Don et accueil d embryons : une évolution novatrice qui demeure

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Don et accueil d embryons : une évolution novatrice qui demeure
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Don et accueil d’embryons :
une évolution novatrice qui demeure sensible
● G. Moutel*
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n 2004 : naissance du premier enfant français issu
d’un accueil d’embryon. Le journal l’Express, dans
son édition du 21 juin 2004, annonçait en titre : “Le
premier embryon adopté”, puis exposait la situation : elle
s’appelle Clara, elle pèse 3,4 kilos et a vu le jour le 14 juin à
Agen (Lot-et-Garonne) : c’est le premier bébé français né d’un
“accueil d’embryon”. Cette formule désigne le transfert à un
couple stérile d’un ovule fécondé venant d’un autre couple
ayant eu recours aux techniques de procréation médicalement
assistée (PMA) et qui a abandonné son projet parental.
L’accueil d’embryon a été autorisé par la loi sur la bioéthique
de 1994, mais, le décret d’application ayant tardé à être publié,
l’opération n’avait jamais été réalisée jusque-là. “Cela permet
d’envisager un destin aux embryons surnuméraires produits
dans le cadre des PMA”, explique le Dr Jacques Montagut,
membre du Comité national d’éthique, dont l’équipe a réalisé
cette première. Plus de 8 000 couples ont recours chaque
année aux techniques de PMA, mais les embryons produits à
cette occasion ne sont pas tous réimplantés chez les femmes et
un grand nombre demeure stocké. Après que les parents ont
renoncé à leur projet parental, ils peuvent se porter volontaires
pour donner ces embryons surnuméraires. Ce don est considéré par la loi comme une adoption et son autorisation est
conditionnée, entre autres comme nous l’exposerons ci-après,
par le respect d’un strict anonymat : l’enfant ne connaîtra pas
l’identité de ses parents biologiques, ses parents “adoptifs”
non plus.
Cette alternative peut désormais être proposée pour des
couples présentant une double infertilité ou des échecs répétés
de fécondation in vitro ou une maladie génétique transmissible
d’une particulière gravité. La loi parle d’accueil d’embryons
plutôt que de don. La symbolique du terme est ici fondamentale dans la mesure où la société rapproche plus cette
démarche d’une adoption prénatale (en l’occurrence préimplantatoire) que d’un don. Le terme de don a été récusé,
dans la mesure où, pour les femmes et les couples qui cèdent
et recevront un embryon, les enjeux médicaux, psychologiques
et sociaux sont fondamentalement différents de ceux du don
d’organe ou de sang ; ce sont ces différences qui ont fait préférer le terme d’accueil d’embryon.
* Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, faculté de médecine
Paris 5, 45, rue des Saint-Pères, 75006 Paris. Secrétaire général de la Société
française et francophone d’éthique Médicale (SFFEM).
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ORIGINE DES EMBRYONS DITS “SURNUMÉRAIRES”
ET INCERTITUDES SUR LEUR DEVENIR
La première réussite de fécondation in vitro (FIV) dans
l’espèce humaine remonte à 1978 par Edwards et Steptoe et
cela après développement de la technique de réimplantation
intra-utérine d’embryons congelés chez plusieurs espèces. Les
techniques de congélation de l’embryon humain dérivent
directement de celles mises au point pour l’embryon animal,
notamment chez les souris et les bovidés. En France, ont lieu
en 1985 les premiers transferts d’embryons congelés avec
naissance d’enfants vivants en 1986.
Le développement de la congélation et de la conservation a
plusieurs explications médicales :
– les moyens de stimulation ovarienne à l’origine d’une augmentation du nombre des ovocytes recueillis par ponction ovarienne ;
– la mise en fécondation in vitro le plus souvent de tous les
ovocytes obtenus liée à l’impossibilité de prévoir pour un
couple le taux de réussite de fécondation, aboutissant à une
augmentation du nombre des embryons ;
– la limitation du nombre d’embryons transférés afin de
réduire le risque de grossesse multiple.
Ainsi, les embryons excédentaires sont congelés pour un éventuel transfert différé :
– soit en cas d’échec de la première tentative, leur transfert
augmentant le taux de succès en évitant de nouvelles stimulations et ponctions ovariennes ;
– soit après obtention d’une grossesse, pour répondre à un
nouveau désir d’enfant.
