Chanter la « mosaïque musicale »: Florence Glenn et les festivals

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Chanter la « mosaïque musicale »: Florence Glenn et les festivals
Chanter la « mosaïque musicale »: Florence Glenn et les festivals du Chemin de fer
Canadien Pacifique
En mai 1927, le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) a parrainé une série de
festivals « Folksong and Handicraft » dont le premier entre eux à pris place au Château
Frontenac de la ville de Québec1. Ce premier de la série était le résultat d'une collaboration entre
John Murray Gibbon du CFCP et l'anthropologue canadien Marius Barbeau2. Ce festival
inaugural était unique puisque, contrairement aux festivals précédents consacrés aux
communautés immigrantes de régions particulières, Gibbon et Barbeau, inspirés par le retour au
folklore anglais, ont cherché à encourager une école nationale de composition basée sur la
chanson folklorique canadienne-française. Des études d'Antonia Smith, Gary Kines, Janet
McNaughton et Stuart Henderson ont toutes examiné les festivals du CFCP ainsi que leur
contribution au développement de l'identité musicale canadienne à la fin de années 19203. Ces
études se sont penchées sur le rôle joué par Gibbon et Barbeau: leur compréhension de la
musique folklorique, le rôle de l'Autre dans la société canadienne ainsi que leur engagement avec
la rhétorique nationaliste. En s'orientant plutôt vers les performances elles-mêmes, un portrait
plus nuancé des festivals peut néanmoins émerger.
Mon article décrit la carrière de Florence Glenn, une interprète peu connue de chansons
1
Les festivals ont eu lieu dans les villes suivantes: Québec (1927, 1928, 1931); Banff (1927, 1928, 1929,
1931, 1931); Victoria (1928, 1929); Vancouver (1929, 1930); Calgary (1930); Regina (1929); Winnipeg (1928);
Toronto (1929).
2
Barbeau a été le sujet récent d’un recueil d’articles publier par le Musée canadien de l’histoire : Lynda
Jessup; Andrew Nurse & Gordon Smith, Eds. Around and About Marius Barbeau: Modelling Twentieth-Century
Culture. Gatineau, QC : Canadian Museum of Civilization Corporation, 2008. L’essai par Elaine Keillor « Marius
Barbeau as a Promoter of Folk Music Performance and Composition » tant que celui de Andrew Nurse « ‘Their
Ancient Customs are Gone’: Anthropology as Cultural Process » sont particulièrement pertinent pour mon étude.
3
Stuart Henderson, « ‘While there is Still Time...’: J. Murray Gibbon and the Spectacle of Difference in
Three CPR Folk Festivals, 1928-1931,» Journal of Canadian Studies, 39(1) (Winter 2005), 139-174; Gary Kines,
Chief Man- Of-Many-Sides: John Murray Gibbon and his contributions to the development of tourism and the arts
in Canada, MA thesis, Carleton University, Ottawa, (April 1988); Janet McNaughton, A Study of the CPRSponsored, Quebec Folk Festivals, MA Thesis, Memorial University, 1982; Antonia Smith, « ‘Cement for the
Canadian Mosaic’: Performing Canadian Citizenship in the Work of John Murray Gibbon,» Race/Ethnicity:
Multidisciplinary Global Contexts, 1(1) 2007, 37-60.
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folkloriques canadiennes: son penchant pour la musique ancienne en tant qu'étudiante à Toronto,
son implication dans les festivals de la ville de Québec (1927/1928) et sa carrière solo4. Le terme
« Chanson folklorique canadienne» était employé comme terme général dans les programmes de
concert de Glenn pour faire référence à la musique de groupes autochtones et à celle de groupes
d'immigrants européens. Le terme sera employé de la même manière au cours de cet article.5
Un examen de la carrière de Glenn révèle les préjugés eurocentristes en vigueur aux festivals du
CFCP: le favoritisme pour la musique provenant de sources folkloriques européennes, la
marginalisation de la musique autochtone, et une compréhension de la musique calée dans les
conventions esthétiques et les paradigmes historiques entourant la musique classique occidentale.
L'idée sociale et culturelle de la « mosaïque canadienne» proposée par Gibbon est enracinée dans
ces principes; les festivals offraient aux touristes et aux audiences locales une version idéalisée
de la culture canadienne comme elle l'est théorisée dans The Canadian Mosaic de Gibbon,
publiée en 19386. Lors des années 1920, en Amérique du Nord, on considérait que la musique
ancienne et la musique folklorique étaient complémentaires. Cette idée influençait à la fois les
performances de musique folklorique aux festivals du CFCP, et les éventuels récitals de musique
canadienne folklorique de Glenn, présentés au niveau national et international.
