Haut Conseil de la Coopération Internationale

Transcription

Haut Conseil de la Coopération Internationale
PREMIER MINISTRE
--Haut Conseil
de la Coopération Internationale
----
République française
Le 26 novembre 2001
“LA MISE EN ŒUVRE DE L’ACCORD DE COTONOU ENTRE L’UNION EUROPEENNE ET LES
PAYS ACP”
Avis du Haut Conseil de la coopération Internationale
Adopté en assemblée plénière le 26 novembre 2001
L’accord de Cotonou entre l’Union européenne et les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique a
été signé le 23 juin 2000. Il est en cours de ratification par les Etats. Cet accord prend la suite des
conventions de Lomé, dont la dernière a expiré en février 2000. Il fixe le cadre de coopération entre
les Etats signataires pour une période de vingt ans, le protocole financier qui l’accompagne étant de
son côté renégocié tous les cinq ans.
Cet accord couvre un champ très large. Cependant, il comporte encore plusieurs incertitudes qui seront
appelées à être levées lors de sa mise en œuvre, dans le cadre du “ dialogue politique ”, qui distingue
la politique de coopération de l’Europe de celles menées par d’autres bailleurs de fonds.
Les négociations, qui dureront en principe jusqu’à la fin de 2002, offrent ainsi une opportunité de
préciser plusieurs aspects de l’accord. Le Haut conseil de la coopération internationale craint que la
rénovation annoncée du dialogue politique ne soit pas menée dans le sens d'un véritable partenariat
traitant l'ensemble des sujets intéressant les pays ACP et européens, en particulier la régulation du
commerce international, et ne dérive vers une pratique de la conditionnalité consistant à substituer des
conditions unilatérales au dialogue. Il s’inquiète également de la dominante libre-échangiste qui
caractérise la nouvelle convention. Il a souhaité émettre un avis sur la manière dont ces négociations
devraient être conduites, tout en se demandant s’il n’aurait pas été préférable de renégocier cet accord
dans un sens plus favorable aux pays ACP, mais après que plusieurs préalables, notamment
commerciaux, aient été levés. Cet avis s’adresse au Premier ministre. Mais il appartient au
gouvernement français de relayer auprès des instances européennes celles des recommandations qui
lui paraîtront pertinentes. En tout état de cause, il convient au minimum de veiller à la mise en œuvre
de l’accord dans les meilleures conditions possibles. Un “ rapport d’étape ” de la commission sur ce
sujet en juin 2002 contribuerait à une meilleure transparence à cet égard.
D’une manière générale, le Haut conseil considère qu’il est très important que l’Union européenne
conserve et renforce une relation privilégiée avec les Etats ACP, alors que celle-ci s’est quelque peu
relâchée au profit de l’Est européen. Cela est conforme à la priorité attachée à la lutte contre la
pauvreté, affirmée dans le traité de Maastricht comme dans les différentes déclarations politiques
approuvées par les instances européennes ainsi que dans l’accord de Cotonou lui-même. C’est dans la
zone ACP que se trouve le plus grand nombre de pays pauvres et déshérités, qui plus est menacés par
une marginalisation qui s’accroît au fur à mesure que la mondialisation progresse. Par conséquent, le
Haut conseil souhaite un engagement total de l’Union européenne aux côtés de ces pays, sur les plans
humain, intellectuel et politique. L’instrument d’aide que représente l’accord de Cotonou, ainsi que les
ressources financières qui l’accompagnent, doivent donc être utilisés de manière adaptée à la situation
de ces pays.
C’est dans cette perspective que le Haut conseil formule les recommandations qui suivent.
I. Il conviendrait de définir des rapports particuliers dans les relations commerciales entre les
.../...
-2-
pays ACP et l’Union européenne et de faire un effort spécifique en faveur du développement des
capacités de production
Le libre-échange, érigé en principe dans l’accord de Cotonou, sauf en ce qui concerne les pays les
moins avancés (PMA), n’est pas une réponse satisfaisante pour des économies qui n’ont pas des
capacités de production suffisantes. Jusqu’à présent, la plupart de ces pays est exportateur de produits
de base, neuf produits tropicaux assurant 70% des recettes d’exportation des pays d’Afrique
subsaharienne. Quarante années d’ouverture commerciale ont amplement fait la démonstration qu’elle
ne suffit pas à promouvoir la production.