La création du premier CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain) par le Pr G. David avait
pour objectif d’ancrer dans le système public des pratiques (à
partir de 1973, don de sperme et autoconservation de gamètes)
qui s’orientaient vers des secteurs privés plus ou moins clandestins, souvent onéreux, sans garantie de transparence technique et éthique. À partir de 1980, guidés par les mêmes
valeurs, les CECOS intègrent dans leur pratique, compte tenu
de leur savoir-faire, la garde des embryons surnuméraires issus
de fécondation in vitro. Ils seront suivis en ce sens par de nombreux centres de procréation médicalement assistée, ce qui
explique l’explosion du nombre d’embryons surnuméraires en
garde dans notre pays. Une décision en évolution considérée
d’ailleurs à l’époque par certains comme peu responsable vu
l’absence de toute vision globale du nombre d’embryons réelLa Lettre du Gynécologue - n° 307 - décembre 2005
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lement en garde et d’un défaut de prise en compte et de gestion
des incertitudes liées à leur devenir.
Au milieu des années 1990, de fortes interrogations formulées
par certains professionnels concernant le devenir des embryons
et des études publiées par des équipes de recherche en éthique
médicale ont soulevé la question en l’exposant à la collectivité
et des réponses ont commencé à émerger.
On note ainsi, dans les années 1990, que le nombre d’embryons
obtenus par tentative augmente de 1,9 ± 2,0 en 1986 à 4,1 ± 4,0
en 1996. Dans le même temps, le nombre d’embryons transférés
par tentative baisse, passant de 2,88 ± 1,33 en 1986 à 2,53 ± 0,95
en 1996 (figure 1). Il s’en est suivi une augmentation du nombre
des embryons en garde dans les différents centres. En effet, les
embryons non transférés sont congelés soit dans l’hypothèse de
nouveaux transferts en cas d’échec d’implantation, soit en cas de
désir de nouvelles grossesses ultérieures.
Figure 1. Évolution du nombre des embryons en garde de 1992 à 1996
(données sur 17 CECOS assurant cette activité).
Cette tendance à l’inflation du nombre d’embryons en garde a
perduré depuis et il subsiste encore en 2005 de nombreuses
incertitudes.
Quoi qu’il en soit, face à l’impossibilité des professionnels à
résoudre seuls des questions aussi sociétales que la destruction
éventuelle des embryons, leur utilisation post-mortem par une
veuve suite au décès du conjoint, le don (ou accueil)
d’embryons par un autre couple, la sphère publique, puis politique se sont emparées du problème. Celui-ci a été à l’origine
du débat sur les lois de bioéthique de 1990 à 1994, puis lors de
la révision de ces lois de 1994 à 2004. Le débat sur le devenir
des embryons est encore d’une grande actualité aujourd’hui
dans la mesure où l’outil législatif n’a pas permis de résoudre
des questions qui demeurent nombreuses comme l’application
des choix dans la pratique médicale.
Les études publiées exposent les devenirs possibles de ces
embryons et les désirs des couples ayant consenti à leur
conservation. Sur des effectifs importants elles montrent
l’étendue des problématiques médicales et sociales en jeu :
– 51 % des couples sont perdus de vue par les centres de garde
(19,8 % d’entre eux n’habitent plus à l’adresse indiquée, les
autres ne répondant pas aux courriers) ;
– 23,6 % expriment leur volonté de prolonger la garde ;
– 12 % souhaiteraient donner leurs embryons pour la recherche
si la loi le permettait ;
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– 9,1 % souhaiteraient donner leurs embryons en vue d’accueil
par un couple receveur ;
– 0,8 % : prolongation de la garde du fait du divorce du couple
ou d’une dissolution après concubinage ;
– 0,7 % : décès d’un ou des deux membres du couple ;
– 2,7 % : causes inconnues (non répertoriées dans les dossiers
médicaux).
Ces données soulignent l’importance des conséquences, à
moyen et long terme, de la conservation des embryons, conséquences qu’une société responsable se doit de gérer.
Chacune de ces situations mérite débat et éclairage, mais le
présent travail se concentrera sur la problématique de l’accueil
des embryons par un couple receveur.
