Auto-observance et motivation

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Auto-observance et motivation
Auto-observance
et motivation
Pr. Grimaldi
Diabétologue
CHU Pitié-Salpétrière, Paris.
Merck Serono Diabétologie
Merck Serono est
une division de Merck
1
Préambule
L’éducation thérapeutique s’est imposée comme modèle
de prise en charge des patients atteints de maladie chronique
ou présentant des facteurs de risques, en s’opposant
d’une part à l’infantilisation du patient réduit au statut d’élève
ou d’enfant devant observer les prescriptions d’un médecin
décidant à sa place et pour son bien ; d’autre part
à l’objectivation du malade, réduit à sa maladie. Les pionniers
de l’éducation thérapeutique qui revendiquent une pratique
centrée sur le patient sont fiers de ce combat historique.
Cependant, loin de l’autosatisfaction, il est parfois utile
de penser contre soi. En effet, on voit naître au sein
du « courant » des militants de l’éducation thérapeutique,
une tendance à réduire l’éducation thérapeutique
à l’éducation, en relativisant la thérapeutique,
puis à réduire l’éducation à l’accompagnement,
et finalement l’accompagnement à la bienveillance.
L’empire du bien triomphe ! Le problème de l’observance
tend à être marginalisé quand elle ne devient pas
un « gros mot » à éviter. Tout au contraire,
l’observance nous paraît au cœur de l’éducation
thérapeutique et du rapport médecin – patient
au cours de la maladie chronique.
Encore faut-il lever le malentendu qui se cache derrière
le concept d’observance et qu’on ne peut pas résoudre
par un simple changement de nom, en remplaçant
observance par adhérence. Comme s’il suffisait
d’adhérer pour observer !
2
3
1- L’inobservance
Un problème majeur de santé publique
myalgies est d’environ 5 %
et le taux de rhabdomyolyse inférieur
à 1 pour 100 000. Le coût des
hospitalisations dues à la non observance
de médicaments, est évalué aux USA à
environ 100 milliards de dollars par an [6].
L’inobservance est un problème
majeur de santé publique.
De très nombreuses études
le prouvent amplement.
Ainsi, l’étude du Kaiser Permanente
du Colorado (K.PC.O.) [1] portant sur
plus de 15 000 patients coronariens,
ayant un suivi moyen de 4 ans, a montré
un taux d’observance pour les béta
bloquants d’environ 30 %, pour les IEC
de 20 %, pour les statines de 25 %.
L’observance au traitement était
ici définie par l’achat de 80 %
des médicaments prescrits.
La non « adhérence » était fortement
associée à l’augmentation de la mortalité
cardiovasculaire et de la mortalité toute cause,
avec un risque accru de plus de 50 %.
Dans l’étude WOSCOPS [2] qui
a démontré le bénéfice d’un traitement
par Statine en prévention primaire
chez les hommes écossais,
avec une réduction de la mortalité
coronarienne de 40 %; le nombre de
patients qui prenaient encore une statine
5 ans après l’étude, n’était que de 38 %.
De même, parmi les patients ayant
eu un syndrome coronarien aigu,
l’observance du traitement par statine
tombe à 44 % après 3 ans [3].
4
Remarquons cependant que la bonne
observance diminue la morbi-mortalité,
y compris quand il s’agit de l’observance
de la prise d’un placebo, comme l’ont
parfaitement démontré trois études
randomisées [7,8,9] comparant
respectivement un placebo à un
hypocholestérolémiant, à un béta bloquant,
et à un antagoniste des récepteurs de
l’angiotensine 2. La vertu est donc
récompensée, indépendamment des
bienfaits de la médecine !
Les patients diabétiques n’échappent pas
à cette quasi-loi de réduction
de l’observance avec le temps, puisque dans
l’étude écossaise DARTS [4] sur
6 500 patients traités par statines, après
10 ans moins de 50 % des patients ont
une observance définie par l’achat de plus
de 80 % des comprimés de statine prescrits.
Ce résultat est d’autant plus frappant que
le gain de vie chez les patients en
prévention secondaire grâce aux statines,
est évalué à environ 2 ans [5], avec une
tolérance excellente puisque le taux de
Références bibliographiques
1 - HO MP, MAGID DJ, SHETTERLY SM, OLSON KL, MADDOX TM, PETERSON
PN, MASOUDI FA, RUMSFELD JS
Medication nonadherence is associated with a broad range of adverse
outcomes in patients with coronary artery disease
Am Heart J 2008 ; 155 : 772 – 779
2 - FORD I, MURRAY H, PACKARD CJ, SHEPHERD J, MACFARLANE PW,
COBBE SM, for the West of Scotland Coronary Prevention Study Group
N Engl J Med 2007 ; 357 : 1 477 – 1 486
3 - JACKVICIUS CA, MAMDANI M, TU JV
Adherence with statin therapy in elderly patients
with and without acute coronary syndromes
JAMA 2002 ; 288 : 462 – 467
4 - DONNELLY LA, DONEY ASF, MORRIS AD, PALMER CNA, DONNANS PT
Long-term adherence to statin treatment in diabetes
Diabet Med 2008 ; 25 : 850 – 855
5 - LARDIZABAL JA, DEEDWANIA PC
Benefits of statin therapy and compliance in high risk cardiovascular patients
Vascular Health and Risk Management 2010 ; 6: 843 – 853
6 - OSTERBERG L, BLASCHKE T
Adherence to medication
New Engl J Med 2005 ; 353 : 487 – 497
7 – The coronary Drug Project Research Group
Influence of adherence to treatment and response of cholesterol
on mortality in the coronary drug project
N Engl J Med 1980 ; 303 : 1 038 – 1 041
8 – HORWITZ RI, VISCOLI CM, BERKMAN L et al
Treatment adherence and risk of death after a myocardial infarction
Lancet 1990 ; 336 : 542 – 45
9 – GRANGER BB, SWEDBERG K, EKMAN I et al for the CHARM Investigators
Adherence to candesartan and placebo and outcomes in chronic heart failure
in the CHARM programme : double-blond, randomised, controlled clinical trial
Lancet 2005 ; 366 : 2 005 – 2 011
5
2- Un problème
de définition et de mesure
La définition objective de l’observance ne peut être que le degré
d’adéquation entre ce qui est prescrit par le médecin et ce qui est
effectivement réalisé par le malade.
Cela suppose que la prescription soit
chiffrée (doses et horaires de prises
des médicaments, qualité et quantité
de la diététique et de l’activité physique).
Ce qui est effectué par le patient doit
également être quantifié et donc mesuré.
Cette mesure pose toute l’ambivalence
de l’observance. S’il s’agit de connaître
la « vraie vérité », on recourra aux
méthodes les plus objectives : dosage
du médicament dans le sang ou les urines,
comptage des comprimés restants dans
les boites (mais on peut aussi en jeter),
pilulier électronique (mais on peut aussi
ouvrir et refermer la boîte), évaluation
des médicaments achetés (ce qui ne veut
pas dire avalés). Ces méthodes sont celles
que l’on doit utiliser lorsqu’on réalise
une recherche thérapeutique pour évaluer
l’efficacité d’un médicament.
