LE QUARTIER DES HALLES A PARIS DIAGNOSTIC PATRIMONIAL
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LE QUARTIER DES HALLES A PARIS DIAGNOSTIC PATRIMONIAL
LE QUARTIER DES HALLES A PARIS DIAGNOSTIC PATRIMONIAL DE L’ARCHITECTURE DES ANNEES 1975-2000 SEM PARIS CENTRE JUILLET 2004 BENOIT CARRIE – THIERRY ROZE ARCHITECTES 52, boulevard du Montparnasse 75015 Paris 2 Le quartier des Halles à Paris Cette étude a été réalisée par Benoit CARRIE et Thierry ROZE, architectes D.E.P.Zürich, avec la collaboration de Mireille GUIGNARD, architecte D.P.L.G. Illustration de couverture : vue d’ensembles des Halles – Fonds Arretche – Archives de l’IFA Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 SOMMAIRE 1 – INTRODUCTION 2 – RAPPEL DE CHRONOLOGIE GENERALE 3 – LA PRIMAUTE DES INFRASTRUCTURES : « LE SUBSTRATUM » 4- LE SCHEMA URBAIN D’ENSEMBLE 5- LE PATRIMOINE BATI : CONSTRUCTIONS, EDIFICES, AMENAGEMENTS PAYSAGERS ET D’ESPACES PUBLICS 5.1- LES CONSTRUCTIONS SOUTERRAINES 5.1.1 - LES TRANSPORTS (RATP) 5.1.2 - LES ESPACES COMMERCIAUX (Vasconi, Pencreac’h) 5.1.3 – LES EQUIPEMENTS PUBLICS (Chemetov) 5.2 - LES CONSTRUCTIONS ET EDIFICES DE SURFACE 5.2.1 – LA CENTRALE DE CLIMATISATION (Saltet) 5.2.2 – LES LOGEMENTS SOCIAUX, LA CRECHE RUE RAMBUTEAU (D.L.M.) 5.2.3 – LES PAVILLONS LESCOT- RAMBUTEAU (Willerval) 5.2.4 – LES PROGRAMMES PRIVES RUE BERGER (Marot-Tremblot , Martinet) 5.3 – LE JARDIN, AMENAGEMENTS PAYSAGERS ET D’ESPACES PUBLICS 5.3.1 – LE JARDIN (Arretche, l’APUR, Mathieux 5.3.2 – ARCHITECTURE VEGETALE ( François Lalanne) 5.3.3 – JARDIN DES ENFANTS ( Claude Lalanne) 5.3.5 – LES AMENAGEMENTS DE VOIRIE (Mougin, Mathieux) 6 – CONCLUSION Annexes : Bibliographie et sources Notices sur les projets Chronologie 3 4 Le quartier des Halles à Paris Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 5 1 – INTRODUCTION La station de RER Châtelet les Halles a été inaugurée en décembre 1977, le Forum des Halles en 1979, les édifices en périphérie du Forum en 1983-84, les derniers équipements publics souterrains et le jardin en 1986. L’opération du quartier des Halles a donc maintenant entre 20 et 25 ans d’âge : ce qui est très peu à l’échelle temporelle de la ville, mais permet cependant, après une génération, de renouveler le point de vue sur l’architecture d’une période, et d’avoir de premiers éléments de jugements sur la pérennité technique, esthétique et d’usage de cette architecture. Les débats autour du réaménagement des Halles ont représenté un moment fort dans la réévaluation du patrimoine du XIXème siècle, autour de la question de la démolition des pavillons de Baltard, et par rapport à une prise en compte nouvelle du contexte urbain. Comme le note François Loyer dans son histoire de l’architecture contemporaine en France à propos de l’opération des Halles: « Non seulement la France fait à cette occasion la découverte de la pensée historique sur la ville, mais elle comprend l’importance de la notion de forme urbaine – longtemps niée par une approche purement techniciste de l’aménagement. », et plus loin : « Pour les architectes imprégnés de culture moderne et soucieux avant tout du projet, l’objectif n’est pas patrimonial, il est urbain.. »1 L’architecture de l’opération des halles apparaît ainsi comme le résultat de tensions entre un projet éminemment technique en infrastructure (RER, métro, voirie souterraine), et l’expression en surface de ces débats d’idées sur le rapport au contexte urbain et à l’histoire, sur le patrimoine et la modernité. Œuvres d’architectes aux profils divers, mais tous d’une stature certaine, représentant pour certains l’ « establishment » architectural des années 60-70 (Arretche, Marot, Willerval), ou bien une nouvelle génération de professionnels (Vasconi), ou encore un profil d’architecte engagé dans les débats théoriques et socio-politiques (Chemetov), les réalisations architecturales du quartier des Halles se retrouvent 25 ans après soumis à une réévaluation, alors que le faible laps de temps écoulé ne les place pas encore dans le champ de l’histoire de l’architecture, avec la distance et le détachement que cela implique, et que les débats et polémique de l’époque de leur réalisation résonnent encore. Comme le remarque également François Loyer : « Il faudra encore du temps pour que les architectes admettent dans sa globalité le patrimoine de l’époque contemporaine. »2 Alors que l’architecture des années 50 et 60 commence à peine à se voir prise en compte comme véritable objet d’étude historique, l’architecture des années 70 et 80, celle des Halles, n’a pas encore atteint ce stade d’objet d’histoire, et, née au milieu de débats sur le patrimoine architectural et urbain, elle se retrouve elle-même au centre d’un questionnement sur sa valeur en tant que patrimoine. Le secteur des Halles faisait partie à l’origine d’un projet d’ensemble commun avec le plateau Beaubourg, qui a lui aussi été l’objet de nombreux débats et critiques, mais a finalement trouvé une reconnaissance consensuelle, et a déjà connu une phase de rénovation corrigeant un certain nombre de ses défauts de fonctionnement ou d’insertion urbaine ; le secteur des Halles a connu comme Beaubourg un très important succès de fréquentation, lié à la présence du nœud de communication qu’il abrite, mais aussi à l’attrait de ses commerces, de ses équipements publics, et également de son jardin et de ses voies piétonnes. Cependant, contrairement à Beaubourg, le quartier des Halles n’a pas réussi à susciter un consensus sur son architecture, alors que les critiques et polémiques qui 1 2 François Loyer, Histoire de l’Architecture, de la révolution à nos jours, Mengès, Paris 1999 Ibidem 6 Le quartier des Halles à Paris l’ont vu naître sont à peine éteintes, que les dysfonctionnements apparus au cours de ces 25 premières années de vie n’ont pas été corrigés, et qu’est mise en œuvre une réflexion sur un réaménagement important de ce secteur. Dans ce contexte, où les nouveaux projets de réaménagement du quartier des Halles ne manqueront pas eux-mêmes de susciter des débats, et ne pourront être sans conséquence sur les architectures existantes, il apparaissait utile de retracer la genèse de ces différentes réalisations architecturales, et d’apporter des éléments d’information pouvant être