1ère partie : Les sources du lexique

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1ère partie : Les sources du lexique
1ère partie : Les sources du lexique
A . Le fonds primitif
B. Unités nationalisées par le français à partir des patois, dialectes et langues
régionales
C. Emprunts à d’autres langues (langues anciennes et modernes)
A . Le fonds primitif : 3 couches anciennes relativement épaisses (substrat)
- le fonds gaulois (langue celtique) à partir du 8e av J.C. (quelques mots liés à la
nature et à la culture, toponymes)
chêne, char, mouton, balai…
- le fonds latin vulgaire- à partir du 1er av. J.C. (la plus grande part du fonds
linguistique: 80% du voc. français)
- le fonds germanique - du 5e au 7e ap. J.C.
Invasions des Wisigoths, Burgondes, Alamans → (allemand, alsacien), Francs →
(francique→néerlandais/flamand)
(35 des 1000 mots les plus fréquents du français élémentaire liés à la vie rurale
(forêt) , administrative, militaire; toponymes; anthroponymes)
bois, guerre, trop, (re)garder, gauche, taper, blesser, soigner, guérir…
Les mots du fonds primitif ont subi une transformation ininterrompue de la
prononciation (oral), de la graphie (écrit) :
Ex : gaulois
cassanos = chêne ⇒ il existe en France 221 toponymes évoquant le chêne (villes de
Chassaigne, Chassagne, Cassagne, Quesnoy, Chesnay…)
onno = fleuve ⇒ Garonne
En dehors du lexique, on doit aussi au gaulois la prononciation du U, les liaisons, la
terminaison – ons, la numérotation par vingt (quatre-vingts)
Ex : latin vulgaire
hospitalem → hôtel
sacramentum → serment
fabrica → forge
testa → tête
Ex : germanique
Mulhouse: (Mühle =moulin + Haus = maison)
Bernard (bern= ours + hard= fort)
On doit entre autres au substrat germanique
- le suffixe – ard (à partir de l’adjectif hard = fort, puissant)
chauffard, vantard, montagnard, maquisard…
- le retour de la consonne initiale h (mots qui se prononcent avec un h aspiré : haine,
halle, héron )
- nouveaux mots commençant par /g/ (werra→guerre, *wardon →garder,
*wrakjo→ garçon, want →gant
B. Unités nationalisées par le français à partir des patois, dialectes et
langues régionales
goéland (gwelan) ← breton
usine ← dialecte du nord-est (évolution du latin officina)
brioche ←normand ( brier = pétrir la pâte)
lessive ← dialecte de l’ouest
daurade ← provençal
C. Emprunts à d’autres langues
1) aux langues anciennes: latin et grec
- du M.A. au 16e : permet la constitution d’un vocabulaire abstrait →
doublets (le français est une langue deux fois latine)
- à partir du 17e pour nommer des inventions et des concepts nouveaux
(médecine, philosophie, sciences humaines…)
Doublets :
COMPUTARE → compter et conter
DIRECTUS → direct et droit
GEMERE → gémir et geindre
LEGALIS → légal et loyal
Expressions latines
Ex aequo, sine die ,in extremis, in vitro/in vivo …
Domaines particuliers:
droit, botanique, chimie, médecine …
2) aux langues modernes surtout à partir du 15e s. (grandes
découvertes)
Par ordre d’importance : ( sur les 35 000 mots français courant : 4192 mots d’origine
étrangère) (Walter 1997 :17)
- anglais : 1053 (25%)
- italien: 698 (16,6%)
- arabe : 214 (5,1%)
- espagnol : 157 (3,7%)
- le néerlandais : 151 (3,6%)
- allemand : 147 (3,5%)
- persan et sanskrit : 109 (2,6%)
Par époque :
- Moyen-Age : langues vulgaires entrent en contact grâce au commerce (arabe,
italien, néerlandais)
- XVIe : Renaissance (italien)
- XVIIe : L’Europe s’ouvre à l’extérieur (espagnol et portugais)
Au nord : arrivage de mots néerlandais et allemands
- XVIIIe : Recherche de modèles institutionnels (anglais)
- XIXe-XXe : influence des USA (américain), russe
Les emprunts du français à l’italien
1. Du Moyen Age à la Renaissance
· Les mots du commerce
C'est d'abord par son commerce que l'influence de l'Italie se fait sentir dès le XIVe siècle.
Pendant tout le Moyen Age, les ports de Venise, de Gênes et Pise ont joué un rôle de relais naturel
sur la route des épices et de la soie, qui du lointain Orient, aboutissait aux foires de Champagne,
rendez-vous périodique d'un commerce déjà international. L'un des avantages qu'avaient acquis les
négociants italiens était la création d'établissements portuaires qu'on appelait des échelles. C'est
dans ces ports, soumis à leur juridiction et à leur administration, qu'on faisait escale et c'est là que
se réalisait l'essentiel du commerce entre l'Orient et l'Occident.