Il est donc nécessaire que les programmes qui seront mis au point entre la Commission européenne et
les pays ACP, aussi bien les programmes nationaux que les programmes régionaux, accordent une
large part à l’investissement et aux mesures d’accompagnement – formation, santé, infrastructures
(eau, énergie, etc.), appui aux services liés à la production et à la commercialisation, environnement
juridique et institutionnel – destinées à promouvoir les activités productives. Ils doivent être ciblés non
seulement vers le soutien aux capacités de production mais aussi vers la diversification des économies,
en particulier vers les productions à forte valeur ajoutée.
Sur le plan commercial, il faut rétablir une asymétrie en faveur des pays ACP dans leurs relations avec
l’Europe et, d’une manière générale, définir un “ traitement spécial et différencié ” (TSD) pour ces
pays, comme le prévoyaient les accords du GATT repris sur ce point par l’accord de Marrakech. Cela
signifie que le “ dialogue politique ” prévu explicitement dans l’accord de Cotonou doit porter d’abord
sur le TSD, de sorte que cette concertation débouche au niveau des négociations commerciales
multilatérales, qui doivent en principe ouvrir un “ cycle du développement ”.
Par ailleurs, on peut espérer des résultats intéressants, pour autant que les mesures de sauvegarde ne
seront pas appliquées, de l’initiative “ Tout sauf les armes ” adoptée par l’Union européenne et qui
organise une relation commerciale asymétrique en faveur des seuls PMA en leur donnant la possibilité
de tout exporter vers elle sauf les armes et sans condition de réciprocité. Mais il convient aussi de
veiller à ce que cette initiative ne mette pas péril les ensembles régionaux qui se sont constitués, ou qui
sont appelés à l’être, dans la zone ACP. Ces ensembles comprennent ou comprendront à la fois des
PMA et des pays qui n’ont pas ce statut. Or il ne pourront pas former de tels ensembles, appelés
accords de partenariat économique (APE), si les uns et les autres ont des régimes commerciaux
différents avec l’Union européenne. Aussi, dès lors qu’un PMA fait partie d’un APE, il conviendrait
que son régime commercial soit étendu à l’ensemble des pays non PMA membres de cet ensemble. Il
appartiendra à la commission européenne de négocier les adaptations nécessaires dans le cadre de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
II. Dans le cadre du partenariat et du dialogue avec les Etats ACP, plusieurs orientations
devraient être privilégiées dans les programmes et projets soutenus par l’Union européenne
C’est par le canal du “ dialogue politique ”, au sens de l’accord de Cotonou, qui doit être renforcé et
enrichi, que ces orientations devraient être promues, de manière à lui donner vie et consistance. Ces
orientations sont les suivantes :
-
veiller à faire du dialogue et du partenariat un véritable pilier pratique de l’accord de Cotonou,
en en faisant un moyen privilégié de prévention et de résolution des crises et en donnant leur
plein effet aux clauses concernant l’évaluation des évolutions relatives aux droits de l’homme –
dans toutes leurs composantes, c’est-à-dire non seulement les droits civils et politiques, mais
aussi les droits économiques, sociaux et culturels –, des principes démocratiques, de l’Etat de
droit et de la bonne gestion des affaires publiques, tel que cela est d’ailleurs expressément
mentionné dans l’accord lui-même ;
-
conformément à l’accord de Cotonou lui-même, organiser les concertations nécessaires avec les
pays ACP avant la discussion de tout accord multilatéral (commerce, environnement, etc.) et de
tout accord interne à l’Union susceptible d’avoir un impact significatif sur ces pays (politique
2
-3-
agricole commune, etc.) ; dans le domaine commercial, l’Union européenne devrait chercher à
tirer parti du fait qu’elle occupe, avec les pays ACP, une position majoritaire au sein de l’OMC ;
par ailleurs, des espaces de discussion entre l’Union et les pays ACP devraient être ménagés
dans des domaines tels que l’environnement, la santé, le social, etc. ;
-
accorder une priorité forte à la constitution d’ensembles régionaux et à la définition de stratégies
régionales : il serait incohérent d’en rester à des programmes nationaux alors que l’accord vise à
favoriser la coopération et l’intégration régionales à travers la constitution des APE ;