autant d’aides à la décision. Nous avons donc cherché ici à resituer chacune des architectures étudiées par rapport au contexte historique qui l’a vue naître, par rapport aux intentions de ses auteurs (Maîtres d’ouvrage, architectes,..) et aux contraintes programmatiques, techniques, esthétiques qui l’ont conditionnée, par rapport à sa réception dans la presse, les ouvrages et publications, par rapport aux évolutions constatées depuis sa réalisation. Réalisée à la demande de la SEM Paris Centre, comme élément d’information complémentaire, à l’instar de diagnostics techniques ou socio-économique, en parallèle aux marchés de définition pour l’aménagement du quartier en cours actuellement, cette étude, a été menée sur une période de temps très courte par rapport à l’ampleur du sujet ; elle s’est appuyée pour l’essentiel sur le très abondant matériel publié, sur un certain nombre de sources d’archives directes (IFA, SEMAH, architectes), sur des entretiens avec les architectes1 (pour la plupart encore actifs aujourd’hui), et sur une documentation photographique sur place.2 Face à la multiplicité et à l’ampleur des sources à analyser, nous nous sommes efforcés d’adopter un point de vue détaché aussi bien des débats idéologiques du moment qui ont vu naître les projets, que de l’instant actuel, dans le souci d’une information la plus objective possible. 1 Nous remercions les architectes et artistes qui nous ont accordé un entretien : Paul Chemetov, Claude Vasconi, Georges Pencréac’h, Bruno Willerval, Isabelle Willerval, Daniel Poret architecte à l’agence Willerval, Michel Ducharme et Jean Chéron de l’agence DLM, Michel Marot, Daniel Farray, architecte à la RATP, Philippe Mathieux architecte à l’APUR, François-Xavier Lalanne, Claude Lalanne. 2 Les deux publications de référence sur l’aménagement du Quartier des Halles, qui constituent des sources d’information et de documentation fondamentales sont : - Christian Michel, Les Halles, la renaissance d’un quartier 1966-1988, Masson, 1988 - Paris-Projet N°25-26, les Halles, achèvement d’un projet, APUR, 1985 Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 7 2 – RAPPEL DE CHRONOLOGIE GENERALE Les Halles de Baltard viennent prendre la place de l’ancien marché à partir de 1848 ; le dernier pavillon du plan de Baltard est construit en 1936, au pourtour de la Bourse de Commerce. En 1960, le transfert total du marché des Halles à Rungis est décidé par le Comité Interministériel d’Aménagement de la Région Parisienne. C’est le début d’une longue succession d’études et de projets pour le réaménagement du quartier des Halles. La SEAH, Société d’Etudes pour l’aménagement du quartier des Halles, prédécesseur de la SEMAH, puis de la SEM Paris Centre est créée en 1963 dans ce but. En 1967, le premier concours d’architectes est lancé, c’est le concours dit des « 6 maquettes », auquel participent Arretche, Charpentier, Marot, Faugeron, de Marien, et l’AUA. Le rejet de ces propositions par le Conseil de Paris, qui considère qu’ « au stade actuel priorité doit être donnée au choix d’un plan d’urbanisme plutôt qu’aux considérations purement architecturales », conduit à l’adoption de la « délibération Capitant » en octobre 68, qui limite les densités et fait le choix d’un « urbanisme souterrain », allant de pair avec le creusement à ciel ouvert de la station de RER Châtelet les Halles. L’APUR, Atelier Parisien d’Urbanisme, créé depuis peu, dirigé par Pierre-Yves Ligen et dont l’architecte conseil est Louis Arretche, est chargé de l’étude du schéma d’aménagement sur 15ha, qui comprennent également le secteur du plateau Beaubourg. Ce schéma est approuvé par le Conseil de Paris en juillet 69, la conception d’ensemble est alors définie pour l’essentiel. La mise en oeuvre de ce projet, qui verra intervenir de nombreux acteurs, aux statuts et objectifs très divers : l’Etat, la Ville de Paris, la RATP, la SNCF, la SEMAH, l’APUR, les architectes et urbanistes, les maîtres d’ouvrage, les politiques et les associations, la presse,…mettra en définitive plus de quinze ans pour être menée à son terme. 8 Le quartier des Halles à Paris Le déménagement du marché de gros vers Rungis, à partir de 1969, libère les pavillons de Baltard, qui sont affectés temporairement à des activités culturelles et de loisir dans l’attente de leur démolition. C’est le début de la « bataille des pavillons », en vue de leur conservation, qui n’empêchera pas leur démolition entre 1971 et 1974 (l’un deux sera démonté et remonté à Nogent-sur-Marne). La fouille pour la construction de la station RER débute, et les études et consultations pour les différentes constructions prévues sont engagées en parallèle. Fin 1972, le Conseil Municipal approuve le projet de Centre Français du Commerce International (CFCI) dont l’architecte est Louis de Marien, côté Bourse de Commerce, et début 73 le projet de SERETE Aménagement (devenu Espace Expansion), avec les architectes Vasconi et Pencréac’h, est retenu pour le Forum de Commerces au dessus de la station du RER. L’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la république en 1974 entraîne une réorientation de l’action de l’Etat dans le quartier des Halles. Le Permis de construire du CFCI étant annulé pour vice de forme, Giscard d’Estaing décide que la surface prévue sera affectée à l’extension du jardin. S’ensuit une série de consultations, sous la houlette de Michel Guy, Ministre de la Culture. Le projet proposé par Ricardo Bofill a la préférence de l’Elysée, mais reçoit un accueil très réservé du Conseil de Paris. Entre 1975 et 1978, un grand nombre de projets se succèdent, où apparaissent Emile Aillaud, de La Tour d’Auvergne, Vasconi, J .C.Bernard, etc. Cette suite de projets, signe de la difficulté à trouver un accord entre la Ville de Paris et l’Etat, aboutit cependant en 1976 à la présentation d’un plan masse par le « Collège des Architectes » (Henry Bernard, Ricardo Bofill, Bernard de la Tour d’Auvergne et Marc Saltet) ; la réalisation de l’immeuble Rambuteau est confiée à Ricardo Bofill, dont l’architecture suscite de nombreuses critiques. Dans la même période, la station RER est inaugurée, et les travaux du Forum se poursuivent. L’élection de Jacques Chirac à la Mairie de Paris en 1977 change une nouvelle fois