On connaît peu de détails sur la jeunesse de Glenn. Née en Angleterre vers 1901, elle a
émigré avec sa famille au Canada pour s'installer à Toronto lorsqu'elle était encore une enfant.
4
La nouvelle collection récemment confiée au Musée Canadien de l’histoire contient 11 boîtes de matériel :
des livres et des articles de journaux par Marius Barbeau, des transcriptions de musique recueillie, des livres de
musique classique (principalement du répertoire vocal), des programmes de récitals, de la correspondance et des
critiques.
5
Comme Ian McKay l’avait décrit, l’idée d’un « Folk » pourrait être utilisée comme représentation de ce qui
est perçu d’être « the essential and unchanging solidarity of traditional society » (Dans The quest of the folk:
antimodernism and cultural selection in twentieth-century Nova Scotia, Montreal: McGill-Queen's University Press
(1994): 12). L’idée d’un « Folk » est plutôt utilisée pour faciliter l’utilisation des produits (ou l’image) d’un groupe
pour donner une histoire romancée aux majorités, ou à la nation.
6
J. Murray Gibbon, Canadian Mosaic: The Making of a Northern Nation, Toronto: McClelland & Stewart:
1938.
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3
Entre 1924 et 1926, Glenn a participé à une variété de productions théâtrales et musicales avec
The Hart House Theatre et The Margaret Eaton School of Literature and Expression à Toronto.
Le curriculum du Eaton School était basé sur des idéaux grecs et promouvait le rôle des femmes
au théâtre; le Hart House Theatre a joué un rôle important dans le mouvement « Little Theatre »
des années 1920-30. En réaction aux spectacles professionnels populaires, ce mouvement
encourageait des mises en scènes plus expérimentales de pièces canadiennes. Les deux
institutions ont fait connaître plusieurs productions théâtrales et musicales ésotériques et/ou
contemporaines aux audiences de Toronto.
Malgré son retard sur d'autres grandes villes nord-américaines comme New York et
Boston, Toronto a néanmoins été témoin du développement de groupes musicaux dédiés à la
performance de musique ancienne. Glenn a participé à plusieurs concerts de ce genre, en
compagnie de leaders culturels de la ville, tels Bertram Forsyth du Hart House Theatre et Healey
Willan de l'Université de Toronto et du Toronto Conservatory of Music. Comme la critique
Carol Lieberman l'écrit, le mouvement de musique ancienne visait à recréer la musique du passé
comme elle l'était originalement jouée, en employant souvent des instruments d'époque7.
Étonnamment, plusieurs des concerts auxquels Glenn a participé mettaient en vedette des
arrangements de pièces classiques plutôt que des partitions originales, ce qui trouble la notion
d'authenticité dans ces performances historiques.
En avril 1926, Glenn a participé à une production du Eaton School. Selon la presse et le
programme, ce concert comportait des « œuvres rares de Mozart et de Haendel8». Bien
qu'accompagnés par des instruments d'époque, le souci d'authenticité du groupe est
7
Carol Lieberman, « Back to the Future: Postmodernism and the Early Music Revival,» dans The European
Legacy, Vol. 2, No. 1 (1997), 92.
8
« Rare works by Mozart and Handel » CMH Glenn B11: article de journal, Evening Telegram, Toronto,
April 27, 1926; CMH Glenn B11: article de journal, Evening Telegram, Toronto, May 1, 1926; CMH Glenn B11:
article de journal Evening Telegram, Toronto, May 8, 1926. Les programmes apparaîtront sur la diapositive.
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problématique; la version du rare opéra de Mozart, Bastien et Bastienne, qui était présentée
comportait un nouveau livret et paroles, ainsi que de nouveaux personnages tels Mozart et Dr.
Mesmer9. La seconde pièce de la soirée était une version abrégée de « L'Allegro, il Penseroso ed
il Moderato» de Haendel, qui transformait l'ode pastoral en pantomime tout en omettant plus de
la moitié des 49 sections originales10.