L’ACCUEIL D’EMBRYON : UNE PRATIQUE DÉSORMAIS
LÉGALE, MAIS AVEC DES LIMITES
Permettre à un couple stérile d’accueillir ainsi un embryon cédé
par un autre couple constitue un choix que la collectivité, via le
législateur, a mis du temps à accepter. Les lois de bio-éthique
dans leur version modifiée de 2004 permettent cette option qui
était déjà évoquée dans les lois initiales de 1994 dans ses volets
sur l’AMP (assistance médicale à la procréation). Prévu par la
loi dès 1994 mais subordonné à la publication d’un décret finalisé en novembre 1999, l’accueil d’embryon constitue l’une des
techniques offertes aux couples pour lesquels l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ne peut aboutir. Mais la
loi précise qu’elle doit être exceptionnelle et établit ainsi une
hiérarchie d’acceptabilité : elle veut favoriser en priorité l’AMP
interne au couple, puis l’AMP avec donneur (insémination artificielle avec donneur ou don d’ovocyte, et seulement en dernier
lieu l’accueil d’embryon. Celui-ci devrait donc être réservé à des
couples qui cumulent infertilité masculine et difficultés liées à
un dysfonctionnement ovarien. Sans l’accueil d’embryon, ces
couples ne pourraient pas avoir recours à la procréation médicalement assistée car la loi interdit d’associer don de sperme et
don d’ovocyte.
Les articles du code de santé publique prévoient que le couple
à l’origine de la conception des embryons peut consentir à ce
que ses embryons soient accueillis par un autre couple ;
l’accueil est aussi une alternative à la destruction lorsque l’un
des membres du couple est décédé.
Comme l’a soulignée le Pr Dreiffus Netter, à l’occasion du
débat publique autour de la loi, cette disposition apparaît particulièrement cruelle pour la femme lorsque c’est elle qui survit,
comme dans l’affaire PIRES (Cour de cassation, première
chambre civile, 9 janvier 1996), et plusieurs instances ont proposé d’admettre le transfert post mortem lors du réexamen des
lois de 1994. L’Assemblée nationale avait souhaité permettre,
à titre exceptionnel, le transfert d’embryons post mortem, avec
l’accord exprès de l’homme de son vivant et dans un délai
de 6 à 8 mois après le décès, mais le Sénat n’a pas voté cette
disposition, en partie à cause des difficultés successorales
qu’elle aurait entraînées.
La loi reprise dans le code de santé publique souligne par
ailleurs que le consentement du couple à l’origine de la
conception ou, après décès de l’un des membres du couple,
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celui du survivant, doit être obtenu par le clinicien après des
entretiens avec l’équipe pluridisciplinaire. Il doit ensuite être
transmis au juge qui peut procéder à l’audition des personnes
concernées. Enfin, les règles de sécurité sanitaire doivent être
respectées.
Concernant le consentement du couple receveur, il doit être
établi devant un juge ou un notaire qui délivre l’information
sur les conséquences de l’accueil au regard de la filiation. De
plus le couple doit remplir les conditions fixées par la loi en
termes de vie commune, s’entretenir avec l’équipe pluridisciplinaire du centre à laquelle doit s’adjoindre un psychologue
ou un psychiatre.
In fine, l’accueil de l’embryon est subordonné à une décision
de l’autorité judiciaire. Le juge (président du TGI du lieu du
domicile du couple ou son délégué) s’assure que le couple
demandeur correspond aux exigences prévues et fait procéder
à toutes investigations permettant d’apprécier les conditions
d’accueil que ce couple est susceptible d’offrir à l’enfant à
naître sur les plans familial, éducatif et psychologique.
Une fois que le processus d’accueil d’embryon a abouti à une
grossesse, la filiation de l’enfant sera établie comme en
matière d’AMP avec donneur : contrairement à l’adoption, où
le jugement crée la filiation, tout se passe comme si le couple
avait procréé naturellement, ce qui lui permet de garder secret
l’accueil d’embryon même à l’égard de l’enfant. La filiation ne
pourra être contestée à moins de prétendre que l’enfant né
n’est pas issu de l’accueil d’embryon, ce qui paraît peu probable compte tenu de l’infertilité de la femme.
