Transplantation cardiaque et assistance circulatoire mécanique

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Transplantation cardiaque et assistance circulatoire mécanique
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Transplantation cardiaque et assistance circulatoire mécanique
Situation actuelle et perspectives (1re partie)
Paul Mohacsia, Mario Stalder b, Michele Martinellia,Thierry Carrelb
Schweizer Herz- und Gefässzentrum, Inselspital, Bern
a Universitätsklinik für Kardiologie
b Universitätsklinik für Herz- und Gefässchirurgie
Quintessence
P La transplantation cardiaque est une option thérapeutique bien éta­
blie pour les patients souffrant d’une cardiopathie terminale et fortement
pénalisés dans leur qualité et espérance de vie. Les indications à la trans­
plantation cardiaque (HTx) et le profil des receveurs ont changé sur plu­
sieurs points ces 10 dernières années: les receveurs sont de plus en plus
âgés et ont de plus en plus de facteurs de risque, la proportion avec anti­
corps préformés augmente constamment, les systèmes d’assistance du
ventricule gauche sont plus souvent utilisés avant une transplantation.
L’ester morpholinique de l’acide mycophénolique (MMF) est l’immuno­
suppresseur le plus souvent prescrit. Le tacrolimus comme immunosup­
presseur primaire donne une survie comparable à celle de la ciclosporine
A mais avec une diminution significative des réactions de rejet aiguës.
P Les causes de décès après transplantation cardiaque changent au
cours du temps qui la suit. Alors que l’échec de la greffe est la cause la
plus fréquente au cours des 30 premiers jours, la vasculopathie du gref­
fon et les tumeurs malignes jouent un rôle de plus en plus grand après
une année déjà. Des infections autres que la cytomégalie peuvent être la
cause de décès dans la 1re et 2e année après transplantation tandis que
les rejets sont beaucoup plus rares.
–
–
Introduction
Paul Mohacsi
Les auteurs
certifient
qu’aucun conflit
d’intérêt n’est lié
à cet article.
La transplantation cardiaque est une option thérapeu­
tique bien établie pour les patients souffrant d’une car­
diopathie terminale et fortement pénalisés dans leur
qualité et espérance de vie. Dans le registre de la
société internationale de transplantation cardiopulmo­
naire («International Society of Heart and Lung Trans­
plantation» [ISHLT]) figurent depuis 1983 pratiquement
125 000 transplantations cardiaques, pulmonaires et
cardiopulmonaires. Ce registre contient de très nom­
breux détails mais n’est de loin pas exhaustif car man­
quent encore les données de nombreux pays (notam­
ment France, Italie, Pologne et partiellement même
Suisse) dans lesquels il faut admettre qu’elles ne sont
pas complètes [1]. Ce rapport annuel livre malgré tout
d’intéressantes informations – surtout sur l’évolution
périopératoire et à long terme après transplantation
cardiaque – qui peuvent être consultées sur le site web
de ladite société (www.ishlt.org/registries).
Voici quelques highlights du rapport 2010:
– Le nombre des transplantations cardiaques effec­
tuées par année a atteint au milieu des années 1990
un maximum avec 4000; ce nombre a diminué ces
10 dernières années et s’est stabilisé autour de 3000
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article
à la page 72 ou sur Internet sous www.smf-cme.ch.
–
–
–
(fig. 1 x). La société part cependant du principe
qu’environ 1000 interventions par année n’ont pas
été transmises au registre [2].
Les indications à la transplantation cardiaque et le
profil des receveurs ont changé sur plusieurs points
ces 10 dernières années. (1) La moyenne d’âge des
donneurs a nettement augmenté (d’env. 12 ans de­
puis 1983, fig. 2 x); (2) 10,5% des receveurs entre
2002 et 2009 avaient plus de 65 ans lors de leur
transplantation; (3) les receveurs ont toujours plus
de facteurs de risque: 22% ont un diabète, 41% une
hypertension artérielle, 42% ont déjà été opérés et
47% étaient ou ont été fumeurs; (4) la durée d’isché­
mie entre le prélèvement et l’implantation a nette­
ment augmenté; (5) la proportion des receveurs avec
anticorps préformés augmente constamment et dé­
passe actuellement 10%; et (6) les systèmes d’assis­
tance du ventricule gauche sont plus souvent utilisés
avant une transplantation.
