Master Pro. Droit de la protection sociale
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Master Pro. Droit de la protection sociale
16 DROIT DE LA PROTECTION SOCIALE RÉSUMÉ Assez tardif, l’interventionnisme de l’État dans le domaine de la protection sociale date de la fin du XIXe siècle ; il s’est poursuivi par la création des assurances sociales en 1928, puis par la mise en place des allocations familiales en 1932 ; le système actuel de sécurité sociale est né à la libération : à la croisée de différents mécanismes juridiques – l’assistance, la responsabilité civile, la prévoyance regroupant l’assurance et la mutualité –, notre système de sécurité sociale s’est peu à peu affirmé comme une technique de redistribution des revenus. Section 1 Notions et distinctions Avant de présenter les objectifs de la sécurité sociale (§ 2) et ses évolutions récentes (§ 3), il est nécessaire de s’entendre sur la définition des concepts que véhicule cette matière (§ 1). §1. Généralités : définitions 1. La sécurité sociale, qui est une organisation chargée d’assurer une protection sociale (A), permet de se prémunir contre une série de risques sociaux (B) ; à la croisée de différents mécanismes juridiques – l’assistance (C), la responsabilité civile (D), la prévoyance (E) regroupant l’assurance (F) et la mutualité (G) –, notre système de sécurité s’est peu à peu affirmé comme une technique de redistribution des revenus (H). A. La sécurité sociale comme mode de protection sociale 2. Doué d’une réelle puissance d’évocation1, le terme « sécurité sociale » est d’une utilisation récente et étrangère ; apparu aux États-Unis en 1935 pour la première fois dans la loi de sécurité sociale (Social Sécurity Act du 14 août 1935), il a progressivement remplacé la locution plus ancienne « d’assurances sociales » que l’on utilisait pour désigner les régimes qui s’étaient développés dans certaines professions en vue de compenser les frais résultant de la survenance d’un risque social. Quant au terme de « protection sociale », il est d’une utilisation encore plus récente. Son apparition s’explique par les limites des régimes de sécurité sociale, qui, à eux-seuls, ne peuvent pourvoir aux objectifs de protection contre les risques sociaux. Leurs actions ont donc été complétées par celles d’organismes de droit privé ou public, qui se sont développés à l’extérieur du système de sécurité sociale, tels que des mutuelles, des organismes d’assurances, des organismes de 1. V. P. DURAND, La politique contemporaine de sécurité sociale, préface de X. Pretot, Dalloz, 2005 (1re édition en 1953), p. 13. INTRODUCTION 17 prévoyance complémentaire, des organismes d’assurance chômage, des employeurs, des collectivités territoriales, l’État lui-même... Dans le Vocabulaire juridique de l’Association Capitant, la protection sociale est définie comme une notion englobant notamment la sécurité sociale ; elle correspond à un « ensemble de mesures par lesquelles la société entend protéger les individus contre les risques sociaux », alors que la sécurité sociale désigne « l’institution ou les institutions qui ont pour fonction de protéger les individus des conséquences de divers événements généralement qualifiés de risques sociaux ». Otto Kaufman donne de la sécurité sociale une définition très proche : elle consiste en un ensemble de mesures à caractère obligatoire destinées à garantir les individus contre les conséquences financières de certains risques sociaux2. Quant à la Déclaration de Philadelphie, elle la définit par ses objectifs : la sécurité sociale consiste en « la réalisation de certains buts visés, comme la garantie des soins médicaux, la garantie d’un revenu de remplacement, lorsque, après la réalisation d’un risque social, le salaire n’est plus maintenu par l’employeur ». Un point commun réunit protection sociale et sécurité sociale : toutes les deux ont pour objet de protéger contre le risque social ; c’est donc ce terme qu’il faut maintenant chercher à définir, sinon à cerner. B. Liste