En effet, on souhaite alors éliminer
au maximum les biais qui viendraient
perturber la comparaison objective que l’on
veut réaliser. Le principal biais est bien sûr
la subjectivité du patient et du médecin,
d’où le double aveugle. La sophistication
de plus en plus élaborée des méthodes
utilisées, montre combien il est difficile
de transformer l’homme en cobaye
6
en se débarrassant de son « agaçante »
subjectivité, même quand il a donné
son consentement.
L’autre méthode est celle du clinicien.
Le doute sur la prise du traitement est
suggéré par les mauvais résultats, qu’il
s’agisse de la fréquence cardiaque sous
béta bloquants, de la pression artérielle
sous traitement antihypertenseur,
de l’HbA1c sous traitement antidiabétique,
ou du LDL cholestérol sous
hypocholestérolémiant. Néanmoins,
plusieurs études ont montré que la valeur
prédictive de ces résultats est très
médiocre, du moins quand l’inobservance
est partielle [10,11]. En effet dans la vraie
vie, l’observance est rarement binaire :
oui ou non. Elle est le plus souvent
partielle, de 1 à 10. La définition entre
bonne observance et observance
insuffisante tient en partie de l’arbitraire.
La logique voudrait que l’on considère
comme observant un taux de prise de
traitement permettant d’obtenir l’efficacité
recherchée. Par exemple dans le traitement
du sida, on estime qu’il faut une
observance de plus de 95 % [12].
C’est de façon plus conventionnelle qu’on
estime aujourd’hui, en dehors
du traitement du sida ou du diabète
insulinodépendant, que l’observance
Références bibliographiques
10 - BELL K.JL, KIRBY A, HAYEN A, IRWING L, GLASZIOU P
Monitoring adherence to drug treatment by using change in cholesterol
concentration : secondary analysis of trial data
BMJ 2011 ; 342
11 - NUESCH R, SCHROEDER K, DIETERLE T, MARTINA B, BATTEGAY E
Relation between insufficient response to antihypertensive treatment and
poor compliance with treatment : a prospective case-control study
BMJ 2001 ; 323 : 142 – 146
12 – CHESNEY M - Adherence to HAART regimens
AIDS Patient care STDS 2003 ; 17 : 169 - 177
7
3- Faciliter
l’observance
Il est évident que l’observance est
en général meilleure :
• si la contrainte est aisée. Prendre 1 seul
comprimé par jour est évidemment plus facile
que d’en prendre 1 matin, midi et soir,
ou 1 comprimé plutôt que 20 gouttes
est bonne lorsque la prise du traitement
est supérieure ou égale à 80 %.
La méthode la plus adaptée pour
le clinicien qui veut non pas transformer
son malade en coupable, mais l’aider
à améliorer son observance, est donc
la méthode déclarative. Encore faut-il
poser la question de façon adaptée,
et non pas procéder à un interrogatoire
policier visant à faire « avouer
le suspect ». Le patient doit pouvoir
dire sa vérité en sachant qu’elle
ne fera pas l’objet d’un jugement.
Il doit savoir que le médecin considère
comme normal de ne pas être observant
lorsqu’on est atteint d’une maladie
chronique. Les questions visent donc à
faciliter l’expression de la non observance,
tel le questionnaire suivant validé dans
l’hypertension artérielle.
Test d’évaluation
1) ce matin, avez-vous oublié
de prendre vos médicaments ?
2) depuis la dernière consultation,
avez-vous été en panne de
médicament ?
3) vous est-il arrivé de prendre votre
traitement avec retard par rapport à
l’heure habituelle ?
4) vous est-il arrivé de ne pas
prendre votre traitement parce
que certains jours votre mémoire
vous fait défaut ?
5) vous est-il arrivé de ne pas
prendre votre traitement,
parce que certains jours vous avez
l’impression que celui-ci vous fait
plus de mal que de bien ?
6) pensez-vous que vous avez trop
de comprimés à prendre ?
8
• si la prise est ritualisée. Par exemple,
½ comprimé par jour, en même temps
que le petit déjeuner ou le dîner, plutôt qu’1
comprimé un jour sur deux à horaire variable
• si le traitement est efficace. Le patient
arrête plus volontiers la statine si le LDL
cholestérol ne baisse pas
• si le bénéfice perçu est immédiat.
En effet, l’existence de symptômes aide
à mentaliser la maladie et le bénéfice du
traitement en est immédiatement ressenti.
Ce n’est évidemment pas le cas lors de la
prévention, qu’elle soit primaire, secondaire
ou tertiaire, puisque l’efficacité a justement
pour objectif d’éviter la survenue
de la maladie ou de ses complications.
En l’absence de symptôme, l’équation
inconsciente « pas de symptôme = pas
de danger » fait le lit de la non observance.
Dans le silence des organes, « le moi s’endort
à l’appel des sirènes du déni » [13].
• si le médicament n’a pas d’effet
secondaire. Parmi des effets secondaires des
médicaments, il y a bien sûr chez les hommes
l’impuissance, qu’elle soit réellement due ou
non à la prise d’un traitement
• si le traitement est gratuit. Contrairement
à ce que d’aucun croient, on prend plus
facilement ce qui est gratuit que ce qui est
payant. C’est du moins ce que montre une étude
réalisée chez des patients ayant fait un
infarctus du myocarde [14]
• si le traitement est prescrit ou conseillé
par une personne en laquelle on a confiance.
Une étude a montré que l’observance du
traitement par statine était meilleure lorsque
c’était le cardiologue qui la prescrivait que
lorsque c’était le médecin généraliste,
mais de nos jours la confiance dans les
professionnels s’émousse et les scandales
autour de certains médicaments ajoutent
à la suspicion. Un patient peut avoir plus
de confiance dans la parole d’un proche ou
d’un voisin que dans celle d’un médecin devenu
suspect à priori de conflits d’intérêts …
Références bibliographiques
13 – HANUS M
Les deuils dans la vie. Deuils et separations chez l’adulte et chez l’enfant.
Edit. MALOINE 1997
14 - CHOUDHRY NK, PATRICK AR, ANTMAN EM, AVORN J, SHRANK WH
Cost-effectiveness of providing full drug coverage to increase medication
adherence in post-myocardial infarction medicare beneficiaries
Circulation 2008 ; 117 : 1 261 – 1 268
9
4- Lever
le malentendu
Ceci conduit à poser la question
fondamentale du malentendu de
l’observance ;
s’agit-il d’une obéissance quasiment
aveugle à l’autorité médicale supposée
bienfaisante, ou d’une décision du malade
lui-même, c’est-à-dire d’une
« auto-observance » ? En effet, on observe
mieux ce dont on est convaincu
et ce qu’on décide soi-même. Ceci suppose
un certain degré de compétence et surtout
une confiance en soi suffisante.
