Les clubs pros se sont construits à partir d`un fort ancrage

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Les clubs pros se sont construits à partir d`un fort ancrage
DES SUBVENTIONS CONTRE UN PEU D’AMOUR…
Vie de couple
et questions d’argent
Les clubs pros se sont construits à partir d’un fort ancrage local.
L’apport financier des collectivités territoriales et des sponsors
locaux contribue à maintenir ce lien, que le sport-business
pourrait toutefois mettre à mal.
n France, le lien entre les clubs et
les collectivités locales est étroit
et ancien. « Historiquement, la
participation des collectivités
locales fut essentielle au développement du sport professionnel. Elle le reste
encore pour la plupart des disciplines, y compris celles qui disposent de revenus significatifs par ailleurs » observait l’inspecteur
des finances Jean-Pierre Denis dans un rapport sur la compétitivité du sport en France
publié en 2003. Qu’il s’agisse de l’exposition
médiatique d’une région ou d’une ville à
travers les performances de leur équipe, des
ambitions électorales d’un premier élu ou
même le simple fait que la municipalité
possède le stade où évolue le club qui défend
ses couleurs, cette imbrication demeure et
parfois se glisse jusque dans le nom des
clubs : le FC Nantes Atlantique en football,
le CA Brive Corrèze Limousin en rugby ou
le Goëlo Côtes-d’Armor en volley…
La dépendance des clubs vis-à-vis des collectivités locales varie toutefois beaucoup
d’une discipline à l’autre. En football, sous
les effets conjugués de l’arrêt Bosman et de
la hausse des droits de retransmission, les
budgets des clubs de Ligue 1 ont massivement augmenté, faisant chuter du même
coup la part des subventions des collectivités locales. D’un montant moyen de 1,2
million d’euros (1), celles-ci ne représentaient plus que 4 % de leur budget en 2004
mais encore 15 % en Ligue 2. Ce chiffre
grimpe à 10 % pour un club du Top 14 de
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rugby et 30 % pour un club de basket évoluant en Pro A. Enfin, dans le volley ou le
handball, les subventions publiques représentent près de 70 % des recettes, d’où une
forte dépendance envers les collectivités
locales.
SUBVENTIONS PLAFONNÉES
S’il fut un temps question de supprimer
complètement ces aides financières, leur
disparition fut finalement remise en cause
par la loi du 28 décembre 1999. En revanche
elles sont désormais très encadrées, rappelle
Patrick Bayeux dans un ouvrage qui fait le
point sur la question (2) : « les clubs professionnels et leurs associations peuvent
recevoir des subventions, dans une limite de
2,3 millions d’euros par saison, pour des
missions d’intérêt général précisées par les
textes : la formation, la sécurité dans les
stades, l’animation sociale ». Les contrats
de prestation de services (sponsoring,
achats de places) entre clubs et collectivités locales font également l’objet d’un plafonnement à 1,6 millions d’euros par saison.
Au-delà de ces aides directes (qui ne peuvent plus comporter de cautionnements
d’emprunts), les clubs bénéficient également de contributions indirectes, le plus
souvent en nature : location de salle ou de
stade à des conditions avantageuses, mise
à disposition gracieuse de personnel ou de
locaux, exonération de la taxe sur les spectacles. Mais toutes ces aides doivent faire
l’objet d’une convention entre les parties.
en jeu une autre idée du sport n°401
Dans l’ensemble, ces dispositions ont eu
l’effet escompté : éviter la confusion des
genres et la banqueroute des petits clubs.
« Pour parler clair, une municipalité peut
soutenir presque à 100 % un club moyen de
hand ou de volley. Mais pas une bonne équipe
du Top 14 et encore moins de Ligue 1, où le
plus petit budget tourne autour de 20 millions d’euros. On a voulu éviter que la municipalité ne devienne gérante de fait comme
ce fut le cas à Limoges avec l’équipe de basket. Car, dans ce cas, la mairie peut être
tenue de payer les dettes du club. Or les
services juridiques des collectivités locales
sont très sensibilisés à ce risque » souligne
Jean-François Nys, économiste au Centre de
droit et d’économie du sport de Limoges.
