LE QUARTIER DES HALLES A PARIS DIAGNOSTIC PATRIMONIAL

Transcription

LE QUARTIER DES HALLES A PARIS DIAGNOSTIC PATRIMONIAL
LE QUARTIER DES HALLES A PARIS
DIAGNOSTIC PATRIMONIAL DE
L’ARCHITECTURE DES ANNEES 1975-2000
SEM PARIS CENTRE
JUILLET 2004
BENOIT CARRIE – THIERRY ROZE ARCHITECTES
52, boulevard du Montparnasse 75015 Paris
2
Le quartier des Halles à Paris
Cette étude a été réalisée par Benoit CARRIE et Thierry ROZE, architectes D.E.P.Zürich,
avec la collaboration de Mireille GUIGNARD, architecte D.P.L.G.
Illustration de couverture : vue d’ensembles des Halles – Fonds Arretche – Archives de l’IFA
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
SOMMAIRE
1 – INTRODUCTION
2 – RAPPEL DE CHRONOLOGIE GENERALE
3 – LA PRIMAUTE DES INFRASTRUCTURES : « LE SUBSTRATUM »
4- LE SCHEMA URBAIN D’ENSEMBLE
5- LE PATRIMOINE BATI : CONSTRUCTIONS, EDIFICES, AMENAGEMENTS
PAYSAGERS ET D’ESPACES PUBLICS
5.1- LES CONSTRUCTIONS SOUTERRAINES
5.1.1 - LES TRANSPORTS (RATP)
5.1.2 - LES ESPACES COMMERCIAUX (Vasconi, Pencreac’h)
5.1.3 – LES EQUIPEMENTS PUBLICS (Chemetov)
5.2 - LES CONSTRUCTIONS ET EDIFICES DE SURFACE
5.2.1 – LA CENTRALE DE CLIMATISATION (Saltet)
5.2.2 – LES LOGEMENTS SOCIAUX, LA CRECHE RUE RAMBUTEAU (D.L.M.)
5.2.3 – LES PAVILLONS LESCOT- RAMBUTEAU (Willerval)
5.2.4 – LES PROGRAMMES PRIVES RUE BERGER (Marot-Tremblot , Martinet)
5.3 – LE JARDIN, AMENAGEMENTS PAYSAGERS ET D’ESPACES PUBLICS
5.3.1 – LE JARDIN (Arretche, l’APUR, Mathieux
5.3.2 – ARCHITECTURE VEGETALE ( François Lalanne)
5.3.3 – JARDIN DES ENFANTS ( Claude Lalanne)
5.3.5 – LES AMENAGEMENTS DE VOIRIE (Mougin, Mathieux)
6 – CONCLUSION
Annexes :
Bibliographie et sources
Notices sur les projets
Chronologie
3
4
Le quartier des Halles à Paris
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
5
1 – INTRODUCTION
La station de RER Châtelet les Halles a été inaugurée en décembre 1977, le Forum
des Halles en 1979, les édifices en périphérie du Forum en 1983-84, les derniers
équipements publics souterrains et le jardin en 1986. L’opération du quartier des
Halles a donc maintenant entre 20 et 25 ans d’âge : ce qui est très peu à l’échelle
temporelle de la ville, mais permet cependant, après une génération, de renouveler
le point de vue sur l’architecture d’une période, et d’avoir de premiers éléments de
jugements sur la pérennité technique, esthétique et d’usage de cette architecture.
Les débats autour du réaménagement des Halles ont représenté un moment fort
dans la réévaluation du patrimoine du XIXème siècle, autour de la question de la
démolition des pavillons de Baltard, et par rapport à une prise en compte nouvelle
du contexte urbain. Comme le note François Loyer dans son histoire de
l’architecture contemporaine en France à propos de l’opération des Halles: « Non
seulement la France fait à cette occasion la découverte de la pensée historique sur
la ville, mais elle comprend l’importance de la notion de forme urbaine – longtemps
niée par une approche purement techniciste de l’aménagement. », et plus
loin : « Pour les architectes imprégnés de culture moderne et soucieux avant tout du
projet, l’objectif n’est pas patrimonial, il est urbain.. »1 L’architecture de l’opération
des halles apparaît ainsi comme le résultat de tensions entre un projet éminemment
technique en infrastructure (RER, métro, voirie souterraine), et l’expression en
surface de ces débats d’idées sur le rapport au contexte urbain et à l’histoire, sur le
patrimoine et la modernité.
Œuvres d’architectes aux profils divers, mais tous d’une stature certaine,
représentant pour certains l’ « establishment » architectural des années 60-70
(Arretche, Marot, Willerval), ou bien une nouvelle génération de professionnels
(Vasconi), ou encore un profil d’architecte engagé dans les débats théoriques et
socio-politiques (Chemetov), les réalisations architecturales du quartier des Halles
se retrouvent 25 ans après soumis à une réévaluation, alors que le faible laps de
temps écoulé ne les place pas encore dans le champ de l’histoire de l’architecture,
avec la distance et le détachement que cela implique, et que les débats et
polémique de l’époque de leur réalisation résonnent encore. Comme le remarque
également François Loyer : « Il faudra encore du temps pour que les architectes
admettent dans sa globalité le patrimoine de l’époque contemporaine. »2 Alors que
l’architecture des années 50 et 60 commence à peine à se voir prise en compte
comme véritable objet d’étude historique, l’architecture des années 70 et 80, celle
des Halles, n’a pas encore atteint ce stade d’objet d’histoire, et, née au milieu de
débats sur le patrimoine architectural et urbain, elle se retrouve elle-même au centre
d’un questionnement sur sa valeur en tant que patrimoine.
Le secteur des Halles faisait partie à l’origine d’un projet d’ensemble commun avec
le plateau Beaubourg, qui a lui aussi été l’objet de nombreux débats et critiques,
mais a finalement trouvé une reconnaissance consensuelle, et a déjà connu une
phase de rénovation corrigeant un certain nombre de ses défauts de
fonctionnement ou d’insertion urbaine ; le secteur des Halles a connu comme
Beaubourg un très important succès de fréquentation, lié à la présence du nœud de
communication qu’il abrite, mais aussi à l’attrait de ses commerces, de ses
équipements publics, et également de son jardin et de ses voies piétonnes.
