro, Julie Lescaut...). Mini-série événementielle : œuvre de fiction télévisée comportant 2 à 4 épisodes, construits autour d’un thème unique (Le comte de Monte-Cristo, Napoléon, Les rois maudits…). Feuilleton : œuvre de fiction télévisée linéaire, comportant plusieurs épisodes interconnectés. Les feuilletons peuvent être courts (sagas estivales) ou longs (diffusion annuelle). Soap opera 6 : feuilleton quotidien dont les auteurs écrivent les épisodes au fur et à mesure du déroulement de l’histoire ; c’est un mélodrame où se mêlent sexe, argent, et conflits familiaux ou professionnels. Sitcom (comédie de situation 7) : c’est une série à caractère humoristique mettant en scène les membres d’une famille, d’un groupe de travail ou d’un groupe d’amis et qui contient des rires préenregistrés (Friends, Sex and the city…) Spin-off : série dérivée, reprenant un concept ou des personnages créés dans une autre série (Angel est un spin-off de Buffy contre les vampires, Joey est un spin-off de Friends…) Durée 26 minutes ou 52 minutes (fictions américaines et internationales, parfois françaises) 45 minutes ou 90 minutes (majorité des fictions françaises) Structure scénaristique Pilote : épisode inaugural d’une série, mettant les personnages et le concept narratif en place. Il est d’abord montré aux responsables d’une chaîne, puis diffusé auprès d’un échantillon de téléspectateurs ; s’il obtient de bons résultats, la chaîne passera commande pour la série. Saison : période de diffusion d’une série, généralement située entre octobre et mai. Elle peut compter une dizaine ou une vingtaine d’épisodes au total. Structure modulaire : construction scénaristique comportant deux niveaux de narration : un récit complet A à l’intérieur de chaque épisode et un récit secondaire B à suivre sur plusieurs épisodes ou sur l’ensemble de la série. Arc narratif : suite d’épisodes constituant une histoire complète au sein d’une série. Stand alone épisode : au sein d’une série, épisode isolé contenant une histoire complète. Crossover : épisode d’une série ‘A’ dans lequel interviennent des personnages d’une série ‘B’. Il permet en général de renforcer l’audience de la série moins regardée (A). 6 7 Les « soaps operas » télévisés tirent leur surnom des feuilletons radiophoniques originellement commandités par des fabricants de lessive « Sitcom » vient de la contraction de « situation comedy ». Bibliographie : Articles - Gonzales Paule, « Les séries télé font recettes», Le Figaro Economie, 03/01/06 - Géliot Clara et d’Estienne d’Orve Nicolas « La loi des séries », Le Figaro Magazine, 10/11/05 - Simon Nathalie, « Des faits divers en série », Le Figaro, 13/03/06 - Simon Nathalie, « Les séries policières font la loi », Le Figaro, 23/03/06 - Gonzales Paule, « Pas de seconde vie pour la fiction française», Le Figaro Economie, 03/04/06 - Dutheil Guy et Galinier Pascal, « La fiction reprend l’avantage sur la téléréalité », Le Monde, 03/04/06 - Valérie Champetier, « Le renouveau de la fiction passe-t-il par les formats ? », Les nouveaux dossiers de - l’audiovisuel n°6, Septembre/Octobre 2005. Frat Murielle, « La tornade ‘Rubi’ s’abat sur le PAF », Le Figaro, 25/04/06 Ouvrage - Martin Winckler, Les miroirs de la vie, histoire des séries américaines, Editions Le passage (2001) Documentaire télévisé - Olivier Joyard et Loïc Prigent, « Hollywood, le règne des séries», ARTE, septembre 2005