« Depuis les lois de décentralisation, les
rapports avec les collectivités locales se sont
normalisés, poursuit Loïc Ravenel, docteur
en géographie et maître de conférences à
l’université de Franche-Comté. Les échecs
de clubs de football comme Tours ou
Mulhouse ont montré qu’il y avait des risques
et le temps où, à la fin des années 80, le
conseil général de l’Hérault finançait la
venue du duo d’attaquants Stéphane PailleÉric Cantona à Montpellier est révolu. À
l’époque, départements et régions s’étaient
retrouvés avec des budgets de fonctionnement accrus mais sans toujours le personnel
compétent. » À présent, les dérives constatées par la Cour des comptes et ses chambres
régionales sont assez rares et, dans chaque
discipline, l’organisme chargé de contrôler les
Mao / Presse Sports
Les collectivités locales et les clubs pros
Dans le handball (ici le Montpellier
Hérault), les subventions des
collectivités locales représentent
près de 70 % des recettes des clubs.
finances des clubs veille au grain. Enfin, sur
le plan juridique, on ne peut plus créer de
SEM (sociétés d’économie mixte); celles-ci ont
donc cédé la place aux SASP (sociétés anonymes sportives professionnelles) ou autres
SAOS (sociétés anonymes à objet sportif).
STADE MUNICIPAL
ET SPONSORS LOCAUX
La question de la propriété des infrastructures sportives explique aussi la persistance du lien entre les clubs et les
collectivités locales. La quasi-totalité des
stades de football restent ainsi la propriété
des villes ou des communautés de communes, car ces équipements coûtent très
chers. « Cela implique une relation complexe entre les parties, analyse JeanFrançois Nys. Sous la pression des ligues
professionnelles et des fédérations, les partenaires publics sont amenés à faire des
investissements colossaux pour mettre les
stades aux normes. Il n’y a plus de dépendance financière, mais on gère ensemble les
problèmes de sécurité et d’utilisation ». Ceci
d’autant plus que, à l’exemple de l’AJ
Auxerre, posséder son propre équipement
ne présente pas que des avantages pour un
club. Cela n’a en effet guère d’incidence
sur sa valeur. L’important, ce sont les conditions d’exploitation. Or le Racing Club de
Lens dispose par exemple d’un bail de 99
ans, pour une somme modique et avec
beaucoup de liberté, notamment une grande
latitude pour fixer le prix des places. « Dans
le cas du foot en Ligue 1, on a parfois l’impression d’assister à un marché de dupes,
souligne Jean-Philippe Bouchard, rédacteur en chef adjoint à France-Football. Les
municipalités font comme si elles avaient
encore un rôle décisif à jouer alors que les
clubs les ignorent un peu. C’est moins vrai
en Ligue 2 et dans d’autres sports ».
Les subventions étant encadrées, les clubs
sont allés frapper à la porte des partenaires
privés, qui aujourd’hui représentent par
exemple 75 % des recettes du basket français. D’où l’importance du tissu économique
local. « Il faut des partenaires, des sponsors
maillots, des entreprises qui achètent des
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panneaux publicitaires ou des loges, explique
Jean-François Nys. Aussi, les villes moyennes
et petites peuvent difficilement espérer réussir durablement dans le foot. Auxerre résiste,
mais Guingamp est redescendu en L2 ». Sans
environnement économique à la hauteur, le
budget des clubs se limite essentiellement
à la redistribution des droits télé.
Certains se montrent toutefois plus doués
que d’autres au petit jeu de la prospection.
« Le club de basket de Chalon-sur-Saône,
qui ne dispose pas d’un énorme bassin d’emploi, s’en sort grâce à un parfait ratissage,
explique Loïc Ravanel : aucune entreprise
locale, même petite, ne lui échappe. Mais
pour cela, il ne faut pas avoir de concurrents
dans un autre sport ».