Un mois auparavant, le 24 mars 1926, Glenn était l'une des quatre solistes dans une
représentation du Stabat Mater de Pergolèse11. Dans les notes de programmes, le chef d'orchestre
J. Campbell McInnes a clairement exposé les raisons ayant motivé son choix de répertoire: la
version de Pergolèse était « plus appropriée historiquement et artistiquement12». Il s'agit d'un
jugement de valeur basé sur un ensemble de principes propres au XXe siècle. McInnes poursuit
dans le programme, acclamant la brillante mise en musique d'un texte biblique par Pergolèse
pour chœur de femmes, cordes et orgue. Toutefois, le programme spécifie que le Stabat Mater
est en fait un arrangement de la pièce de Pergolèse, créé spécialement pour la performance du
mois de mars.
Comme Barbara Kirshenblatt-Gimblett l'a élaboré dans sa théorisation du discours
patrimonial, qui englobe des produits culturels comme la musique, « le patrimoine produit
quelque chose de nouveau dans le présent qui a recours au passé13». La réévaluation de McInnes,
sans oublier les modifications aujourd'hui inconnues effectués par l'arrangeur anonyme, en
9
CMH Glenn B11: programme de concert, n.d. Season 1925-26. Handel (HWV 55), production costumée.
22 des 49 étaient jouées en pantomime.
11
CMH Glenn B11: programme de concert, le 24 mars 1926, p.1. (avec Betty Gemmill, Grace Johns and
Pearl la version Whitehead) En première partie du concert : « Three Spiritual Hymns» of the fifth, seventeenth, and
eighteenth centuries, Purcell’s Golden Sonata (from Ten Sonatas in four parts, Z.802-811, 1697), une « Sonata for
Cello» par Haendel (indéterminée), le mouvement lent d'un concerto pour flûte de Mozart (indéterminé) et un « Aria
and Chorale» de Bach.
12
« historically and artistically more appropriate »CMH Glenn B11: programme de concert, le 24 mars 1926.
p. 3.
13
« heritage produces something new in the present that has recourse to the past » Barbara KirshenblattGimblett, « Theorizing Heritage,» Ethnomusicology 39, no. 3 (Autumn 1995), 369.
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révèlent beaucoup sur le présent. Les notes de programme donnent un aperçu des convictions de
McInnes, qui compare le Stabat Mater de Pergolèse à celui de Rossini et ses « solistes, chœur et
orchestre habituels » si typiques de d'autres arrangements « modernes »14. Cette idée qu'une
pièce ancienne doive être jouée comme le compositeur l'avait originalement envisagée est
intrigante, et rappelle l'attrait contemporain pour la musique folklorique qui était perçue comme
un oasis simple et pastoral, loin des maux envahissants de la modernité et de l'urbanisation.
À cette époque, Glenn entretenait une relation artistique importante avec McInnes, le
directeur du Music Makers Orchestra. Le baryton anglais s'était produit en concert avec Cecil
Sharp et Lucy Broadhead, qui avaient effectué des collectes de musique folklorique, en
Angleterre avant son immigration à Toronto en 1919. Au milieu des années 1920, McInnes a
fondé The Music Maker Singers, un ensemble pour voix de femmes complètement dédié à l'étude
de « chansons folkloriques et de madrigaux anglais15». Nous observons de nouveau ici
l'association entre la musique historique, ou ancienne, et la musique folklorique. Les deux
catégories musicales étaient vues comme statiques et unidimensionnelles, pouvant être recréées
sous forme de pantomime musical, incluant des costumes et des mises en scènes. Ces
performances contenaient souvent des instruments d'époque ainsi que des arrangements de
partitions et de chansons folkloriques. Les Music Maker Singers se produisaient dans leur
propres costumes inspirés de la Renaissance, souvent avec des mises en scènes.
C'est grâce à son lien avec McInnes et The Music Maker Singers que Glenn a été exposée
aux festivals du CFCP, à John Gibbon, et surtout à Marius Barbeau. Les Music Maker Singers
ont participé au festival inaugural du CFCP à Québec, en 1927. Après avoir été sollicité au sujet
d'une performance solo au festival, McInnes a fait connaître le groupe à Gibbon et Barbeau au
14
« usual soloists, full chorus and orchestra »
« folksongs and English madrigals » Elaine Keillor, « Marius Barbeau and Musical Performers» dans
Canadian Journal for Traditional Music, 31 (2004) 29.