la donne. Chirac remet en cause la monumentalité du projet Bofill, demande un nouveau schéma d’aménagement, avec une architecture mieux intégrée à son environnement, un plus grand respect de la trame urbaine existante et des cheminements traditionnels, un soin particulier donné aux espaces libres. « L’architecte des Halles, c’est moi », aurait dit Jacques Chirac. L’Etat se désengage du projet des Halles, le Président renonce à son projet de Grand Auditorium qui aurait du s’implanter le long de la rue Pierre Lescot. De nouvelles consultations sont lancées pour le schéma d’aménagement d’ensemble et le jardin. C’est en définitive le projet d’Arretche et de l’APUR qui est retenu en 1979. La conception du jardin est confiée à Louis Arretche, avec la participation de F.X. Lalanne. Les consultations pour les bâtiments en périphérie du Forum sont lancées en parallèle, les projets de DLM pour le bâtiment Rambuteau, Willerval pour le bâtiment Lescot et Marot pour le bâtiment Berger sont choisis. Le Forum de Vasconi et Pencréac’h est inauguré en septembre 79, et fin 79 les équipements souterrains de la zone Eustache-Bourse sont confiés à Paul Chemetov. Le lancement par le syndicat de l’Architecture d’un concours de contre-projets fin 79 n’entravera pas la réalisation des projets maintenant engagés. A l’exception de quelques retouches concernant les perspectives sur SaintEustache, l’élection présidentielle de 1981 n’entraînera pas de bouleversement du projet, dont les différentes parties vont être inaugurées de 1983 à 1986 : l’immeuble Rambuteau et les pavillons de Willerval en 83, l’opération rue Berger en 84, les équipements publics de Chemetov en 85, et le jardin par phases échelonnées de 83 à 86. De 83 à aujourd’hui, seul le Forum connaît une rénovation de ses aménagements intérieurs (1995). En 2003, la SEM Paris Centre mandatée par la Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 9 Ville de Paris lance un ensemble d’études de définition pour le réaménagement du quartier des Halles. Différents moments du chantier. En haut les Halles en 1983, en bas, en août 1983, dans l’axe de la diagonale. (Paris-Projet n°25) 10 Le quartier des Halles à Paris 3 – LA PRIMAUTE DES INFRASTRUCTURES : « LE SUBSTRATUM » A la suite de la délibération du Conseil de Paris, dite délibération Capitant (24 octobre 68), qui fixe les grandes orientations du projet des Halles, de l’approbation du schéma d’ossature urbaine par le Conseil de Paris (11 juillet 69), et de la création de la SEMAH (11 juillet 69), chargée de mettre en œuvre ce schéma sur les plans techniques, juridiques et financiers, va débuter la première phase effective de réalisation de l’opération des Halles, comportant en particulier tous les travaux d’infrastructure souterraine, qui conditionnent de manière très forte la conception et la réalisation de l’ensemble des constructions, y compris en surface. La délibération Capitant précise ainsi les grands axes du schéma d’aménagement : (…)« - Le sous-sol (de la zone de rénovation – qui inclue le plateau Beaubourg et l’actuel Quartier de l’Horloge) sera intégralement utilisé jusqu’au banc de calcaire grossier qui en constitue le soubassement. Il comprendra un vaste « forum » souterrain auquel on accédera soit par les stations du RER et du Métro, soit par les issues conduisant à l’extérieur, et sur lequel donneront des équipements commerciaux, culturels, sportifs et de loisirs, qui composeront une ville souterraine. » (…) « - Les travaux à fouille ouverte d’établissement des deux stations du RER prévues sous le plateau des Halles seront entrepris dès que leur emplacement exact aura été fixé. Le plan exclura le Ministère des Finances et prévoira la construction, d’une part, sur le plateau Beaubourg, de la Bibliothèque de lecture publique et, d’autre part, autour de la Bourse de Commerce, qui sera maintenue à son emplacement actuel, du Centre de commerce international. » Au delà des modifications ultérieures de programme (élargissement du programme de bibliothèque publique qui deviendra le centre Pompidou, suppression du programme de Centre de Commerce international en 1974), les grandes options techniques et urbanistiques définitives sont ainsi d’ores et déjà arrêtées. Cette idée d’un urbanisme souterrain, que diverses propositions avaient déjà mis en avant (comme les projets du Gecus et de Pierre Faucheux) va être mise en œuvre par la SEMAH, et sur le plan technique, sous l’impulsion de son directeur technique, Bernard Pilon. Projet de Pierre Faucheux, Le Nouvel Observateur, 28 fév. 1968 Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 11 Cette conception s’appuie en particulier sur la notion de « substratum », que la SEMAH resitue de la manière suivante dans l’évolution des conceptions urbaines: « (…) Dans les villes anciennes des bâtiments jointifs s’alignaient le long des rues qui étaient à la fois leur aire commune d’accès et l’espace non bâti qui leur apportait l’air et la lumière (…) L’étape suivante de cette évolution fut l’apparition de « mégastructures » regroupant dans un immense soubassement des rues et places couvertes ou non, des commerces, des salles de spectacles, des parkings et les halls d’entrée d’immeubles d’usages divers qui s’élèvent chacun séparément au dessus du soubassement ; ces ensembles immobiliers se sont développés notamment en Amérique du Nord mais restent au plan foncier des propriétés privées qui occupent dans le tissu urbain quelques blocs desservis par le quadrillage des voies publiques dont ils sont riverains. Un pas de plus a été fait dans l’opération souterraine des Halles avec l’intégration complète, au plan technique, de l’infrastructure urbaine et des bâtiments privés ou publics, ceux-ci perdant à la fois leur indépendance structurelle et leur lien exclusif avec une emprise au sol identifiée sur un plan parcellaire, et pouvant être localisés en volume aussi bien dans le substratum qu’à l’air libre. »1 (souligné par nous) Les conséquences de cette conception sont nombreuses, et conditionnent largement aussi bien les constructions existantes que leurs possibilités d’évolution et de transformation, aussi bien sur le plan technique (interdépendance structurelle des différents composants du bâti), que sur le plan juridique (copropriété en volume, cogestion des équipements, etc.). Ces particularités de l’ouvrage devront être prises en compte de manière précise dans le cadre des projets de réaménagements en cours d’étude. Cette conception est bien évidemment aussi à l’origine d’un certain nombre des problèmes apparus à l’interférence des infrastructures et de la surface : débouchés des voieries souterraines, émergences des sorties de secours, des réseaux de ventilation, etc., qui expliquent certaines des difficultés de continuité urbaine, de traitement des rez-de-chaussée, l’impact volumétrique de certains équipements (la centrale de climatisation). implantation de la ligne RER et la tranche 1 (SEMAH par Bouchain-Klessman) 1 Plaquette SEMAH « Les Halles, 10 ans d’activité », 1979 12 Le quartier des Halles à Paris Concrètement, le substratum se présente de la manière suivante : « Le substratum est une construction composite qui s’apparente tantôt à un bâtiment, tantôt à un ouvrage d’art : la poussée des terres à reprendre, les grandes portées entre points d’appui, l’importance des charges, les tracés de voirie ou de lignes de métro comportant des courbes, des rampes, etc., relèvent des techniques d’ouvrages d’art ; le caractère tridimensionnel des structures, l’encombrement des réseaux, notamment des gaines d’air frais ou vicié, des galeries techniques, la variété des fluides transportés, l’utilisation surtout par le public des locaux éclairés et climatisés, le font considérer comme un bâtiment particulièrement vaste et complexe. »1 Sans revenir sur les modifications successives de programme et de projet, le substratum se compose en définitive de deux grandes zones : la station RER et le Forum central d’une part, le secteur Saint-Eustache - Bourse d’autre part. Chacune de ces zones est constituée de « boites » monolithiques étanches, destinées à empêcher les venues d’eau à l’intérieur de l’ouvrage, le niveau de la nappe étant supérieur au niveau le plus bas (-18m à -26m pour l’emprise du RER) et à contrebalancer les poussées de l’eau sur les parois, sachant que le poids total des ouvrages construits est nettement inférieur au poids de la terre retirée. Pour faire face à ce dernier problème, le calcaire grossier dans lequel le substratum est ancré est rendu étanche par injection de ciment, et utilisé en quelque sorte comme lest. Schémas SEMAH La structure constructive est basée sur une trame porteuse de grande dimension (16mx11,31m) en béton armé ou précontraint, ou exceptionnellement en charpente métallique. « Le parti constructif consiste à constituer des blocs d’assez vastes dimensions en plan et d’épaisseur librement dilatables; à cette fin la plupart des poteaux traversant la station RER, et ceux fondés hors de celle-ci sous le niveau -4, portent en tête des appareils d’appuis par l’intermédiaire desquels toutes les charges supérieures, y compris le poids des immeubles en élévation, seront transmises au terrain. Un deuxième lit horizontal d’appareils d’appui règne dans la majeure partie de l’emprise sous le niveau -1. C’est ainsi que les planchers à -3 et 2, solidarisés par des poteaux, forment dans la partie centrale au dessus de la salle d’échange du RER, une « plaque centrale monolithique » d’environ 150m x 180m ; ce parti permet de réduire le nombre de joints et de réaliser les planchers avec une poutraison en béton précontraint de faible épaisseur. »2 1 2 Ibid. ibidem Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 13 Cette conception de la structure comme une superposition de plaques monolithiques de grande dimension, librement dilatables, (cette dilatation pouvant atteindre plusieurs centimètres), avec des poutres en béton précontraint continues, nécessite d’étudier avec précision l’impact de toute modification ponctuelle de la structure sur l’ensemble du système. La recherche, dans le cadre de projets de transformations, de communications plus larges entre niveaux, devra en particulier être confrontée à ces contraintes constructives. La trame de 16m x 11,313m (dans un rapport de racine de deux) a été choisie dans un objectif d’optimisation des contraintes fonctionnelles et dimensionnelles, liées à l’accueil de programme très divers, et au changement d’orientation principale suivant les niveaux: cette trame, prise sur la diagonale, permet au niveau le plus bas d’accueillir les quais et les voies du RER, qui traverse le site en biais, alors qu’aux niveaux supérieurs la trame orthogonale va s’insérer dans la trame urbaine du quartier et permet d’accueillir parkings, commerces, station de métro. En élévation au dessus du sol, cette trame s’avère en revanche peu adaptée pour les logements, hôtels, équipements de proximité, qui se traduiront le plus souvent par la création d’un plancher de reprise. source SEMAH Deux autres éléments déterminants dans la conception du substratum, qui rejaillissent aussi sur les constructions en surface, vont être l’organisation des réseaux, et en particulier de prise, de rejet et de traitement d’air, et les principes de sécurité incendie. Concernant le premier point, ces réseaux comprennent les prises et rejet d’air pour les voiries, parkings, et station RER, représentant les plus grosses sections, les prises et rejets d’air pour le Forum commercial, généralement situées dans les tours de sécurité, ainsi que les centrales de traitement d’air. Le chaud et froid est distribué dans tous les locaux climatisés (commerces et équipements) à partir de la centrale de climatisation située sur la rue de Turbigo, vaste bâtiment en béton englobé dans l’ensemble de logements de la RIVP entre les rue Rambuteau et de Turbigo. Les principes de sécurité s’appuient sur la voirie souterraine comme niveau d’intervention, et la division des surfaces commerciales en cantons de 3000 à 6000 m2, séparés par des murs, des planchers et des portes coupe-feu (ce dernier principe expliquant pour une bonne partie l’importance relativement limitée des communications entre espaces à différents niveaux). L’évacuation du public est assurée par des escaliers, pour la plupart regroupés dans des tours de sécurité circulaires contenant chacune trois escaliers en hélice superposés. Les installations 14 Le quartier des Halles à Paris de détection incendie, d’extinction