Le Mariage de Figaro - biblio

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Le Mariage de Figaro - biblio
Le Mariage
de Figaro
Beaumarchais
Livret pédagogique
établi par Elsa JOLLÈS,
agrégée de Lettres classiques
HACHETTE
Éducation
Conception graphique
Couverture et intérieur :Médiamax
Mise en page
Maogani
Illustration
Figaro par Émile Bayard
©Hachette Livre
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2002.
43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15.
ISBN : 2.01.168540.8
www.hachette-education.com
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«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle,faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause,est illicite».
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre
français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
SOMMAIRE
AVA N T - P R O P O S
4
TA B L E
6
D E S CO R P U S
RÉPONSES
AU X Q U E S T I O N S
Bilan de première lecture
.................................................................................................
10
10
Acte I, scène 1
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Acte II, scènes 6 à 9
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Acte III, scène 5
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Acte III, scène 16
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Acte V, scène 3
Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
BIBLIOGRAPHIE
CO M P L É M E N TA I R E
62
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre,
il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents
objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux
techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes ;
analyse d’une ou deux questions préliminaires; techniques du commentaire,
de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Le
Mariage de Figaro, en l’occurrence, permettra d’étudier le genre de la
comédie, de réfléchir aux procédés de l’argumentation, de s’initier à la
philosophie des Lumières, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture…
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle
collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte,
moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires
et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux
travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,afin
d’en favoriser la pleine compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre
la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant
donner lieu à une exploitation en classe.
• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableaux
donnent à l’élève les repères indispensables :biographie de l’auteur,contexte
historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à
faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de
couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc),
il comprend :
4
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un
parcours cursif de l’œuvre.Il se compose de questions courtes qui permettent
de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre.
– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits
les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser
le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes lui
sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre
lecture analytique du texte. On pourra procéder en classe à une correction
du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse
du texte.
– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document
iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un
questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse
et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve
écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en
rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera,pour vous et vos élèves,
un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
5
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
L’exposition entre
scène et texte
(p. 81)
Le libertinage
(p. 129)
Maîtres et valets
(p. 175)
Texte A : Scène 1 de l’acte I du Mariage de Figaro de
Beaumarchais (pp. 73-77).
Texte B : Extrait de la scène 1 de l’acte I des
Fourberies de Scapin de Molière (pp. 81-82).
Texte C : Extrait de la scène 1 de l’acte I du Fils
naturel de Diderot (p. 83).
Texte A : Scènes 6 à 9 de l’acte II du Mariage de
Figaro de Beaumarchais (pp. 122-125).
Texte B : Extrait de la lettre XCLI des Liaisons
dangereuses de Choderlos de Laclos (p. 130).
Texte C : Extrait de La Nuit et le Moment de
Crébillon (pp. 131-132).
Document : Le Verrou de Fragonard (p. 133).
Texte A : Scène 5 de l’acte III du Mariage de Figaro
de Beaumarchais (pp. 166-171).
Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte I du Malade
imaginaire de Molière (pp. 176-177).
Texte C : Scène 1 de l’acte III du Jeu de l’amour
et du hasard de Marivaux (pp. 177-178).
Texte D : Extrait de la scène 5 de l’acte III de Ruy
Blas de Victor Hugo (pp. 179-180).
Texte E : Extrait des Bonnes de Jean Genet
(pp. 180-182).
6
Objet d’étude
et niveau
Le théâtre : texte
et représentation
(Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
Quelles sont les principales fonctions d’une scène
d’exposition ?
Commentaire
Vous commenterez le texte à partir du parcours
de lecture suivant :
– montrez que cette scène est une scène d’exposition ;
– étudiez les différentes formes de comique.
Un mouvement
littéraire et culturel
du XVIIIe siècle
(Première)
Question préliminaire
Relevez et commentez le champ lexical de
l’amour dans les textes B et C.
Commentaire
Montrez que le registre de ce texte est cruellement
ironique et que la vision de l’amour est ici libertine.
Le théâtre : texte
et représentation
(Première)
Question préliminaire
Qui domine l’autre, dans chacun des extraits ?
Justifiez votre réponse.
Commentaire
Après avoir montré que ce texte est une scène
dramatique, vous étudierez la cruelle tactique
de Don Salluste et le renversement des valeurs
morales au sein du couple maître/valet.
7
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
Un sexe « faible » ?
(p. 207)
Texte A : Extrait de la scène 16 de l’acte III du
Mariage de Figaro de Beaumarchais (p. 199, l. 516, à
p. 201, l. 580).
Texte B : Extrait du Deuxième Sexe de Simone de
Beauvoir (pp. 207-209).
Texte C : Extrait de La Femme gelée d’Annie Ernaux
(pp. 209-210).
Texte D : Manifeste des Chiennes de garde (p. 211).
Le monologue
théâtral (p. 255)
Texte A : Scène 3 de l’acteV du Mariage de Figaro de
Beaumarchais (pp. 246-250).
Texte B : Scène 4 de l’acte III du Mariage de Figaro
de Beaumarchais (p. 165).
Texte C : Extrait de la scène 6 de l’acte I du Cid de
Corneille (pp. 255-257).
Texte D : Extrait de Rhinocéros d’Eugène Ionesco
(pp. 258-259).
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Objet d’étude
et niveau
Convaincre,
persuader et délibérer
(Première)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
Vous indiquerez, en justifiant votre réponse, le genre de chacun des textes.
Commentaire
Vous étudierez la sensation de solitude de la femme
au sein du couple, puis les marques de sa révolte
intérieure.
Le théâtre : texte et
représentation
(Première)
Question préliminaire
En vous aidant des textes du corpus, rappelez `
les principales fonctions d’un monologue.
Commentaire
Après avoir montré que ce texte est un passage
lyrique au sein du genre tragique, vous étudierez
la complexité de ce dilemme et l’affirmation
d’un héroïsme.
9
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Bilan de première lecture (p. 288)
a L’action débute au château d’Aguas-Frescas, près de Séville, dans le sud de
l’Espagne.Aucune date ne nous est donnée,mais on peut penser que l’action se déroule dans la seconde moitié du XVIIIe siècle,comme le laissent supposer les nombreuses allusions autobiographiques du texte.La troisième pièce de la trilogie,La
Mère coupable,évoquera les changements provoqués par la Révolution française.
z Figaro, comme l’indique la liste des personnages, est le valet de chambre du
Comte et le concierge du château. Suzanne est la première camariste de la
Comtesse, c’est-à-dire sa femme de chambre.
e Figaro et Suzanne sont fiancés et s’aiment très tendrement.
r Dans la scène 1 de l’acte I, le lecteur apprend que le Comte a fait cadeau
aux deux amoureux de la chambre qui se situe entre ses appartements et ceux
de la Comtesse. La raison secrète est qu’il pourra voir plus commodément
Suzanne, qu’il courtise assidûment. En effet, le Comte désire rétablir le droit
du seigneur, droit qui l’autorise à coucher avec Suzanne avant ses noces en
échange d’une dot.
t À la scène 4 de l’acte I, Marceline, l’intendante du château et femme d’un
certain âge,dit à Bartholo qu’elle désire épouser Figaro.Ce dernier a signé à son
égard une reconnaissance de dette pour une somme d’argent qu’elle lui a jadis
prêtée, et qui équivaut à une promesse de mariage.
y Chérubin est le premier page du Comte ;c’est un tout jeune homme noble
qui lui sert d’écuyer. La Comtesse est sa marraine.
u Chérubin dérobe à Suzanne le ruban de nuit de la Comtesse, car il est
amoureux de cette dernière.
i La Comtesse est très malheureuse car son époux la délaisse et ne semble plus
très amoureux d’elle.
o À l’acte II, lorsque survient le Comte, Chérubin court se réfugier dans le
cabinet de toilette de la Comtesse. Suzanne l’en délivre, et le jeune homme
saute par la fenêtre qui donne sur le jardin.
10
Bilan de première lecture
q Le Comte a décidé de nommer Figaro courrier de dépêches en Angleterre.
C’est en fait un piège : si Figaro refuse, cela signifie qu’il est au courant du
penchant du Comte pour Suzanne.
s Celui qui rend la véritable décision est le Comte, grand corrégidor
d’Andalousie, c’est-à-dire premier officier de justice de la province.
d Par un heureux concours de circonstances, on apprend que Marceline et
Bartholo sont les véritables parents de Figaro.Pour cette raison,le procès n’a plus
aucun sens.
f Figaro, Marceline et Suzanne tentent de convaincre Bartholo d’épouser
Marceline pour que Figaro devienne un enfant légitime. On apprend au
début de l’acte IV qu’ils y sont parvenus.
g Chérubin est resté au château déguisé en jeune fille du bourg.
h Suzanne donne rendez-vous au Comte sous les grands marronniers, cadre
de l’action de l’acteV.
j Figaro voit d’abord le Comte ramasser un billet doux, avec lequel il se pique
puisqu’il est fermé d’une épingle.Puis ce dernier charge Fanchette de remettre en
gage d’accord l’épingle à Suzanne.Bien entendu,Figaro l’intercepte et croit avoir
tout compris.
k Dans l’obscurité de la nuit, Chérubin veut embrasser celle qu’il prend pour
Suzanne, et embrasse finalement… le Comte !
l La Comtesse se rend au rendez-vous donné par le Comte à la place de Suzanne.
m Dans l’un des pavillons,on trouve Chérubin,Fanchette,Marceline et Suzanne.
Dans l’autre pavillon se cache seule la Comtesse.
w Lorsque la Comtesse apparaît, travestie en Suzanne, le Comte comprend
que c’est elle qu’il a courtisée en la prenant pour une autre. Ce faisant, il a
démontré son infidélité. Pris en faute, il ne peut en vouloir à personne d’autre
qu’à lui-même.
11
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Acte I, scène 1 (pp. 73 à 77)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 78 À 80)
a La première didascalie est explicite : «Le théâtre représente une chambre à demi
démeublée .» L’auteur a choisi de planter son décor de façon extrêmement
précise et insiste sur le lieu où va se dérouler l’action.
z Le décor est un peu étonnant dans la mesure où l’on trouve dans cette
chambre «un grand fauteuil de malade». Figaro et Suzanne s’occupent vraisemblablement à meubler leur chambre avec des meubles de fortune, et non un
mobilier très élégant et approprié. Ce faisant, Beaumarchais rappelle que nos
deux héros n’appartiennent pas à une classe sociale favorisée : ce sont des
serviteurs.
e La pièce s’intitule Le Mariage de Figaro;l’exposition nous conduit d’emblée au
cœur de l’intrigue en nous présentant la chambre qui sera celle de Figaro et
Suzanne après leur mariage.Le lieu à moitié vide symbolise bien cette union que
tous attendent. Il faut noter qu’un meuble très important est absent: le lit que
le Comte doit donner aux fiancés,comme l’indique Figaro.Le lit est le symbole
de l’amour conjugal – donc consommé – par excellence. Cet amour n’est pas
encore concrétisé, et il faut noter que c’est au Comte qu’en revient en quelque
sorte la décision. Or, comme le lecteur va l’apprendre, le Comte est celui qui
s’interpose entre Figaro et Suzanne. L’utilisation des lieux et des objets n’est
jamais innocente chez Beaumarchais.
r Figaro et Suzanne sont respectivement le valet et la femme de chambre
du Comte et de la Comtesse Almaviva. Ils sont amoureux l’un de l’autre et
s’apprêtent à se marier.Cependant,le Comte désire rétablir le droit du seigneur,
qu’il avait aboli. Ce dernier lui permet de coucher avec Suzanne avant son
mariage. Il a un précieux auxiliaire : Bazile, le maître à chanter de Suzanne, qui
tente de la corrompre quotidiennement.Mais Suzanne et Figaro ne l’entendent
pas de cette oreille.
La Comtesse apparaît logiquement comme une épouse délaissée.
12
Acte I, scène 1
t Les opposants à l’amour fidèle de Suzanne et Figaro sont le Comte et Bazile ;
l’adjuvant principal sera sûrement la Comtesse.
y Le Mariage de Figaro se déroule quelques années après Le Barbier de Séville.
Quelques allusions au passé des personnages sont faites dans cet extrait, et
cependant elles peuvent rester tout à fait opaques aux personnes qui ne connaissent pas la pièce précédente. Le « loyal Bazile » (l. 38) est un individu peu
recommandable, qui fit l’éloge de la calomnie ; quant à Figaro, il fut un valet
dévoué : «J’avais assez fait pour l’espérer» (l. 46). On apprendra par la suite qu’il a
aidé le Comte à enlever sa future femme aux soins d’un tuteur jaloux.L’exposition
de ce passé se poursuivra donc dans la suite de la pièce ; pour le moment,
ces quelques allusions sont trop laconiques pour gêner le lecteur néophyte.
u À première vue, les rapports de Figaro et du Comte étaient amicaux,
puisqu’ils étaient ceux de deux complices.Figaro a fidèlement servi son maître,
comme semble l’indiquer Suzanne lorsqu’elle parle de son «mérite».
i Le Comte semble ici trahir le pacte d’amitié qui le liait à Figaro.Alors que
ce dernier l’a servi dans ses amours, le Comte ne songe qu’à perturber le bonheur de son valet.Il fait preuve de déloyauté.En agissant selon son bon vouloir,
Almaviva semble rappeler qu’il est le maître et commande.Figaro a donc l’idée
d’empocher la dot sans que Suzanne ne cède. Les deux hommes vont
s’affronter, c’est inéluctable.
o Un élève doit avoir lu au lycée plusieurs comédies de Molière ;il peut donc
citer quelques noms de valets et servantes de comédie :Scapin dans Les Fourberies
de Scapin, Sganarelle dans Dom Juan, éventuellement Dorine dans Le Tartuffe et
Toinette dans Le Malade imaginaire. Chez Marivaux, on peut songer à Arlequin
et Lisette dans Le Jeu de l’amour et du hasard. Cette liste n’est, bien entendu, pas
exhaustive.
Néanmoins, Figaro et Suzanne semblent se démarquer, dès la première scène,
de cette tradition théâtrale : Beaumarchais nous présente une touchante scène
galante entre deux fiancés dont le bonheur est menacé. Si leurs préoccupations sont bien celles de valets traditionnels (cupidité, goût de l’intrigue, voire
un brin de paillardise chez Figaro), ils s’insurgent contre ce maître qui
commande.