Les Vénitiens et les Génois avaient là leur arsenal et leur douane, ils y fixaient leurs tarifs et y
constataient éventuellement des avaries. Tous ces mots d'origine arabe ont donc transité par l'italien
avant de devenir français. Il en est de même pour les noms de tissus orientaux : le taffetas originaire
de Perse, le baldaquin qui désignait à l'origine une étoffe en soie de Bagdad. D'Orient venaient
aussi la perle et la nacre.
· Les mots de la banque
Les marchands italiens sont aussi des banquiers et le nom des Lombards est durant tout le Moyen
Age synonyme d'usure et de haute finance. Ces Lombards qui laisseront leur nom à une rue de Paris
n'étaient pas tous originaires de Lombardie, mais venaient surtout de Venise, Gênes et de la
Toscane (Pise, Sienne, Lucques et Florence). C'est à eux que l'on doit la plupart des termes de la
finance, à commencer par banque (qui désignait le comptoir ou se faisaient les transactions du
changeur ) et banqueroute (comptoir rompu, car on brisait symboliquement l'instrument de travail
d'un changeur lorsqu'il avait fait faillite).
La puissance et l'efficacité des banquiers italiens sont telles que plusieurs noms et pièces de
monnaie d'Italie ont eu cours dans d'autres pays d'Europe :
- le ducat, qui était la monnaie des doges de Venise, désigne une monnaie généralement en or. Il a
eu cours dans différents pays .
- le florin ,qui a eu cours en France, est actuellement le nom de la monnaie des Pays-Bas (en
concurrence avec le gulden)
- la piastre, désigne familièrement le dollar au Canada
- la gazette (du vénitien gazeta) , pièce sur la quelle figurait une petite pie et qui permettait d'acheter
une feuille d'annonces et de chroniques mondaines, elle même appelée gazzetta. La gazette désigne
aujourd'hui en français un écrit périodique contenant des nouvelles.
· Les mots de la guerre
C'est le canon qui sonne la fin du Moyen Age et ouvre l'ère moderne. Le mot arrive d'Italie en 1339
et c'est une conception nouvelle de l'art militaire que la péninsule va imposer à l'Europe bien avant
son architecture, ses arts, ses modes et ses moeurs.
Jusqu'aux abords du XVe siècle , en dehors du commerce, l'apport italien sera essentiellement
militaire . Tous les domaines seront concernés : l'artillerie et les fortifications ( canon, cartouche,
parapet…) , l'escrime ( escrime, estocade, fleuret, parer…) , l'équitation ( cavalcade, cavalier,
carrousel…) , la navigation ( esquif, frégate, gondole, carène, drisse, corsaire, noliser…)
En outre- et ceci est très caractéristique de l'italianisation de tout ce domaine - on emprunte des
adjectifs comme poltron, brave, peste, leste, ingambe, alerte …ou des adverbes comme à
l'improviste.
2. La renaissance
Le XVIe siècle est marqué par une grande interpénétration des peuples français et italiens pour
différents motifs.
a) militaires:
les onze " guerres d'Italie" (1494 à 1559) menées par les rois de France Charles VIII, Louis XII,
François Ier, Henri II.
b) politiques:
- la présence successive de deux reines italiennes à la cour de France. (Catherine de Médicis de
1533 à 1580 épouse d'Henri II puis régente, et Marie de Médicis de 1600 à 1610 épouse de Henri
IV puis régente)
- la présence du cardinal Mazarin , 1er ministre de 1641 à 1661
c) artistiques:
Le XVIe siècle français se caractérise par l'attirance envers tout ce qui vient de l'Italie, et par le
prestige qui entoure les artistes italiens de la Renaissance, dont certains passeront une partie de leur
vie en France : en 1515, François Ier invite Léonard de Vinci à séjourner dans ses châteaux de la
Loire ; en 1531, il fait venir le Primatice pour décorer le château de Fontainebleau et, en 1540, il
appelle auprès de lui le sculpteur Benvenuto Cellini, qui résidera en France pendant 5 ans.
De leur côté, tous les grands de la littérature française ont été attirés par l'Italie, et pratiquement tous
y ont séjourné : Rabelais a passé un an à Rome, du Bellay y a vécu près de 3 ans et Montaigne, au
cours de son long périple hors de France, a séjourné plusieurs mois en Toscane puis à Rome.
La langue italienne devient l'objet d'un intérêt, voire d'un engouement, qui ne fera que s'intensifier
sous la régence de Catherine de Médicis. L'italomanie va toucher tout l'art de vivre :
· l'architecture : rotonde, esplanade, stuc, grotte, bosquet….
