Auto-observance et motivation
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Auto-observance et motivation
Auto-observance et motivation Pr. Grimaldi Diabétologue CHU Pitié-Salpétrière, Paris. Merck Serono Diabétologie Merck Serono est une division de Merck 1 Préambule L’éducation thérapeutique s’est imposée comme modèle de prise en charge des patients atteints de maladie chronique ou présentant des facteurs de risques, en s’opposant d’une part à l’infantilisation du patient réduit au statut d’élève ou d’enfant devant observer les prescriptions d’un médecin décidant à sa place et pour son bien ; d’autre part à l’objectivation du malade, réduit à sa maladie. Les pionniers de l’éducation thérapeutique qui revendiquent une pratique centrée sur le patient sont fiers de ce combat historique. Cependant, loin de l’autosatisfaction, il est parfois utile de penser contre soi. En effet, on voit naître au sein du « courant » des militants de l’éducation thérapeutique, une tendance à réduire l’éducation thérapeutique à l’éducation, en relativisant la thérapeutique, puis à réduire l’éducation à l’accompagnement, et finalement l’accompagnement à la bienveillance. L’empire du bien triomphe ! Le problème de l’observance tend à être marginalisé quand elle ne devient pas un « gros mot » à éviter. Tout au contraire, l’observance nous paraît au cœur de l’éducation thérapeutique et du rapport médecin – patient au cours de la maladie chronique. Encore faut-il lever le malentendu qui se cache derrière le concept d’observance et qu’on ne peut pas résoudre par un simple changement de nom, en remplaçant observance par adhérence. Comme s’il suffisait d’adhérer pour observer ! 2 3 1- L’inobservance Un problème majeur de santé publique myalgies est d’environ 5 % et le taux de rhabdomyolyse inférieur à 1 pour 100 000. Le coût des hospitalisations dues à la non observance de médicaments, est évalué aux USA à environ 100 milliards de dollars par an [6]. L’inobservance est un problème majeur de santé publique. De très nombreuses études le prouvent amplement. Ainsi, l’étude du Kaiser Permanente du Colorado (K.PC.O.) [1] portant sur plus de 15 000 patients coronariens, ayant un suivi moyen de 4 ans, a montré un taux d’observance pour les béta bloquants d’environ 30 %, pour les IEC de 20 %, pour les statines de 25 %. L’observance au traitement était ici définie par l’achat de 80 % des médicaments prescrits. La non « adhérence » était fortement associée à l’augmentation de la mortalité cardiovasculaire et de la mortalité toute cause, avec un risque accru de plus de 50 %. Dans l’étude WOSCOPS [2] qui a démontré le bénéfice d’un traitement par Statine en prévention primaire chez les hommes écossais, avec une réduction de la mortalité coronarienne de 40 %; le nombre de patients qui prenaient encore une statine 5 ans après l’étude, n’était que de 38 %. De même, parmi les patients ayant eu un syndrome coronarien aigu, l’observance du traitement par statine tombe à 44 % après 3 ans [3]. 4 Remarquons cependant que la bonne observance diminue la morbi-mortalité, y compris quand il s’agit de l’observance de la prise d’un placebo, comme l’ont parfaitement démontré trois études randomisées [7,8,9] comparant respectivement un placebo à un hypocholestérolémiant, à un béta bloquant, et à un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2. La vertu est donc récompensée, indépendamment des bienfaits de la médecine ! Les patients diabétiques n’échappent pas à cette quasi-loi de réduction de l’observance avec le temps, puisque dans l’étude écossaise DARTS [4] sur 6 500 patients traités par statines, après 10 ans moins de 50 % des patients ont une observance définie par l’achat de plus de 80 % des comprimés de statine prescrits. Ce résultat est d’autant plus frappant que le gain de vie chez les patients en prévention secondaire grâce aux statines, est évalué à environ 2 ans [5], avec une tolérance excellente puisque le taux de Références bibliographiques 1 - HO MP, MAGID DJ, SHETTERLY SM, OLSON KL, MADDOX TM, PETERSON PN, MASOUDI FA, RUMSFELD JS Medication nonadherence is associated with a broad range of adverse outcomes in patients with coronary artery disease Am Heart J 2008 ; 155 : 772 – 779 2 - FORD I, MURRAY H, PACKARD CJ, SHEPHERD J, MACFARLANE PW, COBBE SM, for the West of Scotland Coronary Prevention Study Group N Engl J Med 2007 ; 357 : 1 477 – 1 486 3 - JACKVICIUS CA, MAMDANI M, TU JV Adherence with statin therapy in elderly patients with and without acute coronary syndromes JAMA 2002 ; 288 : 462 – 467 4 - DONNELLY LA, DONEY ASF, MORRIS AD, PALMER CNA, DONNANS PT Long-term adherence to statin treatment in diabetes Diabet Med 2008 ; 25 : 850 – 855 5 - LARDIZABAL JA, DEEDWANIA PC Benefits of statin therapy and compliance in high risk cardiovascular patients Vascular Health and Risk Management 2010 ; 6: 843 – 853 6 - OSTERBERG L, BLASCHKE T Adherence to medication New Engl J Med 2005 ; 353 : 487 – 497 7 – The coronary Drug Project Research Group Influence of adherence to treatment and response of cholesterol on mortality in the coronary drug project N Engl J Med 1980 ; 303 : 1 038 – 1 041 8 – HORWITZ RI, VISCOLI CM, BERKMAN L et al Treatment adherence and risk of death after a myocardial infarction Lancet 1990 ; 336 : 542 – 45 9 – GRANGER BB, SWEDBERG K, EKMAN I et al for the CHARM Investigators Adherence to candesartan and placebo and outcomes in chronic heart failure in the CHARM programme : double-blond, randomised, controlled clinical trial Lancet 2005 ; 366 : 2 005 – 2 011 5 2- Un problème de définition et de mesure La définition objective de l’observance ne peut être que le degré d’adéquation entre ce qui est prescrit par le médecin et ce qui est effectivement réalisé par le malade. Cela suppose que la prescription soit chiffrée (doses et horaires de prises des médicaments, qualité et quantité de la diététique et de l’activité physique). Ce qui est effectué par le patient doit également être quantifié et donc mesuré. Cette mesure pose toute l’ambivalence de l’observance. S’il s’agit de connaître la « vraie vérité », on recourra aux méthodes les plus objectives : dosage du médicament dans le sang ou les urines, comptage des comprimés restants dans les boites (mais on peut aussi en jeter), pilulier électronique (mais on peut aussi ouvrir et refermer la boîte), évaluation des médicaments achetés (ce qui ne veut pas dire avalés). Ces méthodes sont celles que l’on doit utiliser lorsqu’on réalise une recherche thérapeutique pour évaluer l’efficacité d’un médicament. En effet, on souhaite alors éliminer au maximum les biais qui viendraient