15
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printemps 192716. L'intérêt du groupe pour la musique folklorique et la musique ancienne, ainsi
que leurs performances costumées, ont piqué l'intérêt des organisateurs.
Avec le festival de Québec de 1927, Barbeau et Gibbon, tous deux diplômés d'Oxford,
manifestaient un grand intérêt pour la musique folklorique et les possibilités qu'elle offrait pour
la musique savante canadienne. Ils s'inspiraient du regain d'intérêt pour la musique folklorique en
Angleterre, où l'on encourageait les mélodies folkloriques recueillies à servir de base pour une
école nationale de composition classique17. Ce modèle, déjà incertain en Europe, devient
problématique lorsqu'on l'applique au Canada. Afin d'encourager un véritable héritage musical
canadien, Gibbon et Barbeau devaient d'abord identifier un « folkore». Toutefois, les nation
fondatrices du Canada – l'Angleterre et la France – étaient elles-mêmes immigrantes sur une terre
longtemps peuplée par des communautés autochtones, malgré des décennies d'effort de
propagande nationaliste visant à blanchir cette histoire avec des propos de territoires vastes et
non-réclamés.
Barbeau et ses collègues du Musée national croyaient que la population autochtone du
Canada était une race en voie d'extinction18. Ils voyaient la culture canadienne-française d'un
même œil, la considérant comme statique. Il existait toutefois une différence fondamentale entre
les deux traditions: puisque les canadiens français descendaient des européens, on leur accordait
une supériorité sur les cultures autochtones. Barbeau et Gibbon croyaient que la grande majorité
des chansons folkloriques canadiennes françaises provenaient d'airs français des XVIe et XVIIe
siècles, qui avaient accompagné les colons en Nouvelle-France dans les années 1600. Ceci
16
Voir CMH Barbeau B197 F19 lettres datées du 18, 22 & 25 avril 1927.
Cette idée est influencée par les écrits d'Herder sur le peuple et les traditions folkloriques en tant que base
pour l'identité nationale, ainsi que la notion du « Golden age » de Rousseau, qui veut que la société retourne à son «
essence pure ». Voir Henderson, 145.
18
Leslie Dawn, National Visions, National Blindness: Canadian Art and Identities in the 1920s, Vancouver:
UBC Press (2006) 2.
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élevait la chanson folklorique canadienne-française, tout en situant toute composition future
basée sur cette musique dans la tradition de la musique classique occidentale. En conséquence,
on considérait que la musique savante européenne était l'héritage des Canadiens. Les festivals de
Québec accentuaient particulièrement ce phénomène.
Le Musée national du Canada19 contenait des milliers de d'enregistrements recueillis dans
des communautés autochtones et canadiennes françaises, grâce à l'enthousiasme envers ce qu'on
percevait comme les derniers vestiges d'une culture authentique.
Pour Barbeau, cette musique était une ressource artistique ayant le potentiel d'être élevée,
par le biais d'arrangements classiques, à des niveaux inimaginables pour ses interprètes
originaux20. Des artistes comme The Music Makers, Juliette Gauthier et McInnes ont interprété
de tels arrangements au festival de Québec. Dans le but d'encourager une école nationale de
composition, ces mélodies arrangées classiquement favorisaient également la création d'un
environnement auditif plus confortable pour l'audience cible: des touristes urbains anglophones.
Comme l'a démontré Gary Kines, Gibbon désirait promouvoir la compréhension entre les
canadiens. Son rôle principal était toutefois celui d'un homme d'affaires. Dans sa thèse, Kines
décrit les croyances de Gibbon en l'attrait universel de la musique folklorique, et retrace
l'implication artistique de celui-ci avec la musique folklorique: la traduction de textes et l'écriture
de nouvelles paroles21. Toutefois, le but immédiat du festival de la ville de Québec était
d'augmenter le tourisme au château Frontenac lors de la saison morte. S'ils s'étaient avérés
incapables d'attirer un public, les festivals n'auraient pas été possibles. Par conséquent, les
décisions de Gibbons, y compris celles ayant trait au répertoire et à la sélection d'artistes, étaient
19
Maintenant le « Musée canadien de l'histoire »
Sandra Dyck, « These Things Are Our Totems:» Marius Barbeau and the Indigenization of Canadian Art
and Culture in the 1920s, MA Thesis, Carleton University (1995) 37, 159.