CONCURRENCE ENTRE SPORTS
Les budgets des collectivités locales n’étant
pas extensibles à l’infini, celles-ci se voient
contraintes d’effectuer des arbitrages entre
clubs et disciplines, voire entre sport masculin et sport féminin. Mais sur quels critères ? « En général, les arbitrages opérés
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LE RAPPORT AU LOCAL
REMIS EN QUESTION ?
J. Lesage / Conseil général de Loire-Atlantique
En contrepartie de leur soutien financier, les
collectivités locales demandent souvent au
club de s’impliquer localement. Cela passe par
exemple par la présence – souvent nonchalante et très symbolique – de joueurs sur certaines manifestations, afin de leur conférer
plus d’éclat. Mais c’est surtout vrai pour les
sports les moins médiatisés, où les rapports
ne sont pas parasités par les contrats d’image...
Même si désormais les joueurs sont rarement
du cru et restent parfois moins d’une saison,
les collectivités locales attachent beaucoup
d’importance à cette proximité affichée, avec
en tête l’identification des habitants d’une
ville, d’un département ou d’une région à leur
club fanion,... Mais les clubs versés dans le
sport-business pensent davantage à leurs
contrats de sponsoring et au merchandising,
voire au développement de leur propre
marque, à l’image de l’Olympique lyonnais et
de son système de licences (OL Taxi, OL
Conduite, OL Boisson, OL Café, OL Beauté,
etc.). Aussi l’échange est-il souvent biaisé et
inégal. En outre, peut-on longtemps continuer
à s’identifier à un club lorsque celui-ci n’est
plus qu’une entreprise commerciale ?
La question est posée en Angleterre avec le
rachat de Manchester United par le milliardaire
américain Malcom Glazer, avec pour conséquence première une forte hausse du prix des
places (3). En réaction, les fans les plus concernés des Reds Devils ont fait sécession et créé
un club amateur, le FC United of Manchester...
En France, le PSG a ouvert une brèche en
étant racheté il y a quelques mois par le fonds
d’investissement américain Colony Capital.
Ce genre de structure vise une rentabilité de
14 à 20% par an et une plus-value à la revente,
à mille lieux du mécénat des industriels d’antan. Aussi, on voit mal à quel titre des collectivités locales continueraient d’apporter
leur contribution à des clubs ayant visiblement
En 1992, le FC Nantes, soutenu
par le conseil général, est devenu,
le FC Nantes-Atlantique.
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crédit Conseil général de Haute-Vienne
dépendent de volontés politiques qui s’appuient sur une histoire et un consensus local,
estime Jean-François Nys. Si on prend
l’exemple de Limoges, bien que l’équipe de
basket soit descendue, la municipalité a
maintenu des subventions élevées pour que
le CSP puisse remonter. Un choix que n’avait
pas fait la ville de Reims avec son équipe de
football ». Il y a quelques années, la ville de
Limoges avait déjà entériné le choix de
l’abandon du statut professionnel de l’équipe
de football locale afin de concentrer son aide
sur un club de basket qui, par ses titres
nationaux et européens, lui avait beaucoup
apporté en notoriété et en image.
Une accession à la division supérieure ou a
contrario, une descente, s’avèrent souvent
décisives dans cette concurrence à distance :
les collectivités locales soutiendront davantage le club qui évolue au plus haut niveau.
Si depuis cinq ans le Tours Volley Ball
domine le championnat national, décrochant même la Champion’s League en 2005,
c’est parce qu’il a su fédérer près de 120 «petits
sponsors » et profité des subventions des
collectivités locales. Un soutien qui pourrait diminuer si jamais l’équipe de foot
locale remontait en Ligue 2, si l’équipe de
hockey accédait en Ligue Magnus ou si celle
de basket renouait avec son glorieux passé...
Enfin, last but not least, l’affectif joue
aussi, et le penchant d’un élu pour une
discipline peut faire parfois la différence.