automatique (sprinklers), de désenfumage complètent ces dispositifs. L’ensemble des dispositifs de sécurité, en l’absence d’une réglementation spécifique adaptée à un ouvrage aussi exceptionnel, résulte d’une mise au point particulière associant les services de sécurité aux gestionnaires (RATP, SEMAH, Espace Expansion) et les concepteurs et entrepreneurs. Les spécificités de la conception et de la mise en œuvre du « substratum », préexistant à la totalité des programmes qui ne verront le jour que progressivement, nous paraissent particulièrement importants à souligner, car ils renvoient à l’histoire du projet des Halles (la réalisation du RER en fouille ouverte expliquant par exemple largement la décision de démolition des pavillons Baltard situés sur le périmètre), et conditionnent aussi bien la réalisation des architectures existant aujourd’hui sur le site que les transformations envisageables. Contexte technique autant que contexte urbain et architectural, le « substratum » du secteur des Halles va influer sur les principes généraux d’aménagement urbain comme sur les diverses réalisations architecturales. Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 15 4- LE SCHEMA URBAIN D’ENSEMBLE Sans remonter aux propositions de le Corbusier dans son « Plan Voisin », ou de Raymond Lopez et Maurice Rotival portant sur tout le centre de la capitale, on peut faire remonter au concours des « 6 maquettes » en 1967 le point de départ effectif de l’opération de rénovation des Halles. Ces projets font état chacun de prises de position diverses, dont on pourra retrouver les échos tout au long des débats, des projets successifs, qui vont émailler le long parcours conduisant jusqu’à un schéma urbain définitif, tel qu’il est approuvé en mars 79 par le Conseil de Paris. D’autre part, les participants à ce concours vont pour la plupart demeurer des protagonistes actifs des réflexions sur le projet d’aménagement, et pour certains devenir les auteurs de la mise en œuvre effective de l’opération : Louis Arretche, avec l’APUR, pour la conception et la coordination générale du schéma d’aménagement et la réalisation du jardin, Louis de Marien auteur du projet de Centre Français de Commerce International finalement abandonné, Paul Chemetov pour les équipements publics du secteur Saint-Eustache – Bourse, Michel Marot pour l’opération sur la rue Berger. Projet de de Marien à gauche et de l’A.U.A. à droite Les projets du concours des « 6 maquettes », qui portent sur l’ensemble du secteur halles - plateau Beaubourg, expriment en effet déjà quelques uns des grands choix d’aménagement possibles, qui seront l’objet de débats tout au long de la mise au point du projet, et dont l’actualité reste vive. Si Claude Charpentier, qui représente la protection du Paris traditionnel, prévoit la conservation des îlots encore épargnés par l’haussmannisation, Marot et Tremblot proposent une grande composition ménageant un espace libre à l’échelle du Louvre ou du Palais-Royal, alors que Faugeron projette un ensemble monumental se développant verticalement. De Marien, qui représente la tendance « classique », est le seul à conserver un des pavillons de Baltard. L’équipe de l’A.U.A., consultée à la demande d’André Malraux Ministre de la Culture, représente l’option novatrice et propose plusieurs projets, témoignant des débats internes à l’équipe. Louis Arretche (avec Philippe Panerai, Jean Castex et René Verlhac) insiste sur le maintien de la trame urbaine du quartier, et propose une organisation qui renvoie davantage aux Halles préhaussmanniennes qu’à la rationalité géométrique des Halles de Baltard. 16 Le quartier des Halles à Paris Projet de Marot pour le concours de 1967 Si les grandes options programmatiques (abandon du projet de Ministère des Finances) et la densité, jugée excessive, des projets des « maquettes » sont remises en cause par la délibération Capitant, un certain nombre des grandes options urbaines possibles sont déjà présentes : monumentalité ou échelle « ordinaire », grande composition ou poursuite des tracés existants, prédominance de l’espace libre ou du bâti, etc. Louis Arretche, devenu architecte-conseil de l’APUR, auprès de son directeur Pierre-Yves Ligen, maintiendra quant à lui des positions similaires jusqu’au terme de son travail de coordination du schéma général d’aménagement. Le schéma d’ossature urbaine de l’APUR, voté par le conseil de Paris en juillet 69, et le P.A.Z. qui en découle,vont constituer les documents de référence, tout au long de la période qui va des polémiques sur la démolition des pavillons de Baltard jusqu’aux remises en cause de 1974. Le programme comprend alors, sur le secteur ouest (les Halles) : le Forum de commerces et loisirs (40000 m2) et 10000 m2 de commerces en surface, le CFCI (90000 m2), 18000 m2 de logements, un hôtel (25000 m2) et l’Hôtel des Ventes (25000 m2). Le P.A.Z. précisait que ces volumes devaient respecter l’échelle des constructions environnantes et s’insérer dans la texture du quartier, en ménageant la plus large transparence sur l’espace libre central. Le Forum de Commerces est attribué en janvier 73, à la suite d’une consultation de plusieurs équipes promoteurs – architectes, au groupement constitué par SERETE Aménagement et les architectes Vasconi et Pencréac’h. Le permis de construire du CFCI est annulé en juin 1974, suite à un recours de l’Union des Champeaux, et le président Giscard d’Estaing nouvellement élu décide à la suite de cet événement une réorientation complète du projet des Halles : l’espace dévolu au CFCI, contre la Bourse de Commerce, sera affecté à l’agrandissement du jardin prévu, l’Hôtel des Ventes et une partie des commerces de surface sont supprimés, et les bâtiments bordant le jardin devront faire l’objet d’une ordonnance classique. A la suite de cette décision, Michel Guy, secrétaire d’Etat à la Culture organise en octobre 1974 une consultation d’architectes, parmi Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 17 lesquels il en retient trois, Emile Aillaud, Claude Vasconi et Ricardo Boffil, dont les projets sont présentés au Président de la république, qui choisit le projet Boffil. Ce projet est basé sur une grande composition monumentale : une place en ellipse bordée d’une colonnade monumentale est créée face à Saint-Eustache, des bâtiments avec des arcades sur leurs deux premiers niveaux encadrent le jardin sur trois côtés. Projet de R. Bofill en 1974. 