limitative des risques sociaux 3. La notion de risque social appartient d’abord au domaine des sciences économiques, qui en livrent une définition très large : il s’agit de tout « événement qui menace la situation d’un individu ou d’un ménage et dont le coût correspond aux dépenses de protection sociale engagées pour s’en prémunir ou obtenir une indemnisation »3. En partant de cette définition, on observe immédiatement une distinction entre les risques qui entraînent une diminution des revenus professionnels (en raison d’une incapacité temporaire ou permanente de travail) des risques qui entraînent une augmentation des dépenses (en raison, par exemple, de frais de charge de famille, à la suite de la naissance d’un enfant, ou de frais de santé) ; avec cette définition intéressant la discipline économique, la liste des risques sociaux pourrait s’allonger indéfiniment. On remarque aussi immédiatement que cette notion de risque social ne concerne pas seulement des événements malheureux, à l’inverse du « sinistre » que couvre le droit des assurances. 4. Du point de vue juridique, on s’en tient à une liste limitative de risques, ceux que prennent en compte les différents systèmes nationaux de sécurité sociale ; c’est la convention nº 102 de l’OIT, adoptée en 1952, qui donne la liste des neuf risques sociaux que tout système de sécurité sociale a vocation à compenser : maladie (soins médicaux – prestations en nature – et indemnités journalières – prestations en espèces), chômage, vieillesse (pension de retraite), accidents du 2. 3. Otto Kaufman, « La notion de sécurité sociale au niveau international et communautaire », DSC, 22/06/04. Définition rapportée par J.-P. Chauchard, Droit de la sécurité sociale, LGDJ, 2005, 4e éd., nº 9. 18 DROIT DE LA PROTECTION SOCIALE travail et maladies professionnelles, prestations familiales, maternité, invalidité, décès (prestations aux survivants), veuvage. Pour se protéger contre ces risques, les États peuvent avoir recours à différents mécanismes juridiques. Pour aller plus loin Sur la notion juridique de risque, voir : Chauchard (J.-P.), « De la définition du risque social », TPS 2000, nº 6, chron. 10, p. 4. Kessler (F.), « Qu’est-ce qu’un risque social ? » in Encyclopédie de la protection sociale, Quelle refondation ? (sous la dir. F. Charpentier), Economica, 2000. Riot (C.), « Le risque social face aux lois du marché », Gaz. Pal. 2005, nº spécial Protection sociale, nº 180-181, p. 3 ; Le risque social, Thèse publiée par l’Université Montpellier I, 2005. C. Le mode de protection sociale le plus ancien : l’assistance 5. Le plus ancien des modes de protection est sans doute celui de l’assistance, qui trouve de nos jours sa traduction dans ce que l’on appelle l’aide sociale ; celle-ci se définit, selon le Vocabulaire juridique Capitant, comme un « système de protection sociale à base de solidarité qui tend principalement, par l’octroi de prestations diverses, à permettre aux personnes démunies de ressources suffisantes de subsister, mais peut également viser à la réadaptation ou au reclassement de ses bénéficiaires et présente, en tant que secours de la collectivité publique, un caractère subsidiaire par rapport à toute autre forme de protection individuelle ou sociale »4. Pour aller plus loin Sur la nature des droits sociaux, voir : Borgetto (M.), La notion de fraternité en droit public, Bibl. de droit public, LGDJ, 1993 ; « L’accès aux droits sociaux : quelle effectivité ? », in Droit et pauvreté, ONPES, DREES-MIRe, 2007. Damon (J.), « La prise en charge des vagabonds, des mendiants et des clochards : une histoire en mouvement », RDSS 2007, p. 933. Roman (D.), « Les droits sociaux : des droits à part entière ? Éléments pour une réflexion sur la nature et la justiciabilité des droits sociaux », in Droit et pauvreté, ONPES, DREES-MIRe, 2007. Saint-Jours (Y.), « Prestations familiales : droit de l’enfant ou dispositif d’assistance », Dr. ouvrier 1997, p. 363. Sedivy (G.), « À propos de la distinction entre prestation de sécurité sociale et prestation d’assistance », Dr. soc. 1980, p. 562. 