13
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
q Les passages explicitement comiques sont ceux des lignes 28 à 30,lorsque Suzanne
reprend les onomatopées de Figaro pour les détourner de leur usage, puis des
lignes 38 à 43, lorsqu’ils parlent tous deux de Bazile, des lignes 59 à 64, où est
évoqué le thème du cocuage, enfin, de la ligne 82 à la fin du passage, lorsque les
amoureux s’embrassent.
s Les effets comiques sont perçus différemment par le spectateur : le jeu des
onomatopées ainsi que les cornes de Figaro peuvent amener un franc éclat de
rire chez le spectateur ; quant à la fin de la scène, elle suscite plutôt un sourire
bienveillant à l’égard du couple.Cela revient à dire que Beaumarchais joue avec
plusieurs types de comiques et que la tonalité du passage n’est pas d’un seul bloc.
d On retrouve dans cette scène un certain comique de farce,dont Beaumarchais
assume l’héritage (rappelez aux élèves qu’il a composé des parades) : c’est le
cas de la « volée de bois vert » (l. 41), comique gestuel des coups de bâton
mécaniques, mais aussi de l’évocation des cornes de Figaro. Ensuite, on trouve
un comique de mots, un peu plus fin, dans lequel Beaumarchais excelle : on
pense notamment aux onomatopées qui ne signifient pas la même chose dans
les deux répliques, et à l’ironie de Suzanne lorsqu’elle parle du « loyal »,
«honnête» et «noble» Bazile.Il faut noter que c’est le personnage de Suzanne qui
manie l’humour le plus recherché. Enfin, la scène se termine sur un comique
de gestes : Figaro court après sa bien-aimée pour lui dérober un second baiser.
Nous sommes ici dans une plaisante scène galante.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 81 À 84)
Examen des textes
a Le texte B nous présente deux personnages : le jeune Octave et son valet
Sylvestre.Le père d’Octave revient de Tarente dans l’intention de marier son fils
avec la fille d’un certain Géronte,manifestement connu des personnages.L’oncle
d’Octave les a prévenus de cette situation, qui ne semble pas faire plaisir aux
deux hommes.En l’absence de son père et avec la complicité de Sylvestre,Octave
a commis quelque chose de terrible…
14
Acte I, scène 1
z Le valet Sylvestre ne paraît pas extrêmement débrouillard dans cette scène :
« Ma foi ! je m’y trouve aussi embarrassé que vous, et j’aurais bon besoin que l’on
me conseillât moi-même. » Sylvestre appartient plutôt à la tradition des valets
lourdauds.
e En faisant répéter à Sylvestre,de façon systématique,les propos de son maître,
Molière critique la convention théâtrale des scènes d’exposition. Le lecteur est
informé clairement de tout ce qu’il doit savoir sur la compréhension de
l’intrigue, mais de façon exagérée. En effet, Octave et Sylvestre sont tous deux
au courant de la situation ; point n’est besoin de tout répéter deux fois, car
c’est très artificiel. Cela permet à Molière de créer un effet de comique de répétition, mais également de jouer avec cette convention, et donc d’adresser un
clin d’œil méta-littéraire au lecteur et au spectateur. Cela est très moderne.
r Les sentiments éprouvés par Dorval sont très explicites dans cette scène d’ex-
position. Les didascalies traduisent son agitation, puisqu’il ne peut tenir
en place et change sans cesse de position. Ses mouvements sont « violents »,
« Il paraît agité ». Dorval est bouleversé, et la raison de ce bouleversement est
donnée par le texte : « J’aime… » Mais ce n’est pas un amour heureux, parce
que Dorval semble éprouver un sentiment qu’il n’est justement pas en droit
de ressentir. Il pense à quitter au plus vite la maison de son ami.
t Il faut noter que le texte dit par le comédien est quantitativement moins
important que les didascalies qui servent d’indications au metteur en scène.
Les gestes semblent compter beaucoup plus que les paroles. Son visage, ses
gestes,sa posture doivent indiquer chez Dorval l’agitation extrême,et presque
l’épouvante. C’est dans cette mesure que la scène présentée est un tableau :
les principaux renseignements sont donnés au spectateur par la vue, et le
moment semble figé.
y D’un côté, les didascalies sont très précises en ce qui concerne le décor (les
brochures, le trictrac…), le costume de Dorval et les sentiments qu’il éprouve.
D’un autre côté,le lecteur n’apprend que très peu de chose sur l’intrigue :il sait
seulement que Dorval est amoureux mais ne le devrait pas.Aucun mot n’est dit
des autres personnages. Cette scène est assez représentative du genre du drame
15
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
bourgeois : l’essentiel est d’émouvoir le lecteur, non de raconter une histoire
riche en rebondissements divers.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
On peut attendre de l’élève qu’il donne, dans un premier paragraphe, une
définition des didascalies, et qu’il puisse dire qu’elles varient, selon les textes,
en quantité ou en qualité. En effet, les indications données ne portent pas
forcément sur les mêmes choses suivant les auteurs : les didascalies peuvent
renseigner le lecteur sur le décor, les costumes, mais également sur les gestes
ou le ton des personnages.
Molière n’utilise aucune didascalie, il laisse ainsi la plus grande liberté au
metteur en scène. Pourtant, cela ne signifie pas que le lecteur n’est pas renseigné sur l’action. En effet, d’après les indications données par les personnages,
l’exposition est presque complète.
Diderot est l’exemple inverse : ses didascalies sont très importantes quantitativement. Cependant, il faut constater qu’elles renseignent en majorité sur le
décor, de façon très précise (mais inutile ?), et sur les gestes du personnage en
scène. On a presque l’impression qu’il s’agit ici d’un incipit de roman. À l’inverse, l’exposition est loin d’être complète, puisque l’on ne sait rien des autres
personnages,de leurs liens avec Dorval,et que l’on ne connaît même pas le nom
de la personne qu’aime Dorval, ni pourquoi cela le bouleverse à ce point.
Beaumarchais semble occuper le juste milieu entre ces deux positions. Les
didascalies nous renseignent sur le décor, en insistant sur des objets qui
symbolisent l’intrigue de la pièce, comme la couronne de fleurs d’oranger ou
la toise, qui mesure la place du lit absent. Les autres didascalies indiquent le ton
des personnages (« mystérieusement ») ou leurs gestes. Cependant, l’essentiel des
informations nous est fourni par les paroles des deux personnages en scène.
Dans le dernier paragraphe,l’élève doit être amené à conclure que,si les didascalies sont utiles au lecteur qui ne « voit » pas la scène comme le spectateur,elles
ne sont pas nécessaires à une bonne exposition de l’intrigue. Les paroles des
personnages remplissent bien mieux cet office. Les didascalies sont une aide,
mais elles ne sont pas indispensables au genre dramatique, qui se passe de
narrateur.
16
Acte I, scène 1
Commentaire
La première scène des Fourberies de Scapin est à l’image des autres scènes d’exposition des comédies de Molière : l’action débute toujours in medias res,
c’est-à-dire en plein cœur de l’intrigue.On peut ainsi songer au début du Médecin
malgré lui, où Martine et Sganarelle se disputent très vivement. Ici, nous
trouvons deux personnages complètement apeurés et désespérés par une
nouvelle inattendue.
1. Cette première scène est une scène d’exposition
A. Elle nous fournit des renseignements sur l’intrigue
Lecteur et spectateur disposent d’informations sur l’action qui concerne les personnages sur scène,Octave et Sylvestre.Octave est amoureux et semble avoir fait,
avec la complicité de Sylvestre et durant l’absence de son père, quelque chose
que ce dernier ne va pas apprécier. Il y a également quelques indications sur le
père d’Octave, personnage hors scène et qui n’est pas nommé : on sait qu’il
revient de Tarente pour marier son fils avec la fille de Géronte,autre personnage
absent de la scène.
B. Elle campe des personnages
Nous savons ce qu’il en est de l’intrigue, mais l’exposition a également une visée plus psychologique :le caractère des deux personnages est explicité.Le moins
que l’on puisse dire,c’est que Sylvestre et Octave ne semblent pas très débrouillards !
Ils sont tous les deux apeurés par le retour du père du jeune homme et ont
perdu tous leurs moyens (« Conseille-moi »/« j’aurais bon besoin que l’on me conseillât
moi-même »).
C. L’exposition a également pour but de nous séduire
Dans cette exposition règne un certain suspense : pourquoi les deux personnages sont-ils dans cet état ?
• Exposition incomplète : laconisme de la formule « fâcheuses nouvelles pour
un cœur amoureux ». De même, « toutes nos affaires » et « vos folies » restent
mystérieuses.
• Les deux personnages sont dans l’impasse (voir les trois interrogations sans réponse
de la dernière tirade d’Octave).Nécessité du recours à une personne extérieure.
Mise en relation avec le titre de la pièce :qui est Scapin ? Nécessairement le sauveur.
17
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• L’un des principaux moyens de cette exposition pour nous séduire est le
comique de la scène.
2. Scène comique, scène de comédie
A. Un rythme vif
Ce rythme vif ancre la pièce dans le genre de la comédie. Il se traduit par des
interjections (« Ô Ciel ! ») et par de multiples interrogations.L’angoisse des deux
personnages est hyperbolique (« Je suis assassiné par ce maudit retour ») et doit se
traduire, sur scène, par un jeu d’angoisse très exagérée par les comédiens.
B. Le couple de comédie maître/valet
C’est un important ressort comique en comédie, souvent à cause du contraste
physique et psychologique entre les deux personnages. Sylvestre est bien le
valet traditionnel de comédie qui redoute les coups de bâton. En revanche, il
n’y a pas de véritable contraste entre les deux personnages, puisqu’ils sont dans
le même état d’esprit.Sylvestre réprimande son jeune maître pour ses folies,avec
le bon sens traditionnel de son emploi qui exaspère ce dernier (« vos folies »,« tes
leçons hors de saison »),et il ne répond pas à ses ordres lorsque Octave lui demande
un conseil.
C. Une scène comique
• Comique de situation : les deux hommes se retrouvent dans la situation
d’enfants pris en faute.
• Comique de mots, qui est un comique de répétition : Sylvestre reprend
mot pour mot les paroles de son maître, jusqu’à ce que celui-ci trahisse son
exaspération.
• Mais c’est également un comique plus fin de connivence avec son lecteur.
Molière se joue ici d’une convention théâtrale qui lui paraît artificielle :l’exposition.Il force le trait pour faire rire son public.Exagération qui est le propre du
comique. Réflexion méta-littéraire.
Conclusion
• Mission accomplie pour Molière : il a réussi à nous renseigner sur l’intrigue
de manière très claire, tout en nous séduisant.
18
Acte I, scène 1
• Il a contourné la convention théâtrale de façon très originale en nous faisant
rire. Cette réflexion sur les artifices de la littérature est très moderne.
• Il crée un effet d’attente : comment Octave et Sylvestre vont-ils sortir de
cette impasse ? L’arrivée du personnage principal, Scapin, est retardée pour
ménager le suspense. Même procédé dans Le Tartuffe.
Dissertation
L’élève doit d’abord se poser la question suivante : pour qui l’exposition doitelle être satisfaisante ?
L’auteur a bien sûr tout intérêt à faire preuve d’habileté en exposant son sujet
discrètement,pour des raisons de naturel et de vraisemblance.La dissertation n’a
alors pas grand intérêt.
En revanche,si l’on se place du point de vue de la réception de l’œuvre,c’est-àdire du lecteur et du spectateur,l’affirmation de Jacques Schérer peut être discutée.
Une exposition qui n’en est pas une ne sera pas très claire pour le lecteur,donc pas
satisfaisante.
On peut alors adopter le plan dialectique suivant :
1. Une exposition doit nous séduire sans nous ennuyer
A. L’exposition est une convention théâtrale
Elle a,en effet,un caractère artificiel qui n’échappe pas au public.Pour cela,elle
n’échappe pas à la critique.Au XVIIIe siècle, Diderot remet en cause certaines
règles dramatiques au nom d’un plus grand naturel et crée le drame bourgeois.Dans Le Fils naturel, la première scène n’est pas,à proprement parler,une
scène d’exposition, mais plutôt un tableau.
B. Dès le début, l’œuvre doit capter notre attention
• L’œuvre théâtrale est dramatique, c’est-à-dire action au sens premier du
terme.Or l’exposition,qui raconte lourdement le passé des personnages et leurs
liens, peut être ennuyeuse.
• Réussite du Médecin malgré lui qui nous conduit en plein cœur d’une dispute
conjugale très animée, laquelle retient notre attention. Qu’apprend-on ? Pas
grand chose, mais nous allons suivre avec intérêt les événements qui vont
arriver au couple.
19
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
C. L’exposition doit se fondre dans le reste de l’œuvre
Elle ne doit pas trop s’en détacher. C’est ce que dit Boileau dans son Art
poétique:
« Que, dès les premiers vers, l’action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l’entrée. »
Idéal d’unité et d’harmonie proposé par Boileau. Une exposition doit surtout
annoncer les thèmes majeurs de l’œuvre. La première scène du Malade imaginaire est très longue.Argan est seul en scène et fait ses comptes, quant à des
dépenses de médicaments. On ne sait rien des autres personnages ; seul compte
cet homme autour duquel est bâtie cette comédie de caractère.Argan se croit
exagérément malade.
2. L’exposition a une fonction didactique qui se veut explicite
Une information claire est une information clairement annoncée en tant que
telle. Une exposition qui n’a pas l’air d’être une exposition manque son but
informatif et ne peut être satisfaisante pour le lecteur et le spectateur.
A. L’exposition nous renseigne sur l’espace et le temps
Importance des didascalies en début de pièce. C’est une aide pour le lecteur et
le metteur en scène. L’exposition du lieu dans la première scène du Mariage de
Figaro n’est pas innocente, mais symbolique (lit absent, chambre entre les
appartements du Comte et de la Comtesse, couronne de fleurs d’oranger…).
B. Elle nous renseigne sur les personnages et l’intrigue
Nécessité de clarté, surtout quand l’intrigue est complexe. Dans les pièces
antiques, l’exposition est souvent symbolisée par un prologue, incarné par un
personnage.C’est ce procédé que reprend Anouilh dans Antigone :le personnageprologue se promène au milieu de personnages inanimés qui vont prendre vie
par la suite.C’est une pause didactique avant que ne débute l’action :«Antigone,
c’est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. »
C. Elle nous donne le genre de la pièce
Exemple des différents types de comiques dans la première scène du Mariage
de Figaro qui nous annoncent que nous sommes dans une comédie. À l’inverse,
Le Cid se place bien vite dans le genre de la tragi-comédie. Dans la scène 1, le
20
Acte I, scènes 1
lecteur apprend que Chimène et Rodrigue,qui s’aiment,vont sûrement se marier. La situation est heureuse, mais Chimène prononce ce vers célèbre : « Et
dans ce grand bonheur, je crains un grand revers. » Le lecteur sait tout de suite que la
situation ne va pas durer, et il attend la catastrophe.