21
Gary Kines, Chief Man-Of-Many-Sides: John Murray Gibbon and his contributions to the development of
tourism and the arts in Canada. Thèse de M.A, Université de Carleton, Ottawa. (April 1988) 100.
20
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influencées par son désir de créer une atmosphère plaisante et attirante pour ses invités.
Glenn et The Music Makers se sont produits à deux reprises au festival de 1927. Les deux
performances costumées comprenaient des arrangements de musique française de l'époque de la
Renaissance. Barbeau et Gibbon avaient eux-même envoyé les partitions à McInnes afin que le
groupe les apprenne. Au premier concert, on avait programmé des œuvres choisies de Jannequin,
Costelay et Goudinel, retrouvées dans L’Encyclopédie de la Musique du Conservatoire de
Paris(~1914)22. Le lendemain, Glenn et The Music Makers ont interprété un arrangement pour
voix et piano d'extraits tirés d'un texte de J. Wekerlin, Échos du Temps Passé (Vol. II, ~1855)23.
Dans le programme, les oeuvres étaient décrites comme « des Brunettes et des chansons de la
France du XVIIe siècle, » et on comptait parmi celles-ci des textes de Guedron, Ronsard, ainsi
qu'une pièce anonyme intitulée « Grisélidis, a love song of the Crusaders24.»
Les programmes du festival visaient à créer un équilibre entre les chansons du folklore
canadien-français, perçues comme indigènes, et les formes d'art savant actives en France à
l'époque de la colonisation du Canada. Dans les notes de programme pour Glenn et The Music
Makers, Gibbon élabore sur ce lien:
« Although folksong... has little in common with the madrigals and partsongs of the courtly
composers of the sixteenth and seventeenth centuries, we must not forget that the early
pioneers and settlers in Canada belonged just as often to the good families as to the peasant
classes of Old France. Many of them were no doubt familiar with and sang these more
sophisticated songs, and some of these melodies may be preserved still by tradition among
their descendants in Canada25 ».
Aux deux concerts, Les Music Makers étaient précédés du Hart House Quartet. Le
samedi, ces derniers interprétaient plusieurs arrangements pour cordes de chansons canadiennes
22
CP Misc. Festivals & Ski Trains, 6. Programme du samedi soir, le 21 mai 1927. Si j’ay esté vostre amy
(Jannequin); Ce moys de may (Jannequin); Allons au vert bocage (Costelay); A toi, mon Dieu (Goudinel)
23
J. Wekerlin, Échos du Temps Passé, Vol. II (circa 1855); CMH Barbeau B197 F19 lettre du 25 avril 1927
décrivant les pièces ayant été préparées. Seulement 9 d'entre elles ont été jouées au festival.
24
« 17th century Brunettes and Chansons of Old France, » CP Misc. Festivals & Ski Trains, 8. Programme du
dimanche soir, le 22 mai 1927.
25
CP Misc. Festivals & Ski Trains, 6. Sat. evening program, May 21, 1927.
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françaises, puis de la« musique de danse de la France des XVIe et XVIIe siècles 26» le dimanche.
Janet McNaughton a fait une distinction entre les interprètes « source » et « non-source »
au festival de Québec, c'est-à-dire ceux qui avaient appris leur répertoire par tradition orale en
comparaison à ceux qui l'ont étudié à partir de matériel recueilli27. Le Hart House Quartet et les
Music Makers sont tous deux des interprètes « non-source», et comme Gibbon l'a précisé dans
les notes de programme, des « Artists and Composers» plutôt que des « Folk Singers and Craft
Workers28.»
Ce phénomène d’appropriation du matériel folklorique ainsi que sa performance aux
festivals du CFCP était une entreprise culturelle particulièrement problématique. Grâce aux
connections de Barbeau, développées à l'aide d'années de travail sur le terrain, le CFCP a pu
importer des interprètes « source » du Québec rural afin de chanter et de présenter leur artisanat
au festival. Les concerts du soir présentaient donc, de manière interchangeable, un mélange de
musique de la Renaissance française et de musique canadienne-française folklorique. La
performance des Music Makers était immédiatement suivie par celle de deux chanteurs
folkloriques de Gaspé: François Saint-Laurent et Joseph Ouellette. Les concerts du samedi et du
dimanche soir présentaient donc des interprètes « source » et « non-source ». De plus, les notes
de programme de Gibbon ainsi que des traductions des paroles françaises facilitait l'expérience
des audiences anglophones.