UNE PRATIQUE OBJET DE VIFS DÉBATS
ET DE NOMBREUSES INTERROGATIONS
Comme le soulignait en 1989 le Comité consultatif national
d’éthique (CCNE) français, entre le don de tissus ou d’organes
(dont le principe est communément admis) et le don de
gamètes ou d’embryons, il y a une évidente et fondamentale
différence : dans ce second cas, le don se traduit par la venue
au monde d’un nouvel être humain dont il contribue à déterminer l’identité, et il induit des bouleversements sociaux et psychiques de la reproduction humaine dont on mesure mal les
effets possibles.
Ce qui est en jeu dans l’hypothèse d’une extension, et a fortiori
d’une légitimation de ces pratiques, c’est une remise en cause
de nos règles de filiation, et aussi des représentations connexes
de la famille comme de la personne. En 1989, le partage des
avis au sein du comité était net : les uns en refusaient le principe même et souhaitaient que la loi l’interdise, les autres, plus
nombreux, l’admettaient dans des conditions à définir strictement par la loi.
Pour les plus réticents, le don d’embryons pose des problèmes
qualitativement plus graves que le don de gamètes. Ils soulignaient que l’embryon, selon une formulation employée dans
plusieurs des avis du CCNE, doit être reconnu comme une
“personne humaine potentielle” ou une “potentialité de personne” et que sa réification (en particulier à travers le stockage
et le don) transgresse l’exigence fondamentale du respect de la
dignité humaine. Est ainsi en cause, à travers ces prises de
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position, le principe même d’interventions délibérées destinées
à provoquer la fécondation pour conserver des embryons dans
des “banques”, en gérer le “stock”, et les répartir éventuellement selon les demandes de couples inféconds.
De plus, il était souligné très clairement dès cette époque, et
c’est encore le cas aujourd’hui, que l’existence d’embryons
“surnuméraires” liée aux conditions de la FIV pose un problème à ne pas éluder : celui de la maîtrise du nombre
d’embryons produits et celui de leur devenir.
Peut-on, dès lors, voir dans la pratique du don d’embryons une
possibilité acceptable du devenir de certains embryons en garde,
ou bien doit-on considérer leur destruction comme un moindre
mal ou, à défaut, les garder sans devenir envisageable ? Tels sont
les termes du débat. Faut-il donc se refuser à tout don
d’embryons et procédure d’accueil par un couple stérile, au
motif du respect absolu de l’embryon, considéré par certains
comme personne potentielle, non cessible, ou au contraire
doit-on donner la priorité au respect de la vie de ces embryons
et tenter d’assurer leur survie et leur développement en les
donnant à des couples stériles, dans des conditions à examiner
très soigneusement ? L’avis majoritaire à partir de 1994 plaidait en faveur de cette seconde hypothèse, reprise dans la loi.
En 1994, trois points forts sont au centre des principes qui doivent guider la pratique, pour les tenants de la légalisation :
– la procréation d’embryons n’est, en tout état de cause, envisageable sur indication médicale qu’au bénéfice de couples
hétérosexuels stables. Elle doit être pratiquée dans le cadre de
centres agréés de caractère public, sous responsabilité médicale, strictement réglementés et en très petit nombre ;
– les indications du recours au don doivent être médicales et
strictement limitées aux cas où aucune autre solution de procréation n’est possible ;
– tout don doit respecter l’anonymat des donneurs, ce qui
n’exclut pas nécessairement la communication de certaines
données non identifiantes pour des raisons psychosociales ou
médicales.
Mais dans tous les cas, il était rappelé aux biologistes et aux
médecins la nécessité de limiter, dans toute la mesure du possible, le nombre d’ovocytes fécondés, pour restreindre une
forme de procréation posant des problèmes éthiques sans
aucune solution satisfaisante.
Sur ce point, l’avis ne fut pas réellement suivi d’effet et le
nombre d’embryons n’a cessé de croître depuis, avec un
manque de prise de conscience suffisant.
ACCEPTATION DE LA DEMANDE DES COUPLES,
ANONYMAT ET VÉRITÉ À L’ENFANT
Les centres n’acceptent comme receveurs en France que des
couples qui vivent une relation hétérosexuelle stable telle que
définie par la loi et qui n’ont pas d’autres possibilités d’avoir
des enfants hormis l’adoption. Mais dans d’autres pays,
comme la Belgique, ont été admis également des femmes célibataires et des couples lesbiens.