perturber la comparaison objective que l’on veut réaliser. Le principal biais est bien sûr la subjectivité du patient et du médecin, d’où le double aveugle. La sophistication de plus en plus élaborée des méthodes utilisées, montre combien il est difficile de transformer l’homme en cobaye 6 en se débarrassant de son « agaçante » subjectivité, même quand il a donné son consentement. L’autre méthode est celle du clinicien. Le doute sur la prise du traitement est suggéré par les mauvais résultats, qu’il s’agisse de la fréquence cardiaque sous béta bloquants, de la pression artérielle sous traitement antihypertenseur, de l’HbA1c sous traitement antidiabétique, ou du LDL cholestérol sous hypocholestérolémiant. Néanmoins, plusieurs études ont montré que la valeur prédictive de ces résultats est très médiocre, du moins quand l’inobservance est partielle [10,11]. En effet dans la vraie vie, l’observance est rarement binaire : oui ou non. Elle est le plus souvent partielle, de 1 à 10. La définition entre bonne observance et observance insuffisante tient en partie de l’arbitraire. La logique voudrait que l’on considère comme observant un taux de prise de traitement permettant d’obtenir l’efficacité recherchée. Par exemple dans le traitement du sida, on estime qu’il faut une observance de plus de 95 % [12]. C’est de façon plus conventionnelle qu’on estime aujourd’hui, en dehors du traitement du sida ou du diabète insulinodépendant, que l’observance Références bibliographiques 10 - BELL K.JL, KIRBY A, HAYEN A, IRWING L, GLASZIOU P Monitoring adherence to drug treatment by using change in cholesterol concentration : secondary analysis of trial data BMJ 2011 ; 342 11 - NUESCH R, SCHROEDER K, DIETERLE T, MARTINA B, BATTEGAY E Relation between insufficient response to antihypertensive treatment and poor compliance with treatment : a prospective case-control study BMJ 2001 ; 323 : 142 – 146 12 – CHESNEY M - Adherence to HAART regimens AIDS Patient care STDS 2003 ; 17 : 169 - 177 7 3- Faciliter l’observance Il est évident que l’observance est en général meilleure : • si la contrainte est aisée. Prendre 1 seul comprimé par jour est évidemment plus facile que d’en prendre 1 matin, midi et soir, ou 1 comprimé plutôt que 20 gouttes est bonne lorsque la prise du traitement est supérieure ou égale à 80 %. La méthode la plus adaptée pour le clinicien qui veut non pas transformer son malade en coupable, mais l’aider à améliorer son observance, est donc la méthode déclarative. Encore faut-il poser la question de façon adaptée, et non pas procéder à un interrogatoire policier visant à faire « avouer le suspect ». Le patient doit pouvoir dire sa vérité en sachant qu’elle ne fera pas l’objet d’un jugement. Il doit savoir que le médecin considère comme normal de ne pas être observant lorsqu’on est atteint d’une maladie chronique. Les questions visent donc à faciliter l’expression de la non observance, tel le questionnaire suivant validé dans l’hypertension artérielle. Test d’évaluation 1) ce matin, avez-vous oublié de prendre vos médicaments ? 2) depuis la dernière consultation, avez-vous été en panne de médicament ? 3) vous est-il arrivé de prendre votre traitement avec retard par rapport à l’heure habituelle ? 4) vous est-il arrivé de ne pas prendre votre traitement parce que certains jours votre mémoire vous fait défaut ? 5) vous est-il arrivé de ne pas prendre votre traitement, parce que certains jours vous avez l’impression que celui-ci vous fait plus de mal que de bien ? 6) pensez-vous que vous avez trop de comprimés à prendre ? 8 • si la prise est ritualisée. Par exemple, ½ comprimé par jour, en même temps que le petit déjeuner ou le dîner, plutôt qu’1 comprimé un jour sur deux à horaire variable • si le traitement est efficace. Le patient arrête plus volontiers la statine si le LDL cholestérol ne baisse pas • si le bénéfice perçu est immédiat. En effet, l’existence de symptômes aide à mentaliser la maladie et le bénéfice du traitement en est immédiatement ressenti. Ce n’est évidemment pas le cas lors de la prévention, qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire, puisque l’efficacité a justement pour objectif d’éviter la survenue de la maladie ou de ses complications. En l’absence de symptôme, l’équation inconsciente « pas de symptôme = pas de danger » fait le lit de la non observance. Dans le silence des organes, « le moi s’endort à l’appel des sirènes du déni » [13]. • si le médicament n’a pas d’effet secondaire. Parmi des effets secondaires des médicaments, il y a bien sûr chez les hommes l’impuissance, qu’elle soit réellement due ou non à la prise d’un traitement • si le traitement est gratuit. Contrairement à ce que d’aucun croient, on prend plus facilement ce qui est gratuit que ce qui est payant. C’est du moins ce que montre une étude réalisée chez des patients ayant fait un infarctus du myocarde [14] • si le traitement est prescrit ou conseillé par une personne en laquelle on a confiance. Une étude a montré que l’observance du traitement par statine était meilleure lorsque c’était le cardiologue qui la prescrivait que lorsque c’était le médecin généraliste, mais de nos jours la confiance dans les professionnels s’émousse et les scandales autour de certains médicaments ajoutent à la suspicion. Un patient peut avoir plus de confiance dans la parole d’un proche ou d’un voisin que dans celle d’un médecin devenu suspect à priori de conflits d’intérêts … Références bibliographiques 13 – HANUS M Les deuils dans la vie. Deuils et separations chez l’adulte et chez l’enfant. Edit. MALOINE 1997 14 - CHOUDHRY NK, PATRICK AR, ANTMAN EM, AVORN J, SHRANK WH Cost-effectiveness of providing full drug coverage to increase medication adherence in post-myocardial infarction medicare beneficiaries Circulation 2008 ; 117 : 1 261 – 1 268 9 4- Lever le malentendu Ceci conduit à poser la question fondamentale du malentendu de l’observance ; s’agit-il d’une obéissance quasiment aveugle à l’autorité médicale supposée bienfaisante, ou d’une décision du malade lui-même, c’est-à-dire d’une « auto-observance » ? En effet, on observe mieux ce dont on est convaincu et ce qu’on décide soi-même. Ceci suppose un certain degré de compétence et surtout une confiance en soi suffisante. L’histoire clinique suivante illustre parfaitement ce malentendu. Une jeune femme diabétique insulinodépendante depuis 30 ans avait développé toutes les complications du diabète et bénéficié d’une greffe rein pancréas. A la suite d’un rejet partiel, elle se retrouva avec une fonction rénale normale mais avec un diabète non cétosique. Les glycémies se