Cependant, contrairement à Beaubourg, le quartier des Halles n’a pas réussi à
susciter un consensus sur son architecture, alors que les critiques et polémiques qui
1
2
François Loyer, Histoire de l’Architecture, de la révolution à nos jours, Mengès, Paris 1999
Ibidem
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Le quartier des Halles à Paris
l’ont vu naître sont à peine éteintes, que les dysfonctionnements apparus au cours
de ces 25 premières années de vie n’ont pas été corrigés, et qu’est mise en œuvre
une réflexion sur un réaménagement important de ce secteur.
Dans ce contexte, où les nouveaux projets de réaménagement du quartier des
Halles ne manqueront pas eux-mêmes de susciter des débats, et ne pourront être
sans conséquence sur les architectures existantes, il apparaissait utile de retracer la
genèse de ces différentes réalisations architecturales, et d’apporter des éléments
d’information pouvant être autant d’aides à la décision. Nous avons donc cherché ici
à resituer chacune des architectures étudiées par rapport au contexte historique qui
l’a vue naître, par rapport aux intentions de ses auteurs (Maîtres d’ouvrage,
architectes,..) et aux contraintes programmatiques, techniques, esthétiques qui l’ont
conditionnée, par rapport à sa réception dans la presse, les ouvrages et
publications, par rapport aux évolutions constatées depuis sa réalisation. Réalisée à
la demande de la SEM Paris Centre, comme élément d’information complémentaire,
à l’instar de diagnostics techniques ou socio-économique, en parallèle aux marchés
de définition pour l’aménagement du quartier en cours actuellement, cette étude, a
été menée sur une période de temps très courte par rapport à l’ampleur du sujet ;
elle s’est appuyée pour l’essentiel sur le très abondant matériel publié, sur un
certain nombre de sources d’archives directes (IFA, SEMAH, architectes), sur des
entretiens avec les architectes1 (pour la plupart encore actifs aujourd’hui), et sur une
documentation photographique sur place.2 Face à la multiplicité et à l’ampleur des
sources à analyser, nous nous sommes efforcés d’adopter un point de vue détaché
aussi bien des débats idéologiques du moment qui ont vu naître les projets, que de
l’instant actuel, dans le souci d’une information la plus objective possible.
1
Nous remercions les architectes et artistes qui nous ont accordé un entretien : Paul
Chemetov, Claude Vasconi, Georges Pencréac’h, Bruno Willerval, Isabelle Willerval, Daniel
Poret architecte à l’agence Willerval, Michel Ducharme et Jean Chéron de l’agence DLM,
Michel Marot, Daniel Farray, architecte à la RATP, Philippe Mathieux architecte à l’APUR,
François-Xavier Lalanne, Claude Lalanne.
2
Les deux publications de référence sur l’aménagement du Quartier des Halles, qui
constituent des sources d’information et de documentation fondamentales sont :
- Christian Michel, Les Halles, la renaissance d’un quartier 1966-1988, Masson, 1988
- Paris-Projet N°25-26, les Halles, achèvement d’un projet, APUR, 1985
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
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2 – RAPPEL DE CHRONOLOGIE GENERALE
Les Halles de Baltard viennent prendre la place de l’ancien marché à partir de
1848 ; le dernier pavillon du plan de Baltard est construit en 1936, au pourtour de la
Bourse de Commerce. En 1960, le transfert total du marché des Halles à Rungis est
décidé par le Comité Interministériel d’Aménagement de la Région Parisienne. C’est
le début d’une longue succession d’études et de projets pour le réaménagement du
quartier des Halles. La SEAH, Société d’Etudes pour l’aménagement du quartier
des Halles, prédécesseur de la SEMAH, puis de la SEM Paris Centre est créée en
1963 dans ce but. En 1967, le premier concours d’architectes est lancé, c’est le
concours dit des « 6 maquettes », auquel participent Arretche, Charpentier, Marot,
Faugeron, de Marien, et l’AUA. Le rejet de ces propositions par le Conseil de Paris,
qui considère qu’ « au stade actuel priorité doit être donnée au choix d’un plan
d’urbanisme plutôt qu’aux considérations purement architecturales », conduit à
l’adoption de la « délibération Capitant » en octobre 68, qui limite les densités et fait
le choix d’un « urbanisme souterrain », allant de pair avec le creusement à ciel
ouvert de la station de RER Châtelet les Halles. L’APUR, Atelier Parisien
d’Urbanisme, créé depuis peu, dirigé par Pierre-Yves Ligen et dont l’architecte conseil est Louis Arretche, est chargé de l’étude du schéma d’aménagement sur
15ha, qui comprennent également le secteur du plateau Beaubourg. Ce schéma est
approuvé par le Conseil de Paris en juillet 69, la conception d’ensemble est alors
définie pour l’essentiel. La mise en oeuvre de ce projet, qui verra intervenir de
nombreux acteurs, aux statuts et objectifs très divers : l’Etat, la Ville de Paris, la
RATP, la SNCF, la SEMAH, l’APUR, les architectes et urbanistes, les maîtres
d’ouvrage, les politiques et les associations, la presse,…mettra en définitive plus de
quinze ans pour être menée à son terme.
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Le quartier des Halles à Paris
Le déménagement du marché de gros vers Rungis, à partir de 1969, libère les
pavillons de Baltard, qui sont affectés temporairement à des activités culturelles et
de loisir dans l’attente de leur démolition. C’est le début de la « bataille des
pavillons », en vue de leur conservation, qui n’empêchera pas leur démolition entre
1971 et 1974 (l’un deux sera démonté et remonté à Nogent-sur-Marne). La fouille
pour la construction de la station RER débute, et les études et consultations pour
les différentes constructions prévues sont engagées en parallèle. Fin 1972, le
Conseil Municipal approuve le projet de Centre Français du Commerce International
(CFCI) dont l’architecte est Louis de Marien, côté Bourse de Commerce, et début 73
le projet de SERETE Aménagement (devenu Espace Expansion), avec les
architectes Vasconi et Pencréac’h, est retenu pour le Forum de Commerces au
dessus de la station du RER.