3. Information et séduction ne sont pas nécessairement dichotomiques
A. Selon Jacques Schérer, une exposition satisfaisante garde sa nature d’exposition
Elle se rend seulement un peu plus discrète,mais ne renonce pas à nous informer.
C’est une question d’apparence,et non d’essence.Si l’on réexamine les premières
scènes du Fils naturel de Diderot,on s’aperçoit qu’il expose son sujet en bonne et
due forme,notamment dans la deuxième scène,en faisant dialoguer Dorval avec
son domestique.Il a retardé un peu son exposition,mais ne l’a pas supprimée.
B. Il faut un nécessaire équilibre entre l’information et la séduction du public
Souvent l’information est savamment distillée, à petites doses – ce qui crée un
effet d’attente.L’exposition peut être considérée comme une « mise en bouche »
qui ne tue pas l’intérêt, mais le suscite. Dans Le Tartuffe, Mme Pernelle fait, dans
la scène 1 de l’acte I, la leçon à toute sa famille, qui ne se conduit pas bien,
selon elle,avec Tartuffe.C’est ainsi que l’on découvre la plupart des personnages,
car chacun en prend pour son grade, mais il manque l’essentiel, à savoir le personnage principal, qui n’apparaît qu’à l’acte III !
Même procédé dans Dom Juan :Sganarelle trace un portrait négatif de son maître
dans la première scène.
C. L’exposition théâtrale est une convention avec laquelle on peut jouer
La tendance du théâtre contemporain est dans la mise en valeur de ces grosses
ficelles du genre théâtral; l’exposition est assumée en tant qu’artifice, comme
dans Antigone d’Anouilh.
Mais, bien avant lui, Molière a déjà joué avec ce procédé dans Les Fourberies de
Scapin, en faisant répéter à Sylvestre tout ce que lui dit Octave. L’exposition est
soulignée et caricaturée. Le procédé est comique.
Écriture d’invention
On attend des élèves qu’ils respectent les règles de la scène d’exposition classique. Elle peut comporter des didascalies au début du texte pour informer le
21
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
lecteur sur le décor,mais aussi sur les gestes et le ton des personnages.Il faut que
l’exposition ait une fonction informative.Les élèves doivent indiquer clairement
le roman du XIXe siècle qu’ils ont choisi,ce dernier devant être un « classique »,
c’est-à-dire susceptible d’être étudié en classe et connu de tous,comme Madame
Bovary ou Le Rouge et le Noir par exemple. Les bonnes copies seront celles qui
auront répondu à ces consignes,tout en ménageant un effet d’attente et en suscitant l’intérêt du lecteur.
Acte II, scènes 6 à 9 (pp. 122 à 125)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 126 À 128)
a Ces scènes sont érotiques, dans la mesure où elles sont empreintes de désirs
diffus. Beaumarchais crée habilement une ambiance galante et troublante, en
faisant notamment déshabiller Chérubin par Suzanne, sous prétexte de déguisement. L’emploi des didascalies n’est, en général, pas innocent, puisqu’elles
indiquent des contacts physiques entre les personnages (« Elle lui prend le
menton », p. 123). À la fin de la scène 9, par exemple, la Comtesse essuie les
yeux de Chérubin avec son mouchoir. Même les taquineries de Suzanne au
jeune garçon, lorsqu’elle le fait tomber sur les mains, ne semblent pas gratuites,comme on l’a vu à l’acte I.Cependant,cet érotisme n’est qu’ébauché,car
Chérubin n’est pas encore un jeune homme mûr.
z Le début de liaison entre Chérubin et la Comtesse peut sembler scanda-
leux à plus d’un titre. D’abord parce que le page est un tout jeune homme, et
que la jeune femme est sa marraine. Il y a quelque chose d’incestueux dans ces
rapports. Et pourtant, ce n’est pas ce qui cause le plus de scandale dans la
pièce. Paradoxalement, le fait que la Comtesse trompe son mari, alors qu’elle
paraît si vertueuse,est bien plus choquant.Ce qui provoque la fureur du Comte
est la menace d’adultère.
e Non, les sentiments de Chérubin et de la Comtesse ne sont pas clairement
explicités. Comme nous l’avons dit, la Comtesse est une femme vertueuse, et
doit le rester. À aucun moment les personnages ne s’avouent leurs penchants,
et pourtant le spectateur ne doute pas de ces derniers.
22
Acte II, scènes 6 à 9
r Chérubin utilise donc des voies détournées pour avouer son amour à la Comtesse.
Il en a déjà fait l’aveu à Suzanne à l’acte I. Dans un premier temps, les didascalies
nous indiquent les émotions du page,qui « dévore de ses regards » sa marraine,parle
d’un ton «pénétré»,puis « exalté ».Il faut noter la gradation de ses émotions.Ensuite,
il tente d’avouer son amour (l.284-285,295-296),mais la Comtesse l’interrompt
par deux fois, car elle comprend très bien de quoi il s’agit. L’usage des points de
suspension est révélateur.
t La Comtesse mène le jeu dans ce passage. De par son âge et sa position, elle
domine le jeune page. À cet égard, elle n’hésite pas à lui couper la parole, surtout lorsque le jeune homme tente maladroitement de lui avouer sa flamme,
et lui donne des ordres dans des phrases impératives («Taisez-vous », l. 298).
y D’une part,elle éprouve une attirance certaine pour le jeune homme.Lorsqu’elle
commence une phrase par les mots : «À la première égratignure…» (l. 288), l’on
s’attend à ce qu’elle dise qu’elle remettra le ruban porté par Chérubin,mais elle
se reprend. Elle n’a cependant pas assez d’empire sur elle-même pour cacher
qu’elle est « émue ». D’autre part, ce sentiment se teinte d’une sorte d’amour
maternel, empreint de compassion pour le sort du jeune homme. Elle l’appelle
d’ailleurs «enfant» (l.298).Bref,tout ceci forme un ensemble assez obscur.Ce qui
est certain en revanche,c’est que la Comtesse ne laissera pas les choses dévier.On
apprendra,dans La Mère coupable,que la Comtesse a eu un enfant de Chérubin…
à la suite d’un viol.
u Le théâtre dans le théâtre est un thème que Beaumarchais développe à plusieurs reprises dans Le Mariage de Figaro. En règle générale, ses personnages aiment se donner la comédie.On peut considérer que la romance que Chérubin
chante aux deux femmes en fait partie, dans la mesure où ces dernières se
placent en spectatrices. Ensuite, le déguisement de Chérubin appartient bien à
cette mise en abyme que constitue le théâtre dans le théâtre. Ce personnage
s’apprête à jouer un autre personnage.
i À la scène 5 de l’acte IV, Chérubin est déguisé en jeune fille de bourg pour
pouvoir rester incognito au château.Enfin,durant l’acteV,Suzanne et la Comtesse
ont échangé leurs vêtements. Nous pouvons remarquer que ce sont les trois
23
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
personnages du passage étudié qui symbolisent le mieux, dans la pièce, ce procédé de comédie dans la comédie. Ni Figaro, ni Almaviva ne se déguisent.
o Les personnages qui prennent les initiatives dans l’intrigue, et incarnent les
véritables meneurs de jeu, sont avant tout la Comtesse et Suzanne. Bien vite,
Figaro se contente de suivre la cadence imposée par les deux femmes,au risque
d’être exclu de leurs complots à partir de l’acte IV.Tout autant que les tirades
de Marceline à l’acte III, la dramaturgie traduit un certain féminisme de
Beaumarchais. Le déguisement des femmes serait-il un moyen de conquête
du pouvoir et d’échappatoire à leur triste réalité d’éternelles soumises ?
q Les quelques scènes étudiées sont d’agréables scènes de comédie, à la fois
légères et galantes. Les trois personnages s’amusent visiblement beaucoup. Ces
scènes distillent également une ambiance très intime. L’arrivée du Comte à la
scène 10 va être vécue comme une intrusion, voire une catastrophe, puisque
la présence de Chérubin dans les appartements de la Comtesse n’a aucune
légitimité. Les scènes qui vont suivre seront dramatiques au sens courant du
terme, car il en va du destin de la Comtesse.
s Comme nous l’avons dit, des personnages qui donnent la comédie sont en
quelque sorte maîtres du jeu. Mais le Comte représente une autorité supérieure, qui a tous les droits. La Comtesse, comme Suzanne, est une sorte de
vassale quand le Comte commande et exige. Heureusement, les deux femmes
parviennent à jouer la comédie jusqu’au bout. C’est peut-être l’un des secrets
de Beaumarchais : il parvient à maintenir un rythme haletant, parce que ses
personnages sont dans des situations perpétuellement instables, voire dangereuses. Les rapports de force s’inversent régulièrement.
d La Comtesse,face à Chérubin,occupe le plein-emploi de « grande coquette »,
puisqu’elle domine le jeune homme. Ce dernier la place sur une sorte de
piédestal. Il en va très différemment dans les scènes avec le Comte. C’est une
femme délaissée et désabusée, victime d’un mari excessivement jaloux. De
dominante, elle devient dominée dans les scènes qui suivront. Les moments
vécus avec Chérubin ont constitué un court intermède.
24
Acte II, scènes 6 à 9
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 129 À 134)
Examen des textes
a La lettre de rupture que Valmont envoie à Mme de Tourvel se compose
de huit paragraphes. Or ces huit paragraphes se terminent tous par la même
phrase: «Ce n’est pas ma faute.» Cette répétition insistante est intentionnelle:
elle est en fait ironique.Valmont, par ce procédé, indique sa mauvaise foi. Bien
entendu, cette rupture est entièrement de sa faute.
z Le libertinage professé parValmont est des plus cruels.Il détourne la réflexion
philosophique du siècle sur les grands pouvoirs de la nature pour en faire la
justification d’un comportement immoral.Valmont invoque la « Loi de la Nature »
pour justifier son inconstance. Ce faisant, il nie l’amour durable. L’individu ne
serait doué que pour un plaisir sexuel purement animal,et c’est déjà ce qu’avaient
sous-entendu certains matérialistes comme Diderot. Le libertin est fataliste :
« Ainsi va le monde. » Seule compte la loi du plaisir, l’unique but recherché : « je
t’ai prise avec plaisir ». Cependant, cette idéologie révèle bien vite sa vacuité : le
libertinage n’est qu’un art de distraire l’ennui profond que l’on a de la vie : « je
m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels
mois ». En cela,Valmont se rapproche du comte Almaviva, « libertin par ennui ».
e Les didascalies de ce texte ne sont pas des didascalies de scènes d’exposition :
elles n’indiquent ni lieu, ni décor. En revanche, elles marquent les mouvements
que fait chaque personnage, et qui sont cruciaux puisqu’il s’agit d’une scène de
séduction physique. Clitandre et Cidalise se rapprochent et s’éloignent l’un de
l’autre,car la jeune femme tente de résister.Le fait qu’elle ne regarde pas Clitandre
semble également important : «toujours sans le regarder». Les didascalies traduisent
également le ton avec lequel se parlent les deux interlocuteurs,parfois sec,ironique
ou ardent. Enfin, chose intéressante, elles marquent les silences et offrent une
alternative aux paroles : «Elle ne lui répond rien; il se tait aussi en soupirant», «après
quelques instants de silence ».Toutes ces didascalies démontrent que cette scène est
extrêmement dramatique ; elle est tout entière dans l’action. Les gestes ont
autant d’importance que les mots.Il s’agit presque d’une scène de bataille !
25
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
r Cidalise est tout d’abord alarmée des transports de Clitandre, puis indignée:
c’est pourquoi elle lui parle sèchement et froidement.Cependant,cette scène est
celle de l’aveu de son amour,et elle révèle ensuite ses sentiments avec retenue,à la
manière de Chimène :« je ne vous hais pas ».Enfin,elle « lui sourit tendrement ».
Clitandre,quant à lui,est tout d’abord passionné,puis piqué,ensuite respectueux
(« vos procédés, tout durs qu’ils sont, n’altéreront jamais dans mon cœur le profond
respect que j’ai pour vous»). Enfin, l’aveu de Cidalise le rend fou de bonheur.
Cidalise semble plus sincère que Clitandre.Il n’est pas certain que ce dernier soit
tout à fait honnête; jusqu’à présent, il a surtout fait preuve de ruse. Clitandre est
celui qui a les plus longues tirades et qui fait les plus belles phrases – ce qui indique qu’il n’est peut-être pas tant que cela sous l’emprise de l’émotion.Joue-t-il
la comédie ? « Il paraît chercher quelque chose. » Clitandre est sûrement le maître
des apparences, tandis que Cidalise se défend comme elle le peut contre un
sentiment qu’elle éprouve réellement.
t Si Clitandre n’est pas sincère, tous ses faits et gestes ne sont que des stratégies pour parvenir à ses fins et séduire Cidalise. Il emploie d’abord la force,
puis semble vexé qu’elle ne partage pas ses sentiments. Elle se trouve donc
contrainte de renouer le dialogue.Il se montre (un peu tard) très respectueux et
tente ainsi de l’apitoyer, non sans la menacer légèrement:«C’est au temps que je
laisse à vous la [votre injustice] faire sentir, et plaise au Ciel qu’il ne me venge pas !»
Il s’agit ici d’une variante du thème très connu du Carpe diem, employé par
Ronsard avant lui pour séduire les belles.Cidalise regrettera avec le temps d’avoir
été dédaigneuse. Enfin, Clitandre se montre très doux et tendre envers la
jeune femme - ce qui a pour effet de faire fondre ses dernières résistances.
Il ne l’appelle plus « Madame », qui marque à la fois le respect et la froide
distance sociale, mais «Cidalise», qui est plus familier.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Trois facettes du libertinage, trois visages de séducteurs sont présentés dans ce
groupement de textes.
Chérubin semble le séducteur malgré lui. Incapable d’exprimer adroitement ses
sentiments,il est réduit au silence par sa «belle marraine»,qui domine leur échange.
26
Acte II, scènes 6 à 9
Timide et tendre,il se montre sentimental dans l’épisode du ruban.Cependant,
Chérubin est un libertin en puissance. Il est difficile de dire si ses larmes sont
sincères à la fin de la scène 9, ou destinées à apitoyer la Comtesse. En outre, il
courtise également Fanchette et Suzanne dans toute la pièce. C’est à la jeune
fiancée de Figaro qu’il dérobe un baiser au moment de sauter par la fenêtre. Si
la pièce reste légère, c’est parce que le jeune homme est encore inoffensif.
