Jean-Pierre Lefebvre
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Jean-Pierre Lefebvre
Vie des départements LITTÉRATURE ET LANGAGES Jean-Pierre Lefebvre du Département littérature et langages vient de traduire L’interprétation du rêve aux éditions du Seuil. Depuis le 1er janvier 2010 les écrits de Sigmund Freud sont entrés dans le domaine public. Jean-Pierre Lefebvre, normalien, germaniste, professeur de littérature allemande à l’ENS, vient de publier au Seuil une nouvelle traduction de L’interprétation du rêve écrit en 1899. NS’info a souhaité lui poser quelques questions sur cet ouvrage fondamental qui fit connaître la psychanalyse et sur son travail à l’ENS. Jean-Pierre Lefebvre est aussi le traducteur de Hegel, Hölderlin, Marx, Rilke, Büchner, Goethe, Paul Celan... De quand date la dernière traduction de L’interprétation du rêve ? La dernière traduction date, je crois, d’une vingtaine d’années, elle a été réalisée par les PUF qui détenaient les droits d’exploitation. Elle est le dernier état d’une histoire qui commence par la première traduction, celle de Meyerson dans les années 20, du vivant de Freud. La dernière traduction a été confiée à une équipe de traducteurs qui s’est appuyée très fidèlement sur la Standard Edition en langue anglaise. Cette traduction assez différente de la mienne partait d’un postulat que je conteste par principe celui d’utiliser toujours un même terme français par un même terme allemand. L’initiative de cette nouvelle traduction vient-elle du Seuil ou de vous ? J’ai reçu une demande du Seuil pour traduire ce livre et pour harmoniser et encadrer d’autres traductions de Freud. Traduire ce livre a été pour moi une expérience personnelle extrêmement intéressante. Mon rapport au rêve a changé. Ce livre est aussi une espèce d’auto-analyse de Freud. Il concerne fortement l’auteur. Il y avait une invitation à le lire, à le pratiquer, à interpréter, à le traduire d’une manière fortement personnalisée. Je me suis mis à le traduire il y a deux ans. Je traduis vite, c’est ma technique, en même temps elle me coûte cher parce qu’elle implique un travail de contrôle a posteriori, de réexamen, qui est très prenant. Pourquoi l’avoir entreprise ? Par intérêt pour le sujet. L’univers onirique est tellement présent dans la culture, notamment dans la littérature, j’y suis confronté depuis longtemps, c’est un univers personnel aussi. Il y a un intérêt propre du livre qui est très fort. Ce qui m’intéresse chez Freud, c’est sa place dans l’anthropologie en général, c’est- 4 Janvier 2010 à-dire dans le discours sur les individus et les sociétés humaines qui se tient depuis deux siècles et qui est très lié à ce qui s’est fait en philosophie. Freud, comme Darwin, Marx, Lévi-Strauss, Leroi-Gourhan, Vernant et d’autres sont des gens liés en profondeur par ce qu’on peut appeler le bénéfice de la culture philosophique . Le travail de traduction des textes de Freud est-il un travail difficile ? Oui et non. Dans ce livre, il y a des récits de rêves qui sont de nature fortement langagière. Ce sont des objets auxquels il est difficile de toucher, le psychanalyste y touche, là il y a une requête d’extrême attention à ce qui est dit, à la façon dont c’est dit, la traduction devait être extrêmement attentive. Pour le reste, le discours théorique de Freud n’est pas trop complexe, à l’exception du dernier chapitre qui est en partie tributaire des catégories et du discours de la psychologie de la fin du XIXe siècle qui constituent un univers largement dépassé auquel nous n’avons plus un accès spontané. Il y a, de ce point de vue, des ouvrages de Freud plus difficiles. Avez-vous privilégié une approche particulière de ce texte et selon vous qu’apporte cette nouvelle traduction ? Ma conviction est que l’opposition entre les textes traduits de loin mais de manière très lisible et les textes traduits « de près » et méticuleusement mais au prix de lourdeurs est une opposition factice. Elle vient du fait que les traducteurs n’ont qu’un temps limité pour faire leur travail. À terme, la lisibilité et la précision théorique ne font qu’un. Ma traduction apporte une pierre de plus dans le travail général sur l’œuvre de Freud, j’espère qu’elle apporte des