L’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la république en 1974
entraîne une réorientation de l’action de l’Etat dans le quartier des Halles. Le Permis
de construire du CFCI étant annulé pour vice de forme, Giscard d’Estaing décide
que la surface prévue sera affectée à l’extension du jardin. S’ensuit une série de
consultations, sous la houlette de Michel Guy, Ministre de la Culture. Le projet
proposé par Ricardo Bofill a la préférence de l’Elysée, mais reçoit un accueil très
réservé du Conseil de Paris. Entre 1975 et 1978, un grand nombre de projets se
succèdent, où apparaissent Emile Aillaud, de La Tour d’Auvergne, Vasconi,
J .C.Bernard, etc. Cette suite de projets, signe de la difficulté à trouver un accord
entre la Ville de Paris et l’Etat, aboutit cependant en 1976 à la présentation d’un
plan masse par le « Collège des Architectes » (Henry Bernard, Ricardo Bofill,
Bernard de la Tour d’Auvergne et Marc Saltet) ; la réalisation de l’immeuble
Rambuteau est confiée à Ricardo Bofill, dont l’architecture suscite de nombreuses
critiques. Dans la même période, la station RER est inaugurée, et les travaux du
Forum se poursuivent.
L’élection de Jacques Chirac à la Mairie de Paris en 1977 change une nouvelle fois
la donne. Chirac remet en cause la monumentalité du projet Bofill, demande un
nouveau schéma d’aménagement, avec une architecture mieux intégrée à son
environnement, un plus grand respect de la trame urbaine existante et des
cheminements traditionnels, un soin particulier donné aux espaces libres.
« L’architecte des Halles, c’est moi », aurait dit Jacques Chirac. L’Etat se
désengage du projet des Halles, le Président renonce à son projet de Grand
Auditorium qui aurait du s’implanter le long de la rue Pierre Lescot. De nouvelles
consultations sont lancées pour le schéma d’aménagement d’ensemble et le jardin.
C’est en définitive le projet d’Arretche et de l’APUR qui est retenu en 1979. La
conception du jardin est confiée à Louis Arretche, avec la participation de F.X.
Lalanne. Les consultations pour les bâtiments en périphérie du Forum sont lancées
en parallèle, les projets de DLM pour le bâtiment Rambuteau, Willerval pour le
bâtiment Lescot et Marot pour le bâtiment Berger sont choisis. Le Forum de Vasconi
et Pencréac’h est inauguré en septembre 79, et fin 79 les équipements souterrains
de la zone Eustache-Bourse sont confiés à Paul Chemetov. Le lancement par le
syndicat de l’Architecture d’un concours de contre-projets fin 79 n’entravera pas la
réalisation des projets maintenant engagés.
A l’exception de quelques retouches concernant les perspectives sur SaintEustache, l’élection présidentielle de 1981 n’entraînera pas de bouleversement du
projet, dont les différentes parties vont être inaugurées de 1983 à 1986 : l’immeuble
Rambuteau et les pavillons de Willerval en 83, l’opération rue Berger en 84, les
équipements publics de Chemetov en 85, et le jardin par phases échelonnées de 83
à 86. De 83 à aujourd’hui, seul le Forum connaît une rénovation de ses
aménagements intérieurs (1995). En 2003, la SEM Paris Centre mandatée par la
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
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Ville de Paris lance un ensemble d’études de définition pour le réaménagement du
quartier des Halles.
Différents moments du chantier. En haut les Halles en 1983, en
bas, en août 1983, dans l’axe de la diagonale.
(Paris-Projet n°25)
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Le quartier des Halles à Paris
3 – LA PRIMAUTE DES INFRASTRUCTURES : « LE SUBSTRATUM »
A la suite de la délibération du Conseil de Paris, dite délibération Capitant (24
octobre 68), qui fixe les grandes orientations du projet des Halles, de l’approbation
du schéma d’ossature urbaine par le Conseil de Paris (11 juillet 69), et de la
création de la SEMAH (11 juillet 69), chargée de mettre en œuvre ce schéma sur
les plans techniques, juridiques et financiers, va débuter la première phase effective
de réalisation de l’opération des Halles, comportant en particulier tous les travaux
d’infrastructure souterraine, qui conditionnent de manière très forte la conception et
la réalisation de l’ensemble des constructions, y compris en surface.
La délibération Capitant précise ainsi les grands axes du schéma d’aménagement :
(…)« - Le sous-sol (de la zone de rénovation – qui inclue le plateau Beaubourg et
l’actuel Quartier de l’Horloge) sera intégralement utilisé jusqu’au banc de calcaire
grossier qui en constitue le soubassement. Il comprendra un vaste « forum »
souterrain auquel on accédera soit par les stations du RER et du Métro, soit par les
issues conduisant à l’extérieur, et sur lequel donneront des équipements
commerciaux, culturels, sportifs et de loisirs, qui composeront une ville
souterraine. »
(…) « - Les travaux à fouille ouverte d’établissement des deux stations du RER
prévues sous le plateau des Halles seront entrepris dès que leur emplacement
exact aura été fixé.
Le plan exclura le Ministère des Finances et prévoira la construction, d’une part, sur
le plateau Beaubourg, de la Bibliothèque de lecture publique et, d’autre part, autour
de la Bourse de Commerce, qui sera maintenue à son emplacement actuel, du
Centre de commerce international. »
Au delà des modifications ultérieures de programme (élargissement du programme
de bibliothèque publique qui deviendra le centre Pompidou, suppression du
programme de Centre de Commerce international en 1974), les grandes options
techniques et urbanistiques définitives sont ainsi d’ores et déjà arrêtées. Cette idée
d’un urbanisme souterrain, que diverses propositions avaient déjà mis en avant
(comme les projets du Gecus et de Pierre Faucheux) va être mise en œuvre par la
SEMAH, et sur le plan technique, sous l’impulsion de son directeur technique,
Bernard Pilon.
Projet de Pierre Faucheux, Le Nouvel Observateur, 28 fév. 1968
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
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Cette conception s’appuie en particulier sur la notion de « substratum », que la
SEMAH resitue de la manière suivante dans l’évolution des conceptions urbaines:
« (…) Dans les villes anciennes des bâtiments jointifs s’alignaient le long des rues
qui étaient à la fois leur aire commune d’accès et l’espace non bâti qui leur apportait
l’air et la lumière (…)
L’étape suivante de cette évolution fut l’apparition de « mégastructures » regroupant
dans un immense soubassement des rues et places couvertes ou non, des
commerces, des salles de spectacles, des parkings et les halls d’entrée
d’immeubles d’usages divers qui s’élèvent chacun séparément au dessus du
soubassement ; ces ensembles immobiliers se sont développés notamment en
Amérique du Nord mais restent au plan foncier des propriétés privées qui occupent
dans le tissu urbain quelques blocs desservis par le quadrillage des voies publiques
dont ils sont riverains.