À l’inverse,Valmont semble le prototype du séducteur froid et cynique. Il
s’apparente à Dom Juan, à la différence près que ce dernier envisage l’amour
comme une conquête militaire.Valmont séduit par peur du vide et de l’ennui,
par simple distraction. Il offre une vision extrêmement noire du libertin. De
plaisant chez Beaumarchais, ce dernier devient néfaste chez Laclos.
Clitandre est une figure plus ambiguë, car il est très difficile de savoir s’il joue
la comédie ou aime sincèrement.Ses méthodes ne sont guère recommandables
et ne semblent pas celles d’un prétendant transi d’amour.Joue-t-il à envelopper
un moment de plaisir d’un frisson un peu plus spirituel, celui de l’amour ?
Malgré leurs différences, ces trois hommes se ressemblent foncièrement et
sont les héros littéraires d’un même courant de pensée. C’est ici une véritable
apologie de la sensualité qui nous est présentée,et elle se réclame également du
courant philosophique des Lumières.Après des siècles de censure religieuse, le
plaisir physique occupe le devant de la scène, au nom de la biologie pour les
philosophes matérialistes. À cet égard, il peut être intéressant de faire lire aux
élèves les passages concernant la sexualité dans Le Rêve de d’Alembert de Diderot.
Pour la première fois, la sexualité est examinée indépendamment des
questions de morale.
Commentaire
On pourra adopter le plan suivant :
1. Une vision libertine de l’amour
A. Seul compte le plaisir animal
• Nature évoquée par deux fois.
• Loi du « ici et maintenant » : « Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument
exige que je te sacrifie. »
• L’amour a une durée de vie limité :« je t’ai prise avec plaisir,je te quitte sans regret ».
27
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. Le libertinage est motivé par l’ennui
Champ lexical de l’ennui dans le début du texte. Quatre « mortels mois » : effet
de surprise, car c’est une liaison de courte durée. Le libertin recherche le
plaisir pour se distraire, l’amour est un jeu. Noter l’emploi du participe passé
« occupé ».
C. Une question de rapports de force
• La séduction est un duel :l’autre n’a d’intérêt que parce qu’il faut le conquérir.
– « autant d’amour que toi de vertu » : quand la femme cède, elle a perdu.
– Marques d’amour qui ennuient (tendresse).
– « obstination » de mauvais goût.
• Le séducteur, homme ou femme, doit être impitoyable et sans cœur. Cette
dureté est présente dans toute la lettre.
2. Une cruauté aux accents ironiques
A.Absence de culpabilité
• Répétition moqueuse du « ce n’est pas ma faute ».
• « On s’ennuie de tout » : on impersonnel et présent à valeur générale.Valmont
se pique de maximes et de sentences.Détachement et généralisation face à une
histoire d’amour, qui est toujours un cas particulier.
• Fatalisme de mauvaise foi :«Ainsi va le monde.» Invocation,à deux reprises,des
lois de la nature.
• Bien pis, cette rupture est la faute de la jeune femme : « ton impitoyable
tendresse m’y forçait ».
B. Mélange de tons qui marquent le dédain
• Indifférence (ennui) plus vexante que la haine.
• Franchise blessante : « une femme que j’aime éperdument ».
• Conseils faussement amicaux (emploi de l’impératif intolérable : « Crois-moi,
choisis un autre Amant »).
• Désinvolture présomptueuse : « je te reviendrai peut-être ».
C. Des insultes personnelles
• Mme de Tourvel n’a pas de vertu, alors qu’elle l’a cédée à celui qui l’insulte.
28
Acte II, scènes 6 à 9
• Oxymore « impitoyable tendresse », qui fait de cette qualité un défaut.
• Amour fidèle qui devient de l’« obstination ».
Conclusion
• Lettre apparemment légère qui est un chef-d’œuvre de cruauté. Ce n’est pas
une simple lettre de rupture, elle est vraiment faite pour anéantir. D’ailleurs,
Mme de Tourvel en mourra et Valmont ne pourra jamais réparer son erreur.
• Face la plus noire et la plus inexcusable du libertinage.
Dissertation
On pourra adopter le plan suivant :
1. Le théâtre doit présenter les hommes tels qu’ils sont
A. Par souci de vérité psychologique
Théâtre qui ne prend pas une ride parce qu’il dépeint précisément les passions
humaines :
– Phèdre en proie à la passion amoureuse chez Racine.
– Jeunes gens de Marivaux qui refusent de s’avouer qu’ils aiment.
B. Parce que le comique est souvent fondé sur le réalisme
Dans une comédie, on peint les ridicules des hommes, et cela a une grande
force comique (un héros ne fait pas rire).
Exemple du Comte qui fait rire de lui dans Le Mariage de Figaro parce qu’il est
excessivement jaloux et colérique.
C. Pour que le public en tire des enseignements
Pour Molière et Beaumarchais,les comédies sont des miroirs du monde des hommes.
La comédie doit châtier par le rire (voir la préface du Mariage de Figaro),en nous
montrant ce qu’il ne faut pas faire.On n’a jamais envie d’imiter un homme qui
fait rire de lui.
2. Le théâtre doit présenter les hommes tels qu’ils devraient être
A. Car seuls les héros nous font rêver
Destin extraordinaire des personnages de théâtre hors du commun.Volonté
29
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
d’identification au Rodrigue du Cid, qui s’illustre au combat dans toute la
pièce, ou à Ruy Blas, laquais qui devient grand d’Espagne parce qu’il est doué
de qualités extraordinaires.
B. Pour nous élever moralement
Au XVIIe siècle, le théâtre doit être moral, voire religieux (Racine a créé Esther et
Athalie pour les pensionnaires de Saint-Cyr,l’institution de jeunes filles de Mme
de Maintenon).Les héros tragiques font souvent des choix qui les honorent,même
s’ils sont difficiles :Rodrigue sacrifie son amour à l’honneur de sa famille;Antigone
enterre son frère parce qu’elle le doit et est mise à mort pour cette raison.
C. Pour changer le monde
Un personnage de théâtre dit souvent tout haut ce que d’autres pensent tout
bas. Ce sont des porte-parole :
– Figaro se révolte contre les privilèges de la haute naissance.
– Bérenger ne veut pas devenir rhinocéros, c’est-à-dire être absorbé par un
système totalitaire. C’est un résistant.
3. Le théâtre semble présenter les hommes tels qu’ils ne devraient pas être !
A. En suscitant la terreur et la pitié dans la tragédie
Voir la Poétique d’Aristote,où est exprimée la notion de catharsis :le théâtre nous
purge de nos passions mauvaises par leur représentation.
– Phèdre entraîne la mort d’Hippolyte,le beau-fils qu’elle aime passionnément.
Elle est à la fois bourreau et victime.
– Néron, dans Britannicus, est déjà un « monstre naissant ».
B. La comédie nous montre des caricatures d’hommes
Dans la farce, les personnages portent des masques hideux. Souvent les personnages de comédie sont des stéréotypes grossiers,qui font rire parce que leurs
défauts sont exagérés.
– Exemple d’Argan ou d’Harpagon chez Molière, qui poussent leurs défauts
jusqu’à la folie.
–Voir le personnage d’Ubu chez Alfred Jarry.
Écriture d’invention
• Le ton de ce dialogue doit être violent et passionné ; l’élève ne doit pas hésiter
à montrer que les deux interlocuteurs ne sont pas du tout d’accord (phrases
30
Acte III, scène 5
exclamatives,antithétiques…).Dans tous les cas,le dialogue doit être marqué par
deux argumentations différentes (thèse et antithèse).
• Les arguments de l’un doivent tourner autour du libertinage et des nombreux
mensonges. Il ne faut pas hésiter à critiquer l’atmosphère légère de cette pièce
qui traite de sujets sérieux. Les personnages doivent être passés au crible de la
moralité. Dans l’autre cas, le défenseur de Beaumarchais peut reprendre les arguments de l’auteur dans sa préface. Il n’est pas défendu de faire du défenseur
de la moralité un personnage un peu ridicule.
Acte III, scène 5 (pp. 166 à 171)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 172 À 174)
a La première tirade est celle des « God-dam »,la seconde concerne la politique
(« feindre d’ignorer ce qu’on sait […] »).Ces deux tirades font plusieurs lignes chacune et ne traitent pas de l’intrigue de la pièce.Elles sont prononcées par Figaro
et non par le Comte – ce qui n’est pas étonnant : le valet est connu pour son
éloquence et son sens de la répartie humoristique.
z L’énergie de la première tirade repose sur un comique de mots: la répétition exclamative du terme « God-dam »,qui ne veut rien dire en soi.Le comique
est également gestuel,puisque Figaro met en œuvre des talents de mime.Cette
tirade semble prendre sa source dans le registre de la farce.
L’humour de la tirade sur la politique est beaucoup plus mordant,puisqu’il a des
victimes désignées : les politiciens, définis comme des intrigants. Il faut noter
l’emploi anaphorique des infinitifs.Verbes à un mode non conjugué, ils
permettent de généraliser le propos.La tonalité de cette seconde tirade est donc
satirique.
Dans les deux cas,elles divertissent le spectateur et le font rire.On peut les considérer comme des morceaux d’éloquence comique.
e Les apartés sont signalés par la didascalie suivante :« à part ».On les trouve tout au
long de cette scène ;ils sont au nombre de treize – ce qui n’est pas anodin.Ils sont
d’abord ceux de Figaro,qui voit le Comte parler tout seul,puis se répartissent à peu
31
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
près équitablement entre les deux personnages,pour devenir symétriques en fin de
scène.À l’aparté d’un personnage correspond un nouvel aparté de son interlocuteur.
r Le grand nombre d’apartés nous apprend que la scène entre Almaviva et Figaro
est un jeu de dupes :les deux hommes veulent se cacher la vérité.Le Comte désire savoir si Suzanne a averti le valet de ses tentatives de séduction et comprendre
ce qui s’est passé dans les appartements de la Comtesse. Quant à Figaro, il se divertit à changer d’avis au sujet de son nouvel emploi à Londres.Ceci lui permet
de faire croire à son maître qu’il ne sait rien dans un premier temps,puis tout dans
un second temps.Mais là où Figaro s’amuse,le Comte s’informe.C’est de l’issue
du procès qu’il est en train de décider : Suzanne veut-elle rester fidèle ? Figaro
épousera Marceline.
t Le vouvoiement du Comte est tout d’abord froid et cérémonieux, car il est
en colère.Figaro,Suzanne et la Comtesse lui cachent quelque chose:c’est pourquoi il appelle son valet « monsieur » dans un premier temps. Puis Almaviva se
met à tutoyer Figaro : « j’avais quelque envie de t’emmener à Londres, courrier de
dépêches… » Il faut noter qu’il semble « radouci ».Après l’autorité, le Comte
essaie la ruse : il tente d’établir une connivence avec son valet. Le tutoiement
n’est pas une marque d’irrespect, mais d’affection.
y Les relations du Comte et de Figaro sont extrêmement complexes et origi-
nales au théâtre.Toute la pièce nous montre un affrontement entre les deux
hommes, un conflit dont l’objet n’est pas seulement Suzanne, mais aussi la
naissance, le pouvoir, les privilèges. Figaro se révolte contre un maître abusif.
Mais il faut également comprendre que le Comte et Figaro ont été jadis très liés.
Le valet était l’auxiliaire zélé de son maître,son confident et son ami.Tous deux
servaient le même but : la séduction de Rosine, devenue la Comtesse. C’est ce
que sous-entend Almaviva lorsqu’il déclare :«Autrefois tu me disais tout » (l.117).
Le tutoiement marque cette ancienne familiarité. Le Comte fait preuve de
cynisme : il utilise cette ancienne amitié pour obtenir les informations qui lui
manquent. Cette scène est exceptionnelle dans la mesure où elle tient à la fois
du duo et du duel,mais du duel à fleurets mouchetés.L’arme des deux hommes
est l’humour; le Comte finit même « raillant ».
u Les attaques de Figaro concernent le libertinage du Comte. D’abord il
affirme son inconstance : « vous êtes infidèle » (l. 115). Puis il rappelle au Comte,
32
Acte III, scène 5
qui sous-entend que son valet a été corrompu par la Comtesse, qu’il avait également utilisé son argent pour séduire sa future femme :« Combien me donnâtesvous […] » (l. 116). Enfin, l’attaque est claire : «Votre Excellence se permet de nous
souffler toutes les jeunes » (l.174).Figaro fait comprendre au Comte qu’il n’est pas
dupe et ne sera pas cocu. Le « nous » semble une première personne du pluriel
à valeur générale, mais il désigne en fait Figaro, et le Comte ne s’y trompe pas.
i Dans cette scène,Figaro lance plusieurs piques contre la noblesse.La première
pique est légère et répond à une critique du tac au tac du Comte : « C’est
qu’ils n’ont point de valets pour les y aider » (l. 63). Ensuite, l’attaque est plus brutale : Figaro vaut mieux que sa réputation – ce qui n’est pas forcément le cas
de nombreux seigneurs («Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? »).
Ces hommes ne valent que par leur naissance et non par leurs talents,
à l’inverse du valet. En dernier lieu, Figaro critique la justice de l’époque,
profondément inégalitaire et corrompue, puisqu’elle est « indulgente aux grands,
dure aux petits... » (l. 178).
o Les attaques de Figaro sont d’abord une manœuvre de prudence : en aucun
cas,le valet ne peut se permettre d’attaquer son maître directement.Son ton est
toujours très respectueux,voire servile lorsqu’il appelle le Comte « Monseigneur »
ou «Votre Excellence ».Toutes les critiques de Figaro peuvent s’appliquer à Almaviva.
Mais le valet est autorisé à railler la justice, non le premier juge de la province.
D’autre part, ces attaques à la noblesse en général sont très audacieuses, dans la
mesure où Figaro dépasse son cas particulier pour en arriver à une remise en
cause globale de tout un système, en présence de l’un de ses plus farouches
partisans! Figaro est un véritable contestataire. Il voit plus loin que son propre
cas particulier.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 175 À 183)
Examen des textes
a Cette scène réunit différents types de comiques:il y a d’abord le comique de
mots.Les stichomythies indiquent que Toinette contredit systématiquement son
maître dans le but de le faire enrager. Ensuite, il y a un certain comique de
33
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
situation :la servante prend le rôle du maître et se montre autoritaire quant aux
décisions sur l’avenir d’Angélique. Cela va jusqu’à l’exagération la plus folle :
« Et moi, je la déshériterai si elle vous obéit. » Enfin, le comique de cette scène
réside également dans la gestuelle des personnages, une course-poursuite.
z Argan est un maître de comédie : lorsque sa servante se montre insolente, il
l’insulte (« Carogne ») et se munit de son bâton pour la corriger.Quant à Toinette,
elle est un emploi de servante traditionnel :« servante bien sensée »,elle est la confidente des amours de sa jeune maîtresse et se permet de contredire son maître
quand celui-ci ne semble plus avoir toute sa raison.
e Certes,Toinette semble incarner la véritable autorité dans cette scène. C’est
elle qui a véritablement le dernier mot, et Argan est réduit à recourir aux
injures et à la violence physique lorsqu’il est à cours d’arguments. Enfin, il est
épuisé par l’affrontement et avoue son impuissance en se jetant dans une chaise.Cependant,il n’y a pas de véritable revendication sociale de la part de Toinette.