L’histoire clinique suivante illustre
parfaitement ce malentendu. Une jeune
femme diabétique insulinodépendante
depuis 30 ans avait développé toutes
les complications du diabète et bénéficié
d’une greffe rein pancréas. A la suite
d’un rejet partiel, elle se retrouva avec
une fonction rénale normale mais avec
un diabète non cétosique. Les glycémies
se situaient autour de 2 g/l, sans cétonurie.
Spontanément, elle reprit les injections
d’insuline, ce qui ne faisait pas l’affaire
du transplanteur. Celui-ci lui expliqua qu’il
fallait attendre une relance de son
insulino-sécrétion en ne réalisant pas plus
de 3 contrôles glycémiques par semaine
et en ne faisant des injections d’insuline
que si les glycémies dépassaient 2 g/l.
Lorsque je la vis en consultation, elle me
montra son carnet avec 3 glycémies par
semaine et aucune injection,
10
puis plongeant la main dans son sac,
elle me déclara : « maintenant si vous
voulez voir l’autre carnet … » et elle me
tendit un deuxième carnet où il y avait
4 contrôles par jour et des injections
d’insuline pluriquotidiennes. La patiente
n’était donc pas observante des
prescriptions de son chirurgien,
mais elle avait parfaitement raison.
Elle était « auto-observante ».
Il faut donc remplacer lors du traitement
des affections chroniques qui nécessitent
une participation active du patient,
la notion de prescription par celle de
coprescription, et la notion d’observance
par celle d’auto-observance. La différence
n’est pas un pur jeu de mot : être
observant, c’est respecter des normes
externes imposées, être auto-observant,
c’est respecter des normes certes externes
mais intériorisées car comprises, adaptées,
personnalisées, négociées, acceptées.
Pour autant, ces normes n’en restent pas
moins externes. En effet, en l’absence de
tout symptôme, l’auto-observance ne peut
pas découler d’une autorégulation interne,
expression d’une « auto-normativité » [15],
à moins que l’on désigne par là l’élan
vital ou l’instinct de préservation de tout
un chacun.
De rares patients dits « sentinelles »,
perçoivent une hyperglycémie même
modérée au-delà d’1,80 g/l,
avec un sentiment de lourdeur, de barre
sur le front et jouissent ce faisant d’une
« auto-normativité ». Hélas bien souvent,
les mêmes perçoivent moins les
symptômes d’alerte de l’hypoglycémie,
et en conséquence perdent l’autorégulation
permettant d’éviter les hypoglycémies
sévères à répétition.
Une de nos patientes exprimait de façon
imagée cette absence d’autorégulation
interne ; à la question
« Comment allez-vous ? » elle répondait
rituellement « Mon extérieur va bien, mon
intérieur c’est vous qui allez me le dire ».
Références bibliographiques
15 – BARRIER P
La blessure et la force
Edit. PUF 2010
11
5- L’inobservance
Un défi à la raison
La vraie question est donc
celle de l’auto-inobservance,
véritable défi à la raison.
diabétique, il entra dans mon box de
consultation en levant les mains en l’air,
lançant : « je me rends ! ».
Comble du comble, j’ai soigné une
ophtalmologiste diabéto qui lasérisait
la rétine de ses patients pendant
que son rein se détruisait jusqu’à
ce qu’elle bénéficie d’une greffe rein
– pancréas. Enfin, quelle ne fut pas
ma surprise d’entendre un professeur
de médecine interne diabétique me dire
« à mon âge, je ne porte pas de lunettes.
Ce n’est pas la peine que je fasse le fond
d’œil ». Je pensais : si un étudiant en
médecine lui disait cela, il le collerait
immédiatement.
Le patient sait, il sait faire, il est
convaincu qu’il devrait faire, et pourtant
il ne fait pas. De ce point de vue,
l’exemple de médecins compétents
en diabétologie, eux-mêmes diabétiques,
ne manque pas d’interpeller.
J’ai connu un médecin généraliste
avec qui j’ai enseigné pendant 10 ans
le diabète aux internes de médecine
générale. Arrivé à la retraite, il se
retrouva lui-même avec un diabète et me
consulta avec des glycémies autour de
3 g/l. Il m’avoua qu’il ne prenait aucun
médicament, parce que disait-il « il ne
pensait pas qu’ils étaient efficaces ! ».
J’ai connu un professeur de radiologie
publiant des articles sur l’ostéo-arthropathie
nerveuse diabétique, le pied de Charcot,
hospitalisé dans le service pour un mal
perforant plantaire. Il avait complètement
oublié qu’il était diabétique, tout juste se
rappelait-il vaguement qu’on lui avait
parlé une fois d’hyperglycémie. L’examen
du fond d’œil fait au lit permit de
découvrir une rétinopathie ischémique
12
proliférante nécessitant une
panphotocoagulation
au laser en urgence. J’ai connu un
angiologue très compétent dans le
diabète, ayant soigné plusieurs patients
diabétiques victimes des complications
vasculaires, lui-même triple ponté
coronarien, ne prenant aucun
médicament. Adressé pour rétinopathie
Il s’agissait à chaque fois
de médecins parfaitement compétents,
connaissant bien le diabète, tout à fait
rationnels, auxquels sans hésitation
je me confierais ou je confierais
quelqu’un de ma famille. La conclusion
s’impose et doit être gravée dans
le cerveau de tout médecin prenant
en charge des patients atteints de
maladie chronique : la connaissance
est nécessaire, elle est indispensable,
mais elle n’est jamais suffisante pour
changer un comportement. Comment
expliquer un tel paradoxe ?
13
6- L’homme
est une trinité
On peut reconnaître trois
instances du moi. L’homme est
un être de raison. Ce « moi rationnel »,
tendant à l’universel, est régi par
des règles et par des normes.
L’homme est aussi un animal répondant
à des besoins primaires extrêmement
puissants tels que la faim, la soif,
l’absence de douleur, le besoin
de sécurité, etc … Et c’est enfin un « moi
identitaire » à l’irréductible singularité.
Quel est ce « moi identitaire »,
ce « moi sujet » ? C’est un aspect physique,
une silhouette, un visage,
et particulièrement un regard.
Ce visage vient frapper à votre porte,
vous demander de l’aide et alors que vous
ne le connaissez pas, par le seul fait que
vous êtes médecin vous lui devez une aide
absolue dont la seule limite sera fixée
par le tiers social représenté à la fois
par les autres patients et par les moyens
limités mis à la disposition du médecin
par la société.
Ce moi identitaire, ce sont aussi des traits
de caractère innés, façonnés
par l’empreinte parentale, modulés
par la relation aux autres, construits
par l’éducation, sélectionnés et renforcés
par la vie. Au-delà de cette description
rappelant la métaphore de l’oignon avec
ses pelures, le moi sujet est une pure
subjectivité faite d’émotions et de
représentations taraudées par
l’inconscient et régies par la loi
d’optimisation du plaisir, en tout cas
par l’évitement de la souffrance morale.