Un pas de plus a été fait dans l’opération souterraine des Halles avec l’intégration
complète, au plan technique, de l’infrastructure urbaine et des bâtiments privés ou
publics, ceux-ci perdant à la fois leur indépendance structurelle et leur lien exclusif
avec une emprise au sol identifiée sur un plan parcellaire, et pouvant être localisés
en volume aussi bien dans le substratum qu’à l’air libre. »1 (souligné par nous)
Les conséquences de cette conception sont nombreuses, et conditionnent
largement aussi bien les constructions existantes que leurs possibilités d’évolution
et de transformation, aussi bien sur le plan technique (interdépendance structurelle
des différents composants du bâti), que sur le plan juridique (copropriété en volume,
cogestion des équipements, etc.). Ces particularités de l’ouvrage devront être prises
en compte de manière précise dans le cadre des projets de réaménagements en
cours d’étude. Cette conception est bien évidemment aussi à l’origine d’un certain
nombre des problèmes apparus à l’interférence des infrastructures et de la surface :
débouchés des voieries souterraines, émergences des sorties de secours, des
réseaux de ventilation, etc., qui expliquent certaines des difficultés de continuité
urbaine, de traitement des rez-de-chaussée, l’impact volumétrique de certains
équipements (la centrale de climatisation).
implantation de la ligne RER et la tranche
1 (SEMAH par Bouchain-Klessman)
1
Plaquette SEMAH « Les Halles, 10 ans d’activité », 1979
12
Le quartier des Halles à Paris
Concrètement, le substratum se présente de la manière suivante : « Le substratum
est une construction composite qui s’apparente tantôt à un bâtiment, tantôt à un
ouvrage d’art : la poussée des terres à reprendre, les grandes portées entre points
d’appui, l’importance des charges, les tracés de voirie ou de lignes de métro
comportant des courbes, des rampes, etc., relèvent des techniques d’ouvrages
d’art ; le caractère tridimensionnel des structures, l’encombrement des réseaux,
notamment des gaines d’air frais ou vicié, des galeries techniques, la variété des
fluides transportés, l’utilisation surtout par le public des locaux éclairés et climatisés,
le font considérer comme un bâtiment particulièrement vaste et complexe. »1
Sans revenir sur les modifications successives de programme et de projet, le
substratum se compose en définitive de deux grandes zones : la station RER et le
Forum central d’une part, le secteur Saint-Eustache - Bourse d’autre part. Chacune
de ces zones est constituée de « boites » monolithiques étanches, destinées à
empêcher les venues d’eau à l’intérieur de l’ouvrage, le niveau de la nappe étant
supérieur au niveau le plus bas (-18m à -26m pour l’emprise du RER) et à
contrebalancer les poussées de l’eau sur les parois, sachant que le poids total des
ouvrages construits est nettement inférieur au poids de la terre retirée. Pour faire
face à ce dernier problème, le calcaire grossier dans lequel le substratum est ancré
est rendu étanche par injection de ciment, et utilisé en quelque sorte comme lest.
Schémas SEMAH
La structure constructive est basée sur une trame porteuse de grande dimension
(16mx11,31m) en béton armé ou précontraint, ou exceptionnellement en charpente
métallique. « Le parti constructif consiste à constituer des blocs d’assez vastes
dimensions en plan et d’épaisseur librement dilatables; à cette fin la plupart des
poteaux traversant la station RER, et ceux fondés hors de celle-ci sous le niveau -4,
portent en tête des appareils d’appuis par l’intermédiaire desquels toutes les
charges supérieures, y compris le poids des immeubles en élévation, seront
transmises au terrain. Un deuxième lit horizontal d’appareils d’appui règne dans la
majeure partie de l’emprise sous le niveau -1. C’est ainsi que les planchers à -3 et 2, solidarisés par des poteaux, forment dans la partie centrale au dessus de la salle
d’échange du RER, une « plaque centrale monolithique » d’environ 150m x 180m ;
ce parti permet de réduire le nombre de joints et de réaliser les planchers avec une
poutraison en béton précontraint de faible épaisseur. »2
1
2
Ibid.
ibidem
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
13
Cette conception de la structure comme une superposition de plaques
monolithiques de grande dimension, librement dilatables, (cette dilatation pouvant
atteindre plusieurs centimètres), avec des poutres en béton précontraint continues,
nécessite d’étudier avec précision l’impact de toute modification ponctuelle de la
structure sur l’ensemble du système. La recherche, dans le cadre de projets de
transformations, de communications plus larges entre niveaux, devra en particulier
être confrontée à ces contraintes constructives.
La trame de 16m x 11,313m (dans un rapport de racine de deux) a été choisie dans
un objectif d’optimisation des contraintes fonctionnelles et dimensionnelles, liées à
l’accueil de programme très divers, et au changement d’orientation principale
suivant les niveaux: cette trame, prise sur la diagonale, permet au niveau le plus
bas d’accueillir les quais et les voies du RER, qui traverse le site en biais, alors
qu’aux niveaux supérieurs la trame orthogonale va s’insérer dans la trame urbaine
du quartier et permet d’accueillir parkings, commerces, station de métro. En
élévation au dessus du sol, cette trame s’avère en revanche peu adaptée pour les
logements, hôtels, équipements de proximité, qui se traduiront le plus souvent par la
création d’un plancher de reprise.
source SEMAH
Deux autres éléments déterminants dans la conception du substratum, qui
rejaillissent aussi sur les constructions en surface, vont être l’organisation des
réseaux, et en particulier de prise, de rejet et de traitement d’air, et les principes de
sécurité incendie. Concernant le premier point, ces réseaux comprennent les prises
et rejet d’air pour les voiries, parkings, et station RER, représentant les plus grosses
sections, les prises et rejets d’air pour le Forum commercial, généralement situées
dans les tours de sécurité, ainsi que les centrales de traitement d’air. Le chaud et
froid est distribué dans tous les locaux climatisés (commerces et équipements) à
partir de la centrale de climatisation située sur la rue de Turbigo, vaste bâtiment en
béton englobé dans l’ensemble de logements de la RIVP entre les rue Rambuteau
et de Turbigo. Les principes de sécurité s’appuient sur la voirie souterraine comme
niveau d’intervention, et la division des surfaces commerciales en cantons de 3000
à 6000 m2, séparés par des murs, des planchers et des portes coupe-feu (ce
dernier principe expliquant pour une bonne partie l’importance relativement limitée
des communications entre espaces à différents niveaux). L’évacuation du public est
assurée par des escaliers, pour la plupart regroupés dans des tours de sécurité
circulaires contenant chacune trois escaliers en hélice superposés. Les installations
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Le quartier des Halles à Paris
de détection incendie, d’extinction automatique (sprinklers), de désenfumage
complètent ces dispositifs. L’ensemble des dispositifs de sécurité, en l’absence
d’une réglementation spécifique adaptée à un ouvrage aussi exceptionnel, résulte
d’une mise au point particulière associant les services de sécurité aux gestionnaires
(RATP, SEMAH, Espace Expansion) et les concepteurs et entrepreneurs.