-
veiller à promouvoir des activités génératrices de revenus, ce qui aidera au développement de la
production et la lutte contre la pauvreté, le développement local et l’accès équitable aux services
de base, au moyen du renforcement des capacités locales et des collectivités territoriales ;
-
utiliser les ressources du Fonds européen de développement (FED) à la garantie des recettes
d’exportation : si les pays en développement de cette zone en particulier ont été confrontés aux
difficultés résultant de leur endettement extérieur, c’est en grande partie parce que la volatilité
des cours des matières premières qu’ils exportent les a empêchés de recevoir les recettes
d’exportation qui leur auraient permis d’assurer le service de leur dette ;
-
prendre une initiative visant à la réunion d’une conférence internationale pour améliorer le
traitement de la dette extérieure de ces pays et parvenir à une véritable annulation ;
-
promouvoir le commerce équitable, auquel de plus en plus de ressortissants européens sont
attachés, par des appuis à l'importation et à la vente en Union européenne de produits ACP et en
garantissant le retour de la plus grande partie des recettes d'exportation aux producteurs ;
En définitive, il s’agit de faire de l’accord de Cotonou un instrument politique pour bâtir des
stratégies communes aux pays ACP et à l’Union européenne dans le nécessaire travail de
construction d’un nouvel ordre mondial plus juste, à commencer par son volet commercial. Ceci
implique également que la gestion de l’aide européenne soit singulièrement améliorée pour qu’elle
soit effectivement décaissée.
III. Les instances de l’Union européenne chargées de la mise en œuvre et du suivi de l’accord de
Cotonou doivent, au niveau le plus élevé, veiller à accroître le rôle et la place des sociétés civiles
des Etats ACP comme de l’Union
Jusqu’à présent, les organisations des sociétés civiles en Union européenne ont plutôt eu le sentiment
d’un véritable ostracisme des instances communautaires à leur égard, tandis que la place accordée aux
organisations des pays ACP n’a pas été à la mesure d’une politique fondée sur les notions
d’appropriation, de participation et de responsabilité. Il est indispensable que cette situation change
pour que les promesses politiques du nouvel accord soient tenues : la démocratie passe aussi par la
reconnaissance du rôle de la société civile. A cet effet, il est recommandé :
-
qu’une concertation structurée soit mise en place entre les responsables européens et des
représentants des sociétés civiles des pays membres de l’Union, ainsi que des pays ACP, dans le
cadre du dialogue politique ; en particulier, les organisations des sociétés civiles devraient être
associées aux négociations commerciales multilatérales par l’Union européenne ;
-
que les organisations des sociétés civiles puissent jouer un rôle d’opérateur de la coopération
européenne, dans le cadre de règles appropriées de mise en concurrence et de choix ; pour ce
faire, la réglementation du FED doit être adaptée pour que des financements puissent être mis en
œuvre par ces organisations et ne soient pas réservés aux seuls Etats ;
-
que les instances communautaires puissent inciter, par la définition d’un cadre institutionnel, les
acteurs européens et ACP, quels qu’ils soient – structures de la coopération administrative
décentralisée, associations diverses, etc. – à établir entre eux des accords de coopération
3
-4-
pouvant, éventuellement, bénéficier du soutien du FED.
A travers ces recommandations – qui recouvrent en grande partie la déclaration adoptée lors du Forum
de la société civile qui s’est tenu à Bruxelles du 2 au 5 juillet 2001 - , le Haut conseil de la coopération
internationale appelle, par l’intermédiaire du gouvernement français, qui pourrait en prendre
l’initiative selon des voies appropriées, à une coopération au développement qui ne se cantonne plus
dans les instances officielles mais accorde une plus large place aux citoyens. Ce sera aussi le plus sûr
moyen de faire que cette activité de solidarité soit partagée et soutenue par le plus grand nombre.
Il convient de rappeler que la coopération entre l’Union européenne et les pays ACP est un projet
politique ancien mais toujours actuel et qui représente une pierre angulaire de la politique extérieure
européenne.
4