Ce moi tend à s’identifier à l’image de soi,
renvoyée de façon plus ou moins déformée
par le regard des autres.
L’auto-observance fondée sur la raison,
est confortée par l’adoption de normes
collectives. Or, l’evidence based medicine
produit de la norme ; ces normes
14
débouchent sur des recommandations
de plus en plus internationales.
Ces recommandations entraînent
des campagnes de communication visant
à changer le comportement à la fois
des médecins et des patients.
En effet, la norme est un puissant
régulateur comportemental, car sortir de
la norme suscite la peur de l’exclusion
« Il suffit de ne pas être dans la norme
pour que bien souvent les normaux vous
écrasent de leur arrogance » [16].
C’est pourquoi les patients diabétiques
de type 2 demandent s’ils sont toujours
diabétiques, lorsque leur glycémie est à
1,25 g/l grâce à la diététique et à l’activité
physique, ou s’ils peuvent être considérés
comme non diabétiques.
Références bibliographiques
16 – CYRULNIK B
La Honte
Edit. Odile JACOB 2010
15
C’est ce qui explique également qu’à la
suite de la campagne « sous le 7 »,
les patients diabétiques soient ravis
d’avoir 6,9 % d’HbA1c et désespérés
d’avoir 7,1 %. Il est même étonnant de
constater à quel point cette pensée binaire
séparant le normal de l’anormal,
le bien du mal, imprègne les médecins
eux-mêmes, capables de fixer comme
objectif une HbA1c inférieure à 7 à des
patients diabétiques insulinodépendants
faisant de nombreuses hypoglycémies,
pour lesquels cet objectif apparaît
inatteignable voire inapproprié.
Mais en même temps, le rapport à la
norme est source d’ambiguïté, car certains
patients soucieux d’apparaître comme
« normal », c’est-à-dire comme les autres,
« oublient » de prendre le traitement
qui leur rappelle la maladie, tel notre
radiologue qui avait totalement oublié
qu’il était diabétique. Inversement,
le moi identitaire dans sa singularité,
n’accepte pas d’être réduit à une norme.
Chacun d’entre nous, veut bien être
différent, mais il accepte moins d’être
a-normal [17].
De plus, le moi rationnel est mis en échec
par les deux autres instances du moi :
le moi animal d’une part, le moi identitaire
d’autre part. En effet, le moi animal
impose la satisfaction immédiate
de besoins primaires impérieux.
On peut rapprocher de ces besoins
primaires les comportements irrésistibles
induits par les phobies, les compulsions,
les addictions. On connaît dans le diabète
des patients phobiques de l’hyperglycémie
qui, dès qu’ils ont une glycémie à 1,40 g/l,
font une injection supplémentaire
d’insuline malgré des hypoglycémies
sévères à répétition, ou à l’inverse les
patients phobiques de l’hypoglycémie qui
se « resucrent » dès que leur glycémie
baisse au dessous d’1,40 g/l. On connaît
les patients victimes de compulsions
ou de boulimie et les femmes diabétiques
addictives du contrôle pondéral qui se
sous insulinisent délibérément pour rester
minces. Une de mes patientes, arrivée
au stade des complications les plus
sévères avec une amputation des deux
jambes, continuait à se sous insuliniser.
Pourquoi ? Pour plaire à qui ? Pour se
plaire à elle-même ? Non disait-elle
« c’est plus fort que moi ! », et elle ajoutait
« c’est absurde, je n’en parle à personne,
c’est tellement idiot ! ».
La volonté d’auto-observance rationnelle
est également prise à revers par le moi
identitaire. En effet, le malade atteint
de maladie chronique a peur de perdre
son identité en étant réduit à sa mala
die. « Je ne m’appelle pas diabète ! » me
dit un jour un patient. Le travail
d’acceptation de la maladie, assimilé à
un travail de deuil, est entravé par cette
16
crainte de dévalorisation de l’image de soi.
L’image que j’ai de moi est menacée par
le regard que les autres ont sur moi.
D’où la tentation du déni,
de la dénégation, du déguisement,
de la clandestinité ou de l’auto-exclusion.
A l’inverse, des patients peuvent faire
de leur maladie une identité, de leur
souffrance un combat, et de leurs
humiliations une fierté, au point de nier
leur handicap et de refuser un traitement
qu’ils jugent abusivement normatif.
Tel est le cas d’une partie de la
communauté des sourds muets, victimes
pendant des siècles de maltraitance,
exigeant aujourd’hui que la langue des
signes soit reconnue comme langue
minoritaire dans la constitution [18].
Références bibliographiques
17 – FOURNIER JL
Où on va, papa ?
Edit STOCK, 2008
18 – DAGON J
Les silencieux
Edit. Presse Pluriel 2008
17
7- Observance
et motivation
L’inobservance est donc
profondément humaine.
L’inobservance est donc profondément
humaine. L’observance à 100 % chez tous
les patients, dont rêvent quelques médecins
et les gestionnaires de santé,
n’est envisageable que dans une société
totalitaire. La question qui est posée aux
soignants est donc la suivante : comment
aider le patient à se motiver pour adopter
de nouveaux comportements ?
A en croire les psychologues, il y aurait deux types
de motivation : une motivation
« intrinsèque », et une motivation « extrinsèque ».
« Une activité qui est pratiquée pour
elle-même, pour son contenu est dite
intrinsèquement motivée, tandis qu’une
activité pratiquée pour ses effets,
pour l’obtention d’une conséquence positive
ou l’évitement d’une conséquence négative est
dite extrinsèquement motivée » [19].
La première procure de l’intérêt et/ou du
plaisir, la seconde plutôt de la satisfaction
et/ou du soulagement. A l’évidence,
la motivation pour se soigner est
essentiellement une motivation extrinsèque,
visant à éviter les conséquences négatives de
la maladie, de ses rechutes ou de ses
complications, car il est bien rare que l’on
trouve du plaisir à avaler des comprimés,
à se piquer le bout du doigt, à se faire des
injections ou à changer des habitudes de vie.
18
La motivation extrinsèque, pour se soigner,
peut être extrêmement puissante comme en
témoignent les deux observations suivantes :
• La première observation est celle
d’un pilote d’avion bon vivant. Son médecin
du travail avait suspendu sa licence de vol
parce que son diabète était déséquilibré avec
une HbA1c élevée à 7,8 %. Le délai pour
la prise de rendez-vous à ma consultation
avait suffi au pilote pour ramener son Hb1c
à 6,4 %, grâce à l’observance du régime
et à l’augmentation de l’activité physique.
Ce faisant, il obtint le certificat qui lui permit
de reprendre les vols.
• La seconde observation est celle d’une
jeune femme diabétique insulino-dépendante
qui contrôlait son poids grâce à une sousinsulinisation délibérée.
Elle maintenait ainsi son HbA1c autour
de 14 % et rien ne semblait y faire.