situaient autour de 2 g/l, sans cétonurie. Spontanément, elle reprit les injections d’insuline, ce qui ne faisait pas l’affaire du transplanteur. Celui-ci lui expliqua qu’il fallait attendre une relance de son insulino-sécrétion en ne réalisant pas plus de 3 contrôles glycémiques par semaine et en ne faisant des injections d’insuline que si les glycémies dépassaient 2 g/l. Lorsque je la vis en consultation, elle me montra son carnet avec 3 glycémies par semaine et aucune injection, 10 puis plongeant la main dans son sac, elle me déclara : « maintenant si vous voulez voir l’autre carnet … » et elle me tendit un deuxième carnet où il y avait 4 contrôles par jour et des injections d’insuline pluriquotidiennes. La patiente n’était donc pas observante des prescriptions de son chirurgien, mais elle avait parfaitement raison. Elle était « auto-observante ». Il faut donc remplacer lors du traitement des affections chroniques qui nécessitent une participation active du patient, la notion de prescription par celle de coprescription, et la notion d’observance par celle d’auto-observance. La différence n’est pas un pur jeu de mot : être observant, c’est respecter des normes externes imposées, être auto-observant, c’est respecter des normes certes externes mais intériorisées car comprises, adaptées, personnalisées, négociées, acceptées. Pour autant, ces normes n’en restent pas moins externes. En effet, en l’absence de tout symptôme, l’auto-observance ne peut pas découler d’une autorégulation interne, expression d’une « auto-normativité » [15], à moins que l’on désigne par là l’élan vital ou l’instinct de préservation de tout un chacun. De rares patients dits « sentinelles », perçoivent une hyperglycémie même modérée au-delà d’1,80 g/l, avec un sentiment de lourdeur, de barre sur le front et jouissent ce faisant d’une « auto-normativité ». Hélas bien souvent, les mêmes perçoivent moins les symptômes d’alerte de l’hypoglycémie, et en conséquence perdent l’autorégulation permettant d’éviter les hypoglycémies sévères à répétition. Une de nos patientes exprimait de façon imagée cette absence d’autorégulation interne ; à la question « Comment allez-vous ? » elle répondait rituellement « Mon extérieur va bien, mon intérieur c’est vous qui allez me le dire ». Références bibliographiques 15 – BARRIER P La blessure et la force Edit. PUF 2010 11 5- L’inobservance Un défi à la raison La vraie question est donc celle de l’auto-inobservance, véritable défi à la raison. diabétique, il entra dans mon box de consultation en levant les mains en l’air, lançant : « je me rends ! ». Comble du comble, j’ai soigné une ophtalmologiste diabéto qui lasérisait la rétine de ses patients pendant que son rein se détruisait jusqu’à ce qu’elle bénéficie d’une greffe rein – pancréas. Enfin, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre un professeur de médecine interne diabétique me dire « à mon âge, je ne porte pas de lunettes. Ce n’est pas la peine que je fasse le fond d’œil ». Je pensais : si un étudiant en médecine lui disait cela, il le collerait immédiatement. Le patient sait, il sait faire, il est convaincu qu’il devrait faire, et pourtant il ne fait pas. De ce point de vue, l’exemple de médecins compétents en diabétologie, eux-mêmes diabétiques, ne manque pas d’interpeller. J’ai connu un médecin généraliste avec qui j’ai enseigné pendant 10 ans le diabète aux internes de médecine générale. Arrivé à la retraite, il se retrouva lui-même avec un diabète et me consulta avec des glycémies autour de 3 g/l. Il m’avoua qu’il ne prenait aucun médicament, parce que disait-il « il ne pensait pas qu’ils étaient efficaces ! ». J’ai connu un professeur de radiologie publiant des articles sur l’ostéo-arthropathie nerveuse diabétique, le pied de Charcot, hospitalisé dans le service pour un mal perforant plantaire. Il avait complètement oublié qu’il était diabétique, tout juste se rappelait-il vaguement qu’on lui avait parlé une fois d’hyperglycémie. L’examen du fond d’œil fait au lit permit de découvrir une rétinopathie ischémique 12 proliférante nécessitant une panphotocoagulation au laser en urgence. J’ai connu un angiologue très compétent dans le diabète, ayant soigné plusieurs patients diabétiques victimes des complications vasculaires, lui-même triple ponté coronarien, ne prenant aucun médicament. Adressé pour rétinopathie Il s’agissait à chaque fois de médecins parfaitement compétents, connaissant bien le diabète, tout à fait rationnels, auxquels sans hésitation je me confierais ou je confierais quelqu’un de ma famille. La conclusion s’impose et doit être gravée dans le cerveau de tout médecin prenant en charge des patients atteints de maladie chronique : la connaissance est nécessaire, elle est indispensable, mais elle n’est jamais suffisante pour changer un comportement. Comment expliquer un tel paradoxe ? 13 6- L’homme est une trinité On peut reconnaître trois instances du moi. L’homme est un être de raison. Ce « moi rationnel », tendant à l’universel, est régi par des règles et par des normes. L’homme est aussi un animal répondant à des besoins primaires extrêmement puissants tels que la faim, la soif, l’absence de douleur, le besoin de sécurité, etc … Et c’est enfin un « moi identitaire » à l’irréductible singularité. Quel est ce « moi identitaire », ce « moi sujet » ? C’est un aspect physique, une silhouette, un visage, et particulièrement un regard. Ce visage vient frapper à votre porte, vous demander de l’aide et alors que vous ne le connaissez pas, par le seul fait que vous êtes médecin vous lui devez une aide absolue dont la seule limite sera fixée par le tiers social représenté à la fois par les autres patients et par les moyens limités mis à la disposition du médecin par la société. Ce moi identitaire, ce sont aussi des traits de caractère innés, façonnés par l’empreinte parentale, modulés par la relation aux autres, construits par l’éducation, sélectionnés et renforcés par la vie. Au-delà de cette description rappelant la métaphore de l’oignon avec ses pelures, le moi sujet est une pure subjectivité faite d’émotions et de représentations taraudées par l’inconscient et régies par la loi d’optimisation du plaisir, en tout cas par l’évitement de la souffrance morale. Ce moi tend à s’identifier à l’image de soi, renvoyée de façon plus ou moins déformée par le regard des autres. L’auto-observance fondée sur la raison, est confortée par l’adoption de normes collectives. Or, l’evidence based medicine produit de la norme ; ces normes 14 débouchent sur des recommandations de plus en plus internationales. Ces recommandations entraînent