Les spécificités de la conception et de la mise en œuvre du « substratum »,
préexistant à la totalité des programmes qui ne verront le jour que progressivement,
nous paraissent particulièrement importants à souligner, car ils renvoient à l’histoire
du projet des Halles (la réalisation du RER en fouille ouverte expliquant par exemple
largement la décision de démolition des pavillons Baltard situés sur le périmètre), et
conditionnent aussi bien la réalisation des architectures existant aujourd’hui sur le
site que les transformations envisageables. Contexte technique autant que contexte
urbain et architectural, le « substratum » du secteur des Halles va influer sur les
principes généraux d’aménagement urbain comme sur les diverses réalisations
architecturales.
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
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4- LE SCHEMA URBAIN D’ENSEMBLE
Sans remonter aux propositions de le Corbusier dans son « Plan Voisin », ou de
Raymond Lopez et Maurice Rotival portant sur tout le centre de la capitale, on peut
faire remonter au concours des « 6 maquettes » en 1967 le point de départ effectif
de l’opération de rénovation des Halles. Ces projets font état chacun de prises de
position diverses, dont on pourra retrouver les échos tout au long des débats, des
projets successifs, qui vont émailler le long parcours conduisant jusqu’à un schéma
urbain définitif, tel qu’il est approuvé en mars 79 par le Conseil de Paris. D’autre
part, les participants à ce concours vont pour la plupart demeurer des protagonistes
actifs des réflexions sur le projet d’aménagement, et pour certains devenir les
auteurs de la mise en œuvre effective de l’opération : Louis Arretche, avec l’APUR,
pour la conception et la coordination générale du schéma d’aménagement et la
réalisation du jardin, Louis de Marien auteur du projet de Centre Français de
Commerce International finalement abandonné, Paul Chemetov pour les
équipements publics du secteur Saint-Eustache – Bourse, Michel Marot pour
l’opération sur la rue Berger.
Projet de de Marien à gauche et de l’A.U.A. à droite
Les projets du concours des « 6 maquettes », qui portent sur l’ensemble du secteur
halles - plateau Beaubourg, expriment en effet déjà quelques uns des grands choix
d’aménagement possibles, qui seront l’objet de débats tout au long de la mise au
point du projet, et dont l’actualité reste vive. Si Claude Charpentier, qui représente la
protection du Paris traditionnel, prévoit la conservation des îlots encore épargnés
par l’haussmannisation, Marot et Tremblot proposent une grande composition
ménageant un espace libre à l’échelle du Louvre ou du Palais-Royal, alors que
Faugeron projette un ensemble monumental se développant verticalement. De
Marien, qui représente la tendance « classique », est le seul à conserver un des
pavillons de Baltard. L’équipe de l’A.U.A., consultée à la demande d’André Malraux
Ministre de la Culture, représente l’option novatrice et propose plusieurs projets,
témoignant des débats internes à l’équipe. Louis Arretche (avec Philippe Panerai,
Jean Castex et René Verlhac) insiste sur le maintien de la trame urbaine du
quartier, et propose une organisation qui renvoie davantage aux Halles
préhaussmanniennes qu’à la rationalité géométrique des Halles de Baltard.
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Le quartier des Halles à Paris
Projet de Marot pour le concours de 1967
Si les grandes options programmatiques (abandon du projet de Ministère des
Finances) et la densité, jugée excessive, des projets des « maquettes » sont
remises en cause par la délibération Capitant, un certain nombre des grandes
options urbaines possibles sont déjà présentes : monumentalité ou échelle
« ordinaire », grande composition ou poursuite des tracés existants, prédominance
de l’espace libre ou du bâti, etc. Louis Arretche, devenu architecte-conseil de
l’APUR, auprès de son directeur Pierre-Yves Ligen, maintiendra quant à lui des
positions similaires jusqu’au terme de son travail de coordination du schéma général
d’aménagement.
Le schéma d’ossature urbaine de l’APUR, voté par le conseil de Paris en juillet 69,
et le P.A.Z. qui en découle,vont constituer les documents de référence, tout au long
de la période qui va des polémiques sur la démolition des pavillons de Baltard
jusqu’aux remises en cause de 1974. Le programme comprend alors, sur le
secteur ouest (les Halles) : le Forum de commerces et loisirs (40000 m2) et 10000
m2 de commerces en surface, le CFCI (90000 m2), 18000 m2 de logements, un
hôtel (25000 m2) et l’Hôtel des Ventes (25000 m2). Le P.A.Z. précisait que ces
volumes devaient respecter l’échelle des constructions environnantes et s’insérer
dans la texture du quartier, en ménageant la plus large transparence sur l’espace
libre central. Le Forum de Commerces est attribué en janvier 73, à la suite d’une
consultation de plusieurs équipes promoteurs – architectes, au groupement
constitué par SERETE Aménagement et les architectes Vasconi et Pencréac’h.
Le permis de construire du CFCI est annulé en juin 1974, suite à un recours de
l’Union des Champeaux, et le président Giscard d’Estaing nouvellement élu décide
à la suite de cet événement une réorientation complète du projet des Halles :
l’espace dévolu au CFCI, contre la Bourse de Commerce, sera affecté à
l’agrandissement du jardin prévu, l’Hôtel des Ventes et une partie des commerces
de surface sont supprimés, et les bâtiments bordant le jardin devront faire l’objet
d’une ordonnance classique. A la suite de cette décision, Michel Guy, secrétaire
d’Etat à la Culture organise en octobre 1974 une consultation d’architectes, parmi
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
17
lesquels il en retient trois, Emile Aillaud, Claude Vasconi et Ricardo Boffil, dont les
projets sont présentés au Président de la république, qui choisit le projet Boffil. Ce
projet est basé sur une grande composition monumentale : une place en ellipse
bordée d’une colonnade monumentale est créée face à Saint-Eustache, des
bâtiments avec des arcades sur leurs deux premiers niveaux encadrent le jardin sur
trois côtés.