Elle revint un jour en consultation avec
une HbA1c normale à 5,9 %. L’explication
de ce retournement était simple : le parfait
équilibre glycémique s’expliquait par la
survenue d’une neuropathie hyperalgique.
ou s’il perd définitivement sa licence ?
De même, qu’arrivera-t-il lorsque la douleur
aiguë de la neuropathie diabétique
disparaîtra ? Perdant son symptôme,
la malade perdra-t-elle sa motivation pour
équilibrer son diabète et retrouvera-t-elle
son addiction au contrôle pondéral ?
Dans les deux cas, la motivation extrinsèque
s’est révélée très puissante,
en tout cas plus efficace que le discours
rationnel et empathique du médecin.
A la réflexion, cette motivation extrinsèque
paraît cependant bien fragile. Que se serait-il
passé si au lieu d’être un pilote le patient
avait été un bagagiste bénéficiant d’un arrêt
de travail ? Que se passera t-il lorsque
le pilote aura atteint l’âge de la retraite
Il s’agit donc d’aider le patient à intérioriser
autant que faire se peut une motivation
extrinsèque pour qu’il arrive à transformer
les contraintes en routine, mieux qu’il y
trouve un intérêt voire du plaisir.
Références bibliographiques
19 – CARRE P, FENOUILLET F
Traité de psychologie de la motivation
Edit. DUNOD 2008
19
8- Comment aider
à intérioriser une motivation extrinsèque ?
non faits. Or tout deuil non fait interdit
tout nouveau deuil. « Le silence devient
alors comme, le dit Boris Cyrulnik,
un nouvel organisateur du moi,
un tyran muet qui fait souffrir en secret,
empêchant ainsi le travail de reconstruction
de soi » [16].
Pour cela, il faut d’abord aider
le patient à intégrer les projets
de soins aux projets de vie.
Cela suppose que le patient puisse exprimer
ses projets de vie. Il convient ensuite
d’envisager avec lui comment le traitement
peut s’y adapter, en tout cas ne pas y faire
entrave. La motivation pour se traiter peut
être renforcée en étant « accrochée »
à une motivation externe plus puissante
ou à une motivation interne. On peut se
soigner pour préparer un voyage, ou pour
préparer sa retraite, on peut se soigner
pour son conjoint ou ses enfants,
voire pour son médecin…
On peut se soigner par devoir ou par défi.
On peut héroïser sa lutte contre la maladie…
Il s’agit ensuite d’aider le patient à négocier
le compromis optimal entre son moi
rationnel et son moi identitaire,
en se faisant l’avocat des deux parties,
et surtout l’avocat du moi identitaire.
Du coup, le soignant montre son empathie
au patient, tandis que le patient se met
à défendre son moi rationnel. « Vous pensez
qu’un vélo d’appartement peut vous être utile ? »
dit le médecin, en ajoutant :
« En général, c’est un instrument tout à fait
sinistre, il termine à la cave ou sur le balcon ou
bien on le donne aux enfants pour noël ».
20
C’est alors que le patient se sent obligé
de défendre sa décision d’en faire
20 minutes tous les jours... Cette évaluation
par le patient, de la balance décisionnelle,
du pour et du contre, est un élément essentiel
qui lui permet de mieux percevoir
son ambivalence et finalement de prendre
une décision « mûrement réfléchie ».
Ce faisant, il arrive à comprendre
« comment il fonctionne », c’est-à-dire à
acquérir la distanciation nécessaire
à une véritable métacognition. Il est donc
essentiel de faciliter l’expression du moi
identitaire du patient, en évitant de centrer
la relation uniquement sur la maladie.
En effet, le patient a une histoire
personnelle dans laquelle prend place
cette maladie.
Le fait de la raconter permet de rompre
le silence qui enveloppe souvent les deuils
D’où l’importance de groupes de paroles,
d’ateliers de dessin ou d’écriture ou la
réalisation du « théâtre du vécu ».
Il ne s’agit pas ici « d’art thérapie »
mais tout simplement de détours pour
libérer la parole, car comme le dit Karen
BLIXEN citée par Hannah ARENDT,
« tous les chagrins sont supportables
si on en fait un conte ou si on les raconte ».
Et Boris Cyrulnik précise : « C’est difficile
de s’adresser à quelqu’un pour expliquer
ce que l’on a vécu, mais si on passe
par le biais de l’œuvre d’art, par le détour du
film, de la pièce de théâtre,
de l’essai philosophique, vous devenez
le tiers dont vous pouvez parler » [20].
Références bibliographiques
16 – CYRULNIK B
La Honte
Edit. Odile JACOB 2010
20 – CYRUL NIK B
Je me souviens
Edit. Odile JACOB 2010
21
9- Aider le patient
a changer de représentation
Il s’agit finalement d’aider
le patient à changer de
représentation de la maladie,
c’est-à-dire à avancer sur « la route de
Chartres des diabétiques ». On rapporte la
fable suivante attribuée à Charles Peguy :
« L’auteur va à la cathédrale de Chartres,
il voit sur la route un homme entrain de casser
des cailloux. Cet homme est sale, il sue. Torse
nu, il respire le malheur. Il semble victime de
souffrances. Il s’approche et demande à cet
homme ce qu’il fait : « vous voyez bien je n’ai
trouvé que ce métier idiot, j’ai mal au dos et
aux mains, je suis mal payé, je casse des
cailloux ». Il remonte dans sa voiture et plus
loin il voit un autre homme qui, torse nu,
casse des cailloux. Il lui demande : «
que faites-vous ? ».
L’homme répond : « j’ai trouvé du travail,
je suis en plein air, je gagne ma vie comme
cela, je ne suis pas beaucoup payé mais
finalement ce n’est pas si mal que cela, cela
me permet de nourrir ma famille ». Il remonte
dans sa voiture et voit un troisième individu
en train de casser des cailloux, qui rayonne
de bonheur. Il demande à cet homme
ce qu’il fait, et l’autre lui répond :
« vous n’êtes pas au courant ? Je suis entrain
de construire une cathédrale ! » [21].
Par analogie, on peut imaginer un diabétique
insulinodépendant râlant contre sa maladie
« elle m’a pourri la vie, je suis obligé de me
22
piquer tous les jours, et en plus les résultats sont
incompréhensibles ! ». Un autre qui a l’air moins
aigri « ce n’est pas drôle, mais c’est devenu une
habitude. J’ai une vie quasi-normale et puis le
diabète m’a apporté une certaine hygiène de vie
et un bon équilibre alimentaire ».
Enfin, un troisième : « Au début cela a été dur,
mais maintenant que j’ai surmonté cette
épreuve, je me sens plus fort qu’avant.
Quand je vois d’autres patients,
je me dis que j’ai de la chance, et quand
j’entends les gens se plaindre au moindre
petit bobo, c’est moi qui les plains.
