PHILOSOPHIE CORRIGé DISSERTATION

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PHILOSOPHIE CORRIGé DISSERTATION
PHILOSOPHIE
CORRIGé DISSERTATION
Sujet de dissertation : « la religion est-elle un instrument de pouvoir ? »
Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel : La religion est l’opium du peuple
Il conviendra de distinguer en introduction les différentes acceptions du terme de pouvoir, en
évoquant en particulier le pouvoir politique, moral et psychologique de la religion.
« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la
religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a
l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme,
ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de
l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du
monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale
de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur
spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation
et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que
l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement
lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour
une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur,
comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.
L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son
bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une
situation qui a besoin d’illusions.(…) La critique de la religion détruit les illusions de l’homme
pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge de
la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c’est-à-dire de son soleil réel. »
On s’interrogera sur la structure du pouvoir et la manière dont il s’exerce : est-ce un pouvoir
que l’on subit ou que l’on acquiert ? La religion renforce-t-elle notre asservissement ou est-elle
au contraire un principe libérateur pour le sujet ? On se demandera si cet instrument qu’est la
religion est utilisé à l’avantage ou au détriment du sujet libre.
1. Le constat du pouvoir de la religion : ses effets psychologiques et politiques,
son efficacité
Elle rassure, elle inspire le respect, elle réunit les hommes autour de valeurs communes. On
s’appuiera sur les approches sociologiques (cf texte de Durkheim, ci dessous) ou anthropologiques étudiant la valeur du sacré comme fondement d’une unité spirituelle au sein d’un groupe (Caillois, L’homme et le sacré) pour progressivement radicaliser l’analyse et souligner de
manière critique avec Freud le risque d’infantilisation, en revenant sur Dieu comme substitut
rassurant de la figure paternelle (L’avenir d’une illusion) ou encore avec Marx (ci-dessous),
la nécessité de renverser la situation désespérante qui pousse l’homme à se réfugier dans la
religion, qu’il conçoit comme symptôme d’un malaise social et économique.
Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse :
« Les croyances proprement religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée
qui fait profession d’y adhérer et de pratiquer les rites qui en sont solidaires. Elles ne sont pas
seulement admises, à titre individuel, par tous les membres de cette collectivité ; mais elles sont
la chose du groupe et elles en font l’unité. Les individus qui la composent se sentent liés les
uns aux autres, par cela seul qu’ils ont une foi commune. Une société dont les membres sont
unis parce qu’ils se représentent de la même manière le monde sacré et ses rapports avec le
monde profane, et parce qu’ils traduisent cette représentation commune dans des pratiques
identiques, c’est ce qu’on appelle une Eglise. (…) Nous arrivons (…) à la définition suivante
: Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses
sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même
communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent. Le second élément qui prend
ainsi sa place dans notre définition n’est pas moins essentiel que le premier ; car en montrant
que l’idée de religion est inséparable de l’idée d’Eglise, il fait pressentir que la religion est une
chose éminemment collective. »
1 Dossier pédagogique
2. Le danger de ce pouvoir
Organisant l’existence des hommes, la religion les soumet à des lois strictes, elle modèle leur
comportement, les assigne à un certain mode de vie, jusque dans ses formes les plus radicales
(fanatisme). On pourra s’aider de la distinction bergsonienne entre la forme ouverte et la forme
close de la religion ou encore la différence entre une religion « dynamique » et une religion «
statique » qui enferme les individus dans des principes et des relations figés (Les deux sources
de la morale et de la religion).
Sur la tentation de faire de la religion un instrument de manipulation, on pourra évoquer Nietzsche ou Machiavel.
Le passage suivant pourra en particulier être mis en relation avec le questionnement récent
en France autour de la laïcité. Dans le chapitre XVIII du Prince, Machiavel fait de la religion un
élément que le Prince doit utiliser pour se donner une apparence vertueuse (« paraître pieux
», « paraître toute religion »), alors même qu’il peut être amené à agir contre les principes reli-
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gieux eux-mêmes (« contre la charité, contre l’humanité, contre la religion »). La maîtrise de la
religion s’inscrit dans la logique de l’apparaître, de la simulation dont Machiavel décrit l’efficacité
pragmatique.
Machiavel. Le Prince. Chapitre XVIII : Comment les Princes doivent tenir leur parole.