En bravant son maître, elle remplit son rôle de bonne servante dans l’intérêt
de toute la famille: « Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien
sensée est en droit de le redresser. » Elle est frondeuse, non contestataire.
r Dorante et Arlequin sont des emplois traditionnels de comédie.Arlequin se
révèle intéressé,puisqu’il pense pouvoir faire un beau mariage.Son langage est
à la fois soutenu (« nonobstant ») et imagé (le cœur de la jeune fille est « friand
de la noce » ; il passe du buffet à la table pour symboliser son ascension sociale).
Seul compte son profit personnel.
Quant à Dorante, il ne dépare pas des jeunes maîtres habituels. Lui aussi peut
avoir recours aux insultes (« Maraud ») et aux coups de bâton pour affirmer son
autorité,mais il semble surtout s’amuser du bagout de son serviteur.En revanche,
s’il accepte l’idée que son valet fasse un bon mariage,il ne peut supporter l’idée
qu’un serviteur trompe un homme de noble condition, « un honnête homme ».
Comme dans toute comédie, les deux hommes sont assez proches et semblent
unis par une complicité certaine.
t Ruy Blas, un laquais, a pris la place de Don César et a joué son rôle à la
perfection, puisqu’il s’est pris d’un réel intérêt pour la cause de l’État espagnol.
Mais son ancien maître revient et se charge de lui montrer de façon symbolique
quelle est sa véritable place.Les positions,censées traduire les rapports maître/valet,
34
Acte III, scène 5
sont bien campées dès le début : « Il s’assied dans un fauteuil, et Ruy Blas reste
debout. » Puis Don Salluste charge Ruy Blas de fermer la fenêtre et de ramasser son mouchoir. L’humiliation va croissant, le valet est « pâle de honte et de
désespoir », puis « comme à la torture ».Alors qu’il est en train de traiter d’une
affaire de la plus haute importance, Don Salluste lui montre qu’il n’est jamais
qu’un vulgaire laquais.Cette scène ne compte pas tant pour ce qui y est dit que
pour ce qui y est fait. En cela, elle est extrêmement dramatique et visuelle.
y Ruy Blas est entièrement au service de la cause espagnole. Il parle à deux
reprises du « salut de l’Espagne ». Il a exilé un grand qui s’était servi dans la caisse
publique, et ce au nom du peuple et de la cause commune. Il emploie d’ailleurs
la première personne du pluriel – ce qui indique qu’il n’agit pas pour son
intérêt particulier. Les valeurs de Ruy Blas sont l’honnêteté (« nos probités ») et la
grandeur (« Osons être grands »).
Les valeurs de Don Salluste sont beaucoup plus troubles. Il ne semble pas partager celles de son valet,dont le zèle est « hyperbolique ».Le «méchant million,plus
ou moins dévoré», indique que Salluste affecte de mépriser l’argent, en membre
de la noblesse qui se respecte.Cependant,il tolère que l’on se serve dans les caisses
de l’État pour son propre intérêt lorsqu’on est un aristocrate. Seul compte
l’individualisme : « Chacun pour soi. »
Finalement,cette scène nous présente une inversion dans les rapports maître/valet.
Les rapports hiérarchiques sont très bien respectés et vont jusqu’à l’humiliation du serviteur. Cependant, c’est du côté de ce dernier que se trouve la vraie
noblesse,celle des sentiments.Le laquais est Salluste,qui a les intérêts les plus vils.
u Ce texte est un peu complexe au premier abord, dans la mesure où l’énon-
ciation présente des caractéristiques originales. Les deux sœurs jouent la
comédie ;c’est pourquoi Solange appelle Claire « Madame » et la vouvoie :«Vous
êtes belle.» Claire,de la même façon,affecte de prendre Solange pour elle-même :
« Claire,vous m’épuisez ! »
Cependant,dans ce texte,Claire a du mal à tenir son rôle.Elle s’adresse à sa sœur
à plusieurs reprises : « Commence les insultes. » Le tutoiement permet de distinguer ces deux types d’énonciations. Il faut remarquer que Claire mêle souvent
tutoiement et vouvoiement, dans une même réplique : « presse-toi, je t’en prie.
Vous êtes… vous êtes… » Quant à Solange, elle semble complètement absorbée
par le jeu et perdue dans sa fascination pour sa sœur-maîtresse. Dans cet extrait,
35
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
le lecteur a de plus en plus l’impression que les deux femmes ne sont plus
capables de faire la différence entre la mise en scène et la vie réelle.
i Les rapports de force sont très marqués et vont s’inverser au cours de la
scène. Ils s’organisent en deux temps distincts :
– Tout d’abord, Claire joue comme elle le peut le rôle de Madame et écrase
de son mépris sa servante : « Vous êtes nos miroirs déformants, notre soupape,
notre honte, notre lie. » Elle parle beaucoup plus que Solange et la domine.
Néanmoins, cette situation n’a qu’un temps, car Claire est à bout : « Claire,
vous m’épuisez ! »
C’est alors au tour de Solange de prendre l’ascendant,et elle devient la véritable
maîtresse du jeu. Elle donne des ordres à sa prétendue patronne : « Silence ! »,
« À genoux ! » Claire a suffisamment nourri sa haine pour qu’elle puisse se révolter.
Il est intéressant d’interroger les élèves sur la symbolique de la fenêtre et du
balcon, desquels Solange ne cesse de vouloir s’approcher. Il s’agit en fait de la
révélation au monde de leur petit jeu, resté secret jusque-là. En dévoilant leur
comédie, Solange est prête pour l’étape supérieure : celle du fait-divers qui
dévoile leur folie, le meurtre. Les deux femmes ne peuvent plus contenir leur
haine.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Almaviva est un maître traditionnel, sûr de son bon droit. Il est toujours le
premier à provoquer son valet et laisse éclater son emportement. Cependant, il
est singulièrement en retrait dans cette scène. Figaro a le monopole des tirades
brillantes,or la parole est pouvoir au théâtre.Il ne lui reste qu’à employer la ruse
pour savoir ce que le valet lui cache. Il sort vainqueur de l’affrontement, mais
sans avoir eu recours à son autorité habituelle.
Argan est proprement ridicule ; c’est un maître caricatural complètement
dépassé par une servante malicieuse. Il n’a du maître que la position sociale et
des symboles de pouvoir (les insultes, le bâton) vidés de tout leur sens pour
cette raison.
Don Salluste se révèle franchement détestable. Il joue à humilier son valet de
la plus cruelle des façons et montre un égoïsme à toute épreuve. On ne peut
que prendre parti pour Ruy Blas.
36
Acte III, scène 5
Dorante est également un maître de comédie, doué des attributs traditionnels
du pouvoir. Il entretient une grande complicité avec son valet, mais a tout de
même une pleine conscience de la caste à laquelle il appartient et défend
l’honneur de cette dernière si un serviteur tente de la tromper.
Claire n’est pas une véritable maîtresse, elle joue un rôle. Cependant, elle caricature le dégoût que la classe dominante est censée éprouver pour la domesticité, et cela en est très humiliant. Il y a presque un véritable racisme de sa part.
Que faut-il remarquer ? Une chose est certaine : les maîtres n’ont pas le beau
rôle dans ces extraits.Tout se passe comme si les valets leur avaient volé la
vedette. Le spectateur se place d’emblée du côté de ces derniers. Peut-être estce là l’occasion de parler, avec les élèves, du théâtre comme d’un miroir
inversé des valeurs de la société? Au théâtre,les valets se consolent de n’être que
des valets. Il s’agit d’un carnaval, c’est-à-dire d’un renversement des masques
et des rôles.
Commentaire
On pourra adopter le plan suivant :
1. Une scène dramatique
A. Rôle des didascalies
Elles interviennent tout au long du texte et sont très longues (certaines font
plus d’une ligne). Elles détaillent chaque déplacement sur scène de façon
précise.
B. Gradation de l’humiliation
Elle est de plus en plus forte, et les gestes sont extrêmement symboliques :
– le serviteur reste debout ;
– il ferme la fenêtre ;
– il ramasse le mouchoir (il s’abaisse au sens propre comme au figuré).
C. Un jeu de scène évolutif
Il y a également une gradation dans l’humiliation de Ruy Blas :
– il prend confiance (« se rassurant un peu ») ;
– il agit avec difficulté (« pâle de honte et de désespoir ») ;
– « comme à la torture ».
37
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
2. Un maître cruel et dominateur
A. Une absence d’émotions
Tandis que Ruy Blas est au désespoir, Salluste prend « un air indifférent » et
parle « nonchalamment ». Grand contraste.
B. Un ton ironique
• Marques de politesse apparentes : vouvoiement, « Mon cher ».
• Affecte de le prendre pour Don César et l’appelle ainsi. «Vous avez oublié que
vous êtes parents ? » Épisode des blasons.
• Personnification des caisses de l’État (« beaux yeux »), expression euphémistique et recherchée : « zèle hyperbolique ».
C. Une volonté de domination
• Don Salluste coupe sans arrêt la parole à Ruy Blas, surtout lorsqu’il parle de
sujets de la plus haute importance :« guerre éclatera »/« air [...] un peu froid » (deux
hémistiches qui s’opposent dans le même alexandrin). De plus, l’homme qui
tient tête à un empereur doit ramasser un mouchoir. Salluste ramène sans
arrêt son valet à sa condition prosaïque et à son absence de pouvoirs réels.Salluste
parle peu, mais détient la véritable puissance.
•Véritables insultes : « pédant », « petit génie », « cuistres ».
3. Un renversement des valeurs
A. Chez Ruy Blas, la noblesse
• Parle au nom de l’intérêt général : première personne du pluriel. « Salut de
l’Espagne » répété, « intérêt public ».
•Valeurs morales : probité, grandeur.
• Courage militaire : tenir tête à l’empereur.
• Empathie pour la cause populaire : « Sauvons ce peuple ! »
• Noblesse oblige :un noble ne doit pas endetter l’État,mais être conscient de son rôle.
•Volonté d’action : nombreux impératifs à la première personne du pluriel.
B. Chez Don Salluste, la bassesse
• Cruauté gratuite envers son serviteur.
• Mépris affiché de l’argent, mais cupidité sous-jacente.
• Égoïsme : « Chacun pour soi. »
• Esprit de caste : les nobles ont tous les droits.
38
Acte III, scène 5
Dissertation
La dissertation peut s’organiser de la façon suivante :
1. Le serviteur vole la vedette à son maître et le domine
A. Les valets sont les maîtres de l’intrigue
• Depuis la comédie latine, les valets sont rusés et débrouillards, et montent des
stratagèmes à la place de leurs maîtres, comme Figaro dans Le Barbier de Séville.
• Scapin est tout-puissant dans Les Fourberies de Scapin, il n’y a rien qu’il ne
puisse accomplir. Il obtient ce qu’il veut de Géronte et Argante. Même chose
avec Dubois dans Les Fausses Confidences.
• Ce sont souvent eux qui se déguisent et mystifient leurs maîtres (Toinette en
médecin, par exemple).
B. Leurs revendications sont justes (et triomphent souvent)
• Ils sont souvent pleins de bon sens et aident les amours de leurs jeunes maîtres
(Dorine dans Le Tartuffe…).
• Au moment de la Révolution, ils commencent à avoir de véritables revendications sociales,comme Figaro.Beaumarchais s’identifie au valet,non au maître.
C. Ils ont un véritable pouvoir comique
• Par leur langage (Pierrot et Charlotte dans Dom Juan de Molière).
• Par leur gestuelle.
• Par leurs préoccupations bassement matérielles.
2. Mais le maître reste le maître
A. Jusqu’à la Révolution, il n’y a pas de véritable changement
• Les facéties des valets sont tolérées par leurs maîtres, car ils sont au service de
ces derniers. D’un point de vue dramaturgique, ils ne sont que des utilités.
Tout rentre toujours dans l’ordre au dénouement, comme dans Le Mariage de
Figaro.
• Ce rôle perdure jusque dans les vaudevilles de Feydeau et Labiche : les
domestiques sont là pour servir le maître,tant socialement que dramatiquement.
B. Les préoccupations des valets sont secondaires
Elles servent de faire-valoir aux amours des jeunes nobles.Dans Le Jeu de l’amour
et du hasard de Marivaux,l’histoire d’amour qui retient notre attention jusqu’au
39
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
dernier moment est celle de Sylvia et Dorante. De même, l’amour de Pierrot
pour Charlotte est ridicule et maladroit comparé à la séduction de Dom Juan.
C. Hors de la comédie, les valets n’ont aucune épaisseur dramatique
Ils n’ont pas leur place dans la tragédie,où ils ne sont que des confidents.Ils permettent d’éviter l’artifice du monologue (Elvire dans Le Cid,Gusman dans Dom
Juan…). Une exception : Œnone dans Phèdre.
3. Le rapport maître/valet est un jeu dramatique qui est en bonne part
artificiel
A. La psychologie des personnages casse le mécanisme
• Même si Don Salluste a le pouvoir, Ruy Blas possède la vraie noblesse.
• Claire et Solange sont toutes deux des victimes. Le spectateur éprouve de la
pitié pour elles, mais aucune sympathie. Le jeu de théâtre dans le théâtre
démonte les artifices du rapport hiérarchique et caricature ce dernier.
B. Le théâtre contemporain réduit la question à néant
• Des valets seuls en scène? Vladimir et Estragon, dans En attendant Godot de
Beckett, sont les héritiers des valets de comédie. Mélange de comique et de
tragique.
• D’autres rapports de force voient le jour. Outre le traditionnel affrontement
homme/femme,parent/enfant,les personnages s’affrontent pour des raisons politiques, économiques et sociales nouvelles : Hugo et Hoederer dans Les Mains
sales de Sartre (deux idéologies différentes) ; le Dealer et le Client dans Dans la
solitude des champs de coton de Koltès.
Écriture d’invention
• On attend un dialogue en bonne et due forme. Le changement dans l’énonciation doit être clair.
• Arlequin doit exprimer son envie de se marier et fournir des arguments
justifiant sa volonté d’ascension sociale : l’amour n’a pas de classe sociale, les
barrières doivent être abolies... L’élève peut s’inspirer du grand monologue de
Figaro en ce qui concerne la revendication sociale.