Dans leur correspondance, Barbeau et Gibbon discutent rarement des interprètes «
source», portant plutôt attention à la sélection du répertoire des interprètes « non-source».
D'après eux, les interprètes « source », non-rémunérés, présentaient du matériel brut. En
26
« Old French Dance Music of the 16th and 17th centuries »
Janet McNaughton, A Study of the CPR-Sponsored, Quebec Folk Festivals. Thèse de M.A, Memorial
University, (1982) 71.
28
CP Misc. Festivals & Ski Trains, 6. Programme du samedi soir, le 21 mai 1927; CP Misc. Festivals & Ski
Trains, 8. Programme du dimanche soir, le 22 mai 1927.
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conséquence, on s'attendait à peu de chose de leur part. Dans la presse, la critique insiste sur cette
division, offrant des résumés extrêmement descriptifs et quasi-ethnographiques des performances
« source », tandis que les professionnels ou interprètes « non-source» étaient évalués selon les
standards artistiques habituels.
On croyait que les compositions interprétées par le Hart House Quartet parvenaient à
illustrer l'essence d'une culture par le biais de l'arrangement de matériel « primitif», puis par sa
métamorphose en musique plus savante. Pour encourager de telles compositions basées sur des
chansons folkloriques canadiennes françaises, le CFCP a annoncé au festival de 1927 la E. W.
Beatty Competition for Folksong Composition. On acceptait des soumissions pour orchestre, des
cantates, des suites pour cordes et quatuor, et des arrangements pour voix d'homme et chœur
mixte. Après la décision d'un panel international de juges, un prix de 3000$ était accordé au
gagnant, dont la composition était présentée au Folksong and Handicraft Festival à Québec en
1928.
Florence Glenn est retournée à Québec pour le festival de 1928 en compagnie de
McInnes et d'un ensemble vocal un peu plus grand, maintenant nommé The Canadian Singers29.
En plus de motets des XVe et XVIe siècles, le groupe y a chanté les Six Bergerettes du Bas
Canada du compositeur Canadien Ernest MacMillan. Basées sur six chansons folkloriques
canadiennes, avec un accompagnement pour alto, clavecin et hautbois, ces pièces étaient
récipiendaires du prix E.W. Beatty. Gibbon les a qualifiées de « pastourelles folkloriques du
Canada30 ». En offrant de l'aide financière aux compositeurs pour la composition d’œuvres
basées sur la musique canadienne- française, et en organisant par la suite la première de ces
oeuvres, Gibbon et le CFCP ont eu un impact considérable sur le son et l'esthétique de la
29
30
CMH Barbeau, B347 f1, programme général, May 24-28, 1928, p. 14.
«folk pastourelles of Canada» CMH Barbeau, B347 f1, programme général, May 24-28, 1928, p. 16.
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composition canadienne durant ces années.
Le festival de 1928 était plus extravagant que celui de l'année précédente, et comportait
plusieurs productions à grande échelle qui illustraient l'importance du regain d'intérêt pour la
musique ancienne ainsi que ses répercussions sur tous les aspects liés à la performance musicale
dans les festivals. Une troupe de chanteurs d'opéra principalement canadiens ont recréé le Jeu de
Robin et Marion d'Adam de Halle, sous la direction du chef-d'orchestre québécois Wilfrid
Pelletier31. La seconde production était « L'ordre de Bon-Temps », un opéra-ballade composé par
Healy Willan, originaire de Toronto. Inspiré par les contes de L'ordre de Bon-Temps, une société
fondée en 1606 par Samuel de Champlain, le livret était basé sur les écrits de ce dernier. Willan a
arrangé des chansons folkloriques conservées au Musée nationale et des pièces françaises des
Échos du temps passé de Wekerlin pour recréer l'atmosphère de la Nouvelle-France.
Après le festival de 1928, Florence Glenn et Marius Barbeau ont continué à collaborer.
Glenn a quitté The Canadian Singers en 1929 afin de passer l'été à l’Île d'Orléans, au Québec,
afin d'améliorer sa diction française et de se plonger dans la culture francophone rurale, pour
augmenter son authenticité en tant qu'interprète de chansons folkloriques canadiennes françaises.
En 1929, Barbeau écrit à Gibbon qu'il était « ravi de constater [qu'il ne s'était pas] trompé...
Glenn deviendra sans doute l'une des interprètes les plus importantes de chansons folkloriques au
Canada 32 ».