4. V. aussi la définition qu’en donnent B. Kahil-Wolff et P.-Y. Greber, Sécurité sociale : aspects de droit national, international et européen, coll. Bruylant, LGDJ, 2006, p. 11 : l’assistance sociale a pour but de « combattre la misère ou la pauvreté, au moyen de prestations en espèces, en nature ou en services ». INTRODUCTION 19 Aujourd’hui subsidiaire (c’est-à-dire lorsque tout autre mode de protection fait défaut) et prise en charge par la collectivité publique, l’assistance a longtemps été un mode prépondérant de protection sociale ; elle était l’affaire de religieux (qui tenaient les hôtels-Dieu), de confréries, de corporations5, de particuliers philanthropes ou d’organismes privés dont les membres obéissaient à un sentiment de charité. D’origine judéo-chrétienne, ce sentiment répond aujourd’hui, dans notre système laïc, à l’exigence morale de générosité et de bienfaisance ; en témoigne l’existence, au XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle, de « bureaux de bienfaisance », devenus ultérieurement des bureaux d’aide sociale. C’est également sur cette même période que la France organisa un réseau développé d’assistance publique, avec l’idée de servir non pas l’ensemble de la population, mais ceux qui souffraient d’une vulnérabilité particulière : l’assistance a été organisée en faveur des aliénés (loi du 30 juin 1838), des enfants assistés (loi du 27 juin 1904), des vieillards, infirmes et incurables (loi du 14 juillet 1905), des tuberculeux (loi du 7 septembre 1919), des femmes en couches (loi du 17 juin 1913 ; loi du 24 octobre 1919 ; lois des 2 et 18 septembre 1941) et de la famille (décret-loi du 29 juillet 1939 ; ord. 2 et 13 août 1945 ; lois des 10 et 22 août 1946) ; l’assistance médicale gratuite avait été mise en place au profit des indigents par une loi du 15 juillet 1893. Pour aller plus loin C. Riot, Le risque social, coll. Thèses, Université Montpellier 1, p. 68 : « Dans la mesure où aucune organisation de la protection sociale ne s’impose spécialement, l’Église s’est trouvée, de facto, responsable, en plus de l’enseignement spirituel et du salut des âmes, de la société civile. Le clergé a privilégié deux missions : l’éducation, la santé. Devant l’absence d’organisation structurée en position de couvrir les risques inhérents à l’homme, les sociétés de vie religieuse, les congrégations apostoliques (ouvertes sur le monde), ainsi que d’autres congrégations religieuses sont venues en aide aux indigents. La misère qui est une constante historique, a été traitée par le recours à la charité. Cette vocation médicale et éducative prend tout son sens à la lumière des institutions, souvent dénommées « Maisons » ou « Hôtel-Dieu », chargées d’accueillir les pauvres (...). Les hôpitaux sont d’ailleurs apparus, en France, à la fin du Moyen-Âge sous la gouverne de l’Église, les lieux étant destinés aux indigents. C’est ainsi que Saint-Vincent de Paul créa, au XVIIe siècle, l’Ordre des Petites Sœurs de la Charité, qui avait pour principale vocation de venir en aide aux enfants abandonnés. Celui-ci soutient l’idée, insolite pour l’époque, que la charité ne doit pas seulement assurer une subsistance aux individus, mais aussi contribuer à leur développement. Par-delà la charité, il préconise, lors des visites aux pauvres, l’éducation (...). 5. V. P. Durand, op. cit., p. 43 : « Dans l’ancienne France, les corporations se sentaient tenues d’un devoir de charité envers leurs membres. Elles secouraient les malades et les chômeurs, subvenaient aux frais des sépultures, aidaient les veuves et les orphelins » ; C. Riot, Le risque social, coll. Thèses, Université Montpellier 1, p. 87 : « Les premières formes d’entraides collectives ont concerné le monde professionnel. Cette communauté organisée de métiers, dont l’origine remonte aux confréries, réunit les travailleurs exerçant une activité industrielle et commerciale régie par des principes chrétiens ».