Le CSP Limoges,
porte-drapeau de
toute une région.
oublié qu’ils étaient nés quelque part, issus
d’associations ancrées sur un territoire. ●
BAPTISTE BLANCHET
(1) Calcul basé sur un budget moyen estimé à 30 millions
d’€ en 2003-2004. Depuis, du fait de la hausse des revenus tirés des droits télé, le budget des clubs de Ligue 1
a nettement progressé : cette saison, le budget prévisionnel de l’Olympique lyonnais s’élève à 115 millions d’€
quand celui des clubs les plus modestes est de l’ordre de
20 à 22 millions d’€. Par comparaison, le budget du club
de volley de Tours est d’environ 2,5 millions d’€, à peu
près équivalent à celui d’une équipe de basket féminin
comme Bourges ou Valenciennes.
(2) Les relations entre collectivités locales et clubs sportifs, PUS, 2006.
(3) Aston Villa vient également d’être racheté par un
milliardaire américain (Randolph Lerne, déjà propriétaire d’une franchise de foot US), devenant le cinquième club de l’élite du football anglais à passer sous
contrôle étranger.
Les collectivités locales et les clubs pros
Maître de conférences à l’université de Rouen,
DR
« Les subventions n’ont pas disparu »
L’encadrement législatif des subventions explique-
Christophe Durand* estime que les relations entre
t-il cette rationalisation ?
clubs pros et collectivités locales restent étroites.
On peut attribuer cette rationalisation aux changements législatifs et réglementaires, à la plus grande
Christophe Durand, les relations entre les clubs
expérience des élus en la matière, mais aussi à un
sportifs professionnels et les collectivités locales
retournement de l’opinion publique. Il y a quinze ans,
ont-elles beaucoup évolué ces dernières années ?
le discours était plutôt celui-ci: «Il faut aider le club
Pas tant que ça, en dépit de ce que l’on entend sou-
à avoir des résultats». Aujourd’hui, on serait plutôt
vent. L’idée d’un libéralisme forcené, doublé d’une
à se demander: «Pourquoi financer une structure
privatisation du secteur, ne se vérifie pas. On note
privée qui dispose de ressources financières auto-
certes une baisse des subventions directes aux
nomes?». Mais toute ambigüité n’a pas disparu:
clubs, mais des aides existent toujours sous différentes formes: exo-
quand le très libéral président de l’Olympique Lyonnais, Jean-Michel
nérations fiscales et surtout construction et mise à disposition
Aulas, veut un nouveau stade pour son club, il se tourne vers les élus
d’installations. Car petits et grands clubs en ont besoin. Ce n’est
locaux. De même, Lille ou Marseille auront à terme des stades neufs
d’ailleurs pas spécifique à la France. Partout dans le monde, des Etats-
grâce aux deniers publics, alors que ces clubs sont des sociétés com-
Unis au Japon, les collectivités publiques soutiennent massivement
merciales et revendiquent, pour certains, d’être cotés en bourse. ●
les sports qui se regardent: 80% des enceintes nord-américaines des
Recueilli par B.B.
grandes ligues (basket, football américain, base-ball, hockey) sont
* Spécialiste des questions de professionnalisation du sport, Christophe Durand est
ainsi financées par des fonds publics.
notamment le co-auteur de Basket professionnel, approche stratégique et géomarketing (PUS).
Comment expliquer ce phénomène ?
tés locales, et donc par le contribuable. On veut du sport de haut
A ORLÉANS, L’AGGLOMÉRATION
FINANCERA-T-ELLE LE CLUB DE BASKET ?