Projet de R. Bofill en 1974.
18
Le quartier des Halles à Paris
Un des projets présentés au Conseil de Paris en 1975.
Projet de R. Bofill, Cl. Vasconi, G. Pencreac’h et A.Provost.
Bien que la Ville de Paris soit encore à l’époque sous la tutelle directe de l’Etat, les
élus parisiens réagissent fortement à cette réorientation du projet, qui, outre la
remise en cause de l’équilibre financier du projet, rompt également avec un des
choix essentiels qu’exprime ainsi Christian de La Malène, président de la SEMAH :
« Le choix initial et fondamental de l’opération des Halles a été de faire une
opération d’urbanisme et non une opération d’architecture. (..) Le parti choisi à
l’époque écartait toute création monumentale et recherchait la diversité
architecturale ».1 Cette opposition du Conseil de Paris, concrétisée par la
délibération du 30 octobre 74, conduit à une succession de consultations de projets
et contre-projets, depuis celle confrontant J.C. Bernard et l’APUR, dont le projet
affirme l’option diagonale, à Bernard de La Tour d’Auvergne et Ricardo Bofill,
jusqu’au projet du « Collège des architectes », qui regroupe Bofill, La Tour
d’Auvergne, Marc Saltet (qui sera l’auteur de la façade de la centrale de
climatisation) et Henry Bernard, qui étudiera le projet d’auditorium le long de la rue
Pierre Lescot. Bofill, qui fait équipe pour la conception d’ensemble avec Vasconi et
Pencréac’h et Alain Provost paysagiste, se voit attribuer l’immeuble Rambuteau,
dont le permis, déposé en 1977, est attribué en 78 et dont les travaux sont engagés
dans la foulée.
1
Intervention devant le conseil d’administration de la SEMAH – 22 août 74, cité par Christian
Michel, op.cit.
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
19
Projet du Collège des Architectes
Projet de R. Bofill pour l’îlot Rambuteau
Caractérisé par la création d’un jardin « à la française » s’étendant du Forum à la
Bourse de Commerce, sur la base d’une composition axiale est-ouest aboutissant
sur le projet d’auditorium rue Lescot, rythmée par la place elliptique face à SaintEustache et le Forum de Vasconi et Pencréac’h, et limitée par les immeubles
Rambuteau au nord et Berger au sud, à l’architecture néo-classique, le plan masse
du Collège des Architectes se verra remis en cause à la suite de l’élection de
Jacques Chirac à la Mairie de Paris en 1977. Fin octobre 1978, Jacques Chirac
annonce l’abandon du projet Bofill, jugé trop monumental et passéiste, et se déclare
« Architecte en Chef des Halles ». Cette décision entraîne le retour sur le devant de
la scène de l’APUR et de Louis Arretche, dont les options se trouvent confirmées.
Le projet présenté début 1979 comporte les éléments suivants :
- un jardin constitué de plusieurs espaces, comportant un mail diagonal et une
place « à l’italienne » devant Saint-Eustache,
- des terrasses en gradin prolongeant le jardin jusqu’à la rue Pierre Lescot,
- entre le Forum et la Bourse de Commerce, un ensemble d’équipements
publics en sous-sol,
- l’ immeuble de logements rue Rambuteau et les immeubles de bureaux et
hôtel rue Berger doivent retrouver un caractère architectural plus modeste.
Le programme et les grandes options de la composition définitive se trouvent dès ce
moment là fixés, et traduits dans le nouveau P.A.Z. : « la définition du P.A.Z. est
commandée par une considération essentielle, qui, plus que la recherche des
grandes perspectives de conception monumentale, forcément toutes plus ou moins
20
Le quartier des Halles à Paris
artificielles, porte sur la création d’un grand plateau piétonnier. Il serait constitué de
tout un réseau, de tout un jeu d’espaces ponctués de places, de placettes, de
cheminements, qui donne sa marque essentielle à l’opération des Halles. »1
La maquette du jardin
Il faut souligner que, contrairement aux débats et polémiques que soulèveront les
futures constructions, ce schéma suscite à l’époque un consensus presque général,
allant des associations satisfaites du rétablissement du tracé de la rue Rambuteau
que le projet Bofill englobait dans une galerie couverte, de l’étendue du jardin et de
l’échelle limitée des constructions, à la Commission des Sites qui approuve ce
schéma en mai 79, et aux élus municipaux, de la majorité comme de l’opposition.
Ainsi Jacques Lang déclare-t-il en mars 79 au Conseil de Paris : « (..) dans l’affaire
des Halles, nous avons, Monsieur le maire, suffisamment querellé, ferraillé,
polémiqué, interpellé, manifesté, pour ne pas vous rendre grâce, quand nos appels
sont parfois entendus. Comment nier que votre nouvelle esquisse tient compte des
observations et des demandes du groupe socialiste ? »2 De même, Philippe
Mithouard, représentant le groupe centriste déclare : « Comment d’ailleurs ne
voterions nous pas ces orientations, puisqu’elles coïncident avec les grandes
options que seuls ou presque nous avions défendues en 1975 ? Primauté de SaintEustache, suppression du monumental, respect de la perspective des Innocents,
abandon d’une composition purement orthogonale et symétrique pour une
combinaison alliant l’orthogonal et le diagonal conformément d’ailleurs aux
structures du quartier, création d’un jardin pour vivre et non d’un jardin pour voir, et
d’une place ouverte sur le quartier ; affirmation enfin d’une continuité avec le
quartier dans les volumes, dans les espaces et dans les cheminements…»3
Une des seules oppositions radicales provient du Syndicat de l’Architecture qui juge
le projet sans ambition architecturale et organisera le concours d’idées auxquels
participeront plusieurs centaines d’architectes, concours jugé début 1980 par un jury
international prestigieux comprenant Philip Johnson, Henri Lefèvre, Carlo
Aymonino, etc.4
1
Monique Garnier-Lançon, Conseiller de Paris, rapporteur de la Commission Permanente
des Halles, déc.78, citée par Ch. Michel, op.cit.
2
cité par Ch. Michel, op.cit.
3
cité par Ch. Michel, op.cit
4
600 contre-projets pour les Halles, Association pour la Consultation Internationale pour
l’Aménagement du Quartier des Halles, Editions du Moniteur, Paris 1981.