conditions de lecture favorables. J’ai apporté notamment une transformation dans la traduction de certains concepts. Êtes-vous fasciné par Freud ? Je suis surtout admiratif de son obstination, qui est une qualité d’homme de sciences, à aller jusqu’au bout, à écarter le maximum d’objections, de ce point de vu là, il est très classique, comme Descartes. J’ai un affect positif pour lui, son histoire, pour la victime du nazisme. J’ai un sentiment de reconnaissance intellectuelle qui passe par l’intermédiaire de toute une série d’autres penseurs et professeurs qui ont expliqué les choses, qui les ont diffusés, qui en étaient inspirés. Vous êtes un ancien élève de l’ENS, comment était l’enseignement à l’École dans les années 60 ? C’est dans les années 60 qu’Althusser a fait venir Lacan à l’École. Il a en quelque sorte fait exploser l’intérêt pour Freud et cet intérêt s’est diffusé dans toutes les disciplines. L’enseignement à l’École dans les années 60 était tout à fait différent de ce qui se passe aujourd’hui, parce que l’École était caractérisée par le tout petit nombre, je ne dirai pas le « happy few » mais le tout petit nombre avec un rapport extrêmement personnalisé aux différents enseignants, caïmans, lecteurs. Ça a changé quand l’École s’est découpée en départements, qui se sont assez fortement séparés les uns des autres par des cloisons bureaucratiques et le schéma universitaire, professeurs, maîtres de conférences, agrégéspréparateurs, qui n’existait absolument pas, s’est installé avec des hiérarchies. Dans les années 60 et 70, il n’y avait pas de hiérarchie, il n’y avait que des autorités intellectuelles. Pouvez-vous nous parler de Paul Celan ? Paul Celan est arrivé à l’École en 1959, il y a été lecteur jusqu’à sa mort en 1970. Pendant 10 ans, il a préparé une quarantaine d’élèves à l’agrégation d’allemand pour les épreuves de traduction. C’était un enseignant vraiment étonnant, exceptionnel, et en même temps, il faisait le travail de façon tout à fait normale, toutes les semaines, il avait préparé très rigoureusement le texte dont nous faisions la traduction, il nous écoutait attentivement, il reprenait, il expliquait, il était plein d’humour, gentil, cordial. En 1998 j’ai proposé à l’École que l’on crée une unité de recherche qui travaille sur Paul Celan, à laquelle le fils de Paul Celan – qui est l’ayant droit – a participé dès le départ, ainsi que Bertrand Badiou qui est la personne qui connaît le mieux aujourd’hui son œuvre et le fonds posthume. Notre unité collabore avec le Literaturarchiv de Marbach en Allemagne. En matière de traduction, avez-vous un message à faire passer à vos étudiants ? Premièrement, a fortiori ici, ce serait de toujours garder en mémoire la dette que nous avons à l’égard des langues anciennes, du latin et du grec, qui sont des langues dans lesquelles beaucoup d’entre nous avons appris à traduire, et je déplore que dans l’enseignement secondaire en France, l’exercice de la traduction se soit perdu avec elles. Après, le conseil que je leur donnerais serait de considérer le travail de traduction comme une tâche intellectuellement noble, extrêmement exigeante, plus exigeante que la glose qui souvent envahit le travail intellectuel, de ne pas accepter le mépris relatif dans lequel sont tenus les traducteurs. Bien au contraire, la traduction requiert des qualifications intellectuelles multiples. On ne peut pas traduire les auteurs sans les avoir bien compris. Avant d’interpréter, il faudrait toujours avoir essayé de traduire... Mais traduire c’est aussi faire progresser son propre langage, et en fin de compte faire avancer la langue française. Traduire c’est donc beaucoup plus que traduire. Enfin, pour traduire, il faut être un bon lecteur mais aussi un bon locuteur de la langue, c’est-à-dire avoir fait des études approfondies dans cette langue ou avoir vécu dans son « biotope », l’avoir travaillée longuement. Avez-vous d’autres projets de traduction ? À moyen terme, sans doute, un texte de Freud que je ne connais pas encore. Sinon je viens de terminer la traduction d’un petit roman de Günter Grass, un exercice de style assez difficile et j’ai en chantier depuis des années des recueils de Paul Celan notamment l’œuvre