niveau, donc on met la main au portefeuille. C’est encore plus mar-
L’Entente orléanaise a entamé fin septembre sa première saison en
qué aux Etats-Unis avec le système de franchises qui limite le
Pro A, l’élite du basket français. La consécration pour ce club né en
nombre d’équipes dans les championnats, sans montée ni des-
1997 de la fusion entre Orléans Basket et l’Entente Fleury-les-
cente. Les villes se battent pour avoir leur équipe et sont contraintes
Aubrais-Saint-Jean-de-Braye, deux des communes de l’aggloméra-
de financer un équipement ultramoderne, sinon le propriétaire de
tion! Mais aussi un gros effort financier pour les trois municipalités,
la franchise va ailleurs. En NFL, la Ligue de football américain, le cahier
qui ont décidé de poursuivre leur partenariat avec le club. C’est
des charges est particulièrement lourd : une enceinte de 60 000
pourquoi Jacques Chevalier et Pierre Bauchet, respectivement maires
places, couverte, avec pelouse synthétique.
de Saint-Jean et de Fleury mais aussi vice-présidents de l’agglo-
Par l’impact du sport professionnel et par sa fonction identitaire,
qui entraîne une prise en charge jugée légitime par les collectivi-
mération Orléans-Val-de-Loire, ont pris la plume pour demander
En France, les excès constatés dans le passé semblent toutefois
en juillet à leurs 19 collègues des villes constituant «l’AgglO» de se
moins nombreux…
joindre à eux sous la forme «d’une participation financière ou d’un
C’est exact. Certaines collectivités locales françaises se sont d’ailleurs
partenariat à définir», rappelant au passage que l’effort de leurs com-
retirées du jeu par manque de moyens. La ville d’Annecy refuse par
munes est de 3 € par habitant. Pourtant, fin août les édiles
exemple tout soutien au sport pro et celle d’Aix-en-Provence limite
n’avaient reçu que deux réponses, négatives… «Certes, le sport
le sien au basket féminin. D’autres développent une stratégie adap-
n’est pas une compétence de l’AgglO, relève le maire de Saint-Jean-
tée à la taille et au potentiel économique de leur agglomération,
de-Braye, mais il s’agit plutôt ici d’un symbole de participation col-
avec un sport cible. C’est le cas de Bourges, toujours en basket fémi-
lective car tout le monde profite de la notoriété du club. C’est, de
nin, où pour un investissement relativement modeste on peut
plus, un élément qui soude.» Affaire à suivre donc, sachant que
jouer l’Euroligue tous les ans et la gagner ! D’autres villes, comme
chaque maire devra, avant de donner sa réponse, consulter son
Besançon, préfèrent saupoudrer leurs subventions. Mais les résul-
conseil municipal. (La République du Centre des 26-27 août)
tats sont rarement au rendez-vous.
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Les collectivités locales et les clubs pros
Une géographie figée ou en mouvement ?
Aux grandes villes le football, aux petites et moyennes le basket,
le hand ou le volley… Chacun fait au mieux selon le bassin
démographique et le potentiel économique locaux.
a carte du sport français est-elle figée à
jamais, avec le foot réservé aux grandes
villes, le rugby essentiellement cantonné
au Sud-Ouest et le basket, le hand et le volley
répartis entre les villes moyennes? «Ces tendances existent même si la réalité est plus complexe, nuance l’universitaire Loïc Ravenel. Le
football coûte de plus en plus cher, mais pour
des raisons historiques on en trouve quand
même dans des villes moyennes. A contrario, le
basket, moins onéreux, existe aussi à LyonVilleurbanne, à Nancy ou à Strasbourg, qui sont
des villes importantes ».
Néanmoins, comme le théorise Christophe
Durand, maître de conférences à l’université
de Rouen, «on peut considérer qu’une équipe
est liée à son potentiel démographique, dans une
logique qui relève presque de l’aménagement du
L
territoire. C’est ce que l’on fait avec les hôpitaux,
que l’on supprime dans les zones insuffisamment
peuplées, ou avec les établissements scolaires.
Certaines communes n’ont pas d’école, d’autres
seulement une école primaire quand d’autres ont
aussi un collège voire également un lycée si elles
sont plus peuplées».