· les beaux-arts et en particulier la musique : cadence, tercet, violon, bémol, madrigal, concert,
sourdine…
· le mobilier : lustre, matelas…
· les vêtements : parasol, veste, ombrelle…
· les ornements : moustache, parfumer, pommade, bergamote…
· la cuisine : artichaut, cervelas, sorbet, vermicelle, brocoli…
· les moeurs : l'italianisme pénètre la vie de Cour sous forme de jeux : tarot, ballon , de danses :
pavane mais aussi sous forme d'un comportement : caresses, frasques, foucade, caprice,
escapade…
Le français parlé à la cour des Valois s'italianise tant que certaines personnes craindront pour sa
survie. Des mouvements de résistance (comme il en existe aujourd'hui contre l'anglais) vont
s'organiser à la fois du côté des écrivains et de la part du pouvoir politique. On s'insurgera par
exemple de l'emploi de l'expression à l'improviste (emprunté à l'italien) alors que le français avait
déjà au dépourvu.
Si la langue française a jugé bon de garder des centaines de mots apportés par l'italien de l'époque,
certains, employés tout naturellement au XVIe siècle, ne survivront pas à l'effet de mode.
3. L'Italie du XVIIe et du XVIIIe siècle
Les thèmes d'emprunt se restreignent. Les beaux jours du commerce vénitien sont révolus; la
stratégie des condottières n'est plus à l'échelle moderne et la société des Cours italiennes n'est plus
un modèle pour l'Europe. Mais l'Italie est la terre des peintres et des musiciens.
· La peinture
L'influence de l'école italienne sur la peinture française devient prépondérante au XVIIe siècle.
C'est à Rome que travaillent les plus grands peintres comme Nicolas Poussin et ou Claude Gelée
(dit Le Lorrain) . On leur doit d'avoir introduit le paysage dans la peinture et d'avoir élevé le
paysage romain à la dignité de paysage classique. Toute la terminologie de la peinture française sera
très marquée par cette influence italienne : coloris, profil, lettrine, madone, filigrane, pittoresque,
format, caricature….
· La musique
Le mot opéra apparaît en 1646, date à laquelle Mazarin introduit à Paris l'opéra italien et avec lui la
musique moderne. Elle va s'imposer au cours du XVIIIe siècle et avec elle toute une terminologie :
mandoline, solo, cantate, da capo, adagio, oratorio, cantatrice, ténor, soprano… Le plus
remarquable est que cette terminologie conservera sa forme purement étrangère . Désormais, les
musiciens parlent italien, les cuisiniers français et les cinéastes américain.
· Le théâtre et le jeu
Ils constituent deux autres apports de l'Italie à la société du XVIIe siècle. A la Comedia dell'Arte
nous devons : bergamasque, burlesque , polichinelle, pantalon, comparse, imbroglio… Les Italiens
semblent aussi être l'origine de la loterie, du numéro, et du loto.
4. L'Italie moderne
A partir du XVIIIe siècle, le dynamisme de la culture italienne s'épuise. L'Italie devient la terre du
tourisme britannique et du pèlerinage stendhalien. C'est de cette époque que date des mots comme :
cicérone, villégiature, villa , casino.
Le XIXe siècle n'apportera que quelques termes musicaux.
Au XXe siècle, en revanche, l'Italie prend part à la transformation politique, sociale et
technologique du monde moderne. A part les mots fascisme et fasciste, le français lui doit
analphabétisme, autostrade (utilisé en Belgique), ferroviaire, agrume, paparazzi, panino).
On notera dans l'édition du dictionnaire Petit Robert édition 2002/2003, l'entrée des mots farfalle,
fettucine, fusilli, rigatoni…
5. Conclusion
Ainsi, jusqu'au milieu du XXe siècle, c'est à l'italien que le français a le plus emprunté. Si certains
italianismes sont aujourd'hui tombés en désuétude, on compte encore environ 850 mots empruntés à
la langue italienne qui se sont fondus dans la masse lexicale déjà héritée du latin. La naturalisation
française des mots italiens a été un tel succès que certains d'entre eux ont même été proposés pour
remplacer une partie des anglicismes actuels. En substituant par exemple vol nolisé à charter, on
remplace en fait un emprunt à l'anglais par un emprunt à l'italien !
Bibliographie
- Dubois J. [et al.] Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse,
1994
- Guiraud P. Les mots étrangers, Paris, Puf, 1965
- Hamon A. Les mots du français, Paris, Hachette Education , 1992
- Huchon M. Historie de la langue française, Paris, Le Livre de Poche, 2002
- Walter H. L'aventure des mots venus d'ailleurs , Paris, Laffont, 1990
- Walter H. et G. Dictionnaire des mots d'origine étrangère, Paris, Larousse, 1991