La survie à 12 mois a nettement augmenté. Le rap­
port donne 10 ans pour le temps après lequel la moi­
tié des transplantés est encore en vie (et 13 pour les
patients ayant survécu plus d’une année après HTx)
(fig. 3 x). Les facteurs de risque de mortalité la pre­
mière année sont notamment la nécessité d’une as­
sistance circulatoire préopératoire, une malforma­
tion cardiaque congénitale comme indication à la
transplantation, une dialyse ou une ventilation mé­
canique au moment de la transplantation et les âges
du donneur et du receveur.
Pour les patients transplantés entre 2000 et 2003 et
ayant survécu plus d’une année, les facteurs de
risque suivants ont été identifiés pour la mortalité à
5 ans: manifestation d’une vasculopathie de la greffe
au cours de la première année postopératoire, dia­
bète, nombre d’épisodes de rejet ayant imposé un
traitement pendant la première année et greffe d’un
cœur féminin chez un receveur masculin, accident
vasculaire cérébral chez le receveur et grossesse
menée à terme chez une receveuse.
Dans le domaine de l’immunosuppression, l’ester
morpholinique de l’acide mycophénolique (MMF) est
l’immunosuppresseur le plus souvent prescrit. Le
tacrolimus comme immunosuppresseur primaire
donne une survie comparable à celle de la ciclospo­
rine A mais avec une diminution significative des
réactions de rejet aiguës.
Les causes de décès après transplantation cardiaque
changent au cours du temps qui la suit (fig. 4 x).
Alors que l’échec de la greffe est la cause la plus fré­
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Figure 1
Nombre de transplantations dans le registre de l’ISHLT. Cette figure et les suivantes
proviennent du rapport annuel, J Heart Lung Transplant. 2010;29:1083–141 (avec l’aimable
autorisation d’Elsevier, Etats-Unis, Copyright © 2010).
qui a assuré le succès définitif de la méthode en modi­
fiant quelques points importants et avec une survie de
10 ans. L’introduction de la ciclosporine A a contribué
à aplanir la voie après 1980. Selon des observations in­
ternationales, c’est en 1995 qu’un maximum de trans­
plantations cardiaques a été effectué, avec 4500 inter­
ventions dans le monde entier. Les chiffres ont ensuite
montré une tendance à la baisse, tout comme ceux
d’Eurotransplant en Allemagne et en Suisse. Dans le
but de concentrer les prestations médicales hautement
spécialisées, les Hôpitaux universitaires de Genève et
Lausanne, de Bâle et Berne ont centralisé leurs activi­
tés d’HTx. Quelque 30–35 cœurs sont transplantés en
Suisse par an. Comparativement aux autres transplan­
tations d’organes, les HTx ont une valeur émotionnelle
souvent sans pareille. L’HTx n’a rien à voir avec la ré­
putation mais bien plus avec l’engagement de plusieurs
années pour les patientes et les patients (tab. 1 p).
Insuffisance cardiaque et moment
de la transplantation
Figure 2
Moyenne d’âge des receveurs d’une transplantation cardiaque.
quente au cours des 30 premiers jours, la vasculo­
pathie du greffon et les tumeurs malignes jouent un
rôle de plus en plus grand après une année déjà
(fig. 5 et 6 x). Les rejets peuvent provoquer le dé­
cès 1 et 2 ans après la transplantation tout comme
des infections autres que la cytomégalie.
– Chez les patients de moins de 16 ans, les malforma­
tions cardiaques congénitales (63%) et la cardiomyo­
pathie dilatative (31%) sont les indications les plus
fréquentes à une transplantation [3]. La survie
moyenne (le temps après lequel 50% des receveurs
sont encore en vie) est actuellement de 18 ans pour
les enfants ayant bénéficié d’une HTx il y a 6 ans,
contre 11 ans pour les adolescents.
Généralités sur la transplantation cardiaque
C’est à Christiaan Barnard et son équipe qu’est attri­
buée la première transplantation cardiaque (HTx) chez
l’être humain, au Cap le 3 décembre 1967. Ce qui a pro­
voqué une vague d’enthousiasme dans le monde entier,
notamment en Europe, mais le véritable groupe de
pionniers a été celui de Norman Shumway à Stanford,
Une augmentation de l’incidence et de la prévalence de
l’insuffisance cardiaque s’observe depuis des années
dans le monde entier. Il est estimé qu’actuellement
quelque 10 millions de patients en souffrent en Europe et
150 000 en Suisse dont 6–7% (soit environ 10 000 pa­
tients) en sont au stade avancé (stade fonctionnel IV).