• Libre à l’élève de conférer à ses personnages des caractéristiques d’emplois
théâtraux.
40
Acte III, scène 16
Acte III, scène 16 (pp. 198 à 202)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 203 À 206)
a Dans cette scène très importante pour l’action, on apprend que Figaro est
le fils de Marceline et Bartholo.Or Figaro est en procès avec la duègne et contraint
de l’épouser ou de lui payer une forte somme d’argent. Cette décision se voit
donc annulée : un fils ne peut épouser sa mère. Marceline ne va plus se présenter comme un opposant,mais comme un adjuvant dans le mariage de Figaro
et Suzanne.
z Les effets de surprise se trouvent essentiellement entre les lignes 523 à 539.
On peut remarquer l’abondance de stichomythies qui traduisent l’accélération
du rythme,les phrases exclamatives et interrogatives,et les interjections (« Dieux ! »,
« Oooh ! »).Tout cela traduit également une intense émotion.
e Les marques de la surprise qui ont été relevées à la question précédente
sont exagérées. Le coup de théâtre est paradoxalement trop théâtral : notez la
répétition du terme « mère » repris par tous les personnages, laquelle crée un
effet d’écho burlesque. En outre, cette reconnaissance est bien trop rapide et
laconique. Cette exagération est due au fait que Beaumarchais veut surprendre
le spectateur et capter fortement son attention. D’autre part, l’exagération est,
bien entendu, source de comique.
r Dans un premier temps, Figaro montre la marque qui orne son bras et distille un premier doute dans l’esprit de ses géniteurs.Puis Bartholo demande une
confirmation :a-t-il été enlevé par des bohémiens ? Le valet répondant par l’affirmative,ses parents lui annoncent la vérité :il apprend d’abord que Marceline
est sa mère, puis que Bartholo est son père. Cependant, la surprise n’est pas
totale : on sait depuis la scène 4 de l’acte I que ces derniers ont eu autrefois un
enfant.
t L’effet de surprise est très grand : Figaro s’amuse à tromper Bartholo depuis
LeBarbier de Séville sans que quiconque ait pu jusque-là se douter de leur lien de
parenté. Cette surprise est d’autant plus grande que la scène de reconnaissance
est excessivement dramatique au sens premier du terme et très rapide. De fait,
il y a deux coups de théâtre : la reconnaissance de la mère, puis celle du père.
41
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
y Les plus célèbres des enfants trouvés sont, bien entendu, Œdipe et Moïse,
mais on peut également citer, dans la littérature française, Marianne (Vie de
Marianne de Marivaux).Les fils naturels font également florès,à l’instar de Julien
Sorel,ou Bernard Profitendieu dans Les Faux-Monnayeurs de Gide.Le thème est
un topos de la littérature mondiale,qui permet de parer le héros d’une aura mystérieuse, tout en lui donnant une quête (voir l’ouvrage de Marthe Robert à
ce sujet, Roman des origines et Origines du roman, publié chez Grasset).
u Les personnages les plus comiques dans cette scène sont toujours le ridicule
Brid’oison et Figaro.
i Le comique de mots est tout entier incarné dans le bégaiement du juge
Brid’oison, qui met son grain de sel dans toute cette scène et que Figaro traite
plaisamment de « gros enflé » (l. 502). Cependant, c’est le comique de situation
qui prédomine. Figaro fait rire de lui parce qu’il se croit issu de parents nobles
et que sa déception est tangible lorsqu’il apprend la vérité. Il refuse de croire
que Marceline est bien sa mère et l’imagine comme sa nourrice. Quant à
Bartholo, à la question de Marceline qui lui demande s’il n’avait jamais pressenti qu’il était son père, Figaro répond : « Jamais. » Cette scène est en fait une
parodie des scènes de reconnaissance dans la littérature,qui multiplient souvent
les invraisemblances. En général, il existe une certaine « voix du sang » qui fait
en sorte que parents et enfants se reconnaissent avant même d’avoir la preuve
incontestable de leur lien. Enfin, l’exagération dramatique de cette reconnaissance,tout en cris et exclamations,contribue à ce comique de situation qui
vient bouleverser l’intrigue.
o Bien évidemment, la situation de Figaro, enfant trouvé en passe d’épouser sa
mère sans le savoir, rappelle le mythe d’Œdipe. Cependant, si Beaumarchais
applique un traitement bouffon à l’histoire,le mythe a d’abord fourni l’occasion de
tragédies,notamment Œdipe roi de Sophocle,dont on ne saurait trop recommander la lecture aux élèves.
q La scène change de ton de manière visible lorsque Marceline prend la
parole. Ses répliques deviennent très longues et ne s’adressent à personne en
particulier.Le rythme de la scène va alors ralentir,et la duègne ressentir de nouvelles émotions, comme en témoignent les didascalies « s’échauffant par degrés »,
42
Acte III, scène 16
« vivement »,« exaltée ».L’heure n’est plus à la franche partie de rire ;Beaumarchais
indique, de cette façon, qu’il faut prendre les paroles de son personnage très au
sérieux.
s Marceline est le personnage qui va susciter une forte émotion chez le spec-
tateur dans la deuxième partie de la scène, après la reconnaissance proprement
dite.À l’accusation de Bartholo,qui blâme la légèreté de sa conduite passée,elle
va répondre en évoquant le pitoyable sort de toutes les jeunes femmes. Ce
sont elles que le spectateur va prendre en pitié,en même temps que la duègne.
d Le revirement de Marceline est très spectaculaire dans la pièce,et il intervient
précisément dans cette scène.Elle occupe au départ un emploi classique de comédie, celui de la duègne revêche, vêtue de noir, et chargée de veiller sur les
jeunes filles.Suzanne se moque de son âge dans le premier acte,et Figaro semble
franchement dégoûté à l’idée de l’épouser.Marceline fait rire d’elle-même;c’est
un personnage que l’on trouve caricatural jusqu’à cette scène de reconnaissance, où elle se révèle touchante. Elle devient une mère de famille et, dans
cette mesure, elle est un parfait personnage de comédie sérieuse. Dans cette
dernière, les êtres sont définis par leur métier ou leurs relations familiales. Le
spectateur revit toutes ses difficultés de jeune femme. Elle se révèle beaucoup
plus complexe et plus émouvante, et gagne les faveurs du public.
f Dans sa première tirade,Marceline évoque sa jeunesse et emploie la première
personne du singulier : « J’étais née » (l. 554). Puis elle va généraliser son propos
en employant la première personne du pluriel,qui la désigne elle ainsi que toutes
les femmes : «Tel nous juge ici sévèrement » (l. 559). Elle cesse alors de s’adresser
seulement aux hommes présents sur scène, pour dénoncer les hommes en
général par la deuxième personne du pluriel : « c’est vous qu’il faut punir des
erreurs de notre jeunesse » (l. 565). Enfin, le sexe féminin est également désigné
de façon universelle par la troisième personne du pluriel :« les femmes n’obtiennent
de vous […] » (l. 572). Marceline s’exclut alors de son discours, elle a cessé de
considérer son propre cas. Son propos est devenu général.
g Il y a deux champs lexicaux importants dans ce texte : celui du châtiment
(« fautes », « expier », « juge », « punir », « erreurs », « magistrats », « droit ») et celui
des abus du sexe masculin (« séducteurs », « assiègent », « poignarde », « ennemis »,
43
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
« a perdu », « infortunées », « jouets », « victimes », « malheureuses », « leurrées »,
« servitude »). Marceline insiste sur le fait que les femmes sont les vraies
victimes de leur situation sociale et qu’elles en sont punies,contre toute logique.
Les coupables sont ceux qui sont sûrs de leur bon droit : les hommes.
h Les tirades de Marceline sont pathétiques. Elles suscitent l’émotion tout en
la montrant, par l’abondance de phrases exclamatives (« votre conduite avec nous
fait horreur ou pitié ! », l. 576) et par l’emploi d’un vocabulaire connoté négativement à l’encontre des hommes et positivement pour les femmes,puisqu’elles
sont leurs victimes. En outre, ce texte est empreint de rhétorique, comme le
suggère cette phrase marquée par les antithèses et les jeux de symétrie : « leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens,
punies en majeures pour nos fautes ! » (l. 569).
j La thèse de la duègne est la suivante : les femmes ne sont pas coupables des
erreurs dont les accusent les hommes ;ce sont ces derniers qui sont les véritables
responsables. Il est important de faire remarquer aux élèves qu’il s’agit ici d’un
véritable plaidoyer, presque judiciaire, pour la cause des femmes et d’un réquisitoire contre les hommes (nous sommes dans le cadre d’un procès – ce qui n’est
pas innocent).
k La thèse de Marceline est fondée sur deux arguments d’ordre économique
– ce qui est très original pour l’époque. La dépendance des femmes et leurs
erreurs s’expliquent, dans les milieux modestes, par le fait que les hommes les
privent d’un métier honnête : la « parure des femmes », par exemple. D’autre
part, « dans les rangs même les plus élevés », les femmes ne gèrent pas leur propre
fortune mais sont « traitées en mineures ». De cette façon, Marceline ne néglige
aucune des couches de la société et étend encore sa critique.
l Cette question pourra faire l’objet d’un débat en classe.Cependant,les textes
choisis dans le corpus sont volontairement contemporains. Les événements
marquants de l’actualité récente peuvent également constituer une preuve de la
modernité du Mariage de Figaro.
44
Acte III, scène 16
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 207 À 212)
Examen des textes
a La thèse de Simone de Beauvoir est très clairement exprimée dans le texte :
« aujourd’hui il est très difficile aux femmes d’assumer à la fois leur condition d’individu
autonome et leur destin féminin ». Une femme doit à la fois travailler et être féminine ; ces deux attributs ne sont pas nécessairement liés.
z Un nouvel érotisme naît de la nouvelle image de la femme active,et l’auteur
nous en donne deux exemples : d’une part, le corps féminin est assujetti à de
nouveaux canons de la mode (« On demande au corps féminin d’être chair, mais
discrètement ») ; d’autre part, la femme devient attirante parce qu’elle est active,
comme en témoignent les dessins de Peynet, et c’est là le second exemple (la
jolie mairesse).
e Annie Ernaux emploie beaucoup le discours indirect libre, comme en témoignent les phrases suivantes : « La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous
verrez », « combien de temps un poulet, est-ce qu’on enlève les pépins des concombres »,
« lui si disert, cultivé, en train de balayer, ça serait cocasse, délirant, un point c’est tout. À
toi d’apprendre ma vieille ». Ce discours a ceci de particulier qu’il est celui de la
narratrice, mais également celui de son mari, et d’autres, comme dans le cas de
la cocotte-minute. Elle reprend à son compte toutes ces paroles. Ce faisant, le
texte est vivant, comme dans le cas de dialogues au discours direct. En outre,
cela crée un effet de ressassement, de dialogue intérieur et silencieux de la narratrice avec l’extérieur. De fait, elle est profondément seule et elle monologue.
r Le texte est un mélange de différentes tonalités :il est à la fois plein de révolte
(« Pourquoi de nous deux suis-je la seule », « Au nom de quelle supériorité »),voire de
dégoût lorsque la narratrice emploie le terme familier et péjoratif « bouffe », qui
s’oppose à la « nourriture-décor ». Mais la tonalité prédominante est une certaine
ironie amère : « Comme nous sommes sérieux et fragiles », « image attendrissante »,
« monsieur père ».Elle feint d’accepter cette situation pour mieux en critiquer les
apparences.
t Un manifeste, d’après le Petit Larousse illustré, est une déclaration écrite par la-
quelle un groupe d’écrivains ou d’artistes (etc.) définit ses vues, son programme,
45
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
ou justifie son action passée. Les Chiennes de garde tiennent à défendre toute
femme publique, c’est-à-dire toute femme située dans un espace public, et
agressée verbalement en tant que femme. Cette association tente d’empêcher
que la violence verbale liée au sexisme ne soit banalisée.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Ces textes sont tous féministes,à des degrés divers.Il s’agit,pour les femmes,de se libérer de l’emprise masculine.Les hommes seront forcément présentés sous un jour
peu flatteur.
Marceline se révolte contre des hommes « plus qu’ingrats »,qui se posent en juges
de fautes dont ils sont les véritables coupables.Ces hommes ont des armes économiques pour assurer leur domination : ils prennent aux femmes des milieux
modestes leurs emplois ou bien administrent la fortune des femmes des milieux
aisés. Leur attitude est contradictoire : ils paraissent respecter les femmes alors
qu’ils les méprisent,les traitent en enfants,mais les punissent comme des adultes.
Contradictoire est également l’attitude du sexe masculin face à la femme
moderne dans Le Deuxième Sexe. Il est admis que cette dernière est l’égale de
l’homme,et cependant,elle doit,indépendamment de sa vie sociale,donner des
preuves de sa féminité.L’homme continue d’exiger d’elle la différence,tout en
feignant de ne pas la voir. Le ton de la philosophe se veut beaucoup moins
passionné que celui du personnage de Beaumarchais.
Annie Ernaux attaque la mentalité masculine dans un cadre beaucoup plus
prosaïque,celui de la vie de tous les jours et des tâches quotidiennes.L’homme
est l’intellectuel éthéré qui refuse les travaux dégradants. « Au nom de quelle
supériorité » ?
Paradoxalement,les hommes sont absents du manifeste des Chiennes de garde.
Ils ne sont pas désignés comme l’ennemi. Ce sont des mots, les « quolibets » et
les « insultes » qui agressent les femmes.L’association attaque des mentalités,non
des personnes.
Commentaire
On peut organiser le commentaire selon le plan suivant :
46
Acte III, scène 16
1. Solitude de la femme au sein du couple
A. Un couple heureux : le règne des apparences ?
• Emploi au début du texte de la première personne du pluriel qui symbolise
ce couple.
• Insistance des synonymes : « Unis, pareils. »
• « L’un des deux » : n’importe lequel à première vue.
• Attention! le jeune couple attendrissant n’est qu’une « image ».
B. « je suis seule »
• « Moi »:« la seule à » (répété deux fois).Deux séries d’énumération des tâches
culinaires :verbes d’action (« arrête », « attend »,« ouvre »,« plonger »,« laver »…).
• Discours indirect libre qui traduit le questionnement et l’incompréhension.
Ressassement intérieur, accentué par le caractère oral de cette langue (nombreuses phrases nominales). Nous pénétrons l’intériorité de cette conscience :
focalisation interne.
• Son mari est un étranger, il n’est jamais désigné que par « il » et « lui ».