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
21
Louis Arretche, qui a toujours, depuis son projet du concours de 1967, affirmé la
primauté de la continuité de l’espace public et du rapport aux tracés préexistants,
définit de la manière suivante les grands traits du projet dont il est chargé d’assurer
la coordination en tant qu’architecte-conseil de l’APUR, aux côtés de son directeur
Pierre-Yves Ligen:
- le rapport aux tracés et monuments, au caractère du quartier
« Quelques réflexions simples et essentielles inspiraient l’approche du traitement de
cet espace particulièrement délicat. L’analyse de sa morphologie, de son
environnement par rapport aux principaux monuments qui le bordent (SaintEustache, la Bourse de Commerce), l’histoire de sa fonction traditionnellement
populaire et vivante dans la cité, les choix effectués pour la définition de son rôle
futur, avec notamment l’implantation de la grande station du RER, tout concourait à
faire un choix essentiel : le but n’était pas, malgré la facilité apparente d’un tel parti,
de donner à cette zone qui n’est pas de très grandes dimensions, un caractère trop
solennel ou trop monumental (…) »
Les Halles en 1830, extrait du plan de Vasserot
- le rejet d’une grande composition classique ou néo classique
« La tradition des Halles était celle d’un quartier plein d’agrément, de surprises, de
pittoresque et de vie, nullement gourmé, et qu’appréciaient, pour des motifs très
divers, toutes les couches sociales de notre capitale. Ce n’était pas à mes yeux
l’emplacement d’une ordonnance classique ou pseudo-classique de l’architecture ou
de l’art du jardin, alors surtout qu’aux abords immédiats le jardin des Tuileries, celui
du Palais-Royal, la place des Vosges présentent des exemples incomparables de
ce type de traitement. Il était vain de tenter de les reproduire ou de les transposer. »
- la prise en compte de l’échelle limitée du site
« (…) Je tiens à insister sur cette question d’échelle : hors du cratère du Forum et
des espaces libres qui se trouvent à ses abords immédiats, la surface à aménager
ne représente qu’environ quatre hectares, presque trois fois moins que le Parc
Monceau, cinq fois moins que le Parc Montsouris, sept à huit fois moins que les
jardins des Tuileries et du Luxembourg. (..) ( Au cours des nombreuses querelles
suscitées par l’aménagement des Halles), tout se passait comme si cet espace était
gigantesque et libre de toutes contraintes alors qu’il était, certes très précieux, mais
de taille réduite, marqué par de nombreuses sujétions (voirie souterraine, RER,
équipements du sous-sol, etc.), dépendant aussi de son contexte monumental et
urbain (le réseau des anciennes rue du cœur de Paris mariant la trame traditionnelle
et celle d’Haussmann ou de ses prédécesseurs. »
22
Le quartier des Halles à Paris
- tracés diagonaux et orthogonaux
« (..) J’aimerais insister sur un aspect qui a fait l’objet de longs débats, parfois mal
compris ou mal présentés, entre un parti dit « diagonal » et un parti « orthogonal ».
En réalité, et au-delà de cette opposition qui me paraît assez factice, le projet du
jardin s’inscrit dans l’armature complexe offerte par la géométrie de l’espace
disponible et les diverses lignes de force du tissu urbain environnant.
Vingt rues débouchent sur le secteur des Halles ; certaines forment des axes
traditionnels en diagonale, d’autres sont des percées haussmanniennes plus ou
moins orthogonales, constituant ainsi une trame urbaine très particulière, mêlant
l’ancien et le moderne. »
- la perspective sur Saint-Eustache
« Le mail diagonal relie ces parallèles (la rue Rambuteau et la rue Berger) en même
temps qu’il assure de façon indispensable la plus belle perspective sur l’église
Saint-Eustache. Faut-il rappeler la surprise et l’émerveillement qu’a représenté pour
beaucoup de parisiens la découverte de cet axe monumental après la disparition
des anciens pavillons des halles. Le maintien et l’affirmation de cet axe ont toujours
constitué l’une des préoccupations fermes, mais non pas exclusives, comme l’on a
parfois tenté de le faire croire, de la définition de ce projet. »
- la nécessaire évolution du schéma d’aménagement dans le temps
« Je pense que c’est aussi l’une des qualités de ce parti d’aménagement que de se
prêter, dans le cadre de quelques grands principes de composition clairement
affirmés et tout en respectant l’inspiration d’ensemble du projet, à ces inévitables et
souhaitables adaptations au cours du temps d’un dispositif qui a voulu éviter toute
rigidité excessive. »1
Sans rentrer pour l’instant dans le détail ou la qualité des aménagements bâtis ou
paysagers qui découlent de ce schéma d’ensemble, que nous décrirons plus loin, il
est important de souligner que les grandes options de ce schéma définissent un
cadre général, apte à évoluer comme l’indique Arretche, et dont il nous semble que
les pratiques ultérieures de l’espace ont dans l’ensemble plutôt confirmé la validité,
qu’il s’agisse de la continuité avec les tracés et cheminements existants, de l’échelle
des constructions par rapport au tissu environnant, de l’importance des perspectives
sur les monuments, etc.
C’est évidemment à propos de la traduction construite de ces principes généraux
qu’apparaissent les critiques et débats sur le projet, qui vont porter en particulier sur
deux points : le choix d’une architecture d’ « accompagnement », et le choix d’une
pluralité d’architectes, donc d’une diversité d’architectures, coordonnées par
l’architecte conseil, plutôt que le choix d’un architecte en chef garant d’un projet
unitaire.
En décembre 1979, le choix des architectes des diverses opérations est effectué :
- l’immeuble RIVP rue Rambuteau est attribué à DLM – Ducharme – Larrast –
Minost,
- l’immeuble Lescot à Jean Willerval,
- l’opération de la rue Berger n’est pas encore définie, mais la mission est confiée
à Michel Marot,
- le Jardin à Arretche, qui respecte le parti énoncé dans la déclaration de Chirac
en 1978/79,
- le choix de Paul Chemetov est fait pour la partie Ouest enterrée.