La prévalence et l’incidence de l’insuffisance cardiaque
sont fonction de l’âge; 2–5% des personnes de 65 à 70 ans
et 10% environ de celles de plus de 75 ans développeront
une insuffisance cardiaque [4]. Avec le vieillissement de
la population, c’est donc un problème toujours plus
grand qui n’est pas qu’un défi médical mais a aussi des
conséquences socioéconomiques. Un mode de vie sain et
des traitements médicamenteux modernes procurent aux
patients en insuffisance cardiaque une plus grande espé­
rance de vie et une meilleure qualité de vie [5].
Du fait que les patients se qualifiant en principe pour
une transplantation sont toujours plus nombreux, les
méthodes thérapeutiques alternatives sont toujours
plus importantes mais ne sauraient véritablement rem­
placer la transplantation. Les traitements chirurgicaux
standard – par ex. pontage en cas d’ischémie confirmée
ou opérations valvulaires – peuvent procurer une nette
amélioration même si la fonction ventriculaire gauche
est très sérieusement compromise (fraction d’éjection
<25%) par réactivation fonctionnelle du myocarde en­
core viable ou correction d’une surcharge de pression
ou de volume pathologique du ventricule gauche. Mais
chez ces patients, ce sont des interventions à haut risque
périopératoire. Donc avant l’opération déjà il faut dis­
cuter des possibilités d’une substitution cardiaque au cas
où l’évolution postopératoire serait défavorable.
Les progrès dans le traitement médicamenteux, dans
les techniques électrophysiologiques (défibrillateur im­
plantable pour protéger des arythmies dangereuses ou
pacemaker pour resynchronisation cardiaque) et fina­
lement dans les pompes cardiaques mécaniques (Ven­
tricular Assist Device [VAD]) offrent aujourd’hui heu­
reusement de plus en plus d’alternatives et font que la
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A
B
Figure 3
Survie cumulée (A) après transplantation cardiaque et en fonction du temps (B).
A
B
Figure 4
Causes de décès cumulées après transplantation cardiaque (A) et en fonction du temps (B).
transplantation cardiaque peut souvent être évitée ou
retardée. Ces concepts pallient également le manque
cruel de donneurs. Comme les pompes mécaniques ne
font pour le moment que repousser le problème dans le
temps, le traitement des jeunes patients surtout ne
comporte souvent pas d’autre choix que la transplan­
tation cardiaque.
Il faut du temps pour optimiser le traitement médica­
menteux et mettre en application les adaptations du
mode de vie efficaces (contrôle de la tension artérielle,
réduction des boissons et de l’apport de sel). Avant
d’inscrire un patient sur la liste d’attente un processus
d’évaluation consciencieux excluant toute éventuelle
contre­indication à une HTx est indispensable (tab. 2 p),
de même qu’une bonne relation de confiance entre le
médecin et son patient incluant une information dé­
taillée sur les avantages et inconvénients de la trans­
plantation. Une «HTx en urgence» n’a aucun sens pour
ces seules raisons déjà. La préparation psychologique à
une transplantation nécessite parfois plusieurs heures
en séances d’information. Le médecin traitant et sur­
tout les proches jouent ici un rôle capital. Afin d’évaluer
quelle stratégie est la meilleure – maintien ou remplace­
ment d’organe – il est important que le patient soit pré­
senté à temps dans une consultation spécialisée.
En fonction du groupe sanguin et du poids, il faut pré­
voir des délais de longueur variable. L’expérience
montre que pour les patients des groupes O ou B par
exemple, ou ceux pesant plus de 90–100 kg, les délais
avant d’avoir un organe qui leur convient sont nette­
ment plus longs. Ils doivent parfois (par exemple en cas
de manifestation de lésions organiques graves mais po­
tentiellement réversibles du foie, des reins et des pou­
mons) d’abord être stabilisés par un système d’assis­
tance cardiaque mécanique avant leur transplantation
(bridge-to-transplant), ce qui implique un risque opéra­
toire accru vu qu’une telle mesure signifie une opéra­
tion cardiaque de plus. Le recours de plus en plus fré­
quent à des pompes cardiaques améliore il est vrai les
situations aiguës – pour autant que l’implantation réus­
sisse – mais est grevé d’une mortalité de 10 à 20% qui
dépend de la situation unique.
