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Par Alexandre Vandevorst | Photos DR
– Because the light
Les directeurs de la photo sont-ils des auteurs à part entière ? Comme
ils sont tous deux oscarisés, et que leurs deux noms occupent le devant
de la scène, Roger Deakins (Ave, César!) et Emmanuel Lubezki
(The Revenant) étaient les mieux placés pour éclairer nos lanternes.
À
notre gauche, l’Anglais Roger
Deakins, que tout le monde
connaît intimement. Mais
si… 80% de la filmo des frères
Coen (le Midwest frigorifié de Fargo, le L.A.
bigarré du Big Lebowski, le southern gothic
de No Country for Old Men…), c’est lui.
Les nuits profondes du Village, les grands
espaces enluminés de L’Assassinat de Jesse
James, c’est encore lui. Et c’est à nouveau lui
dans Ave, César!, dont l’imagerie s’inspire
du film noir classique – l’histoire se passe au
coeur des studios hollywoodiens des 50’s.
Cette élégance à la fois sobre et percutante a
si bien infusé les esprits que, lorsque Sicario
fut montré à Cannes, même les sceptiques
louaient sa photographie en évoquant un
« style Deakins ». À notre droite, Emmanuel
Lubezki est sans doute le seul autre chef op à
qui on reconnait actuellement un apport stylistique aussi fort. Il faut dire qu’il s’agit du
magicien en charge des errances acrobatiques
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Ave, César!
Sortie le
17 février.
de la caméra dans les trois derniers films de
Terrence Malick (Tree of Life, À la merveille
et Knight of Cups), mais aussi dans ceux des
compadres mexicains (Les Fils de l’homme et
Gravity de Cuarón, Birdman et aujourd’hui
The Revenant d’Iñárritu). Ce qui rapproche
Emmanuel et Roger ? À peu près rien, sinon
qu’ils sont parmi les seuls techniciens dont
les noms évoquent ceux d’auteurs à part
entière. Mais est-il bien raisonnable de les
regarder comme des créateurs ? Doivent-ils
leur renommée aux prouesses des cinéastes
avec lesquels ils travaillent, ou bien ont-ils
vraiment un style propre ? On a organisé un
conf call entre Paris, Mexico et Los Angeles
pour obtenir des réponses.
spectateur à son insu, il est donc normal que,
au début de votre carrière, vous ne soyez pas
identifié. Et puis, quand les gens prononcent
mon nom ils pensent en fait à l’imagerie Coen
Bros. Ils ne sauraient pas vraiment définir
mon travail… Et c’est parfaitement normal !
— EMMANUEL LUBEZKI : Il y a certaines époques où
la performance du chef op se remarque parce
que sa technique fétiche est à la mode. C’est
souvent lié au fait qu’une barrière vient d’être
renversée : aujourd’hui, les plans-séquences
et les travellings hallucinés qu’on voit dans
The Revenant sont devenus légion grâce au
digital qui les facilite. On fait appel à moi pour
les opérer, donc je suis devenu malgré moi l’un
des ambassadeurs de cette technique.
On a l’impression que les chefs ops
prennent du gallon : récemment, Vilmos
Zsigmond a été pleuré sur les réseaux
sociaux et la critique vante autant votre
travail que celui des cinéastes pour qui
vous tournez…
— ROGER DEAKINS : En fait, l’explication est
simple : j’occupe le terrain depuis un moment,
alors le public finit peut-être par se demander
qui est ce type qui s’occupe d’accrocher des
projecteurs sur les tournages des Coen !
Le rendu visuel d’un film doit frapper le
L’avènement du numérique, justement,
a-t-il mis en valeur votre travail ?
— RD : C’est possible, mais par contraste : comme
les Coen ont insisté pour continuer de tourner
en pellicule, malgré mes propositions de passer aux caméras digitales Alexa, je fais partie
des irréductibles ayant récemment travaillé
en 35 mm. Forcément, ça se remarque davantage. D’autant que les factures des blockbusters d’aventure se ressemblent désespérément.
Mais bon, ne me branchez pas là-dessus, j’en ai
pour des heures ! (rires)
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34 –
Le grand papier
[Les chefs opérateurs ont-ils pris le pouvoir ?]
The Revenant
Sortie le
24 février.
— EL : Le numérique a soulevé un débat autour
des décors, qu’on trouve tout à coup trop
lisses, trop propres. C’est pareil pour les travellings, qui semblent à certains trop fluides
pour être naturels. Je fais partie des chefs ops
qui sont passés au digital en essayant d’anoblir ce format, de prouver que certains à priori
sont injustes.
Qu’est-ce qui dérange certains cinéphiles,
d’après vous, dans cette technique ?
— EL : Par exemple, sur The Revenant, on me
demande beaucoup si le fait de tourner en
haute def ne gâche pas le côté brut, rustique, du
western d’Iñárritu. Mais en fait, c’est plutôt la
pellicule qui « nettoie » les visages : les actrices
sont toujours rassurées en 35 mm, parce qu’on
ne voit pas les imperfections de leur peau, alors
que le numérique laisse tout passer… C’était
donc le format parfait pour The Revenant ! Il
fallait justement jouer la carte de l’immersion,
avoir le nez dans les plaies, le sang, la boue étalée sur le visage de Leonardo.
— RD : Personnellement, je n’ai aucun problème
avec le côté moins « brut » du numérique. Il
rend les travellings très fluides, et alors ? Les
plans-séquences de John Cassavetes ou même
de Sokourov n’étaient pas plus impressionnants parce qu’ils étaient réalisés en pellicule.
À la rigueur, ils nous marquaient davantage
parce qu’ils étaient plus complexes à réaliser.
Comment interprétez-vous les choix
des réalisateurs qui exhument les
formats old school, comme Tarantino
avec ses Huit Salopards en 70 mm ?