Avant d’acquiescer à la demande d’un couple, tous les
centres s’assurent de la légitimité médicale de la demande
(impossibilité d’un autre mode de procréation) et pratiLa Lettre du Gynécologue - n° 307 - décembre 2005
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quent le counceling pour discuter des motivations du
couple demandeur.
Les couples qui se présentent comme candidats pour un don
d’embryons ont déjà réfléchi la plupart du temps à la question
de l’adoption et refusent celle-ci pour diverses raisons. En premier lieu, parce que les procédures d’adoption sont éreintantes
et qu’il y a peu d’enfants candidats. En second lieu, parce
qu’on leur a souvent dit (à tort ou à raison) que les enfants
adoptés sont des enfants à problèmes à cause de traumatismes
antérieurs liés, entre autres, à la difficulté d’accepter que leurs
parents ou leur mère les ont abandonnés.
De plus, comme le souligne le Comité national d’éthique de
Belgique, il est tellement difficile de faire son deuil d’un problème d’infertilité que, dans notre société, bien souvent, pour
avoir une image positive de soi en tant que femme, il faut
accoucher d’enfants ou au moins avoir la possibilité d’en
accoucher. Vivre une grossesse et, pour le partenaire, accompagner sa femme pendant la grossesse, semble encore à beaucoup d’hommes et de femmes une absolue nécessité pour être
satisfaits de leur vie.
Les membres du comité belge considèrent donc que, dans le
contexte socioculturel de notre société, où accoucher d’un
enfant participe à l’élaboration d’une image de soi positive
pour une femme, il est éthiquement légitime de replacer chez
des femmes stériles des embryons conçus par d’autres couples.
Tous les membres considèrent que dans un état démocratique,
il appartient à chacun, en fonction de ses convictions philosophiques, de définir le sens qu’il donne à son épanouissement
sexuel, procréatif et familial, à condition de respecter la
conviction d’autrui. C’est ce point de vue qui prévaut également aujourd’hui en France.
Lors de ce counceling, sont aussi évoquées des questions qui
pourraient éventuellement survenir, comme le maintien du
secret à l’égard de l’enfant sur son mode de conception. Alors
que, dans le contexte des dons de gamètes et d’embryons, il est
habituellement conseillé aux parents de révéler au plus vite à
l’enfant comment il fut conçu, en pratique, de nombreux
couples hétérosexuels gardent le secret et font le choix que
l’enfant découvre plus tard ou non la vérité. Pourtant, compte
tenu des difficultés que connaissent la plupart des parents qui
souffrent d’infertilité, il est vraisemblable que leurs proches, et
donc ceux de l’enfant, en soient avertis, ce qui explique que les
révélations faites à l’enfant soient en augmentation.
Quoi qu’il en soit, et c’est le sens de la loi, tous les dons
d’embryons sont anonymes. Les parents d’origine ignorent à
qui vont leurs embryons. Les parents receveurs ignorent de qui
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viennent les embryons. Et s’il arrive que l’enfant sache qu’il
est né d’un don d’embryons, il lui est impossible de retrouver
la trace de ses géniteurs.
DONNER OU NON SES EMBRYONS :
UN CHOIX COMPLEXE ET QUI NE RÉSOUT PAS TOUT
Concernant les donneurs, les travaux et certaines études francophones soulignent que pour certains couples, il est préférable, sur un plan éthique, d’offrir à leurs embryons surnuméraires une chance de vivre plutôt que de les destiner à la
recherche ou les détruire. Certains géniteurs désirent offrir
leurs embryons surnuméraires à d’autres personnes qui,
comme eux, ont connu des problèmes d’infertilité. Mais cela
n’est ni évident ni accepté par tout le monde. Certains géniteurs acceptent difficilement l’idée qu’un de leurs descendants
génétiques soit en vie, alors qu’ils n’arriveront jamais à savoir
où, pas plus qu’ils n’apprendront quoi que ce soit le concernant. Ils préfèrent dès lors faire le choix de détruire les
embryons surnuméraires ou de les destiner à la recherche, ce
qui implique leur destruction ultérieure.
La complexité de ces questions et la difficulté de les trancher,
explique peut-être le nombre important et croissant de couples
qui ont été perdus de vue alors qu’ils ont encore des embryons
en garde. Dans notre société, ce point devrait faire l’objet
d’une interrogation sur le concept de responsabilité partagée
lors du contrat qui s’établit entre médecins, patients et institution de garde.
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