Transplantation en pédiatrie
Une insuffisance cardiaque terminale rendant indis­
pensable une transplantation dans l’enfance déjà est
généralement secondaire à une cardiopathie dilatative
primitive, à une myocardite (virale par ex.) ou à une
malformation cardiaque grave [3]. Après correction
d’une transposition des gros vaisseaux telle qu’une in­
version auriculaire selon Senning ou Mustard, l’affai­
blissement progressif du ventricule droit, qui doit fonc­
tionner comme pompe de la grande circulation, ou celui
du ventricule gauche suite à un infarctus par ex. en rai­
son du faux embranchement de la coronaire gauche
dans l’artère pulmonaire, sont des indications à une
transplantation cardiaque. Une autre est la circulation
univentriculaire. Ces petits patients ont généralement
un ventricule dominant (gauche ou droit) alors que
l’autre est beaucoup trop petit. Ce groupe très complexe
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Figure 5
Survie cumulée selon Kaplan-Meier sans athérosclérose accélérée du transplant
(allograft vasculopathy).
Figure 6
Survie cumulée selon Kaplan-Meier sans tumeurs malignes.
de malformations cardiaques comprend de très nom­
breux diagnostics (par ex. l’atrésie tricuspidienne, le
«double inlet left ventricle» et le syndrome d’hypoplasie
du cœur gauche). Chaque année, seulement quelques
cœurs (3–5) sont transplantés chez des enfants en
Suisse. Malgré une collaboration au niveau européen
pour l’allocation d’organes, le délai d’attente sur la liste
est généralement long. Une transplantation en dehors
du schéma de compatibilité ABO ne peut être considé­
rée que pour des enfants en dessous de 14 mois.
Diagnostic du rejet
Même si la biopsie du myocarde est toujours considérée
comme l’étalon­or du diagnostic d’un rejet, les progrès
dans ce domaine sont toujours plus nombreux. L’immu­
nosuppression des patients se fait toujours sur la base
de données pharmacocinétiques avec dosage des taux
sanguins des immunosuppresseurs administrés. Un
taux élevé est équivalent à un niveau d’immunosup­
pression élevé. Cette conclusion par analogie peut
certes être valable en pratique mais ne donne aucune
garantie, du fait qu’un rejet peut parfaitement se décla­
rer même à des taux élevés. Les dosages des concentra­
tions des immunosuppresseurs sont tout aussi impor­
tants pour prévenir leur toxicité. Il faut tenir compte de
plusieurs détails dans ces dosages, par ex. l’extrême
variabilité des taux du mycophénolate, de l’évérolimus
ou du sirolimus, surtout s’ils sont dosés par immunoas­
say. Pour ces trois médicaments, la technique HPLC­MS
(high pressure liquid chromatography-mass spectroscopy) est beaucoup plus précise. Les différents immu­
noassays et la qualité du laboratoire doivent donc être
pris en compte dans le suivi de ces patients.
De nouveaux efforts visent à mesurer le niveau d’im­
munosuppression par des paramètres pharmacodyna­
miques. La surveillance du rejet se fait depuis peu par
dosage d’un profil d’expression génique. Ce profil peut
se mesurer dans le sang périphérique. Selon deux
études publiées (CARGO I et IMAGE), il permet de tirer
de très bonnes conclusions sur l’importance du rejet [6,
7]. Il n’est actuellement pas encore possible de dire en
toute sécurité si cette nouvelle technique est une véri­
table alternative à la biopsie de myocarde. Les données
d’une étude européenne à ce sujet (CARGO II) sont en
train d’être analysées. Le produit utilisé dans ces
études, AlloMap®, est commercialisé aux Etats­Unis.
D’autres tests de profil d’expression génique sont éva­
lués à Vancouver et Heidelberg.