des campagnes de communication visant à changer le comportement à la fois des médecins et des patients. En effet, la norme est un puissant régulateur comportemental, car sortir de la norme suscite la peur de l’exclusion « Il suffit de ne pas être dans la norme pour que bien souvent les normaux vous écrasent de leur arrogance » [16]. C’est pourquoi les patients diabétiques de type 2 demandent s’ils sont toujours diabétiques, lorsque leur glycémie est à 1,25 g/l grâce à la diététique et à l’activité physique, ou s’ils peuvent être considérés comme non diabétiques. Références bibliographiques 16 – CYRULNIK B La Honte Edit. Odile JACOB 2010 15 C’est ce qui explique également qu’à la suite de la campagne « sous le 7 », les patients diabétiques soient ravis d’avoir 6,9 % d’HbA1c et désespérés d’avoir 7,1 %. Il est même étonnant de constater à quel point cette pensée binaire séparant le normal de l’anormal, le bien du mal, imprègne les médecins eux-mêmes, capables de fixer comme objectif une HbA1c inférieure à 7 à des patients diabétiques insulinodépendants faisant de nombreuses hypoglycémies, pour lesquels cet objectif apparaît inatteignable voire inapproprié. Mais en même temps, le rapport à la norme est source d’ambiguïté, car certains patients soucieux d’apparaître comme « normal », c’est-à-dire comme les autres, « oublient » de prendre le traitement qui leur rappelle la maladie, tel notre radiologue qui avait totalement oublié qu’il était diabétique. Inversement, le moi identitaire dans sa singularité, n’accepte pas d’être réduit à une norme. Chacun d’entre nous, veut bien être différent, mais il accepte moins d’être a-normal [17]. De plus, le moi rationnel est mis en échec par les deux autres instances du moi : le moi animal d’une part, le moi identitaire d’autre part. En effet, le moi animal impose la satisfaction immédiate de besoins primaires impérieux. On peut rapprocher de ces besoins primaires les comportements irrésistibles induits par les phobies, les compulsions, les addictions. On connaît dans le diabète des patients phobiques de l’hyperglycémie qui, dès qu’ils ont une glycémie à 1,40 g/l, font une injection supplémentaire d’insuline malgré des hypoglycémies sévères à répétition, ou à l’inverse les patients phobiques de l’hypoglycémie qui se « resucrent » dès que leur glycémie baisse au dessous d’1,40 g/l. On connaît les patients victimes de compulsions ou de boulimie et les femmes diabétiques addictives du contrôle pondéral qui se sous insulinisent délibérément pour rester minces. Une de mes patientes, arrivée au stade des complications les plus sévères avec une amputation des deux jambes, continuait à se sous insuliniser. Pourquoi ? Pour plaire à qui ? Pour se plaire à elle-même ? Non disait-elle « c’est plus fort que moi ! », et elle ajoutait « c’est absurde, je n’en parle à personne, c’est tellement idiot ! ». La volonté d’auto-observance rationnelle est également prise à revers par le moi identitaire. En effet, le malade atteint de maladie chronique a peur de perdre son identité en étant réduit à sa mala die. « Je ne m’appelle pas diabète ! » me dit un jour un patient. Le travail d’acceptation de la maladie, assimilé à un travail de deuil, est entravé par cette 16 crainte de dévalorisation de l’image de soi. L’image que j’ai de moi est menacée par le regard que les autres ont sur moi. D’où la tentation du déni, de la dénégation, du déguisement, de la clandestinité ou de l’auto-exclusion. A l’inverse, des patients peuvent faire de leur maladie une identité, de leur souffrance un combat, et de leurs humiliations une fierté, au point de nier leur handicap et de refuser un traitement qu’ils jugent abusivement normatif. Tel est le cas d’une partie de la communauté des sourds muets, victimes pendant des siècles de maltraitance, exigeant aujourd’hui que la langue des signes soit reconnue comme langue minoritaire dans la constitution [18]. Références bibliographiques 17 – FOURNIER JL Où on va, papa ? Edit STOCK, 2008 18 – DAGON J Les silencieux Edit. Presse Pluriel 2008 17 7- Observance et motivation L’inobservance est donc profondément humaine. L’inobservance est donc profondément humaine. L’observance à 100 % chez tous les patients, dont rêvent quelques médecins et les gestionnaires de santé, n’est envisageable que dans une société totalitaire. La question qui est posée aux soignants est donc la suivante : comment aider le patient à se motiver pour adopter de nouveaux comportements ? A en croire les psychologues, il y aurait deux types de motivation : une motivation « intrinsèque », et une motivation « extrinsèque ». « Une activité qui est pratiquée pour elle-même, pour son contenu est dite intrinsèquement motivée, tandis qu’une activité pratiquée pour ses effets, pour l’obtention d’une conséquence positive ou l’évitement d’une conséquence négative est dite extrinsèquement motivée » [19]. La première procure de l’intérêt et/ou du plaisir, la seconde plutôt de la satisfaction et/ou du soulagement. A l’évidence, la motivation pour se soigner est essentiellement une motivation extrinsèque, visant à éviter les conséquences négatives de la maladie, de ses rechutes ou de ses complications, car il est bien rare que l’on trouve du plaisir à avaler des comprimés, à se piquer le bout du doigt, à se faire des injections ou à changer des habitudes de vie. 18 La motivation extrinsèque, pour se soigner, peut être extrêmement puissante comme en témoignent les deux observations suivantes : • La première observation est celle d’un pilote d’avion bon vivant. Son médecin du travail avait suspendu sa licence de vol parce que son diabète était déséquilibré avec une HbA1c élevée à 7,8 %. Le délai pour la prise de rendez-vous à ma consultation avait suffi au pilote pour ramener son Hb1c à 6,4 %, grâce à l’observance du régime et à l’augmentation de l’activité physique. Ce faisant, il obtint le certificat qui lui permit de reprendre les vols. • La seconde observation est celle d’une jeune femme diabétique insulino-dépendante qui contrôlait son poids grâce à une sousinsulinisation délibérée. Elle maintenait ainsi son HbA1c autour de 14 % et rien ne semblait y faire. Elle revint un jour en consultation avec une HbA1c normale à 5,9 %. L’explication de ce retournement était simple : le parfait équilibre glycémique s’expliquait par la survenue d’une neuropathie hyperalgique. ou s’il perd définitivement sa licence ? De même, qu’arrivera-t-il lorsque la douleur aiguë de la neuropathie diabétique disparaîtra ? Perdant son symptôme, la malade perdra-t-elle sa motivation pour équilibrer son diabète et retrouvera-t-elle son