À cet égard, le cas des grandes villes françaises
peut paraître surprenant. À Paris, le football et
le rugby jouent les premiers rôles avec le PSG
et le Stade Français mais le handball ou le volley peinent à sortir de l’anonymat. De même,
à Marseille, l’OM ne laisse guère de place aux
autres sports, tout comme le LOSC à Lille. «À
mon sens, il s’agit une exception franco-française,
poursuit Christophe Durand. Une ville comme
Toulouse fait cohabiter le foot et le rugby mais
elle semble « limite » en taille. En revanche, je
En France, il n’est en principe pas possible de déloca-
Ville de Pau
LA DÉLOCALISATION RÉUSSIE DE L’ELAN BÉARNAIS
liser un club, contrairement
à ce qui est monnaie courante dans les grandes
ligues nord-américaines,
où les propriétaires sont
souverains. Pourtant, en
1991, le club de basket
d’Orthez (Landes) a déménagé en douceur à Pau, préfecture des Pyrénées-Atlantiques.
Un an plus tôt, l’Élan Béarnais d’Orthez était devenu l’Élan Béarnais Pau-Orthez grâce
à l’établissement d’un partenariat économique né de la volonté conjuguée du président du club, Pierre Seillant, et du maire de Pau André Labarrère. Un déménagement à Toulouse ou Bordeaux avait été envisagé mais posait problème par rapport
à l’identité béarnaise du club, dont les brillants résultats, tant sur le plan national
qu’européen, avaient rendu indispensable un changement d’échelle. L’Élan Béarnais
abandonna donc sa pittoresque salle de la Moutète – un marché couvert aménagé
en arène sportive les soirs de match – pour un palais des sports de 8 000 places. Pour
ne vois pas pourquoi, à terme, tous les sports
ne pourraient pas cohabiter à Paris, Lyon,
Marseille ou Lille. Si un investisseur sérieux se
présente, le club en question décollera, comme
peut-être avec le nouveau projet de reprise du
Paris Basket » (1).
CRÉER UN CLUB EX NIHILO ?
Quels qu’ils soient, les clubs professionnels
français sont l’émanation d’associations sportives locales, ce dont ils tirent leur identité
et leur assise. Ces associations sont en principe propriétaires du numéro d’affiliation
délivré par leur fédération. Une convention
répartit les activités entre l’association, en
charge du secteur amateur, et la société commerciale, qui s’occupe du secteur professionnel. « Juridiquement, quand on veut créer
une nouvelle structure, il faut partir d’un club
existant, souligne Christophe Durand. À
moins de créer une équipe au plus bas niveau
amateur, une option qui séduit rarement les
investisseurs car elle prend beaucoup de
temps ».
La solution est donc de reprendre un club. Le
Paris-Saint-Germain a ainsi été fondé en 1970
à partir du Stade Sangermanois, qui venait de
conquérir sa place en deuxième division. Dans
les années 80, Jean-Luc Lagardère avait également repris le Racing Club de Paris pour en
faire le Matra Racing et le faire monter en D1.
Mais, malgré l’argent investi et les stars engagées, ce deuxième club parisien n’a jamais rencontré son public et est retombé dans les
limbes…
Cet échec montre qu’il est difficile d’installer un
club sans réelle légitimité, sans histoire et sans
implantation locale. C’est pourquoi on suivra
avec intérêt – et quelques craintes – la démarche
de la ligue professionnelle de basket de créer
à l’horizon 2009 un championnat accueillant des
clubs choisis non seulement en fonction de
leurs performances mais aussi de leur potentiel
économique. ●
B.B.
autant, le club, qui possède aujourd’hui l’un des plus gros budgets du championnat,
a su conserver son âme. Auteur d’une thèse sur le sujet, le jeune chercheur Vincent
Charlot y voit même « un parfait exemple de continuité identitaire dans le contexte
actuel du sport professionnel. »
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en jeu une autre idée du sport n°401
(1) Piloté par l’ancien directeur général adjoint de Paris
2012 Essar Gabriel, et avec Antoine Rigaudeau comme
conseiller sportif, ce projet vise à apurer le passif actuel
du Paris Basket Racing et d’investir progressivement afin
d’en faire un grand club.