À l'aide de Barbeau, Glenn a continué d'offrir des récitals de musique folklorique
canadienne, tout particulièrement avec sa tournée des Association of Canadian Clubs. La tournée
31
Armand Tokatyan (Met); Rodolphe Plamondon (ancien chanteur à l'opéra de Paris); Cedia Brault (ancienne
chanteuse à l'opéra de Boston); Pierre Pelletier (un canadien ayant étudié en Italie); Ulysse Paquin (ancien chanteur
à la compagnie d'opéra de Montréal); Genevieve Davis (Montréal). Les collègues de Pelletier au Metropolitan Opera
de New York ont également fourni les costumes et le décor. La production comportait un texte français modernisé
par le montréalais Paul Morin, ainsi qu'une partition basée sur l'étude du manuscrit par Jean Beck, un médiéviste de
l'Université de Pennsylvanie.
32
«I was very glad to find out that I hadn’t been mistaken in my anticipation... No doubt Glenn will be one of
the leading interpreters of folksongs in Canada » CMH Barbeau Lettre du 3 mai 1929.
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comportait de la musique folklorique recueillie à partir de sources anglophones et francophones,
et contrairement aux festivals du CFCP à Québec, plusieurs pièces autochtones33. Il est très
probable que Juliette Gauthier, une interprète ayant une formation classique en musique
autochtone qui avait performé aux festivals de Québec du CFCP, ait influencé la décision de
Glenn d'incorporer « un tambour de style indien34 » à plusieurs de ses pièces. Tout comme aux
festivals du CFCP, Glenn a continué d'employer des costumes dans ses concerts solos, quoiqu'ils
n'étaient pas inspirés de la Renaissance. Contrairement à Gauthier qui arborait des vêtements
autochtones traditionnels et qui changeait fréquemment de costumes au cours d'une même soirée,
Glenn altérait subtilement sa garde-robe pour accompagner les changements de répertoire,
ajoutant par exemple un châle à son habit pour souligner la transition du répertoire canadienfrançais au répertoire autochtone. Tout comme aux festivals du CFCP, les concerts de Glenn se
terminaient avec un groupe qui chantait God Save the King, situant ainsi les chansons
folkloriques canadiennes dans le contexte du Canada britannique.
La participation de Florence Glenn au festivals « Folksong and Handicraft » de Québec
du CFCP a été grâce à son appartenance au milieu de la musique ancienne à Toronto. Pendant
que membre des Music Makers, Glenn avait appris une manière de performance quasipantomime — complète avec des costumes et des mises en scène — compatible avec la musique
ancienne tant que la musique canadienne folklorique. Cette manière de performer lui servira bien
durant les performances de musique folklorique aux festivals du CFCP, tant qu’avec ses
éventuels récitals de musique canadienne folklorique. Grâce aux contacts développés par Glenn
33
Par exemple, plusieurs chansons rassembler par Barbeau pendant ses explorations ethnographiques en
Colombie-Britannique, incluent « She is Mine (Skeena River, Northern B.C.) »; « Alaeena (Skeena River
Lullaby) »; Riding Song (Thompson River, B.C.) » Nadudu (Lullaby from the Nass River, B.C.) »; Hano (dirge
from the Nass) »; Haninaw (Skeena River Love Song) ». CMH Glenn B11: programme de concert, Association of
Canadian Clubs, n.d.
34
« a drum in the Indian manner »
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13
aux festivals de Québec, elle a connu une carrière de soliste réussie en tant qu'interprète de
chansons folkloriques canadiennes. On voit à travers la carrière de Florence Glenn comment la
mosaïque canadienne telle que représentée aux festivals du CFCP a fait une impression
permanente sur sa carrière. Les stratégies utilisées par Barbeau et Gibbon ont influencé son
utilisation des chansons folkloriques canadiennes-françaises comme symbole folklorique pour le
Canada. En plus, on voit comment en promouvant l'idéal de la « mosaïque » culturelle
canadienne, les festivals du CFCP, et les récitals de Glenn elle-même avaient une attitude
d'assimilation envers les communautés immigrantes, tout en encourageant la richesse du
patrimoine musical canadien. Mais, pendant que les festivals du CFCP ont éliminée de pièces
autochtones au cours du programme, durant ses récitals solos, Glenn les avait ajoutés, qui
suggère une interprétation moins précise de la vision plutôt étroite la « mosaïque Gibbon ».