addiction au contrôle pondéral ? Dans les deux cas, la motivation extrinsèque s’est révélée très puissante, en tout cas plus efficace que le discours rationnel et empathique du médecin. A la réflexion, cette motivation extrinsèque paraît cependant bien fragile. Que se serait-il passé si au lieu d’être un pilote le patient avait été un bagagiste bénéficiant d’un arrêt de travail ? Que se passera t-il lorsque le pilote aura atteint l’âge de la retraite Il s’agit donc d’aider le patient à intérioriser autant que faire se peut une motivation extrinsèque pour qu’il arrive à transformer les contraintes en routine, mieux qu’il y trouve un intérêt voire du plaisir. Références bibliographiques 19 – CARRE P, FENOUILLET F Traité de psychologie de la motivation Edit. DUNOD 2008 19 8- Comment aider à intérioriser une motivation extrinsèque ? non faits. Or tout deuil non fait interdit tout nouveau deuil. « Le silence devient alors comme, le dit Boris Cyrulnik, un nouvel organisateur du moi, un tyran muet qui fait souffrir en secret, empêchant ainsi le travail de reconstruction de soi » [16]. Pour cela, il faut d’abord aider le patient à intégrer les projets de soins aux projets de vie. Cela suppose que le patient puisse exprimer ses projets de vie. Il convient ensuite d’envisager avec lui comment le traitement peut s’y adapter, en tout cas ne pas y faire entrave. La motivation pour se traiter peut être renforcée en étant « accrochée » à une motivation externe plus puissante ou à une motivation interne. On peut se soigner pour préparer un voyage, ou pour préparer sa retraite, on peut se soigner pour son conjoint ou ses enfants, voire pour son médecin… On peut se soigner par devoir ou par défi. On peut héroïser sa lutte contre la maladie… Il s’agit ensuite d’aider le patient à négocier le compromis optimal entre son moi rationnel et son moi identitaire, en se faisant l’avocat des deux parties, et surtout l’avocat du moi identitaire. Du coup, le soignant montre son empathie au patient, tandis que le patient se met à défendre son moi rationnel. « Vous pensez qu’un vélo d’appartement peut vous être utile ? » dit le médecin, en ajoutant : « En général, c’est un instrument tout à fait sinistre, il termine à la cave ou sur le balcon ou bien on le donne aux enfants pour noël ». 20 C’est alors que le patient se sent obligé de défendre sa décision d’en faire 20 minutes tous les jours... Cette évaluation par le patient, de la balance décisionnelle, du pour et du contre, est un élément essentiel qui lui permet de mieux percevoir son ambivalence et finalement de prendre une décision « mûrement réfléchie ». Ce faisant, il arrive à comprendre « comment il fonctionne », c’est-à-dire à acquérir la distanciation nécessaire à une véritable métacognition. Il est donc essentiel de faciliter l’expression du moi identitaire du patient, en évitant de centrer la relation uniquement sur la maladie. En effet, le patient a une histoire personnelle dans laquelle prend place cette maladie. Le fait de la raconter permet de rompre le silence qui enveloppe souvent les deuils D’où l’importance de groupes de paroles, d’ateliers de dessin ou d’écriture ou la réalisation du « théâtre du vécu ». Il ne s’agit pas ici « d’art thérapie » mais tout simplement de détours pour libérer la parole, car comme le dit Karen BLIXEN citée par Hannah ARENDT, « tous les chagrins sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte ». Et Boris Cyrulnik précise : « C’est difficile de s’adresser à quelqu’un pour expliquer ce que l’on a vécu, mais si on passe par le biais de l’œuvre d’art, par le détour du film, de la pièce de théâtre, de l’essai philosophique, vous devenez le tiers dont vous pouvez parler » [20]. Références bibliographiques 16 – CYRULNIK B La Honte Edit. Odile JACOB 2010 20 – CYRUL NIK B Je me souviens Edit. Odile JACOB 2010 21 9- Aider le patient a changer de représentation Il s’agit finalement d’aider le patient à changer de représentation de la maladie, c’est-à-dire à avancer sur « la route de Chartres des diabétiques ». On rapporte la fable suivante attribuée à Charles Peguy : « L’auteur va à la cathédrale de Chartres, il voit sur la route un homme entrain de casser des cailloux. Cet homme est sale, il sue. Torse nu, il respire le malheur. Il semble victime de souffrances. Il s’approche et demande à cet homme ce qu’il fait : « vous voyez bien je n’ai trouvé que ce métier idiot, j’ai mal au dos et aux mains, je suis mal payé, je casse des cailloux ». Il remonte dans sa voiture et plus loin il voit un autre homme qui, torse nu, casse des cailloux. Il lui demande : « que faites-vous ? ». L’homme répond : « j’ai trouvé du travail, je suis en plein air, je gagne ma vie comme cela, je ne suis pas beaucoup payé mais finalement ce n’est pas si mal que cela, cela me permet de nourrir ma famille ». Il remonte dans sa voiture et voit un troisième individu en train de casser des cailloux, qui rayonne de bonheur. Il demande à cet homme ce qu’il fait, et l’autre lui répond : « vous n’êtes pas au courant ? Je suis entrain de construire une cathédrale ! » [21]. Par analogie, on peut imaginer un diabétique insulinodépendant râlant contre sa maladie « elle m’a pourri la vie, je suis obligé de me 22 piquer tous les jours, et en plus les résultats sont incompréhensibles ! ». Un autre qui a l’air moins aigri « ce n’est pas drôle, mais c’est devenu une habitude. J’ai une vie quasi-normale et puis le diabète m’a apporté une certaine hygiène de vie et un bon équilibre alimentaire ». Enfin, un troisième : « Au début cela a été dur, mais maintenant que j’ai surmonté cette épreuve, je me sens plus fort qu’avant. Quand je vois d’autres patients, je me dis que j’ai de la chance, et quand j’entends les gens se plaindre au moindre petit bobo, c’est moi qui les plains. Finalement, je me demande si cette maladie ne m’a pas rendu plus motivé pour vivre pleinement chaque moment de l’existence ». La caractéristique de l’être humain est en effet sa capacité d’intérioriser à des degrés variables une motivation extrinsèque en fonction de son système de valeurs et de représentations. 