de jeunesse et les proses. L’établi est occupé. Quels sont vos auteurs préférés ? Ils sont très nombreux. Dans la littérature allemande, j’en découvre sans cesse. Le dernier livre que j’ai lu c’est La Marche de Radetzky de Joseph Roth, mais j’aime beaucoup la philosophie, et des choses comme la correspondance de Pascal, et les textes du XVIIe siècle en général. Je n’ai pas d’auteur préféré, j’aime les écrivains de toute manière, la poésie, la chanson, le chant, l’écriture poétique dans sa diversité actuelle, et dans son antiquité. Quand vous ne travaillez pas quelle est votre occupation préférée ? J’ai un piano chez moi et je fais de la musique, des concerts de jazz avec mon fils avec des lectures de poèmes justement. J’aime marcher, nager et faire du ski, comme tout le monde ou presque... Un mot de conclusion ? J’ai eu Lortholary comme caïman d’allemand, j’ai été collègue d’Althusser, de Derrida, j’ai la très grande chance d’avoir été élève et enseignant ici, d’avoir fréquenté un très grand nombre de gens que j’ai trouvé extrêmement bien, souvent même assez admirables. Parmi mes élèves aussi, je n’ai pas eu une seule expérience négative en 40 ans. Ils ont tous été intéressants, quelque fois étonnants. Avant, les choses se passaient dans un univers qui s’était régulé depuis des dizaines d’années et stabilisé, il existait une tradition au bon sens du terme. Il n’y avait pas de surprise administrative. Il s’est produit une mutation dans les années 80 qui a visé et vise encore à faire de l’École en autres choses, un établissement de type universitaire délivrant des diplômes, préparant des doctorats. J’espère que tout l’investissement historique multiforme que représente l’ENS sera conservé, ne sera pas aboli par l’évolution. L’École normale est très admirée à l’étranger et dans le même temps, il y a une pression assez forte de Bruxelles pour que ce genre d’établissement, au niveau européen n’existe plus. J’attends, par exemple, de voir combien on aura de médaille Fields dans les années qui viennent. Le système antérieur avait fait ses preuves, le système actuel ne les a pas encore faites, les fera-t-il un jour ? Conférence « Génétique et traduction » de Maria Teresa Giaveri, professeur à l’Université de Turin Organisée par le Département littérature et langages, dans le cadre de la convention Université « L’Orientale » de Naple et l’ENS Jeudi 28 janvier, de 14h30 à 16h, salle des Actes, 45 rue d’Ulm Journées de l’excellence et de la réussite, en partenariat avec le Rectorat de Paris Vendredi 29 janvier 2010 École normale supérieure Séance ouverte à tous La critique génétique et la traduction (théorie et pratique) croisent souvent leurs chemins : problème de la traduction des brouillons, question de l’apport de la connaissance des avant-textes à la traduction des textes, et en général, le rapport de l’analyse génétique et l’ermeneutique. La publication des « Œuvres » de Paul Valéry en traduction italienne dans une collection prestigieuse est l’occasion pour discuter à nouveau de ce thème, qui avait fait l’objet d’une première rencontre au Collège des traducteurs de Arles, il y a plusieurs années,et qui mérite une nouvelle réflexion. Concert-Lecture Orient. Mille ans de poésie Vendredi 22 Janvier, 20h, salle des Actes Avec Karol Beffa au piano et les comédiens de l’Archicube (Leili Anvar, Christophe Barbier, Pierre Cordier, Patrick Guérin, Helman Le Pas de Sécheval, Mathilde Mahé, Florence Méaux) Soirée organisée à l’occasion de la parution de l’Anthologie Orient. Mille ans de poésie et de peinture (Éditions Diane de Selliers, 2009) 14h-14h15 : Accueil en salle Dussane 14h15-14h45 : Introduction de la séance de travail - Sophie Fermigier et SonThierry LY, chargés de mission sur les questions d’ouverture sociale 15h-16h : Deux tables rondes en parallèle TR 1 : Du lycée à l’enseignement supérieur, comment faciliter la transition? (salle Dussane) TR 2 : Les classes préparatoires, des difficultés spécifiques? (salle des Actes) 16h00-17h00 : Table ronde générale: Quelles places pour les programmes de tutorat ? (salle Dussane) 17h-17h30 : Conclusion générale 17h30-18h30 : Collation Inscription obligatoire par mail auprès de [email protected] Janvier 2010 5