— EL : Je me pose encore la question ! Pourquoi
tourner en Ultra Panavision, qui donne des
images extrêmement larges, alors que tout le film
se joue en intérieur ? C’est peut-être lié au fait que
le 70 mm laisse filtrer un maximum de lumière.
Ce qui fait ressembler la mansarde à une scène
de théâtre éclairée par des projecteurs tout en
garantissant un cachet très hollywoodien.
— RD : Ce n’est pas forcément le cas de Tarantino,
mais il y a parfois chez les cinéastes, surtout
jeunes, une nostalgie un peu chic et pas vraiment
justifiée pour certaines imageries du passé…
Vous dites que la photographie d’un film
est faite pour toucher le public sans qu’il
en ait conscience : ça veut dire que le
chef op ne doit pas se mettre en avant ni
se permettre d’avoir un style ?
Pensez-vous qu’il existe des « films
de chef op », dont l’exploit technique
est si impressionnant qu’il détermine
l’identité du projet ?
— RD : Je comprends qu’on parle de « films de
chef op » à l’heure de Gravity, Birdman, et
autres films éclairés par Emmanuel, parce
que leur performance technique est remarquable. Mais ce ne serait pas avoir beaucoup
d’égards pour le monteur, par exemple, qui a
donné toute leur magie aux plans-séquences
en rendant les raccords invisibles. S’il existe
un « film de chef op », il faudrait aussi inventer
des étiquettes pour toutes les petites mains
qui le fabriquent…
— EL : J’espère qu’on ne définit pas en ces
termes les films que j’éclaire ! Comme je vous
le disais, mon travail c’est de m’effacer. Et puis,
si mes plans-séquences ont quelque chose
d’héroïque, c’est parce qu’un réalisateur leur
donne du sens, que des acteurs y mettent de
l’émotion. Mon seul souci, à moi, c’est d’offrir
une texture visuelle à chaque faciès, là où tant
d’autres films hollywoodiens se contentent de
plonger tous les acteurs dans le même bain
de lumière standardisée, comme s’ils confectionnaient du guacamole. Le travail du chef
op n’est pas d’avoir une vision d’auteur : c’est
de lutter contre l’uniformisation des images.
©2015 GRAVIER PRODUCTIONS,INC.
— RD : D’abord, un chef op ne réfléchit pas comme
un créateur. Vous laissez parler une sensibilité,
sans théoriser ni prévoir autre chose que le
résultat demandé par le réalisateur – du moins,
je raisonne ainsi. Après, si on doit considérer
que les directeurs de la photo exercent un art à
part entière, alors je le comparerais à celui des
photo-reporters, qui composent leurs images
sur un camp de guerre ou dans des conditions
extrêmes : prenez Sebastião Salgado, il a une
manière géniale de façonner son image tout en
s’adaptant aux contraintes extérieures, à une
réalité qu’il ne maîtrise pas. J’essaie d’en faire
autant sur les tournages.
— EL : Si l’on me dit que j’ai un style, alors je
considère que j’ai failli à ma mission. Mon travail est de m’ajuster à la vision des cinéastes,
de faire oublier la technicité au profit de ce
qu’ils expriment. OK, de nombreux plans de
The Revenant peuvent évoquer ce que j’ai
shooté pour les films de Terrence Malick.
Mais s’il y a un peu de Terry dans le film, ce
qui est sans doute vrai, eh bien c’est le choix
d’Alejandro Iñárritu, surtout pas le mien.
et
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ROGER DEAKINS
DEAKINS / LUBEZKI :
1
« L'Assassinant de Jesse
James par le lâche
Robert Ford »
Chez les Coen, il s'était illustré
surtout dans les intérieurs baroques
(Barton Fink) et les étendues
neigeuses (Fargo), et voilà qu'il
signe pour Andrew Dominik un petit monument tout en teintes
western et en prairies claires-obscures, dont il offrira une version plus
solaire et aride dans No Country for Old Men.
2
« Sicario »
On se frotte les yeux,
mais oui, c'est bien du
numérique qu'a employé Roger
pour shooter le Suarez dantesque
de Sicario. Une facture qui met
à jour les vieux actioners et leurs textures épaisses, abimées par le
soleil, la poussière et les flopées de sang bileux.
3
EMMANUEL LUBEZKI
les highlights
« Skyfall »
Si, tout à coup, Sam Mendes
devient un styliste époustouflant
avec Skyfall, c'est en grande partie grâce à
son chef op qui habille l'univers de 007 d'un
élégant voile numérique, et d'une sublime
patine gothique lorsque Bond retrouve le château de son enfance.
1
« Tree of Life »
Pour sa capacité à jouer
avec les lumières de l'aube
et du crépuscule, les extérieurs
en lumière naturelle qui visent
la monumentalité totale et
renvoient fatalement à son travail
sur The Revenant.
2
« Gravity »
Avec Cuarón,
il avait déjà
matérialisé l'apocalypse
mouvante, génialement
bricolée en plans
séquences 35mm, des Fils de l'homme. Gravity est l'aboutissement
de leur collaboration hi-tech : un corps à corps avec l'immensité, une
expérience à (sur)vivre en temps réel et les pieds dans le vide.
3
« Ali »
Ce n'est pas son projet le plus
époustouflant visuellement,
mais c'est une étape charnière quand
même, puisqu'Emmanuel y prouve
son aptitude à jongler de l'argentique
au numérique, à nous faire voler comme un papillon et à nous piquer
comme une abeille.
“Brillant, cynique, intelligent” “Un cru savoureux”
TÉLÉRAMA
METRONEWS
“Joaquin Phoenix est sensationnel”
PREMIERE
“Emma Stone est lumineuse”
LE MONDE
WOODY ALLEN
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