C.Arrachement de la femme à ses repères
• Elle ne trouve pas sa place au sein du couple, puisque c’est l’enfance du mari
qui prédomine, non la sienne : « Mon modèle à moi n’est pas le bon.»
• Rimes internes : « l’aberration, le couple bouffon », qui a valeur d’insistance.
2. Une révolte intérieure
A. Le dégoût
• Champ lexical de la nourriture. Certains termes sont connotés très négativement (« bouffe », « nourriture corvée »), d’autres positivement (« nourriture-décor »,
« nourriture surprise »).
• Énumération des verbes d’action dans la cuisine qui rendent la tâche insurmontable.
B. La révolte
• Adverbes qui condamnent l’attitude passive : « doucettement », « lâchement ».
• Phrases interrogatives indirectes qui marquent l’incompréhension.
• « je suis humiliée ».
47
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
C. Une vision impitoyable des autres
• Discours indirect qui reproduit fidèlement les paroles des autres et de son mari,
et qui les discrédite en même temps (sorte de double énonciation).
• Ironie particulière à l’égard de son mari (« monsieur père », « il se marre », « laver la vaisselle en récompense du dîner »).Vision satirique de l’intellectuel éthéré et
indifférent à un monde bassement matériel (« lui si disert, si cultivé »).
Dissertation
Il faut, dans un premier temps, expliquer aux élèves à quoi fait référence l’expression «L’art pour l’art»: pour Théophile Gautier et les parnassiens, la forme
littéraire se suffit à elle-même et doit être source d’un simple plaisir esthétique.
Victor Hugo,en tant qu’homme de lettres,prend position quant à lui pour une
littérature d’idées, en prise avec la société de son temps.
On pourra adopter le plan dialectique suivant :
1. L’art pour le progrès est un art noble, qui prime sur le simple
divertissement
A. C’est celui qui traverse le temps
La littérature-plaisir n’est parfois qu’un bien de consommation courante, assujettie aux modes,contrairement au progrès.Qui se souvient des pièces du Métel
d’Ouville, La Calprenède, du Ryer, pourtant fort célèbres au XVIIe siècle ?
B. L’auteur prend l’imposante stature de l’intellectuel
Rôle de porte-parole. L’auteur se met au service des autres et s’oublie – ce qui
est noble:
– Voltaire défend Calas dans son Traité sur la tolérance.
– Hugo dénonce le sort misérable des enfants dans les usines dans Mélancholia.
– Sartre prend position pour les appelés qui ne veulent pas aller se battre en
Algérie.
C. L’art pour le progrès fait avancer la société
La littérature est un contre-pouvoir nécessaire à toute forme d’absolutisme.Elle
mobilise le lecteur en éveillant son esprit critique:
– Rôle moteur des philosophes des Lumières. Dans quelle mesure ont-ils
préparé la Révolution française ?
48
Acte III, scène 16
– Humanisme de la Renaissance :fin de certains obscurantismes et superstitions.
Redécouverte de l’homme et de sa capacité à penser par lui-même chez
Montaigne.
– Mouvement baroque au XVIIe siècle : Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné sont
une œuvre de combat qui défend les protestants persécutés.
2. « L’art pour l’art » a, de tout temps, produit des chefs-d’œuvre
A. La littérature d’idées peut être sujette à caution
Le progrès se démode parfois. Les développements de Proust sur « la race
juive » ou « la race homosexuelle », inspirés de thèses scientifiques très en vogue,
résonnent désagréablement aux oreilles d’un lecteur du XXIe siècle.
B. Le rôle premier de la littérature est de nous divertir
Le plaisir est une notion-reine:
– Beaumarchais est resté célèbre parce que ses comédies sont brillantes et légères,
et qu’il a une parfaite maîtrise de la dramaturgie : déguisements, surprises,
quiproquos...
– Alexandre Dumas est l’un des auteurs français les plus lus à l’étranger. Sa littérature de «roman-feuilleton» a perduré.
C. Cette littérature nous émeut également
Elle fait appel à nos sentiments et non à notre raison,d’abord parce que l’œuvre
d’art est source de plaisir esthétique:
– Le romantisme, mouvement majeur au XIXe siècle, est au départ l’expression
des sentiments d’un individu,face à l’amour,au temps…Voir Le Lac de Lamartine.
– L’amour est le thème universellement dominant en littérature,depuis les adieux
d’Hector à Andromaque jusqu’à Belle du Seigneur d’Albert Cohen.
– Quel est le poème le plus connu deVictor Hugo ? Demain,dès l’aube… C’est
un poème autobiographique dans lequel il évoque sa douleur face à la mort
de sa fille, Léopoldine.
3. L’art pour le progrès nécessite une forme littéraire séduisante
A. L’ennui est proscrit
On ne peut pas faire passer ses idées en ennuyant le lecteur – ce qu’ont compris les philosophes des Lumières,Voltaire en tête.Toute son œuvre est un grand
jeu sur la forme littéraire : traités,contes philosophiques,articles de dictionnaire,
49
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
lettres… Tout est bon pour capter l’attention du lecteur.Quoi de plus divertissant qu’un conte, même s’il traite de sujets sérieux ? Voir à ce sujet Candide et
Micromégas.
B. Une œuvre d’art transmet toujours une certaine vision du monde
• L’impartialité en littérature est quasiment impossible. Flaubert, du courant
réaliste, décrit avec le moins de romanesque possible la vie d’une jeune femme
en province dans Madame Bovary.Ce faisant,il attaque toute forme de sentimentalisme en littérature qui peut empoisonner une existence et la condamner à
l’éternelle insatisfaction.
• Louise Labé écrit des poèmes d’amour au XVIe siècle : elle se pose ainsi
comme sujet pensant qui affirme son désir. C’est déjà une sorte de féminisme
avant l’heure.
C. L’émotion est source de réflexion
Pour amener le lecteur à réfléchir,l’auteur s’adresse bien souvent à ses émotions en
premier lieu. C’est le cas chez Victor Hugo. Dans Le Dernier Jour d’un condamné,
il nous persuade que la peine de mort est un procédé barbare par des moyens
purement littéraires, donc artistiques. Il utilise de nombreuses figures de style,
des répétitions,un vocabulaire fortement connoté et joue avec le rythme de ses
phrases comme s’il écrivait un poème. Son argumentation nous persuade plus
qu’elle ne nous convainc, puisqu’elle tente de nous séduire de manière esthétique. Il ne s’appuie pas sur des faits logiques, mais convoque le pathétique.
Écriture d’invention
L’élève doit écrire un véritable dialogue de théâtre entre le Comte et Suzanne.
Suzanne peut argumenter de la façon suivante :
– Le Comte tente de profiter de la supériorité de son rang social pour parvenir à ses fins, par l’argent. Ce procédé est condamnable.
– Ce faisant,il la considère comme un objet que l’on peut acquérir et qui n’aurait pas de volonté, et lui manque de respect.
– Suzanne n’est pas qu’une simple enveloppe charnelle, elle a des sentiments
et est déjà amoureuse d’un autre.
– Le Comte n’a également aucun respect pour sa propre femme et fait preuve
de malhonnêteté en la trompant.
50
A c t e V, s c è n e 3
A c t e V, s c è n e 3 ( p p . 2 4 6 à 2 5 0 )
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 251 À 254)
a Figaro vient d’apprendre que Suzanne a donné un rendez-vous galant au
Comte sous les grands marronniers, le soir même, en secret. Il est persuadé
que sa fiancée a décidé de le tromper. Il a donc résolu de les surprendre lors de
leur rendez-vous, mais en compagnie de plusieurs autres personnes, pour que
la trahison soit rendue publique. Dans la scène précédente, Figaro a convoqué
Bazile,Antonio, Bartholo, Brid’oison, Gripe-Soleil, et une foule de valets et de
travailleurs, qu’il appellera quand Suzanne et le Comte se livreront à l’adultère.
Le valet reste alors seul et attend dans l’obscurité.
z Le spectateur – il faut le souligner – n’apprend absolument rien de nou-
veau concernant l’intrigue de la pièce. Figaro exprime uniquement ses états
d’âme face au Comte, à Suzanne, et au monde dans lequel il vit. Il évoque son
passé, mais ne prend aucune décision quant au futur.
e On pourrait penser que cette scène n’a pas un grand intérêt dramatique. Le
lecteur est renseigné sur le passé du héros:c’est pourquoi cette scène s’apparente
à une scène d’exposition du début de l’intrigue.Or cela est surprenant puisque
nous sommes dans le dernier acte de la comédie. Beaumarchais a donc voulu
donner un sens particulier à ce monologue.Peut-être ne concerne-t-il pas vraiment Figaro,du passé duquel nous n’avons pas besoin d’apprendre de nouveaux
éléments? Ce passage est le prétexte à une réflexion beaucoup plus générale.
r Ce monologue est formellement très intéressant : on peut noter l’abondance
de phrases exclamatives et interrogatives, ainsi que les nombreux points de
suspension (« Puis l’illusion s’est détruite et, trop désabusé… Désabusé !… », l. 156).
Le temps principal est le présent – ce qui peut sembler étonnant dans la mesure
où le valet raconte son passé (« Je reprends ma trousse et mon cuir anglais », l. 132).
Les phrases ont des longueurs variables : elles sont tantôt très longues, tantôt
courtes (« Intrigue, orage à ce sujet », l. 138).
Elles sont également construites de manière précise, et l’on peut noter des
effets de symétrie ou de répétition, notamment dans la fin du passage :
« ambitieux par vanité,laborieux par nécessité,mais paresseux… avec délices ! » (l.153).
51
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Les didascalies marquent les mouvements de Figaro, qui s’assoit et se lève
alternativement d’un banc, tout en s’échauffant de plus en plus.
t Le texte traduit en fait l’intense émotion du héros.Il parle de son « ton le plus
sombre » (p. 246), se montre très agité – ce que traduisent les irrégularités de
longueur des phrases – et médite beaucoup sur ce qu’il est en train de dire,
comme en témoignent les points de suspension. Il est en proie aux affres de la
jalousie et de la désillusion.
Beaumarchais est très habile dans ce passage, puisqu’il arrive à rendre attrayant
un texte qui n’a pas grand rapport avec l’action et qui brise le rythme de la
pièce.Ce monologue est très vif,grâce à la ponctuation,au présent de narration
qui rend plus vivant le récit, et aux mouvements de Figaro. Il faut également
noter que le valet reprend à son compte la scène de reconnaissance de l’acte III
sur un mode très vif :« On se débat,c’est vous,c’est lui,c’est moi » (l.140).En outre,
c’est un morceau de rhétorique, témoins les nombreux effets de symétrie.
L’éloquence du passage doit plaire au spectateur et au lecteur.
y Le début du passage concerne Suzanne et sa prétendue tromperie à l’égard
de son futur mari : « Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !… »
La fin du monologue concerne encore Suzanne,et de façon plus explicite,puisqu’il s’adresse clairement à elle :« Suzon,Suzon,Suzon ! que tu me donnes de tourments !… » Nous pouvons remarquer, outre la similitude formelle de ces deux
passages, que Figaro revient à sa préoccupation première, après une longue
digression.
u Ce monologue a une structure cyclique, puisque à la fin correspond le début. Figaro semble toujours aussi déçu et inquiet quant à ses amours. Il n’a pris
aucune résolution nouvelle – ce qui explique que l’intérêt purement dramatique du passage soit limité.Il ne s’est pas non plus posé de véritable problème ;
il n’a donc cherché aucune solution.
i Figaro est un homme du peuple. Pour subsister et se hisser sur l’échelle sociale, il ne peut compter que sur ses qualités personnelles, déployer « science » et
« calculs ». Le valet est absolument propre à toutes sortes de métiers différents,
qu’ils demandent des talents littéraires ou scientifiques.Son audace est étonnante
et elle est justifiée par une aspiration à la liberté de penser et d’écrire – ce qui
52
A c t e V, s c è n e 3
lui crée des ennuis. Cet homme si habile est paradoxalement beaucoup plus
honnête que la société dans laquelle il vit,remplie de gens hypocrites et cupides
(« chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête », l. 128). Seule la
gaieté du personnage le fait subsister dans ce monde désespérant.
o Les qualités d’un héros de tragédie classique sont extrêmement différentes.
L’élève peut prendre en exemple Rodrigue du Cid ou Hippolyte dans Phèdre.
Ces héros se distinguent par leur bonne naissance (ils sont grand d’Espagne ou
fils de roi) et leurs exploits guerriers. C’est ce que l’on résume sous le terme
de « générosité », du latin genus (« la race »). La générosité est la bonne naissance,
mais aussi la capacité à se montrer généreux dans la bataille, à verser son sang
noble.Bien sûr,ces qualités ne sont pas du tout celles de Figaro,qui présente un
courage essentiellement moral. Ce sont deux époques qui s’affrontent : le valet
est un homme du XVIIIe siècle, un esprit des Lumières, tout en restant l’héritier
des valets de comédie traditionnels, pleins de ressources. En revanche, les héros
des tragédies françaises du XVIIe siècle présentent les mêmes qualités que les
héros de tragédie antique.
q Deux œuvres peuvent être principalement citées : Zadig de Voltaire et les
Lettres persanes de Montesquieu. Les philosophes des Lumières apprécient particulièrement ce cadre spatio-temporel,puisque,outre l’exotisme,il leur permet
de critiquer implicitement la société dans laquelle ils vivent.
s Figaro s’en prend d’abord à Suzanne et au Comte. Puis il se remémore tous
ceux qui lui ont nui : les « princes mahométans » et leurs envoyés, les officiers de
justice, les « puissants de quatre jours » qui le jetèrent en prison, et les « personnes
dites comme il faut ». On peut constater que la critique devient de plus en plus
large et ne touche plus seulement la vie intime du protagoniste.
d Cette critique devient de plus en plus audacieuse parce qu’elle s’attaque pro-
gressivement aux plus puissants.L’attaque d’Almaviva est un cas particulier,mais
la critique est virulente,comme en témoigne la célébrité de ces phrases :« Parce
que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie! […] » (l. 63). Les
princes sont au début étrangers, puis la critique du pouvoir en France est faite
de manière voilée. Qui sont ces « puissants de quatre jours » et ces « personnes
dites comme il faut » ? Ceux qui ont sûrement les moyens d’envoyer Beaumarchais
en prison, comme le fera Louis XVI par la suite. En outre, l’auteur satirise la
53
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
censure qui empêche de parler librement de tous ceux qui ont du pouvoir,bien
plus qu’il ne satirise ces derniers.
f Figaro fut tour à tour,après des études en science,vétérinaire,auteur de théâtre,
journaliste, banquier au jeu, barbier et valet.
g À travers tous ces métiers divers, Figaro a côtoyé tous les états et toutes les
classes sociales. Il a servi les puissants au jeu et les a critiqués comme écrivain.