A la suite du changement politique de mai 1981, et à l’occasion des avis que le
ministère de la Culture est amené à donner sur les permis de construire déposés,
les instances de protection du Patrimoine se prononcent également sur le contexte
1
Louis Arretche Le jardin des halles Paris-Projet N° 25-26 – 4ème trimestre 1985
Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000
23
urbanistique de l’opération. En juin 81, la Commission Départementale des Sites de
Paris émet ainsi un avis favorable sur l’ensemble de l’opération, alors que la
Commission des Abords des Monuments Historiques émet un avis plus réservé sur
le parti d’urbanisme, qui conduiront à quelques modifications relativement
mineures : ouverture du bâtiment Lescot sur l’axe de la Bourse de Commerce,
réduction de son volume côté ouest pour préserver la vision sur Saint Eustache
depuis la Fontaine des Innocents, position et orientation de la place devant SaintEustache, etc. Après ces dernières mises au point, le projet s’engage dans la phase
de réalisation.
Les critiques du projet définitif vont alors se concentrer sur deux aspects : le
caractère morcelé, juxtaposé du parti urbanistique, et l’architecture des différents
bâtiments, jugée médiocre ou insignifiante. De Jacques Lang, alors conseiller de
Paris (« Une architecture passe-partout ! Une architecture en vérité qui ne passe
nulle part ! Le Monde – 25/01/80) à Michèle Champenois (« l’architecture bouchetrou » Le Monde 22/02/83) en passant par André Fermigier ( « Les Halles au finish –
Une inconsistance maniérée » le Monde 18/03/80, les critiques dans la presse font
montre d’une certaine convergence d’opinion. Mais, comme le note Michèle
Georges dans l’Express (26/01/80), « Curieusement, c’est la modestie même du
projet qui fait scandale », alors que, comme le remarque Paul Chemetov, les
critiques ignorent superbement « ceux qui plébiscitent le quartier avec leurs pieds »
( Techniques et Architecture – mars 80).
Pierre-Yves Ligen, le directeur de l’APUR, revient, pour s’en défendre, sur ces
critiques dans l’article « les Halles : l’esquisse d’un bilan » du numéro 25-26 de
Paris-Projet, critiques qu’il renvoie à quatre motivations principales :
- le rejet à priori de tout projet de la part de ceux qui auraient souhaité la
conservation des pavillons de Baltard.
- la conséquence de la décision du Maire de Paris d’assumer lui-même les
nouvelles orientations du projet
- le profil des architectes retenus pour mettre en œuvre le projet, et les choix d’une
architecture se voulant « discrète » ; comme le dit Ligen, « les projet s
architecturaux des Halles faisaient appel à des hommes de l’art difficilement
contestables dont trois grands prix nationaux de l’architecture et à titre de
coordonnateur à l’un de ceux qui ont su montrer, dans des conditions très difficiles
et à contre-courant des doctrines du moment, leur sensibilité, leur résolution, leur
talent dans des cas comme ceux de Saint-Malo et de Rouen et en de multiples
autres circonstances. Mais il leur manquait à l’évidence de s’insérer dans l’actualité
des conflits passionnants entre les courants « modernistes » ou « postmodernistes », le style « international » classique, « rétro-historiciste », ou
« utopiste », aux différentes sous-écoles qu’ils engendrent, et surtout à la rhétorique
renaissante du dessin et du discours sur l’architecture. (..) Restant à l’écart de ces
doctrines et parfois de ces modes, ou ne sacrifiant pas en tout cas à une seule
d’entre elles, l’architecture des Halles ne pouvait être jugée que mauvaise par les
tenants et les porte-parole des unes et des autres, ou regardée comme
« tiède », « neutre », « banale » par des observateurs moins engagés au regard
d’images plus fortes, puisque tout d’une pièce, tout d’une main, tout d’une source
« doctrinale ». » De fait, à l’exception de Paul Chemetov, très présent dans les
débats qui marquent la fin des années 70 et le début des années 80, autour de
modernité – post-modernité1, les architectes intervenant aux Halles renvoient
davantage à l’image d’un « establishment » architectural , où architectes des
Bâtiments civils et Palais Nationaux côtoient Grands Prix de Rome et professeurs à
1
P. Chemetov est ainsi le responsable de l’exposition « La Modernité – un projet inachevé »
dans le cadre du Festival d’automne 1981
24
Le quartier des Halles à Paris
l’Ecole des Beaux-Arts (Arretche, Marot, Willerval), ou bien apparaissent surtout
engagés dans l’activité professionnelle (Vasconi et Pencréac’h, Ducharme – Larrast
– Minost).
- enfin, pour P.Y. Ligen, la plus importante motivation des réactions hostiles
apparait, « l’absence d’un concepteur unique, d’un seul maître d’œuvre pour tout le
projet, de ce qu’il faut bien appeler un architecte en chef, alors que le terme et la
fonction avaient fait l’objet si peu de temps auparavant de si vives mises en
cause. »
(Plan Paris-Projet n°25)
Cette question de la maîtrise d’œuvre unique, ou au moins d’une pensée
architecturale unitaire, toujours d’actualité, a connu des réponses différentes au
cours de l’histoire du projet des Halles, comme le souligne la SEMAH dans sa
plaquette de 1980 (« Un seul ou plusieurs architectes ? » SEMAH, Les Halles – 10 ans
d’activité, 01/01/1980)
De la solution d’un seul concepteur, on est passé à la solution d’une variété
d’architectures et d’un aménageur (qui détient la garantie d’une cohérence
d’ensemble) compte tenu de l’ampleur, la situation et la diversité du programme.
« Aux Halles les deux tendances coexistent. Tantôt le privilège est donné à l’unité
de conception et de pensée qui passe par un homme (architecte Conseil) ou un
petit groupe d’hommes (Collège des Architectes). »
Ce fut la solution retenue en 1974 et en 1978, où les Halles étaient conçus comme
« un ensemble spécifique et homogène, et où la volonté du geste architectural
d’ensemble prédominait ainsi que le souci de la symétrie. », alors qu’à l’inverse, à
l’époque de la rédaction de la plaquette prédominaient « le souci de la diversité
urbaine, la recherche d’un certain pittoresque », pas d’objectif de symétrie, mais
« volonté d’un certain rythme », « architecture dite d’accompagnement pour les
immeubles bordant la rue Rambuteau et la rue Berger, architectures nouvelles pour
le jardin et ses espaces souterrains ainsi que pour le bâtiment Lescot. »
C’est en définitive ce choix assumé qui vaudra au projet nombre de ses critiques, ce
qui ne permet pas de préjuger de la manière dont aurait été reçu le projet d’un
architecte unique (Bofill ou un autre), sur une conception unitaire.

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