Supplément au Voyage de Bougainville : Les personnages A et B

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Supplément au Voyage de Bougainville : Les personnages A et B
Supplément au Voyage de Bougainville : Les personnages
A et B : deux amis que le mauvais temps empêche de sortir. B est celui qui a lu le récit de Bougainville et le Supplément à ce
récit (voir Composition, « mise en abyme » : le supplément en question est celui que nous sommes en train de lire).
Ce sont deux philosophes des Lumières : curieux, intéressés par les découvertes scientifiques ou géographiques. Ils aiment à
raisonner et à débattre, se passionnent pour les différences entre civilisations, s’interrogent sur l’état de nature et le rôle de la
société.
A semble d’abord en retrait par rapport à B : c’est lui qui pose les questions, qui n’a pas les connaissances de B qui dirige le
débat.
Le vieillard : il apparaît réellement dans le récit de Bougainville où il se montre indifférent à l’arrivée des Européens,
silencieux. Diderot va s’emparer de ce personnage pour en faire le porte-parole des adversaires de la colonisation. Ce
personnage s’exprime avec toute l’éloquence d’un Européen... L’humour de Diderot qui attribue cette aisance rhétorique à la
traduction est ici bien présent. Ce sont bel et bien les idées de Diderot que défend ici le vieillard : on retrouve cette accusation
dans d’autres écrits de l’auteur (le compte-rendu qu’il avait fait du récit de Bougainville ou dans Histoire des Deux Indes qu’il a
écrit ne collaboration avec l’abbé de Raynal)
L’aumônier : il y avait effectivement un aumônier dans l’expédition menée par Bougainville mais celui du livre est une
invention de Diderot. C’est un être simpliste, incapable de résister à l’éloquence d’Orou. Il est aussi comique dans son
comportement mais il sait s’adapter à la situation et « être moine en Europe, sauvage en Otaîti »
Orou : ce personnage est sans doute inspiré d’Aotourou, le Tahitien que Bougainville avait amené avec lui en Europe mais là
encore, Diderot se sert d’une réalité pour imaginer tout autre chose. Ainsi Orou est, tout autant que le vieillard, un maître de la
rhétorique et lui aussi, défend des idées de Diderot : critique contre l’Église, la religion, défense du bien général qui doit
l’emporter sur le bien particulier, plaidoirie pour l’état de nature, critique des préjugés (voir le sous-titre : « l’inconvénient
d’attacher des idées morales à des actions physiques qui n’en comportent pas »), critique des contradictions de la société
européenne. Mais contrairement au vieillard, c’est un homme de dialogue.
Polly Baker : ce personnage est inspiré de Benjamin Franklin qui avait imaginé cette femme afin de défendre les jeunes filles
séduites.Dans le livre, elle n’a qu’un rôle secondaire mais montre que la loi qui condamne les filles-mères en raison de leur
« mauvaise conduite » est mauvaise pour les individus autant que pour l’état, c’est à nouveau une illustration du sous-titre. Son
histoire permet d’autre part d’opposer la civilisation saine de Tahiti aux erreurs de la civilisation occidentale.
 Dans l’ensemble, les personnages ne sont pas comme des personnages de romans, détenant un passé, une psychologie,
auxquels le lecteur peut s’identifier ; ils sont plus des « rôles » que des personnages, ils sont plus au service d’une idée que d’une
histoire. Ils permettent d’aborder et d’incarner différents débats majeurs dans cet ouvrage et qui animent les réflexions des
hommes des Lumières :
•
Liberté sexuelle, mariage et morale (débat dont on peut voir des exemples dans les romans libertins de ce siècle)
• Enfant et société : ne pas oublier que l’intérêt pour l’enfant en tant que personne et son éducation sont des sujets qui
intéressent les hommes de cette époque, et c’est nouveau. Voir le livre de Rousseau : L’Émile)
• Propriété et partage : autre thème qui intéresse l’époque (voir Rousseau et son Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les
hommes)
• Méfaits de la colonisation : thème lui aussi en débat et que Diderot aborde dans l’Histoire des Deux Indes (voir plus haut)
• Nature et société : les avis sont partagés ; Voltaire estime que la société est utile à l’homme ; Rousseau pense qu’elle le
pervertit. Ici, Diderot met en évidence le caractère paradoxal des lois qui s’imposent à l’homme en société
• Religion: le Supplément tend à montrer que la religion et ses préceptes sont nuisibles à l’individu, à la société et au bien
en général, parce qu’elle va à l’encontre de la nature
• Bonheur : autre thème important dans les débats de l’époque (Madame du Châtelet, Discours sur le bonheur), lié ici à
l’état de nature et à l’utopie de Tahiti alors que les lois contradictoires de l’Europe empêchent l’homme d’être heureux
• Le Bon Sauvage : depuis Montaigne, thème qui attire ; voir Voltaire, L’Ingénu
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