Une autre option de suivi immunitaire est celle du pro­
duit ImmuKnow® de la Maison Cylex. Ce test dose le tri­
phosphate d’adénosine (ATP) libéré par les lympho­
cytes activés, qui donne peut­être des informations sur
la situation du système immunitaire. Entre 2005 et
2008, une étude monocentrique a examiné avec ce test
quelque 300 transplantés cardiaques entre 2 semaines
et 10 ans après leur opération et s’est intéressée à la
corrélation entre l’ATP et les rejets et infections. Elle a
été significative avec les infections mais pas avec les re­
jets. Trois des 8 épisodes de rejet ont été dus à des anti­
corps (avec conséquence hémodynamique); il y a eu à
cet égard une corrélation significative mais le nombre
d’accidents a été très petit.
Rejet dû aux anticorps
Les critères de rejet de l’ISHLT dans la biopsie de myo­
carde se basent d’abord sur les mécanismes de rejet
cellulaires. Y a­t­il vraiment des rejets par anticorps?
Cette question a fait l’objet d’une virulente discussion
pour et contre en 1994 déjà au congrès de l’ISHLT à
Venise entre Elisabeth Hammond (Utah) et Magreth Bil­
lingham (Stanford). Il y a maintenant de plus en plus
d’arguments pour des rejets par anticorps même si le
diagnostic est toujours controversé. Ils peuvent se pré­
senter dans un contexte d’anticorps préformés (par ex.
anti­groupe sanguin) ou dans celui d’un «donor­specific
antibody» (DSA), ou encore de rejets «non­donor­de­
rived antibody­mediated» [8, 9].
Développements dans le domaine
de l’immunosuppression
Le traitement immunosuppresseur après transplanta­
tion cardiaque (HTx) est toujours grevé ces 35 dernières
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années d’effets médicamenteux indésirables, d’interac­
tions et de complications (infections, hypertension arté­
rielle, insuffisance rénale, neurotoxicité, tumeurs, etc.).
Jusqu’au début des années 1990, la triple immunosup­
pression standardisée après HTx consistait en ciclo­
sporine A, azathioprine et prednisone. De nombreux
centres pratiquent en plus un traitement dit d’induction
avec anticorps tels que globulines antithymocytes poly­
clonales ou antirécepteurs de l’interleukine­2.
Dans de nombreux sites l’immunosuppression à long
terme se base toujours principalement sur les inhi­
biteurs de la calcineurine. Leur principal effet est l’in­
hibition de la production d’interleukine­2 à la phase
précoce d’activation des cellules T dont ils inhibent la
prolifération. En plus de la ciclosporine A déjà mention­
née, c’est le tacrolimus qui est toujours plus souvent uti­
lisé ces dernières années. La raison en est une étude à
l’appui du tacrolimus [10]. Les résultats de l’étude
ELITE­Symphony [10] vont dans le même sens malgré
qu’il s’agisse d’une étude sur les transplantés rénaux
qui ont en plus reçu comme induction un anticorps des
récepteurs de l’interleukine­2 (le daclizumab). Les pro­
fils de toxicité de la ciclosporine, du tacrolimus et du
sirolimus de l’étude Symphony qui viennent d’être
publiés sont toutefois décevants [12].
Les antimétabolites sont un autre groupe important de
l’immunosuppression prolongée. L’azathioprine utilisée
depuis très longtemps a été remplacée par le MMF, qui
inhibe sélectivement l’inosine monophosphate déshy­
drogénase, un enzyme clé de la synthèse «de novo» des
purines.
Le tout dernier groupe d’immunosuppresseurs très
prometteurs est celui desdits inhibiteurs de la mTOR
(«mammalian Target Of Rapamycin»). Ce sont des anti­
biotiques macrolides lipophiles qui empêchent la pro­
gression de la phase G1 vers la phase S du cycle cellu­
laire sans influencer notablement la synthèse
Tableau 1. Nombre de transplantations cardiaques
(au cours de ces 10 dernières années) réparties selon
le concept «coopération par concentration»
(de: 2000–2009 rapport annuel de Swisstransplant, 2009).