10- Développer une réelle empathie Pour aider le patient à cheminer sur cette route de Chartres, le médecin doit donc développer une réelle empathie. Comme l’a montré Franz DE WALL [22], l’empathie existe chez certains animaux (grands singes, éléphants, dauphins, …). Elle peut même transcender les espèces. Elle se développe parallèlement à la conscience de soi qui apparaît chez l’enfant autour de 2 ans. « La souffrance de l’autre allume en miroir les neurones de la douleur de l’observateur » Encore faut-il qu’il considère l’autre comme un autre lui-même et non comme un objet. Telle est la base physiologique de l’empathie qui permet à tout un chacun si ce n’est de ressentir, du moins de percevoir ce que ressent l’autre. C’est aussi ce qui permet aux tortionnaires raffinés de choisir la torture la plus adaptée à leur victime. La démarche empathique suppose non seulement de percevoir ce que ressent l’autre et d’être capable de le lui exprimer, mais aussi de lui proposer une aide. Pour que cette empathie soit au service d’une authentique relation de partenariat d’égal à égal, encore faut-il renoncer à la volonté d’emprise, c’est-à-dire de pouvoir sur l’autre qui réduirait l’empathie à une simple manipulation comme on le voit dans les rapports commerciaux où l’empathie se transforme en « empathisme » cachant mal son objectif [23]. L’entretien motivationnel [24] avec ses « questions ouvertes », ses « reflets », ses « synthèses », peut être très utile, s’il permet au médecin d’exprimer la sincérité de son empathie en respectant l’autonomie du patient. A l’inverse, s’il n’est qu’une habileté relationnelle permettant au médecin d’arriver à ses fins sans que le patient ne s’en aperçoive, il rate complètement son objectif, devenant un simple déguisement du « pouvoir médical ». A la vérité, l’autonomie du patient comme l’autonomie de tout un chacun, n’est que relative. C’est l’autonomie autant que le patient le souhaite et autant qu’il le peut. Si l’auto-observance s’avère trop difficile pour un malade, il est souhaitable que le médecin lui propose alors d’accepter l’observance, c’est-à-dire la soumission volontaire à un tiers. Références bibliographiques 21 – CYRULNIL B Parler d’amour au bord du gouffre Edit. Odile JACOB 2004 22 - DE WALL F L’âge de l’empathie Edit. Les Liens 2010 23 – TISSERON S L’empathie au cœur du jeu social Edit. Albin MICHEL 2010 24 – ROLLNICK S, MILLER W, BUTLER C Pratique de l’entretien motivationnel Edit. Inter Editions – DUNOD 2009 23 11- La relation Médecin / malade La relation médecin / malade est donc au cœur du problème de l’observance thérapeutique. La motivation du médecin joue-t-elle un rôle dans la motivation du malade ? 1 Heureusement, oui ! Une étude réalisée chez des patients diabétiques de type 2 [25] le montre, que les patients soient suivis par des médecins généralistes ou par des spécialistes. Dans cette étude, il existait une corrélation entre l’HbA1c obtenue par le patient et l’objectif glycémique fixé par le médecin, et ce à âge du patient, durée du diabète, index de masse corporelle et modalités thérapeutiques identiques. La corrélation était d’autant plus signifiante que plus l’objectif était strict, plus grande était la fréquence des hypoglycémies sévères. L’existence de cette corrélation ne doit pas faire conclure trop hâtivement au caractère rationnel de cette relation. Au contraire, elle témoigne de son caractère hautement émotionnel comme l’a montré BALINT [26]. Références bibliographiques 25 – The QuED Study Group The relationship between physicians’ self-reported target fasting blood glucose levels and metabolic control in type 2 diabetes. The QuED Study Group – Quality of care and outcomes in type 2 diabetes. Diabetes Care 2001 ; 24 : 423 - 429 26 – BALINT M Le médecin, son malade et la maladie (1957) Paris, Edit Payot & Rivages, 1988, 1996 24 2 Les contre-attitudes médicales La relation médecin - malade est donc au cœur du problème de l’observance thérapeutique. Cette relation est potentiellement conflictuelle lorsque le « corps subjectif » du patient (son vécu) n’est pas en accord avec le « corps objectif » exploré par le médecin. Ainsi en va-t-il par exemple dans les pathologies dites fonctionnelles telles que le syndrome polyalgique idiopathique diffus où le malade se plaint de douleurs insupportables alors que le médecin ne trouve rien d’anormal. Ici, à l’inverse, le patient diabétique se sent en parfaite santé et c’est le médecin qui, à la lecture des examens biologiques, lui annonce la catastrophe métabolique. Cette discordance facilite le développement des contre-attitudes médicales parmi lesquelles on peut relever : • la résignation (le médecin se contente de renouveler les conseils et les prescriptions qu’il sait non suivis). En réalité il s’agit d’un véritable « pacte tacite » entre le patient et le médecin dans l’attente des complications, alors que pour tenter de dénouer la situation, il faudrait se poser la question et la poser avec empathie au patient : « pourquoi vient-il me voir alors qu’il ne fait rien ? ». • à l’inverse, la dramatisation consiste non pas à informer le patient du risque de complications, mais à le menacer des complications, véritable punition pour son défaut d’observance aux prescriptions médicales • la banalisation sous estime les difficultés au changement de comportement et résume l’observance à un « petit effort de volonté » et ne prend pas en compte la singularité du patient (« même les enfants se piquent tous les jours ! ») • banalisation et dramatisation peuvent d’ailleurs se conjuguer : banalisation des contraintes thérapeutiques et dramatisation des risques encourus, verrouillant la relation médecin / malade, en attribuant au patient le rôle de l’enfant plus ou moins docile et au médecin le rôle du père sévère (mais juste). • ce jeu de rôle n’évite pas le jugement moralisateur culpabilisant pour le patient. Dans le même registre se situe le refus d’autonomisation du patient, par exemple 25 à une étude, « détour » vers d’autres sujets importants pour le malade que le diabète, participation au « théâtre du vécu », changement de suivi … Bref, le médecin doit aussi être un véritable « metteur en scène ». le refus de prescrire l’auto-surveillance glycémique demandée par le patient sous prétexte qu’il ne suit pas parfaitement son régime. • parmi les contre-attitudes médicales, on trouve également l’hyper-rationalisme qui refuse d’entendre l’irrationnel chez l’homme et combat frontalement les croyances de santé au lieu de chercher à « faire avec », alors que comme le dit C. BRETON « il n’est pas rationnel de ne pas prendre en compte l’irrationnel chez l’homme » [27]. • on trouve également la surmédicalisation biotechnologique, multipliant les examens complémentaires Références bibliographiques 27 – BRETON C Croyances médicamenteuses : aller contre ou faire avec Encycl Med Chir, AKOS Encyclopédie pratique de médecine 2003 ; 1 – 01115 : 1 – 8 26 et les hospitalisations de jour pour bilan alors même que le problème est le plus souvent non biomédical mais psychosocial • on trouve également parmi les contre-attitudes