18 Le quartier des Halles à Paris Un des projets présentés au Conseil de Paris en 1975. Projet de R. Bofill, Cl. Vasconi, G. Pencreac’h et A.Provost. Bien que la Ville de Paris soit encore à l’époque sous la tutelle directe de l’Etat, les élus parisiens réagissent fortement à cette réorientation du projet, qui, outre la remise en cause de l’équilibre financier du projet, rompt également avec un des choix essentiels qu’exprime ainsi Christian de La Malène, président de la SEMAH : « Le choix initial et fondamental de l’opération des Halles a été de faire une opération d’urbanisme et non une opération d’architecture. (..) Le parti choisi à l’époque écartait toute création monumentale et recherchait la diversité architecturale ».1 Cette opposition du Conseil de Paris, concrétisée par la délibération du 30 octobre 74, conduit à une succession de consultations de projets et contre-projets, depuis celle confrontant J.C. Bernard et l’APUR, dont le projet affirme l’option diagonale, à Bernard de La Tour d’Auvergne et Ricardo Bofill, jusqu’au projet du « Collège des architectes », qui regroupe Bofill, La Tour d’Auvergne, Marc Saltet (qui sera l’auteur de la façade de la centrale de climatisation) et Henry Bernard, qui étudiera le projet d’auditorium le long de la rue Pierre Lescot. Bofill, qui fait équipe pour la conception d’ensemble avec Vasconi et Pencréac’h et Alain Provost paysagiste, se voit attribuer l’immeuble Rambuteau, dont le permis, déposé en 1977, est attribué en 78 et dont les travaux sont engagés dans la foulée. 1 Intervention devant le conseil d’administration de la SEMAH – 22 août 74, cité par Christian Michel, op.cit. Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 19 Projet du Collège des Architectes Projet de R. Bofill pour l’îlot Rambuteau Caractérisé par la création d’un jardin « à la française » s’étendant du Forum à la Bourse de Commerce, sur la base d’une composition axiale est-ouest aboutissant sur le projet d’auditorium rue Lescot, rythmée par la place elliptique face à SaintEustache et le Forum de Vasconi et Pencréac’h, et limitée par les immeubles Rambuteau au nord et Berger au sud, à l’architecture néo-classique, le plan masse du Collège des Architectes se verra remis en cause à la suite de l’élection de Jacques Chirac à la Mairie de Paris en 1977. Fin octobre 1978, Jacques Chirac annonce l’abandon du projet Bofill, jugé trop monumental et passéiste, et se déclare « Architecte en Chef des Halles ». Cette décision entraîne le retour sur le devant de la scène de l’APUR et de Louis Arretche, dont les options se trouvent confirmées. Le projet présenté début 1979 comporte les éléments suivants : - un jardin constitué de plusieurs espaces, comportant un mail diagonal et une place « à l’italienne » devant Saint-Eustache, - des terrasses en gradin prolongeant le jardin jusqu’à la rue Pierre Lescot, - entre le Forum et la Bourse de Commerce, un ensemble d’équipements publics en sous-sol, - l’ immeuble de logements rue Rambuteau et les immeubles de bureaux et hôtel rue Berger doivent retrouver un caractère architectural plus modeste. Le programme et les grandes options de la composition définitive se trouvent dès ce moment là fixés, et traduits dans le nouveau P.A.Z. : « la définition du P.A.Z. est commandée par une considération essentielle, qui, plus que la recherche des grandes perspectives de conception monumentale, forcément toutes plus ou moins 20 Le quartier des Halles à Paris artificielles, porte sur la création d’un grand plateau piétonnier. Il serait constitué de tout un réseau, de tout un jeu d’espaces ponctués de places, de placettes, de cheminements, qui donne sa marque essentielle à l’opération des Halles. »1 La maquette du jardin Il faut souligner que, contrairement aux débats et polémiques que soulèveront les futures constructions, ce schéma suscite à l’époque un consensus presque général, allant des associations satisfaites du rétablissement du tracé de la rue Rambuteau que le projet Bofill englobait dans une galerie couverte, de l’étendue du jardin et de l’échelle limitée des constructions, à la Commission des Sites qui approuve ce schéma en mai 79, et aux élus municipaux, de la majorité comme de l’opposition. Ainsi Jacques Lang déclare-t-il en mars 79 au Conseil de Paris : « (..) dans l’affaire des Halles, nous avons, Monsieur le maire, suffisamment querellé, ferraillé, polémiqué, interpellé, manifesté, pour ne pas vous rendre grâce, quand nos appels sont parfois entendus. Comment nier que votre nouvelle esquisse tient compte des observations et des demandes du groupe socialiste ? »2 De même, Philippe Mithouard, représentant le groupe centriste déclare : « Comment d’ailleurs ne voterions nous pas ces orientations, puisqu’elles coïncident avec les grandes options que seuls ou presque nous avions défendues en 1975 ? Primauté de SaintEustache, suppression du monumental, respect de la perspective des Innocents, abandon d’une composition purement orthogonale et symétrique pour une combinaison alliant l’orthogonal et le diagonal conformément d’ailleurs aux structures du quartier, création d’un jardin pour vivre et non d’un jardin pour voir, et d’une place ouverte sur le quartier ; affirmation enfin d’une continuité avec le quartier dans les volumes, dans les espaces et dans les cheminements…»3 Une des seules oppositions radicales provient du Syndicat de l’Architecture qui juge le projet sans ambition architecturale et organisera le concours d’idées auxquels participeront plusieurs centaines d’architectes, concours jugé début 1980 par un jury international prestigieux comprenant Philip Johnson, Henri Lefèvre, Carlo Aymonino, etc.4 1 Monique Garnier-Lançon, Conseiller de Paris, rapporteur de la Commission Permanente des Halles, déc.78, citée par Ch. Michel, op.cit. 2 cité par Ch. Michel, op.cit. 3 cité par Ch. Michel, op.cit 4 600 contre-projets pour les Halles, Association pour la Consultation Internationale pour l’Aménagement du Quartier des Halles, Editions du Moniteur, Paris 1981. Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 21 Louis Arretche, qui a toujours, depuis son projet du concours de 1967, affirmé la primauté de la continuité de l’espace public et du rapport aux tracés préexistants, définit de la manière suivante les grands traits du projet dont il est chargé d’assurer la coordination en tant qu’architecte-conseil de l’APUR, aux côtés de son directeur Pierre-Yves Ligen: - le rapport aux tracés et monuments, au caractère du quartier « Quelques réflexions simples et essentielles inspiraient l’approche du traitement de cet espace particulièrement délicat. L’analyse de sa morphologie, de son environnement par rapport aux principaux monuments qui le bordent (SaintEustache, la Bourse de Commerce), l’histoire de sa fonction traditionnellement populaire et vivante dans la cité, les choix effectués pour la définition de son rôle futur, avec notamment l’implantation de la grande station du RER, tout concourait à faire un choix essentiel : le but n’était pas, malgré la facilité apparente d’un tel parti, de donner à cette zone qui n’est pas de très grandes dimensions, un caractère trop solennel ou trop monumental (…) » Les Halles en 1830, extrait du plan de Vasserot - le rejet d’une grande composition classique ou néo classique « La tradition des Halles était celle d’un quartier plein d’agrément, de surprises, de pittoresque et de vie, nullement gourmé, et qu’appréciaient, pour des motifs très divers, toutes les couches sociales de notre capitale. Ce n’était pas à mes yeux l’emplacement d’une ordonnance classique ou pseudo-classique de l’architecture ou de l’art du jardin, alors surtout qu’aux abords immédiats le jardin des Tuileries, celui du Palais-Royal, la place des Vosges présentent des exemples incomparables de ce type de traitement. Il était vain de tenter de les reproduire ou de les transposer. » - la prise en compte de l’échelle limitée du site « (…) Je tiens à insister sur cette question d’échelle : hors du cratère du Forum et des espaces libres qui se trouvent à ses abords immédiats, la surface à aménager ne représente qu’environ quatre hectares, presque trois fois moins que le Parc Monceau, cinq fois moins que le Parc Montsouris, sept à huit fois moins que les jardins des Tuileries et du Luxembourg. (..) ( Au cours des nombreuses querelles suscitées par l’aménagement des Halles), tout se passait comme si cet espace était gigantesque et libre de toutes contraintes alors qu’il était, certes très précieux, mais de taille réduite, marqué par de nombreuses sujétions (voirie souterraine, RER, équipements du sous-sol, etc.), dépendant aussi de son contexte monumental et urbain (le réseau des anciennes rue du cœur de Paris mariant la trame traditionnelle et celle d’Haussmann ou de ses prédécesseurs. » 22 Le quartier des Halles à Paris - tracés diagonaux et orthogonaux « (..) J’aimerais insister sur un aspect qui a fait l’objet de longs débats, parfois mal compris ou mal présentés, entre un parti dit « diagonal » et un parti « orthogonal ». En réalité, et au-delà de cette opposition qui me paraît assez factice, le projet du jardin s’inscrit dans l’armature complexe offerte par la géométrie de l’espace disponible et les diverses lignes de force du tissu urbain environnant. Vingt rues débouchent sur le secteur des Halles ; certaines forment des axes traditionnels en diagonale, d’autres sont des percées haussmanniennes plus ou moins orthogonales, constituant ainsi une trame urbaine très particulière, mêlant l’ancien et le moderne. » - la perspective sur Saint-Eustache « Le mail diagonal relie ces parallèles (la rue Rambuteau et la rue Berger) en même temps qu’il assure de façon indispensable la plus belle perspective sur l’église Saint-Eustache. Faut-il rappeler la surprise et l’émerveillement qu’a représenté pour beaucoup de parisiens la découverte de cet axe monumental après la disparition des anciens pavillons des halles. Le maintien et l’affirmation de cet axe ont toujours constitué l’une des préoccupations fermes, mais non pas exclusives, comme l’on a parfois tenté de le faire croire, de la définition de ce projet. » - la nécessaire évolution du schéma d’aménagement dans le temps « Je pense que c’est aussi l’une des qualités de ce parti d’aménagement que de se prêter, dans le cadre de quelques grands principes de composition clairement affirmés et tout en respectant l’inspiration d’ensemble du projet, à ces inévitables et souhaitables adaptations au cours du temps d’un dispositif qui a voulu éviter toute rigidité excessive. »1 Sans rentrer pour l’instant dans le détail ou la qualité des aménagements bâtis ou paysagers qui découlent de ce schéma d’ensemble, que nous décrirons plus loin, il est important de souligner que les grandes options de ce schéma définissent un cadre général, apte à évoluer comme l’indique Arretche, et dont il nous semble que les pratiques ultérieures de l’espace ont dans l’ensemble plutôt confirmé la validité, qu’il s’agisse de la continuité avec les tracés et cheminements existants, de l’échelle des constructions par rapport au tissu environnant, de l’importance des perspectives sur les monuments, etc. C’est évidemment à propos de la traduction construite de ces principes généraux qu’apparaissent les critiques et débats sur le projet, qui vont porter en particulier sur deux points : le choix d’une architecture d’ « accompagnement », et le choix d’une pluralité d’architectes, donc d’une diversité d’architectures, coordonnées par l’architecte conseil, plutôt que le choix d’un architecte en chef garant d’un projet unitaire. En décembre 1979, le choix des architectes des diverses opérations est effectué : - l’immeuble RIVP rue Rambuteau est attribué à DLM – Ducharme – Larrast – Minost, - l’immeuble Lescot à Jean Willerval, - l’opération de la rue Berger n’est pas encore définie, mais la mission est confiée à Michel Marot, - le Jardin à Arretche, qui respecte le parti énoncé dans la déclaration de Chirac en 1978/79, - le choix de Paul Chemetov est fait pour la partie Ouest enterrée. A la suite du changement politique de mai 1981, et à l’occasion des avis que le ministère de la Culture est amené à donner sur les permis de construire déposés, les instances de protection du Patrimoine se prononcent également sur le contexte 1 Louis Arretche Le jardin des halles Paris-Projet N° 25-26 – 4ème trimestre 1985 Diagnostic patrimonial de l’architecture des années 1975-2000 23 urbanistique de l’opération. En juin 81, la Commission Départementale des Sites de Paris émet ainsi un avis favorable sur l’ensemble de l’opération, alors que la Commission des Abords des Monuments Historiques émet un avis plus réservé sur le parti d’urbanisme, qui conduiront à quelques modifications relativement mineures : ouverture du bâtiment Lescot sur l’axe de la Bourse de Commerce, réduction de son volume côté ouest pour préserver la vision sur Saint Eustache depuis la Fontaine des Innocents, position et orientation de la place devant SaintEustache, etc. Après ces dernières mises au point, le projet s’engage dans la phase de réalisation. Les critiques du projet définitif vont alors se concentrer sur deux aspects : le caractère morcelé, juxtaposé du parti urbanistique, et l’architecture des différents bâtiments, jugée médiocre ou insignifiante. De Jacques Lang, alors conseiller de Paris (« Une architecture passe-partout ! Une architecture en vérité qui ne passe nulle part ! Le Monde – 25/01/80) à Michèle Champenois (« l’architecture bouchetrou » Le Monde 22/02/83) en passant par André Fermigier ( « Les Halles au finish – Une inconsistance maniérée » le Monde 18/03/80, les critiques dans la presse font montre d’une certaine convergence d’opinion. Mais, comme le note Michèle Georges dans l’Express (26/01/80), « Curieusement, c’est la modestie même du projet qui fait scandale », alors que, comme le remarque Paul Chemetov, les critiques ignorent superbement « ceux qui plébiscitent le quartier avec leurs pieds » ( Techniques et Architecture – mars 80). Pierre-Yves Ligen, le directeur de l’APUR, revient, pour s’en défendre, sur ces critiques dans l’article « les Halles : l’esquisse d’un bilan » du numéro 25-26 de Paris-Projet, critiques qu’il renvoie à quatre motivations principales : - le rejet à priori de tout projet de la part de ceux qui auraient souhaité la conservation des pavillons de Baltard. - la conséquence de la décision du Maire de Paris d’assumer lui-même les nouvelles orientations du projet - le profil des architectes retenus pour mettre en œuvre le projet, et les choix d’une architecture se voulant « discrète » ; comme le dit Ligen, « les projet s architecturaux des Halles faisaient appel à des hommes de l’art difficilement contestables dont trois grands prix nationaux de l’architecture et à titre de coordonnateur à l’un de ceux qui ont su montrer, dans des conditions très difficiles et à contre-courant des doctrines du moment, leur sensibilité, leur résolution, leur talent dans des cas comme ceux de Saint-Malo et de Rouen et en de multiples autres circonstances. Mais il leur manquait à l’évidence de s’insérer dans l’actualité des conflits passionnants entre les courants « modernistes » ou « postmodernistes », le style « international » classique, « rétro-historiciste », ou « utopiste », aux différentes sous-écoles qu’ils engendrent, et surtout à la rhétorique renaissante du dessin et du discours sur l’architecture. (..) Restant à l’écart de ces doctrines et parfois de ces modes, ou ne sacrifiant pas en tout cas à une seule d’entre elles, l’architecture des Halles ne pouvait être jugée que mauvaise par les tenants et les porte-parole des unes et des autres, ou regardée comme « tiède », « neutre », « banale » par des observateurs moins engagés au regard d’images plus fortes, puisque tout d’une pièce, tout d’une main, tout d’une source « doctrinale ». » De fait, à l’exception de Paul Chemetov, très présent dans les débats qui marquent la fin des années 70 et le début des années 80, autour de modernité – post-modernité1, les architectes intervenant aux Halles renvoient davantage à l’image d’un « establishment » architectural , où architectes des Bâtiments civils et Palais Nationaux côtoient Grands Prix de Rome et professeurs à 1 P. Chemetov est ainsi le responsable de l’exposition « La Modernité – un projet inachevé » dans le cadre du Festival d’automne 1981 24 Le quartier des Halles à Paris l’Ecole des Beaux-Arts (Arretche, Marot, Willerval), ou bien apparaissent surtout engagés dans l’activité professionnelle (Vasconi et Pencréac’h, Ducharme – Larrast – Minost). - enfin, pour P.Y. Ligen, la plus importante motivation des réactions hostiles apparait, « l’absence d’un concepteur unique, d’un seul maître d’œuvre pour tout le projet, de ce qu’il faut bien appeler un architecte en chef, alors que le terme et la fonction avaient fait l’objet si peu de temps auparavant de si vives mises en cause. » (Plan Paris-Projet n°25) Cette question de la maîtrise d’œuvre unique, ou au moins d’une pensée architecturale unitaire, toujours d’actualité, a connu des réponses différentes au cours de l’histoire du projet des Halles, comme le souligne la SEMAH dans sa plaquette de 1980 (« Un seul ou plusieurs architectes ? » SEMAH, Les Halles – 10 ans d’activité, 01/01/1980) De la solution d’un seul concepteur, on est passé à la solution d’une variété d’architectures et d’un aménageur (qui détient la garantie d’une cohérence d’ensemble) compte tenu de l’ampleur, la situation et la diversité du programme. « Aux Halles les deux tendances coexistent. Tantôt le privilège est donné à l’unité de conception et de pensée qui passe par un homme (architecte Conseil) ou un petit groupe d’hommes (Collège des Architectes). » Ce fut la solution retenue en 1974 et en 1978, où les Halles étaient conçus comme « un ensemble spécifique et homogène, et où la volonté du geste architectural d’ensemble prédominait ainsi que le souci de la symétrie. », alors qu’à l’inverse, à l’époque de la rédaction de la plaquette prédominaient « le souci de la diversité urbaine, la recherche d’un certain pittoresque », pas d’objectif de symétrie, mais « volonté d’un certain rythme », « architecture dite d’accompagnement pour les immeubles bordant la rue Rambuteau et la rue Berger, architectures nouvelles pour le jardin et ses espaces souterrains ainsi que pour le bâtiment Lescot. » C’est en définitive ce choix assumé qui vaudra au projet nombre de ses critiques, ce qui ne permet pas de préjuger de la manière dont aurait été reçu le projet d’un architecte unique (Bofill ou un autre), sur une conception unitaire.