Berne-Bâle
150
Lausanne-Genève
113
Zurich
85
d’interleukine­2. Cet effet n’est cependant pas spécifi­
quement dirigé sur les lymphocytes mais concerne
toutes les cellules en prolifération (raison pour laquelle
ce groupe est également appelé inhibiteurs du signal de
prolifération [PSI]) et peut être à l’origine d’un retard de
cicatrisation des plaies. Deux spécialités sont sur le
marché: le sirolimus (utilisé aux Etats­Unis et au
Canada surtout) et son analogue évérolimus (utilisé sur­
tout en Europe), qui se distingue par une demi­vie net­
tement plus brève. Mentionnons en particulier l’étude
sur l’évérolimus importante pour les transplantés car­
diaques [13]. Ce groupe de médicaments n’est pas dé­
pourvu d’effets indésirables même s’il semble présen­
ter des avantages sur la vasculopathie des allogreffes
(«rejet chronique» se manifestant au niveau des coro­
naires) et l’incidence des tumeurs [14].
Grâce aux puissantes options d’association de ces nou­
velles substances, il est possible chez de nombreux pa­
tients de renoncer aux corticostéroïdes 6–12 mois déjà
après la transplantation. Mais il n’est pas prouvé que
l’abstinence de stéroïdes soit le but majeur de l’immu­
nosuppression après HTx (voir plus loin sous «tailored
immunosuppression»).
Les efforts actuels visent à établir un protocole après
transplantation sans inhibiteurs de la calcineurine
(ciclosporine et tacrolimus). Leurs effets indésirables
sont trop graves, dont néphro­ et neurotoxicité, hyper­
tension ou hirsutisme (ce dernier surtout pour la ci­
closporine). Les PSI (évérolimus ou sirolimus) ne sont
pas néphrotoxiques mais ont d’autres effets indési­
rables, dont hyperlipidémie, tendance aux œdèmes, re­
tard de cicatrisation de plaies, thrombopénie et hémor­
ragies. Les MMF ont moins d’effets indésirables
(hépatotoxicité) et semblent avoir un effet intéressant
dans la prévention de la vasculopathie de la greffe. Ils
peuvent cependant avoir des effets indésirables gastro­
intestinaux.
Le développement des inhibiteurs de la transduction de
signal JAK/STAT (par ex. tasocitinib, CP­690,550) ou
l’inhibiteur de la costimulation CD 28 bélatacept pour­
rait être un nouveau progrès. Comme d’habitude, de
tels médicaments intéressants sont utilisés dans des
études cliniques d’abord chez des patients transplantés
rénaux à cause de leur nombre, raison pour laquelle il
faut encore attendre les premiers résultats cliniques
dans la transplantation cardiaque.
Tableau 2. Contre-indications absolues et relatives à la transplantation cardiaque.
Contre-indications absolues
Hypertension pulmonaire >6 Unités Wood sans réversibilité
Infections chroniques incontrôlables
Néoplasies malignes sans intervalle sans récidive
Insuffisance hépatique à un stade avancé et pneumopathie chronique
Artériopathie occlusive cérébrale ou périphérique à un stade avancé
Grave dépendance persistante
Contre-indications relatives
Insuffisance rénale
Diabète avec atteinte d’organes cibles
Ostéoporose à un stade avancé
Age
Compliance du patient non garantie
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En résumé, il n’y a aujourd’hui plus d’immunosuppres­
sion standardisée. La décision de quelle association
présente le plus grand avantage et a le moins d’effets
indésirables se prend bien plus individuellement, dans
le sens d’une «tailored therapy» (thérapie sur mesure)
en fonction de l’âge du patient et de son anamnèse, de
même que du temps écoulé depuis sa transplantation
[15]. Les effets indésirables des immunosuppresseurs
restent toujours un grand problème clinique.
Après une HTx, il faut en outre administrer des médi­
caments pour la prophylaxie des infections, atténuer les
effets indésirables et traiter les maladies concomi­
tantes. Un antimycosique agissant localement est sou­
vent prescrit pour la prévention des mycoses gastro­in­
testinales. Pratiquement tous les patients transplantés
reçoivent en outre du cotrimoxazole comme prophy­
laxie des infections opportunistes à Pneumocystis.
La constellation donneur positif – receveur négatif pour
la cytomégalie est traitée par ganciclovir pendant les
premiers mois. Les statines (inhibiteurs de l’HMG­CoA­
réductase) font également partie du traitement médica­
menteux à long terme vu qu’elles abaissent la concen­
tration des cholestérols total et LDL tout en provoquant
une induction enzymatique du cytochrome P450 (ce qui
permet de diminuer la dose des inhibiteurs de la cal­
cineurine et du même fait de réaliser des économies)
[16, 17].