scientistes, l’étiquetage psychologique abusif du patient, victime des théories et de la nosographie psychiatriques. A l’origine de ces contreattitudes médicales, se trouvent trois processus : 3 a) la routinisation des rapports médecin / malade au cours de la maladie chronique, favorisée par le caractère silencieux de cette maladie. Il est donc important de rompre avec la routine des consultations trimestrielles et de chercher à « créer des événements » : ateliers d’éducation en groupe, consultations longues, consultations paramédicales, questionnaires à remplir, participation b) le modèle de la maladie aiguë grave où le rapport soignant – soigné est de type adulte – enfant. En effet, face à la maladie aiguë grave, le malade se défend par la régression et appelle au secours. Mais cette relation parentale est totalement inadaptée à la maladie chronique où le rapport doit être adulte – adulte, l’infantilisation étant le plus souvent mal supportée par le patient, encore que certains patients y trouvent des bénéfices secondaires en transférant leur propre responsabilité vis-à-vis de leur santé sur leur médecin jouant le rôle de « papa qui gronde » et/ou de « maman qui console ». Maladie aiguë grave et maladie chronique s’opposent en effet terme à terme. Dans la maladie aiguë grave, l’objectif est la guérison (ou la mort) alors que dans la maladie chronique, l’objectif est l’amélioration, la stabilisation, la prévention des rechutes, voire le simple accompagnement. Dans la maladie aiguë grave, le malade est passif, alors que dans la maladie chronique, c’est lui qui pour 90 %, prend ou applique les décisions. Dans la maladie aiguë grave, l’angoisse est à calmer alors que dans la maladie chronique, elle est à transformer en force de motivation. Dans la maladie aiguë grave, les soignants ont une tâche délimitée sous l’autorité d’un décideur. Dans la maladie chronique, la répartition des tâches doit se combiner avec une culture commune et les décisions sont collégiales. Dans la maladie aiguë grave, il n’y a que deux couleurs, le blanc et le noir, alors que la maladie chronique se décline dans la gamme des gris. Finalement, l’observance s’avère un concept sans pertinence pour la maladie aiguë grave où se sont les soignants eux mêmes qui appliquent les décisions thérapeutiques qu’ils ordonnent, à l’inverse de la maladie chronique où les soignants doivent proposer, expliquer, aider et non pas ordonner. Le concept d’observance n’a une réelle pertinence qu’au cours des maladies aiguës bénignes… Au cours des maladies chroniques, il doit être remplacé par les concepts d’auto-observance et de difficultés à suivre le traitement. Ces difficultés qui doivent être considérées comme « normales » sont à placer au centre de la relation médecin / malade et ne pas en être la face cachée plus ou moins honteuse. c) enfin, la médecine scientifique peut être à l’origine de contre-attitudes médicales si, dépassant ses limites, elle se veut totalisante. En effet, l’exercice scientifique de la médecine suppose l’objectivation du sujet, sa fragmentation et sa quantification. Il ne saurait résumer la relation médecin / malade, qui est aussi une rencontre entre deux subjectivités. Les gestionnaires administratifs et économistes de santé se trompent quand ils croient que le médecin d’aujourd’hui, et plus encore de demain, sera un « ingénieur » [28] ou un « pilote d’avion » (comme c’est en partie le cas dans les Unités de Soins Intensifs). C’est oublier que nos « airbus » ont des émotions et que cela change quelque peu les conditions de décollage et d’atterrissage… 27 On peut finalement retenir cinq types de relation médecin / malade : 1 Une relation paternaliste plus ou moins autoritaire, infantilisante pour le patient. Le médecin sait ce qui est bon pour son patient, le « gronde » quand il n’est pas observant ou le « console » quand ses efforts ne sont pas récompensés. C’est donc au nom de son devoir de bienfaisance que le médecin peut abuser de son autorité. Le patient peut percevoir derrière l’autoritarisme dirigiste la bienveillance du médecin : « Je l’aimais bien le Professeur P. Qu’est-ce qu’il m’engueulait ! ». A vrai dire, cette attitude fréquente autrefois, tend de nos jours à décliner comme d’ailleurs dans l’ensemble de la société pour laisser place plus souvent à une relation d’objectivation ou à l’inverse à un simple « copinage ». 2 Une relation d’objectivation du malade par le médecin investigateur et prescripteur. Le malade n’est plus qu’un animal biologique auquel on applique les recettes éprouvées de la médecine factuelle et au mieux un être de raison qu’on informe « techniquement » sans prendre en compte sa singularité psychosociale. Ce faisant, le médecin se comporte en simple technicien, réparateur d’organes. Parfois même, il revendique son indifférence professionnelle avec des Références bibliographiques 27 – BRETON C Croyances médicamenteuses : aller contre ou faire avec Encycl Med Chir, AKOS Encyclopédie pratique de médecine 2003 ; 1 – 01115 : 1 – 8 28 propos tels que : « Je vous prescris le traitement qui est recommandé. Si vous ne le prenez pas, c’est votre affaire. Cela ne changera rien à ma vie ». Cette objectivation réductrice est évidemment souvent mal vécue par le patient, tel ce patient diabétique recevant une information stéréotypée sur l’évolution de son insuffisance rénale vers la dialyse, répliquant au médecin informateur : « Est-ce que vous avez également prévu les obsèques ? ». Cette objectivation pseudo-scientifique correspond en fait à une conception administrative de la médecine ou même la politesse, l’empathie et l’entretien motivationnel sont réduits à de simples techniques de communication. 3 Mais cette objectivation du patient par le médecin entraîne en boomerang l’objectivation du médecin par le patient. En effet, certains patients ont tendance à transformer les médecins en simples prescripteurs de médicaments et d’examens complémentaires : « Pouvez-vous rajouter ce médicament sur ma commande ?