« Il n’est donc pas nécessaire pour un prince d’avoir toutes les qualités décrites plus haut*, mais
il est bien nécessaire de paraître les avoir. Même, j’irai jusqu’à dire que s’il les avait et s’il les observait toujours, elles lui porteraient préjudice. C’est en paraissant les avoir qu’elles sont utiles;
ainsi de paraître clément, fidèle, humain, intègre, pieux, et de l’être; mais avoir l’esprit tourné de
telle sorte que, s’il faut ne pas l’être, tu puisses et tu saches te changer en l’exact opposé. Il faut
comprendre ceci : un prince, surtout un prince nouveau, ne peut observer toutes les qualités pour
lesquelles les hommes sont reconnus bons, parce qu’il est souvent contraint s’il veut préserver
ses possessions d’agir contre la parole donnée, contre la charité, contre l’humanité, contre la
piété. Ainsi, il faut qu’il ait l’esprit disposé à se tourner dans le sens que commandent les vents
de la fortune et les variations des choses, et, comme je l’ai dit plus haut, ne pas s’écarter du bien
s’il le peut, mais savoir entrer dans le mal, s’il y est contraint. Un prince doit donc avoir grand
soin que ne lui sorte jamais de la bouche la moindre parole qui ne soit pleine des cinq qualités
susdites ; et qu’il paraisse, à le voir et à l’entendre, toute piété, toute honnêteté, toute intégrité,
toute humanité, toute religion. Et aucune qualité n’est plus nécessaire de paraître avoir que
celle-ci. D’une manière générale, les hommes jugent plus par les yeux que par les mains, car si
n’importe qui peut voir, bien peu éprouvent juste. Chacun voit ce que tu parais, peu ressentent
ce que tu es ; et ce petit nombre n’ose pas s’opposer à l’opinion de la majorité qui a la majesté
de l’Etat derrière elle. ».
3. Renversement : la religion est l’instrument d’un certain pouvoir sur soi.
La religion pose une exigence de compréhension et de maîtrise de soi. Elle pose l’exigence d’un
dépassement de soi. On pourra faire référence à des extraits du Traité théologico-politique de
Spinoza ou du Discours décisif d’Averroès (§ 2 à 6, cf extrait ci-dessous) où l’analyse rationnelle
et critique apparaît au contraire comme l’une des exigences de la religion elle-même.
Averroès, Discours décisif, §2 :
« Que la Révélation nous appelle à réfléchir sur les étants en faisant usage de la raison, et exige
de nous que nous les connaissions par ce moyen, voilà qui appert à l’évidence de maints versets
du Livre de Dieu – béni et exalté soit-Il. En témoigne par exemple l’énoncé divin : « Réfléchissez
donc, ô vous qui êtes doués de clairvoyance », qui est une énonciation univoque du caractère
obligatoire du syllogisme rationnel, ou du syllogisme rationnel et juridique tout à la fois. »
On insistera dans ce renversement sur l’aspect critique et la part d’autonomie que l’individu trouve
dans le recours à la religion. On pourra souligner notamment le changement contemporain dans
le rapport à la religion, tel que l’analyse Marcel Gauchet, dans une interview à Philosophie magazine (op. cit., p. 54 sq) : « Avant la croyance était héritée et conformiste. Elle se vit aujourd’hui sur
le mode singulier de la conversion et de la prise de distance vis-à-vis du monde environnant. Une
dynamique critique qui a toutes les chances de s’inverstir au final dans l’action. Nous retrouvons
ici, sous un nouveau jour, la logique que Max Weber avait pointée à propos des relations entre
l’éthique calviniste et la mentalité capitaliste. Le refus du monde tel qu’il est ouvre sur une action
en ce monde. Nous ne sommes qu’au début d’un phénomène qui peut mener loin. »
Il s’agit de qualités morales.
Pour compléter cette perspective, on consultera avec profit le numéro de septembre 2008 de
Philosophie magazine (n°22), «le XXIe siècle sera-t-il religieux ?» afin d’étayer notamment l’étude de la question des fanatismes, cf. dossier p. 52 sq.
Voltaire, Dictionnaire philosophique :
«Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. Que
répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, est sûr de
mériter le ciel en vous égorgeant ? Ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques,
et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la Montagne qui
faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de
ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux
qu’il leur nommerait.»
Dossier pédagogique 2