Génériques et immunosuppresseurs
La décision médicale pour le traitement médicamen­
teux, surtout pour les receveurs d’organes, doit rester
indépendante et libre de toute décision d’organisations
éventuellement impliquées (autorités ou instances non
gouvernementales). Il y a de sérieux doutes sur les gé­
nériques des immunosuppresseurs:
Par définition les génériques doivent être interchan­
geables avec l’original pour ce qui est de leur principe
actif, leur présentation, leur mode d’administration,
leur dose et leur indication, mais les principes actifs ne
doivent pas être identiques (risque d’allergie ou d’inter­
actions, particulièrement délicates pour les immuno­
suppresseurs). De petites différences sont autorisées
dans le principe actif (par ex. sels différents).
Les génériques doivent en principe apporter la preuve
de leur équivalence thérapeutique (= profil d’efficacité et
d’effets indésirables identique). Si ce n’est pas le cas
(par ex. sous­immunosuppression, avec risque de rejet),
il ne faut pas oublier que dans les transplantations d’or­
ganes thoraciques (cœur, poumon) une technique de
transition mécanique n’est pas possible sans autre
(contrairement au rein avec la dialyse). Le problème des
infections, tumeurs ou effets indésirables se posera en
cas de sur­immunosuppression. L’équivalence théra­
peutique (efficacité, effets indésirables et interactions) a
une importance capitale pour les immunosuppresseurs.
Il n’y pas de grande étude randomisée et contrôlée à ce
propos. De telles études pourraient montrer de très
grandes différences de prix, ce qui explique en partie du
moins la différence de prix par rapport aux originaux.
L’échange des médicaments signifie aussi une insécuri­
sation du patient. Comme il est déjà connu avec d’autres
génériques, le patient risque aussi bien un surdosage
qu’un sous­dosage en raison de confusion ou de répéti­
tion en raison de noms différents des médicaments.
Il n’y a généralement pas d’étude de bioéquivalence
bien faite sur le traitement de patients transplantés.
L’intervalle de confiance (d’après Swissmedic 80–125%)
a été jusqu’à récemment fixé trop large pour les médi­
caments ayant des marges thérapeutiques étroites,
comme c’est le cas par ex. des immunosuppresseurs
(= narrow therapeutic index [NTI] drugs = critical dose
drugs [CDD] = courbe dose­effet pointue), pour lesquels
un contrôle des concentrations sanguines ou plasma­
tiques du principe actif est nécessaire. Il y a pour les im­
munosuppresseurs une grande variabilité pharmaco­
cinétique, inter­ et intraindividuelle, avec de graves
conséquences en cas de sur­ ou sous­dosage. L’EMEA et
Health Canada ont donc fixé un intervalle de confiance
de 90 à 112%. Selon le N.C. Board of Pharmacy, le N.C.
Medical Board et le State Health Director (N.C. Register,
23 [17]: 2 mars 2009) et le «Dispense As Written (DAW)
Code 7», la substitution des «critical dose drugs»
(comme le tacrolimus ou la ciclosporine) a été interdite
et la délivrance de l’original a été impérativement im­
posée. L’autorité de surveillance nationale Swissmedic
a édicté la nouvelle ordonnance suivante le 12 octobre
2010: les NTI doivent avoir des intervalles de confiance
plus étroits (à savoir 90–111% pour l’AUC et la Cmax)
[18].
Correspondance:
Prof. P. Mohacsi
Schweizer Herz- und Gefässzentrum
Inselspital
CH-3010 Bern
[email protected]
[email protected]
Références recommandées
– Stehlik J, Edwards LB, Kucheryavaya AY, Aurora P, Christie JD, Kirk
R, et al. The registry of the International Society for Heart and Lung
Transplantation: twenty­seventh official adult heart transplant report –
2010. J Heart Lung Transplant. 2010;29:1089–104.
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Herztransplantation und mechanische Kreislaufunterstützung
Aktueller Stand und Perspektiven (Teil 1) /
Transplantation cardiaque et assistance circulatoire mécanique
Situation actuelle et perspectives (1ère partie)
Weiterführende Literatur (Online-Version) / Références complémentaires (online version)
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