… » me demanda un jour un patient. L’individualisme et la marchandisation de la société moderne poussent logiquement au consumérisme médical, comme si le système de santé n’était qu’une grande surface « low cost ». La transgression n’est alors pas loin. Nombre de patients perdent leur ordonnance, oublient leur rendez-vous, ne se présentent pas sans prévenir à une hospitalisation programmée, et sans se soucier du fait qu’ils aient pris la place d’un autre patient et entraîné des prises de rendez-vous inutiles… Plus étonnamment, des médecins revendiquent leur propre objectivation, se transformant en techniciens ou en ingénieurs. Il s’agit souvent de médecins appartenant à des spécialités de haute technicité, appliquant des procédures de soins, examinant peu ou pas les malades, en tout cas ne les suivant pas. 4 Une simple relation de copinage. Le rejet à la fois de la relation paternaliste du passé et de la relation déshumanisée de la modernité, a généré une relation où le médecin ne dirige pas, ne guide pas, mais se contente de suivre le patient qui définit lui-même son but et son chemin. La postmodernité relativiste apporte un support théorique à cette pratique sympathique mais confusionniste. L’anthropologie et l’ethnomédecine s’intéressant aux traditions et représentations culturelles des différents peuples, au-delà de tout jugement de valeur, ont favorisé l’essor de ce relativisme postmoderne selon lequel il n’y a pas de vérité scientifique mais seulement des points de vue, chacun pouvant se dire expert. Médecin et malade sont considérés comme deux experts mis sur le même plan, l’un scientifique, l’autre profane. Leur rencontre est l’occasion de « croiser deux discours » pour « créer une nouvelle vérité ». Sous prétexte que médecin et malade sont deux personnes humaines devant avoir des rapports d’égalité, cette postmodernité gomme complètement l’asymétrie de la relation entre une personne souffrante, angoissée, recherchant à la fois une aide et une expertise, et un professionnel que l’on espère à la fois empathique et compétent. L’un, s’il est atteint d’une maladie chronique, a un travail de deuil à faire, des connaissances à acquérir, 29 une autorité imposée. Tel autre peut désirer une relation distanciée, purement technique, souvent de peur de révéler des failles intimes. La mise à distance est une défense qu’il faut savoir respecter. Finalement, une relation de partenariat implique aussi de définir de façon consensuelle plus ou moins explicite le type de relation que l’on souhaite instaurer, relation qui peut d’ailleurs varier avec le temps. des comportements à changer et pas l’autre. On dit que les malades éduquent les médecins, et que les médecins ont beaucoup à apprendre des malades. Certes, mais la différence c’est que les malades, en général, ne savent pas qu’ils nous apprennent, alors que nous, nous savons que nous leur apprenons. 5 La relation que l’on souhaiterait développer au cours de la maladie chronique, est celle d’un partenariat, où la partie ne se joue non pas à deux mais à quatre : l’être de raison du médecin et celui du patient peuvent partager les données de « l’Evidence Based Medicine » tandis que leurs êtres de relation et d’émotions peuvent permettre l’expression des difficultés à suivre le traitement pour rechercher ensemble les solutions. Ce partenariat n’est toutefois pas exclusif des autres formes relationnelles. Un patient atteint de maladie chronique peut adopter une position régressive et réclamer l’autorité de son médecin, mais c’est alors une autorité choisie et non 30 Dans la relation médecin / malade, le médecin n’a que des devoirs, mais le malade n’a pas que des droits. Il a le devoir de respecter les soignants comme il entend lui-même être respecté, et le devoir de ne pas abuser du système de soins parce que c’est un bien à la fois collectif et fini, et donc précieux. Conclusion Si le but ultime de l’éducation thérapeutique est que le malade devienne son propre médecin, il ne faut pas oublier qu’il est vivement déconseillé à un médecin de se soigner lui-même ou même de soigner sa famille. Il existe en effet une contradiction entre la subjectivité du malade et l’objectivation qu’on lui demande pour jouer le rôle du médecin. Cette contradiction n’est pas soluble. Elle peut seulement être gérée grâce à un partenariat entre le médecin et le patient où chacun, grâce d’une part à l’éducation thérapeutique et d’autre part à l’empathie, (com)prend la place de l’autre tout en gardant la sienne : ni trop loin, ni trop près. Les aphorismes de l’observance 1 L a mauvaise observance est responsable d’une augmentation de la morbimortalité. A l’inverse, la bonne observance diminue la morbi-mortalité, y compris quand il s’agit de l’observance de la prise d’un placebo. 2 Pour savoir si le malade est observant ou non, il faut lui poser la question. 3 En l’absence de symptôme, l’équation inconsciente « pas de symptôme = pas de danger » fait le lit de la non observance. 4 Lors des traitements qui nécessitent une participation active du patient, la notion de prescription doit être remplacée par celle de co-prescription, et la notion d’observance par celle d’auto-observance. 5 La connaissance est nécessaire, elle est indispensable, elle n’est jamais suffisante pour changer un comportement. 6 L’homme est une trinité : un « moi animal », régi par des besoins primaires, un « moi rationnel » tendant à l’universel, régi par des règles et par des normes, un « moi identitaire » à l’irréductible singularité, régi par la loi d’optimisation du plaisir en tout cas l’évitement de la souffrance morale. 7 L’inobservance est profondément humaine. 8 Aider à la motivation du patient pour l’observance, c’est aider le patient à intérioriser autant que faire se peut une motivation extrinsèque, pour transformer les contraintes en routines, ou mieux en sujet d’intérêt voire de plaisir. 9 L e contrat thérapeutique n’est pas un contrat entre le médecin et le patient, mais un contrat entre le « moi rationnel » et le « moi identitaire » du patient. j « Tous les chagrins sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte ». k La démarche empathique suppose non seulement de percevoir ce que ressent l’autre et d’être capable de le lui exprimer, mais aussi de lui proposer une aide. l Le médecin doit renoncer à la tentation d’emprise sur le malade, et respecter son autonomie. m L’autonomie du patient, comme l’autonomie de tout un chacun, n’est que relative, c’est l’autonomie autant que le patient le souhaite et autant qu’il le peut. n La relation médecin / malade est au cœur du problème de l’observance thérapeutique. La relation que l’on souhaite développer au cours de la maladie chronique est une relation de partenariat où le médecin et le patient, grâce à l’éducation thérapeutique d’une part et à l’empathie d’autre part, prend la place de l’autre tout en gardant la sienne. o Le médecin devient un ingénieur, mais il doit rester un artisan et si possible un artiste. 31 100 30 455 - 07/2011 Merck Serono 37 rue Saint-Romain F-69379 Lyon cedex 08 www.merckserono.fr s.a.s. au capital de 16 398 285 euros 955 504 923 rcs Lyon Information médicale/Pharmacovigilance : Tél. (N° vert) 0 800 888 024 E-mail : [email protected]