Il a connu la liberté et la prison, mais, dans tous les cas, la pauvreté. Pour vivre,
il a employé tous les expédients, s’est fait savant ou artiste. C’est pourquoi ce
récit pourrait constituer l’intrigue d’un roman picaresque. D’ailleurs, le terme
picaro est l’une des étymologies possibles du nom de Figaro.
h Dans cette scène, la vie de l’auteur et celle de son personnage se rejoignent.
D’ailleurs, la deuxième étymologie probable du nom de Figaro est celle de fils
Caron, comme on appelait Beaumarchais en sa jeunesse. De même que sa
créature, Beaumarchais a exercé différents métiers, qui ne furent pas forcément
ceux du valet, mais qui y ressemblent en leur tourbillonnement. Il fut « orateur
selon le danger », lorsqu’il s’attaqua, pour se défendre, à Goezmann ou à l’horloger du roi, « poète par délassement » et « musicien par occasion », en tant que maître
de harpe des filles du roi. Comme Figaro, Beaumarchais connut la prison pour
sa trop grande audace et jouit de l’amour « par folles bouffées » (il se maria trois
fois). Cependant, on pourrait presque considérer que la vie de l’auteur fut plus
romanesque que celle de sa créature :il connut la très grande richesse avant d’être
ruiné, puis de faire fortune à nouveau, et fut également agent secret au service
du pouvoir royal.Figaro semble un « gagne-petit » à côté d’un homme qui s’occupa de politique étrangère. Beaumarchais est un véritable aventurier. Il faut à
ce sujet proposer aux élèves de voir le film d’Édouard Molinaro, avec Fabrice
Lucchini dans le rôle-titre.
j Ce passage est à mettre en relation avec les scènes de procès. Les élèves ne
sont pas à même de saisir toutes les allusions s’ils ne connaissent pas un peu la
vie de Beaumarchais, notamment les Mémoires qui satirisent le conseiller
Goezmann, qui l’avait fait condamner suite à son procès contre le comte de
La Blache. Brid’oison se prénomme Gusman, et ce n’est pas un hasard. Figaro
évoque aussi la femme du juge et sa légèreté de mœurs. Ce faisant, il satirise la
femme de Goezmann,qu’il avait soudoyée en vain et qui refusa de le rembourser.
54
A c t e V, s c è n e 3
Double-Main représente le secrétaire de Goezmann, que Beaumarchais avait
également corrompu ; c’est pourquoi il « mange à deux râteliers ». Enfin, le dramaturge comme Figaro, confiant en ses talents oratoires, se défendit seul dans
son procès contre le conseiller.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 255 À 260)
Examen des textes
a Dans ce monologue, le Comte décide d’interroger habilement Figaro pour
savoir s’il est au courant de son désir pour Suzanne.Auparavant, il a exposé son
trouble face à une situation qu’il ne maîtrise pas : la Comtesse et Suzanne se
jouent peut-être de lui, sans qu’il en ait la preuve. On apprend également qu’il
n’est pas amoureux de Suzanne et que sa passion n’est qu’une « fantaisie » de
grand seigneur.
z Y a-t-il une tonalité bien définie dans ce passage ? Celle du monologue de
Figaro est lyrique,presque tragique lorsqu’il s’interroge sur ce qu’il est.Dans ce
passage,le Comte nous livre ses hésitations et ses doutes sur ceux qui l’entourent.
Cela n’est ni franchement comique, ni tragique. On peut en conclure qu’il a
sûrement fonction d’utilité dramatique.
e Chacun de ces deux monologues peut nous sembler artificiel,mais pour des
raisons différentes. D’un côté, le monologue de Figaro est beaucoup trop long
pour être vraisemblable, et l’on n’imagine pas un personnage raconter sa vie si
près du dénouement. Il n’a aucune véritable justification dramatique, puisqu’il
n’a pas de rapport avec l’intrigue.D’un autre côté,le monologue du Comte n’est
guère creusé d’un point de vue psychologique. Il fait part au spectateur de ses
doutes sans remettre en cause ses vues sur Suzanne et l’informe de ses intentions
quant à l’entretien qu’il va avoir avec Figaro. Il est évident que ce monologue
sert à lier les scènes entre elles et à préparer la venue du valet. Sa fonction est
purement dramaturgique.
r Le dilemme est essentiellement exprimé dans les strophes centrales.On peut
relever les constructions symétriques qui mettent les deux alternatives en
parallèle : « venger un père, et perdre une maîtresse », « l’un […] l’autre […] » à
55
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
deux reprises,l’emploi de la conjonction de coordination « ou » qui exprime le
choix. Notons également l’anaphore « faut-il », qui marque les deux possibilités,
les homéotéleutes (homophonies finales entre deux mots) antithétiques
« flamme »/« infâme », « généreuse »/« amoureuse », les oxymores « cher et cruel
espoir » et « aimable tyrannie ».
t La strophe 1 expose la terrible situation de Rodrigue :celui qui a gravement
offensé son père est le propre père de Chimène, la femme qu’il aime.
Les strophes 2 et 3 expriment en termes clairs le dilemme du jeune homme :
soit il venge son père, soit il choisit de ne pas infliger de douleur à sa fiancée.
L’amour et l’honneur s’affrontent.
Dans la strophe 4, il choisit de se faire tuer au combat : « Mourons du moins sans
offenser Chimène. »
Enfin, aux strophes 5 et 6, il change d’avis définitivement et décide de venger
dignement son père. L’exposé du dilemme est terminé, place à sa résolution,
comme l’indiquent les impératifs d’exhortation à l’action («Allons », « Courons »)
et la fin des interrogations.
y Le Cid est une tragi-comédie en alexandrins. Dans ce monologue, la versi-
fication change. Les strophes se répartissent en six dizains, qui comportent
chacun quatre alexandrins,mais aussi des vers de six,huit et dix syllabes.Mais la
similitude entre les strophes ne se limite pas à la longueur des vers. On constate
que certains vers se ressemblent et ont toujours la même place dans la strophe :
« Ô Dieu, l’étrange peine ! », « Fer qui causes ma peine », «Tout redouble ma peine »,
« Qui ne sert qu’à ma peine »,« Ne soyons plus en peine ».Le mot « peine » est à chaque
fois employé dans un contexte différent. Rodrigue se considère comme une
victime, avant de reprendre courage. Notons également que « Chimène » est
toujours le dernier mot de chaque dizain, comme s’il s’agissait d’une rime
constante.
u Les stances sont un poème lyrique,religieux ou élégiaque,formé de strophes
de même structure.
i Ce monologue s’articule autour de deux temps importants :
– Tout d’abord Bérenger se trouve laid face à ce qu’il considère comme la
beauté des rhinocéros. Il tente de leur ressembler, de les imiter, mais il n’y
parvient pas.
56
A c t e V, s c è n e 3
– Puis il y a une rupture qu’indique la didascalie « Il a un brusque sursaut ».Bérenger
décide de se défendre et de rester le dernier homme dans un monde animal.
o Dans la dramaturgie classique,il est rare qu’une pièce se termine sur un monologue. En général, tous les personnages sont réunis sur scène pour assister au
dénouement. Or ici Bérenger parle tout seul. Sa dernière interlocutrice, Daisy,
est partie. D’une façon dramaturgique, l’auteur signale la solitude physique et
morale du personnage.Bérenger n’arrive pas à devenir comme les autres.Après
s’être lamenté pendant un temps, il accepte cette solitude.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Le monologue de Figaro est un chef-d’œuvre du genre. Le valet acquiert une
véritable profondeur psychologique,voire métaphysique,lorsqu’il s’interroge sur
ce qu’il est. Le valet est en prise avec les difficultés de l’existence et nous livre
ses états d’âme.
Il n’en va pas de même avec le monologue d’Almaviva, pourtant du même auteur.Ce dernier affirme quelques-uns de ses doutes,sans que ces derniers soient
réellement matière à interrogation. Le monologue est ici un artifice dramatique évident.
Les stances de Rodrigue nous apprennent surtout ce qu’est un héros de
tragédie. En proie à un terrible dilemme, le jeune homme monologue pour
exprimer ses émotions,mais également prendre une décision.À la fin des stances,
le problème est résolu, l’intrigue continue de progresser. Il faut noter que ce
texte a un véritable intérêt dramatique.
Étrangement, il en va de même avec le texte de Ionesco. Bérenger se rend
compte de ses limites et décide de les accepter. Il prend sa carabine pour
affirmer sa résistance au modèle ambiant.
Commentaire
On pourra utiliser le plan suivant :
1. Un registre lyrique au sein d’un texte tragique
A. Choix des stances
• Six dizains ; les longueurs des vers alternent régulièrement.
57
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
•Vocabulaire qui se répète à chaque strophe : « peine », « Chimène ».
• Structure cyclique : les deux derniers vers de la première et de la dernière
strophes sont presque identiques.
B. Le genre tragique
• Rodrigue est bien né, il doit se montrer généreux (voire supra).
•Victime du sort : vocabulaire de la fatalité et du sort.
• Le sujet est grave : il est question de mourir (le verbe se retrouve cinq fois).
C. Le registre lyrique
• Première personne du singulier.
• Nombreuses phrases exclamatives qui traduisent l’intense émotion.
• Rupture dans la longueur des vers : les plus courts sont au départ des lamentations (« Ô Dieu, l’étrange peine ! »).
• Champ lexical de la douleur morale.
2. Un terrible dilemme
A. Égalité des deux causes dans le cœur de Rodrigue
• Nombreux balancements : « père », « maîtresse », « honneur », « amour »...
• Structure binaire des anaphores : il n’y a que deux possibilités.
• Les mots « père » et « Chimène » se retrouvent souvent dans les mêmes vers
ou dans deux vers qui se suivent : on ne peut pas les dissocier.
B. Un profond antagonisme
• Nombreuses antithèses.
• Oxymores.
3. L’affirmation d’un héroïsme
A. La progression dramatique
• Strophe 1 : exposé de la situation.
• Strophes 2 et 3 : lamentations face au dilemme.
• Strophe 4 : première solution, se faire tuer.
• Strophes 5 et 6 : venger l’honneur de son père.
À aucun moment, il n’est question d’éviter le combat. Le courage physique
du Cid est indéniable.
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B. Une victime qui prend son destin en main
• Lamentations au début, champ lexical de la passivité face au sort.
• Nombreuses interrogations face au dilemme, par la suite : que faire ?
• Rodrigue décide d’agir : impératifs pour l’exhorter au combat et au courage.
S’adresse à son âme, puis à son bras.
C. De nobles intérêts
• Révolte à l’idée de ternir son honneur : exclamations, champs lexicaux de la
contrainte face à son rang et de la gloire.
• Choix de l’honneur qui dépasse ses propres passions et du respect filial. Ce
choix a d’autant plus de prix qu’il est fait dans la douleur.
Dissertation
On peut adopter la démarche dialectique suivante :
1. Le monologue peut captiver le public
A. Par sa fonction informative
On y apprend :
– un fait récent qui s’est déroulé hors scène ;
– le passé d’un personnage ;
– ses sentiments présents.
B. Par sa fonction poétique
• Le monologue est un morceau de rhétorique destiné à nous convaincre (l’injustice sociale pour Figaro à la scène 3 de l’acteV).La longueur est nécessaire en
argumentation :Marceline a ainsi trois amples tirades à l’acte III pour dénoncer
l’injustice faite aux femmes.
• Il nous émeut (Titus et Antiochus, amants respectivement heureux et malheureux de Bérénice chez Racine, sont chacun bien à plaindre).
• Il nous fait rire (monologue initial d’Argan dans Le Malade imaginaire).
C. Par sa fonction dramatique
• Le personnage prend une résolution capitale pour l’intrigue.
• Chez Corneille, il montre la capacité du héros tragique à dépasser sa condition de victime du sort et à agir sur son destin.
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RÉPONSES
AUX QUESTIONS
2. Le monologue peut également le rebuter
A. Parce qu’il est ennuyeux
• Le personnage est seul en scène : il ne se passe rien.
• Il parle trop et finit par ennuyer le spectateur : rares sont les monologues
comiques.
B. Parce qu’il est invraisemblable
• C’est un lien artificiel entre les scènes, qui prépare l’entrée et la sortie des
personnages.
• Il y a peu de vraisemblance à ce qu’un personnage parle tout seul, au risque
de passer pour un fou.Dès le XVIIe siècle,les théoriciens condamnent l’usage excessif du monologue et ne le tolère que si le personnage est en proie à de violentes
passions.
3. Le monologue n’est-il pas une pause nécessaire dans la mécanique
dramatique ?
Il ne faut pas perdre de vue qu’une pièce est avant tout une œuvre littéraire.Le
monologue permet de franchir la barrière entre les genres.
A. Le théâtre se rapproche ainsi de la poésie…
• Le monologue crée une émotion que ne permet pas toujours la conduite
d’une intrigue.
• C’est aussi un jeu sur la langue : les mots cessent d’être de simples outils de
communication, puisque le personnage est seul en scène.
B. ... et du roman
Le narrateur, essentiel au roman, est absent au théâtre. On ne sait des personnages que ce qu’ils veulent bien nous dire. C’est pourquoi ils se réduisent souvent à des emplois.Le monologue leur confère une épaisseur psychologique et
les rend attachants, comme Arnolphe dans L’École des femmes malgré ses
travers.
C. Il peut ainsi atteindre une véritable profondeur de pensée
Celle de l’essai, qu’il soit philosophique ou polémique. C’est le monologue qui
déclenche notre réflexion,témoins ceux de Figaro,le « Hamlet comique »,et Bérenger.
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Écriture d’invention
• On attend de l’élève qu’il respecte la situation d’énonciation et ne fasse
parler que la Comtesse.
• Deux sujets doivent être traités :l’infidélité du Comte et l’amour de Chérubin.
Pas question de n’en développer qu’un seul.
• Ce monologue prend place à la fin de l’acte II,il doit donc respecter l’intrigue
et ne pas être anachronique. En aucun cas la Comtesse ne doit faire allusion à
des événements qui ne sont pas encore arrivés.
• Les didascalies (obligatoires) marquent les mouvements de la Comtesse et le
ton avec lequel elle prononce ses paroles.
• On attend donc tout ce qui peut trahir l’émotion : les phrases exclamatives,
le champ lexical du trouble et de la douleur.
• La Comtesse peut éventuellement prendre quelques résolutions dans la
conduite à tenir : par exemple, décider qu’il faut être ferme avec Chérubin.
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BIBLIOGRAPHIE
C O M P L É M E N TA I R E
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septembre 1984.
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