Finalement, je me demande si cette maladie
ne m’a pas rendu plus motivé pour vivre
pleinement chaque moment de l’existence ».
La caractéristique de l’être humain est en effet
sa capacité d’intérioriser à des degrés variables
une motivation extrinsèque en fonction de son
système de valeurs et de représentations.
10- Développer
une réelle empathie
Pour aider le patient à cheminer sur cette route
de Chartres, le médecin doit donc développer
une réelle empathie. Comme l’a montré
Franz DE WALL [22], l’empathie existe chez
certains animaux (grands singes, éléphants,
dauphins, …). Elle peut même transcender
les espèces.
Elle se développe parallèlement à la conscience
de soi qui apparaît chez l’enfant autour de
2 ans. « La souffrance de l’autre allume en miroir
les neurones de la douleur de l’observateur »
Encore faut-il qu’il considère l’autre comme
un autre lui-même et non comme un objet.
Telle est la base physiologique de l’empathie
qui permet à tout un chacun si ce n’est de
ressentir, du moins de percevoir ce que ressent
l’autre. C’est aussi ce qui permet
aux tortionnaires raffinés de choisir la torture
la plus adaptée à leur victime. La démarche
empathique suppose non seulement
de percevoir ce que ressent l’autre et d’être
capable de le lui exprimer, mais aussi de lui
proposer une aide. Pour que cette empathie
soit au service d’une authentique relation
de partenariat d’égal à égal, encore faut-il
renoncer à la volonté d’emprise, c’est-à-dire
de pouvoir sur l’autre qui réduirait l’empathie
à une simple manipulation comme on le voit
dans les rapports commerciaux où l’empathie
se transforme en « empathisme » cachant mal
son objectif [23]. L’entretien motivationnel [24]
avec ses « questions ouvertes », ses « reflets »,
ses « synthèses », peut être très utile, s’il permet
au médecin d’exprimer la sincérité de son
empathie en respectant l’autonomie du patient.
A l’inverse, s’il n’est qu’une habileté relationnelle
permettant au médecin d’arriver à ses fins sans
que le patient ne s’en aperçoive, il rate
complètement son objectif, devenant un simple
déguisement du « pouvoir médical ».
A la vérité, l’autonomie du patient comme
l’autonomie de tout un chacun, n’est que
relative. C’est l’autonomie autant que le patient
le souhaite et autant qu’il le peut.
Si l’auto-observance s’avère trop difficile pour
un malade, il est souhaitable que le médecin lui
propose alors d’accepter l’observance,
c’est-à-dire la soumission volontaire à un tiers.
Références bibliographiques
21 – CYRULNIL B
Parler d’amour au bord du gouffre
Edit. Odile JACOB 2004
22 - DE WALL F
L’âge de l’empathie
Edit. Les Liens 2010
23 – TISSERON S
L’empathie au cœur du jeu social
Edit. Albin MICHEL 2010
24 – ROLLNICK S, MILLER W, BUTLER C
Pratique de l’entretien motivationnel
Edit. Inter Editions – DUNOD 2009
23
11- La relation
Médecin / malade
La relation médecin / malade est donc au cœur du problème
de l’observance thérapeutique.
La motivation du médecin
joue-t-elle un rôle dans la
motivation du malade ?
1
Heureusement, oui ! Une étude réalisée
chez des patients diabétiques de type 2 [25]
le montre, que les patients soient suivis
par des médecins généralistes ou par des
spécialistes. Dans cette étude, il existait
une corrélation entre l’HbA1c obtenue
par le patient et l’objectif glycémique fixé
par le médecin, et ce à âge du patient,
durée du diabète, index de masse corporelle
et modalités thérapeutiques identiques.
La corrélation était d’autant plus signifiante
que plus l’objectif était strict, plus grande
était la fréquence des hypoglycémies sévères.
L’existence de cette corrélation ne doit pas
faire conclure trop hâtivement au caractère
rationnel de cette relation. Au contraire,
elle témoigne de son caractère hautement
émotionnel comme l’a montré BALINT [26].
Références bibliographiques
25 – The QuED Study Group
The relationship between physicians’ self-reported target fasting blood
glucose levels and metabolic control in type 2 diabetes. The QuED Study
Group – Quality of care and outcomes in type 2 diabetes.
Diabetes Care 2001 ; 24 : 423 - 429
26 – BALINT M
Le médecin, son malade et la maladie (1957)
Paris, Edit Payot & Rivages, 1988, 1996
24
2
Les contre-attitudes médicales
La relation médecin - malade est donc
au cœur du problème de l’observance
thérapeutique. Cette relation est
potentiellement conflictuelle lorsque le
« corps subjectif » du patient (son vécu)
n’est pas en accord avec le « corps objectif »
exploré par le médecin. Ainsi en va-t-il par
exemple dans les pathologies dites
fonctionnelles telles que le syndrome
polyalgique idiopathique diffus où le
malade se plaint de douleurs insupportables
alors que le médecin ne trouve rien
d’anormal. Ici, à l’inverse, le patient
diabétique se sent en parfaite santé et c’est
le médecin qui, à la lecture des examens
biologiques, lui annonce la catastrophe
métabolique. Cette discordance facilite
le développement des contre-attitudes
médicales parmi lesquelles on peut relever :
• la résignation (le médecin se contente
de renouveler les conseils et les prescriptions
qu’il sait non suivis). En réalité il s’agit d’un
véritable « pacte tacite » entre le patient et
le médecin dans l’attente des complications,
alors que pour tenter de dénouer la situation,
il faudrait se poser la question et la poser
avec empathie au patient : « pourquoi vient-il
me voir alors qu’il ne fait rien ? ».
• à l’inverse, la dramatisation consiste
non pas à informer le patient du risque
de complications, mais à le menacer
des complications, véritable punition
pour son défaut d’observance aux
prescriptions médicales
• la banalisation sous estime les difficultés
au changement de comportement
et résume l’observance à un « petit effort
de volonté » et ne prend pas en compte
la singularité du patient (« même les
enfants se piquent tous les jours ! »)
• banalisation et dramatisation peuvent
d’ailleurs se conjuguer : banalisation
des contraintes thérapeutiques et
dramatisation des risques encourus,
verrouillant la relation médecin / malade,
en attribuant au patient le rôle de l’enfant
plus ou moins docile et au médecin le rôle
du père sévère (mais juste).
• ce jeu de rôle n’évite pas le jugement
moralisateur culpabilisant pour le patient.
Dans le même registre se situe le refus
d’autonomisation du patient, par exemple
25
à une étude, « détour » vers d’autres sujets
importants pour le malade que le diabète,
participation au « théâtre du vécu »,
changement de suivi … Bref, le médecin
doit aussi être un véritable « metteur
en scène ».
le refus de prescrire l’auto-surveillance
glycémique demandée par le patient
sous prétexte qu’il ne suit pas parfaitement
son régime.
• parmi les contre-attitudes médicales,
on trouve également l’hyper-rationalisme
qui refuse d’entendre l’irrationnel chez
l’homme et combat frontalement les
croyances de santé au lieu de chercher à
« faire avec », alors que comme le dit C.
BRETON « il n’est pas rationnel de ne pas
prendre en compte l’irrationnel chez
l’homme » [27].
• on trouve également la
surmédicalisation biotechnologique,
multipliant les examens complémentaires
Références bibliographiques
27 – BRETON C
Croyances médicamenteuses : aller contre ou faire avec
Encycl Med Chir,
AKOS Encyclopédie pratique de médecine 2003 ; 1 – 01115 : 1 – 8
26
et les hospitalisations de jour pour bilan
alors même que le problème est le plus
souvent non biomédical mais psychosocial
• on trouve également parmi les
contre-attitudes scientistes, l’étiquetage
psychologique abusif du patient, victime
des théories et de la nosographie
psychiatriques.
A l’origine de ces contreattitudes médicales, se trouvent
trois processus :
3
a) la routinisation des rapports médecin /
malade au cours de la maladie chronique,
favorisée par le caractère silencieux
de cette maladie. Il est donc important
de rompre avec la routine des consultations
trimestrielles et de chercher à « créer des
événements » : ateliers d’éducation en
groupe, consultations longues,
consultations paramédicales,
questionnaires à remplir, participation
b) le modèle de la maladie aiguë grave
où le rapport soignant – soigné est de type
adulte – enfant. En effet, face à la maladie
aiguë grave, le malade se défend par la
régression et appelle au secours. Mais cette
relation parentale est totalement inadaptée
à la maladie chronique où le rapport doit
être adulte – adulte, l’infantilisation étant
le plus souvent mal supportée par le
patient, encore que certains patients
y trouvent des bénéfices secondaires
en transférant leur propre responsabilité
vis-à-vis de leur santé sur leur médecin
jouant le rôle de « papa qui gronde »
et/ou de « maman qui console ».
Maladie aiguë grave et maladie chronique
s’opposent en effet terme à terme.
Dans la maladie aiguë grave, l’objectif
est la guérison (ou la mort) alors que dans
la maladie chronique, l’objectif est
l’amélioration, la stabilisation, la prévention
des rechutes, voire le simple
accompagnement. Dans la maladie aiguë
grave, le malade est passif, alors que dans
la maladie chronique, c’est lui qui pour
90 %, prend ou applique les décisions.
Dans la maladie aiguë grave, l’angoisse
est à calmer alors que dans la maladie
chronique, elle est à transformer en force
de motivation. Dans la maladie aiguë grave,
les soignants ont une tâche délimitée sous
l’autorité d’un décideur. Dans la maladie
chronique, la répartition des tâches doit se
combiner avec une culture commune et les
décisions sont collégiales. Dans la maladie
aiguë grave, il n’y a que deux couleurs,
le blanc et le noir, alors que la maladie
chronique se décline dans la gamme
des gris.
Finalement, l’observance s’avère un concept
sans pertinence pour la maladie aiguë
grave où se sont les soignants eux mêmes
qui appliquent les décisions thérapeutiques
qu’ils ordonnent, à l’inverse de la maladie
chronique où les soignants doivent
proposer, expliquer, aider et non pas
ordonner. Le concept d’observance n’a une
réelle pertinence qu’au cours des maladies
aiguës bénignes… Au cours des maladies
chroniques, il doit être remplacé par les
concepts d’auto-observance et de
difficultés à suivre le traitement.
Ces difficultés qui doivent être considérées
comme « normales » sont à placer au centre
de la relation médecin / malade et ne pas
en être la face cachée plus ou moins
honteuse.
c) enfin, la médecine scientifique peut être
à l’origine de contre-attitudes médicales si,
dépassant ses limites, elle se veut totalisante.
En effet, l’exercice scientifique de la médecine
suppose l’objectivation du sujet, sa
fragmentation et sa quantification. Il ne
saurait résumer la relation médecin / malade,
qui est aussi une rencontre entre deux
subjectivités. Les gestionnaires administratifs
et économistes de santé
se trompent quand ils croient que le médecin
d’aujourd’hui, et plus encore de demain,
sera un « ingénieur » [28] ou un
« pilote d’avion » (comme c’est en partie
le cas dans les Unités de Soins Intensifs).
C’est oublier que nos « airbus » ont des
émotions et que cela change quelque peu les
conditions de décollage et d’atterrissage…
27
On peut finalement retenir
cinq types de relation
médecin / malade :
1 Une relation paternaliste plus ou
moins autoritaire, infantilisante pour le
patient. Le médecin sait ce qui est bon pour
son patient, le « gronde » quand il n’est pas
observant ou le « console » quand ses
efforts ne sont pas récompensés. C’est donc
au nom de son devoir de bienfaisance que
le médecin peut abuser de son autorité.
Le patient peut percevoir derrière
l’autoritarisme dirigiste la bienveillance du
médecin : « Je l’aimais bien le Professeur P.
Qu’est-ce qu’il m’engueulait ! ». A vrai dire,
cette attitude fréquente autrefois, tend de
nos jours à décliner comme d’ailleurs dans
l’ensemble de la société pour laisser place
plus souvent à une relation d’objectivation
ou à l’inverse à un simple « copinage ».
2 Une
relation d’objectivation du
malade par le médecin investigateur et
prescripteur. Le malade n’est plus qu’un
animal biologique auquel on applique les
recettes éprouvées de la médecine factuelle
et au mieux un être de raison qu’on
informe « techniquement » sans prendre en
compte sa singularité psychosociale.
Ce faisant, le médecin se comporte en
simple technicien, réparateur d’organes.
Parfois même, il revendique son
indifférence professionnelle avec des
Références bibliographiques
27 – BRETON C
Croyances médicamenteuses : aller contre ou faire avec
Encycl Med Chir,
AKOS Encyclopédie pratique de médecine 2003 ; 1 – 01115 : 1 – 8
28
propos tels que : « Je vous prescris le
traitement qui est recommandé.
Si vous ne le prenez pas, c’est votre affaire.
Cela ne changera rien à ma vie ».
Cette objectivation réductrice est
évidemment souvent mal vécue par le
patient, tel ce patient diabétique recevant
une information stéréotypée sur l’évolution
de son insuffisance rénale vers la dialyse,
répliquant au médecin informateur :
« Est-ce que vous avez également prévu
les obsèques ? ». Cette objectivation
pseudo-scientifique correspond en fait
à une conception administrative de la
médecine ou même la politesse, l’empathie
et l’entretien motivationnel sont réduits à
de simples techniques de communication.
3 Mais cette objectivation du patient
par le médecin entraîne en boomerang
l’objectivation du médecin par le
patient. En effet, certains patients ont
tendance à transformer les médecins
en simples prescripteurs de médicaments
et d’examens complémentaires :
« Pouvez-vous rajouter ce médicament sur
ma commande ?… » me demanda un jour
un patient. L’individualisme et la
marchandisation de la société moderne
poussent logiquement au consumérisme
médical, comme si le système de santé
n’était qu’une grande surface « low cost ».
La transgression n’est alors pas loin.
Nombre de patients perdent leur
ordonnance, oublient leur rendez-vous,
ne se présentent pas sans prévenir à une
hospitalisation programmée, et sans se
soucier du fait qu’ils aient pris la place
d’un autre patient et entraîné des prises de
rendez-vous inutiles… Plus étonnamment,
des médecins revendiquent leur propre
objectivation, se transformant en techniciens
ou en ingénieurs. Il s’agit souvent
de médecins appartenant à des spécialités
de haute technicité, appliquant des
procédures de soins, examinant peu ou pas
les malades, en tout cas ne les suivant pas.
4 Une simple relation
de copinage.
Le rejet à la fois de la relation paternaliste
du passé et de la relation déshumanisée
de la modernité, a généré une relation où le
médecin ne dirige pas, ne guide pas,
mais se contente de suivre le patient qui
définit lui-même son but et son chemin.
La postmodernité relativiste apporte
un support théorique à cette pratique
sympathique mais confusionniste.
L’anthropologie et l’ethnomédecine
s’intéressant aux traditions et
représentations culturelles des différents
peuples, au-delà de tout jugement
de valeur, ont favorisé l’essor de ce
relativisme postmoderne selon lequel il n’y
a pas de vérité scientifique mais seulement
des points de vue, chacun pouvant se dire
expert. Médecin et malade sont considérés
comme deux experts mis sur le même plan,
l’un scientifique, l’autre profane. Leur
rencontre est l’occasion de « croiser deux
discours » pour « créer une nouvelle vérité ».
Sous prétexte que médecin et malade sont
deux personnes humaines devant avoir des
rapports d’égalité, cette postmodernité
gomme complètement l’asymétrie de la
relation entre une personne souffrante,
angoissée, recherchant à la fois une aide
et une expertise, et un professionnel que
l’on espère à la fois empathique
et compétent. L’un, s’il est atteint d’une
maladie chronique, a un travail de deuil
à faire, des connaissances à acquérir,
29
une autorité imposée. Tel autre peut désirer
une relation distanciée, purement
technique, souvent de peur de révéler
des failles intimes.
La mise à distance est une défense qu’il faut
savoir respecter. Finalement, une relation
de partenariat implique aussi de définir
de façon consensuelle plus ou moins
explicite le type de relation que l’on
souhaite instaurer, relation qui peut
d’ailleurs varier avec le temps.
des comportements à changer et pas l’autre.
On dit que les malades éduquent les
médecins, et que les médecins ont beaucoup
à apprendre des malades. Certes, mais la
différence c’est que les malades, en général,
ne savent pas qu’ils nous apprennent,
alors que nous, nous savons que nous
leur apprenons.
5 La relation que l’on souhaiterait
développer au cours de la maladie
chronique, est celle d’un partenariat,
où la partie ne se joue non pas à deux
mais à quatre : l’être de raison du médecin
et celui du patient peuvent partager
les données de « l’Evidence Based Medicine »
tandis que leurs êtres de relation
et d’émotions peuvent permettre
l’expression des difficultés à suivre
le traitement pour rechercher ensemble
les solutions. Ce partenariat n’est toutefois
pas exclusif des autres formes relationnelles.
Un patient atteint de maladie chronique
peut adopter une position régressive
et réclamer l’autorité de son médecin,
mais c’est alors une autorité choisie et non
30
Dans la relation médecin / malade,
le médecin n’a que des devoirs,
mais le malade n’a pas que des droits.
Il a le devoir de respecter les soignants
comme il entend lui-même être respecté,
et le devoir de ne pas abuser du système
de soins parce que c’est un bien à la fois
collectif et fini, et donc précieux.
Conclusion
Si le but ultime de l’éducation
thérapeutique est que le malade devienne
son propre médecin, il ne faut pas oublier
qu’il est vivement déconseillé à un médecin
de se soigner lui-même ou même de soigner
sa famille. Il existe en effet une
contradiction entre la subjectivité du
malade et l’objectivation qu’on lui demande
pour jouer le rôle du médecin. Cette
contradiction n’est pas soluble.
Elle peut seulement être gérée grâce à un
partenariat entre le médecin et le patient
où chacun, grâce d’une part à l’éducation
thérapeutique et d’autre part à l’empathie,
(com)prend la place de l’autre tout en
gardant la sienne : ni trop loin, ni trop près.
Les aphorismes
de l’observance
1 L a mauvaise observance est responsable
d’une augmentation de la morbimortalité. A l’inverse, la bonne observance
diminue la morbi-mortalité, y compris
quand il s’agit de l’observance de la prise
d’un placebo.
2 Pour savoir si le malade est observant
ou non, il faut lui poser la question.
3 En l’absence de symptôme, l’équation
inconsciente « pas de symptôme = pas de
danger » fait le lit de la non observance.
4 Lors des traitements qui nécessitent
une participation active du patient, la
notion de prescription doit être remplacée
par celle de co-prescription, et la notion
d’observance par celle d’auto-observance.
5 La connaissance est nécessaire, elle est
indispensable, elle n’est jamais suffisante
pour changer un comportement.
6 L’homme est une trinité : un « moi animal »,
régi par des besoins primaires, un « moi
rationnel » tendant à l’universel, régi par des
règles et par des normes, un « moi
identitaire » à l’irréductible singularité, régi
par la loi d’optimisation du plaisir en tout
cas l’évitement de la souffrance morale.
7 L’inobservance est profondément
humaine.
8 Aider à la motivation du patient pour
l’observance, c’est aider le patient à
intérioriser autant que faire se peut une
motivation extrinsèque, pour transformer
les contraintes en routines, ou mieux en
sujet d’intérêt voire de plaisir.
9 L e contrat thérapeutique n’est pas un
contrat entre le médecin et le patient,
mais un contrat entre le « moi rationnel »
et le « moi identitaire » du patient.
j « Tous les chagrins sont supportables
si on en fait un conte ou si on
les raconte ».
k La démarche empathique suppose non
seulement de percevoir ce que ressent
l’autre et d’être capable de le lui exprimer,
mais aussi de lui proposer une aide.
l Le médecin doit renoncer à la tentation
d’emprise sur le malade, et respecter son
autonomie.
m L’autonomie du patient, comme
l’autonomie de tout un chacun,
n’est que relative, c’est l’autonomie
autant que le patient le souhaite et
autant qu’il le peut.
n La relation médecin / malade est au cœur
du problème de l’observance thérapeutique.
La relation que l’on souhaite développer
au cours de la maladie chronique est une
relation de partenariat où le médecin
et le patient, grâce à l’éducation
thérapeutique d’une part et à l’empathie
d’autre part, prend la place de l’autre
tout en gardant la sienne.
o Le médecin devient un ingénieur,
mais il doit rester un artisan et si possible
un artiste.
31
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